« Mousquets, piques et canons… ». La défense des Antilles françaises au temps de la Compagnie des îles (1626-1648)
The defence of the French Lesser Antilles in the time of the Compagnie des îles (1626-1648)
p. 201-217
Résumés
La colonisation des Petites Antilles (Saint-Christophe puis Guadeloupe, Martinique) par les Français est institutionnalisée en 1626 avec la création d’une compagnie, la Compagnie des îles de l’Amérique. Cependant l’avenir demeure incertain. Les rivalités avec les Anglais, la menace espagnole conduisent rapidement les directeurs de la compagnie, particulièrement soucieux d’assurer la protection des îles, à conduire une politique de défense active. Les actes de la compagnie, et les contrats signés avec les capitaines et les engagés en montrent les différents volets (construction de forts, envoi d’armes et de munitions) mais aussi les insuffisances devant la réalité des menaces. Cette politique suffit cependant à préserver les îles des appétits étrangers et à les garder sous le contrôle de la France.
The colonization of the Lesser Antilles (St Kitts, Guadeloupe, Martinique) by the French was institutionalized in 1626 with the creation of the Compagnie des îles de l’Amérique. However the future remained uncertain. The rivalries with the English, the Spanish threat quickly lead the directors of the company, particularly concerned about the protection of the islands, to decide on an active defence policy. The acts of the company and the contracts signed with captains show the various aspects of this policy (forts were built, weapons and ammunition were sent), but they also reveal inadequacies in the face of the reality of the threats. However this policy was enough to protect the islands and keep them under the control of France.
Texte intégral
1Le 31 octobre 1626, deux capitaines de la marine du Ponant en congé, Pierre Belain d’Esnambuc et Urbain de Roissey, obtiennent une commission du roi qui les établit capitaines de l’île de Saint-Christophe. Elle officialise leur installation sur l’île quelques mois plus tôt1. La colonisation des Petites Antilles par les Français commence. Elle se poursuit en 1635 avec la prise de la Guadeloupe et de la Martinique. Il s’agit de conquêtes à plusieurs titres. D’une part, les îles sont peuplées par les Indiens Caraïbes et les Français vont les soumettre pour s’imposer. D’autre part, les îles sont, depuis la bulle Intercaetera du pape Alexandre VI de 1493 et le traité hispano-portugais de Tordesillas de 1494 qui organisent le partage des mondes nouveaux, sous l’autorité théorique de l’Espagne. Les Français doivent donc, s’ils veulent garder leurs possessions dans une mer sinon espagnole, du moins dominée par l’Espagne, se prémunir des ripostes comme des appétits des autres puissances dans un espace fortement concurrentiel. La protection des îles est logiquement une priorité et une préoccupation de tous les instants. Mais qui est responsable de cette défense ? Quels moyens lui sont alloués ? Sauront-ils suffire pour assurer la présence française ? Il ne s’agira pas pour nous de parler ici des opérations militaires menées mais d’évoquer la politique générale de défense des îles par les Français et sa mise en œuvre.
LES RESPONSABLES DE LA DÉFENSE DES ÎLES
Les obligations des associés
2La monarchie a confié en 1626 à une compagnie la conduite de la colonisation des Petites Antilles. On l’appelle communément la Compagnie de Saint-Christophe. Les associés qui l’administrent ont toutes les prérogatives en matière de justice, d’administration, et de fiscalité, et bien sûr de défense, pour mener à bien leur mission. Le contrat de 1626 qui lie la compagnie à la monarchie évoque surtout la politique de colonisation et le commerce mais il mentionne que « les dits deux forts et toutes les munitions qui s’y trouveront […] seront, appartiendront et demeureront au profit des dits sieurs2 ». Les choses sont précisées lors de la reformation de la compagnie avec le nouveau contrat du 12 février 16353. Pas moins de 3 articles sur 16 sont consacrés aux questions de défense (articles 5, 7 et 9). L’article 5 mentionne très clairement que « lesdits associés pourront faire fortifier des places et construire des forts, et établiront des colonies aux lieux qu’ils jugeront les plus commodes pour la sûreté du commerce et conservation des Français ». Ils ont l’entière responsabilité de la défense des îles. Ils disposent aussi de prérogatives particulières, concédées par le roi. Ainsi, par l’article 7, « Sa majesté permettra auxdits associés d’y faire fondre canons et boulets, forger toutes sortes d’armes offensives et défensives, faire poudre à canon, et toutes autres munitions nécessaires pour la conservation desdits lieux ». L’article 9 leur permet de « mettre tels capitaines et gens de guerre que bon leur semblera, dans les forts qui seront construits esdites îles, et aussi sur les vaisseaux qu’ils y enverront4 ». La défense des îles est une priorité. Les délibérations de la Compagnie des îles de l’Amérique qui nous sont parvenues pour la période 1635-1648 sont principalement axées sur les questions de défense. Chaque réunion comporte ainsi un volet consacré à la question de la protection et de la sauvegarde des îles. Les associés entendent être informés de la situation des îles régulièrement. Ils chargent ainsi le sieur Auger de dresser les plans de la Martinique et de Saint-Christophe et de travailler aux desseins des fortifications qui seront à faire5. En 1635, ils demandent à leur commis à Saint-Christophe, Jean Gentil, un état des Français, portant notamment sur les armes dont ils disposent et sur les fortifications6.
3Les capitaines généraux, autrement appelés gouverneurs, assurent chacun dans leur île, aidés de leurs lieutenants généraux et des officiers, la mise en œuvre des décisions de la compagnie.
Les interventions de la monarchie
4La monarchie intervient cependant aussi dans la défense des îles quand la guerre entre la France et l’Angleterre s’invite aux Antilles. Le contrat de partition de l’île de Saint-Christophe fait entre les deux nations en 16277 est rapidement remis en cause par les Anglais. Fort de leur nombre dans l’île, ils obtiennent de d’Esnambuc et de Roissey, à force de pressions, que la Pointe-de-Sable ne soit pas fortifiée. D’Esnambuc, dépité mais combatif, embarque alors pour la France à la fin de l’année 1628 afin de préparer la riposte et d’obtenir des renforts8. Il s’entretient avec les associés et le cardinal de Richelieu. Ce dernier saisit l’importance de l’enjeu. Il comprend que les Anglais veulent chasser les Français de l’île9. Il ordonne l’armement immédiat d’une escadre de dix navires, six vaisseaux de ligne et quatre bâtiments légers (pataches ou galiotes), qu’il place sous le commandement de François de Rothonne, sieur de Cahuzac10. Les instructions données à Cahuzac le 18 février 1629 sont claires. Il doit ramener les Anglais à la raison, s’associer avec eux contre des incursions espagnoles, prendre possession de Saint-Christophe et chasser le galion dans les Grandes Antilles. L’escadre quitte Le Havre le 5 juin et parvient à Basse-Terre le 25 juillet. Cahuzac adresse une sommation aux Anglais le 30 juillet. Il la renouvelle le 1er août. Ne recevant aucune réponse, il cingle le 2 août vers la Grande Rade où se trouvent les Anglais et leur prend quatre navires qu’il ramène à Basse-Terre. Les Anglais entament alors des pourparlers. Le 5 août, le gouverneur anglais Thomas Warner signe un nouveau traité. Le 7, les terres spoliées retournent aux Français et les bateaux saisis sont rendus11. Le calme revient dans l’île. Cahuzac, ne voyant pas venir la flotte espagnole de don Fadrique de Tolède, appareille le 19 septembre et laisse les colons démunis quand elle apparaît finalement quelque temps plus tard devant Saint-Christophe. Elle est forte de seize galions, vingt-neuf navires et huit galiotes. Français et Anglais se mobilisent mais ils ne peuvent empêcher le débarquement des Espagnols. La partie est perdue. Les Français montent à bord de deux navires de commerce qui sont alors à Capesterre et s’établissent dans les îles environnantes. Les Anglais obtiennent de leur côté des Espagnols de pouvoir regagner l’Angleterre sur les quatre bateaux qui sont alors dans la rade. Puis les Espagnols reprennent la mer. Les Anglais, qui, à une faible distance, surveillent leurs mouvements, se hâtent dès leur départ de rentrer dans l’île. D’Esnambuc et Roissey s’apercevant que les Anglais se sont rendus maîtres de l’île, bataillent pour leur faire entendre raison et rétablir la colonie française. La paix règne à nouveau entre les deux nations12.
