Étude comparative intra et inter-âges en vue d’établir des profils de changement stratégique inter-items à l’épreuve des cubes de Kohs
p. 105-117
Texte intégral
Introduction
1Depuis plus de soixante dix ans, l’étude du déclin des compétences cognitives a fait l’objet d’un grand nombre de recherches. Dans ces premiers travaux, Wechsler (1944, p. 54) affirmait, sur les bases de données obtenues à l’aide d’une méthode transversale, que les capacités intellectuelles commençaient à décliner de façon régulière après 25-30 ans. Différentes méthodes ont surmonté la confusion possible entre les changements dus à l’âge et les différences entre les cohortes. Un procédé a été préconisé pour contrôler l’effet des différences entre les cohortes (Birren et Morrison, 1961 ; Green, 1969 ; Kaufman, Reynolds et McLean, 1989). Il consiste à comparer les différences de performances entre les groupes d’âge, en maintenant le niveau d’éducation constant. Ce procédé présente essentiellement l’avantage d’indiquer certaines tendances concernant l’impact de l’âge sur l’évolution des performances intellectuelles, en neutralisant l’effet imputable aux niveaux scolaires. À l’aide de ce procédé, les résultats de la recherche menée par Grégoire (1993) auprès de 700 sujets âgés de 25 à 79 ans, indiquent qu’à niveau d’étude constant, les performances obtenues aux épreuves de l’échelle verbale, restent majoritairement stables, alors que celles obtenues aux épreuves de performance diminuent très nettement à partir de 70 ans. Avant cet âge, la courbe de déclin varie toutefois sensiblement d’une épreuve à l’autre. Aux épreuves de Complètement d’images, d’Arrangement d’images et d’Assemblage d’objets, le déclin est peu sensible avant 70 ans. En revanche, un déclin plus marqué s’amorce dès 65 ans pour l’épreuve du code et l’épreuve de Cubes de Kohs. Notre recherche porte plus particulièrement sur cette dernière. L’épreuve des Cubes fait partie des indicateurs du large groupe « visualisation » (Snow, Kyllonen, Marshalek, 1984) et de l’Indice factoriel d’Organisation Perceptive. Elle sollicite les capacités d’analyse, de synthèse des stimuli visuels abstraits et la capacité à former des concepts non verbaux. Son principe consiste à reproduire des dessins (ou modèles), à l’aide de cubes dont les faces présentent soit un carré rouge, soit un carré blanc, soit un triangle rectangle rouge accolé à un autre blanc.
2Notre intérêt pour l’épreuve des cubes repose sur plusieurs points. Premièrement, comme nous l’avons souligné, cette épreuve enregistre l’une des plus importantes baisses de performance liée à l’âge (Grégoire, 1993). Deuxièmement, les temps moyens pour construire les modèles à neuf carrés et la variabilité interindividuelle augmentent entre 45 et 60 ans (Rozencwajg, Cherfi, Ferrandez, Lautrey, Lemoine, Loarer, 2005). Suggérant d’importantes modifications liées à l’âge des activités mentales, ces augmentations ont conduit ces chercheurs à s’intéresser aux stratégies mises en œuvre par les participants. Trois stratégies de construction ont été identifiées (Rozencwajg, 1991). L’identification est devenue plus aisée à l’aide du diagnostic proposé par la tâche informatisée des carrés « Samuel » (Rozencwajg, Corroyer, Altman, 2001). Lors de la mise en œuvre de la stratégie globale, le modèle à reproduire est perçu comme un tout indifférencié. L’opération de segmentation n’est pas mise en œuvre par le participant. Les carrés sont manipulés par ajustements successifs, par essais et erreurs. La stratégie analytique requière le découpage en n carrés et conduit le participant à placer ceux-ci suivant des lignes ou des colonnes. Enfin, la stratégie synthétique nécessite que le participant privilégie un ordre de placement des carrés dépendant des gestalts dominantes (losange, triangle, bande). L’identification de la stratégie utilisée par le participant est établie par des distances relatives entre différentes mesures telles, la fréquence des regards sur le modèle, l’ordre de placements des carrés, les temps de pause lors de la construction, la segmentation du modèle (Rozencwajg, Corroyer, 2001). Cette identification peut s’effectuer soit sur chacun des modèles construits, soit sur l’ensemble des modèles en vue de déterminer la stratégie privilégiée par le participant. Reposant sur l’étude de ce dernier critère, l’unique recherche effectuée dans ce domaine fait apparaître des modifications stratégiques liées à l’âge (Rozencwajg et al., 2005). En effet, plus de la majorité des jeunes adultes utilisent préférentiellement la stratégie synthétique pour reconstruire les modèles, alors que plus de la majorité des adultes âgés de 60 ans ne privilégient plus celle-ci, mais favorisent la stratégie globale.
