Les prises de position de sujets tunisiens à l’égard de l’« homme homosexuel »
p. 85-97
Texte intégral
1Depuis les années 1970, l’homosexualité est considérée par la communauté scientifique, comme une forme de sexualité parmi d’autres1. Cependant, dans le sens commun, elle est conçue au travers d’élaborations sociocognitives faisant souvent des formes de sexualité non conformes à la norme d’hétérosexualité, une abomination. Ces élaborations sont à l’origine de conduites et d’attitudes homophobes plus ou moins explicites.
2De façon générale, la conception musulmane de l’univers repose sur une bipolarité marquée du genre masculin et du genre féminin (Bouhdiba, 1975). Existe en Islam, l’idée d’« une harmonie antithétique des sexes » (Bouhdiba, 1975, p. 44, cité par Ben Alaya, 2000, p. 60). Un honnête homme ou une honnête femme se doivent d’affirmer et d’assumer les traits attribués à leur genre. Dans ce cadre, une transgression des rôles sexuels et a fortiori de ceux en rapport avec les pratiques sexuelles, est conçue comme étant contraire à l’ordre naturel et donc à celui voulu par Dieu. Ainsi, une sexualité n’obéissant pas à la norme d’hétérosexualité, remet en cause un « ordre intériorisé » en transgressant des frontières établies par la volonté divine (Bouhdiba, 1975). L’homosexualité masculine, qualifiée dans le Coran de « déviation du vrai chemin » (sourate Al Naml, verset 60, traduction de Mazigh, 1978) est abordée entre autres, à travers la damnation du peuple de Loth (versets 54-59). Il s’agit de l’un des péchés capitaux. Il est à noter cependant que seule l’homosexualité masculine est abordée dans le Coran, l’homosexualité féminine n’étant pas assimilée à une forme de fornication.
3Dans les sociétés du Maghreb – qui, il faut le rappeler, ont subi à travers l’histoire de multiples influences dont religieuses et pas seulement musulmanes – avoir un fils homosexuel est l’une des pires choses qui puisse arriver à la famille, et l’homosexualité, du moins masculine, est attribuée dans ce contexte, à une constitution physique et morale particulière (Chebel, 1995). Il faut cependant préciser qu’on y distingue nettement le caractère actif du caractère passif des pratiques sexuelles entre hommes, le premier bénéficiant d’une image plus favorable que le deuxième (Moatemri, 2000). Ceci est à mettre en relation avec le caractère dominant de la masculinité au niveau des représentations sociales, le caractère actif étant associé à cette catégorie de genre (Ben Alaya, 2000, 2006). Par ailleurs, si l’on se réfère à Chebel (1995), l’homosexualité passive masculine est assimilée à un manque de virilité et l’homosexualité active féminine à une inversion de genre. Or accuser un homme de manque de virilité est vécu comme l’un des pires affronts dans les sociétés du Maghreb (Chebel, 1995).
4L’interdiction de la transgression des rôles sexuels est doublée dans le cadre de la loi musulmane, de l’interdiction de la fornication en dehors du cadre du mariage. De même, sur le plan légal, dans la majorité des pays islamisés, tout acte sexuel hors de ce cadre est passible de sanctions encore de nos jours. Cependant, cela n’exclut pas que dans la conception musulmane de la sexualité, le plaisir charnel soit en lui-même souhaité voire encouragé entre époux. Pourtant, si l’on analyse la conception de l’homosexualité, du moins masculine, selon les lieux et les époques, on observe qu’elle a été tantôt pourchassée, tantôt tolérée (Bonnet, 1983) voire institutionnalisée. Lors du califat musulman abbasside de Hârûn ar-Rachîd (VIIIe-IXe siècles), l’homosexualité masculine était assez ouvertement pratiquée à la cour et même chantée, par exemple, par l’un des plus grands poètes de confession musulmane et d’expression arabe (Abû Nawas, 1998).
Me tuera-t-il ?
« Ses larmes coulent sur les roses de ses joues parce que je l’ai embrassé à l’improviste.
Mais quand je lui tendis un verre, déjà ivre, il défit sa ceinture en faisant une moue.
Malheur à moi, quand il sortira du sommeil de l’ivresse !
Me tuera-t-il à son réveil ?