5Cette alerte et la déclaration de la guerre de la France à l’Espagne en 1635 motivent certainement un réaménagement des dispositions de défenses des îles. Les enjeux de leur colonisation dépassent, et de loin, les simples aspects mercantiles et s’intègrent peu ou prou à la vision de la politique étrangère française. Aussi, la monarchie assure-t-elle en 1642 la Compagnie des îles de l’Amérique de son soutien militaire en cas de besoin, « et s’il arrive que ladite compagnie veuille entreprendre sur les îles étant en l’obéissance des princes ennemis, sa majesté pourra l’aider de vaisseaux, soldats, armes et munitions, selon les occurrences et l’état de ses affaires13 ».
Menaces sur les îles
6Le premier objectif des directeurs de la compagnie est de se prémunir de tous les coups venant de l’extérieur afin d’assurer le développement économique des îles et le commerce. Pour cela, ils attachent une grande importance au renouvellement du contrat de partage de Saint-Christophe de 1627 qui en garantit la sécurité. Le contrat est reconduit le 15 juillet 1637, le 12 août 1638 et en 163914. L’entente franco-anglaise se maintient tant bien que mal à Saint-Christophe malgré quelques incidents.
7On redoute surtout une nouvelle intervention espagnole. D’ailleurs, à partir de 1633, les Espagnols, afin de faire respecter leur droit, mènent plusieurs attaques à Saint-Martin et à la Tortue pour en reprendre le contrôle et dissuader les Européens de s’y établir15. Au mois d’août 1635, la saisie d’un navire de la Compagnie des îles de l’Amérique par les corsaires de Dunkerque plonge les directeurs dans un grand désarroi. Ce n’est pas tant la perte du bateau et de sa précieuse cargaison qui est déplorée que celle du mémoire « au vrai » réalisé à leur intention par leur commis, Jean Gentil. Ils craignent que les Espagnols n’exploitent le document et n’entreprennent ainsi informés une attaque sur une des îles françaises. Ils décident aussitôt d’envoyer un navire avec des armes et des munitions pour pouvoir riposter si les Espagnols se manifestent. Le représentant de la compagnie au Havre, Jean Cavelet du Herteley, est chargé de prendre rapidement contact avec les capitaines de navires de la région (Le Havre, Fécamp, Harfleur) pour les acheminer au plus vite16. Mais ce n’est pas la seule résolution prise par les associés dans cette affaire. Il s’agit aussi de prévenir ce genre d’incident. Aussi est-il décidé qu’en cas d’attaque et de saisie par une puissance ennemie d’un navire transportant du courrier, toutes les lettres seront jetées à la mer17. Il ne faut fournir aucune information à l’ennemi.
8Les directeurs de la compagnie ne sont pas les seuls inquiets de la situation des établissements français dans les Antilles. Les marchands de Dieppe avec qui ils ont passé contrat pour la colonisation de la Guadeloupe en 1635 font part de leurs craintes à plusieurs reprises. Le 5 mars 1636, leur représentant, Salomon Faulcon, souligne la faiblesse des Français : « Ils peuvent être facilement chassés » de la Guadeloupe. Les marchands sont d’autant plus inquiets qu’ils ont déjà réalisé de nombreux investissements pour aider à la colonisation de l’île et espèrent en tirer profit18.
9Les mouvements des navires espagnols au large des îles sont surveillés avec attention. Le père dominicain Pierre Pélican dit craindre une descente des Espagnols à la Guadeloupe en 1635 alors que les Français « sont à peine débarqués19 ». « On attendait en tremblant la flotte espagnole », écrit un autre dominicain, Raymond Breton20. Plusieurs alertes sont déclenchées car ils avitaillent régulièrement dans les îles voisines. Le 17 août 1639, le gouverneur de Saint-Christophe, Philippe Lonvilliers de Poincy, écrit avec soulagement aux associés que les Espagnols n’ont pas croisé au large des îles21. Il craint cependant une nouvelle attaque en 1640, mais la flotte espagnole est défaite avant d’arriver22.
10La menace caraïbe est aussi à considérer. Les Indiens ont été chassés de Saint-Christophe par les Anglais et les Français, ce qui a donné lieu à un véritable massacre, bon nombre d’entre eux ne devant leur salut qu’à leur fuite en pirogue23. Mais il en va autrement dans les autres îles. À la Guadeloupe, l’équilibre est souvent précaire. À la mort du capitaine Jean du Plessis en 1636, Charles Liénart de L’Olive, qui ne porte pas les Indiens dans son cœur, mène l’offensive malgré les conjurations des habitants et des missionnaires et les ordres de la compagnie invitant à la prudence et au respect des Indiens. Les combats sont coûteux en hommes. Les Indiens font des raids sur les carbets et les habitations et ruinent le début d’économie locale. Il n’y a plus d’approvisionnement dans l’île. Quand en 1638, L’Olive tombe malade, on craint une nouvelle attaque des Indiens. Poincy s’occupe alors d’organiser la défense de la Guadeloupe en 1640 en envoyant des hommes à la Case-du-Borgne sous le commandement de Saboulies tandis que La Vernade part à Basse-Terre. L’arrivée d’un nouveau lieutenant général à la Guadeloupe, Aubert, permet d’apaiser les tensions avec les Indiens24. À la Martinique, ils se montrent hostiles mais sont finalement repoussés dans la partie orientale de l’île. Le gouverneur Jacques Dyel du Parquet mène ensuite une politique prudente à leur égard25.
11Mais le moindre incident risque toujours de dégénérer en guerre ouverte. Les Indiens des îles de Saint-Vincent et de la Dominique se joignent alors à eux et participent à l’extension du conflit.
LA POLITIQUE DE DÉFENSE : LES FORTS ET LES NAVIRES
12Se protéger est une nécessité. La politique de défense de la compagnie repose sur deux éléments, les forts et les navires.
