Décrire et comprendre la déficience intellectuelle
p. 83-100
Texte intégral
Introduction
1Après avoir brièvement défini la déficience intellectuelle (en abrégé DI), je m’attacherai à en présenter les principales causes, qu’elles soient d’origine génétique ou environnementale. Des exemples assez spectaculaires de corrélations et d’interactions entre des caractéristiques du génome et de l’environnement permettront de comprendre comment, dans ce domaine de recherche, l’avancée de la connaissance ne peut se faire sans une collaboration soutenue entre les psychologues (principalement différentialistes et développementalistes) et les biologistes. Je conclurai en montrant que des recherches sur la DI permettent de répondre à des questions d’ordre beaucoup plus général touchant aux processus du développement typique.
Définition et épidémiologie
Définition
2En manière de boutade on pourrait avancer que la DI date du début du XXe siècle, avec la création du premier outil « objectif » susceptible de la mesurer. Mais il serait absurde de penser que l’outil (le premier test d’intelligence) a créé « l’objet ». Tout porte à croire que l’histoire de la DI est aussi longue que celle du genre humain et des multiples mutations génétiques de son ADN. Toutefois il est difficile de remonter au-delà de trois ou quatre mille ans pour en avoir des preuves. Okasha (1999) signale qu’un cas de « retard psychomoteur » est décrit dans un papyrus de l’Égypte antique daté d’environ 1600 ans avant J.C. (le papyrus Ebers). Plus récemment, Czarnetzki, Blin et Pusch (2003) posent un diagnostic de trisomie 21 à partir de l’étude d’un squelette de femme qui serait morte voici environ 2550 ans. Il est hors de propos de retracer, même brièvement, l’historique des conceptions de la DI depuis l’Egypte antique jusqu’à nos jours. D’autres l’ont fait et le lecteur peut par exemple se référer à l’ouvrage très intéressant de Michelet et Woodill (1993). Par contre, il est plus difficile de ne pas rappeler que la définition, les « traitements » proposés et, au-delà, l’acceptation de la personne présentant une DI ont varié au fil des siècles et des cultures. Au cours du siècle dernier les connaissances erronées sur la nature et les causes de cette déficience ont eu des conséquences dramatiques pour les personnes, conséquences que nul ne peut ignorer maintenant – mises à mort dans l’Allemagne Nazie, stérilisations forcées aux États-Unis ou au Canada, et ceci jusqu’en 1972 ; voir par exemple Roubertoux 2004. Bien sûr d’énormes progrès ont été réalisés pour intégrer les personnes avec DI dans la société, mais beaucoup reste à faire, y compris dans les pays occidentaux, comme l’attestent des travaux récents (Enea-Drapeau, 2013). Ainsi Musso et Barker (2012) ont montré que des étudiants ont une représentation des personnes avec DI légère très discordante de la réalité, notamment sur la possibilité de se marier, d’avoir des enfants ou d’entreprendre les activités ordinaires de la vie d’adulte. De manière générale, les gens sous-estiment les capacités de ces personnes. Les auteurs pointent donc le besoin d’information et d’éducation du public, afin de pallier les conséquences potentielles de ces connaissances erronées. Cette exigence d’information du grand public constitue un des leitmotifs des associations de parents et de personnes présentant ce type de déficience. Enea-Drapeau, Carlier et Huguet (2012), Enea-Drapeau, Carlier, Maltese et Huguet (2013) montrent que le stéréotype social de la trisomie 21 est globalement plutôt positif – ceci d’ailleurs en contradiction flagrante avec les actes si l’on considère les taux d’avortement ou d’abandon à la naissance dans les pays où le diagnostic anténatal et l’avortement sont autorisés. Toutefois, il n’en est pas de même pour le stéréotype social, mesuré au niveau implicite, qui lui est clairement négatif. De plus, Enea-Drapeau et al. (2012) montrent que ce stéréotype implicite est toujours présent – à un degré moindre, il est vrai – chez les professionnels du handicap. C’est dire que si l’information s’avère nécessaire, elle n’est certainement pas suffisante.
3Pour informer, il faut être capable de se mettre d’accord sur des critères permettant de définir la DI. Or les choses s’avèrent plus compliquées qu’elles ne paraissent à première vue. En effet, sous la pression des scientifiques et des associations de parents ou de malades, la terminologie est sans cesse modifiée. Est-ce simplement un changement de vocabulaire pour se conformer au « politiquement correct », ou bien cela signifie-t-il que la conception du handicap a vraiment évolué ? Avec d’autres (Fisch, 2011), je penche nettement pour la deuxième alternative.
Tableau 1 - Définition de la déficience intellectuelle (DI) et commentaires.