Pour des yeux, me punir de sa mésaventure ?
N’ai-je pas dérangé le nœud de sa ceinture ? » Pour l’amour d’un Chrétien
« C’est un Persan Chrétien, moulé dans sa tunique,
qui laisse à découvert son cou plein de fraîcheur.
Il est si élégant, d’une beauté unique, qu’on changerait de foi – sinon de Créateur – pour ses beaux yeux.
Si je ne craignais pas, seigneur, d’être persécuté par un clerc tyrannique, je me convertirais, en tout bien et tout honneur. »
(Abû Nawas, VIIIe-IXe s.)
5Mais la situation actuelle des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes2 (HSH) au Maghreb, se caractérise par le fait qu’il existe d’une part un certain déni de leur existence par le sens commun, et d’autre part un fort refoulement de l’homosexualité franche et de l’homophilie (Chebel, 1995). De ce contexte social découle un vécu pénible chez la plupart des HSH, de leur condition. Cela peut les mener jusqu’à se questionner sur leur propre statut par rapport à la normalité (International HIV/AIDS Alliance, 2005) et à la morale dominante. D’ailleurs souvent ils se trouvent contraints de se marier (Chebel, 1995), le célibat étant traditionnellement lui aussi fortement déconsidéré dans les sociétés islamisées. Il apparaît à travers une étude menée par Moatemri (2000) que les HSH en Tunisie connaissent une souffrance psychique marquée due à leur position sociale.
6Du fait de ce contexte culturel et social, on peut poser l’hypothèse que la représentation sociale de l’« homme homosexuel » en Tunisie serait porteuse de stigmatisation. Ainsi, du point de vue du sens commun, les HSH formeraient un ensemble homogène et identifiable par un certain nombre de traits stéréotypés. Ils seraient ainsi l’objet d’un ensemble de processus en œuvre dans la perception et la réaction à « un autrui différent par excellence » (Ben Alaya, à paraître).
Une étude empirique
7Une étude portant sur la représentation sociale de l’« homme homosexuel » a été menée auprès de 153 étudiants de l’Institut Supérieur des Sciences Humaines de Tunis (Tunisie), en 2007. L’âge des enquêtés varie de 18 à 27 ans (moyenne = 21,56, écart-type = 2,26). Quant à la répartition selon le sexe, l’échantillon se compose de 57 hommes (37,25 %) et de 96 femmes (62,75 %).
8Un questionnaire a été construit où il est demandé à chaque répondant de produire à partir de l’élément inducteur « homme homosexuel », cinq évocations qu’il doit par la suite hiérarchiser selon leur importance pour lui (Vergès, 1992 ; Abric, 2003 pour une révision). Cette méthode permet de recueillir le contenu de la représentation sociale mais aussi le statut probable de chaque cognition le composant, selon son degré de saillance. Cela renvoie à la théorie du noyau central (Abric, 1976, 1987) où l’on considère que les représentations sont constituées d’éléments hiérarchisés formant une structure. Celle-ci comporte un système central (noyau central) et un système périphérique. Le premier est constitué d’éléments consensuels au niveau collectif et plutôt pérennes. Le deuxième est modulable et permet une régulation plus individuelle en fonction des contraintes imposées par l’environnement et de l’expérience.
9Le statut des éléments du champ de la représentation recueillis à l’aide de la question d’évocation, est défini grâce à une analyse croisant la fréquence d’occurrence et le rang moyen d’importance des réponses obtenues. Ceci permet d’avoir quatre cas de figure. Le premier correspond à une forte saillance de l’élément, ce qui renvoie à une forte probabilité d’appartenance au système central. Ce cas de figure concerne les éléments à la fois fréquents et importants. Le second cas est celui des éléments fréquents mais peu importants, ce qui renvoie au système périphérique de la représentation. Quant aux autres cas de figure, ils correspondent d’une part aux éléments importants mais peu fréquents (formant une représentation appartenant à un sous-groupe), d’autre part aux éléments très périphériques, c’est-à-dire à la fois peu fréquents et peu importants.