Les forts
13Les forts sont le premier élément défensif construit par les Français quand ils abordent une île. Ils servent de lieu d’observation, protègent les havres et tiennent à distance les navires ennemis. Les Français venus à Saint-Christophe dans les années 1620, avant d’Esnambuc et Roissey et la prise de possession officielle de l’île, avaient construit deux forts26. Cette démarche n’est pas proprement française. Elle suit la politique de fortification développée par les Espagnols27. Elle est adoptée par les Anglais de Saint-Christophe. Le traité franco-anglais de partage de l’île de 1627 stipule que les gouverneurs, aux noms de leurs monarques et compagnie, s’engagent à « fortifier et munir ladite île de Saint-Christophe de tout leur pouvoir, contre tous les efforts, les attaques et incursions de leurs ennemis publics et autres qui voudraient leur provoquer des ennuis et des obstacles dans ladite possession28 ». C’est de l’un de ces forts, que Roissey fait tirer trois coups de canon à balle sur une barque espagnole en 1629, détachée par don Fadrique de Tolède avec le pavillon blanc29.
14Quand Cahuzac prend l’île de Saint-Eustache en 1629, il fait bâtir un fort ; il sera utilisé par la suite par les Hollandais quand ils s’établiront à leur tour dans l’île30. Les deux capitaines L’Olive et du Plessis font construire deux forts à la Guadeloupe quand ils prennent l’île au nom du roi et de la compagnie en 1635. L’Olive fait bâtir un petit fort, qu’il nomme le fort Saint-Pierre, « parce qu’il avait pris possession de l’île, et arboré les armes de France la veille de sa fête ». Le père Pélican parle d’un fort « qui est bien clos » en 1635. Du Plessis établit son habitation et celles de ses gens à trois portées de mousquet de son compagnon31. D’Esnambuc fait promptement bâtir un fort à la Martinique sur le bord de la mer en 1635, « qu’il munit de canons et de tout ce qui était nécessaire pour bien le défendre ». Le fort est nommé le fort Saint-Pierre, « soit pour satisfaire à la dévotion particulière dont il honorait ce prince des apôtres, soit à cause pour avoir mis pied à terre et pris possession de l’île, le jour de l’octave des saints Apôtres, saint Pierre et saint Paul32 ». Du Pont qui a été chargé par d’Esnambuc de pourvoir à la défense de l’île, y rassemble tous ses soldats et fait charger trois pièces de canon de balles de mousquet, de clous, et de mitraille jusqu’à l’embouchure, pour disperser les Indiens qui se sont massés alentour et qui menacent l’établissement français33.
15Il y a de nombreux réaménagements par la suite. Le fort Saint-Pierre construit à la Basse-Terre à Saint-Christophe à l’initiative du lieutenant général de l’île, La Grange Fromenteau, pour la défense de la rade34 ne survivra pas à sa disgrâce. Le gouverneur Poincy le fait démolir et en fait construire un autre, qu’il fait nommer le fort de la Basse-Terre. Le chroniqueur dominicain Jean-Baptiste Dutertre souligne qu’il était en très mauvais état et mal situé. Poincy choisit un lieu plus avantageux pour défendre la rade ; « il fit dans la mer une plate forme sur laquelle il mit quatre pièces de canon pour défendre l’entrée aux vaisseaux ennemis », poursuit le dominicain. Il fait faire les mêmes travaux à la Pointe-de-Sable, et à Capesterre, puis il fortifie la Montagne pour la rendre la citadelle de l’île35. À peine nommé à la Martinique, du Parquet fortifie l’île. Il fait construire un nouveau fort au sud de l’île au Cul-de-Sac, le Fort-Royal36. Il en fait renouveler les palissades en 1639. De nombreuses habitations sont construites tout autour. Il dispose de 700 hommes pour assurer la défense de la Martinique37.
16Mais cette volonté de travaux se heurte au manque cruel d’ouvriers spécialisés (charpentiers et maçons) et de matériaux de construction. Les premiers ouvrages de défense sont de petits fortins en bois. D’ailleurs, durant la guerre contre les Indiens de la Guadeloupe en 1636, tous les Français se retirent pour se mettre à l’abri d’un petit fort de palissades, bâti exprès pour se mettre à couvert38. Poincy pense à des constructions plus importantes. Il cherche les moyens de faire de la chaux et de la brique. Il bénéficie des compétences de deux frères qui sont établis sur place, les le Gry, et des tailleurs de pierre, des maçons et des charpentiers qu’il a amenés de France39. Il semble qu’en matière de conception des forts, Poincy doive beaucoup à un compagnon de fortune de d’Esnambuc, Le Vasseur. Ce dernier l’accompagne dans sa visite des quartiers de l’île, et lui apprend non seulement les lieux où il doit bâtir des forteresses, mais encore la manière de les construire40.
17Le modèle de fort le plus abouti est certainement celui bâti par Le Vasseur sur l’île de la Tortue, au nord-ouest de Saint-Domingue. Nous en devons la description au dominicain Jean-Baptiste Dutertre :
« Il choisit le lieu le plus favorable de l’île pour placer son fort, à cinq ou six cent pas de la mer. C’était une roche en plate-forme, autour de laquelle il fit des terrasses régulières, capables de loger trois ou quatre cents hommes à leur aise ; du milieu de cette plate-forme s’élève une grande roche haute environ de trente pieds, escarpée de toutes parts. Il y fit faire quelques degrés dans la même roche, jusqu’à la moitié, il fallait monter le reste avec une échelle de fer, qu’on retirait sur la roche, lorsque M. Le Vasseur était couché. Il y avait un soupirail comme le tuyau d’une cheminée, par lequel l’on pouvait descendre avec une corde sur la terrasse. Du pied de cette roche coulait une source d’eau vive plus grosse que le bras, qui ne pouvait jamais être tarie ni arrêtée. Il fit bâtir sur cette roche un logement considérable pour sa personne et le magasin de ses poudres. Il y fit aussi monter du canon et mettre plusieurs autres pièces en batterie sur la plate-forme, qui défendaient l’entrée du havre, et n’omit rien de tout ce qu’un bon Ingénieur peut faire, pour rendre cette forteresse imprenable41. »
18Le Vasseur se vante en octobre 1642 auprès des associés de la compagnie de la qualité des fortifications de l’île42. Il entend par là même signifier qu’il est le seul maître des lieux et refuse l’autorité de la compagnie. Pourtant, en 1652, les Français envoyés par le gouverneur de Saint-Christophe s’en emparent avant que les Espagnols ne prennent à leur tour la place en 165443.