Critères de l’AAIDD | Commentaires |
La DI est une limitation à la fois du fonctionnement intellectuel et du comportement d’adaptation. | L’insertion du comportement d’adaptation dans la définition est le fruit de longues discussions dans le champ du handicap. Elle n’est pas entièrement reprise par toutes les classifications – en particulier celle de l’Organisation Mondiale de la Santé. |
Le niveau intellectuel se situe approximativement à deux écart-types en dessous de la moyenne. | Soit en dessous de 70 dans les tests d’intelligence les plus communément utilisés. Il faut noter que ce critère est retenu actuellement dans toutes les classifications internationales. La question de la pertinence des sous-classifications reste posée. |
Le trouble est un trouble du développement qui apparaît avant l’âge de 18 ans. | La DI se situe dans le champ de la psychologie différentielle du développement. La définition permet de distinguer DI et démence. |
L’environnement communautaire dans lequel vit la personne doit être pris en compte. | Ce point et le suivant font certainement référence, au moins implicitement, à toutes les erreurs commises dans les décennies précédentes pour définir et mesurer le « retard mental ». |
On doit tenir compte de la diversité culturelle et linguistique. | |
On doit réaliser une évaluation valide non seulement des faiblesses mais aussi des forces. | Les difficultés rencontrées dans la mesure de la DI sont nombreuses et beaucoup reste à faire. On reviendra sur cette importante question. |
On doit dresser le profil des aides nécessaires à la personne. | Une affirmation comme quoi un examen psychologique ne peut pas être seulement un bilan de l’état présent de la personne. |
On doit s’attendre à ce que la personne s’améliore. | Affirmation que la déficience se situe bien dans une conception non fixiste du développement. Lutte contre les stéréotypes et la conception fixiste de l’intelligence ? |
4Il existe à l’heure actuelle quatre principaux systèmes de classification qui peuvent conduire, du moins partiellement, à des définitions différentes de la DI. Deux relèvent de l’OMS (Organisation mondiale de la santé) : la Classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes (en abrégé CIM-10) et la Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF). Deux autres classifications sont mises au point par des associations étatsuniennes. Le DSM (pour Diagnostic and Statistical Manual for Mental Disorder) est publié par l’association de psychiatrie (American Psychiatric Association). La 5e révision est parue en mai 2013. Elle a immédiatement suscité une large controverse qui touche principalement aux grandes catégories des troubles mentaux. Celles-ci sont de plus en plus contestées par les généticiens et les neurosciences (Adam, 2013). À noter que l’expression « mental retardation » est remplacée par « intellectual disability (intellectual developmental disorder) », ce qui constitue un progrès. La seconde classification émane d’une association de parents, chercheurs, et professionnels du handicap intellectuel : American Association on Intellectual and Developmental Disabilities ou AAIDD. La dernière édition date de 2010. Toutes ces classifications évoluent et il est donc indispensable pour le psychologue de se tenir au courant, qu’il soit chercheur ou praticien. Par exemple l’OMS a récemment modifié la CIM-10 et les modifications sont applicables dès 2013 – pour de plus amples informations on peut consulter le site de l’Agence Technique de l’Information sur l’Hospitalisation (www.atih.sante.fr). À noter que la CIM-10 conserve l’expression « retard mental ».
5Je reprends dans le tableau 1 la définition du manuel de l’AAIDD telle qu’elle apparaît dans la dernière version (11è édition, 2010). Cette définition comporte huit points principaux présentés dans la première colonne. Dans la colonne de droite je propose des commentaires qu’il me paraît important de rajouter.
Epidémiologie
6McDermott, Durkin, Schupf et Stein (2007) notent que la distinction, utilisée classiquement par les épidémiologistes, entre incidence (risque de développer une condition particulière durant une période de temps déterminée) et prévalence (nombre total de cas observés dans une population à un moment donné) est très difficile à appliquer dans le cas de la DI. En effet la déficience peut varier d’une période à une autre pour une même personne (période proche de la naissance, durant l’enfance ou durant l’adolescence).
7Analysant les données publiées avant 2000, ces auteurs rapportent une fréquence de 1 à 2 pour 100, mais des taux plus bas ou plus élevés ont été observés. Ces taux varient en fonction des caractéristiques des populations étudiées (nationalité et âge) et des méthodes de recueil de données (registre national ou non, échantillons d’enfants sélectionnés dans l’éducation spécialisée ou non, etc.). La fluctuation des fréquences peut être aussi attribuée aux changements de critère diagnostique (comme par exemple la valeur seuil dans un test d’intelligence pour décider si une personne entre ou non dans la catégorie de la DI) ou au choix de l’instrument de mesure. Il faut remarquer que très peu d’études utilisent l’évaluation du comportement d’adaptation pour diagnostiquer la DI. Or dans la revue de la littérature de Leonard et Wen (2002) il est rapporté des travaux réalisés en Amérique du Nord qui indiquent que l’inclusion de ce critère et/ou l’utilisation de tests d’intelligence non verbale conduirait à ramener la fréquence des DI de 2 % à 1 % - l’effet étant plus marqué dans les populations afro-américaines et hispaniques. Il faut noter que cette diminution revient à réduire de moitié la fréquence des DI. Ce type de résultat mériterait d’être confirmé.
