Variabilité individuelle et développement de la compréhension des intentions : l’exemple des taquineries
p. 187-198
Texte intégral
Introduction
1En psychologie du développement socio-cognitif, les recherches concernant les capacités des enfants à comprendre les intentions d’autrui ont intégré des tâches de taquineries – ou de dissimulation – et de violation des attentes (Behne, Carpenter, Call et Tomasello, 2005 ; Carpenter, Pennington et Rogers, 2002 ; Carpenter, Nagell, et Tomasello, 1998 ; Charman et al. 1997, 2000, 2003 ; Phillips, Baron-Cohen et Rutter, 1992 ; Striano et Rochat, 1999 ; Striano et Vaish, 2006). En effet, les situations de « taquineries » sont un moyen d’étude de la compréhension par le jeune enfant de la « causalité intentionnelle » : l’enfant comprend-t-il les intentions de l’adulte qui le taquine ? L’enfant comprend-t-il aussi que l’adulte peut s’opposer à sa propre intention d’agir ? Dans ce contexte, deux tâches « taquines » sont utilisées :
- le « retrait » d’objet offert à l’enfant par l’adulte ;
- le « blocage » de la main de l’enfant au moment où il prend un objet.
2La mesure canonique, aujourd’hui, déterminant la compréhension par l’enfant des intentions de l’adulte est l’orientation du regard référentiel de l’enfant vers l’adulte dans les 5 secondes après l’acte taquin. Ce pattern prototypique a été défini par Phillips et al. (1992) : le regard après l’action serait utilisé par l’enfant pour clarifier le but de l’adulte en vérifiant la direction de son regard. Ce serait le signe que l’enfant comprend qu’il y a taquinerie. Dans ce contexte, dès 7 mois (mais pas avant), les enfants semblent comprendre les intentions taquines des adultes puisque l’on observe le pattern prototypique de cette compréhension. Toutefois quelques questions se posent. Premièrement, Striano et Vaish (2006) et Behne et al. (2005) notent qu’ils n’ont pas inclus 30 enfants dans leurs études en précisant qu’ils ne s’intéressaient pas aux tâches. Toutefois, nous ne savons pas ce qui indique le désintérêt des enfants : une absence de regard vers l’adulte ? Mais, dans ce cas où se porte leur regard ? Parallèlement, bien que Behne et al. (2005) aient créé un index pour chaque enfant, les différences individuelles n’apparaissent pas dans les commentaires, seuls les résultats globaux sont rapportés. Deuxièmement, comment le pattern attentionnel prototypique peut-il être le même pour deux tâches qui, de notre point de vue, sont de nature différente (Lemerise et Dodge, 2000 ; Lewis et Ramsay, 2005) ? D’ailleurs, lors d’une étude longitudinale de 24 enfants entre 9 et 15 mois, Carpenter et al. (1998) ont observé – mais sans le commenter – un décalage systématique dans l’âge d’apparition du pattern prototypique lors de ces deux tâches, le pattern prototypique apparaissant d’abord lors des situations de retrait.
3Pour finir, bien que ces études utilisent un paradigme dit « interactif », le mode de communication instauré est le plus souvent artificiel. Par exemple, la tâche en elle-même dure 30 s et est située au milieu de sessions qui durent de 30 à 60 mn, ces sessions regroupant trois (Striano et Rochat, 1999 : still-face, joint engagement, attention following) à onze tâches différentes (Carpenter et al., 1998, Étude1 : joint attention, imitative learning, communicative gestures, object permanence, etc.). Nous sommes bien loin d’un contexte « écologique » d’interaction spontanée entre deux partenaires.
4Ainsi, afin d’étudier le développement de la compréhension des intentions entre 6 et 36 mois, notre objectif global a été d’introduire ces situations de « taquineries » dans un contexte familier à l’enfant, au cours de jeux interactifs adulte-enfant basés sur le turn-taking. Afin de répondre aux questions soulevées précédemment, nous nous sommes intéressées notamment à la dynamique attentionnelle, à la différence de nature des tâches « taquines » et aux différences individuelles. Dans cette perspective, la dynamique attentionnelle a été prise en compte en identifiant l’orientation du regard de l’enfant 5 secondes avant, 5 secondes pendant, et 5 secondes après l’acte taquin. Il était attendu que plusieurs « patterns » attentionnels de réponses se dégageraient pour chaque tâche et que certains seraient plus spécifiques à un âge donné. De plus, nous avons posé que les deux taquineries sont de nature différente. En effet, le « retrait 1 » d’un objet offert par l’adulte à l’enfant est une action distale et met l’accent sur l’intention de l’adulte : elle induit une interrogation et un regard vers l’adulte. Le « blocage2 » de la main de l’enfant dans sa prise d’objet est une action intrusive et met l’accent sur l’intention de l’enfant : elle induit une suractivité sur l’objet ou une inactivité. Dans ce contexte, notre hypothèse était que le « retrait » incite l’enfant à regarder l’adulte alors que « le blocage » l’incite à regarder l’objet ou ailleurs.
