En guise de conclusion
p. 337-341
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Index géographique : France
Texte intégral
1Le choix de se soustraire à l’exercice d’une conclusion classique pourrait, s’il en était besoin, se justifier par trois raisons principales. D’abord parce que des conclusions ponctuent déjà les quatre parties de ce livre et que leur reformulation en fin d’ouvrage apparaît d’un intérêt limité. Ensuite, parce que la postface écrite par Jean Danet reprend les résultats importants de cette recherche et propose avec talent une mise en perspective particulièrement intéressante pour le lecteur, avocat ou non. Enfin, parce qu’il a paru plus utile, en guise de conclusion, de proposer rapidement quelques aspects de l’évolution démographique du barreau de Nantes au cours des trois dernières décennies, qui a eux seuls soulèvent nombre de questions et témoignent de la nécessité pour la profession d’avocat d’analyser avec attention son histoire récente.
Graphique 23. – Hausse des effectifs et féminisation de la profession d’avocat à Nantes. 1976-2007.

2Alors qu’il est relativement stagnant durant les trois premiers quarts du xxe siècle (entre 50 et 80 inscrits), le nombre des avocats au barreau de Nantes se multiplie quasiment par sept en seulement une trentaine d’années : 86 avocats en 1976, 580 en 2007. Si l’on songe qu’en 1964, un peu plus de quarante ans auparavant, il n’y avait que 49 inscrits, on mesure encore l’ampleur de la hausse (plus de 1 000 %). En parallèle de cette augmentation des effectifs, le mouvement de féminisation se poursuit : 12,8 % de femmes en 1976, 25,7 % en 1986, 37,5 % en 1996, 47,9 % en 2006.
Graphique 24. – Pyramide des âges. Année 1986.

Graphique 25. – Pyramide des âges. Année 2005.

3L’explosion démographique, d’autant plus remarquable qu’elle est régulière et quasi ininterrompue, se manifeste très nettement suite à la fusion avec les conseils juridiques au début des années 1990. Le nombre d’avocats au barreau de Nantes connaît une hausse de 64 % entre 1996 et 2005 alors que l’augmentation nationale sur la même période est de 37 %. Le barreau nantais, moribond au milieu des années soixante, s’est donc particulièrement rajeuni et se montre très attractif dans cette dernière décennie. Pour la région Pays-de-la-Loire, composée de huit barreaux, celui de Nantes rassemble à lui seul 45 % des avocats en exercice, c’est dire son importance dans le paysage régional. De plus, cette attractivité du barreau ne se traduit pas, comme cela pouvait être le cas dans des périodes antérieures, par des carrières courtes, voire très courtes, dues aux multiples démissions au cours du stage. En effet, si les inscriptions au barreau augmentent au cours des dix dernières années, les sorties sont pour leur part très peu nombreuses. Notons en outre que près de 60 % d’entre elles sont des transferts et que l’on compte moins de 10 % de démissions pour une autre profession.
Graphique 26. – Entrées et sorties. Barreau de Nantes. 1996-2005.

