Conclusion
p. 165-172
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Index géographique : France
Texte intégral
1Au sortir de la guerre de Cent Ans, et particulièrement après la fin de la décennie 1450, le dynamisme économique issu de la reconstruction agraire entraîne l’artisanat dans un essor sans précédent. Il favorise de profondes transformations du secteur, en particulier une professionnalisation et une mise à mal des structures communautaires. Ces mutations sont lentes, mais leur impact est perceptible dès la fin du xve siècle et tout au long du xvie siècle. L’autre conséquence importante est l’attrait grandissant du secteur sur les élites et la noblesse. Certaines avancées techniques, associées à l’essor de la production, entraînent une importante hausse de la consommation en combustible et de nombreuses oppositions. En parallèle, à partir du premier quart du xvie siècle, ces mêmes acteurs, propriétaires de matières premières, et principalement de bois, durcissent leur position afin de participer aux bénéfices et entrent fréquemment en conflit ouvert avec les artisans. Cette opposition est aisément perceptible jusqu’au xviie siècle.
2Toutefois, au-delà de ce rapide récapitulatif chronologique, d’épineuses questions étaient posées, demandant des définitions claires. Un problème majeur est soulevé par la notion d’artisanat. Comment l’utiliser quand son sens est intimement lié à l’essor d’une industrie rayonnante, principalement au xixe siècle ? Autour de l’artisanat gravite la nostalgie d’un travail bien fait, d’un savoir-faire transmis sur la durée, de la précision des gestes et d’une certaine modestie de l’entreprise à taille humaine. L’emprunt de ce terme est dangereux ; la définition contemporaine pourrait être calquée sur une autre réalité, celle de la fin du Moyen Âge. Aussi, l’une des tâches fondamentales de ce travail est de progresser sur le chemin d’une redéfinition des catégories des hommes de métiers dans le monde rural. L’usage du terme d’artisan peut être conservé par commodité, mais il doit en partie être vidé de son contenu pour faire place à une nouvelle approche.
3Plus largement, il convient de garder une distance avec toutes les terminologies modernes, souvent trop rigides. En effet, d’une part les métiers recouvrent dans les campagnes médiévales une polyvalence importante, parfois plus marquée que dans les villes, où la spécialisation est plus poussée grâce à l’importance du marché. D’autre part, l’artisan des campagnes n’est que rarement un simple artisan : le plus souvent, il s’avère aussi être un paysan. Les termes trop rigides de paysan ou d’artisan sont anachroniques ; il est plus correct de parler de paysan-artisan ou d’artisan-paysan. À ce sujet, le cas du tuilier Jean Bigot, dit Belet, du Chilleau, est instructif : sur une année, il paye vingt fois plus en cens pour des terres à cultiver qu’en redevances pour l’accès à l’argile. L’importance des domaines à mettre en culture ne l’empêche nullement de poursuivre sa production de tuiles. Il convient donc d’associer au concept d’artisan rural l’idée d’un travailleur à l’assiduité variable. Les activités agricoles et artisanales se cumulent, se complètent et recouvrent, chacune, un caractère ponctuel plus ou moins affirmé. Mais pour l’époque médiévale et probablement pour une bonne partie de l’époque moderne, il est impossible de calculer la part de chacune d’entre elles dans le budget des familles.
4À la fin du Moyen Âge, la capacité d’adaptation des artisans à la conjoncture ne cesse d’étonner. Cette souplesse permet aux artisans d’abandonner leur art mécanique, de manière ponctuelle, pour une année, malgré la nécessité d’amortir leur outillage. L’apport de l’acquittement des redevances est, à ce titre, inestimable : en 1473, au Chilleau, Mathurin Bigot, Étienne Bigot et Loret Bigot, trois des sept tuiliers susceptibles de produire, cessent toute activité artisanale de leur propre gré, à cause d’une « mortalité ». Celle-ci ne les affecte pas directement puisqu’Étienne et Loret reprennent leur production en 1474. Les quatre autres poursuivent leur activité comme si de rien n’était.
