Le développement cognitif à la période de l’adolescence
p. 105-143
Texte intégral
1Pour qui s’intéresse au développement cognitif à la période de l’adolescence, deux événements importants se sont produits en 1955, il y a tout juste cinquante ans. Il y eut tout d’abord ce fameux symposium de l’APSLF à Genève, publié en 1956 (Osterrieth, Piaget, Saussure, Tanner, Wallon, Zazzo, Inhelder, & Rey, 1956), où Piaget et quelques autres chercheurs de l’époque s’efforcèrent de préciser leur conception des stades du développement psychologique. À cette occasion, Piaget fut l’un des rares, sinon le seul, à faire précéder sa description en stades d’une réflexion sur les critères qui selon lui devaient caractériser et limiter la notion même de stades du développement cognitif. Illustrant ces prises de position, Inhelder et Piaget publiaient la même année De la logique de l’enfant à la logique de l’adolescent, l’ouvrage de référence sur le « stade formel », celui qui, dans la version classique des propositions piagétiennes, s’élabore au moment de l’adolescence.
2Depuis cette époque, les données empiriques se sont accumulées et de nouvelles formulations théoriques ont été avancées. Cependant, l’ouvrage de 1955 reste le point de départ obligé de toutes les synthèses ultérieures (Neimark, 1975 ; Demetriou & Efklides, 1981 ; Bond, 1998 ; Gray, 1990 ; Lehalle, 1985, 2001 ; Graber & Petersen, 1991 ; Keating, 2004) et les théorisations nouvelles du développement cognitif des adolescents se sont toujours situées par rapport aux positions d’Inhelder et de Piaget, que ce soit pour les prolonger, pour s’en démarquer ou pour les intégrer en les dépassant (Pascual-Leone, 1970 ; Fischer, 1980 ; Case, 1985 ; Demetriou, 1988 ; Halford, 1982, 1993 ; Case & Okamoto, 1996 ; McClelland & Siegler, 2001). Impossible par conséquent, dans cette introduction, de ne pas rappeler deux caractéristiques historiquement importantes de cet ouvrage de référence.
3La première caractéristique est d’avoir proposé des situations d’observation nouvelles qui sont devenues des situations prototypiques pour l’évaluation de l’évolution cognitive adolescente. Certaines de ces situations, inventées en réalité par Inhelder et ses élèves (Inhelder, 1953-1954), ont eu un succès considérable. Ainsi en est-il de l’équilibre de la balance (Poids x Distance) repris par Siegler (1978) et par quasiment tous les « néo-piagétiens » et modélisateurs jusqu’à aujourd’hui (Ribaupierre & Pascual-Leone, 1979 ; Case, 1985 ; Shultz, Mareschal & Schmidt, 1994 ; Shultz, 1996, 2003 ; etc.). Assurément, cette situation a constitué le challenge obligé des nouveaux modèles explicatifs et, s’il n’y avait le risque de lasser le lecteur, elle aurait pu constituer le fil conducteur de cette présentation synthétique. De fait, rares furent les auteurs ayant inventé depuis des situations nouvelles d’exploration des différences développementales au moment de l’adolescence (notons toutefois la suggestion de Kurfiss, 1977, proposant une tâche de reformulation d’idées). À l’inverse, certaines des situations de 1955 ont été quelque peu oubliées…
4L’autre caractéristique de l’ouvrage d’Inhelder et Piaget (1955) est de défendre une interprétation structurale des changements cognitifs observés à l’adolescence. Cette interprétation se résume par le modèle de la logique des propositions, celle-ci étant utilisée à longueur de pages pour traduire dans ce modèle logique les raisonnements spontanés des adolescents, et cela dans toutes les situations explorées… y compris celle de l’équilibre de la balance, représentative des situations de proportionnalité dont l’analyse piagétienne ne se limite pas à la coordination des deux réversibilités N et R du groupe INRC. Il faut rappeler en effet que la logique des propositions est une algèbre de Boole, c’est-à-dire une combinatoire, et qu’elle comporte en elle-même diverses réalisations du groupe INRC, ou groupe INRD en l’occurrence (« D » pour « Duale »).