8Les classifications distinguent différents niveaux de DI : de légère à sévère en passant par modérée, même si les seuils de passage d’une catégorie à l’autre peuvent différer. En 2007, avec Catherine Ayoun (Carlier & Ayoun, 2007), nous nous interrogions sur la pertinence des catégories de la DI fondées sur le QI sachant que les échelles d’intelligence ne permettent pas de discriminer correctement les bas niveaux, c’est-à-dire les niveaux en dessous de 70. Pour des descriptions et analyses des qualités métriques des tests permettant d’évaluer l’intelligence logique, le lecteur peut se reporter à Chartier et Loarer (2008). Le problème des effets planchers pour la mesure de la DI est toujours d’actualité. Il est vrai que pour diagnostiquer la DI sévère, il n’est pas nécessaire d’utiliser une échelle d’intelligence. Mais il n’en est pas de même pour différencier les DI légère et modérée. Pour éviter les effets planchers, certains auteurs prennent les notes brutes (Hessl et al., 2009 ; Couzens, Cuskelly, & Haynes, 2011) ou bien choisissent une échelle développée pour des enfants, alors que les participants à la recherche sont des adolescents (Chabrol et al., 2005). Un autre choix consiste à développer une batterie spécifiquement adaptée à la DI (Edgin et al., 2010). C’est une excellente idée si on veut posséder un outil susceptible de comparer des groupes d’enfants avec DI ou d’évaluer les progrès des personnes avec DI en fonction d’une intervention de quelque nature que ce soit. Toutefois, aucune de ces propositions n’est envisageable dans le cadre d’une étude épidémiologique qui nécessite de distinguer entre les différents niveaux de DI.
9En dépit des problèmes de mesure et des différences de méthodologie on peut extraire de la littérature scientifique quatre observations d’ordre général (Leonard & Wen, 2002). 1) La DI sévère est plus rare que la DI modérée ou légère. 2) La fréquence de la DI augmente avec l’âge avec un pic vers l’âge de 10-14 ans, puis une nette décroissance à l’âge adulte. Cette tendance pourrait être due à des différences dans les critères diagnostiques ou à la capacité des personnes présentant une DI à s’adapter aux demandes de la société au fur et à mesure qu’elles vieillissent. On peut penser aussi à une mortalité différentielle entre personnes avec DI et population générale. 3) Les personnes de sexe masculin présentent plus fréquemment une DI que les personnes de sexe féminin et ceci tout particulièrement chez les jeunes. Des facteurs biologiques sont susceptibles de rendre compte de cette différence de sexe connue depuis longtemps – voir par exemple plus loin le cas des maladies liées au chromosome X. 4) Des facteurs sociaux, économiques, culturels et ethniques sont liés à des différences de fréquence de la DI. Par exemple, une fréquence plus élevée de DI modérée a été observée de manière stable dans certains groupes ethniques, comme les afro-américains, les indigènes australiens et les aborigènes canadiens. De nombreuses variables peuvent rendre compte de ces différences. Ce sont : des facteurs culturels, économiques, démographiques, et aussi des facteurs biologiques touchant aussi bien le développement prénatal que post-natal, sans oublier bien entendu, les interactions entre ces facteurs.
Les principales causes de la déficience intellectuelle
10On sait de source sûre que les causes de la DI sont multiples : elles vont du biologique aux facteurs environnementaux pris dans le sens le plus large du terme. On peut aussi distinguer les facteurs de risque en fonction de la période pendant laquelle ils agissent : période prénatale, néonatale ou postnatale. J’ai choisi de commenter les facteurs génétiques, certains facteurs d’environnement, pour conclure par des exemples d’interaction et/ou de corrélation entre des facteurs génétiques et des facteurs d’environnement.
Les facteurs génétiques
11Il est hors de doute que les facteurs génétiques ont une importance primordiale dans l’étiologie de la DI. Mais combien de gènes sont-ils impliqués ? Quels sont-ils ? Quels en sont les cibles et les mécanismes ? On est loin d’avoir toutes les réponses à ces questions. La banque de données Online Mendelian Inheritance (OMIN), consultée le 26/8/2013 fait ressortir 2022 items à partir des mots clés « mental retardation » et seulement 302 avec « intellectuel disability ». En 2012, avec les mêmes mots clés on faisait apparaître, respectivement 1883 et 181 items. Le nombre d’entrées dans le catalogue pour ces mots clés suit l’explosion des travaux de génétique et probablement aussi les progrès dans l’analyse des phénotypes comportementaux des maladies génétiques. L’association internationale SSBP (Society for the Study of Behavioral Phenotype), créée en 1990, dont le but est de réunir les chercheurs s’intéressant à ces phénotypes comportementaux, est un indicateur de l’implication croissante des scientifiques venus de la psychologie, des neurosciences et de la génétique dans la recherche des conséquences comportementales des anomalies génétiques.
12Parmi les facteurs génétiques on distingue les anomalies du nombre de chromosomes et les mutations.
Les anomalies chromosomiques
13Les anomalies chromosomiques sont de deux types : le défaut ou l’excès de matériel chromosomique. Le défaut peut-être total pour un chromosome. C’est ce qui se passe pour le syndrome de Turner qui résulte de la perte chez un fœtus femelle d’un des deux chromosomes X. Dans d’autres cas, un chromosome entier peut-être excédentaire. Le caryotype d’une personne permet de connaître le nombre et la forme structurelle de ses chromosomes. Rappelons que dans notre espèce, il y a vingt-deux paires d’autosomes et une paire de chromosomes sexuels, soit quarante-six chromosomes. Le numéro affecté à une paire n’a pas de sens particulier, sinon que le chromosome 1 est le plus long et le chromosome 22, le plus court. Globalement, plus un chromosome est long, plus il porte de gènes. Le caryotype normal d’une femme s’écrit : 46,XX ; celui d’un homme : 46,XY.
