Imposer des contraintes de taille ou de vitesse sur l’écriture chez l’enfant : des bénéfices ou non ?
p. 245-261
Texte intégral
Introduction
1La maîtrise des habiletés élémentaires d’écriture, à savoir la réalisation des mouvements de formation des lettres, est un élément important de la réussite scolaire. Fayol et Miret (2005) ont, par exemple, montré que les enfants ayant une moindre maîtrise graphique sont moins performants à une épreuve de dictée. Ainsi, l’échec dans l’apprentissage de la production des lettres a des répercussions sur les processus de plus haut niveau impliqués dans la production de textes (Berninger, 1999 ; Graham, 1990 ; Graham, Harris & Fink, 2000). Tant que les mouvements d’écriture ne sont pas automatisés, leur production requiert des ressources mnésiques et attentionnelles, limitant ainsi celles attribuées aux processus de plus haut niveau, tels que ceux impliqués dans l’expression d’idées ou la composition de textes (Jones & Christensen, 1999). Pour ces raisons, l’investigation des facteurs susceptibles de faciliter l’automatisation des mouvements d’écriture est d’un intérêt particulier. L’objectif de cette étude est d’évaluer l’impact des contraintes spatiotemporelles sur les mouvements d’écriture de lettres cursives isolées des enfants de 5, 6 et 7 ans.
L’acquisition des mouvements d’écriture
2Requérant le contrôle de mouvements fins de la main et des doigts, l’écriture est une habileté au développement long et complexe qui prend appui à la fois sur le développement moteur, perceptif et cognitif de l’enfant et sur l’instruction scolaire (Zesiger, Deonna & Mayor, 2000 ; Chartrel & Vinter, 2004). L’acquisition de l’écriture repose sur l’apprentissage de deux types de mouvements : ceux responsables de la production des formes des lettres et ceux permettant l’agencement spatial des caractères au sein de la feuille, correspondant respectivement aux composantes morphocinétique et topocinétique1 (Paillard, 1974, 1990). Chez l’adulte, alors que les topocinèses, sous contrôle rétroactif2, sont fortement dépendantes des informations de feedback, la production des morphocinèses, sous contrôle proactif3, est régie par des programmes moteurs (Smyth & Silvers, 1987 ; Teasdale, Bard, Paillard, Fleury & Lamarre, 1993). La formation de ces programmes moteurs, dédiés à la production des lettres, est très progressive. Nous avons effectivement montré que, si les mouvements de production de lettres cursives des adultes sont stables, en l’absence d’informations visuelles, ceux des enfants de 10 ans subissent encore de nombreuses modifications, indiquant ainsi que la production des morphocinèses n’est toujours pas automatisée à cet âge (Chartrel & Vinter, 2006). Le développement de l’écriture repose donc, en grande partie, sur le passage progressif d’un mode de contrôle rétroactif vers un mode de contrôle proactif des mouvements d’écriture. Parallèlement, la maturation motrice constitue également un facteur déterminant de ce développement, la production d’une écriture experte nécessitant la coordination des articulations proximales et distales4 (Ajuriaguerra, Auzias, Coumes, Denner, Lavondes-Monod, Perron & Stambak, 1989). Les articulations proximales sont essentiellement mises à l’œuvre dans la production des topocinèses, alors que les articulations distales interviennent de manière prédominante dans la production des morphocinèses, dans le cadre d’une écriture de taille normale. Or ces deux types d’articulations sont soumis à un développement asynchrone : les premières, contrôlant les mouvements de grande amplitude, parviennent à maturité plus précocement que les secondes, impliquées dans les mouvements de petites amplitudes. Ainsi, lorsque débute l’apprentissage des formes cursives, autour de 5-6 ans, l’enfant a recours à un fort contrôle visuel et réalise des mouvements peu rapides, peu fluides et de grande amplitude. Par la suite, grâce à la constitution des programmes moteurs et à la maturation distale, les mouvements de l’enfant gagnent en rapidité, en fluidité et leur amplitude est réduite (Meulenbroek & Van Galen, 1988 ; Zesiger, 1995). Ce développement partage de grandes similitudes avec celui d’autres conduites perceptivo-motrices, comme le pointage, par exemple (Hay, 1984 ; Ferrel, Bard & Fleury, 2001). Si la performance motrice subit un long développement, il en va de même pour la qualité de la trace écrite (Charles, Soppelsa & Albaret, 2004).