5Il s’agissait également de prendre en compte le développement des capacités de régulation des enfants. Ainsi, relativement à la littérature (Dodge 1989), nous pouvions attendre des comportements différents en fonction de l’âge des enfants :
- solliciter l’adulte pour désamorcer un malentendu ou pour demander de l’aide avec des regards ou des vocalises était attendu chez les plus jeunes enfants (6-12 mois) ;
- utiliser des comportements d’auto-régulation comme se distraire avec d’autres objets apparaîtrait vers 18-24 mois ;
- inhiber sa réaction première, parler et se défendre apparaîtraient vers 36 mois.
6Par contre, à âge égal, les capacités de régulation des enfants sont peut-être inégales, tous les enfants d’un âge donné ne devraient pas se retrouver dans un même profil.
Méthode
Participants
7Nous avons pu observer 60 enfants de 6 à 36 mois recrutés en crèche avec le consentement des parents. La population est divisée en 5 groupes en fonction de l’âge des enfants : 12 enfants de 6 mois (m = 6 ; 7) ; 12 de 9 mois (m = 9 ; 4) ; 12 de 12 mois (m = 12 ; 5) ; 12 de 24 mois (m = 23 ; 10) ; 12 de 36 mois (m = 35 ; 1).
Procédure
8Les parents n’étaient pas présents durant l’observation. Toutes les séances ont duré 10 minutes et ont été filmées. Au début des séances, l’expérimentateur3 et l’enfant, assis sur le tapis de sol, jouent ensemble jusqu’à ce que l’enfant se sente à l’aise. Le jeu interactif commence avec le jeu du « clown et du cône » pour les enfants de 6 et 9 mois, et avec un jeu de construction « Lego » pour les enfants de 12-, 24-et 36-mois.
9Trois essais de chaque situation test, « retrait d’objet offert par l’adulte » et « blocage de la main de l’enfant », ont été présentés de façon aléatoire au cours du jeu interactif. Des objets nouveaux et inattendus (cubes animés, poupée magnétique, bols fluorescents) sont cachés dans une pochette et sont sortis exclusivement pour les essais tests. L’expérimentateur ponctue le début de chaque essai par un « Oh regarde ! » à l’enfant et il garde un visage neutre mais bienveillant pendant les 6 essais. Pour le retrait d’objet, l’objet est offert et tendu à l’enfant puis retiré pendant 5 secondes. Pour le blocage de la main, l’objet est tendu à l’enfant et le blocage de la main survient quand l’enfant manipule l’objet.
Mesure
10L’orientation du regard de l’enfant a été relevée 5 secondes avant chaque essai, 5 secondes pendant l’essai, et 5 secondes après l’essai (c’est-à-dire le retrait ou le blocage). Le regard de l’enfant peut être orienté vers l’adulte, l’objet cible, un autre objet, ou ailleurs.
Codage
11Pour chaque enfant 3 épisodes de « retrait » et 3 épisodes de « blocage » ont été analysés seconde par seconde ce qui donne au total 180 épisodes de « retrait » et 180 épisodes de « blocage » pour l’ensemble de la population.
Résultats
12Nous avons tout d’abord mené une analyse « classique » telle qu’utilisée habituellement dans la littérature. Nous avons ainsi mené une analyse des temps moyens de regard 5 s après la « taquinerie » en fonction des 4 directions possibles (adulte, objet cible, objet autre, ailleurs), des 5 groupes d’âge et des 2 tâches. Cette analyse a été complétée par des procédures bayésiennes qui permettent d’apprécier la grandeur de l’effet (Lecoutre et Poitevineau, 20004).
13Afin d’alléger notre propos, nous nous centrons ici sur 2 directions possibles du regard : vers l’adulte et vers l’objet cible. À tout âge – excepté à 24 mois – les enfants regardent significativement plus l’adulte durant la situation de « retrait » (M = 2 s) que durant la situation de « blocage » (M = 1 s). Parallèlement, les enfants regardent plus longuement l’objet cible durant la situation de « blocage » (M = 2.8 s) que durant la situation de « retrait » (M = 3.5 s). L’analyse statistique révèle un effet d’interaction entre le facteur « âge » et le facteur « tâche » concernant le temps de regard sur l’adulte [F (4.55) = 7.60, p < .0001, Pr|d/s| >.66 =.99] et le temps de regard sur l’objet cible [F (4.55) = 2.51, p < .05, Pr|d/s| >. 66 = .64]. Ainsi, conformément à notre première hypothèse les deux situations suscitent des réactions différentes (sauf à 24 mois) : le « retrait » incite l’enfant à regarder l’adulte alors que « le blocage » l’incite à regarder l’objet.