14Les anomalies chromosomiques qui touchent soit le nombre, soit la structure sont le plus souvent présentes dès la fécondation. Elles peuvent cependant se former après, lors des premières divisions de l’œuf fécondé (zygote). On a alors un même organisme dont les cellules diffèrent par le nombre de chromosomes. Par exemple certaines cellules somatiques d’une même personne portent deux chromosomes 21 (ce sont donc des cellules normales) alors que d’autres en portent trois (elles sont trisomiques). On dit que l’anomalie est en mosaïque. On estime qu’à la naissance 0,6 % des bébés vivants sont porteurs d’une anomalie chromosomique. Toutefois ces anomalies sont beaucoup plus fréquentes puisque, dans les avortements spontanés du premier semestre, leur proportion atteint 60 % (Jeanpierre et al., 2004). Les anomalies du nombre touchant les chromosomes sexuels les plus fréquentes, à la naissance, sont les doubles ou triples X (caryotypes : 47, XX ou 47, XXX pour les femmes ; 47, XYY pour les hommes).
15La majorité des trisomies autosomiques sont d’origine maternelle et le principal facteur étiologique de la non disjonction des chromosomes homologues lors de la méiose est l’âge de la mère. Parfois, l’anomalie est due à un bout de chromosome qui s’est accroché à un autre chromosome (on parle de translocation). Dans le cas d’une translocation équilibrée, il y a échange entre deux chromosomes qui ont, chacun, perdu un bout. S’il n’y a pas de perte de gène cela n’a pas de conséquence pour l’individu. Toutefois, à la génération suivante, il y a un risque pour le descendant d’avoir une trisomie partielle (une partie d’un chromosome est en triple exemplaire) ou une monosomie (il manque un bout de chromosome sur l’un des deux chromosomes homologues). La présence d’un chromosome surnuméraire sur une paire d’autosome est un accident qui peut survenir pour n’importe quel autosome mais il est rarement compatible avec la survie. Les trisomies les plus fréquentes à la naissance sont les trisomies 13, 18 et 21. Les trisomies 13 (syndrome de Patau) et 18 (syndrome d’Edwards) sont très rares (1/8000 à 1/15000 naissances pour la première ; 1/6000 à 1/8000 pour la seconde) et l’espérance de vie est, le plus souvent, de quelques mois. En cas de survie, le risque de DI sévère est très élevé (Verloes, 2008).
16Comme pour toutes maladies rares, les fréquences rapportées de ces trisomies sont à prendre avec prudence. En effet, ces chiffres peuvent varier d’une étude à l’autre, tout simplement parce que chacune porte sur un nombre relativement réduit de cas. Des variations entre pays peuvent être dues également à des variables environnementales ou des prédispositions génétiques qui restent à élucider. Ainsi, au Koweït, Naguid et al. (1999) signalent la naissance de cinquante-neuf bébés porteurs de la trisomie 18, ce qui aboutit à une fréquence de 8,9/10000 naissances dans la population étudiée, c’est-à-dire une fréquence nettement supérieure à la fréquence annoncée précédemment. En comparaison dans l’étude épidémiologique portant sur des données nationales récoltées aux États-Unis d’Amérique les auteurs concluent à une fréquence de 1,29/10000 naissances pour la trisomie 18 (Pont et al., 2006).
17La trisomie viable la plus fréquente, et la mieux connue du public, est la trisomie 21. C’est aussi l’anomalie génétique associée à une DI la plus fréquente. Elle affecte entre 1 à 2,2 bébés sur 1000 nouveau-nés. Ces chiffres varient fortement d’un pays à l’autre, en fonction des caractéristiques démographiques de la population (nombre d’enfants par femme, et âge des femmes au moment de la grossesse) mais surtout en fonction du dépistage anténatal et des possibilités d’avortement. Elle est souvent désignée chez les Anglo-Saxons, comme « Syndrome de Down ». Peu de gens savent probablement que cette appellation est le résultat d’une lettre adressée en 1961 à la prestigieuse revue The Lancet (Ward, 1999). Les signataires de la lettre demandaient, à juste titre, que l’appellation « Mongolisme » soit abandonnée au profit de « Down’s Syndrome » ou « Trisomy 21 Anomaly ». Parmi les signataires on trouve les noms de célèbres généticiens (Carter, Ford, Penrose, Polani, tous les quatre anglais) et de Allen et Bender, spécialistes de la DI. Par ailleurs les signataires ont tenu compte de l’avis du petit fils de John Langdon Down. Les découvreurs de la trisomie 21, à savoir les Français Jérôme Lejeune, Raymond Turpin et Marthe Gautier qui avaient publié deux ans auparavant des articles montrant que le « mongolisme » était dû à la présence d’un chromosome 21 surnuméraire ont-ils été invités à signer ? Avec l’intervention du petit fils de John Langdon Down on imagine aisément pourquoi l’éditeur du journal britannique The Lancet a choisi l’appellation Down’s syndrome : « Syndrome de Down est une alternative appropriée à idiotie mongoloïde jusqu’à ce que l’anomalie chromosomique du trouble soit complètement élucidée et qu’un nouveau terme scientifique soit proposé » écrit-il, d’après Ward (1999, page 22)2. En 1965, l’OMS, entérine ce choix sans tenir compte, ni du fait que John Langdon Down avait eu des précurseurs, en particulier Esquirol et Seguin en France, ni surtout que l’anomalie chromosomique du trouble était élucidée et que donc le terme le plus pertinent était trisomie 21.
