Points de vue des enfants de moins de 6 ans sur la vie à l’école d’un camarade handicapé : adaptation des méthodes des « focus groupes » et des « photographies commentées »
p. 141-154
Texte intégral
Introduction
1Les politiques d’intégration des enfants à besoins spécifiques liés à leur situation de handicap se différencient des démarches d’inclusion à l’égard de ces mêmes personnes. L’intégration ou insertion prévoit un ajustement du lieu d’accueil en termes d’accessibilité, d’aménagement de l’espace de travail scolaire, de définition d’emplois du temps adaptés, de mise en œuvre de projets pédagogiques individualisées, etc. Il s’agit pour l’institution d’assimiler les cas singuliers dans le cadre général de son fonctionnement. Moyennant ces adaptations, l’enfant est attendu de se conduire en élève dans un lieu prévu pour des enfants typiques. L’inclusion inscrit pour sa part la diversité intra et interindividuelle comme une règle humaine naturelle. Le système d’accueil et d’éducation est d’emblée construit pour que « tous les membres du groupe, quelles que soient les caractéristiques individuelles de ceux-ci, vivent ensemble » (Detraux, 2001). À ce jour, la plupart des pays européens ont développé des politiques pour optimiser l’intégration des enfants en situation de handicap dans l’école. En France, la loi de février 2005 pose le respect de l’égalité des personnes, quel que soit leur âge, comme nécessaire pour éviter la discrimination.
2Ces enjeux d’éducation des enfants, qui s’inscrivent dans les préoccupations de la psychologie du développement et de l’éducation (Mellier, 2011), ont induit des travaux de recherche pour définir avec plus de clarté les besoins spécifiques des enfants, en particulier en matière d’apprentissage académique du langage écrit et du nombre (Gombert et Rousey, 2007 ; Rondal et Comblain, 2001). Ils ont aussi conduit à analyser les points de vue des enseignants sur l’intégration de ces enfants dans l’école (Tsao et Jardin, 2009 ; UNAPEI IPSOS, 2008) ainsi que celui des parents (Carlier et Ayoun, 2007 ; Mahé, 2005). D’autres travaux décrivent les parcours des enfants dans l’école. Ils remarquent alors que les enfants en situation de handicap fréquentent l’école maternelle sur une durée hebdomadaire très fortement variable (de 2 heures à 4 jours), et qu’ils sont maintenus une ou deux années complémentaires en grande section sans que cela aboutisse à l’entrée en CP1 (Marini, 2011). Enfin des travaux envisagent la dimension sociale de l’intégration scolaire. Ils examinent comment les enfants sont immergés dans les réseaux de communications entre pairs d’âge lors des activités récréatives et comment se déroulent les interactions. Nadeau et Tessier (2003) ont à ce propos conclu que les enfants avec déficience motrice sont plus souvent victimisés que les autres enfants, qu’ils sont plus souvent en retrait social, nouent moins de liens de camaraderie. Chez les enfants de fin de cursus primaire puis de collèges, des enquêtes interrogent les perceptions d’autrui avec, en particulier, l’accent porté sur la représentation sociale des jeunes handicapés selon la distance sociale entretenue (dans la même classe, le même établissement, etc.). Les résultats concluent que le partage d’espace et d’activités entre jeunes valides et handicapés modifie positivement la perception des valides à l’égard des handicapés sur la période comprise entre la rentrée scolaire et la fin de second trimestre. Les réponses des collégiens reproduisent alors beaucoup moins les stéréotypes relevés aux premiers sondages. C’est sur ce plan que nous avons mené une étude des représentations d’autrui handicapé chez les enfants scolarisés en école maternelle.
3La démarche générale de la recherche s’affilie aux travaux conduits pour connaître le point de vue subjectif de la personne sur son expérience de vie. Elle se réfère à la notion de qualité de vie, surtout développée dans le champ de la santé (Manificat, Dazord, Cochat et Nicolas, 1997).
