Cognition, société, motivation
p. 77-79
Texte intégral
1Le thème de la motivation dans nos traditions de pensée trouve un ancrage aussi lointain que celui des premiers penseurs de l’antiquité. Déjà les auteurs grecs de cette époque attribuaient – au moins pour partie – à l’homme la détermination de ses comportements et opposaient mobiles hédonistes et rationnels. Dans le champ des sciences humaines, la motivation s’est fait une place de choix mais controversée à partir d’approches aussi différentes que la psychanalyse ou le béhaviorisme. Place de choix parce qu’au carrefour de préoccupations essentielles sur la production des comportements. Controversée parce que certains lui dénient le statut de concept scientifique. Portés par le courant cognitiviste, de nouveaux modèles de la motivation humaine ont vu le jour ces dernières décennies. Nous présentons, dans ces pages, quelques-unes de leurs applications ainsi que des travaux de synthèse ou de critiques à leur égard. Ces travaux ont ceci en commun, qu’à des titres différents, ils parviennent tous à proposer une articulation entre sphères cognitives, motivationnelles et sociétales.
2Le courant social cognitif, dont Bandura est sans doute l’auteur le plus célèbre et représentatif permet d’appréhender les déterminants individuels et sociaux de la motivation de façon à la fois heuristique et pragmatique. Les travaux sur les stéréotypes de genre et l’orientation professionnelle présentés par Marie-Laure Steinbruckner et Noëlle Lallemand en seront un parfait exemple puisqu’il apparaît que des représentations construites socialement et partagées déterminent les processus de choix de formation et de profession chez les individus. Au-delà de ce constat, Marie-Laure Steinbruckner et Noëlle Lallemand montrent en quoi les processus décrits dans l’approche sociale cognitive permettent d’avancer dans la compréhension de l’orientation professionnelle. Elles évoquent aussi les pistes pour une évolution des pratiques d’orientation fondées sur la théorie de Bandura et susceptibles de réduire l’impact des stéréotypes sur le choix des formations et des professions.
3Nathalie André s’intéresse aussi à la théorie de Bandura pour situer le concept de motivation personnelle dont elle présente un exemple d’application dans le domaine de la santé et des activités physiques. Tout comme le sentiment d’efficacité personnelle, la motivation personnelle est abordée comme une croyance intervenant dans les processus d’auto-régulation. Définie ici comme disposition relativement stable (Dishman), elle s’apparente davantage au sentiment d’efficacité personnelle générale qui renvoie aux croyances individuelles d’arriver en général à réussir dans les activités entreprises (alors que le sentiment d’efficacité concerne des activités spécifiques). Les données de Nathalie André permettent de valider un outil de mesure de la motivation personnelle et de montrer son lien avec l’intention de continuer à pratiquer des activités physiques dans le cadre de programmes de réadaptation ou de prévention. La problématique est clairement à l’articulation de pratiques sociales et d’autorégulations sociales cognitives versus plus dispositionnelles, c’est-à-dire relevant de caractéristiques de personnalité.
4Fabien Fenouillet et Philippe Carré, à partir notamment de leurs travaux de synthèse qui ont donné lieu à un ouvrage collectif sur la motivation (Dunod, 2009), présentent un modèle intégratif de la motivation. Leur réflexion prend appui sur les cinq théories majeures (théories de l’attribution, de l’autodétermination, du flow, des buts, de l’auto-efficacité) et qui trouvent leur pertinence dans de nombreux domaines : école, famille, formation des adultes, orientation professionnelle, travail, management, sport, changement d’attitudes, développement humain. Les termes décision, stratégie, attente, prédiction, évaluation, en bonne place dans leur modèle, indiquent le poids du cognitif dans la motivation telle qu’elle est abordée actuellement en psychologie. Leur modèle s’attache à distinguer la motivation comportant les motifs primaires et secondaires de l’individu et la volition qui comprend les processus largement cognitifs par lesquels l’individu met en œuvre et évalue ses comportements, dans un environnement social.
5Souligner les vertus des modèles sociaux cognitifs de la motivation ne dispense pas de les mettre en perspective. C’est ce à quoi contribuent Ludovic Gaussot et Pierre-Henri François en interrogeant le concept d’autodétermination, sa place dans les systèmes sociétaux et dans les construits scientifiques.
6L’objectif de Ludovic Gaussot est de brosser un état de la question sociologique sur la question de l’autodétermination. Les analyses sociologiques essaient d’objectiver l’environnement social, les rapports sociaux, les normes et valeurs collectives et leur évolution, susceptibles d’éclairer sur l’autodétermination. Les travaux sur la question se multiplient en sociologie, y compris en France, depuis une vingtaine d’années, c’est-à-dire depuis le constat du « reflux » des mouvements sociaux, de la prégnance des groupes sociaux, des valeurs et adhésions collectives, et le « repli » sur la sphère privée ou le « retour » de l’acteur individuel. L’individu et les « processus cognitifs » sont devenus des catégories bonnes à penser en sociologie, voire des catégories hégémoniques. Après l’évocation de ces questions, le propos se centre sur les recherches fondatrices de ce questionnement (Norbert Elias et David Riesman) pour enfin présenter quelques développements récents dans les sphères de l’entreprise et de l’école notamment.
7Un programme de recherche coordonné par l’équipe SACO de Poitiers et subventionné par le Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la recherche dans le cadre d’une Action Concertée Incitative du réseau national des Maisons des Sciences de l’Homme a exploré de 2004 à 2008 l’hypothèse de l’existence d’une norme de motivation intrinsèque (François, 2004). Les travaux du collectif ont mis en évidence une valorisation sociale de la motivation intrinsèque et autodéterminée. Ce résultat permet d’interroger le modèle de Deci et Ryan qui serait normatif au sens où il véhicule une conception prétendument universelle de l’être humain et de ses besoins psychologiques mais qui paraît ancrée culturellement. Les résultats du programme sont mis en correspondance avec des travaux d’auteurs nord américains présentant des critiques du modèle allant dans le même sens. Pierre-Henri François rappelle ici les principales avancées du programme et en tire des pistes de réflexion et de futures recherches.
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