5Cependant, cette interprétation structurale n’est pas toujours bien comprise. Il est essentiel en effet de préciser que le modèle structural, celui de la logique des propositions, ne se confond pas avec les phénomènes qu’il décrit. En accord avec Piaget, cf. Piaget & Inhelder, 1963-1969 – 2e édition – p. 119, qui écrivent : « Il faut naturellement rester sur ses gardes pour ne point confondre le contenu psychologique (qui constitue en un sens une logique, puisqu’il s’agit des opérations intellectuelles du sujet, donc de la logique de ce sujet) et la forme utilisée pour le décrire (forme qui est à nouveau une logique, mais celle que formule l’algébriste) », toute modélisation implique les trois instances épistémologiques rappelées dans la figure 1 en prenant l’exemple du stade formel : l’instance du modèle en lui-même avec sa cohérence interne et ses propriétés logico-mathématiques, la référence psychologique dont le modèle vise à rendre compte partiellement, les critères de validation qui assurent la plausibilité du modèle.
6De ce fait, il n’est pas surprenant de constater que, dans aucun des chapitres de l’ouvrage de 1955, il n’y a de situations expérimentales proposant des déductions explicites, et encore moins verbales, fondées sur la logique des propositions. Par conséquent, le statut de l’ensemble des recherches sur les raisonnements logiques à support verbal (Evans & Over, 1997 ; Markovits, 1997 ; etc.) n’est pas aussi évident qu’on pourrait le croire du point de vue du stade formel. En effet, les biais de raisonnement observés dans ces situations de déduction explicite et verbale ne peuvent être considérés comme invalidant la modélisation piagétienne du stade formel qui porte en réalité sur une référence psychologique différente (la logique spontanée et implicite des adolescents). Et pourtant l’évolution cognitive adolescente doit aussi se manifester dans ce domaine des raisonnements verbaux, selon des modalités qui seront examinées par la suite.
7Partant de ces considérations introductives et en ayant à l’esprit l’évolution nécessaire de notre conception des stades du développement cognitif, cette synthèse sera menée en quatre rubriques qui visent à répondre aux objectifs suivants : résumer les changements cognitifs observés au moment de l’adolescence, discuter les rapports entre formes cognitives générales et domaines fonctionnels, caractériser divers processus d’évolution, s’interroger sur l’achèvement supposé du développement cognitif à la période de l’adolescence.
Approche empirique : quoi de neuf en grandissant ?
8Réfléchir sur le développement cognitif au moment de l’adolescence nous oblige tout d’abord à caractériser les principaux changements observés à cette période de la vie. Cette première partie de l’exposé sera donc essentiellement descriptive. Elle n’a pas d’autre objet que de préciser ce dont on parlera dans la suite, c’est-à-dire les attitudes et aptitudes cognitives qui habituellement se construisent au moment de l’adolescence. Quatre caractéristiques générales peuvent ainsi être retenues.
Gérer plus systématiquement les facteurs susceptibles de déterminer un phénomène : « Mais pourquoi donc… »
9Dans l’ouvrage de 1955, cette première caractéristique est illustrée par les progrès du « raisonnement expérimental » : les adolescents parviennent à distinguer explicitement et à combiner systématiquement les facteurs susceptibles d’influencer un phénomène physique (comme la fréquence des oscillations d’un pendule ou la flexibilité d’une baguette). Ils peuvent ainsi vérifier expérimentalement (en contrôlant les facteurs) la pertinence des hypothèses envisagées c’est-à-dire des relations supposées entre tel ou tel facteur et le phénomène en question.
10Cette première caractéristique des nouveautés cognitives adolescentes se réfère effectivement au raisonnement expérimental classique. Mais, plus généralement, il s’agit des traitements cognitifs associés à des jugements de toute nature : les « jugements réflexifs » dans leur ensemble, selon l’expression de Dewey (1910, cité par Fischer, Yan & Stewart, 2003), pas seulement ceux qui se manifestent dans le cadre des vérifications expérimentales relevant d’un contexte scientifique. Pensons aux réflexions que chacun mène quotidiennement sur les déterminants des phénomènes qui nous entourent : savoir ce qui est bon pour la santé, ce qui est bon pour le moral, ce qui est bon pour la société, etc. La généralité et l’importance de ces jugements sont évidentes. Il n’est plus seulement question de chercher à savoir ce qui influence le balancement d’une masse au bout d’une ficelle… L’économie, les phénomènes sociaux, les évolutions historiques espérées ou redoutées suscitent également de tels jugements « réflexifs ».
11Or, s’agissant de ce qui fonde ces jugements, les progrès adolescents sont à envisager sur trois plans :
l’inventaire des facteurs susceptibles de déterminer les phénomènes : plus de connaissances et donc plus de facteurs repérés ;
le souci des validations empiriques : au-delà des croyances, ce sont des preuves que l’on recherche ;
les enchaînements déductifs, c’est-à-dire la logique des argumentations.
