Postface
p. 343-347
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Texte intégral
« À quoi sert de faire l’histoire des avocats ? »
1Le livre qui précède constitue pour l’auteur de ces lignes comme l’aboutissement d’une sympathique et passionnante traversée, une arrivée à bon port. L’aventure avait commencé par le choix de Serge Defois, alors étudiant en histoire, de s’intéresser pour son mémoire de DEA à une affaire judiciaire jugée à Nantes en 1950. Son directeur, le professeur Jean Clément-Martin avait bien voulu m’inviter à participer au jury. A l’évidence, avais-je noté, le candidat s’était découvert bien plus qu’un intérêt, une vraie passion pour l’histoire de la justice !
2Lorsque Serge Defois, quelques diplômes d’histoire et de droit plus loin, a décidé de consacrer sa thèse de doctorat aux avocats Nantais, il a émis le souhait que je suive ses travaux aux côtés du Professeur Jacques-Guy Petit. Du dépôt du sujet jusqu’à la soutenance, cette codirection aura été comme une joie simple, un exercice stimulant au plan intellectuel doublé d’une relation saine, facile, entre le thésard et ses deux directeurs. S’il n’est pas d’usage qu’une postface soit l’occasion de remerciements, disons que je ne pouvais commencer l’exercice sans dire au Professeur Jacques-Guy Petit mais également à Serge Defois combien j’ai apprécié le travail qui nous a ainsi réuni quelques années, me donnant l’occasion de m’intéresser de plus près aux méthodes, au travail des historiens. En un temps où la réalisation d’un doctorat n’a plus, chez les juristes en tout cas, la réputation d’être toujours une traversée sans nuages, il me plaît de souligner que cette thèse est née dans un climat serein.
3Mais ce n’est pas de la thèse, ni de son histoire que je voudrais dire quelques mots au lecteur qui vient peut-être de découvrir l’ouvrage de Serge Defois. La justification de cette postface, s’il en est une, se trouverait dans le fait de proposer une première réaction d’un avocat, et d’ouvrir le débat.
4La lumineuse préface de Jean-Claude Farcy propose sur ce travail l’appréciation d’un historien, grand spécialiste de la justice et ce n’est évidemment pas sur ce terrain que je me situerai. L’intérêt d’un livre consacré à l’histoire des avocats d’un grand Barreau entre 1897 et 1976 n’est pas non plus une cause qui aurait besoin d’être défendue auprès des praticiens du droit. Ils constatent encore chaque jour que le public n’a pas toujours une claire conscience des particularités de ce métier et qu’il s’en fait souvent une image faussée par les biais d’une médiatisation très sélective. Alors, pour ce qui est de son histoire ! Et quant à souligner à mon tour les qualités du travail de Serge Defois, j’aurais eu grand plaisir à le faire mais l’impartialité commandait de choisir un autre que l’un des directeurs de thèse pour fermer la marche s’il s’agissait de décerner d’ultimes éloges, au demeurant inutiles.
5Je préfère donc livrer, au risque de révéler mon inculture première, quelques unes des découvertes que le travail de Serge Defois m’a réservé et, au risque de me tromper, quelques unes des questions qu’il peut susciter au regard de notre époque, chez les avocats, les praticiens du droit et le public intéressé.
6C’est, il me semble, à cinq des points forts de ce livre que le lecteur de 2007, a fortiori s’il est, ou a été, avocat, peut réagir : le rapport des avocats à l’espace public, la population des avocats, leur travail, la régulation de la profession et la culture du Barreau. Autour de ces cinq questions, le livre de Serge Defois ne nous aide pas seulement à connaître l’histoire de la profession d’avocat, mais il verse des pièces à des dossiers qui occupent encore aujourd’hui la profession et les pouvoirs publics.
7Sur le rapport des avocats à l’espace public, l’importance des engagements des avocats nantais dans l’espace public, politique, mais aussi associatif et son lent déclin jusqu’en 1939, n’est ni une exception ni une grande surprise tant la formule de « la république des avocats » a dépassé la sphère des historiens pour faire partie de la culture générale historique de la profession comme d’une partie du grand public. Mais pour autant, ce que Serge Defois nous en apprend sur l’exemple nantais révèle un paradoxe.
8Localement, il n’est point certain que les figures majeures de cette partie de l’histoire de la profession soient connues par le grand public ni même peut-être par une grande part du jeune Barreau d’aujourd’hui, comme étant des figures d’avocats. Le cas de Guist’hau est peut être particulier car il quitte l’exercice professionnel très tôt pour embrasser la carrière politique mais celui d’Alexis Ricordeau est plus net. Certes son nom est connu de tous les étudiants nantais car il est cité au quotidien pour désigner, d’une torrentielle allitération, le « Ru Ricordeau », un restaurant universitaire situé près de l’hôpital. Les étudiants en histoire contemporaine ne peuvent ignorer ce patronyme car « les évènements estudiantins de 1968 » dans lesquels les juristes n’étaient pas en reste, ont eu souvent pour avant scène ou lieu de réunion le dit « restau U ». Mais il n’est pas bien sur que soient nombreux ceux qui savent que Ricordeau, honoré pour son œuvre hospitalière, fut avocat.