3Afin d’apporter de nouveaux résultats, notre recherche examine les changements stratégiques survenant après 60 ans. Dans cette perspective, nous nous sommes référés au cadre théorique de Lemaire et Siegler (1995). Ce cadre distingue plusieurs dimensions : le répertoire stratégique (le nombre et la nature des stratégies disponibles et utilisées), la distribution stratégique (la fréquence des stratégies utilisées), l’exécution stratégique (la vitesse et la précision obtenues avec chaque stratégie), enfin la sélection stratégique (comment choisissons-nous une stratégie parmi plusieurs stratégies disponibles ?). Nous focaliserons notre recherche sur l’étude des deux premières dimensions. Notre objectif principal vise à analyser les variations intragroupes relatives aux changements stratégiques. Plutôt que de reposer sur le critère relatif à la stratégie préférentiellement utilisée par chaque participant à l’ensemble de l’épreuve, nous avons accordé un poids plus important à la variabilité individuelle par l’étude des variations stratégiques inter-items. Cette spécificité permet en effet d’approfondir les questions suivantes : Quel est le pourcentage de participant utilisant la stratégie synthétique, notamment après 60 ans ? Quel est le nombre et la nature des changements stratégiques liés à l’âge ? Le répertoire stratégique reste-t-il inchangé ou subit-il des modifications avec l’avancée en âge ? Quels sont les profils de changement stratégique ? Quelles pourraient être d’une part, les conséquences et d’autre part, les raisons de ce changement survenant avec un âge avancé ?
4Notre recherche s’inscrit donc dans l’étude de la variabilité intra individuelle des changements stratégiques survenant lors de l’avancée en âge. Cette étude comparative apprécie les variations inter-âges, tout en examinant les variations intra-âges. Notre objectif est d’établir des profils de changements stratégiques inter-items à l’épreuve des carrés de Kohs.
Méthode
Sujets
544 adultes ont été testés et divisés en deux groupes d’âge : 22 jeunes (18-24 ans) âgés en moyenne de 21,3 ans (ET : 1.7) et 22 adultes (77-93 ans) âgés en moyenne de 84,9 ans (ET : 4.8). Chaque groupe était composé de 16 femmes et de 6 hommes. Les jeunes adultes présentaient un niveau d’études moyen de 13.6 ans (ET : 1.7) et les adultes âgés, un niveau moyen de 10,6 ans (ET : 1.8). Aucune différence n’était observée à partir des scores d’intelligence cristallisée obtenus à partir du test Mill Hill. Les adultes jeunes présentaient un score moyen de 24.1 (ET : 1.5) et les adultes âgés présentaient un score moyen de 23.1 (ET : 1.7). Aucun des participants ne présentaient des signes de détérioration cognitive. Celle-ci était évaluée par leur performance au Mini Mental State Examination (scores > 27/30). Les jeunes adultes étaient salariés ou sans activité. Les adultes âgés étaient retraités, résidant en foyers logements à Tours. Tous les participants avaient donné leur consentement.