Considérer le réel/l’actuel comme une réalisation parmi d’autres éventualités possibles : « Et si…, et si… »
12Cette seconde caractéristique correspond à ce que Piaget envisageait comme un renversement des rapports entre le réel et le possible (Inhelder et Piaget, 1955 ; Piaget et coll., 1981, 1983). Au lieu de considérer, selon des enchaînements associatifs (« et puis,… et puis… »), les éventualités possibles comme un prolongement de ce qui est observé ou avéré (dans ce cas le possible découle du réel), ce sont les réalisations actuelles qui deviennent des cas particuliers ou des exemples d’un ensemble de possibles. Dans ce cas la considération des possibles prévaut sur les réalisations qu’elle relativise.
13De tels renversements de la pensée peuvent concerner des domaines fonctionnels très différents : le domaine scientifique (par exemple pour évaluer délibérément la pertinence d’une procédure par rapport à un ensemble de procédures possibles), le domaine social (la société actuelle envisagée comme une réalisation parmi d’autres modes de fonctionnement et de régulation sociale), le domaine personnel (considérer sa situation actuelle et la situer dans un ensemble de possibilités et de choix identitaires).
14En un sens, cette évolution est un progrès de l’imaginaire puisqu’elle invite à aller au-delà de la réalité immédiate : « OK, les choses sont comme cela,… et si elles étaient autrement ? » Mais il s’agit d’un imaginaire organisé car le traitement cognitif porte désormais sur les éventualités envisagées pour elles-mêmes et dans leurs relations. Cela revient à dire que les possibles sont structurés. Dans le modèle piagétien cette structure est une combinatoire devenue systématique et donc complète et en un sens fermée. Mais rien n’interdit de rechercher d’autres formes d’organisations que l’on pourrait définir d’une manière plus qualitative : oppositions, complémentarités, implications, contradictions (etc.) entre les possibles envisagés.
Relier opératoirement des opérations : « Oui, mais… »
15Piaget a régulièrement décrit les opérations formelles comme étant des opérations « à la seconde puissance », c’est-à-dire des « opérations sur des opérations ». Il y a plusieurs manières d’envisager cet aspect de l’évolution cognitive adolescente. La première s’appuie sur le modèle combinatoire. Si les opérations formelles sont des opérations à la seconde puissance c’est qu’elles portent sur des opérations qu’elles combinent de façon systématique. On pourra ainsi lister toutes les permutations de n éléments (et donc ordonner des ordinations) ou considérer tous les sous-ensembles d’un ensemble (et donc classer des classes). Cette interprétation définit en réalité une compétence qui n’est pas tellement différente de celle énoncée dans le paragraphe précédent, car l’essentiel ici est de situer une opération particulière dans l’ensemble des opérations possibles.
16Mais d’autres exemples, et tout particulièrement ceux qui sont relatifs à la proportionnalité (… où l’on retrouve l’équilibre de la balance !), invitent à considérer les opérations formelles « à la seconde puissance » sous un angle un peu différent, celui de la nécessité de coordonner plusieurs dimensions de mesure. Dans ce cas, chaque mesure (par exemple celle du poids ou celle de la distance) est déjà « opératoire » car fondée sur la logique ensembliste et ordinale des quantifications numériques. Mais la question est de relier opératoirement ces opérations de départ, car : « Certes oui, il y a plus de poids, mais aussi il y a moins de distance, alors… »
17Là encore, de nombreux exemples dans de nombreux domaines attestent de la nécessité de cette construction structurale susceptible de coordonner multiplicativement des opérations localement additives. L’adolescent sait depuis longtemps compter et mesurer de façon unidimensionnelle, mais convertir des francs en euros (ou l’inverse) ou parvenir sans broncher à trouver les bonnes quantités de produits à mélanger pour respecter la proportion modèle (qu’il s’agisse d’une recette de cuisine, d’un traitement phytosanitaire, d’une potion médicale, etc.) relève d’un niveau cognitif dont on commence seulement à bien connaître l’élaboration jusqu’aux âges de l’adolescence.
Penser abstraitement : « … »
18Cette fois, contrairement aux trois paragraphes précédents, pas de formulation exemplaire dans le titre ci-dessus pour symboliser concrètement la démarche cognitive en question. Difficile en effet de représenter une abstraction… Pourtant, le caractère « abstrait » des traitements cognitifs adolescents a été souligné depuis longtemps et par de nombreux auteurs. On peut se référer par exemple à Adelson (1975) qui notait, au travers d’entretiens auprès d’adolescents sur les principes du fonctionnement des sociétés, l’importance de l’évolution cognitive vers des concepts abstraits qui permettent de mieux appréhender les fonctionnements sociaux : penser « la religion » et non plus telle ou telle religion, penser la régulation sociale et la « justice » et non plus les interactions concrètes et éventuellement conflictuelles avec les policiers ou les juges, penser « l’éducation » et non plus simplement les acquisitions scolaires et les rapports entre les enseignants et les élèves, etc. On peut se référer également à Fischer qui, depuis son article fondateur de 1980, a plusieurs fois présenté une évolution des habiletés cognitives aboutissant aux « abstractions » qui se construisent en plusieurs étapes à partir de l’adolescence et jusque chez les jeunes adultes.