9Un second épisode de l’histoire des avocats nantais qui attrait à sa présence dans l’espace public a structuré la mémoire collective du barreau comme nous le montre Serge Defois : l’exercice de la défense devant la juridiction allemande pendant l’occupation. Sur ce point, le travail de Serge Defois est un travail pionnier dont je sais qu’il sera prolongé par d’autres travaux plus pointus sur ce qu’ont été ces procès. Or, cet épisode de l’histoire des avocats nantais pose, bien avant la guerre d’Algérie, la question des limites de la défense. Les avocats pénalistes trouveront là matière à débattre très concrètement sur cet exemple plus ancien, mais tout aussi éclairant, de cette question toujours difficile quand on a renoncé à faire le courageux avec la peau des autres.
10Sur la population des avocats, l’analyse menée par Serge Defois de leur démographie révèle à quel point cette profession peut échapper, comme quelques autres (les médecins notamment) à toute régulation en douceur. Le déclin démographique qui, à Nantes, se prolonge plus tard qu’ailleurs, bien après le début de l’inflation du contentieux judiciaire, démontre une étrange impuissance des pouvoirs publics comme de la profession à l’enrayer. Certes la saignée de la guerre 14-18 fournit une explication à ce déclin, mais je dois à Serge Defois d’avoir découvert un phénomène que j’ignorais et qui, je crois, n’est guère passé dans la mémoire collective du Barreau nantais alors qu’il explique la lenteur avec laquelle la population des avocats nantais retrouvera un niveau normal : il a existé entre 1939 et 1959 une période où l’avenir de la profession d’avocat était si incertain et les débuts si difficiles qu’on y enregistrait des carrières courtes, de quelques années, suivies d’un abandon de la profession vers des emplois plus sûrs. Ce phénomène qui accompagne la professionnalisation n’empêche pas les carrières longues qui elles aussi, en chiffres absolus, sont à cette époque en augmentation.
11Décidément, les responsables de la profession retireront de la lecture des développements de Serge Defois sur cette question que la démographie est, en matière de professions comme de population générale, toujours aussi essentielle, à surveiller non pas comme le lait sur le feu, mais plutôt comme l’évolution des climats. Si l’on veut pouvoir réagir avant qu’il ne soit trop tard, il faut prendre en permanence la mesure des phénomènes.
12Sur le travail des avocats, le contenu de leur travail, son organisation, la lecture de ce livre tordra le coup, je l’espère, à quelques lieux communs qui faussent la connaissance qu’a le public de la profession. Le travail mené par Serge Defois sur l’évolution des contentieux au fil de la période étudiée lui a permis de donner, par grandes masses, une idée de ce sur quoi travaillent les avocats. Bien sûr, il eut été plus intéressant encore de pouvoir s’appuyer sur des archives d’avocats, d’aller voir de près comment avaient évolués les carrières de tel ou tel en termes de types de clientèles, de contentieux. Mais l’avocat n’a pas à l’évidence la culture de l’archive, il fut, et plus encore avant la fusion avec les avoués, un homme de l’instant, qui passe d’un dossier à l’autre sans se retourner, sans archiver. S’il a été possible, grâce aux témoignages d’avocats honoraires d’approcher un peu cette question, elle reste cependant comme un point flou dans les photographies du Barreau nantais qui nous sont proposées. Tout comme d’ailleurs, les conditions du développement des associations, question qui n’encombre pas les archives de l’ordre.
13Ces deux points, plus difficiles à cerner, nous livrent aussi un trait qui constitue peut-être un trait culturel commun à la profession : l’avocat n’est pas encore, sur la période en cause, un chef d’entreprise intéressé par l’organisation de son travail, l’évolution de ce qu’il « produit », du type de « service qu’il rend » au point qu’il conserve la trace de ces évolutions, qu’il consacre du temps à les mesurer. Ce trait, qui a loin d’avoir disparu, pas plus que l’exercice individuel puisqu’il concerne encore en France près de la moitié de la profession, paraît marquer celle-ci comme une tendance lourde. Il resterait à en expliquer la pérennité aujourd’hui.
14Sur la régulation de la profession, ce livre nous enseigne deux choses importantes. D’une part, le contentieux disciplinaire et le contentieux autour des honoraires entre l’avocat et son client n’ont jamais été que résiduels dans l’activité de l’ordre. À l’évidence, la profession recourt à une autorégulation douce qui suffit pour l’essentiel. S’agissant des honoraires, le client, sur toute la période étudiée, ne se plaint guère. Est-ce le signe d’une opacité des honoraires ? Sans doute. D’une soumission du client à l’avocat ? Pas si sûr, car les pratiques de quelques avocats, très minoritaires, provoquent des réactions de leurs clients, ce qui laisserait penser qu’en cas d’abus flagrant, le client savait se plaindre ! D’autre part les grandes questions qui agitent l’ordre entre 1897 et 1976 sont les mêmes que celles qui ont retenues la profession sur les trente années qui suivent. Certes les problématiques ont évoluées mais ce sont toujours la question de la formation, de la défense des plus démunis, de l’honoraire, du périmètre de la profession et de la publicité. Très belle permanence de ces questions qui renvoient aux particularités de la profession et de son rapport au public.