5Cet exemple laisse transparaître une hiérarchie. L’élite est constituée de ceux qui possèdent les plus grands domaines à cultiver ou les plus importants troupeaux. Ce sont aussi ceux qui, le plus assidûment, s’adonnent à leur activité artisanale et cuisent le plus grand nombre de fournées. Si, pour les plus démunis, l’artisanat est un complément de revenus indispensable à la survie du foyer, pour les autres, il s’apparente à une activité lucrative à vocation commerciale. Le contexte économique favorable de la seconde moitié du xve siècle joue un rôle considérable dans cette situation. L’importance croissante de cette élite n’est pas sans rappeler l’émergence d’une autre élite, paysanne celle-ci, les métayers poitevins, qui deviennent les interlocuteurs privilégiés des seigneurs. Mais ces aspects dynamiques ne doivent pas nous faire oublier que la majorité des artisans fait partie des plus démunis.
6La définition médiévale de l’artisan recouvre donc un large panel socioéconomique, qui ne tient pas compte de la réalité du poids des revenus artisanaux ; c’est là un point fondamental. Le témoignage des receveurs seigneuriaux nous prouve qu’un homme demeure artisan aux yeux de ses contemporains, même lors d’une cessation ponctuelle de son activité. Au-delà d’un tableau quelque peu impressionniste, balisons maintenant les acquis.
7Il est possible de distinguer trois catégories d’hommes ayant un lien plus ou moins prononcé avec l’activité artisanale.
8Les artisans-paysans constituent une première catégorie dans le monde rural. Ils apparaissent comme les héritiers des anciennes activités domaniales de transformation des matières premières et sont devenus des acteurs économiques autonomes, propriétaires d’un outil de travail tout en conservant une activité agricole. Quand leur carnet de travail n’est pas assez fourni, ils peuvent avoir recours au salariat. Un maître maçon peut être employé sur un chantier comme salarié à la journée en attendant un nouveau prix fait. Si cette solution devient trop fréquente, c’est la marque d’une déchéance et d’une paupérisation de l’artisan. En effet, dans l’essor lié à la reconstruction agraire, les maîtres les plus entreprenants passent des prix faits avec les commanditaires et deviennent des entrepreneurs salariant à leur tour des hommes de métiers et des manœuvres. À la campagne toutefois, grâce à l’existence de revenus agricoles importants, les conséquences du recours au salariat sont probablement plus nuancées qu’en ville. Les débouchés parfois réduits obligent de toute manière à une plus grande souplesse. Pour corroborer cette hypothèse, il faudrait être en mesure d’effectuer un travail à la fois prosopographique et économique, ce qui est impossible.
9La deuxième catégorie, celle des manouvriers, des brassiers, aussi appelés journaliers, pose problème. En effet, elle se définit par un système d’embauche auquel les artisans peuvent également avoir recours, d’où de possibles confusions. À côté de ces maîtres venant ponctuellement au salariat, il y a donc une partie de la population rurale pour laquelle le salariat est un indispensable appoint financier. Il est alors question de salariat artisanal, au même titre qu’il existe un salariat agricole. C’est le parallèle au clivage traditionnel entre laboureur et journalier. Il est possible qu’il existe d’ailleurs de nombreux ponts entre les ouvriers agricoles et les ouvriers artisanaux, qui constituent de toute manière un prolétariat. Les véritables journaliers sont confinés à des tâches peu valorisantes, répétitives, sans grande technicité requise, et peuvent participer à la transformation d’une matière première, mais, qui ne leur appartient pas. À partir de ce constat, les journaliers ne sont pas, du point de vue de la terminologie, des artisans mais des ouvriers. Pourtant, il peut parfaitement s’agir d’une activité à plein temps indispensable à la survie de bien des ruraux poitevins affectés par le manque ou la non possession de terres cultivables. Le fossé qui les sépare des artisans-paysans vus précédemment s’accroît avec la professionnalisation de ces derniers, dès la seconde moitié du xve siècle. Le salariat est très présent dans les métiers du bâtiment mais aussi chez les tisserands, voire dans les autres métiers du textile. Par contre, il est plus difficile à percevoir, mais sans être absent, chez les potiers, les tuiliers et les forgerons.
10La troisième et dernière catégorie regroupe les maîtres de gros ateliers dits proto-industriels (forges, verreries…). Leurs connaissances techniques et leurs rapports privilégiés avec le pouvoir seigneurial en font un monde à part. Les enjeux financiers induits par ces ateliers sont très importants, et leurs activités doivent avoir le soutien de princes, de seigneurs, de marchands ou de bourgeois. Ces maîtres d’ateliers profitent d’une conjoncture totalement étrangère au monde rural et peuvent être même favorisé, par l’État. C’est le cas dans la métallurgie.