19Mais alors il faudrait préciser ce que l’on entend exactement par « abstraction ». Ce sera le point de départ de la seconde partie de cet exposé qui s’attachera à préciser les relations entre « formes » générales d’analyse et « domaines » de fonctionnement. On retrouvera sur ce thème les analyses de Fischer.
20Pour clore cette première partie dont l’objectif était de définir des formes générales, il convient de souligner que les quatre caractéristiques distinguées ne sont pas indépendantes. Leur description constitue en réalité des éclairages différents sur des fonctionnements nouveaux qui, selon les situations d’évaluation, vont accentuer la pertinence de telle ou telle des caractéristiques retenues. On a vu par exemple qu’opérer sur des opérations revenait en un sens et dans certaines situations à renverser les rapports entre le réel et le possible. Quant aux « abstractions » de Fischer, leurs propriétés résument selon lui l’ensemble des évolutions cognitives à la période considérée. Nul besoin pour Fischer de distinguer par ailleurs les trois autres caractéristiques puisqu’elles se trouvent en quelque sorte impliquées dans le système des abstractions.
Formes générales et domaines de fonctionnement
21Malgré le sentiment de vérité qu’elle a pu susciter, la présentation que l’on vient de faire restera littéraire et allusive tant que deux types de contraintes n’auront pas été explicités.
22Le premier résulte du caractère général de toute description de compétences cognitives. Qu’il s’agisse de concepts ou de procédures, toute description d’aptitudes dépasse obligatoirement l’ancrage fonctionnel de cette aptitude dans un traitement effectif particulier. Sauf à ne considérer que la diversité des traitements et l’irréductibilité de tout fonctionnement (ce qui interdirait la moindre approche scientifique puisque décrire des fonctionnements, c’est déjà s’abstraire de leur réalisation), la définition formelle des compétences générales est une nécessité. Cette définition passe par l’identification des éléments pertinents et de leur organisation ou système de transformations, ce qui revient à définir un modèle structural de ces compétences.
23De cette contrainte découle la suivante. En effet, dès qu’une forme générale de traitement cognitif est posée, nous devons penser et si possible théoriser les relations et les déterminations éventuelles entre formes générales et domaines de fonctionnement.
24Ces types de contraintes seront tout d’abord examinés à partir de la théorie des habiletés de Fischer et plus particulièrement du niveau des « abstractions » qui, dans cette théorie, correspond à l’évolution cognitive adolescente.
Théorie des habiletés (skills) et « abstractions » (Fischer, 1980 ; Fischer, Yan & Stewart, 2003)
25Dès la première version de la théorie des habiletés de Fischer (1980), la question des rapports entre « formes générales » et « domaines fonctionnels » était au premier plan de l’analyse. En effet, si Fischer a préféré le terme d’habiletés à celui de schèmes, c’est pour souligner que la forme de l’habileté n’a pas de réalité psychologique en elle-même. Parler de schèmes, c’est isoler des invariants d’action et envisager un certain degré d’autonomie de ces invariants qui seraient susceptibles, en eux-mêmes, de se généraliser, de se différencier de se coordonner, etc. À l’inverse, parler d’habiletés c’est indiquer que tout niveau de traitement cognitif doit être re-élaboré dans les contextes nouveaux ou les situations nouvelles. Si des formes de traitement peuvent être repérées par le psychologue, elles sont psychologiquement indissociables de leur réalisation et il n’y a pas de généralisation automatique par la structure.