L’enseignement de l’écriture des lettres : les effets des instructions et des contraintes
3L’acquisition de l’écriture des lettres résultant d’un apprentissage scolaire, il est essentiel de chercher à savoir quelles sont les instructions les plus efficaces pour aider l’enfant à y parvenir. Dans la même perspective, il est intéressant de se demander si les lettres diffèrent du point de vue de la complexité motrice impliquée par leur production, ce afin de planifier, au mieux, l’ordre dans lequel elles doivent être enseignées. Dans ce cadre, plusieurs recherches ont montré que la démonstration visuelle, du mouvement à produire pour former la lettre, améliore les performances de copie des enfants (Sovik, 1976). Celles-ci sont encore meilleures lorsque la démonstration du mouvement s’accompagne d’une description verbale de celui-ci (Hayes, 1982 ; Wright & Wright, 1980). Meulenbroek et Van Galen (1986) ont analysé l’impact des contraintes de vitesse et de hauteur sur l’écriture de patterns répétitifs, par des enfants de 6 à 9 ans. Leurs résultats indiquent que la consigne d’augmentation de la vitesse induit une diminution du temps de mouvement et de la longueur des productions, ainsi qu’une amélioration de la qualité de la production, révélée par une augmentation du SNA-ratio (« signal-to-noise amplitude ratio5 »). Par ailleurs, lorsque la hauteur des traces est contrainte, ils observent une augmentation du temps de mouvement ainsi qu’une détérioration de la qualité de la production. Enfin, ils montrent également que l’association des contraintes de vitesse et de hauteur améliore la performance des enfants, en entraînant une plus grande augmentation de vitesse et une meilleure qualité du signal. Dans cette étude, les modifications engendrées par les contraintes spatiales et/ou temporelles sont identiques entre 6 et 9 ans. Cette absence d’effet d’âge est très certainement liée au fait que la tâche soit très familière aux enfants puisqu’elle consiste en la production de patterns répétitifs (guirlandes, vagues,…). Par la suite, Meulenbroek et Van Galen (1990) ont cherché à évaluer la complexité motrice associée à l’écriture des vingt-six lettres de l’alphabet. Ils suggèrent que la production d’un pattern est d’autant plus complexe qu’elle nécessite des mouvements fins des doigts. Leurs résultats indiquent que les lettres avec de longs segments faiblement courbés (l, h, j, b, t, f, b) sont plus aisément produites que celles de petites tailles (c, i, u, o). Ils observent une plus grande complexité pour k, x, s, r et z dont la production implique de brusques changements de direction.
Objectif de l’étude
4Dans la présente étude, notre intérêt s’est focalisé sur les mouvements de production des formes cursives des lettres, ce qui correspond à la première acquisition de l’enfant. Cette acquisition est fondamentale car un échec dans l’automatisation de ces mouvements élémentaires engendre des difficultés dans la réalisation des tâches d’écriture impliquant des processus de plus haut niveau (Berninger, 1999 ; Graham, 1990 ; Graham, Harris & Fink, 2000). Nous avons cherché à évaluer l’impact des contraintes spatio-temporelles sur les mouvements de production des 26 lettres cursives, chez des enfants de 5, 6 et 7 ans, afin de dégager les éventuels bénéfices, de telles contraintes, sur les gestes d’écriture. Les performances d’enfants de 5 ans, qui n’ont pas encore débuté l’instruction de l’écriture cursive, ont été comparées à celles d’enfants de 7 ans, plus familiers avec les exercices de copie de lettres. De plus, c’est essentiellement dans la période des débuts de l’apprentissage de l’écriture (6-7 ans) que se pose la question de l’apprentissage d’une contrainte spatiale. L’impact des différentes contraintes a été évalué au moyen d’un indice de fluidité du mouvement (le nombre moyen pondéré de pics de vitesse) qui est un bon indicateur de la formation des programmes moteurs (Zesiger, 1995). Nous avons supposé que les contraintes spatio-temporelles engendraient des modifications des performances différentes en fonction de l’âge mais également en fonction de la lettre. Notre objectif était également de repérer les lettres présentant la plus grande complexité motrice pour les enfants, aux différents âges, estimant que de telles données peuvent présenter un intérêt dans le cadre des pratiques enseignantes. Elles pourraient, en effet, être utilisées en complément d’autres variables – telles que la fréquence des lettres dans la langue – pour planifier l’ordre d’apprentissage des lettres.