10Il est également demandé aux répondants dans le questionnaire de préciser sur une échelle de type Likert en quatre points allant de « tout à fait » à « pas du tout », jusqu’à quel point ils attribuent une série de caractéristiques à l’« homme homosexuel ». Ces caractéristiques sont : « malade », « étrange », « vulgaire », « dégoûtant », « contre nature », « contre la religion », « non humain » et « dangereux ». Ces caractéristiques correspondent aux cognitions les plus saillantes fournies par une enquête préliminaire portant sur la représentation sociale de l’homosexualité en général, réalisée en 2006 auprès de 64 étudiants équivalents à ceux de la deuxième enquête.
11L’analyse factorielle préconisée par Doise, Clemence et Lorenzi-Cioldi (19923), des réponses obtenues à des échelles mesurant des opinions et des attitudes à l’égard d’un objet de représentation, telles que celles utilisées dans la présente étude, permet de dégager des principes organisateurs des différentes prises de position à l’égard de l’objet. Cette méthodologie est sous-tendue par un modèle théorique selon lequel, bien qu’il existe une structure représentationnelle commune formant une base consensuelle chez les membres d’une communauté, on observe parmi eux des degrés d’adhésion différents aux opinions, attitudes et stéréotypes composant la représentation sociale. Ces prises de position différentes à l’égard d’un objet sont dans un rapport d’homologie avec les positions spécifiques des individus dans l’ensemble des rapports sociaux dans lesquels ils s’insèrent. Or il y a un lien entre le système cognitif en général des individus et ces positions spécifiques. Ainsi, on peut observer des variations interindividuelles systématiques des prises de position à l’égard d’un objet de représentation dans un groupe, qu’on peut expliquer par les principes organisateurs correspondant aux facteurs extraits par analyse factorielle des réponses aux échelles d’opinion.
12En définitive, l’objectif de l’étude menée était de rechercher l’articulation du contenu de la représentation sociale tel qu’exploré à l’aide de la méthode définie dans le cadre de la théorie du noyau central (Abric, 1976, 1987) de l’« homme homosexuel », et des différentes prises de position à son égard telles que définies par la méthode de Doise et al. (1992).
Résultats
13Les moyennes des scores obtenus aux échelles (voir tableau 1) révèlent que dans l’ensemble, les sujets ont tendance à considérer l’« homme homosexuel » comme étant notamment « contre la religion », « contre nature » et « dégoûtant ». En revanche, globalement, ils n’ont pas tendance à le considérer « non humain ». Par ailleurs, la moyenne générale à l’ensemble des items, montre que le groupe interrogé n’a globalement pas une position extrême à l’égard de l’« homme homosexuel ».
Items | Moyenne des scores4 |
Contre la religion | 1,55 |
Contre nature | 1,92 |
Dégoûtant | 1,95 |
Vulgaire | 2,22 |
Malade | 2,27 |
étrange | 2,27 |
Dangereux | 2,77 |
Non humain | 2,97 |
Moyenne générale | 2,24 |
Les principes organisateurs de la représentation sociale de l’« homme homosexuel »
14En poussant l’exploration plus loin, on observe que les différentes positions à l’égard de l’« homme homosexuel » s’organisent selon deux principes correspondant à deux facteurs extraits par analyse en composantes principales (voir tableau 2). Il s’agit d’un facteur « définition de l’humanité selon un critère de normalité » regroupant les variables correspondant aux items « malade » et « non humain » et expliquant 23,35 % de la variance. Le deuxième facteur nommé « croyance en un ordre naturel voulu par Dieu », regroupe les variables « contre la religion », « contre nature » et « dégoûtant » et explique 21,27 % de la variance.
