Introduction
p. 9-13
Texte intégral
La cognition, objet d’étude des sciences cognitives
1La cognition désigne l’ensemble des processus et fonctions qui permettent à un organisme biologique ou un système artificiel d’acquérir la conscience et la connaissance des événements et objets de son environnement. Parmi les processus et fonctions les plus connus qui participent à la cognition on peut citer la perception, la prise de décision, les fonctions exécutives, l’intelligence, le raisonnement, la mémoire, le langage, la motricité et les émotions. Ce sont vos fonctions cognitives qui vous permettent actuellement de lire cet ouvrage, de comprendre son contenu, d’en garder un souvenir qui vous permettra d’en parler à une autre personne et d’en tirer des informations qui influenceront peut-être vos prises de décision à venir. Sur le plan phylogénétique, notre espèce présente les fonctions cognitives les plus développées. Elle le doit en particulier au développement de différentes aires corticales telles que le cortex frontal et l’aire de Broca.
2La cognition est le principal objet d’étude des sciences cognitives, un groupement de disciplines scientifiques qui s’est opéré peu après la fin de la seconde guerre mondiale. Les disciplines scientifiques qui ont le plus contribué à l’émergence des sciences cognitives comprennent les mathématiques, la psychologie, l’intelligence artificielle, la linguistique, la philosophie et les neurosciences (Simon & Kaplan, 1989). L’émergence des sciences cognitives s’est faite en grande partie sur la base de trois grandes idées révolutionnaires sur les mécanismes de la pensée (Andler, 1986).
3La première considère que le langage de l’esprit est un système formel. Un système formel est un ensemble de symboles qui peuvent se combiner selon des règles basées sur la forme de ces symboles. Les puzzles, les alphabets et les langages peuvent tous être considérés comme des systèmes formels. L’esprit utiliserait ces symboles pour générer des pensées.
4La deuxième grande idée considère l’esprit comme une machine qui traite de l’information. La première machine à traiter de l’information a été imaginée par le mathématicien anglais Alan Turing (1950). Une machine de Turing est composée d’un système d’entrée/sortie qui peut écrire et lire un ensemble fini de symboles, et un système mémoire qui peut adopter différents états. Cette idée correspond à la fameuse métaphore selon laquelle l’esprit humain ne serait rien d’autre qu’une machine de Turing très élaborée, ce que nous appelons aujourd’hui un ordinateur. Selon cette conception de l’esprit, les pensées ne seraient qu’une combinaison de symboles.
5La troisième idée considère l’esprit comme une voie de communication à travers laquelle l’information peut circuler. Cette idée a été inspirée par le mathématicien Claude Shannon dans un article princeps intitulé « La théorie mathématique de la communication » publié en 1948. Dans cet article, Shannon présente un système linéaire de transmission de l’information et propose une définition quantitative des concepts d’information et d’incertitude mesurée en bit (binary digit). Plusieurs lois permettant de prédire le comportement humain, telle que la loi de Hick (Hick, 1952) ou la loi de Fitts (Fitts, 1954) ont ainsi été formalisées par les psychologues cognitivistes grâce à la théorie de la communication de Shannon. La définition quantitative de l’information est par exemple très utile en ergonomie pour mesurer objectivement la complexité d’une tâche où l’incertitude événementielle à laquelle doit faire face un individu dans une situation de travail.
6D’autres chercheurs tels que le linguiste Noam Chomsky ont aussi fortement contribué à l’avancement des sciences cognitives. Rejetant l’approche behavioriste de l’acquisition du langage développée par Skinner (1957), Noam Chomsky a par exemple proposé que le langage était une faculté innée de l’esprit et qu’il existait une grammaire universelle (Chomsky, 1957 ; Piattelli-Palmarini, 1979). Ainsi peut-on dire que les cognitivistes représentent la communauté des chercheurs qui partagent les idées, théories, méthodes, techniques et applications qui permettent l’étude de l’esprit, de la pensée et de l’intelligence.
Regards croisés sur les fonctions cognitives
7Comme nous l’avons vu plus haut, selon les cognitivistes, notre esprit s’appuie sur un ensemble de fonctions cognitives qui nous permettent d’interagir efficacement avec notre environnement. Ces fonctions opèrent des transformations et des calculs sur des symboles et le produit de leur fonctionnement génèrent nos pensées. Les sciences cognitives étudient les fonctions cognitives chez l’homme et les animaux, les ordinateurs et dans l’abstrait (Simon & Kaplan, 1989).
8Le présent volume n’a pas la prétention d’embrasser l’ensemble des domaines étudiés par les cognitivistes quelle que soit leur science d’appui. Un seul ouvrage ne serait d’ailleurs pas suffisant pour traiter de l’ensemble des thématiques étudiées par les sciences cognitives. Seules trois thématiques particulièrement importantes dans notre société actuelle ont été choisies dans le cadre de cet ouvrage : (1) la créativité, (2) la motivation et (3) le vieillissement normal et pathologique des fonctions cognitives. Une meilleure compréhension de ces trois thématiques peut en effet permettre à tous les acteurs de la société de mieux réussir dans les activités qu’ils entreprennent et de préserver ce capital cognitif le plus longtemps possible au cours du vieillissement.