Méthode
Sujets
5Les cent enfants droitiers ayant participé à cette étude ont été répartis dans trois groupes, en fonction de leur âge et de leur niveau scolaire. L’âge moyen des enfants de grande section de maternelle est de 5 ans 8 mois (de 5 ; 3 à 6 ; 2 ans ; quinze filles et douze garçons), celui des CP est de 6 ans 7 mois (de 6 ; 3 à 7 ans ; dix-huit filles et vingt-deux garçons) et celui des CE1 est de 7 ans 10 mois (de 7 ; 2 à 8 ; 2 ans ; quinze filles et dix-huit garçons). Ils sont de langue native française, issus de classes sociales moyennes et leur vision est normale ou corrigée. Ils ne présentent ni retard, ni avance scolaire. Les enfants ayant été déclarés comme présentant des difficultés graphiques, par les enseignants, ont été écartés de l’étude. Afin d’éviter toute surcharge de travail, tout en nous permettant de recueillir des données pour les vingt-six lettres, les enfants ont été répartis en quatre sous-groupes travaillant sur des lettres différentes (voir la procédure). L’expérimentation s’est déroulée à la même période de l’année scolaire pour les différents groupes et avant que les enfants les plus jeunes (GS) n’aient débuté l’instruction de l’écriture cursive.
Matériel
6Les productions écrites ont été recueillies à l’aide de protocoles construits pour les besoins de l’expérience. Une unique feuille permet de recueillir les douze copies d’une même lettre. Sur celle-ci, le modèle en cursif de la lettre à produire est imprimé, sur une ligne de base (simple ligne horizontale), puis entre des interlignes (quatre lignes parallèles espacées, du haut vers le bas, de 5 mm, 3 mm puis 5 mm). La taille des lettres correspond à celle des cahiers d’écriture utilisés par les enseignants en début de CP : 3 mm pour les lettres sans extensions verticales, 8 mm pour les autres lettres, excepté pour le f (13 mm). Quant aux mouvements d’écriture, ils ont été enregistrés à l’aide d’une tablette graphique (Wacom UD-1218) reliée à un ordinateur PC, muni du programme OASIS (De Jong, Hulstijn, Kosterman & Smits Engelsman, 1996) ; ce programme assure l’acquisition et l’analyse des données.
7L’objectif étant d’évaluer l’impact des contraintes spatio-temporelles sur les mouvements de production, les vingt-six lettres de l’alphabet ont été distribuées entre les quatre groupes, sur la base du travail moteur qu’elles nécessitent, de manière à obtenir, pour les quatre groupes, une tâche de complexité motrice équivalente. Le travail moteur a été évalué sur la base des résultats d’une pré-étude (Vinter & Chartrel, soumis), dans laquelle il a été demandé à trente adultes de catégoriser les vingt-six lettres, selon la similarité proprioceptive de leurs trajectoires. Les groupes ainsi obtenus sont : groupe 1 (a, b, g, i, m, r), groupe 2 (q, l, p, w, z, d), groupe 3 (c, f, j, t, n, s, o), groupe 4 (e, h, y, u, v, k, x).
Procédure
8Quelques jours avant le début de l’expérimentation, il a été demandé aux enfants de copier en écriture cursive, sur la base de modèles cursifs, leur prénom et le jour de la semaine. Les productions recueillies ont été analysées au moyen de quelques critères de la BHK (« échelle d’évaluation rapide de l’écriture chez l’enfant » de Charles et al., 2004) : écriture chaotique, tremblement, hauteur relative des lettres, lettres étranges ou ambiguës. Les enfants les plus jeunes n’ayant pas encore débuté l’apprentissage de l’écriture, l’épreuve complète de la BHK ne pouvait leur être proposée. En effet, dans cette épreuve, il est attendu une production écrite minimale de cinq lignes, c’est pourquoi la production demandée a été restreinte à deux mots connus des enfants. Les trois groupes d’âge ont été soumis à une analyse préliminaire présentant les mêmes critères, l’objectif étant de former des groupes d’enfants de niveaux globalement équivalents. Les scores obtenus ont permis la répartition des enfants en quatre groupes équivalents du point de vue de leurs habiletés initiales. Les scores moyens des quatre groupes ne diffèrent pas significativement (t-tests), que ce soit à 5 ans ou à 6 ou 7 ans. Par ailleurs, précisons que cette analyse a conduit à écarter quatre enfants de 5 ans, quatre enfants de 6 ans et un de 7 ans parce que leurs scores moyens étaient trop éloignés de ceux des enfants de même âge.