19Les forts disposent de plusieurs canons. On ne sait pas si les deux premiers forts de Saint-Christophe étaient armés en 1626. Des canons auraient pu être pris sur un navire. En 1636, la compagnie s’engage à fournir quatre canons de fer à la Guadeloupe, deux pour le fort de L’Olive et deux pour le fort de du Plessis44. Les défenses sont complétées par la suite. Le 4 février 1637, il est décidé l’achat d’un canon au Havre pour l’île de Saint-Christophe pour la somme de 1 500 livres de pétun. Herteley est chargé de la négociation au Havre. Il commande aussi un affût pour la pièce45. Le 16 juillet 1637, la compagnie promet d’envoyer à Saint-Christophe deux canons d’Angleterre46. Mais les deux pièces convoitées lui échappent. Elle mandate alors l’un des associés pour négocier à Calais l’achat de canons de 1247. On ne sait si la vente a eu lieu car il est question quelque temps plus tard d’acheter à Dieppe quatre pièces, deux pour Saint-Christophe et deux pour la Martinique48. Le 5 octobre 1639, la compagnie propose d’acheter six canons de 16 et de 18 qui sont à Calais49. Le lieutenant général de la Guadeloupe, Aubert, acquiert pour sa part avant de partir deux pierriers pour 66 livres. Le 2 juillet 1640, il en demande le règlement à la compagnie qui accepte d’honorer cette dépense peu dispendieuse50.
20Mais les forts ne sont pas toujours bien entretenus, faute d’attention ou de personnel qualifié. Du Parquet ne dispose pas de beaucoup de moyens à la Martinique. Tous les canons sont démontés car les affûts ne valent rien. Il n’y a qu’un charpentier en toute l’île. Il n’a pas de poudre pour tirer plus de « quatre coups51 » et doit se contenter, au moment des grandes tensions avec les Indiens en 1640, de doubler les gardes du fort et de renforcer la présence des Français dans les lieux habités les plus écartés52. La compagnie tente de répondre aux attentes des gouverneurs en envoyant des charpentiers et des maçons. Mais ils se font rares. Quand le nouveau gouverneur de la Guadeloupe, Charles Houël, descend au Fort-Royal le 5 septembre 1643, il ne peut que constater l’état déplorable dans lequel l’a laissé son prédécesseur : la maison n’est palissadée que de foin et les ouragans ont tellement ravagé les jardins, qu’il n’y a presque plus de vivres53.
Les obligations militaires des habitants
21La garde et l’entretien des forts sont des tâches très clairement définies dans les contrats et les commissions de la compagnie. Ils incombent aux habitants qui assurent la défense des îles au sein de compagnies constituées dans chaque quartier d’habitation sous la conduite d’un capitaine. Saint-Christophe compte ainsi huit compagnies en 1646. La première est celle de Poincy, dite compagnie colonelle. Les autres portent le nom de leurs capitaines54. Il y a quatre compagnies à la Guadeloupe55. Les officiers sont nommés par les gouverneurs, « ils pourvoient aux charges de milice », comme il est dit dans leurs contrats56. Par ailleurs, les habitants servent de main-d’œuvre pour les constructions défensives. Mais l’impératif est toujours de ne pas trop dégarnir les forts. Ainsi, la compagnie précise à du Parquet qu’il ne doit pas faire travailler aux magasins plus du quart de ceux qui seront employés pour la garde des forts, et uniquement « lorsqu’il jugera qu’ils le pourront faire sans crainte de surprise des forts57 ». Mais tous les habitants ne sont pas contraints à la garde des forts. Les gens qui sont au service des officiers en sont par exemple déchargés.
22Les habitants supportent mal cette obligation de service en raison des abus des capitaines qui détournent la garde à leur profit pour satisfaire des affaires particulières. En 1638, la compagnie doit intervenir auprès des officiers de Saint-Christophe pour leur rappeler les règles qui prévalent et éviter les abus58. Ils compromettent, selon elle, par leur attitude la sécurité des îles. Il est manifeste par ailleurs que les habitants préfèrent se consacrer à leurs activités plutôt que d’assurer la défense des possessions françaises, tâche pour laquelle ils sont en définitive peu préparés.
23Le gouverneur de Saint-Christophe, d’Esnambuc, entend pour cela, en 1636, faire payer aux habitants leur obligation de garde du fort ; il escompte certainement que le service soit plus efficace et que cela permette aux habitants de mettre en valeur l’île. La compagnie trouve la solution louable mais s’inquiète de l’avis des habitants et demande à d’Esnambuc de lui adresser « leur consentement ». Elle promet qu’elle enverra alors des soldats pour accomplir cette charge. Les devoirs des soldats sont fixés à l’avance. Ils devront assurer la garde des forts et le jour où ils ne seront pas de garde, ils participeront à la construction des fortifications. Des terres seront cultivées autour des forts afin d’assurer le ravitaillement des garnisons59. La compagnie pense de la même façon que les habitants ainsi dégagés des obligations militaires, pourront se consacrer à la production. En juillet 1637, la compagnie décharge les habitants de la garde du fort s’ils consentent à payer une garnison60. En 1645, la compagnie autorise le gouverneur Houel à décharger de la garde les habitants de la Guadeloupe payant les 200 livres de pétun à la compagnie et de faire une garnison de trente hommes, dans la mesure où la dépense n’excède pas 25 000 livres de pétun au plus par an. À la Martinique, chaque homme donne 50 livres de pétun pour être déchargé du service du fort61.
Les bateaux
24Les bateaux constituent le deuxième élément de la défense des îles. La commission donnée à d’Esnambuc et Roissey en 1626 établit qu’ils doivent « tenir en état de défense un nombre de vaisseaux, de navires et de pataches, les armer et les équiper d’hommes, de canons, de vivres et de munitions requises et nécessaires » pour protéger le trafic vers les îles. « Ils pourront faire la guerre » et « combattre, poursuivre, aborder et attaquer, vaincre, saisir et prendre par toute voie d’armes et d’hostilité62 ».
25La compagnie s’est constitué une flotte de trois navires en 1626 pour ravitailler les îles et trafiquer qui peuvent aussi servir à la défense de Saint-Christophe. La Victoire est un vaisseau de 250 tonneaux, d’une valeur de 8 000 livres. Le deuxième navire vient de Richelieu. Il s’agit d’une partie de sa participation au capital de la compagnie63. Philippe Barrey, en s’appuyant sur la documentation du tabellionnage du Havre, soutient qu’il s’agit d’une patache de 100 à 120 tonneaux nommée La Catholique, armée de dix canons et de huit pierriers. Jacques Petitjean Roget estime pour sa part qu’il s’agit de La Cardinale, un navire de 90 tonneaux. L’identification du troisième navire est tout aussi problématique. Philippe Barrey parle d’une patache de 60 tonneaux appelée La Cardinale. Jacques Petitjean Roget pense qu’il s’agit de La Catholique de 120 tonneaux citée plus haut64. La difficulté réside dans le fait que d’une part de nombreux bateaux portent le même nom et d’autre part, que la flottille de la compagnie n’est pas stable et se renouvelle. La Victoire, jugée trop vieille, est coulée dans le canal de La Rochelle durant le siège de la ville. En 1628, les associés acquièrent un nouveau bateau, un flibot de 90 tonneaux, Les Trois Roys, pour la somme de 3 500 livres. Ils possèdent encore un autre flibot, Le Beaurepaire, de 60 tonneaux qui est utilisé pour ravitailler l’armée royale à La Rochelle65.