Matériel
6La tâche informatisée des cubes de Kohs « Samuel » a été réalisée par Rozencwajg et al. (2001). Elle consiste à reproduire une série de 10 modèles. Ceux-ci peuvent être composés de figures géométriques telles un losange, un triangle, une bande. La reconstruction s’effectue à l’aide de carrés rouges, blancs et bicolores. L’espace de travail est matérialisé par un écran d’ordinateur divisé en trois parties : le modèle est présenté dans la partie gauche, les carrés sont présentés dans la partie inférieure et l’espace de construction dans la partie droite. Le modèle disparaît dès que le pointeur de la souris n’est plus sur l’icône « présentation du modèle » et réapparait quand celui-ci est reposé sur l’icône. Le participant peut sélectionner l’un des carrés à l’aide du pointeur et le translater dans l’espace de construction pour reproduire le modèle. Ce dispositif permet d’enregistrer toutes les manipulations du sujet pour une analyse ultérieure. Deux niveaux de complexité des modèles (4 carrés vs 9 carrés) sont présentés au sujet. Le premier niveau comporte six modèles. Seuls les quatre modèles du second niveau, permettent l’identification de stratégies différentes, sont retenus pour notre étude.
7Le test de Mill Hill est constitué de 34 mots (Deltours, 1993). Pour chaque mot, le sujet choisit un synonyme à partir d’une liste de 6 mots. Le score maximum est de 34 points.
8Le Mini Mental State Evaluation (Folstein, Folstein et Mc Hugh, 1975) fournit une évaluation rapide de six aptitudes cognitives à l’aide de 30 items : l’orientation spatiale et temporelle, l’apprentissage, l’attention, le calcul, le langage et les praxies constructives. Le score maximum est de 30 points.
Résultats
9Nos résultats sont structurés en quatre parties. La première précise les variations stratégiques inter-items sur l’ensemble de l’épreuve pour chacun des groupes d’âge. La seconde examine le nombre et la nature des changements stratégiques inter-items. La troisième partie examine le nombre et la nature des stratégies disponibles dans les répertoires.
10Enfin, la quatrième partie précise les profils de changements stratégiques inter-items.
Distributions stratégiques
11L’examen des stratégies utilisées par chaque participant permet d’obtenir une fréquence d’utilisation par stratégie. Sur l’ensemble d’un groupe d’âge, la fréquence moyenne d’utilisation est obtenue pour chaque stratégie. La figure 1 présente les pourcentages moyens d’utilisation des stratégies synthétique, analytique et globale pour chaque groupe d’âge sur l’ensemble des modèles à neuf carrés.
12Les résultats montrent que les adultes jeunes utilisent essentiellement les stratégies analytique et synthétique pour 77 % des modèles reconstruits et la stratégie globale pour seulement 23 %. Les adultes âgés utilisent la stratégie globale pour 87 % des modèles reconstruits et la stratégie analytique pour 13 % des modèles. La stratégie synthétique n’est plus utilisée par les adultes âgés. Un effet lié à l’âge sur la nature des stratégies utilisées semble donc apparaître.
Nombre et nature des changements stratégiques.
13L’examen des stratégies mises en œuvre pour reconstruire chaque modèle a été effectué en vue d’établir, pour chaque participant, le nombre des changements stratégiques pendant l’épreuve. D’une façon générale, les résultats montrent une différence liée à l’âge du nombre de changements stratégiques, indiquant que les adultes âgés changent (moy. = 0.54 ; ET = 1.18) moins souvent de stratégies que les adultes jeunes (moy. = 1.77 ; ET = 0.61). Dans le but de préciser l’augmentation plus importante avec l’âge de la variabilité intragroupe, une analyse complémentaire a été réalisée. Le tableau 1 présente les pourcentages de participants en fonction du nombre de changements stratégiques.
14Tableau 1 – Pourcentages de participants en fonction du nombre de changements stratégiques inter-items.
15Nos résultats montrent un important contraste lors de l’avancée en âge et soulignent très nettement qu’un petit nombre d’adultes âgés changent très souvent de stratégies, alors tous les jeunes adultes changent au moins une fois de stratégie au cours de l’épreuve. En définitive, nos résultats indiquent une modification différentielle avec l’âge des changements stratégiques à l’épreuve des cubes.