Items | Facteur 1 (« Définition de l’humanité selon un critère de normalité ») | Facteur 2 (« Croyance en un ordre naturel voulu par Dieu ») |
Malade | . 74 | . 24 |
étrange | . 6 | . 05 |
Vulgaire | . 58 | . 46 |
Dégoûtant | . 21 | . 79 |
Contre nature | . 20 | . 76 |
Contre la religion | . 12 | . 75 |
Non humain | . 73 | . 17 |
Dangereux | . 65 | . 18 |
Variance expliquée | 23,35 % | 21,27 % |
Les différentes prises de position à l’égard de l’« homme homosexuel »
15Les prises de position des répondants ont été définies sur la base de leurs scores factoriels obtenus sur les deux facteurs extraits. Compte tenu des faibles effectifs relatifs à certains sous-groupes constitués à partir du croisement des positions sur les deux facteurs, une comparaison des scores aux échelles de prises de position a été appliquée uniquement à ceux ayant des positions unidimensionnelles, c’est-à-dire d’abord, aux deux sous-groupes de sujets ayant des scores importants positifs d’une part et négatifs d’autre part sur le facteur « définition de l’humanité selon un critère de normalité » mais dont les scores sur le facteur « croyance en un ordre naturel voulu par Dieu » n’ont pas de poids significatif ; ensuite, à ceux ayant des scores positifs ou négatifs importants sur le facteur « croyance en un ordre naturel voulu par Dieu » mais dont les scores sur le facteur « définition de l’humanité selon un critère de normalité » n’ont pas de poids significatif ; et enfin, à ceux dont les scores n’ont de poids significatif ni sur l’un ni sur l’autre facteur. On obtient ainsi cinq sous-groupes « purs » totalisant 111 sujets : les « humanistes », les « déshumanisants », les « croyants », les « non croyants » et les « ambivalents » (voir tableau 3).
Effectif | % | |
« Humanistes » | 14 | 15,54 |
« Non croyants » | 17 | 18,87 |
« Ambivalents » | 37 | 41,04 |
« Croyants » | 22 | 24,42 |
« Déshumanisants » | 21 | 23,31 |
Total | 111 | 100 % |
16Les moyennes globales des sous-groupes (voir tableau 4) montrent que les « déshumanisants » sont ceux qui adhèrent le plus aux traits péjoratifs décrivant l’« homme homosexuel ». Viennent ensuite les « croyants ». Quant aux « ambivalents », ils attribuent moyennement ces traits aux HSH, tandis que les « non croyants » et les « humanistes » n’y adhèrent plutôt pas.
17Les « déshumanisants » sont les seuls à adhérer à tous les items pris en compte, décrivant ainsi l’« homme homosexuel » de façon massivement stigmatisante. Leurs prises de position se différencient de façon significative pour tous les items par rapport à celles des « humanistes » et des « non croyants » (voir tableau 5). En revanche, on n’observe pas de différence significative entre « déshumanisants » et « croyants » pour les items « vulgaire » et « contre la religion » auxquels ils adhèrent tous.
18Les « humanistes » et les « non croyants » sont les plus favorables à l’« homme homosexuel ». Ils rejettent fortement l’idée qu’il est « non humain ». Les « non croyants » adhèrent en moyenne uniquement à l’idée que l’« homme homosexuel » est « étrange ». Les « humanistes » eux, n’adhèrent qu’à l’idée qu’il est « contre la religion ». Bien qu’ils aient une position indifférente à la dimension « croyance en un ordre naturel voulu par Dieu », les « humanistes » font référence à l’aspect religieux dans leur jugement de l’« homme homosexuel ». Cependant, cela n’implique pas nécessairement une adhésion à l’item en lui-même. En effet, cela peut signifier un constat de fait plutôt qu’une identification réelle à la dimension religieuse.
19Les « humanistes » se distinguent des « ambivalents », des « déshumanisants » et des « croyants » par un rejet de l’idée que l’« homme homosexuel » est malade. Quant aux « non croyants », ils y adhèrent de façon moyenne.
20En revanche, « humanistes » et « non croyants » rejettent l’idée que l’« homme homosexuel » est « vulgaire », « dégoûtant » et « contre nature », tandis que les « ambivalents », les « déshumanisants » et les « croyants » y adhèrent.
21Les « ambivalents », les « déshumanisants » et les « croyants » ont en commun l’idée que l’« homme homosexuel » est « malade », « vulgaire », « dégoûtant », « contre nature » et « contre la religion ». Les « déshumanisants » et les « croyants » le considèrent également « étrange », idée à laquelle les « ambivalents » n’adhèrent que moyennement.
22La comparaison des moyennes des scores entre les différentes prises de position, montre des différences significatives pour tous les items entre « humanistes » et « croyants », entre « humanistes » et « déshumanisants », et entre « non croyants » et « déshumanisants » (voir tableau 5).
23D’une part, les « humanistes » adhèrent significativement moins à tous les items que les « croyants » et que les « déshumanisants », d’autre part les « non croyants » y adhèrent moins que les « déshumanisants ».