9Lors de l’expérimentation, l’enfant a pour tâche de reproduire des lettres, trois fois de suite, dans quatre conditions d’écriture qui introduisent des contraintes spatiales et/ou temporelles. Chaque lettre est donc produite douze fois, selon un ordre de présentation aléatoire. Dans la première condition, la vitesse et la taille sont spontanées (VTsp). La passation débute toujours par cette condition d’écriture afin de recueillir la production naturelle des enfants, sans influence des autres consignes d’écriture, et donc de définir un « niveau de base » des performances. L’ordre de présentation des trois autres conditions est contrebalancé. Dans une deuxième condition, on demande à l’enfant d’écrire le plus vite possible, tout en gardant une reproduction conforme au modèle ; cette condition introduit donc une contrainte temporelle (Vimp, vitesse imposée). Dans une troisième condition, la contrainte est spatiale (Timp, taille imposée) : on demande à l’enfant d’écrire entre des interlignes composées de deux lignes centrales espacées de 3 mm, d’une ligne supérieure et d’une ligne inférieure situées à 5 mm de la ligne centrale la plus proche ; cette configuration est adaptée à la taille des modèles proposés. Enfin, dans la quatrième condition, la contrainte est spatiotemporelle, la vitesse et la taille étant imposées (VTimp). Quelle que soit la condition, il est demandé à l’enfant de tracer la lettre sans lever le stylo, excepté pour les lettres i, j, t et x. Les mouvements d’écriture des enfants sont enregistrés grâce à l’utilisation de la table digitalisante et le logiciel OASIS permet l’enregistrement et l’analyse des mouvements. Cette technique permet de contrôler le nombre de levées de stylo, au cours de la production d’une lettre, et de mesurer différents paramètres spatio-temporels (vitesse, fluidité,…).
Résultats
10Seules les productions conformes au modèle (sans omission ni ajout de segments de lettre) ont été conservées ; 15 % environ des productions ont été ainsi éliminées. En outre, les enfants de 5 ans ont rencontré des difficultés à tracer certaines lettres de façon cursive, sans lever le stylo, comme le demandait la consigne ; il s’agit des lettres a, b, d, g, h, k, q. À celles-ci s’ajoute la lettre x qui donne lieu à un trop faible nombre de reproductions correctes. Ces lettres sont souvent segmentées, retouchées par l’enfant et ont donc été éliminées de nos analyses pour ce groupe d’âge. La difficulté particulière associée à la réalisation de ces huit lettres est encore présente à 6 ans pour les lettres a, d, g, k, q. Cependant, ces lettres ayant été réalisées par un nombre suffisant d’enfants (N = 18), elles ont été prises en compte. À l’âge de 7 ans, les enfants sont capables de produire de façon cursive les vint-six lettres de l’alphabet.
11Afin d’évaluer l’effet de la lettre produite et son interaction avec l’effet du facteur « condition », des ANOVAs ont été réalisées, pour chacun des trois groupes d’âge, sur le nombre moyen de pics de vitesse. Cet indice, qui reflète la fluidité du mouvement, a été pondéré par le nombre de segments présent dans chaque lettre, un segment correspondant à la portion de trajectoire comprise entre deux points d’inflexion6 de la courbe (a = 4 ; b = 4 ; c = 3 ; d = 4 ; e = 3 ; f = 4 ; g = 5 ; h = 5 ; i = 2 ; j = 3 ; k = 8 ; l = 3 ; m = 7 ; n = 5 ; o = 3 ; p = 5 ; q = 3 ; r = 4 ; s = 3 ; t = 2 ; u = 4 ; v = 4 ; w = 6 ; x = 6 ; y = 5 ; z = 6). Les points des lettres i et j ne sont pas pris en compte. De ce fait, une valeur égale à 1 correspond à un mouvement fluent. Nous avons retenu cet indice plutôt qu’une mesure de précision car il est un bon indicateur de la formation des programmes moteurs (Zesiger, 1995). De plus, des classifications ascendantes hiérarchiques ont été effectuées, à chaque âge, sur la base de la vitesse moyenne et du nombre moyen pondéré de pics de vitesse. Cette analyse conduit à la constitution de groupes de lettres proches en terme de vitesse et de fluidité de production (clusters). Les clusters obtenus procurent des indications sur la plus ou moins grande complexité motrice des lettres. Enfin, des analyses de variance portant sur les données récoltées lors de la condition d’écriture spontanée, ont révélé, entre 5 et 7 ans, une augmentation de la vitesse [F (2,97) = 32,9, p <.001] ainsi qu’une diminution du nombre de pics de vitesse [F (2,97) = 120,5, p <.001], indiquant une amélioration de la fluidité des mouvements.