26Dans ce cadre d’analyse, les « abstractions » qui s’élaborent au moment de l’adolescence et chez les jeunes adultes sont la poursuite d’une évolution décrite comme une succession de quatre paliers (ou « tiers » en anglais) : les réflexes, les actions, les représentations, les abstractions. À l’intérieur de chacun de ces paliers, une même succession de sous-niveaux est décrite comme des liens fonctionnels s’établissant entre les habiletés. On a donc successivement : le sous-niveau des unités (par exemple, une action isolée), celui des correspondances entre unités (« mapping »), celui des systèmes (des correspondances ou « mappings » sont reliées en système), et celui des systèmes de systèmes. Le dernier sous-niveau d’un palier (celui des systèmes de systèmes) constitue le premier sous-niveau du palier suivant : un système de systèmes est donc une unité pour le palier suivant (par exemple, un système de systèmes d’actions est une représentation). Au total, il y aurait donc 13 sous-niveaux cognitifs qui sont considérés actuellement par Fischer comme une échelle différentielle susceptible de manifester les variations du développement et du fonctionnement, car, selon les circonstances, un même individu peut fonctionner à des niveaux différents de développement. C’est normal puisqu’il n’y a pas de généralisation automatique par la structure.
27Examinons de plus près ce que cela donne pour les abstractions. Le tableau 1 présente l’ensemble des niveaux de développement depuis le niveau 9 jusqu’au niveau 13, les niveaux 10 à 13 étant ceux des « abstractions ». Les deux premières colonnes de ce tableau ne font que rappeler la terminologie utilisée. Les deux colonnes suivantes donnent une représentation schématique des niveaux : la première schématise en termes de « représentations », la suivante en termes « d’abstractions » ; on note que, par définition, le niveau 10 relève d’un schéma complexe s’il est formulé en « représentations » mais d’un schéma simple (« Y ») s’il est formulé en termes d’abstractions (en effet, un système de systèmes d’abstractions c’est une seule abstraction). Pour comprendre ces schémas, il faut considérer leur « traduction » dans la colonne suivante où sont suggérés les liens qui se forment et qui construisent les niveaux successifs à partir des niveaux précédents. La dernière colonne donne une indication des âges où l’on observe en général les premières manifestations du niveau considéré.
28Ensuite, les tableaux 2 à 6 reprennent chacun des niveaux 9 à 13. On y retrouve, à chaque fois : la terminologie utilisée, l’âge des premières manifestations du niveau et la « traduction » déjà présentée dans le tableau 1. En revanche, les exemples et les schémas directement représentatifs des exemples permettent de se faire une idée plus précise de la structure des habiletés à chaque niveau. Ainsi, dans l’exemple du niveau 9 (Rp3) plusieurs « représentations » (« partager ou non » et « être dans le besoin ou non ») sont reliées dans deux instances (Nick et Sara) et cela permet d’apprécier dans cet unique « système » la signification d’« être sympa ». Attention, ce niveau 9 n’est pas celui de « Nick » ni de « Sara », mais c’est celui d’un observateur/participant appréciant et coordonnant les comportements et situations de Nick et de Sara, manifestant ainsi un fonctionnement de niveau 9 (Rp3). Cela dit, rien n’interdit de s’observer soi-même et de formuler de tels systèmes de représentations à propos de soi-même, dans un autre contexte par conséquent.
29Le tableau 3 est construit selon le même principe. Il détaille cette fois le premier niveau des « abstractions » (qui est le quatrième des « représentations »). Le premier exemple dans ce tableau montre bien qu’une abstraction consiste à dégager des invariants entre systèmes de représentations. En effet, le schéma illustratif de cet exemple est effectivement constitué de deux systèmes de représentations reliés, chacun de ces deux systèmes étant analogue à celui présenté dans le tableau 2. Cette fois, le fait d’être sympa n’est plus simplement assimilé à un comportement en situation (comme c’était le cas au niveau 9, Rp3), mais c’est devenu l’invariant « abstrait » de plusieurs comportements dans plusieurs situations. Le second exemple du tableau, celui de Julie, est d’emblée présenté comme une abstraction (l’indépendance) sans préciser les systèmes de représentations sous-jacents (i. e. pour le cinéma, l’habillement, la nourriture) qui permettent d’abstraire l’invariant d’indépendance attribué à Julie. Là encore, le niveau 10 (Rp4/Abs1) n’est pas celui des personnages des histoires mais celui d’un observateur/participant considérant la situation des personnages.
30Au niveau suivant (Abs2), des abstractions sont mises en correspondance. Comme indiqué dans les exemples du tableau 4, les habiletés consistent désormais à considérer les abstractions les unes par rapport aux autres. Dans le premier exemple, un seul individu est concerné et il s’agit de comparer « l’indépendance » et « l’individualisme », ce qui effectivement n’est pas tout à fait la même chose (et la comparaison de ces deux abstractions n’est pas sans pertinence dans la vie familiale ou sociale des adolescents !). Dans le second exemple, une même abstraction (« l’indépendance ») est comparée dans ses réalisations diverses.