9La créativité est à l’origine du développement des civilisations. Tout progrès ou innovation dépend de notre capacité à modifier les schémas de pensée déjà existants, à se positionner en décalage avec les idées dominantes du moment, à construire quelque chose de nouveau. Notre esprit créatif s’exprime dans des domaines aussi variés que l’art, la science et la technologie et nous permet de surmonter des épreuves ou des problèmes fondamentaux en lien avec le bon fonctionnement de nos sociétés, la survie à long terme de notre espèce et plus largement de l’écosystème dans lequel nous vivons. Étant donné l’importance centrale de cette extraordinaire faculté de l’esprit humain, les neurocognitivistes ont déployé des efforts de recherche conséquents pour élucider les mécanismes qui sous-tendent ce processus essentiel (Dietrich & Kanson, 2010). L’étude des idées créatives, des facteurs qui peuvent faciliter leur émergence, et de la façon dont elles sont générées par l’esprit et le cerveau humain, peuvent permettre de rendre ce processus encore plus performant dans le futur. Les retombées qui pourraient en découler pour notre société sont potentiellement énormes. La première partie de cet ouvrage est consacrée à l’étude des processus cognitifs qui sous-tendent ce processus de pensée si important pour l’évolution de notre société.
10Il est extrêmement difficile d’amener quelqu’un à changer de comportement, par exemple à inciter des personnes âgées sédentaires à pratiquer régulièrement une activité physique et à maintenir cette nouvelle habitude de vie sur des mois voire des années. Il en est de même pour faire stopper des conduites addictives, par exemple amener un fumeur à stopper sa consommation de cigarettes. La motivation est un élément fondamental des stratégies mise en place pour induire ces changements de comportement. Elle joue également un rôle déterminant dans l’engagement des individus dans les activités qu’ils entreprennent et le niveau de performance auquel ils peuvent prétendre. La motivation est cependant une fonction de notre système cognitif qui se distingue des autres. Elle est davantage considérée comme une fonction « énergisante » que comme une fonction « computationnelle ». En d’autres termes, elle alloue l’énergie et les ressources attentionnelles nécessaires à l’atteinte d’un but, mais laisse à d’autres fonctions cognitives le soin d’opérer les calculs et les transformations de l’information qui aboutiront à la production d’un comportement adapté à l’atteinte du but. Les domaines d’application de ce concept psychologique sont nombreux – l’éducation, le monde du travail, le sport, la politique – et une littérature abondante y est consacrée. Trois principales théories se sont intéressées à cette énergie interne qui détermine la direction et l’intensité de nos comportements : la théorie de la motivation d’accomplissement (Atkinson, 1957, 1960, 1964), la théorie sociale cognitive (Bandura, 1977, 1986, 1997) et la théorie de l’auto-détermination (Deci et Ryan, 1985, 1987, 1990, 2000). La deuxième partie de cet ouvrage présentera un ensemble de données récentes et de réflexions sur ce concept tant débattu avec une approche principalement centrée sur les deux théories les plus récentes de Bandura et Deci et Ryan.
11Le vieillissement cérébral et cognitif est un phénomène qui touche l’ensemble des êtres humains de façon plus ou moins accélérée. Du fait de différents phénomènes démographiques, le taux de personnes âgées croît progressivement dans nos sociétés modernes (USA, Canada, Japon, Europe). Cela conduit progressivement à une augmentation proportionnelle du taux de personnes dépendantes, en grande partie due à l’augmentation de nombre de personnes souffrant de neuropathologies telle que la maladie d’Alzheimer. Nos systèmes économiques et sociaux ne sont pas encore bien adaptés à cette évolution de la société. De nombreux acteurs des sphères politiques, scientifiques, sanitaires et sociales cherchent à faire émerger des solutions pour résoudre cette équation complexe. Leur créativité dans la recherche de solution dépend notamment d’une bonne connaissance du processus de vieillissement. La troisième et dernière partie de cet ouvrage tente de faire le point sur l’état actuel des connaissances sur le vieillissement cognitif pathologique et non pathologique. Il sera notamment démontré que les habitudes de vie sont des facteurs déterminants du bien vieillir qui peuvent ralentir les effets délétères du vieillissement cérébral, prolonger la préservation de l’autonomie des seniors et améliorer leur qualité de vie.
12La créativité, la motivation et le vieillissement seront donc tout à tour abordés selon les regards croisés de chercheurs français, belges et allemands sous l’influence de disciplines scientifiques variées telles que la philosophie, les neurosciences cognitives, la psychologie cognitive et la psychologie sociale.
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Bibliographie
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