4En effet, dans le cadre de traitements de maladies chroniques, cancers, ou situation handicapantes, saisir les représentations que les personnes ont de leur qualité de leur vie permet aux professionnels d’établir ou de prévenir les conséquences d’un traitement, d’une maladie ou d’un handicap. Les recherches qualitatives visant à refléter la perception que les personnes portent sur leur propre qualité de vie ont recours aux questionnaires d’auto évaluation (Qualité De Vie Subjective : Najman et Levine, 1981). Leur perception est alors questionnée sur les dimensions du bien-être émotionnel, social, matériel et physique ainsi que l’estime de soi et l’auto-détermination (Colver, 2008) ou encore la sphère émotionnelle (anxiété, tristesse…) et la sphère sociale, les relations professionnelles, familiales (Dazord, 2002 ; Leplège, 1999), l’estime de soi, la capacité à exprimer des émotions, de l’attachement, des préférences, des souhaits et des aspirations (Rondal et Comblain, 2001).
5De très nombreux outils (auto ou hétéro questionnaires) ont été réalisés dans le champ de la santé et en particulier pour les personnes adultes (Magnificat et al., 1997 ; Colver, 2008). Cependant nous ne relevons aujourd’hui que 4 outils spécifiquement réalisés pour évaluer la représentation des expériences de vie des enfants. Les enfants doivent être considérés dans ce domaine comme des personnes avec des besoins et des expériences particulières, leur qualité de vie se distinguant de celles des adultes et méritant d’être évaluée au même titre (Colver, 2008). Les quelques instruments récents qui s’enquièrent du point de vue des enfants, utilisent pour certains des mots enfantins. Ils tiennent compte du développement émotionnel et des capacités cognitives des enfants interrogés (Ronen, Streiner et Rosenbaum, 2003 ; Waters Davis et Mackinnon, 2007). Toutefois, ces questionnaires sont accompagnés d’une hétéro-évaluation par les parents sauf pour le kidlQol (en cours de validation). Les thèmes abordés sont variés, différents d’un outil à l’autre et parfois communs, tels que les questions portant sur le bien-être physique/santé, psychologique, relatif aux relations familiales ou aux relations sociales. De façon spécifique, la qualité de la vie à l’école est évaluée dans l’AUQUEI par un seul item. Il s’agit pour l’enfant de répondre à la question suivante : « quand tu es à l’école, dis comment tu es ? » De façon similaire, une seule question dans le KINDL évalue cet aspect l’enfant devant se prononcer sur : « La semaine dernière, quand j’étais à l’école, 1. j’ai bien réussi à faire les devoirs/les exercices/à l’école/à la garderie, 2. j’ai bien aimé l’école/la garderie. » Peu d’études et peu d’outils se sont intéressés au point de vue précis, direct et subjectif des enfants eux-mêmes concernant la vie à l’école. Pourtant, il s’agit d’une question cruciale dans le cadre de l’intégration scolaire des enfants en situation de handicap. Ainsi, notre objectif est double : 1) Proposer une méthodologie qui a l’ambition de cerner le point de vue propre de l’enfant en évitant de passer par l’hétéro-évaluation donnée par l’adulte parent ou soignant ; 2) Recueillir les représentations spontanées de la vie à l’école des enfants de moins de 6 ans en auto-évaluation et en hétéro-évaluation par les pairs d’âges2. L’aspect hétéro évaluatif par le point de vue d’un groupe de pairs peut s’avérer intéressant lorsque l’enfant en situation de handicap n’est pas en mesure physique, langagière ou cognitive de pouvoir lui-même en parler (enfants non verbaux ou avec des difficultés cognitives entravant la compréhension, l’expression…).
6Nous proposons de décrire les principes et les résultats obtenus grâce à deux méthodologies de recueil direct des représentations de la vie à l’école maternelle des enfants de moins de 6 ans. Dans un premier temps, nous avons adapté la méthode des focus groupes afin de recueillir le point de vue des pairs (même âge/même lieu) sur la vie à l’école d’un de leur camarade en situation de handicap. Dans un deuxième temps cette étude propose de comparer les représentations de vie à l’école d’enfant en situation de handicap et celles que les enfants ordinaires ont de leur camarade handicapé grâce à la technique de la photographie commentée.