15Sur la culture du Barreau enfin, le livre de Serge Defois m’a renforcé dans une conviction ancienne, acquise à l’observation de la profession et du monde judiciaire depuis 1978 au travers de divers prismes qu’il s’agisse du prisme ordinal, syndical, et aujourd’hui universitaire. Il existe une culture originale des Barreaux et ceci doit se comprendre en deux sens. Il existe une culture du Barreau très distincte de celle de la Magistrature, on le sait. Mais la culture de chaque barreau peut avoir, de par son histoire, et pas seulement celle de la profession, des traits originaux.
16S’agissant des relations des avocats ou de l’ordre avec la magistrature, c’est peu dire qu’elles sont pauvres ! La défiance réciproque dans laquelle ces deux professions ne cessent de se complaire jusqu’à la caricature d’elles mêmes parfois, et qui malheureusement se rencontre encore si souvent, les empêche d’aborder ensemble les difficultés auxquelles la justice est confrontée depuis si longtemps dans notre pays. La thèse de Serge Defois débute en 1897 et, disons-le, si d’un point de vue historiographique ce choix pouvait être discuté, du point de vue de la profession, il se justifie pleinement. Car, la loi de 1897 qui permet aux avocats « d’entrer dans le cabinet des juges d’instruction » pour assister leur client, cette loi est à la profession d’avocat ce que le 14 juillet 1789 est aux républicains. Un symbole fort, fondateur d’une identité collective alors qu’il n’a jamais concerné qu’une partie de son activité. C’est une victoire et d’abord une victoire contre le juge d’instruction comme symbole de la magistrature avant d’être une victoire sur l’inquisitoire qui résiste encore. Il y a là un fossé culturel que les modalités de recrutement de la magistrature qui, en cette fin du xixe siècle, se fait désormais sur concours ont sans doute entretenu savamment. Les passerelles n’ont jamais été assez larges entre les deux professions ni d’ailleurs suffisamment valorisées ou gratifiées pour que la défiance recule. Le niveau des préventions réciproques s’est construit autour du rapport à l’argent et au travail. Personne n’a pu rompre ce cercle vicieux. Peut-être était-ce encore moins facile dans un barreau comme celui de Nantes qui n’était pas un barreau de cour, où les magistrats n’avaient pas vocation à faire toute leur carrière et où les dynasties de juristes n’étaient pas si nombreuses qu’elles fournissent des avocats et des magistrats exerçant sur place.
17D’une certaine façon, magistrats et avocats peuvent se réjouir qu’il ne soit jamais venu ni à l’esprit des médias ou de ce qu’on appelle l’opinion, ni à l’esprit des politiques, d’exploiter la part que cette défiance, cette incapacité chronique à dialoguer, peut avoir eu dans les dysfonctionnements de la justice. Et en même temps, on comprend à la lecture de l’histoire du Barreau d’une grande métropole comme Nantes sur la période de 1960 à 1976, que l’écart entre les moyens de la justice et ses besoins ait pu se creuser à ce point avec un Barreau isolé, qui peinait à remonter sa faiblesse démographique, et une telle distance entre les partenaires essentiels de l’institution, les magistrats, les avocats et les avoués. Le prix de la défiance aura été lourd pour les trois professions en cause mais peut-être plus encore pour les justiciables.
18C’est toute la subtilité du travail de Serge Defois de nous dessiner la culture du Barreau nantais, comme en creux, entre l’étude prosopographique de 499 avocats d’une part et celle des archives de l’ordre d’autre part. Et ces deux approches livrent sur plusieurs points quelques unes des spécificités du Barreau nantais. L’activité maritime du tribunal de commerce y aura fait sauter plus tôt qu’ailleurs les tabous sur le maniement de fonds. Ce barreau de l’ouest catholique où la question de la messe du Saint-Esprit crée la polémique jusque dans les années soixante n’a pas bronché plus que d’autre en 1941 contre l’interdiction faite aux juifs d’exercer la profession mais il n’a pas eu non plus à prononcer d’exclusion du fait à la fois de sa sociologie et de la population générale de la ville. Ce barreau qui peut apparaître pendant toute la première partie de la période comme très conservateur est aussi un barreau d’une grande ville où la démocratisation et la féminisation pourront se faire assez rapidement lorsque le temps sera venu. La diversité née de ce mouvement produira alors très vite ses effets et à la toute fin de la période étudiée par Serge Defois, la différence est marquée entre un barreau comme Nantes qui s’engage dans une « grève » et des Barreaux de cour (Rennes, Angers) plus timorés devant des formes d’action si étrangères encore à la profession.
19Alors, un portrait du Barreau de Nantes ? Bien plus que cela car le livre de Serge Defois servira à tous ceux qui veulent réfléchir sur le devenir d’une profession en perpétuelle mutation.
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Les avocats nantais au xxe siècle
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