16Cette analyse quantitative est complétée par une analyse qualitative visant à établir la nature des changements stratégiques inter-items. Les résultats montrent qu’un petit nombre d’adultes âgés permutent entre une stratégie globale et une stratégie analytique (et réciproquement). En revanche, les jeunes adultes se divisent en deux sous groupes selon la nature des permutations. Certains alternent entre une stratégie globale et une stratégie analytique (et réciproquement), alors que les autres alternent entre une stratégie analytique et une stratégie synthétique (ou réciproquement). Ces résultats indiquent que la nature des changements stratégiques diffère selon l’âge des participants et que la diversité de ces changements est plus importante pour les jeunes adultes que pour les adultes âgés. Ces résultats indiqueraient donc que les répertoires stratégiques diffèrent au sein de chaque groupe d’âge.
Nombre et nature des stratégies disponibles dans le répertoire.
17Des analyses portant sur les stratégies utilisées pour chaque modèle ont été effectuées pour déterminer le répertoire stratégique de chaque sujet. Les résultats de l’analyse quantitative portant sur les répertoires stratégiques des deux groupes d’âge sont présentés dans le tableau 2. Les résultats montrent que le répertoire stratégique des adultes jeunes est plus important que celui des adultes âgés. Les adultes jeunes disposent d’au moins deux stratégies alors que les adultes âgés disposent au plus de deux stratégies. Nos résultats indiquent donc une baisse liée à l’âge du nombre de stratégies disponibles. Nos résultats montrent également d’importantes différences intra-groupes. Tous les jeunes adultes ne disposent pas d’un répertoire à trois stratégies et la majorité des adultes âgés ne disposent que d’une stratégie.
18D’importantes différences intra et intergroupes apparaissent également d’un point de vue qualitatif. L’analyse des contenus des répertoires stratégiques des jeunes adultes permet de distinguer deux groupes. 54.5 % des adultes disposent des stratégies globale, analytique et synthétique et les 45.5 % restants disposent des stratégies globale et analytique. De façon similaire, deux groupes d’adultes âgés se différencient. 77.3 % d’entre eux ne disposent que de la stratégie globale et les 23.7 % restants disposent des stratégies globale et analytique. Les résultats de cette analyse précisent également qu’à répertoire stratégique constant, en nombre et constant quant à la nature des stratégies disponibles, le pourcentage d’adultes âgés est inférieur à celui des jeunes adultes.
Les profils de changement stratégique.
19La dernière étape de cette analyse des données a pour objectif d’établir des profils de changement stratégique pour chaque groupe d’âge. L’identification de ces profils est réalisée en fonction de la taille, du contenu du répertoire stratégique et de la stratégie privilégiée par le participant. Le nombre de participants suivant un profil particulier est relativisé par rapport à l’effectif total du groupe d’âge considéré. La figure 2 présente quatre profils de changement stratégique chez les jeunes adultes et la figure 3 présente trois profils de changement chez les adultes âgés.
20Nos résultats montrent que les jeunes adultes disposant de trois stratégies dans leur répertoire se différencient dans leur changement stratégique en fonction de leur stratégie dominante : 40.9 % des jeunes adultes utilisent la stratégie synthétique dans 80 % des cas (vs analytique) et 13.6 % utilisent la stratégie analytique dans 80 % des cas (vs synthétique). Disposant de deux stratégies dans leur répertoire, 27.3 % des jeunes adultes utilisent la stratégie analytique dans 80 % des cas (vs globale) et 18.2 % utilisent la stratégie globale dans 80 % des cas. Nos résultats indiquent donc des pourcentages différents d’utilisation des stratégies pour chacun des profils.
21Disposant d’un répertoire à deux stratégies, 18 % des adultes âgés utilisent la stratégie analytique dans 50 % des cas (vs globale) et 5 % des adultes âgés utilisent la stratégie analytique dans 80 % des cas (vs globale). 77 % des adultes âgés ne disposent que de la stratégie globale et ne présentent par conséquent pas de changement stratégique inter-items.
22De cette analyse, il ressort donc d’importantes variations intra-âges et inter-âges se structurant en profils de changements stratégiques selon les répertoires stratégiques.