24La comparaison entre « non croyants » et « croyants » montre davantage d’adhésion des « croyants » à « maladie », « vulgaire », « dégoûtant », « contre nature » et « contre la religion », que les « non croyants ». Aucune différence significative n’est observée entre les deux sous-groupes pour « étrange », « non humain » et « dangereux ».
Le contenu de la représentation sociale de l’« homme homosexuel » selon les prises de position à son égard
25Une analyse comparative du contenu hiérarchisé de la représentation sociale de l’« homme homosexuel » selon les prises de position vues précédemment (voir tableau 65), montre que les sujets « humanistes » se différencient des autres sous-groupes du fait qu’ils ne partagent pas une conception collective de l’objet (aucun élément n’a une fréquence supérieure à 2. Cette absence de représentation pourrait être mise en relation avec une distance par rapport aux stéréotypes décrivant l’« homme homosexuel », et par conséquent avec l’absence d’un biais d’homogénéité (Tajfel et Wilkes, 1963) dans la perception des HSH. Ces derniers ne seraient pas définis chez les « humanistes », par des caractéristiques qui leurs seraient particulières.
26En revanche, chez les autres sous-groupes, la faible diversité du contenu évoqué et son caractère assez consensuel, renverraient à une représentation cristallisée.
27Un consensus inter groupes existe entre « déshumanisants », « croyants » et « non croyants » quant à la définition de l’homosexualité masculine en tant que maladie. L’élément « malade » existe également chez les « ambivalents » mais de manière plutôt périphérique.
28L’idée saillante de maladie observée chez les « non croyants » est accompagnée de « trouble mental », élément également observé chez les « ambivalents » mais de façon périphérique.
Prises de position à l’égard de l’« homme homosexuel » et appartenance sexuelle
29Les prises de position à l’égard de l’« homme homosexuel » peuvent être mises en relation avec des insertions sociales correspondant à des positions spécifiques dans l’ensemble des rapports sociaux (Doise et al., 1992 ; Clémence et al., 1994). Parmi les insertions, l’appartenance sexuelle des individus peut jouer un rôle important.
30Cependant, une analyse visant l’exploration de la correspondance entre le sexe des répondants et l’appartenance aux différentes prises de position, ne montre globalement aucune différence significative entre hommes et femmes (khi2 = 3,82, dl = 4). Il semblerait que l’appartenance sexuelle ne constitue pas un mode d’insertion sociale déterminant dans la représentation de l’« homme homosexuel » chez le groupe interrogé.
31Par ailleurs, une analyse de variance selon l’appartenance des sujets, indépendamment de leurs prises de position, appliquée à l’ensemble des réponses aux échelles, ne montre pas d’effet global de la variable sexe. Cependant, la comparaison des réponses par item, montre une plus grande adhésion des hommes à l’idée que l’« homme homosexuel » est dangereux, par rapport aux femmes (voir tableau 7). Ceci serait à mettre en relation avec un plus grand effet de surexclusion de l’endogroupe (Leyens et Yzerbyt, 1992) par les sujets de sexe masculin que par ceux de sexe féminin, s’agissant d’homosexualité masculine. D’ailleurs, la moyenne des scores montre que les femmes n’adhèrent plutôt pas à l’idée de dangerosité de l’« homme homosexuel » tandis que les hommes y adhèrent moyennement (voir tableau 7).
32L’analyse du contenu de la représentation sociale selon le sexe (voir tableau 8) montre un consensus entre hommes et femmes sur l’idée que l’« homme homosexuel » est « malade ». En outre, les deux sous-groupes lui attribuent – bien que cela soit moins saillant chez les hommes – un caractère « efféminé ».
Hommes (N = 57) | Femmes (N = 96) | |
éléments saillants | Malade 23/2,478 | Malade 19/2,42 Efféminé 19/2,26 |
éléments périphériques | Efféminé 11/1,96 Dégoûtant 11/2,72 | Dégoûtant 10/3,5 Trouble psychique 17/3 Contre la religion 10/2,8 Contre nature 10/2,7 |
33La technique de recueil des réponses associatives utilisée étant probabiliste, elle ne permet pas de trancher de façon définitive en ce qui concerne la similitude ou la distinction des représentations sociales observées chez les hommes et chez les femmes. Néanmoins, l’idée saillante que l’homosexualité masculine est « pathologique », semble communément partagée.