Focus Groupes3
7Le focus groupe est une méthodologie régulièrement utilisée avec les adultes en particulier dans le champ de la santé (Lehoux, Poland et Daudelin, 2006). Cependant, très peu d’informations existent concernant la technique des focus groupes avec les enfants (Hoppe et al. 1995 ; Ronen, Rosenbaum, Lau et Streiner 2001). Les rares recherches qualitatives explorent le domaine de la santé chez les enfants de 6 à 11 ans (Fiese et Bickham, 1998 ; Ronen et al. 2001) ou dans le domaine du placement chez les enfants de 11 à 14 ans (Messing, 2006). Cette méthodologie semble satisfaire les professionnels de santé car elle permet selon Murphy et al. (1998) d’examiner l’étendue des dimensions subtiles qui structurent l’expérience du patient et qui ne s’accorde pas nécessairement avec celles des experts. Les focus groupes permettent de partager des points de vue et des connaissances divergentes. Alors que les enfants peuvent résister à partager des sentiments et ressentis face à l’adulte, ils sont en revanche en confiance dans un groupe de pairs. Les focus groupes sont des espaces de communication, et permettent aux enfants de confronter leurs idées, de dialoguer les uns avec les autres (Markova, 2004). Leurs échanges favorisent une dynamique de réflexion, stimulant les réactions et la liberté de parole, produisant ainsi des informations riches et variées. Le focus groupe permet de privilégier l’opinion de l’enfant et d’observer les interactions entre les enfants et éventuellement les représentations en cours d’élaboration (Kalampalikis, 2004).
8Jusqu’ici les auteurs proposent des focus groupes de 8-9 enfants dont l’âge minimum est de 6 ans (Horowitz et al. 2003 ; Peterson-Sweeney, 2005 ; Ronen et al. 2001). L’utilisation de cette technique chez les jeunes enfants nécessite des groupes homogènes en âge tout au moins afin d’éviter un déséquilibre en terme de compétences au sein du groupe.
Méthodologie
9Nous avons adapté la méthode du focus groupe aux enfants de 5 à 6 ans. L’objectif est de recueillir les perceptions, attitudes et idées spontanées des enfants à propos de la vie à l’école de leur camarade en situation de handicap. Des petits groupes de discussion de 4 à 5 enfants ont été formés. Afin de favoriser le discours de l’enfant lui-même, la discussion se réalise sur la base d’entretiens semi-dirigés, inspirés de la clinique piagétienne. L’animateur lance la conversation par des thèmes relatifs aux temps scolaires, tels que l’arrivée à l’école, la récréation, le temps de classe, la cantine, le retour des parents. Des supports visuels sont utilisés afin de contextualiser les thèmes (Chanoni, 2009 ; Peterson-Sweeney et al., 2005). La discussion commence toujours par une question ouverte (exemple : « Comment ça se passe pour X le matin à l’arrivée ? », « Il aime bien l’arrivée le matin à l’école ? », « Pourquoi ? »). De plus, l’animateur reste attentif à poursuivre le cours de la pensée des enfants en employant leurs propres mots afin de ne pas les influencer, puis les questions deviennent plus précises. Les propos sont ensuite retranscrits et codés afin d’identifier les perceptions spécifiques abordées par les enfants.
Population
1058 enfants de dernière année de maternelle ont participé à 8 focus groupes dont la durée pouvait variée entre 18 min et 1 h 28 min (pour les groupes les plus nombreux et les plus âgés). Les groupes étaient homogènes selon l’âge et selon le niveau langagier évalué par leurs professeures.
11Nous avons retranscrits et analysés 8 focus groupes (entre 4 et 5 enfants par groupe). La moyenne d’âge des focus groupes va de 5 ; 0 ans à 6 ; 1 ans ; le plus jeune enfant à 4 ; 2 ans, le plus âgé à 6 ; 2 ans.
12Les enfants ont parlé à propos de la vie à l’école d’un de leur camarade en situation de handicap qu’ils côtoyaient ou avait côtoyé au moment de l’étude, il s’agissait d’une enfant de 7 ; 7 ans porteuse de trisomie 21 ; d’un enfant âgé de 6 ; 11 ans porteur de trisomie 21 ; d’une enfant porteuse du syndrome de Rubinstein-Taybi (déficience légère) ; d’un enfant de 5 ; 1 ans atteint d’autisme de Kanner ; d’un enfant de 4 ; 10 ans ayant un déficit visuel (amblyopie).