Discussion
23Dans cette étude, les adultes jeunes et âgés effectuent la tâche informatisée des cubes de Kohs, laquelle consiste, à l’aide de carrés monocolores et bicolores, à reproduire avec la stratégie de son choix, des modèles visuo-spatiaux. Pour étudier les variations stratégiques liées à l’âge, différentes analyses ont été réalisées en vue d’identifier des profils de changements stratégiques inter-items. Les données de notre recherche apportent un complément au regard de celle effectuée par Rozencwajg et al. (2005). Plutôt que d’effectuer une analyse portant sur la stratégie privilégiée par le sujet sur l’ensemble des modèles à neuf carrés, notre contribution repose sur l’analyse de la stratégie utilisée par chaque sujet pour chaque modèle. Cette méthode d’analyse permet d’étudier les variations stratégiques inter-items. Globalement, nos données font apparaître d’importantes différences stratégiques intra et inter âges.
24Dans un premier temps, nos résultats montrent un effet lié à l’âge sur la nature des stratégies utilisées indiquant une augmentation liée à l’âge dans l’utilisation de la stratégie globale et une absence d’utilisation de la stratégie synthétique pour le groupe d’adultes âgés de 85 ans. Notre résultat confirme et complète les données recueillies auprès d’adultes âgés de 60 ans par Rozencwajg et al. (2005). Toutefois, trois remarques peuvent nuancer notre interprétation. Il serait souhaitable d’augmenter a) l’effectif de notre groupe d’adultes âgés et b) le nombre de modèles à reconstruire. c) Les participants âgés ont pu débuter la construction d’au moins un des modèles en mettant en œuvre la stratégie synthétique, puis très vite s’interrompre pour s’orienter vers l’exécution d’une autre stratégie.
25Dans la perspective d’expliquer l’effet lié à l’âge sur la nature des stratégies utilisées, notre seconde analyse a porté sur les changements stratégiques. Nos résultats montrent globalement des changements stratégiques plus nombreux chez les adultes jeunes que chez les adultes âgés. Notre analyse intra-âge indique un effet différentiel lors l’avancée en âge. En effet, 77.3 % des adultes âgés ne changent pas de stratégie, alors que 22.7 % en changent 3 fois. En vue préciser chacune de ces éventualités, une expertise complémentaire a donc été effectuée visant à évaluer les répertoires stratégiques des différents groupes d’âge.
26Dans un troisième temps, nos résultats montrent que le répertoire stratégique des adultes jeunes est plus important que celui des adultes âgés. Ce résultat confirme d’une part, celui obtenu sur une tâche de cubes par Rozencwajg et al. (2005) et d’autre part, celui obtenu lors d’une tâche d’arithmétique par Hodzik et Lemaire (2011). Notre analyse des contenus des répertoires stratégiques montrent des différences inter et intra âges. Nos résultats distinguent deux groupes de jeunes adultes, l’un disposant de trois stratégies, l’autre ne disposant plus que de la stratégie synthétique. Nos résultats différentient également deux groupes d’adultes âgés, pour lesquels aucun ne dispose de la stratégie synthétique dans leur répertoire. Plus précisément, dans le premier groupe, 77.3 % d’adultes âgés ne disposent que de la stratégie globale et dans le second groupe, 22.7 % d’adultes âgés ne disposent que des stratégies analytique et globale dans leur répertoire. Cette analyse des effets de l’âge sur les répertoires stratégiques est l’une des premières effectuée simultanément d’un point de vue quantitatif et qualitatif au regard des recherches portant sur les variations stratégiques lors de l’avancée en âge. Notre étude semble préciser un effet différentiel lors l’avancée en âge des stratégies disponibles dans les répertoires.
27Enfin, dans un quatrième temps, en fonction de la taille, des contenus des répertoires et des stratégies utilisées au cours de l’épreuve, différents profils de changement stratégique ont pu être établis chez les adultes jeunes et âgés. Quatre profils, pouvant se regrouper en deux catégories, en référence au nombre et à la nature des stratégies disponibles dans les répertoires, peuvent être identifiés chez les adultes jeunes. La première catégorie se compose de participants disposant d’un répertoire optimum à trois stratégies, la seconde avec un répertoire à deux stratégies (analytique et globale). Au sein de chaque catégorie, deux profils se différencient selon le type de stratégie privilégiée au cours de l’épreuve. Chez les adultes âgés, trois profils pouvant se regrouper également en deux catégories sont identifiables. La première catégorie se compose de participants disposant d’un répertoire à une stratégie globale, la seconde avec un répertoire à deux stratégies (analytique et globale). Au sein de cette dernière catégorie, deux profils se différencient selon le type de stratégie privilégiée au cours de l’épreuve.