31Ensuite (Tableau 5), le niveau des systèmes d’abstraction (Abs3) permet de coordonner à la fois une pluralité d’abstractions (dans l’exemple, il s’agit du conformisme – se modeler sur ce que font les autres –, et de l’indépendance) et une pluralité de réalisations de ces abstractions (par exemple pour soi-même et pour les amis). Ainsi, on pourra envisager comment se jouent les relations entre le conformisme et l’indépendance, mais selon deux points de vue différents : le sien et celui de son ami. Ou alors, dans une autre situation, on parviendra à considérer qu’un équilibre variable entre « conformité » et « indépendance » est réalisé dans différents contextes (par exemple celui de l’école et celui du groupe de pairs). Fischer, Yan & Stewart (2003) suggèrent un autre exemple : apprécier comment l’identité d’une mère et l’identité d’un père (deux « abstractions ») varient dans les interactions avec leur fils ou leur fille (deux « contextes »).
32Enfin, tout comme le niveau 10 avait permis de dégager des invariants entre systèmes de représentations, le niveau 13 (Abs4) permet de dégager des invariants entre systèmes d’abstractions. Ainsi, dans l’exemple du tableau 6, un « principe », la Golden Rule (i. e. : « Treat others as you want to be treated ») peut constituer le dénominateur commun de plusieurs abstractions dans différents contextes : les jugements moraux, l’identité, les activités professionnelles.
33Comme le lecteur aura pu s’en rendre compte, avec l’exemple des « abstractions » de Fischer, la contrainte d’une définition formelle des niveaux de compétence oblige à une analyse structurale qui précise les niveaux successifs et leur enchaînement constructif, au-delà d’une approche intuitive ou littéraire. Reste la question de départ, celle des relations entre formes des traitements et domaines fonctionnels. Dans la suite, cette question sera discutée sur un plan général, c’est-à-dire en sortant du cadre de la théorie des habiletés et des abstractions selon Fischer, bien que cette théorie ait constitué un bon exemple d’une définition formelle des compétences cognitives qui s’élaborent à la période de l’adolescence.
Analyse des relations entre formes générales et domaines fonctionnels
34Quelle que soit la théorisation de référence, celle de Piaget (Inhelder & Piaget, 1955), de Fischer (1980), de Case (1985), de Halford (1982, 1993) et de bien d’autres (voir par exemple dans : Troadec & Martinot, 2003), toute définition formelle de niveaux de compétence oblige à discuter leurs modalités de réalisation et de construction au travers de la diversité des domaines fonctionnels ou contextes. Cette question sera abordée selon trois points de vue : l’architecture des domaines, la forme de l’évolution, les explications du synchronisme relatif.
L’architecture des domaines fonctionnels
35S’il n’est pas évident de parvenir à une définition formelle des niveaux de compétence – on l’a vu avec Fischer – il n’est pas aisé non plus de se donner une représentation cohérente ou valide des domaines fonctionnels, c’est-à-dire des contextes dans lesquels les compétences cognitives sont susceptibles de se manifester. Deux types d’approches peuvent être distinguées.
36La première est de nature philosophique ou épistémologique. Elle consiste à se donner des critères théoriques de différenciation des domaines. C’est bien ce que faisait Piaget lorsqu’il privilégiait le lieu des régulations d’action pour distinguer trois types de connaissances : les connaissances logico-mathématiques qui construisent des nécessités abstraites de l’action sur les objets (par exemple : que l’on compte dans n’importe quel ordre, il est obligatoire d’aboutir au même résultat), les connaissances physiques (qui portent sur les actions des objets entre eux et ne sont intelligibles qu’au travers des premières, c’est-à-dire des connaissances logicomathématiques), les connaissances dites « infra-logiques » (où, comme dans le cas de la structuration de l’espace, un continu doit être discrétisé pour que la régulation logico-mathématique puisse opérer).
37De façon plus banale, il peut paraître évident de distinguer trois grands domaines d’exercice des compétences cognitives : le domaine des connaissances scientifiques (connaissances mathématiques, physiques, etc.), le domaine des connaissances sociales (domaine particulièrement hétérogène où il faudrait distinguer : les stratégies d’interaction sociale, les représentations du fonctionnement des sociétés, la catégorisation des normes sociales, etc.), le domaine des connaissances sur soi-même (représentations de soi, identité). Il est intuitif également de se représenter les domaines fonctionnels non pas comme des dimensions cloisonnées, mais comme des réseaux de connaissances en développement, avec des interactions multiples (Fischer, Yan & Stewart, 2003). Mais le sentiment d’évidence et l’intuition ne sont pas des garanties de validité…
38C’est pourquoi des solutions empiriques, et non plus théoriques, ont également été proposées. Dans leur principe, elles consistent à présenter aux mêmes participants toute une batterie d’épreuves relevant a priori de plusieurs domaines. Ensuite, une analyse dimensionnelle ou factorielle permet de relier entre elles les épreuves qui, de ce fait, pourront être considérées comme relevant d’un même domaine fonctionnel.
