Vieillissement cognitif normal et pathologique
p. 149-152
Texte intégral
1Ce qui caractérise nos sociétés modernes par comparaison à d’autres sociétés plus anciennes, c’est que le nombre et la proportion de personnes âgées dans la population augmentent progressivement. Le vieillissement démographique en Europe et en Amérique du nord résulte principalement de deux phénomènes : (1) l’allongement de l’espérance de vie qui augmente d’environ deux à trois mois par an, et (2) une baisse de la natalité. Le vieillissement de la population française s’est s’accéléré à partir de 2006 quand les enfants du baby-boom ont atteint l’âge de la retraite. Selon l’Institut National de la Statistique et des Études Économiques (INSEE), si les tendances actuelles persistent (faible taux de fécondité, faible immigration, baisse du taux de mortalité), un Français sur trois aura plus de 60 ans en 2040, contre un sur cinq en 2005. Cette mutation de la société impose de multiples adaptations de nos systèmes économiques, sanitaires et sociaux : réforme du système des retraites, mise en place d’actions ayant pour but de favoriser la préservation de l’autonomie des seniors, et recherche de nouvelles solutions pour faire face à l’augmentation du coût de la prise en charge de la dépendance des personnes âgées.
2Le vieillissement biologique affecte l’ensemble des individus mais semble-t-il de façon inégale. Il se caractérise par la détérioration progressive de la quasi-totalité des fonctions de l’organisme. On appelle vieillissement normal ou non-pathologique le processus d’altération des fonctions de l’organisme qui s’effectue inexorablement au cours du temps en l’absence de toute pathologie. À l’inverse, on appelle vieillissement pathologique l’interaction entre le processus lié au vieillissement normal et une pathologie généralement observée chez les personnes âgées (exemples : ostéoporose, maladie d’Alzheimer, maladie de Parkinson). Le système nerveux central, composé du cerveau et de la moelle épinière, siège de nos émotions, de nos habiletés et de nos connaissances, n’échappe pas au processus du vieillissement biologique. Le vieillissement cérébral, qu’il soit normal ou pathologique, a un effet délétère sur les fonctions cognitives ; on parlera ainsi de vieillissement cognitif.
3Le vieillissement cérébral pathologique est souvent lié à une maladie neurodégénérative (exemples : maladie d’Alzheimer, maladie de Parkinson) ou un accident vasculaire cérébral. Ces maladies sont souvent associées à une perte d’autonomie des seniors. La dépendance, ou perte de l’autonomie, peut être définie comme le besoin d’aide des personnes de 60 ans ou plus pour accomplir certains actes essentiels de la vie quotidienne. Selon la Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques (DREES) et selon le rapport GISSEROT (2007) remis au Ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille, le nombre de personnes âgées dépendantes devrait augmenter de 1 % par an en moyenne jusqu’en 2040. Sur la base des dernières projections démographiques de l’INSEE, on peut prévoir que cette croissance connaîtra deux accélérations entre 2000 et 2020 (avec l’arrivée aux grands âges des générations des années 1920) et entre 2030 et 2040 (date de l’arrivée aux grands âges des générations du baby-boom). Sur la période 2000-2040, l’augmentation du nombre de personnes âgées dépendantes serait d’environ 32 % dans le scénario optimiste, 53 % dans le scénario médian, et 79 % dans le scénario pessimiste (Kerjosse, 2004).
4La prise en charge de la dépendance a un coût financier élevé pour la société et implique de nombreux acteurs : l’État, les départements et les communes, les caisses de retraite et la personne âgée elle-même. Les récents rapports de la Cour des comptes et du Centre d’analyse stratégique aboutissent à des évolutions des dépenses publiques de prise en charge de la dépendance supérieures à celles que les hypothèses démographiques laissent envisager (Rapport GISSEROT, 2007). La recherche sur le vieillissement cérébral et cognitif permet de développer des connaissances fiables et précises qui peuvent aider tous les acteurs de la société à mettre en place des plans de prévention efficaces permettant de mieux préserver l’autonomie des seniors, d’améliorer leur qualité de vie, ou encore de mieux diagnostiquer certaines pathologies liées au vieillissement ou ralentir leur progression. De nombreuses études scientifiques ont ainsi montré que plusieurs facteurs comportementaux tels que la consommation de tabac ou d’alcool, un mauvais régime alimentaire, la sédentarité et un faible engagement dans les activités sociales peuvent accélérer le processus de dépendance chez les personnes âgées. Des campagnes de prévention cherchant à changer le comportement des individus dans un ou plusieurs de ces domaines pourraient permettre de réduire l’augmentation attendue du coût de la prise en charge de la dépendance. Par exemple, différer de cinq ans l’apparition de la maladie d’Alzheimer divise son coût par deux (Rapport Plancarde au Sénat, 1999).
5L’objectif de cette troisième partie était de croiser les regards de différents spécialistes du vieillissement cognitif afin de faire le point sur les dernières données disponibles dans ce domaine.