Résultats
13Les résultats témoignent d’un discours varié et centré sur les aspects amicaux et sociaux. En effet, les thèmes de vie scolaire spontanément abordés par les enfants lors des focus groupes, concernent par ordre décroissant les thèmes : socialisation (26.5 %), apprentissage/cognition, comportement/caractère, émotion, santé, performance physique, jeu, contrainte et autonomie. Les enfants évoquent peu le matériel. La différence de répartition des thématiques est statistiquement significative (X2 = 222.57, p < .001).
14Si l’on porte une attention particulière à la valence de ces éléments dans le discours des enfants, les aspects de la socialisation ont statistiquement tendance à être rapportés plus positivement « il dit même bonjour à ma petite sœur » ou « c’est mon copain » que négativement « il veut pas jouer avec nous », (X2 = 3.125, p < .10). La catégorie émotion positive « il est content » est significativement plus évoquée que l’émotion négative (X2 = 12.75, p < .001), les perceptions en terme d’apprentissage sont plutôt à valence négative « il trouve les jeux trop difficiles » ; de même pour ce qui se rapporte aux comportements et au caractère de l’enfant « des fois il donne des coups de pieds ». Les résultats selon les différentes situations de handicap (trisomie 21 ; rubinstein Taybi, autisme Kanner, amblyopie) témoignent du fait que les enfants ont un discours spécifique en fonction des différents handicaps de leur pair. Par exemple, le discours des enfants concernant leur pair porteur de trisomie 21 est centré principalement sur les aspects sociaux (62 % des domaines évoqués) puis l’apprentissage (23 %) alors que les enfants qui s’expriment à propos de leur pair atteint d’un syndrome de rubinstein-Taybi (déficience légère) évoquent d’abord à 40 % la catégorie apprentissage puis à 30 % la socialisation. Les aspects moteurs ou performance physique n’apparaissent que pour l’enfant déficient visuel (12.15 %) alors qu’ils ne sont évoqués qu’entre 0 % et 5 % pour les autres types de handicap.
15Les enfants de moins de 6 ans ont un discours adapté et différencié en fonction de la situation de handicap vécue par leur pair. Il est à noter que l’évocation par les enfants de moins de 6 ans d’un déficit de leur camarade handicapé est extrêmement rare. En revanche, ils sont sensibles à la qualité des relations et des comportements sociaux. Ainsi, la méthodologie des focus groupes semble applicable à des enfants de moins de 6 ans moyennant un aménagement temporel. Il semble en effet que 20 minutes soit le temps maximum au-delà duquel l’attention des enfants les plus jeunes (4-5 ans) n’est plus suffisante.
16Pour conclure sur l’application de cette première méthodologie, nous remarquons premièrement, que les enfants de moins de 6 ans acceptent volontiers l’exercice et deuxièmement, que leur discours à propos de la situation spécifique d’un camarade est varié et riche. Cependant il est difficile d’obtenir des réponses exclusivement centrées sur le camarade en situation de handicap, se représenter la situation d’un autre passe, semble-t-il, impérativement par l’évocation de leur propre expérience de vie. Cela souligne la capacité d’enfants préscolaires à réaliser à la fois une auto et une hétéro-évaluation.
Photographie commentée4
17La méthode est issue de l’ethnométhodologie (Harper, 2002). Elle a été inspirée de l’initiative d’un écrivain photographe en pays Dogon qui a confié son appareil photo à des habitants du plateau et constaté que les clichés et les commentaires donnés différaient singulièrement de ceux des européens dans ce même lieu. Les photographies réalisées et commentées par la personne indiquent ses centres d’intérêt et ses significations de l’environnement indépendamment de l’effet d’imposition engendré par les questions du chercheur (Danic, Delalande et Rayou, 2006). La méthode a été formalisée (Banks et Marcus, 2001 ; Collier et Collier 1986) puis étendue dans diverses recherches qui ont concerné la pauvreté en Amérique du sud et surtout actuellement des questions de santé comme le surpoids et l’obésité morbide (Johnson et al., 2011). Danic et al. (2006) l’ont appliquée à la représentation de la ville par des enfants de 6 ans.