26Les navires font de nombreux allers-retours entre les îles et la France. Ils servent de navires de liaisons pour informer le pouvoir et la compagnie. À l’automne 1627, Roissey part ainsi de Saint-Christophe avec La Cardinale et La Victoire pour chercher du secours en France66. Ces navires participent à la défense des îles en servant de navire d’appui à la flotte royale comme en 1629 ou plus généralement au transport des armes.
27Mais en 1635, la compagnie n’a plus de flotte. Cependant, sur place, aux îles, les gouverneurs peuvent compter sur l’appui des capitaines de navires venus trafiquer pour transporter des hommes d’île en île et assurer des reconnaissances. Ils disposent aussi de barques pour aller combattre les Indiens caraïbes. Ainsi en 1636, L’Olive court sus aux Indiens de la Guadeloupe sur une « chaloupe biscayenne » avec le sieur de la Fontaine67. En 1639, le gouverneur du Parquet est d’ailleurs assailli par les Indiens au large de la Dominique alors qu’il est à bord d’une barque68. En 1640, Saboulies se rend à la Guadeloupe à bord d’une chaloupe de seize hommes à rame et à voile69.
28La Guadeloupe n’est pas oubliée. Aubert apporte aux îles en septembre 1640 une double barque en fagot qu’il a fait faire à Dieppe pour 400 livres70. Elle est aussitôt montée. Le dominicain Nicolas de La Mare la bénit. Mais, lors d’une sortie, au mois de février 1641, la barque trop chargée de marchandises, se renverse. Treize hommes périssent dans le naufrage dont Tesson, le commis de la compagnie, et Grandville, un lieutenant. Aubert en réchappe71. Les associés, en apprenant la nouvelle, s’engagent à faire faire une nouvelle barque à Dieppe et à l’envoyer à la Guadeloupe par le premier navire72. Cette barque ne semble pas avoir été gardée par Aubert car la compagnie lui demande de s’expliquer sur sa vente quelque temps plus tard73. Certains Français ont probablement adopté la pirogue caraïbe pour circuler entre les îles.
LA QUESTION DES ARMES ET DES MUNITIONS
29Les îles dépendent entièrement des approvisionnements venant de la métropole. Il en va des armes comme du reste.
Les envois d’armes
30La compagnie organise l’envoi vers les îles d’armes (blanches et à feu), de munitions (balles, poudre, mèches et boulets) et de matériaux pour pouvoir fabriquer ces dernières (fer, plomb). On ne connaît bien souvent que dans les grandes lignes la teneur de ces livraisons. En revanche, la délibération du 5 mai 1640 est plus précise et donne le détail des armes et des munitions achetées (voir le tableau ci-contre).
A. Les armes achetées par la Compagnie le 5 mai 1640
Objets, matières | Prix |
En mousquets et bandoulières | VIII cents livres |
En piques | CL livres |
En hallebardes | C livres |
En harquebuzin à fusil | C livres |
En poudre, savoir la moitié en mousquet, un quart à canon et un quart de fine | XIIII cents livres |
En balles à mousquet | LXXV livres |
En menuise | XL livres |
En plomb en saumon | C livres |
En mèche | IIII xx livres |
En charbon de terre | LX livres |
En barre de fer | L livres |
En acier | XX livres |
En clou | C livres |
En moules de balles à mousquet | X livres |
Le tout revenant à | III milles xx V livres en argent74 |
31Les gouverneurs et les commis de la compagnie adressent régulièrement à Paris des demandes d’armes dans les années 1630. Du Parquet désire de la poudre le 17 août 163975. En 1640, Poincy prie les associés de la Compagnie de lui envoyer par le premier vaisseau 5 000 livres de poudre fine et 5 000 livres de poudre à mousquet, 1 000 mousquets de campagne avec des bandoulières, 1 000 piques et 200 hallebardes76. En général, la compagnie répond favorablement aux demandes. Mais elle se réserve le droit de juger de l’importance de la demande et de sa nécessité. Le 7 mai 1636, elle s’engage à envoyer de nouvelles armes à d’Esnambuc s’il le désire mais elle souligne qu’elle a déjà envoyé de nombreuses armes et munitions à Saint-Christophe en 163577. Les envois d’armes peuvent être décidés quand des menaces nouvelles se précisent. Ainsi, après la saisie du navire affrété par la compagnie par les Dunkerquois qui fait craindre à une attaque des Espagnols sur Saint-Christophe, la compagnie arrête-t-elle, le 25 août 1635, l’envoi de 100 mousquets avec les bandoulières, 200 piques, 24 hallebardes, 600 mèches, 1 000 livres de poudre, 1 000 livres de plomb et de quelques moules à balles78. Quelque temps plus tard, la compagnie envoie à la Guadeloupe 2 canons de fer, 30 mousquets, 30 cuirasses et 1 000 livres de poudre pour le fort de L’Olive79.
32Les armes font en général l’objet d’un affrètement particulier de la part de la compagnie. L’un des premiers transports d’armes que nous connaissions est effectué en 1627 par le Saint-Pierre, un navire de 120 tonneaux commandé par Girard Vollard, à destination de Saint-Christophe. Il porte des hommes, des marchandises et des armes80. Mais, les armes peuvent venir aux îles par d’autres circuits. En effet, chaque navire qui obtient un congé de la compagnie pour trafiquer aux îles doit passer pour elle des armes. Le capitaine Labbé doit ainsi, en 1639, emporter huit mousquets et autant de bandoulières pour les remettre au commis de la Martinique, ou à celui de Saint-Christophe81.
33Nous sommes assez bien renseignés sur les envois spéciaux d’armes durant les années 1630 grâce aux délibérations de la compagnie. Il apparaît ainsi que chaque année, plusieurs transports sont organisés par les associés pour alimenter les dépôts de Saint-Christophe, de la Guadeloupe et de la Martinique. Les envois sont particulièrement nombreux en 1637. Le 4 mars 1637, il est arrêté d’envoyer 800 livres de poudre et 50 mousquets à Saint-Christophe sur le navire du capitaine Grenier. Le premier juillet 1637, la compagnie envoie 4 000 livres de poudre pour Saint-Christophe et la Martinique. Le 16 juillet 1637, elle ajoute deux canons d’Angleterre, du charbon et des balles82. En 1638, La compagnie décide d’envoyer la poudre, les mousquets, les piques et les hallebardes que le sieur de La Grange lui réclame pour Saint-Christophe83. En 1639, elle destine à cette île 1 000 livres de poudre, 500 de mèche, 100 mousquets et bandoulières, 100 piques, 500 de plomb, 6 moules à balles, 30 hallebardes, mille livres de fer, 200 livres d’acier et 2 tonneaux du charbon84. Le 19 février 1640, la compagnie décide d’envoyer à Saint-Christophe 800 livres de poudre à mousquet, 100 mousquets, 400 piques, 50 hallebardes, 1 000 livres de fer, 200 livres d’acier et 2 muids de charbon de terre « pour subvenir aux plus pressantes nécessités de ladite île, en attendant que la compagnie envoie d’autres munitions par les autres vaisseaux85 ». Les informations sur les armes sont moins nombreuses ensuite dans les délibérations, les envois se limitent à un par an car les directeurs considèrent avoir fait un effort important en la matière et que leur nombre est désormais suffisant. Le 13 septembre 1641, la compagnie expédie tout de même « pour tenir lesdites îles en défense contre tous ennemis » pour 4 000 livres d’armes (poudres, plomb et autres munitions de guerre) « pour être mise dans les magasins publics et être distribuées par les commis généraux suivant les ordres des gouverneurs86 ». En 1643, elle envoie de la poudre à la Guadeloupe87. Il apparaît cependant, et les gouverneurs en font amèrement la remarque, que Saint-Christophe est souvent privilégiée ; « il n’est pas encore arrivé un navire pour porter des mousquets, ils vont tous à Saint-Christophe », écrit du Parquet aux associés le 17 août 163988.