Les productions des enfants de 5 ans
12À 5 ans, la fluidité du mouvement varie en fonction de la lettre produite ; elle est comprise entre 2,64 et 9,55 [F (17,100) = 9,9, p <.001]. Le classement des lettres, par ordre décroissant de fluidité est présenté à la figure 1A, comme suit : o, t, p, u, i, n, c, m, w, s, j, r, v, e, y, l, z, f. La fluidité des mouvements de productions des lettres o, t, p, u, i, n, c est équivalente [F (1,100) = 3,5, p >.05]. On relève ensuite une fluidité comparable pour réaliser les lettres m, w, s, j [F (1,100) = 1,6, p >.05], puis pour r, v, e, y, l [F (1,100) = 2,4, p >.10]. Enfin, les productions des lettres f et z sont équivalentes [F (1,100) = 2,83, p =. 10] et seule celle du f se différencie de celle du l [F (1,100) = 5,2, p <.05]. Il existe également un effet d’interaction significatif entre la lettre produite et la condition d’écriture [F (51,300) = 3,3, p <.001]. La fluidité s’améliore significativement [ps <.05] pour la plupart des lettres lorsqu’une augmentation de la vitesse est imposée, excepté pour o, n, u et m [ps >.05]. En « taille imposée », on observe une diminution significative du nombre de pics de vitesse pour i, s, v, c, y, z, f, e [ps <.05] et une augmentation significative uniquement pour la lettre p [p = .025]. Enfin, la condition « taille et vitesse imposées » améliore nettement la fluidité de production de toutes les lettres, hormis j, p et t [ps >.07].
13L’analyse en clusters révèle un regroupement des lettres en trois ensembles (cf. figure 1B). Le premier rassemble les lettres t, o, p, n, m, i, u, c pour lesquelles la vitesse est élevée (1,18 cm/s) et le nombre moyen de pics de vitesse faible (4). Leur réalisation est rapide et fluide, ce sont donc les lettres les plus faciles à produire. Le cluster suivant réunit les lettres w, s, j, r, v, e pour lesquelles la vitesse moyenne de production est faible (0,79 cm/s) et l’indice de fluidité moyen (5,83). La complexité de ces lettres se traduit essentiellement au niveau de la vitesse d’exécution. Enfin, le troisième cluster comprend les lettres y, l, z, f pour lesquelles la vitesse de production est moyenne (1,11 cm/s) et le nombre de pics de vitesse est élevé (8,07). Parmi ces lettres, certaines sont réalisées rapidement (y, f) alors que d’autres sont réalisées lentement (z). Le regroupement en cluster semble donc essentiellement prendre en compte l’indice de fluidité.
Les productions des enfants de 6 ans
14Les résultats mettent en évidence un effet de la lettre sur l’indice de fluidité, situé entre 1,5 et 4,99 [F (25,202) = 6,9, p <.001]. Le classement des lettres selon une fluidité d’exécution décroissante est présenté à la figure 2A, comme suit : a, p, c, m, n, s, t, x, v, r, g, i, u, q, d, z, j, w, k, e, b, y, o, l, f, h. Le classement obtenu à 5 ans et celui obtenu à 6 ans, concernant les dix-huit lettres communes, sont corrélés significativement [R =. 50, p <.05]. Ainsi, les lettres dont la production est peu fluide à 5 ans donnent souvent lieu à des mouvements peu fluides à 6 ans (f, l, y, par exemple) et, inversement, les lettres dont la production est fluide à 5 ans donnent également lieu à une production fluide à 6 ans (t, p, n, m, par exemple). La fluidité de la lettre a est équivalente à celles des lettres p, c, m, n, s, t, x, v, r, g, i, u, q, d [F (1, 202) = 3,24, p =. 07]. On constate ensuite que la fluidité de la lettre z tend à différer de celle de la lettre f [F (1, 202) = 3,4, p =. 06] et diffère de celle de la lettre h [F (1, 202) = 7.3, p <.01]. Les lettres f et h, produites avec des mouvements peu fluides, sont équivalentes entre elles [F < 1]. L’interaction entre les facteurs « lettre » et « condition » est significative [F (75, 606) = 1,7, p <.001]. La contrainte temporelle améliore significativement la fluidité de toutes les lettres [ps <.05], hormis celle de a, p et u [ps >.09]. Quant à la contrainte spatiale, elle entraîne très peu de modifications, excepté une diminution de la fluidité pour la lettre h [F (1, 202) = 7,3, p <.01]. Ainsi, à 6 ans, cette contrainte n’a plus d’impact sur la fluidité du mouvement alors qu’elle en a, à 5 ans, pour neuf lettres sur dix-huit. Enfin, la condition « vitesse et taille imposées » permet une amélioration de la fluidité de la plupart des lettres, exceptée celle de a, p, m, s, t, g, b [ps >.10].