6Le premier texte, coordonné par Fabienne Collette de l’université de Liège (Belgique), fait le point sur les connaissances récentes concernant le fonctionnement cognitif de personnes âgées saines. Elle montre tout d’abord que le vieillissement cognitif normal s’accompagne d’une série de déficits cognitifs (mémoire, attention,…). Elle pondère ensuite ces résultats en montrant que tous les domaines de la cognition n’apparaissent pas altérés et, au sein d’un même domaine, que certains processus peuvent même être préservés. Elle poursuit sa revue de littérature en suggérant que l’effet délétère du vieillissement cérébral peut être expliqué par l’altération d’un petit nombre de « facteurs généraux » tels que la vitesse de traitement ou la capacité de la mémoire de travail. Elle termine son exposé en montrant, d’une part, que les personnes qui ont eu une vie riche en stimulations cognitives (éducation, métiers exercés, activités de loisir pratiquées) semblent moins affectées par les effets du vieillissement chronologique et d’autre part, que les capacités cognitives des personnes âgées peuvent être améliorées par la stimulation cognitive et la réalisation d’activités physiques de type cardiovasculaire.
7Le deuxième texte, coordonné par Hélène Amieva de l’INSERM de Bordeaux, nous présente les résultats très intéressants d’une étude en population longitudinale nommée PAQUID, réalisée en France, et portant sur une cohorte initiale de 3 777 sujets âgés de 65 ans et plus. Le protocole utilisé dans ce type d’étude permet une évaluation répétée de différentes données médicales, sociodémographiques et cognitives ainsi que l’identification des cas de démence au sein de la cohorte de participants. Grâce à ce suivi longitudinal de 14 ans, les chercheurs Bordelais ont pu distinguer le déclin cognitif précédant un diagnostic de Maladie d’Alzheimer, du déclin cognitif lié au vieillissement non pathologique. L’évolution des performances d’un groupe de 350 sujets « futur Alzheimer » a ainsi été comparée à l’évolution des performances d’un groupe de 350 sujets âgés normaux appariés sur l’âge, le sexe et le niveau d’étude. Les résultats obtenus par ce groupe de chercheurs suggèrent que la période pré-démentielle de la Maladie d’Alzheimer évolue au cours d’une longue période de déclin cognitif qui irait de 10 à 12 ans.
8Le troisième texte, coordonné par Capucine Tocze de l’université de Tours, s’intéresse aux effets du vieillissement cérébral normal sur deux fonctions cognitives importantes : les fonctions exécutives impliquées dans le contrôle attentionnel de notre comportement et la mémoire épisodique, processus par lequel on se souvient des événements vécus et de leur contexte d’encodage en mémoire (date, lieu, état émotionnel). Récemment, certains auteurs ont suggéré que les fonctions exécutives comprenaient un ensemble fini de fonctions supérieures telles que la flexibilité cognitive qui permet de passer facilement d’une tâche ou d’une idée à une autre, l’inhibition comportementale qui permet de stopper des actions ou des pensées et la mise à jour de la mémoire de travail ; celle qui nous permet de nous répéter mentalement un nouveau numéro de téléphone que l’on ne peut pas noter par écrit. Capucine Tocze et ses collaborateurs ont choisi de se focaliser sur la fonction de flexibilité cognitive, et ont cherché à montrer si les effets de l’âge sur cette fonction peuvent expliquer les performances obtenues dans une tâche de rappel libre qui sollicite la mémoire épisodique. La flexibilité cognitive a été manipulée en demandant aux participants d’utiliser alternativement deux stratégies d’encodage dans la tâche de rappel libre. Leurs résultats suggèrent que la flexibilité cognitive peut jouer un rôle déterminant lors de l’encodage en mémoire chez les seniors.
9Le quatrième et dernier texte, coordonné par Cédric Albinet de l’université de Poitiers, fait le bilan des connaissances récentes sur les effets bénéfiques de l’activité physique sur le vieillissement cognitif. Les auteurs développent tout d’abord plusieurs arguments expérimentaux en faveur d’un effet positif de l’exercice physique chronique sur les fonctions exécutives. Ils présentent ensuite plusieurs mécanismes neurobiologiques qui peuvent expliquer ces effets comportementaux. Pour terminer, ils présentent les résultats d’une expérimentation conduite sur Poitiers suggérant que la variabilité du rythme cardiaque est un bon indicateur de la santé des fonctions exécutives des personnes âgées.
10Ces quatre textes font donc un bilan assez complet des connaissances actuelles sur le vieillissement cognitif et posent les bases de futures orientations de recherche sur cette problématique importante pour notre société moderne.
Bibliographie
Bibliographie
Kerjosse R., « Personnes âgées dépendantes : Une population qui va croître fortement… », Problèmes politiques et sociaux, 903, 2004, p. 37-40.
Auteur
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