28Pour cette dernière section, nous suggérerons des perspectives de recherche en vue d’aborder la question des conséquences et des causes de ces changements survenant avec un âge avancé. La première conséquence est celle des temps de reconstruction des modèles en fonctions de la stratégie utilisée. Des changements stratégiques surviennent avec l’avancée en âge (Rozencwajg et al., 2005) et l’identification de profils différents des changements stratégiques en fonction de l’âge laisse présager des temps de réalisation différents pour chaque sous groupe sur l’ensemble de l’épreuve. Une perspective de recherche consisterait par exemple, à étudier la relation entre l’âge, la taille et le contenu du répertoire stratégique et le temps de construction, en vue de montrer que les adultes âgés, ne disposant que d’une stratégie globale, reconstruisent moins rapidement que les adultes âgés disposant de deux stratégies (globale et analytique). La seconde conséquence est d’ordre méthodologique. Il nous semble intéressant de souligner que l’identification de profils de changement stratégique permet d’effectuer des comparaisons entre adultes jeunes et âgés à répertoire stratégique, constant en nombre (n = 2) et constant quant à la nature des stratégies disponibles (par exemple, globale et analytique). Sous réserve d’augmenter le nombre de modèles à reconstruire, ce type de comparaison permettrait d’étudier les effets de l’âge sur la sélection stratégique.
29Conformément au cadre théorique de Lemaire et Siegler (1995), le répertoire stratégique est une composante importante dans l’étude des effets de l’âge sur les changements stratégiques. L’un des facteurs susceptible d’expliquer l’effet de l’âge sur le répertoire stratégique est l’efficience du fonctionnement exécutif. La recherche d’Hodzik et Lemaire (2011) porte sur une tâche d’arithmétique et montre les contributions des fonctions d’inhibition et de flexibilité dans la réduction du pourcentage de variance liée à l’âge des répertoires. Une perspective de recherche vers laquelle nous nous orientons consiste à confirmer ce résultat à l’épreuve des cubes. Il semble pertinent de suggérer que le déclin avec l’âge de fonctions exécutives puissent jouer un rôle dans la diminution liée à l’âge de la stratégie synthétique (Rozencwajg et al. 2005). En effet, en référence à la théorie hiérarchique proposée par (Akshoomoff, Delis, Haist, 1993 ; Navon, 1977), l’hypothèse selon laquelle la mise en œuvre de la stratégie synthétique nécessiterait l’utilisation conjointe de deux niveaux de traitement, global et analytique, est avancée par Rozencwajg et al., (2005). Ces auteurs suggèrent notamment que les difficultés rencontrées par certains sujets à mettre en œuvre cette stratégie puissent être liées à des difficultés soit de passer d’un niveau de traitement à un autre soit d’inhiber un type de traitement pour faciliter l’utilisation de l’autre. La diminution de disponibilité de la stratégie synthétique s’accompagne-t-elle d’un dysfonctionnement exécutif ?
30Un second facteur susceptible d’expliquer les baisses de performance liée à l’âge est le ralentissement de traitement (Salthouse, Meinz, 1995). Il est, par exemple, montré que l’épreuve des cubes ne sature plus fortement l’indice d’organisation perceptive, comme c’est le cas pour les groupes d’âge (16-24 ans), (25-44 ans) (45-69 ans), mais se reporte sur l’indice de vitesse de traitement pour la tranche d’âge (70-89 ans). « Il est vraisemblable que ce phénomène provienne du rôle de plus en plus important de la vitesse de traitement » (manuel WAIS III, page 267). Dans une perspective de recherche et de synthèse, il serait donc intéressant de distinguer les contributions liées à la vitesse de traitement de celle liée au fonctionnement exécutif pour rendre compte des variations des répertoires lors du vieillissement normal.
Bibliographie
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Références
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Auteur
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Approche neuro-cognitive
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