15L’analyse ascendante hiérarchique met en évidence deux clusters de lettres, le dernier pouvant être distingué en trois sous-ensembles (cf. figure 2B). Comme à 5 ans, la répartition en clusters semble basée essentiellement sur la fluidité. Dans le premier cluster, qui comprend les lettres a, p, c, s, m, n, r, v, x, t, la vitesse moyenne d’écriture est élevée (1,59 cm/s) et le nombre moyen de pics de vitesse est faible (2,11). Ces lettres sont parmi les plus faciles à produire puisque leur réalisation est rapide et fluide. On retrouve comme à 5 ans, les lettres m, n, p, t, c auxquelles s’ajoutent les lettres a, s, r, v, x. Le deuxième cluster, qui réunit les lettres restantes, peut être divisé en trois sous-ensembles. Le premier se compose des lettres i, g, j, e, u, q, d pour lesquelles la vitesse de production (1,32 cm/s) et le nombre de pics de vitesse (3,14) sont dans la moyenne. Le sous-ensemble suivant comprend z, w, k, l, o, y, b ; leur vitesse de production est faible (0,92 cm/s), de même que la fluidité (3,58). Ces lettres sont donc difficiles à produire. On retrouve, comme à 5 ans, les lettres z, y, l, b et k. Enfin, le troisième sous-ensemble est composé des deux lettres f et h donnant lieu aux mouvements les moins fluides (4,71) et produites avec une vitesse faible (0,98 cm/s). La reproduction de ces lettres est donc difficile, comme à 5 ans d’ailleurs.
Les productions des enfants de 7 ans
16La fluidité des mouvements continue à varier selon la lettre, mais sur un empan moins important (de 1,03 à 2,75) [F (25,187) = 2,88, p <.001]. Le classement des lettres, par fluidité décroissante est illustré à la figure 3A, comme suit : x, c, o, e, v, k, d, m, t, l, u, j, z, s, f, h, r, y, n, a, g, i, b, p, q, w. Les classements obtenus à 5 et 7 ans, pour les dix-huit lettres communes, ne sont pas corrélés, tout comme ceux obtenus à 6 et 7 ans sur les vingt-six lettres [respectivement, p =. 77 et p =. 94]. Il est fort probable que cette absence de corrélation soit due au fait que les variations de fluidité entre les mouvements de production des lettres sont très faibles à 7 ans, comparativement aux âges précédents. Les lettres x, c, o, e, v, k, d, m, t, l, u, j, z, s, f, sont équivalentes en terme de fluidité [F (1,187) = 3,6, p =. 06], avec le niveau le plus faible. Les lettres h, r, y, n, a, g, i, b, p ont un indice moyen de fluidité semblable [F (1,187) = 1,8, p = .18]. Enfin, les lettres q et w présentent l’indice de fluidité le plus élevé. On relève un effet d’interaction significatif entre les facteurs « lettre » et « condition » [F (75,561) = 1,6, p <.01]. La condition « vitesse imposée » entraîne une diminution du nombre de pics de vitesse, essentiellement pour les lettres produites avec une faible fluidité en condition spontanée (m, z, h, r, y, n, a, g, i, b, p, q, w) [ps <.05]. Quant à la condition « taille imposée », elle peut donner lieu à une diminution (w, n, h) [ps <.05] ou à une augmentation (d) [p =. 02] du nombre de pics. À 7 ans comme à 6 ans, la contrainte spatiale a peu d’impact sur la fluidité du mouvement. Enfin, en condition « vitesse et taille imposées », on observe une diminution du nombre de pics de vitesse pour les lettres a, b, g, h, i, m, n, p, q, r, v, w, z [ps <.05].
17L’analyse ascendante hiérarchique met en évidence trois clusters de lettres (cf. figure 3B). Le premier cluster se compose des lettres x et t, qui se détachent vraiment des autres lettres, étant les plus rapidement exécutées (4,73 cm/s) et donnant lieu à un nombre de pics de vitesse assez faible (1,23). Ainsi, ces lettres semblent faciles à produire, leur réalisation donnant lieu à des mouvements rapides et fluides. Le deuxième cluster comprend les lettres i, u, s, j, v, d, l, e, c, o produites avec une vitesse (1,95 cm/s) et une fluidité moyennes (1,47). Le dernier cluster se compose des lettres w, q, p, y, n, h, f, z, m, k, b, r, g, a, qui semblent être les plus difficiles à exécuter, la vitesse étant plus faible (1,4 cm/s) et le nombre de pics de vitesse un peu plus élevé (1,85). Cependant, à cet âge, les différences de vitesse et de fluidité entre les mouvements de production des différentes lettres sont plus faibles qu’à 5 et 6 ans.