18L’intérêt de la méthode est à la fois de permettre aux personnes interrogées de choisir les contenus imagés et de les inciter à donner des commentaires qui, en accord avec Barthes (1985), distinguent ce qui relève du contenu objectif de la photographie et ce qu’il en est du contenu subjectif. Ainsi, l’utilisation de la méthode nous a semblé pertinente pour comprendre comment les enfants en situation de handicap perçoivent les qualités positives ou négatives de l’environnement préscolaire où ils sont intégrés. Nous avons supposé que le jeune âge des enfants ne serait pas un obstacle à la prise de photographies numériques dans la mesure où, désormais, ils sont habitués à cette technique dans le cadre familial. Nous avons aussi estimé, en reprenant les principes de l’entretien piagétien, que la proposition de commenter leurs photographies serait propice à l’expression des points de vue sur l’école dans ses aspects positifs ou non. Reste à savoir si des enfants de moins de 6 ans sont en mesure aussi de prendre et de commenter des clichés que prendrait un camarade handicapé. La faisabilité de la recherche via cette méthode repose sur la comparaison des contenus et commentaires des photographies selon que l’enfant est en situation de handicap, qu’il est un élève typique de l’école maternelle, ou bien que l’enfant valide photographie et commente à la place d’un pair d’âge handicapé de sa classe.
Procédure
19L’enfant est invité à prendre des photos de ce qu’il aime bien ou n’aime pas bien dans l’école. On lui explique qu’on pourra envoyer les photos à des amis d’une autre école pour leur montrer ce qui est bien et pas bien dans l’école d’ici. Dans le cas des enfants qui photographient à la place de l’enfant en situation de handicap, on explique que l’on veut savoir ce que photographiera et dira son camarade. Seul le prénom du camarade est évoqué, jamais la situation de handicap ou des termes comme « ton camarade en fauteuil roulant » par exemple.
20Les enfants ont chacun pris 20 à 30 clichés dont une douzaine est commentée après transfert des images sur l’écran d’ordinateur. L’ensemble des passations a permis de constituer une photothèque de 544 images dont 350 ont été commentées. Un tiers des clichés concerne la cour de récréation et l’environnement extérieur du bâtiment scolaire (la charpente du préau, les balconnières du bureau de la direction, le mobilier placé dans la cour dont la corbeille à papiers et le container à poubelles). Les autres photos se distribuent en clichés de la bibliothèque, des toilettes, des couloirs et de la classe.
21206 clichés (38 %) proviennent des réponses des enfants typiques ; 74 (14 %) d’enfants en situation de handicap ; 70 (13 %) résultent des hétéro-évaluations où des enfants typiques répondent à la place d’un camarade en situation de handicap.
Résultats
22Les photographies de « ce qui est bien dans l’école » sont classées en trois thèmes :
- récréation : toboggan, bac à sable sont commentés pour leur fonctionnalité et le plaisir des actions « c’est super, ça glisse vite », « c’est bien pour remplir des seaux avec du sable » ;
- arts plastiques : dessin, pinceaux, couleurs sont commentés, « c’est bien, c’est mon dessin on l’a mis sur le mur » ;
- relations sociales et personnes : photos de camarades, d’élève, du professeur « c’est mon copain, il a 5 ans ».
23Les fréquences ne permettent pas de conclure que les thématiques choisies diffèrent entre enfants valides et enfants handicapés ni entre auto et hétéro-évaluation. On ne peut donc pas admettre l’hypothèse selon laquelle les centres d’intérêts manifestés par les enfants handicapés sont différents de ce qu’en savent les enfants valides qui sont invités à photographier et commenter à la place du camarade handicapé.