18Lorsque la trisomie est en mosaïque (certaines cellules portent la trisomie, d’autre pas) la probabilité de survie est plus grande mais il n’existe pas forcément de corrélation entre le phénotype comportemental et le nombre de cellules porteuses de la trisomie. Les trisomies 21 partielles s’observent dans 2-3 % des cas.
19Les anomalies du nombre de chromosomes sont actuellement faciles à détecter mais lorsque l’anomalie touche une petite partie d’un chromosome sa détection est plus délicate et des techniques plus sophistiquées doivent être utilisées. Pour accélérer la détection de ces anomalies chromosomiques, sans pour autant réaliser systématiquement des examens coûteux, de Vries, Winter, Schinzel et van Ravenswaaij-Arts (2003) proposent aux cliniciens une liste de caractéristiques qui inclut en premier une histoire familiale de déficience intellectuelle.
20Les psychologues ont beaucoup étudié certaines anomalies chromosomiques dues à la perte de quelques gènes (on parle de délétion). C’est le cas, en particulier, du syndrome de Williams-Beuren (délétion sur un des deux chromosome 7) et du syndrome de DiGeorge ou syndrome Velo-cardio-facial (délétion sur un des deux chromosome 22). De tels syndromes sont considérés par les psychologues et les généticiens comme « des fenêtres ouvertes » sur les relations entre les gènes et les comportements (Meyer-Lindenberg, Mervis, & Faith-Berman, 2006 ; Jonas, Montojo, & Bearden, 2013). En effet, ces anomalies chromosomiques permettent de mettre en relation les différences entre les phénotypes comportementaux et les différences génétiques. On en trouvera quelques exemples dans la conclusion.
Les mutations
21Les mutations touchent un gène particulier. Elles peuvent se situer sur un autosome ou sur un chromosome sexuel. Compte tenu du type de transmission, celles se situant sur le chromosome X sont plus faciles à détecter (Roubertoux, Carlier, & le Roy, 2005 ; Carlier & Ayoun, 2007). Nombre de mutations s’accompagnent de DI mais beaucoup restent à découvrir : environ 2000 d’après Schuurs-Hoeijmakers et al. (2011), soit environ 11 % des gènes autosomiques codant pour des protéines. Les mutations les plus connues des psychologues sont probablement la phénylcétonurie et l’X Fragile – voir plus loin. À titre d’illustration je résume ici les différentes étapes qui ont conduit à la découverte de nouvelles mutations dont les porteurs présentent une DI. Une belle aventure à laquelle j’ai eu la chance de participer.
22Tout commence par la découverte d’un nouveau gène. Billuart et al. (1998) décrivent les caractéristiques d’un gène inconnu jusqu’alors, situé sur le bras long du chromosome X (en position Xq12). Ils identifient des individus non apparentés porteurs de différentes mutations de ce gène. Les auteurs appellent ce gène Oligophrénine 1 (OPHN 1). Ce gène s’exprime fortement dans les cellules cérébrales fœtales et code pour une protéine nommée Oligophrénine-1. Les recherches sur l’animal permettent de montrer que la perte de la fonction du gène induit un certain nombre de phénomènes enzymatiques et d’activation de protéines ; ce qui conduit à moduler la migration cellulaire et la pousse des axones et des dendrites durant le développement embryonnaire. Les auteurs concluent que la déficience intellectuelle observée chez les patients serait l’expression clinique de ces changements neuropathologiques.
23Dans les années qui suivent, cinq articles publiés, dont trois la même année, avec des familles différentes, décrivent la maladie de manière plus précise. 1) En 1999, Tentler et al. observent que des patients porteurs d’une courte délétion du chromosome X, incluant le gène OPHN1, ont des ventricules cérébraux élargis, un cervelet mal développé (on parle d’hypoplasie), des troubles épileptiques et moteurs. 2) En 2003, Bergman et al., remarquent que les données précédentes doivent être confirmées par l’étude de patients porteurs d’une mutation du gène OPHN1 et non pas d’une délétion incluant ce gène. En effet la délétion a provoqué la perte du gène OPHN1 mais aussi de gènes qui sont autour, de sorte qu’il est impossible de prouver que les traits qui caractérisent les patients sont la conséquence de la seule mutation du gène OPHN1. Grâce à l’étude d’une famille incluant quatre frères, Bergman et al. (2003) décrivent un phénotype particulier, caractérisé par une déficience intellectuelle allant de modérée à sévère, des troubles épileptiques et une mauvaise coordination des mouvements (ataxie). Au plan de l’anatomie du cerveau, ils observent une hypoplasie du cervelet grâce à l’imagerie médicale par résonance magnétique. 3) Partant de familles présentant des hypoplasies du cervelet dont le mode de transmission semble lié au chromosome X, Philip et al. (2003) procèdent à une analyse génétique de six patients masculins. Ils observent deux mutations différentes du gène OPHN1. Le niveau de déficience intellectuelle des patients varie de modéré à sévère. L’existence d’une hypoplasie du cervelet est constatée, sans toutefois s’accompagner de troubles moteurs. Des femmes porteuses de la mutation à l’état hétérozygote sont également détectées. Elles sont plus faiblement affectées que leur fils. Ceci est attendu puisque la mutation se situe sur le chromosome X et que dans le cas présent le second chromosome X des femmes ne porte pas la mutation. 4) des Portes et al. (2004) confirment l’existence d’anomalies cérébrales qui touchent principalement le cervelet dont certaines parties sont mal développées. 5) Le dernier article, paru en 2005 (Chabrol et al.), permet de compléter le tableau clinique de cette maladie. Il confirme, avec l’adjonction de nouveaux patients, que l’hypoplasie du cervelet est le trait dominant, avec présence de DI. Par ailleurs, des similitudes faciales, entre patients non apparentés, sont aussi détectées. Ces similitudes pourraient aider le clinicien à l’orienter vers un diagnostic plus rapide des patients.