11Les facteurs d’installation de ces ateliers dans les campagnes sont d’ordres matériel et économique. Les artisanats du feu et les moulins hydrauliques s’éloignent de plus en plus des villes. L’engorgement des rivières et la concurrence du marché urbain pour le bois de chauffe expliquent ce phénomène. Le lien avec le monde rural peut paraître bien ténu, mais il nous semble pourtant assez important pour justifier notre intérêt. Les ateliers proto-industriels ne sont toutefois pas des îlots entièrement coupés de leur environnement. Par l’intermédiaire du salariat ou de la sous-traitance de certaines tâches, une partie de la population rurale profite de leur présence et s’intègre un tant soit peu dans leur dynamique. La faiblesse des salaires dans le monde rural est par ailleurs un autre argument à leur éloignement des villes. Il n’est pas moins surprenant de constater que certains maîtres d’ateliers conservent une part de revenus agricoles et s’acquittent de cens et de rentes.
12Au-delà de ces catégories, il faut différencier les artisans des autres ruraux. Le concept d’artisan recouvre des réalités fort variables, donc difficilement généralisables, et se trouve écartelé entre ce qu’est la majorité des ruraux poitevins de la fin du Moyen Âge, des paysans, et ce que sont les hommes de métiers des villes. Si la hiérarchie dans les métiers, les questions de la transmission du savoir et des modes de rétribution sont proches de celles rencontrées en ville, les habitudes et la sociabilité des artisans des campagnes en font des ruraux à part entière. Les points communs sur les comportements, la sociabilité et les projets d’avancement dans la hiérarchie sociale sont légion entre artisans et paysans. Tous recherchent des postes de marguillier, de prêtre, d’officier seigneurial et pratiquent des investissements fonciers. Les artisans ruraux sont donc des paysans parmi d’autres mais dotés de certaines spécificités.
13Parmi leurs caractéristiques propres, ils sont en mesure de développer des solidarités professionnelles. Celles-ci sont bien marquées, même si la rédaction de statuts est rare, faisant croire à l’inexistence d’organisation ou de réglementation. La gestion de structures de production communautaires est la preuve de l’existence de solidarités professionnelles. La mobilité confère à ces artisans une autre spécificité notable. S’il existe des flux migratoires, l’itinérance saisonnière de maîtres qualifiés est une particularité affectant surtout les travailleurs du bois et les maçons. Toutefois, ce groupe demeure sur bien des plans très proche des autres membres de la société rurale.
14La distinction établie permet de mesurer le poids de cette partie de la population. La place prépondérante des activités non agricoles dans la société rurale s’y retrouve. Il semble inconcevable de passer sous silence le rôle et l’activité de 24 ou 28 % des habitants à vasles et Ménigoute, paroisses possédant des villages spécialisés dans la production de terres cuites1. En Poitou, de tels exemples se retrouvent plus d’une demi-douzaine de fois2. En l’absence de villages spécialisés, c’est tout de même presque 12 % des habitants d’une paroisse qui pratiquent une activité artisanale. Les plus répandues sont le travail du bois et du textile. À l’inverse, la présence de maçons est moins importante pour des raisons économiques ; la construction en pierre est encore assez peu répandue. Le catalogue des artisans est aussi composé de cendriers, de forgerons, d’artisans de la terre cuite, de tanneurs et de métiers de bouche.
15Ainsi proche de la majorité des autres habitants des campagnes, peut-on encore parler de catégorie sociale ? Les origines paysannes de l’immense majorité des artisans n’aident pas à déterminer une frontière claire entre la terre et l’atelier. Les artisans sont assurément des ruraux qui évoluent et se professionnalisent à la fin du Moyen Âge devant les effets d’une croissance forte et l’intrusion de l’économie de marché. Le contexte favorable de la reconstruction agraire est déterminant. Il permet l’émergence de personnages correspondant plus à l’image d’un artisan moderne, c’est-à-dire moins dépendant de son activité agricole et en voie de professionnalisation. Mais ces entrepreneurs ne sont pas présents dans tous les domaines. Ceux du textile et du charbon sont moins favorisés.
16Parler, pour les artisans, de groupe social dans les campagnes est encore difficile à la fin du Moyen Âge et au début de l’époque moderne. La chose est en gestation, mais les évolutions sont lentes, à la campagne plus qu’à la ville, et grandement dépendantes de facteurs extérieurs.