14Nous pouvons également remarquer que, toutes tâches confondues, les enfants de 36 mois sont ceux qui regardent le plus l’adulte durant les 5 s qui suivent la taquinerie (2.7 s contre 1.2 s en moyenne chez les autres enfants). Cette différence est significative et peut être considérée comme importante [F (4.55) = 4.98 ; p = .002, Pr|d/s| >. 66 = .99]. De même, les enfants de 12, 24 et 36 mois regardent plus longuement l’objet cible (M = 3.8 s) que ceux de 6 et 9 mois (M = 2.2 s), cette différence étant significative et importante [F (4.55) = 9.48 ; p = .0001, Pr|d/s| >. 66 = 1]. Le développement se traduit donc globalement par des temps de regard de plus en plus longs sur l’objet cible et l’adulte.
15Cette première analyse permet de souligner la différence de nature des deux tâches utilisées ici. Toutefois, nous pouvons souligner deux limites. Premièrement, les écart-types importants au niveau des temps de regard indiquent des différences inter-individuelles à chaque niveau d’âge ; différences non prises en compte par l’analyse globale. Deuxièmement, cette analyse néglige l’organisation dynamique du regard avant, pendant et après l’acte taquin. Afin d’y remédier nous avons mené une analyse des protocoles individuels.
Analyses individuelles
16Pour rappel, la dynamique attentionnelle a été abordée par le codage de l’orientation du regard vers les 4 pôles possibles 5 secondes avant, 5 secondes pendant et 5 secondes après la taquinerie. Afin de rendre compte de la nature différente des deux situations (retrait vs blocage), nous avons mené une analyse séparée de ces deux tâches. Les analyses des protocoles individuels ont permis de dégager quatre patterns de réponse différents pour la taquinerie « retrait » et cinq pour la taquinerie « blocage ».
Taquinerie « retrait »
17Au cours des 3 essais de la situation, il y a 3 périodes de mesures : avant, pendant et après le retrait de l’objet. À chaque période, l’enfant peut diriger son regard vers l’adulte (A), vers l’objet cible (Oc), vers un autre objet (Ox) ou ailleurs (X). Afin de connaître la façon dont chaque enfant répartit son attention sur ces 4 pôles au cours des 3 périodes de la situation, nous avons calculé la fréquence moyenne de temps de regard vers chacun de ces 4 pôles. Nous obtenons ainsi un protocole par enfant, c’est-à-dire 60 protocoles individuels au total. Une analyse qualitative de l’ensemble des protocoles nous a permis de définir 4 profils particuliers permettant de regrouper tous les enfants de notre étude. Des analyses inférentielles (t de Student et ANOVA) ont permis de confirmer l’aspect significatif des différences de taux de regard observées à l’intérieur de chaque profil.
18Les 21 enfants du premier profil R1 (cf. figure 1) regardent significativement moins l’adulte avant [t (20) = - 6.97, p <. 0001] et après [t (20) = - 8.72, p < .0001] que durant la taquinerie. L’intérêt pour l’objet cible est significativement plus important avant [t (20) = 7.49, p < .0001] et après [t (20) = - 8.72, p < .0001] que pendant la taquinerie. Durant la dissimulation, l’enfant regarde significativement plus l’adulte que l’objet cible [t (20) = -5.58, p < .0001].
19Les 20 enfants du profil R2 (cf. figure 2) sont plus intéressés par l’objet cible que par l’adulte avant [t (19) = 7,04, p < .0001], après [t (19) = -8,81, p < .0001], mais aussi durant l’acte de taquinerie. L’intérêt des enfants pour l’objet cible reste supérieur à celui pour l’adulte durant le retrait de l’objet [t (19) = 5.00, p < .0001].
20Les 8 enfants du profil R3 (cf. Figure 3) regardent toujours plus l’objet cible que l’adulte au cours des 15 secondes de codage mais l’intérêt pour l’objet cible diminue [t (7) = 2.36, p < .05] tandis que l’intérêt pour l’adulte augmente significativement [t (7) =-3.50, p <. 009]. Ainsi, avant la taquinerie les enfants sont significativement plus intéressés par l’objet cible que par l’adulte [t (7) = -3.93, p < .005] mais la différence n’est plus significative après la taquinerie.