Conclusion
18Cette recherche avait pour objectif l’étude de la production des vingt-six lettres cursives sous contraintes spatiale et/ou temporelle. Nos résultats révèlent que les enfants de 5 ans sont dans l’incapacité de produire, de manière cursive, certaines lettres. On constate que ces lettres comportent entre elles des similarités visuelles ainsi que des similarités du point de vue de leurs mouvements d’exécution, comme a-d, g-q, h-k, h-b (Vinter et Chartrel, soumis). De ce fait, il peut paraître judicieux d’éloigner, dans le temps, l’apprentissage des deux lettres constituant chacun de ces groupes, afin d’éviter d’éventuelles confusions. Les acquisitions liées à l’instruction de l’une peuvent certainement être réinvesties ultérieurement, lors de l’apprentissage de l’autre. Si l’on considère les enfants de 5 et 6 ans, les lettres identifiées comme étant les plus complexes sont f, z, y, b, l, h et k. Ces lettres, à la réalisation très peu fluide, comportent des boucles ascendantes ou descendantes, réalisées de façon très accidentée et anguleuse par les enfants. Comme l’avaient montré Meulenbroek et Van Galen (1990), il existe, de fait, une corrélation entre la fluidité et le degré de courbure, les mouvements de courbure importante étant moins fluides. Les enfants, et notamment les plus jeunes, éprouvent donc des difficultés dans la production des boucles mais aussi des formes rondes qui donnent lieu à un tracé angulaire et segmenté. Cette difficulté, liée aux limites motrices, peut également s’expliquer par la rotation anti-horaire qu’impliquent ces formes ; le sens de rotation étant inverse à celui privilégié par les jeunes enfants (Meulenbroek, Vinter & Mounoud, 1993). Ces formes nécessitent donc une attention particulière lors de leur apprentissage.
19Cette recherche met, par ailleurs, en évidence que la fluidité des mouvements s’améliore lorsque l’on incite l’enfant, de 5, 6 et 7, ans à augmenter sa vitesse de production. À 5 ans, cet impact de la contrainte temporelle sur la fluidité est encore plus important en présence d’une contrainte spatiale. Les études sur le pointage montrent que les enfants de 5 ans tendent à produire des mouvements impulsifs, caractérisés par une accélération et une décélération nettes, contrôlés de manière proactive, sans recours aux indices sensoriels (Hay, 1978, 1979, 1984). Ces mouvements sont peu adaptés à la production des patterns complexes que sont les lettres cursives. Van Mier (2006) a mis en évidence que les enfants de 4-5 ans réalisent de manière discrète, par juxtaposition de courts segments, les patterns discontinus (zigzags) mais aussi les patterns continus (vagues). Ainsi, lors de l’apprentissage de la formation des lettres cursives, les jeunes enfants sont forcés de recourir à un fort contrôle rétroactif, ce qui réduit leur vitesse d’exécution. Il est probable que la demande d’augmentation de la vitesse d’écriture les oblige à abaisser leur contrôle visuel et à programmer des mouvements plus grands, entraînant ainsi une amélioration de la fluidité. Notre étude semble donc suggérer l’importance d’encourager la continuité du mouvement, de ne pas l’entraver par une référence continuelle au modèle, bien qu’une validation de cette suggestion par des recherches complémentaires soit nécessaire.
20Par ailleurs, à 5 ans, on relève que la contrainte spatiale, à elle seule, peut également avoir un impact favorable sur la production de certaines lettres complexes, comme z, y et f. Si cette contrainte a moins d’impact à 6 et 7 ans, les enfants étant plus familiers avec l’écriture de taille réduite, on observe qu’elle peut toutefois engendrer une amélioration de la fluidité de certaines lettres complexes (w, h). Les lignes d’écriture définissent des repères spatiaux qui permettent une meilleure organisation du mouvement et la réalisation de trajectoires plus appropriées. Comme le suggèrent Meulenbroek et Van Galen (1986), la présence des lignes d’écriture conduit à une programmation du mouvement plus précise, entraînant une diminution du nombre de pics de vitesse. Ainsi, globalement, imposer de manière conjointe la production à une vitesse plus importante de lettres de taille plus petite s’avère être un moyen approprié pour améliorer la fluidité des mouvements des enfants, notamment en début d’apprentissage.