4Pour autant, les évolutions constatées signifient-elles que l’exercice de la profession, surtout pour les jeunes avocats, n’est plus synonyme de précarité ? Même s’il manque d’une étude approfondie conduite sur les barreaux de l’Ouest, il semble bien que non. Dans son cahier d’octobre 2005, l’observatoire du Conseil national des barreaux1 note qu’entre 1989 et 2004, le revenu moyen de la profession en euros constants, au plan national, a diminué de 2,5 %. Il est également nécessaire de prendre en considération les profondes différences qui peuvent exister entre les avocats, en fonction de l’ancienneté, du sexe, du lieu et du mode d’exercice. Pour le Puy-de-Dôme, l’enquête précise menée en 2004, montre que le revenu des jeunes avocats est en moyenne nettement moins élevé que celui des avocats d’expérience2.
5Que dire alors de la composition sociale de la profession à la fin du xxe siècle ? Si l’analyse que nous avons menée pour l’année 1986 tend à montrer que l’ouverture du métier d’avocat aux couches modestes et aux classes populaires reste timide, il est à l’heure actuelle difficile de déterminer avec précision dans quelle mesure la hausse importante du nombre d’avocats, le rajeunissement et la féminisation, s’accompagnent d’une réelle démocratisation de la profession à Nantes dans les années 1990 et 2000. On aurait plutôt tendance à penser que l’ouverture du recrutement ne s’adresse pas en priorité aux individus d’extraction modeste mais continue de s’appliquer à ceux dont les parents sont des professionnels libéraux, des cadres ou des fonctionnaires3.
6La question de la précarité de l’exercice par les jeunes avocats conduit également à soulever celle de leur formation. Dans les années soixante, l’inquiétante diminution du nombre des inscriptions au barreau de Nantes – comme dans nombre de barreaux français d’ailleurs – pouvait s’analyser à la lumière de l’indifférence manifestée par une large part du barreau, en premier lieu à l’égard des difficultés financières dans lesquelles se débattaient les stagiaires, en second lieu à l’égard de leur formation, dont on a vu qu’elle était avant tout acquise sur le tas. Si à compter des années soixante-dix, la préparation à l’exercice du métier en amont de l’inscription au barreau a fait l’objet de nombreuses mesures, il faut remarquer que depuis le 1er septembre 2007, le stage d’avocat a pour sa part disparu. L’inscription au grand tableau peut intervenir dès la sortie de l’école, à l’entrée dans l’exercice professionnel. Cette situation, qui résulte du vote de la loi du 11 février 2004, soulève des questions fondamentales. La suppression de la différence du titre, réclamée par une partie de la profession depuis plusieurs décennies, s’inscrit certes dans le respect d’une autonomie de l’avocat, mais interroge sur la place de la collaboration dans la formation du jeune avocat. Dans la conjoncture actuelle, que penser en effet de l’installation immédiate en cabinet individuel après l’obtention du CAPA ? Même si la formation préalable est plus encadrée que dans les trois premiers quarts du xxe siècle, la collaboration ne doit-elle pas être maintenue ? Quel est en effet l’avenir de l’avocat généraliste exerçant en cabinet individuel, surtout s’il est novice ?
7Au milieu des années cinquante, les avocats français s’associent, à la suite de quoi ils permettent l’instauration de sociétés civiles professionnelles. Concomitant à la fois de l’inévitable fusion des professions et d’un regroupement des compétences nécessité par la concurrence des cabinets organisés voire des firmes étrangères, l’exercice en groupe semble se doubler d’une certaine spécialisation de l’avocat. Toutefois, au barreau de Nantes en 2007, s’il existe 5 associations et 57 sociétés, plus de 50 % des avocats inscrits n’appartiennent ni aux unes ni aux autres. Ce chiffre, qui reflète d’ailleurs la situation au plan national, interroge alors sur la possibilité pour l’avocat, surtout s’il est peu expérimenté, de répondre aux demandes du marché sur lequel les clients cherchent efficacité, rapidité et transparence. Si bien que la question de l’honoraire refait surface car aujourd’hui, et malgré les tentatives avortées des années soixante-dix et quatre-vingt, l’honoraire reste totalement libre et l’éventualité d’une tarification – même indicative – rejetée.
8La profession, dans le respect d’une déontologie qui continue de prôner les traditionnelles valeurs de désintéressement, d’abnégation, d’indépendance et de probité, doit pourtant occuper son espace sur le marché. Ainsi, du 8 au 12 octobre 2007, le Conseil national des barreaux a organisé la semaine des Avocats et du Droit, une opération grand public pour faciliter le passage à l’acte de consultation et mettre en avant le rôle de l’avocat-conseil. Dix-huit plates-formes téléphoniques ont été mises en place, animées par des avocats volontaires, à Nantes comme dans de nombreux barreaux français. Durant une semaine, le grand public, mais aussi les professionnels, ont été invités à poser une question de droit directement à un avocat grâce à la mise en place d’un numéro de téléphone gratuit. En 2006, 250 avocats avaient répondu à plus de 5 000 questions en l’espace de cinq jours. La promotion de cette opération a été assurée par une campagne d’envergure en Radio (plus de 500 spots radios diffusées), sur Internet et par des relations presse. La profession laisse un message clair, révélateur à la fois du besoin de se rapprocher des justiciables et aussi de marquer son unité : « Si vous avez besoin d’un conseil, vous avez besoin d’un avocat. »
9Même si les avocats connaissent des conditions d’exercice de leur profession très différentes, ils doivent envisager sereinement la défense des intérêts collectifs dans le respect de l’autonomie de chaque barreau et de chaque professionnel. Sur la question très actuelle de la fusion avec les juristes d’entreprises, le débat est vif. La profession doit-elle faire preuve d’ouverture et tirer de la diversité de l’exercice une force identitaire, ou bien défendre un territoire acquis de longue date et qu’il n’est pas question de voir à nouveau agrandi ? En conséquence, les avocats, chacun dans la réalité de leur exercice professionnel mais aussi en considérant l’intérêt commun, sont par exemple confrontés à la résolution votée le 6 septembre 2007 par les conseils en propriété industrielle, confirmant leur volonté de rapprochement de leur profession avec celle d’avocat.
10Face à ces questions fondamentales et aux multiples enjeux qu’elles soulèvent, les réflexions sociologiques, juridiques, économiques ou démographiques, conduites sur la période récente sont autant de balises qui peuvent aider la profession d’avocat à négocier avec recul les tournants à venir. Une chose est sûre : son histoire témoigne qu’elle a su affronter et surmonter bien d’autres périls.
Notes de bas de page
1 Les cahiers de l’observatoire du Conseil national des barreaux – le n° 1 date de septembre 2004 – donnent de précieux chiffres sur la profession et sont particulièrement informatifs : démographie, structures d’exercice, revenus, aide juridictionnelle.
2 Gaineton Jean-Luc, Les barreaux du Puy-de-Dôme du xixe siècle à nos jours, thèse de droit, Bordeaux, 2005, vol. 1, p. 539 ; vol. 3, p. 248.
3 Pour les avocats du Puy-de-Dôme, et suite au sondage réalisé en 2004, Jean-Luc Gaineton montre que seuls 4 % des avocats pour lesquels il connaît les origines socioprofessionnelles ont un père ouvrier ; ils sont 6 % dont le père est employé. Par contre, pour 27 % d’entre eux, le père est professionnel libéral, pour 18 % fonctionnaire, et pour 16 %, cadre. Ibid., vol. 3, p. 316.
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