34Le coût des opérations n’est pas toujours évoqué mais il se monte en général à plusieurs milliers de livres. Il représente une bonne partie du fonds de la compagnie. Bien souvent, les associés en sont réduits à vendre le pétun qui est dans leurs entrepôts en France ou à contracter tout spécialement un emprunt. L’envoi décidé le 25 août 1635 doit avoisiner les 4 000 livres et la compagnie qui n’a pas de fonds se décide à emprunter cette somme pour satisfaire à ses obligations89. Par ailleurs, en 1639, elle charge deux associés, Jean Rozée et Pierre Chanut, d’emprunter 3 000 livres pour couvrir les frais d’achat d’armes90.
35La mise en œuvre des décisions est parfois longue. Le 5 janvier 1639, la compagnie décide l’expédition d’armes à la Martinique mais le 1er juillet 1639, une bonne partie d’entre elles n’a toujours pas quitté la France91. Il arrive aussi que des bateaux soient perdus, et avec eux leur cargaison. Le navire de Merlin est saisi en 1640 par les Dunkerquois alors qu’il fait route avec des munitions pour Saint-Christophe. La compagnie doit se résoudre à dépêcher aussitôt dans les vaisseaux qui s’apprêtent à Dieppe de la poudre et des mousquets92.
36La compagnie, inquiète de l’arrivée des armes et de leur conservation demande régulièrement des inventaires à ses commis qui en sont les gardiens et dépositaires. Le 7 juillet 1638, elle écrit à Volery pour savoir si les armes qui ont été envoyées par le bateau du capitaine Felles sont arrivées93. Les armes et les munitions sont stockées dans des entrepôts particuliers. Il existe un magasin à Saint-Christophe. Le 4 février 1638, la compagnie nomme pour trois années Renard garde-magasin aux gages de 1 000 livres de pétun et 3 hommes exempts94. En 1639, du Parquet ne peut cependant procéder à la construction d’un entrepôt pour les armes à la Martinique car il ne dispose pas d’ouvrier pour le faire. Par ailleurs, dit-il, il n’a rien à y mettre. Il attend toujours les armes promises95.
37Les armes qui sont envoyées par la compagnie ne sont pas toutes destinées au service de la garnison. Une part doit être vendue sur place. Les 400 mousquets, 4 000 livres de poudre, 2 000 livres de mèches, 2 000 livres de plomb en balles, 1 000 livres en saumon, 48 moules à balles, et 240 d’épées envoyés le 16 juillet 1637 par la compagnie sont pour les habitants de Saint-Christophe et de la Martinique. De nouvelles armes partent à leur intention en 163996.
La fabrication des munitions
38La monarchie a concédé en 1635 aux associés le droit de fabriquer aux îles des armes et surtout des munitions. Mais on manque de matériau. D’où les nombreux envois de plomb, de fer et de moules à balles. Certains navires ne transportent d’ailleurs que cela. Le 7 octobre 1637, la compagnie expédie du charbon à Saint-Christophe, la Martinique et la Guadeloupe, du fer à Saint-Christophe et à la Martinique, et du plomb et des moules à balles à Saint-Christophe97. En 1646, La compagnie arrête l’envoi de 200 livres de poudre à mousquet et un saumon de plomb de 300 livres pour faire des balles98.
39Cependant, la compagnie peine à convaincre des artisans spécialisés dans les armes à partir exercer aux îles. Elle trouve en 1636 un arquebusier parisien prêt à aller à Saint-Christophe avec deux de ses compagnons. La compagnie leur propose de les faire passer à ses frais et de les soutenir les six premiers mois de leur séjour dans l’île. Ils recevront 3 000 livres de pétun par an. Elle leur promet aussi des terres pour faire des vivres, à la condition de ne pas faire du pétun99. Le chirurgien de l’île, Girault, doit les prendre en charge à leur arrivée dans l’île100. Des outils sont aussi achetés par la compagnie et envoyés au sieur Boitière pour qu’il les remette aux armuriers101. En 1637, la compagnie s’engage à recruter deux charpentiers de barque et des armuriers102. Un poudrier doit être envoyé à Saint-Christophe pour raccommoder les poudres en 1639103.
40La compagnie pour s’attacher les services des hommes compétents leur donne des privilèges, essentiellement des exemptions. Elle accorde ainsi exemption de garde et de corvées à Robert Rivière, maître armurier en considération de son métier104. En 1638, elle demande au maître canonnier Deshayes de retourner à la Guadeloupe « et d’y servir avec affection » et l’autorise à passer deux hommes sans frais105.
CONCLUSION
41Ainsi, depuis sa formation en 1626 jusqu’à sa cessation progressive d’activité à partir de 1648, la Compagnie des îles a mobilisé de nombreux moyens pour assurer la défense des établissements antillais. Elle a envoyé régulièrement des armes et des munitions, et appuyé la construction de forts. Elle a ainsi conforté la présence française aux Antilles. Il est vrai qu’elle a eu à faire face à peu d’offensives de la part des puissances européennes après 1629. L’Espagne toute entière tournée vers le théâtre européen intervient peu. Anglais et Hollandais sont pour l’heure des alliés. La seule menace sérieuse demeure les Indiens. Ils attaquent régulièrement les positions des Français depuis Saint-Vincent et la Dominique tout au long de la période. Les colons doivent faire face à des raids de représailles sur les carbets bien souvent à la suite d’actes hostiles de quelques Français qui déclenchent l’ire des Indiens, au risque d’embraser l’archipel tout entier. Les Indiens connaissent bien le terrain, ils sont mobiles sur leurs pirogues et leurs tirs de flèches sont redoutables, mais ils ne peuvent rivaliser avec les armes à feu. Ils demeurent peu nombreux tandis que les colons affluent. Les gouverneurs réussissent à les contenir en menant parallèlement à la guerre, la négociation. La politique ferme mais prudente voulue par Paris et menée sur place par les gouverneurs, faite d’alliances et de pressions, permet aux Français de garder le contrôle des îles. La compagnie les maintient ainsi sous la domination française.
Notes de bas de page
1 Commission de monsieur le cardinal de Richelieu aux sieurs d’Enambuc et du Rossey, Paris, le 31 octobre 1626, dans Dutertre J.-B., Histoire générale des Antilles habitées par les Francois [1667-1670], Paris, Éditions E. Kolodziej, 1978, t. 1, p. 36-38.