21Les 11 enfants du profil R4 (cf. Figure 4) se caractérisent par un très faible intérêt pour l’adulte tout au long de la situation. Le taux de regard vers l’adulte est toujours inférieur aux autres pôles [t (10) = 3.27, p <. 008], d’ailleurs, deux enfants de ce profil ne regardent jamais l’adulte. L’intérêt pour l’objet cible diminue significativement durant la taquinerie [F (2.20) = 11.03, p < .0006] le regard étant plus orienté vers l’autre objet [F (2.20) = 4.99, p < .01].
Taquinerie « blocage »
22De façon identique nous avons calculé la fréquence moyenne de temps de regard vers chacun des 4 pôles possibles. Une analyse qualitative des 60 protocoles individuels nous a permis de définir 5 profils particuliers permettant de regrouper tous les enfants de notre étude. 4 profils (B1, B2, B3 et B4) sont similaires à ceux observés dans la situation de retrait avec toutefois une répartition différente des enfants. Nous avons en effet 7 enfants dans le profil B1, 12 enfants dans le profil B2, 9 enfants dans le profil B3 et 22 enfants dans le profil B4. Concernant ce dernier profil, 7 enfants sur les 22 ne regardent pas du tout l’adulte durant la situation. Les 10 enfants du profil B5 – spécifique à la situation de blocage – sont significativement plus intéressés par l’objet cible que par l’adulte au cours des 15 secondes de codage [t (9) = 9.60, p <. 0001] (cf. figure 5). De plus, durant le blocage l’intérêt pour l’objet augmente encore [t (9) = -2.93, p < .01] alors que l’intérêt pour l’adulte disparait [t (9) = 5.11, p < .0006].
23En regardant la répartition des enfants à l’intérieur des profils en fonction de leur âge (cf. figure 6), nous pouvons noter que durant la situation de retrait les profils R1 et R2 sont très présents. Néanmoins, regarder l’adulte de façon prépondérante pendant la tâche (R1) diminue avec l’âge, alors que jeter juste un coup d’œil à l’adulte pendant la tâche (R2) augmente entre 24 et 36 mois. Ainsi, avec le développement, un bref coup d’œil permet à l’enfant de réguler la situation.
24De même, regarder plus longuement l’adulte après la tâche (R3) est un pattern utilisé entre 9 et 24 mois uniquement. Regarder très peu l’adulte durant toute la situation (R4) est un pattern présent à tous les âges mais particulièrement à 24 mois. À cet âge, l’enfant s’autorégule en s’intéressant à d’autres objets que la personne à l’origine de la taquinerie.
25Pendant la situation de blocage, regarder l’adulte (profils B1 et B2) est beaucoup moins fréquent que dans la situation précédente. Toutefois, la fréquence de ce profil augmente à 24 et 36 mois (cf. figure 6). Regarder plus longuement l’adulte après la tâche (B3) est présent à 6 et 9 mois uniquement et regarder très peu l’adulte est caractéristique de la première année mais reste encore fréquent à 24 et 36 mois dans cette situation de blocage. Le profil spécifique B5 (arrêter totalement de regarder l’adulte pendant la tâche) est présent à tous les âges, particulièrement à 12 mois.
26De plus, nous avons constaté une stabilité dans l’utilisation du même profil attentionnel dans les deux tâches assez tardivement dans le développement. En effet, les changements de type de profils sont d’autant plus fréquents que l’enfant est jeune (cf. tableau 1).
ÂGE | n | % |
6 mois | 1 | 8 |
9 mois | 3 | 25 |
12 mois | 1 | 16 |
24 mois | 6 | 50 |
36 mois | 8 | 67 |
Discussion
27Cette étude a permis de mettre en évidence deux résultats intéressants. Tout d’abord, l’analyse des profils individuels a permis de montrer qu’à tous les âges entre 6 et 36 mois, il y a une grande variabilité des réponses des enfants aux taquineries des adultes. Si certains, à 6 mois et jusqu’à 36 mois, utilisent un regard référentiel pendant ou après un acte inattendu, d’autres restent très concentrés sur l’objet cible et peuvent aussi ne pas s’intéresser à l’adulte. Ceci peut expliquer le nombre important d’enfants éliminés dans les études précédentes sous prétexte qu’ils s’ennuyaient ou qu’ils se désintéressaient des tâches (Striano et Vaish, 2006 ; Behne et al., 2005). D’une part, notre observation confirme que certains enfants de 6 mois manifestent des capacités d’attention conjointe et de regard référentiel comme certaines études l’ont suggéré (D’Entremont, Hains et Muir, 1997 ; Tremblay et Rovira, 2007). D’autre part, Reddy (2007) suggère que les expériences de « faux » actes intentionnels au cours de leur engagement avec autrui se développent simultanément aux « vrais » actes d’engagement intentionnel. Il est alors possible de penser que tous les enfants de 6 à 36 mois sont inégaux dans le développement des actes de communication « vrais » et « faux » ou taquins.