24Plus récemment des équipes internationales se sont centrées sur l’étude de familles consanguines ayant plusieurs enfants, dont au moins un porteur de DI. On trouve de telles familles dans les pays du Moyen Orient où les mariages entre cousins ou petits cousins sont assez fréquents. On sait que la probabilité de détecter des porteurs de mutations autosomiques à l’état homozygote (les deux chromosomes homologues portent la même mutation) s’accroît avec le taux de consanguinité des membres de la famille. Ces familles sont donc particulièrement informatives pour les généticiens. D’autres équipes internationales travaillent avec des familles non consanguines mais ayant au moins deux enfants porteurs de DI. Le principe consiste alors à rechercher des mutations qui s’observent chez l’enfant porteur de DI et pas chez l’autre. On comprend pourquoi la liste des mutations liée à DI ne cesse de s’allonger. On comprend aussi pourquoi toutes ces données cumulées tendent à réduire d’autant le nombre de cas de DI dont on ignore la cause.
Les facteurs d’environnement
25Mwaniki et al. (2012) ont effectué une revue systématique de la littérature pour estimer les risques de séquelles à long terme après perturbations intra-utérines et néonatales, comme les complications à la naissance (encéphalopathie hypoxique ischémique, les infections et notamment la septicémie, la méningite et le tétanos néonatal), et d'autres conditions telles que la jaunisse et des infections congénitales (cytomégalovirus, toxoplasmose, syphilis, rubéole). Après filtrage des données peu fiables, ils sont en mesure de présenter des résultats sur le suivi de 22161 bébés ayant eu des complications à la naissance. Le risque médian d’une séquelle au moins est de l’ordre de 31 % sachant que dans de nombreux cas les séquelles sont multiples (troubles du développement cognitif, troubles moteurs, troubles de la vision ou de l’audition). Parmi les cas de séquelles, les troubles les plus communs sont les difficultés cognitives et le retard de développement (59 %). On comprend pourquoi le suivi des femmes pendant leur grossesse et l’accouchement est un enjeu majeur à l’échelle mondiale, sachant que plus le pays est pauvre, plus les risques de complications pendant la grossesse ou à la naissance sont élevés.
26Parmi les facteurs de risque les plus connus, il faut citer la prise d’alcool et de drogue par la femme enceinte. Les conséquences, chez le fœtus, sont le retard de croissance intra-utérine, les malformations congénitales et les troubles du comportement. Fort heureusement, les effets délétères majeurs sont rares. Le cas de l’alcoolisme fœtal semble connu depuis l’antiquité. Dans le Livre des Juges (chapitre 13) il est dit à la femme de Manoach : « Voici, tu es stérile, et tu n'as point d'enfant ; tu deviendras enceinte, et tu enfanteras un fils. Maintenant prends bien garde, ne bois ni vin ni liqueur forte, et ne mange rien d'impur. ». Le fils qui naîtra est bien connu car il s’appelle Samson.
27Les principales caractéristique de l’alcoolisme fœtal sont : retard de développement intra-utérin, dimorphisme cranio-facial (fentes palpébrales courtes, absence de philtrum, pont nasal bas, etc.) et anomalies du système nerveux central. Les stigmates de la prise l’alcool par la mère sont dose-dépendants : ils augmentent avec la quantité d’alcool ingéré, mais il est difficile de connaître le seuil au-dessus duquel le risque est élevé. Une des explications tient au fait qu’il existe des différences individuelles importantes dans la capacité pour les organismes à digérer l’alcool – voir plus loin. La fréquence de l’alcoolisme fœtale varie d’un pays à l’autre. Aux États-Unis elle serait de 1 à 9 pour 1 000 nouveau-nés vivants et beaucoup plus élevée dans certaines communautés au Canada (jusqu’à plus de 55 pour 1 000). Je n’ai pas trouvé de données concernant la France dans la littérature scientifique. Toutefois un site tenu par une association Loi 1901 intitulé Alcool Assistance (www.alcoolassistance.net) donne le chiffre de 10 pour 1 000 (8 000 enfants sur 800 000 naissances naîtraient avec le syndrome). Ce chiffre est à considérer avec prudence dans la mesure où le site n’indique pas comment il a été obtenu. On notera cependant qu’il est dans la marge de variation d’une étude italienne (Carlier & Roubertoux, 2014).