2 Contrat pour l’établissement des Français à l’île Saint-Christophe, Paris, le 31 octobre 1626, publié dans Margry P., Belain d’Esnambuc et les Normands aux Antilles, d’après des documents nouvellement retrouvés, Paris, Achille Faure, 1863, p. 99.
3 Archives nationales d’outre-mer (désormais ANOM), Aix-en-Provence, F2A 13, Contrat du rétablissement de la Compagnie des îles de l’Amérique, Paris, le 12 février 1635, p. 1-6.
4 ANOM, F2A 13, Contrat du rétablissement de la Compagnie des îles de l’Amérique, Paris, le 12 février 1635, p. 4.
5 ANOM, F2A 13, Acte de délibération de la compagnie (désormais Acte), le 6 janvier 1638, p. 318 ; ANOM, F2A 13, Commission au sieur Auger, Paris, le 6 janvier 1638, p. 124-125.
6 Acte, le 25 août 1635, p. 251.
7 Articles faits entre les Français et les Anglais de l’île de Saint-Christophe, Saint-Christophe, le 13 mai 1627, dans Dutertre J.-B., op. cit., p. 42-43 ; Partage des terres de l’île de Saint-Christophe, fait entre les sieurs d’Enambuc et du Rossey et Warner, Saint-Christophe le 13 mai 1627, dans Dutertre J.-B., op. cit., p. 40-42. Une disposition du traité (article 8) stipulait en 1627 que si une guerre se déclarait en Europe, les gouverneurs ne se lanceraient dans les hostilités qu’à la demande expresse de leur monarque.
8 Dutertre J.-B., op. cit., p. 47.
9 « Les Anglais n’ont pas seulement le dessein de nous chasser de cette île de Saint-Christophe mais de Canada, où l’on dit qu’ils ont effectué », Lettre de Richelieu à Châteauneuf, le 17 octobre 1629, dans Richelieu, Lettres, instructions diplomatiques et papiers d’État du cardinal de Richelieu, Éd. de D.L.M. Avenel, Paris, Imprimerie impériale, 1858, t. 3, p. 451.
10 Petitjean-Roget J., « Saint-Christophe, première des isles françaises d’Amérique », Annales des Antilles, 1982, p. 28.
11 Dutertre J.-B., op. cit., p. 48-50.
12 Ibid., p. 54-56 ; Sir W. Killigrew to Sec. Dorchester, Pendennis Castle, le 5 novembre 1629, dans Calendar of State papers, Colonial Series : American and West Indies, Éd. de W. Noël Sainsbury, Londres, Longman, Green, Longman and Roberts (désormais CSP), t. 1, 1860, p. 102.
13 ANOM, F2A 13, Contrat entre la compagnie et le cardinal, Paris, le 29 janvier 1642, p. 42.
14 Langford Oliver V., The History of the Island of Antigua one of the Leeward Caribbees in the West Indies, from the first settlement in 1635 to the present time, Londres, Mitchell and Hughes, 1894, t. 1, p. X ; Barrey P., Les origines de la colonisation française aux Antilles, Le Havre, H. Micaux, 1918, p. 144 ; Dutertre J.-B., op. cit., p. 154 ; Acte, le 1er juin 1639, p. 358.
15 Moreau J.-P., Les Petites Antilles de Christophe Colomb à Richelieu, Paris, Karthala, 1992, p. 204-205. Ils ne reprennent que temporairement la Tortue (Minute of the Court for Association Island, Brooke House, le 19 mars 1635, dans CSP, t. 1, p. 200).
16 Acte, le 25 août 1635, p. 251-252.
17 Acte, le 5 septembre 1635, p. 254.
18 Acte, le 5 mars 1636, p. 259.
19 Bibliothèque nationale de France (désormais BNF), Paris, ms. fr. 15466, Coppie d’une lettre du R.P. Pierre Pélican de l’ordre des Frères prescheurs, docteur en théologie de la Faculté de Paris et supérieur de la Mission des Indes occidentales, envoyée au R.P. Jean-Baptiste Carré, Prieur du Noviciat Général du mesme Ordre des Frères Prescheurs sis à Faubourg Sainct-Germain lès Prés, le 18 août 1635, fo 86vo.
20 Breton R., Relation française, dans Breton R., Relations de l’île de la Guadeloupe. Basse-Terre, Société d’Histoire de la Guadeloupe, 1978, p. 124. On relève leur présence en 1646 à la Dominique (Breton R., Relatio B, dans Breton R., Relations de l’île de la Guadeloupe, op. cit., p. 142).
21 Lettre de Poincy à Fouquet, Saint-Christophe, le 17 août 1639, dans Dutertre J.-B., op. cit., p. 128.
22 Dutertre J.-B., op. cit., p. 168.
23 Ibid., p. 30-32.
24 Breton R., Relation française, p. 90-91, 102, 110 et 116 ; Dutertre J.-B., op. cit., p. 200-201.
25 Lettre de du Parquet aux associés, le 25 juin 1636, dans Dutertre J.-B., op. cit., p. 130-131 ; Lettre de du Parquet à Fouquet, le 17 août 1639, dans Dutertre J.-B., op. cit., p. 128.
26 « d’Esnambuc et du Roissy et ceux qui les ont assistés jusques à présent ont ès dites îles deux forts ès quels y a quatre vingt hommes et des munitions », Contrat pour l’établissement des Français à l’île Saint-Christophe, le 31 octobre 1626, publié dans Margry P., Belain d’Esnambuc, op. cit., p. 101.
27 Sur la politique de fortification espagnole, voir Calderon Quijano J. A., Las Fortificaciones Españolas en América y Filipinas, Madrid, Mapfre, 1996.
28 Partage des terres de l’île de Saint-Christophe, fait entre les sieurs d’Enambuc et du Rossey, et le sieur Waërnard, Saint-Christophe, le 13 mai 1627, dans Dutertre J.-B., op. cit., p. 40-41.
29 Dutertre J.-B., op. cit., p. 51.
30 Ibid., p. 49.
31 BNF, ms. fr. 15466, Coppie d’une lettre du R.P. Pierre Pélican […] envoyée au R.P. Jean-Baptiste Carré…, le 18 août 1635, fo 86vo ; Dutertre J.-B., op. cit., p. 97.
32 Dutertre J.-B., op. cit., p. 117.
33 Ibid., p. 120-121.
34 Ibid., p. 143.
35 Ibid., p. 168.
36 Verrand L., « Fortifications militaires de Martinique, 1635-1845 », Journal of Caribbean Archaeology, Special Publication, 1, 2004, p. 156.
37 Lettre de Poincy à Fouquet, le 16 août 1639, dans Dutertre J.-B., op. cit., p. 125.
38 Dutertre J.-B., op. cit., p. 147.
39 Ibid., p. 168.
40 Ibid., p. 180-181. « Poincy fit tant d’estime de sa personne, qu’il semblait ne prendre conseil que de lui », écrit Dutertre.