17Ce mouvement, déjà perçu par les contemporains, entraîne bien des réactions. La kyrielle de conflits, entre l’autorité féodale et les artisans indépendants, atteste, chez les seigneurs poitevins, de la conscience de l’existence d’un groupe d’habitants différents des paysans. Pour une part, ces procédures demeurent un moyen de réaffirmer la présence d’une féodalité en crise. Celle-ci s’est d’abord focalisée sur l’activité agricole, cela va de soi. Ensuite, consciente de la réalité de l’activité économique et de ses propres difficultés financières, la noblesse s’attache à percevoir sa part des fruits de l’essor de l’artisanat et à protéger son domaine foncier (les bois en particulier). Il ne s’agit donc pas pour le pouvoir seigneurial de combattre une remise en cause de la féodalité. Ce sont même les détenteurs de cette autorité qui cherchent, par de longues procédures aux issues incertaines et à la rentabilité douteuse, à modifier l’assiette de redevances anciennes et totalement inadaptées à la nouvelle donne économique.
18Après 1450, la production artisanale et le nombre des ateliers augmentent. Dans certaines zones, la multiplication des activités prouve la rentabilité du secteur pour les budgets seigneuriaux. Le nombre d’ateliers dépasse alors les capacités d’absorption du marché local comme dans la vallée de la Gartempe. Il n’est alors plus question d’une simple activité d’autoconsommation, mais d’un véritable artisanat s’insérant lentement dans une économie de marché et soumis à la concurrence.
19Deux systèmes coexistent donc. Le premier, que nous qualifions d’indépendant, est aux mains des producteurs et reste proche de la définition de l’artisanat actuel. Le second est doté d’unités importantes dont l’installation est beaucoup plus liée aux pouvoirs en place. Ceux-ci trouvent ici un moyen de faire des profits plus importants qu’en percevant des droits féodaux liés à l’accès aux matières premières. Cet intérêt n’est pas démenti par l’attitude des marchands et des bourgeois. La poussée d’un capitalisme est de plus en plus présente face au déclin d’une économie rurale médiévale largement basée sur les droits d’usage. Ces deux types d’ateliers coexistent durant la période étudiée et sont probablement complémentaires.
20Le clivage entre secteur indépendant et seigneurial va s’accentuer au cours de la période étudiée. Les investissements des élites entraînent la multiplication des ateliers seigneuriaux. Ils vont confiner les ateliers indépendants à un certain archaïsme technologique, notamment dans la métallurgie ; avancée technique et capitalisme vont parfois de pair.
21L’esprit d’entreprise n’est toutefois pas l’apanage des seuls seigneurs. Les entrepreneurs ruraux et indépendants existent. Les producteurs de chaux d’Espinasse sont parfaitement en mesure de s’adapter au gros marché que constitue la réfection des murailles de Chauvigny. Ils modifient l’organisation de la production de ce village spécialisé en individualisant les structures de cuisson. L’artisan se démarque de plus en plus des structures communautaires issues d’un monde économique qui s’effrite. L’essor engendre ici un éclatement plus qu’une concentration des moyens ; l’envergure des entrepreneurs est donc souvent assez limitée. À Poitiers, la relative faiblesse des marchands et le fait que la ville soit avant tout dirigée par des hommes de loi n’ont pas non plus favorisé des concentrations verticales et la naissance d’un secteur industriel3. On retrouve ici les carences de Poitiers par rapport à La Rochelle sur le plan commercial et économique. Il suffit pour s’en convaincre de voir l’impact du port charentais sur l’activité des artisans de son arrière-pays : les potiers de la vallée de l’Yon, par exemple, profitent de l’essor du commerce du sucre. L’intrusion des marchands urbains dans les campagnes, qui amène une concentration verticale des moyens de production dans certains secteurs, semble s’être effectuée à la faveur des difficultés d’une paysannerie moyenne vivant aussi de l’artisanat. Ce phénomène rappelle la constitution des métairies poitevines qui s’est appuyée sur les difficultés des bordiers et des petits paysans. Cette paupérisation entraîne une concentration des terres à partir du xvie siècle, dont les conséquences sociales sont probablement encore minimisées4. L’importance de la Réforme, des guerres de Religion et des crises du xviie siècle en Poitou ont contribué à renforcer la genèse d’une paysannerie pauvre laminée par les événements, qui survit notamment en pratiquant une activité artisanale. Ainsi, le fait que le Poitou soit une terre de départ vers le Nouveau Monde ne plaide pas en faveur d’une amélioration de la condition de la paysannerie la plus pauvre et de l’instauration d’un équilibre social dans les campagnes jusqu’au xviie siècle.