28De nombreux facteurs de risque de la DI sont d’origine postnatale. Parmi eux citons, la malnutrition, le manque d’iode, le taux de mercure dans le sang. Le cas du manque d’iode me semble tout particulièrement intéressant à développer. Andersson, Karumbudathan et Zimmermann (2012) estiment que le manque d’iode touche environ 200 millions d’enfants dans le monde. La carence en iode provoque une augmentation du volume de la thyroïde (goître) qui s’accompagne, à des degrés divers, de nanisme et de déficience intellectuelle grave (« crétinisme »). On trouvera des descriptions saisissantes de personnes atteintes de goître dans l’ouvrage d’Esquirol (1838). Ce trouble sévissait à l’époque d’Esquirol dans les montagnes des Pyrénées et des Alpes. La carence en iode était due à la qualité des eaux de montagne bues par les habitants.
29Evidemment on ne peut pas ignorer les autres facteurs de risque bien connus des psychologues comme le stress aigu et surtout chronique, la maltraitance physique, la violence familiale et la privation aiguë de stimulation. On recommandera tout particulièrement la lecture de la passionnante monographie de Rutter et collaborateurs sur le suivi des enfants roumains élevés en orphelinats puis adoptés en Grande Bretagne après la chute de Ceausescu. Les auteurs décrivent un pattern psychologique particulier, avec traits autistiques, troubles de l’attachement, de la cognition, et troubles de l’attention avec hyperactivité (Rutter, Sonuga-Barke, & Castle, 2010).
Les corrélations et/ou les interactions entre des facteurs génétiques et des facteurs d’environnement
30On l’a bien compris, l’étiologie de la DI est complexe et dans bien des cas, au niveau individuel, il est difficile de faire la part entre les causes génétiques et les causes environnementales. La conception d’une relation causale linéaire simple entre les gènes et les comportements est obsolète (Roubertoux & Carlier 2007, 2011). Dans la plupart des cas, le phénotype lié à une caractéristique génétique particulière est très variable, soit à cause d’événements génétiques (comme l’interaction entre les gènes) soit à cause d’événements environnementaux. On prendra comme illustration la recherche de De Smedt et collaborateurs (2007).
31Les auteurs étudient le niveau intellectuel d’une cohorte de 103 enfants porteurs de la délétion 22q11 (syndrome de DiGeorge ou Velo-cardio-facial). Le syndrome est dû à une délétion d’environ soixante gènes3 connus sur un des deux chromosomes 22 – l’autre ne porte donc pas la délétion. Cette délétion touche environ 1 bébé sur 4000 nouveau-nés vivants. Le niveau intellectuel moyen se situe autour de 74 avec un écart type de 12. Dans la plupart des cas, la mutation est dite « de novo » c’est-à-dire qu’elle n’est pas transmise et donc qu’elle apparaît, pour la première fois dans la famille, chez le patient. On observe cependant dans environ 15 % des cas une transmission familiale. Dans leur étude, De Smedt et al. (2007) montrent que les enfants porteurs de la délétion de novo ont un QI supérieur aux enfants porteurs d’une délétion familiale. Comment expliquer ce phénomène ? Un résultat complémentaire permet de répondre. La relation entre QI et type de délétion (de novo ou familiale) disparaît si on tient compte du niveau d’éducation des mères des patients. Ceci peut s’expliquer assez simplement : dans cette étude, le parent (père ou mère) porteur de la délétion a un niveau d’éducation plus faible ; il en est de même, en général, pour le parent non porteur de la délétion à cause de l’homogamie des unions. Lorsque la délétion est familiale, le niveau d’éducation de la famille est plus bas, ainsi que le développement cognitif de l’enfant. On retrouve donc la relation, par ailleurs très connue, entre QI et niveau d’éducation des parents. Ceci n’a rien d’étonnant : les processus psychologiques qui touchent les enfants au développement typique touchent évidemment également les enfants porteurs d’une anomalie génétique.
32Un second exemple est pris avec le syndrome de l’X Fragile. Ce syndrome est dû à une mutation située sur le chromosome X. Son mode de transmission est complexe car la mutation complète est due à une expansion du nombre de répétitions de trinucléotides (CGG : cytosine, guanine, guanine) à l’intérieur du gène FMR1 (fragile X mental retardation-1) – plus exactement dans son premier exon. La taille normale des répétitions CGG est très polymorphe (entre 6 et 54, ou 5 et 50 selon les auteurs) avec comme valeur la plus fréquente : 30. Le plus souvent, les répétions CGG sont polymorphes mais héritées de manière stable. Il existe toutefois des cas où le nombre de répétitions augmente. Chez la femme (mais pas chez l’homme), on peut observer un allongement de la séquence des trinucléotides d’ascendantes (l’expansion de la séquence ne touche que les femmes) à descendants (fils ou filles). Ce phénomène explique l’anticipation observée pour le syndrome qui se traduit, dans les familles, par une augmentation du nombre de personnes déficientes intellectuelles dans les générations successives. Chez les personnes les plus atteintes, les répétitions CGG sont supérieures à 200 (on parle de mutation complète). Comme les garçons n’ont qu’un seul X, ils sont plus fortement atteints par la mutation (Carlier & Ayoun, 2007). Le phénotype se caractérise par un retard de développement cognitif avec des aptitudes langagières particulièrement touchées. Warren et al. (2010) montrent que la sensibilité des mères aux réactions de leurs enfants prédit, dans une certaine mesure, le développement du langage chez les jeunes enfants porteur de la mutation. On retrouve un lien mis en évidence en psychologie hors du champ de la déficience intellectuelle. Mais là où les choses se compliquent c’est que la mère de l’enfant porteur de la mutation porte elle-même, non pas une mutation complète, mais une mutation partielle (on parle de prémutation car le nombre de répétitions CGG sur le site X fragile d’un de ses chromosome X est inférieur à 200 mais supérieur à la normale). Cette prémutation peut affecter ses aptitudes à la communication. Donc, non seulement, l’enfant est porteur d’une mutation qui affecte le développement de son langage, mais en sus, la mère est elle-même porteuse d’une pré-mutation qui peut affecter ses aptitudes à communiquer avec son enfant, créant ainsi une sorte de cercle vicieux.