41 Dutertre J.-B., op. cit., p. 181-182.
42 Acte, le 10 mai 1643, p. 453.
43 Dutertre J.-B., op. cit., p. 189 sqq.
44 Acte, le 5 juin 1636, p. 249.
45 Acte, le 4 février 1637, p. 289.
46 Acte, le 16 juillet 1637, p. 299.
47 Acte, le 5 août 1637, p. 302.
48 Acte, le 7 octobre 1637, p. 309-310.
49 Acte, le 5 octobre 1639, p. 374-375.
50 Acte, le 22 décembre 1641, p. 436-437.
51 Lettre de Poincy à Fouquet, le 16 août 1639, dans Dutertre J.-B., op. cit., p. 125.
52 Dutertre J.-B., op. cit., p. 133.
53 Ibid., p. 229.
54 Maurile de Saint-Michel, Voyages des isles camercanes en l’Amérique qui font partie des Indes Occidentales, et une relation diversifiée de plusieurs pensées pieuses et d’agréables remarques tant de toute l’Amérique que des autres pays, avec l’établissement des RR. PP. carmes réformez de la province de Touraine esdites isles et un discours de leur ordre, Le Mans, H. Olivier, 1652, p. 75.
55 Dutertre J.-B., op. cit., p. 309.
56 ANOM, F2A 13, Traité de l’isle de la Grenade, Paris, Paris, le 10 juillet 1645, p. 65.
57 Acte, le 5 janvier 1639, p. 351.
58 Acte, le 7 juillet 1638, p. 331.
59 Acte, le 7 juin 1636, p. 261.
60 Acte, le 16 juillet 1637, p. 300.
61 Acte, le 3 mars 1645, p. 482 ; Dessalles P.R., Annales du Conseil Souverain de la Martinique [1786], Paris, L’Harmattan, 1995, t. 1-1, p. 4.
62 Commission de monsieur le cardinal de Richelieu aux sieurs d’Enambuc du Rossey, Paris, le 31 octobre 1626, dans Dutertre J.-B., op. cit., p. 37.
63 Actes d’association des seigneurs de la Compagnie des îles de l’Amérique, Paris, le 31 octobre 1626, dans Dutertre J.-B., op. cit., p. 34-35.
64 Barrey P., Les origines de la colonisation française aux Antilles, op. cit., p. 133 ; Petitjean Roget J., « Saint-Christophe, première des Isles françaises d’Amérique », art. cité, p. 15.
65 Barrey P., Les Origines de la colonisation française aux Antilles, op. cit., p. 147-148.
66 Dutertre pour sa part ne parle que d’un navire, La Cardinale (Dutertre J.-B., op. cit., p. 45).
67 Ibid., p. 103.
68 Lettre de Chirard à Fouquet, le 8 novembre 1639, dans Dutertre J.-B., op. cit., p. 131.
69 Dutertre J.-B., op. cit., p. 161.
70 Ibid., p. 202.
71 Ibid., p. 203 ; Breton R., Relation française, op. cit., p. 115-116 ; Dupuis M., Relation de l’établissement d’une colonie dans la Guadeloupe, isle de l’Amérique, et des mœurs des Sauvages, Caen, Marin Yvon, 1652, p. 50.
72 Acte, le 6 juin 1641, p. 412.
73 Acte, le 26 juin 1642, p. 431.
74 Acte, le 5 mai 1640, p. 395.
75 Lettre de du Parquet à Fouquet, Saint-Christophe, le 17 août 1639, dans Dutertre J.-B., op. cit., p. 128.
76 Dutertre J.-B., op. cit., p. 167-168.
77 Acte, le 7 mai 1636, p. 263.
78 Acte, le 25 août 1635, p. 252. L’envoi est approuvé lors de l’assemblée générale (Acte, le 5 décembre 1635, p. 255).
79 Acte, le 5 mars 1636, p. 259.
80 Acte d’affrètement, le 20 mai 1627, dans Anthiaume A., Cartes marines, constructions navales, voyages de découverte chez les Normands, 1500-1650, Paris, Ernest Dumont, 1916, t. 2, p. 539.
81 Acte, le 2 mars 1639, p. 352-353.
82 Acte, le 4 mars 1637, p. 290 ; Acte, le 1er juillet 1637, p. 297 ; Acte, le 16 juillet 1637, p. 299.
83 Acte, le 6 octobre 1638, p. 340.
84 Acte, le 7 septembre 1639, p. 367.
85 Acte, le 19 février 1640, p. 375-376.
86 Acte, le 13 septembre 1641, p. 419.
87 Acte, le 4 mars 1643, p. 446.
88 Lettre de du Parquet à Fouquet, Saint-Christophe, le 17 août 1639, dans Dutertre J.-B., op. cit., p. 128.
89 Acte, le 25 août 1635, p. 252.
90 Acte, le 7 septembre 1639, p. 367.
91 Acte, le 5 janvier 1639, p. 351 ; Acte, le 1er juillet 1639, p. 357.
92 Acte, le 14 mai 1640, p. 400.
93 Acte, le 7 juillet 1638, p. 333.
94 Acte, le 4 février 1638, p. 322.
95 Lettre de du Parquet à Fouquet, Saint-Christophe, le 17 août 1639, dans Dutertre J.-B., op. cit., p. 128.
96 Acte, le 16 juillet 1637, p. 300 ; Acte, le 1er juin 1639, p. 357.
97 Acte, le 7 octobre 1637, p. 309-310.
98 Acte, le 2 mars 1646, p. 501.
99 Acte, le 2 juillet 1636, p. 274.
100 Acte, le 2 juillet 1636, p. 274-275.
101 Acte, le 6 août 1636, p. 276.
102 Acte, le 7 octobre 1637, p. 309.
103 Acte, le 3 août 1639, p. 362.
104 Acte, le 3 juin 1644, p. 472.
105 Acte, le 2 juin 1638, p. 329.
Auteur
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
S’adapter à la mer
L’homme, la mer et le littoral du Moyen Âge à nos jours
Frédérique Laget et Alexis Vrignon (dir.)
2014
Figures et expressions du pouvoir dans l'Antiquité
Hommage à Jean-René Jannot
Thierry Piel (dir.)
2009
Relations internationales et stratégie
De la guerre froide à la guerre contre le terrorisme
Frédéric Bozo (dir.)
2005
La France face aux crises et aux conflits des périphéries européennes et atlantiques du xviie au xxe siècle
Éric Schnakenbourg et Frédéric Dessberg (dir.)
2010
La migration européenne aux Amériques
Pour un dialogue entre histoire et littérature
Didier Poton, Micéala Symington et Laurent Vidal (dir.)
2012
Mouvements paysans face à la politique agricole commune et à la mondialisation (1957-2011)
Laurent Jalabert et Christophe Patillon (dir.)
2013
Sécurité européenne : frontières, glacis et zones d'influence
De l'Europe des alliances à l'Europe des blocs (fin xixe siècle-milieu xxe siècle)
Frédéric Dessberg et Frédéric Thébault (dir.)
2007
Du Brésil à l'Atlantique
Essais pour une histoire des échanges culturels internationaux. Mélanges offerts à Guy Martinière
Laurent Vidal et Didier Poton (dir.)
2014
Économie et société dans la France de l'Ouest Atlantique
Du Moyen Âge aux Temps modernes
Guy Saupin et Jean-Luc Sarrazin (dir.)
2004