24Les réponses « c’est pas bien » ou « je n’aime pas » portent sur le mobilier de la cour et l’environnement. Il s’agit d’un meuble ou du local à déchets « c’est pas bien, je sais pas à quoi ça sert » ou « ça sent pas bon » ou encore en hétéro-évaluation « ça lui fait peur ». Des flaques ou des trous du revêtement du sol sont photographiés parce que « y faut pas jouer dans les flaques avec le fauteuil (roulant) », « ça fait mal quand on tombe » ou « c’est pas propre ».
25Tous les enfants commentent le plus souvent les photos « positives » en évoquant les actions, les fonctionnalités. Il est important de remarquer que la répartition des commentaires évoquant les émotions ; les règles et interdits, et les jugements esthétiques « des fleurs parce qu’elles sont belles » est équivalente entre les enfants en situation de handicap et ceux qui ont répondu à leur place en hétéro-évaluation.
26Pour les photos « négatives » les commentaires concernent respectivement les émotions, les règles et jugements esthétiques. La catégorie « actions et fonctionnalité » est quasi absente. On remarque que les réponses des enfants handicapés et celles des enfants qui répondent à leur place sont identiques. L’exemple du trou dans la cour est de ce type. L’enfant commente en interdiction « y faut pas » plutôt qu’en action comme « ça roule pas » ou « ça bloque ».
27Il apparaît donc d’une part que l’exercice de la photographie commentée est réalisable par des enfants d’âge préscolaire, d’autre part que les clichés et commentaires des groupes cibles (enfants en situation de handicap versus enfants typiques qui répondent en hétéro-évaluation) sont ressemblants. Au-delà de valider l’applicabilité de la méthode pour analyser les perceptions de l’environnement scolaire d’enfants de moins de 6 ans, les résultats indiquent que les enfants typiques savent ce qui est positif ou non dans les choix potentiels des pairs d’âge handicapés. Leur perception de leur camarade handicapé est clairvoyante. Les enfants se sont montrés sensibles à la qualité des interactions et des lieux d’interactions avec les pairs typiques ou handicapés.
28À l’étonnement du chercheur, un enfant a photographié le toboggan quand il avait à prendre des clichés à la place d’un enfant en fauteuil roulant. Les commentaires ont justifié la pertinence quand le photographe a expliqué que l’enfant handicapé rit beaucoup quand l’auxiliaire de vie scolaire le fait glisser sur le bas du toboggan.
29Considérant les résultats de ces comparaisons entre groupes d’enfants, on considère que les praticiens de l’intégration scolaire peuvent trouver dans cette méthode des moyens pour situer l’avis des enfants parmi ceux apportés par les adultes parents, professionnels, décideurs. La démarche « photographie » puis « commentaires » est utilisable pour accompagner l’intégration des enfants différents, ici les enfants handicapés. On y trouve un moyen pour évaluer l’évolution des perceptions d’autrui et de l’environnement sur le temps scolaire et un outil pour la recherche en psychologie de l’enfant.
Conclusion
30Cette étude montre l’intérêt des focus groupes et des entretiens à partir de photographies pour renseigner en hétéro-évaluation l’expérience de vie à l’école maternelle des enfants handicapés ainsi qu’en autoévaluation pour renseigner leur propre expérience de vie.
31Ces deux méthodes que nous avons adaptées aux enfants de moins de 6 ans permettent de recueillir des informations riches et variées concernant les expériences de vie à l’école des enfants en situation de handicap. Les résultats témoignent du fait que les jeunes enfants disposent d’une perception circonstanciée et distincte, adaptée à chacun des enfants à propos desquels ils ont été entretenus. Les résultats communs à ces deux études montrent l’intérêt tout particulier des jeunes enfants à la qualité des interactions qu’ils entretiennent entre eux.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Étude conduite à partir des déclarations à la MDPH de Rouen
2 Cette étude a été réalisée dans le cadre d’un projet financé par un Groupe de Recherche Régional « Culture et Société » (2011-2013) concernant l’intégration et l’inclusion des jeunes enfants en situation de handicap dans les dispositifs d’accueil préscolaires hauts normands.
3 Remerciements à Aline Petit et Elise Lebertois pour le recueil des données.
4 Remerciements à Élodie Destinée, Audrey Thenance et Anne-Claire Hourlier pour le recueil des données.
Auteurs
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