Conclusion
p. 163-165
Texte intégral
1L’objectif principal du travail présenté dans cet ouvrage était de savoir si la syllabe peut être considérée comme une unité fonctionnelle d’accès au lexique dans les processus de lecture experte et débutante. Cette question apparaît pertinente dans la mesure où il est solidement établi que les informations sur la forme sonore des mots sont rapidement et nécessairement activées dans les processus de lecture silencieuse. La nature de cette information phonologique reste néanmoins peu définie à l’heure actuelle. Au-delà de simplement statuer sur le rôle potentiel des unités syllabiques dans les processus d’identification de mots, il s’agissait donc de le situer dans le cadre théorique plus large de la modélisation des processus orthographiques et phonologiques sous-tendant la reconnaissance visuelle de mots.
2L’ensemble des travaux présentés dans le présent ouvrage suggère que le traitement de mots écrits passe par l’activation d’un code syllabique. Plus précisément, les expériences rapportées dans le chapitre III avaient pour objectif d’apporter des éléments de réponse quant à la nature des effets syllabiques, à leur lien avec l’information orthographique portée par les mots, et aux types de processus sous-tendant l’émergence des effets syllabiques observés. Les résultats obtenus soutiennent l’hypothèse selon laquelle les syllabes sont des unités stockées et activées à un niveau sous-lexical sous leur forme phonologique. De plus, nos données suggèrent que l’information orthographique de début de mot, notamment la fréquence de transcription orthographique de la première syllabe, intervient pour une part dans la force d’activation des syllabes au niveau phonologique. Par ailleurs, l’ensemble des résultats suggère que les processus par lesquels les syllabes interviennent à un double niveau lors de l’identification de mots (facilitation sous-lexicale, inhibition lexicale) seraient déterminés en partie par l’efficience en lecture, ces processus se mettant en place dès les premières années de lecture. En cela, nous pensons que l’étude des effets syllabiques tout au long de l’expérience en lecture et en lien avec le niveau de lecture, pourrait apporter des éléments de réponse quant aux modalités de transition entre les processus de lecture débutante et les processus de lecture experte.
3Au-delà de la simple validation d’hypothèses théoriques, le travail conduit dans la thèse à la base de cet ouvrage a aussi été l’occasion d’une réflexion plus large et probablement relative à toute recherche indépendamment de son objet d’étude. Cette réflexion rejoint pour une part les préoccupations théoriques et empiriques de Pierre Gréco, telles que présentées par Gilis (2008) : réflexions autour des questions relatives aux cadres et problématiques théoriques à l’intérieur desquels sont définis les concepts, aux processus et outils cognitifs sous-jacents postulés relativement à la réalisation des tâches, aux méthodes et techniques d’étude utilisées, et aux contextes dans lesquels prennent place les tâches. Notamment, il nous semble important de souligner la nécessité de questionner l’ancrage théorique a priori du chercheur face à une nouvelle situation expérimentale, car cet ancrage semble pouvoir restreindre la perspective d’autres cadres interprétatifs pertinents (cas de la comparaison entre la syllabe et la BOSS dans les tâches de congruence syllabique par exemple). D’autre part, parce que ce travail a amené à comparer des groupes de lecteurs relativement différents (lecteurs débutants, jeunes lecteurs, lecteurs experts), le fait de postuler des processus sous-jacents similaires pour des comportements observés similaires semble mériter réflexion lorsqu’un même comportement est observé chez deux populations relativement différentes. Les méthodes et techniques d’études utilisées pour la recherche en psychologie cognitive du langage nous paraissent également mériter réflexion dans la mesure où les résultats obtenus montrent qu’il semble pertinent d’utiliser chez l’enfant des paradigmes initialement développés chez l’adulte. Enfin, conscient que de telles tâches restent néanmoins propres à la recherche en laboratoire, les implications pratiques de ces résultats (par exemple au domaine de la remédiation des difficultés en lecture) se doivent d’être réfléchies et testées avant toute application.
4Le présent travail s’est également accompagné d’une volonté de dépasser les paradigmes et réflexions dominantes dans le champ d’étude de la psychologie cognitive de la lecture. Notamment, les résultats valident l’utilisation des tâches chronométriques de lecture chez l’enfant (et non simplement des mesures de taux d’erreurs), et la prise en compte du niveau de lecture chez l’adulte, ces deux points étant peu fréquemment considérés dans les travaux en psychologie cognitive du langage à l’heure actuelle. Dans le but de comprendre spécifiquement les mécanismes d’apprentissage orthographique, il nous a semblé également nécessaire d’étudier conjointement les processus de lecture chez l’enfant et chez l’adulte plutôt que séparément. Dans cette perspective, il est apparu que le modèle interprétatif dominant des effets phonologiques (modèle de la double-voie, Coltheart et al., 2001) ne permettait pas d’appréhender les effets phonologiques tout au long de l’expérience en lecture. La proposition, plus minoritaire, initiée par Booth et al. (1998) semble au contraire prometteuse pour rendre compte du continuum dans les effets d’activation syllabique entre lecteurs débutants et lecteurs experts. Enfin, parce qu’il n’existait pas à l’heure actuelle d’outil spécifique sur la syllabe en français, une base de données sur les caractéristiques des syllabes de la langue française a été construite dans le but de faciliter les recherches ultérieures sur le rôle de la syllabe à l’écrit.
5En conclusion, si le travail présenté dans cet ouvrage ne permet pas d’apporter des réponses définitives quant aux questions sur le rôle de la syllabe en lecture et sur les conséquences théoriques, méthodologiques et pratiques de ce rôle, il aura au moins permis de soulever ces questions et d’en proposer un certain éclairage. En cela, le travail sur la modélisation du rôle de la syllabe tout au long de l’expérience en lecture nous semble mériter d’être poursuivi.
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