28Le deuxième résultat intéressant de cette étude concerne la différence, à tous les âges, des profils attentionnels des enfants en fonction de la nature des deux tâches de retrait et de blocage. Ce résultat confirme et approfondit le constat de Carpenter et al. (1998). La majorité des enfants de l’étude regardent l’adulte durant l’action taquine de retrait (profils R1, R2, B1, B2) et non après (profils R3 et B3), comme cela est habituellement souligné dans la littérature. Ainsi, c’est durant la taquinerie que l’enfant se réfère à l’adulte. Nous avions précisé que le retrait d’un objet offert à l’enfant par l’adulte oblige l’enfant à prendre en compte la nouvelle intention de l’adulte. Cette taquinerie est distale et facilite le va-et-vient du regard entre l’adulte et l’enfant. Certains enfants ignorent l’adulte avant, pendant et/ou après la taquinerie de retrait, et ceci peut signifier qu’ils sont plus préoccupés par le contenu de l’échange que par l’engagement avec l’Autre (pourvu d’intentions). En revanche, quand la taquinerie modifie l’intention de l’enfant concentré sur un objet comme le blocage de sa main, alors, massivement, les enfants de tous âges ne regardent l’adulte ni avant, ni pendant, ni après la taquinerie. Ce profil de réponse augmente entre 6 et 12 mois (90 % des enfants de 12 mois sont dans les profils B4 et B5) et reste encore présent à 24 et 36 mois (30 % environ des enfants). Ce résultat est en accord avec l’étude de Carpenter et al. (1998) qui montre que les enfants regardent plus l’adulte durant le retrait que durant le blocage. Cette différence de profils attentionnels dans les deux tâches remet en question les critères de mesure de la compréhension des intentions.
29La compréhension des intentions d’autrui est, à ce jour, exclusivement mesurée par le biais du regard référentiel de l’enfant dans les 5 secondes qui suivent une taquinerie. Si nous avions respecté cet unique critère, peu d’enfants de notre échantillon auraient rempli les conditions nécessaires pour inférer une compréhension des intentions d’autrui et de ses propres intentions. Ce travail montre l’utilité de prendre en compte la dynamique de l’orientation des regards de l’enfant avant, pendant et après une taquinerie et de différencier la compréhension des intentions d’autrui de la compréhension de ses propres intentions. Nous pensons de plus qu’il serait utile d’inclure dans les critères de compréhension de ces deux types d’intentions, les comportements émotionnels qui accompagnent les profils attentionnels. Ce critère supplémentaire fera l’objet d’un autre travail, mais nous pensons d’ores et déjà qu’il modifie les possibilités de la mesure de la compréhension de ses propres intentions et celle des autres.
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Références
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Notes de bas de page
1 Cette situation a été observée pour la première fois par Reddy (1991) à l’initiative d’enfants de 10-11 mois et associée à des émotions positives.
2 Cette situation de blocage a été utilisée par Phillips, Baron-Cohen et Rutter (1992). Dans ce cas, on bloque l’intention de l’enfant qui regarderait l’objet puis l’adulte. De plus, les émotions seraient plutôt négatives.
3 L’expérimentateur est connu de l’enfant, une phase de familiarisation préalable ayant été mise en place 15 jours avant la session.
4 Les procedures Bayesiennes permettent d’estimer a posteriori l’effet ou la difference vraie (d) avec une garantie de .90. Nous avons etabli nos conclusions sur l’effet calibre (difference observee/ecart type c’est-a-dire d/s). En accord avec Corroyer et Wolff (2003), nous avons retenu comme critere que (Pr|d/s| < 0.33) = .90 pouvait etre considere comme negligeable. Cela veut dire que l’on peut estimer avec une garantie de .90 que l’effet calibre vrai (d/s) sera inferieur a une valeur de 0.33. Parallelement, nous avons pose que (Pr|d/s| > 0.66) = .90 pouvait etre considere comme notable, c’est a dire que l’on peut estimer avec une garantie de 0.90 que (d/s) sera superieure a une valeur de 0.66.
Auteurs
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