39Ainsi, dans le cas d’épreuves cognitives essentiellement piagétiennes, Demetriou et Ekflides (1988) aboutissent à la distinction de six grands domaines :
les quantifications sous diverses formes et niveaux (épreuves relatives à la mesure, au nombre, aux conservations, à la proportionnalité, etc.) ;
les analyses qualitatives : identifier des propriétés d’objets et les comparer (par exemple : classification logique, sériation, raisonnement analogique) ;
les connaissances relatives à l'espace et les images mentales (la coordination des perspectives spatiales et les épreuves spatiales en général) ;
le raisonnement expérimental et la recherche systématique des causes (combinatoire, contrôle des variables dans une expérience, etc.) ;
les raisonnements à support verbal (les syllogismes, par exemple) ;
la réflexion métacognitive (lorsqu'il s'agit de réfléchir sur son propre fonctionnement cognitif)
40Notons que, dans une publication ultérieure (Demetriou, Efklides, Papadaki, Papantoniou, & Economou, 1993), la réflexion métacognitive n'est plus considérée comme un domaine spécialisé mais elle devient l'une des trois composantes du système cognitif.
41Cela dit, il faut bien reconnaître que nous n’avons pas actuellement de solution définitive permettant de définir une architecture des domaines de fonctionnement cognitif. Toutefois, poser le problème de cette architecture, c’est déjà avancer vers sa solution et c’est déjà marquer la nécessité d’intégrer la variabilité fonctionnelle dans la théorisation générale du développement.
Un développement non linéaire et relativement synchrone
42Les discussions précédentes ont permis de cerner le problème de l’évolution cognitive au moment de l’adolescence en identifiant deux pôles d’analyse : celui des compétences (décrites intuitivement ou structuralement) et celui des domaines de fonctionnement. Cela conduit maintenant à s’interroger sur le croisement empirique de ces deux pôles d’analyse.
43Or les auteurs s’accordent actuellement sur deux aspects essentiels : le caractère non linéaire des évolutions et la relative synchronie de ces évolutions lorsque des domaines fonctionnels sont comparés. Le premier aspect signifie que le développement cognitif peut difficilement être représenté comme un accroissement quantitatif, selon un rythme régulier lié à l’âge. Si c’était le cas, la représentation du développement serait linéaire : une droite exprimerait la fonction reliant l’âge à la grandeur en développement. À l’inverse, comme cela est suggéré par les courbes théoriques de la figure 2 reprises de Fischer, Kenny & Pipp (1990), des ruptures qualitatives sont à envisager et ces ruptures se traduisent par des courbes de développement non-linéaires, avec des périodes de changements rapides qui alternent avec des périodes de stabilisation. De plus, les mêmes courbes de la figure 2 suggèrent que les changements développementaux sont relativement synchrones, c’est-à-dire qu’ils se déroulent à peu près au même moment dans les divers domaines fonctionnels. La figure 3, reprise de Fischer, Yan & Stewart (2003), symbolise les mêmes aspects développementaux, mais ils sont adaptés à une représentation des domaines sous forme de réseaux, qui intègre à la fois une différenciation progressive des connaissances et aussi la possibilité d’interactions multiples entre domaines ; ici, la relative synchronie des changements (dans les « zones d’émergence ») se traduit schématiquement par des discontinuités contemporaines (« clusters »).
44Ainsi, que l’on approche les domaines comme des fonctions développementales unidimensionnelles (figure 2) ou comme des réseaux de connaissances en développement (figure 3), on retrouve dans les deux aspects retenus (non-linéarité et synchronisme relatif) des propriétés classiquement associées à la notion de stades. Mais comme les compétences en elles-mêmes n’ont pas de réalité psychologique indépendante des contextes qui les manifestent, la nouveauté structurale hors contexte ne peut être invoquée pour expliquer les sauts qualitatifs en contexte, pas plus que la généralisation structurale ne peut rendre compte de la synchronie. Par conséquent, comme on le verra dans le paragraphe suivant, des explications non structurales doivent être recherchées pour mieux cerner l’évolution en contexte des compétences décrites structuralement.