21Pour conclure, l’utilisation de consignes imposant l’augmentation de la vitesse et l’écriture entre les lignes peut donc être bénéfique, lors de l’apprentissage de la production des lettres isolées, notamment en ce qui concerne la réalisation des lettres les plus difficiles. Les lignes peuvent être utilisées comme un support à l’action, permettant une meilleure gestion du geste et obligeant l’enfant à exercer sa motricité fine. Quant à la consigne d’augmentation de la vitesse, il est probable qu’elle incite l’enfant à se détacher du modèle pour se concentrer sur son mouvement. Bien entendu ces résultats sont à utiliser avec précaution. Tout d’abord, ils concernent une étape précise de l’apprentissage de l’écriture qui est celle de l’acquisition des mouvements produisant la forme des lettres. Leur validité, lors de la production de groupes de lettres, reste à étudier. Précisons également que l’intérêt de ces consignes n’est pas d’obtenir une écriture plus rapide ou plus petite mais de favoriser une meilleure programmation du mouvement. Certains enfants, compte tenu de leur niveau de maturation motrice, ne sont pas en mesure de respecter ces consignes. L’importance des différences individuelles, notamment celles de genre, sur la performance écrite a récemment été soulignée par Vlachos & Bonoti (2006). Nous avons, par ailleurs, montré qu’une légère augmentation de la vitesse, sous contrainte temporelle, permet une amélioration de la fluidité ; pour certaines lettres dont la production est très peu fluide le nombre moyen de pics de vitesse diminue sous contrainte temporelle alors qu’aucune augmentation effective de la vitesse ne se produit (Chartrel, 2006). Enfin, rappelons que la tâche proposée aux enfants consistait en la copie de modèles statiques, une tâche scolaire classiquement employée ; or, l’utilisation des lignes n’aurait peut-être plus le même intérêt lors d’un apprentissage guidé par l’utilisation de démonstrations visuelle et verbale.
Notes de bas de page
1 La composante morphocinétique renvoie aux mouvements (morphocinèses) ayant pour objectif la production d’une forme, alors que la composante topocinétique correspond aux mouvements (topocinèses) orientés vers un but spatial.
2 Contrôle du mouvement qui s’effectue en boucle fermée, sur la base des indices sensoriels visuels et tactilo-kinesthésiques.
3 Contrôle du mouvement qui s’effectue en boucle ouverte par la mise en œuvre d’un programme moteur. Le mouvement est alors entièrement programmé par avance et exécuté sans référence aux indices sensoriels.
4 Les articulations proximales sont les plus proches du centre du corps (épaule, coude) alors que les articulations distales en sont les plus éloignées (poignet, main).
5 Le SNA-ratio est le rapport entre les composantes de la bande de fréquence (0-5 Hz) correspondant au signal d’écriture et de la bande de fréquence (5-10 Hz) correspondant au bruit, provoqué par les fluctuations au sein du système moteur et par les techniques de mesure.
6 Le point d’inflexion est un changement de la concavité sur une courbe.
Auteurs
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
À quoi sert aujourd'hui la psychologie sociale ?
Demandes actuelles et nouvelles réponses
Gérard Guingouain et François Le Poultier (dir.)
1994
Psychologie sociale et formation professionnelle
Propositions et regards critiques
Jacques Py, Alain Somat et Jacques Baillé (dir.)
1998
La maîtrise du langage
Textes issus du XXVIIe symposium de l’Association de psychologie scientifique de langue française (APSLF)
Agnès Florin et José Morais (dir.)
2002
L'apprentissage de la lecture
Perspectives comparatives
Mohamed Nouri Romdhane, Jean Emile Gombert et Michèle Belajouza (dir.)
2003
Réussir à l'école
Les effets des dimensions conatives en éducation. Personnalité, motivation, estime de soi, compétences sociales
Agnès Florin et Pierre Vrignaud (dir.)
2007
Lire-écrire de l'enfance à l'âge adulte
Genèse des compétences, pratiques éducatives, impacts sur l'insertion professionnelle
Jean-Pierre Gaté et Christine Gaux (dir.)
2007
L’apprentissage de la langue écrite
Approche cognitive
Nathalie Marec-Breton, Anne-Sophie Besse, Fanny De La Haye et al. (dir.)
2009
Musique, langage, émotion
Approche neuro-cognitive
Régine Kolinsky, José Morais et Isabelle Peretz (dir.)
2010