33Le troisième et dernier exemple concerne le syndrome de l’alcoolisme fœtal et illustre non plus les corrélations génotype-environnement mais les interactions génotype-environnement. On a déjà présenté ce syndrome sans apporter une information fondamentale. Moins de 10 % des femmes alcooliques pendant leur grossesse ont des enfants présentant le syndrome d’alcoolisme fœtal. Comment expliquer cette forte variabilité de la sensibilité des fœtus à l’alcool ? Une des explications tiendrait dans l’existence de différences génétiques aussi bien chez le fœtus que chez la mère. L’alcool déshydrogénase (ADH) est le principal enzyme qui catalyse l’oxydation de l’éthanol en acétaldéhyde. Il existe trois polymorphismes pour le gène ADH1B. La présence des allèles ADH1B*2 ou ADH1B*3 offriraient une protection contre les effets tératogènes de l’alcool ; ce qui ne serait pas le cas pour l’allèle ADH1B*1 (Warren et Li, 2005). Evidemment le rôle d’autres gènes candidats est hautement probable et d’autres recherches sont en cours.
Conclusion
34Cette brève revue de question ne peut donner qu’un pâle reflet de la richesse des travaux sur la DI. Je terminerai par quelques remarques qui montrent que les résultats des recherches dépassent le cercle relativement restreint des spécialistes du domaine. Nonobstant les difficultés rencontrées dans la mesure de la DI, des centaines de publications attestent que les profils psychologiques et neuropsychologiques des personnes présentant une DI diffèrent en fonction de l’anomalie génétique dont elles sont porteuses, et que la variabilité intragroupe est très grande. Les parents qui se mobilisent dans les associations en sont tout à fait conscients et demandent que les actions éducatives soient adaptées non seulement aux caractéristiques des troubles mais aussi aux profils individuels des patients. Parallèlement, un travail en profondeur doit être mené, aussi bien dans la population générale, qu’auprès des personnels de santé pour lutter contre la stigmatisation des personnes avec DI – stigmatisation dont le ressort est bien souvent fondé sur l’adhésion à des stéréotypes (Enea-Drapeau, 2013). Par ailleurs la stratégie qui consiste à comparer des groupes d’enfants porteurs d’anomalies génétiques différentes permet d’aller au-delà de la recherche des relations causales entre gènes et comportements. En effet, elle permet de répondre à des questions d’ordre beaucoup plus général touchant aussi bien au développement atypique qu’au développement typique. J’en donne ici quelques exemples.
35McDuffie et Abbeduto (2009) comparent le développement du langage chez trois groupes d’enfants. Les uns sont porteurs de trisomie 21, les autres de la mutation Fragile X et les autres de la délétion caractérisant le syndrome de Williams-Beuren. Ils concluent que les relations entre le développement du langage et celui de la cognition diffèrent entre les trois groupes. Annaz, Karmiloff-Smith, Johnson et Thomas (2009) comparent le développement de la reconnaissance des visages chez des enfants porteurs d’autisme, de trisomie 21 ou de syndrome de Williams-Beuren. Des profils de développement atypiques sont observés dans chaque groupe et ces profils diffèrent entre eux. Ces deux études illustrent un concept clé de la psychologie différentielle : la vicariance des processus (Reuchlin, 1978).
36La même stratégie de comparaison entre groupes de patients est utilisée par Carlier et al. (2011). Les auteurs s’interrogent sur la signification du lien, souvent décrit dans la littérature, entre latéralité atypique et DI. Est-ce une relation causale (de la DI à la latéralité) ? Ils comparent les patterns de latéralité pour la main, le pied et l’œil entre trois groupes d’enfants caractérisés chacun par une anomalie génétique (trisomie 21, syndrome de Williams-Beuren, syndrome de Di George), plus un groupe d’enfants au développement typique. Ils concluent à l’existence d’un seuil de niveau cognitif au-dessous duquel la latéralité serait atypique. Ceci conforte l’idée d’une relation causale entre la cognition et la latéralité, mais uniquement chez les personnes avec DI.
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Notes de bas de page
2 "Down's Syndrome is an appropriate alternative for Mongoloid Idiocy until the chromosome abnormality in the disorder has been fully elucidated and a new scientific term has been coined."
3 Le nombre de gènes inclus dans la délétion la plus commune est fonction de la date de publication et de la découverte de nouveaux gènes, mais il est toujours faible.
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