Conclusion
34Les résultats mettent en lumière une représentation sociale plutôt stigmatisante de l’« homme homosexuel » chez la majorité des personnes interrogées. Des prises de position plus ou moins intolérantes réunissent 72,1 % des sujets. Pour eux, dévier de la norme d’hétérosexualité est une aberration, ou une rébellion contre le divin.
35Néanmoins, au niveau de l’ensemble des sujets interrogés, des variations interindividuelles nettes apparaissent dans les prises de position. Celles-ci renvoient à des principes organisateurs généraux sans doute actifs aussi bien dans l’homophobie que dans d’autres formes de rejet. La référence religieuse et la définition de l’humain y sont centrales.
36Ce sont essentiellement les « déshumanisants » et les « croyants » qui manifestent un rejet important à l’égard de l’« homme homosexuel », mais aussi, par certains aspects, les « ambivalents ». Les « déshumanisants » sont ceux qui adhèrent le plus aux traits péjoratifs qui le décrivent. Les « croyants » sont les plus proches de cette position extrême mais restent relativement plus tolérants du fait qu’ils ne renient pas son humanité et ne le considèrent pas comme « dangereux ».
37Les « humanistes » et les « non croyants » sont les moins stigmatisants. Ces deux sous-groupes sont ceux qui se différencient le plus nettement de la position déshumanisante. Cependant, les « humanistes » sont ceux qui montrent la plus grande tolérance. La position humaniste est la seule à marquer une rupture radicale avec les autres. Les tenants de cette position se distinguent par un rejet de l’idée que l’« homme homosexuel » est malade aussi bien dans les prises de position à son égard que dans le contenu évoqué à son propos. On peut même douter de l’existence chez eux d’une représentation sociale cristallisée des HSH.
38Chez les autres sous-groupes, la faible diversité du contenu de la représentation et le consensus qui y est observé concernant le caractère supposé pathologique de l’homosexualité masculine, renverraient à un stéréotype négatif. Même les « non croyants » dont les positions ne sont pas défavorables à l’« homme homosexuel », participent au consensus en le décrivant comme porteur de pathologie. L’idée que l’« homme homosexuel » est malade est également partagée par les hommes et les femmes. Ils se distinguent néanmoins du fait d’une plus grande dangerosité perçue des HSH, par les hommes que par les femmes, perception sans doute due à un effet de surexclusion de l’endogroupe (Leyens et Yzerbyt, 1992).
39Cependant, paradoxalement, taxer l’homosexualité du moins masculine, de maladie, c’est en même temps exclure l’idée que l’individu puisse être responsable de son orientation sexuelle. Il serait donc non pas coupable d’être homosexuel, mais coupable de céder aux pulsions que sa « pathologie » lui impose.
Notes de bas de page
1 Cf. le Manuel de Diagnostic et Statistique des Troubles Mentaux (DSM-III) de l’Association Américaine de Psychiatrie (1973).
2 Désignation adoptée par les instances internationales impliquées entre autres dans la lutte contre les discriminations, telles que les organismes des Nations Unies.
3 Voir aussi Clémence, Doise et Lorenzi-Cioldi (1994).
4 Plus la moyenne tend vers 1, plus les répondants attribuent le trait décrit par l’item, à l’« homme homosexuel ».
5 Il n’a été tenu compte dans la description du contenu de la représentation, que des éléments fréquents et importants (probablement centraux) et des éléments fréquents mais peu importants (périphériques). Les éléments peu fréquents et importants et ceux ni fréquents ni importants, ne figurent pas dans le tableau 6 (hormis pour les « humanistes » qui ne présentent que des éléments très peu fréquents et peu importants) afin de ne pas l’alourdir.
6 Le premier chiffre correspond à la fréquence de l’élément, le deuxième au rang moyen d’importance. Plus celui-ci tend vers 1, plus l’élément est important.
7 Plus la moyenne tend vers 1, plus les répondants attribuent le trait décrit par l’item, à l’« homme homosexuel ».
8 Le premier chiffre correspond à la fréquence de l’élément, le deuxième au rang moyen d’importance. Plus celui-ci tend vers 1, plus l’élément est important.
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