22Si l’ouverture sur la période moderne peut s’aider de l’existence de certains travaux, comme ceux de Louis Merle, les liens avec les siècles antérieurs sont plus difficiles à cerner. Pourtant, la situation que nous percevons pour le xve siècle ne doit pas être sans points communs avec celle du xiiie siècle. Les conjonctures sont proches : essor démographique et économie de marché générant une hausse de la consommation. Mais à défaut de documentation poitevine, il faudra attendre des travaux en provenance d’autres régions pour progresser. En fait, les seules différences viendraient de l’ampleur de l’ouverture des campagnes, de la circulation des marchandises et de la pénétration de l’économie de marché. N’oublions pas non plus que la mise en place des villages spécialisés est, elle-même, antérieure au xiiie siècle ; il y a donc ici tout un domaine sur lequel il convient de se pencher encore tout en s’appuyant sur ce que nous savons d’eux à la fin du Moyen Âge.
23Un dernier point mérite un instant notre attention, celui de l’exemplarité des artisanats les mieux documentés par rapport à ceux restés dans l’ombre.
24Les rapprochements ne sont pas pertinents dans un certain nombre de cas. Les artisanats exigeant parfois un investissement de base important (comme le four) laissent des traces archéologiques. a contrario, le travail de certaines matières premières (fibres végétales, laine, bois) ne nécessite pas de structure dispendieuse et sont périssables. Les conditions d’implantation et la propriété de l’outil de production sont variables ; cela instaure une nouvelle ligne de partage au sein de l’artisanat rural. Les producteurs de terres cuites se regroupent dans des villages spécialisés pour des raisons notamment financières ; cela est inapplicable aux autres artisanats, où les formes de solidarité, dites horizontales, sont moins vitales. Dans le cadre des métiers du textile, elles sont créées pour régler des problèmes de normes et de qualité, mais les outils de production ne sont pas collectifs. Malgré l’intrusion de l’économie de marché et le poids des débouchés urbains, les circuits de commercialisation sont inhérents à chaque type de production. La valeur ajoutée et le poids des produits finis déterminent les conditions de commercialisation et ne sont pas transposables d’un artisanat à l’autre. Les draps, les tuiles, le verre et la pierre se commercialisent chacun différemment. L’intérêt des propriétaires de capitaux et l’instauration, plus ou moins rapide, de nouveaux systèmes d’organisation de la production sont communs à plusieurs artisanats, et dérivent de l’implantation d’une économie ouverte. Le Verlagsystem, qui transforme les artisans en simples salariés, affecte ainsi les domaines du textile et du fer5.
25Si les mises en parallèle n’étaient pas jusqu’à présent pertinentes, les choses diffèrent pour les rapports à la société rurale. Pour tous les artisans indépendants, l’agriculture est toujours complémentaire de l’artisanat, quel qu’il soit. Par contre, la spécialisation et la professionnalisation des artisans varient selon les activités. Chaque métier connaît des évolutions internes suivant les marchés, les modes ou les évolutions techniques.
26Aujourd’hui encore, les historiens attendent beaucoup de l’archéologie et à juste titre. L’apport des techniques de production et de l’archéologie expérimentale doit nous aider à appréhender avec un nouveau regard les transformations du secteur artisanal et ses rapports avec le marché. Toutefois, l’archéologie ne sera pas en mesure de fournir des éléments de réponse sur des sujets aussi complexes que le poids de l’artisanat dans l’économie rurale. Les historiens doivent donc prendre leurs responsabilités. Espérons enfin que ce travail aura montré la place prépondérante de l’artisanat dans l’économie seigneuriale et la société rurale, et qu’il motivera d’autres réalisations.
Notes de bas de page
1 Ces données comptabilisent les artisans paysans et les maîtres d’atelier, mais pas les manœuvres.
2 À Espinasse (Saint-Pierre-les-Églises), Argentières (Prailles), aux Noues et La Pionnière (Oroux et La Peyratte), L’Hopitau (Boussais), Logerie et Boirie (Bonneuil-Matours), Charassé (Montamisé), Saint-Porchaire et autour de Genouillé et Surin.
3 Favreau R., op. cit., p. 438.
4 Merle L., op. cit., p. 93-95.
5 Coornaert E., « Draperies rurales, draperies urbaines. L’évolution de l’industrie flamande au Moyen Âge et au xvie siècle », Revue Belge de philologie et d’histoire, 1950 ; Lardin Ph., « La domination… », op. cit.
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