45À propos de la généralisation structurale, il faut noter que Piaget n’était pas aussi piagétien que bon nombre de « piagétiens ». Qu’on en juge par les deux citations suivantes.
Le problème principal est sans doute celui-ci : existe-t-il des stades généraux qui englobent toutes les fonctions mentales et physiologiques de la croissance ? Or, je n’y ai jamais cru et la conclusion qui me paraît ressortir à l’évidence de nos confrontations est l’absence pour le moment, de tels stades généraux. (Discussion entre les rapporteurs, dans Osterrieth, et al., 1956, p. 57.)
L’unité structurale [de la personne], je ne l’ai vue nulle part, à aucun stade dans le développement de l’enfant. Je ne la vois pas non plus chez la plupart des adultes. Je suis moi-même une personnalité multiple, divisée et contradictoire. Dans certains cas, je m’efforce d’être un homme sérieux comme dans les situations professionnelles. Mais dans d’autres situations, je suis infantile ou me conduis comme un adolescent (idem, p. 58).
Expliquer les sauts qualitatifs et le synchronisme relatif de l’acquisition des compétences
46Pour rendre compte de l’évolution relativement synchrone des compétences, trois types d’explication peuvent être avancés. Le premier invoque l’augmentation des capacités de la mémoire de travail. C’est la solution régulièrement retenue, sous des formes diverses, par les auteurs « néo-piagétiens » (Demetriou, 1988), et en particulier par Case et Okamoto (1996). Effectivement, si la complexité des tâches est évaluée par la quantité d’éléments à traiter simultanément, il est cohérent de supposer que si l’on parvient à maintenir en mémoire un plus grand nombre d’éléments, on pourra plus facilement résoudre des tâches complexes. Ainsi, l’augmentation des capacités en mémoire de travail peut suffire à expliquer les sauts qualitatifs et le synchronisme des acquisitions. Et comme on observe à la fois que les empans mnésiques augmentent avec l’âge et que les mesures d’empans sont corrélées à la réussite aux épreuves opératoires, la plausibilité de l’interprétation s’en trouve renforcée. Mais Ericsson et Kintsch (1995) ont fait remarquer que la mémoire de travail devait être reliée à la mémoire à long terme, c’est-à-dire à l’expertise dans un domaine. Ainsi, les joueurs d’échecs ont bien une mémoire très performante en ce qui concerne les échecs, mais ils n’ont pas pour autant une mémoire supérieure à la moyenne dans d’autres domaines. Pour que les capacités de la mémoire de travail expliquent l’évolution des compétences, il faudrait que l’on puisse attester une augmentation hors contexte de ces capacités. Or toute mesure d’empan est obligatoirement effectuée dans un contexte et l’empan se trouve par conséquent liée à l’expertise dans le domaine considéré. En définitive, la causalité peut être inverse de celle qui est supposée, c’est-à-dire que c’est probablement l’expertise qui facilite le maintien des éléments en mémoire et non l’inverse. Toutefois, une position prudente serait de considérer qu’expertise, compétence et mémoire évoluent conjointement comme trois manifestations de la mise en œuvre des mêmes processus développementaux.
47Le second type d’explication fait dépendre l’évolution cognitive de la maturation cérébrale. Cette interprétation peut rejoindre la première si l’augmentation des capacités de la mémoire de travail est attribuée à des causes neuronales. De ce fait, elle se prêterait aux mêmes critiques que celles que l’on vient d’évoquer. Mais elle peut aussi se situer à un niveau plus général en recherchant dans le développement du cerveau ce qui pourrait expliquer les accélérations tardives (à l’adolescence et chez les jeunes adultes) et leur relative synchronie inter-domaines. Jusqu’à une époque récente, la période de l’adolescence ne semblait pas correspondre à des événements particulièrement marquants sur le plan de la maturation cérébrale, en dehors bien évidemment des changements qui induisent le développement pubertaire. Ainsi, dans le chapitre V de Elman, Bates, Johnson, Karmiloff-Smith, Parisi, & Plunkett (1996), le développement du cerveau est suivi à l’échelle des mois jusqu’à 4 ans tandis que l’achèvement de ce développement regroupe les âges de 4 ans à l’adolescence et se traduit essentiellement par une diminution progressive et régulière de la densité synaptique et du métabolisme cérébral dont le pic d’activité est situé vers 4-5 ans. Mais les données disponibles à l’époque étaient de nature transversale. Or, en 1999, Giedd, Blumenthal, Jeffries, Castellanos, Liu, Zijdenbos, Paus, Evans et Rapoport ont publié une étude longitudinale (utilisant la technique d’Imagerie par Résonance Magnétique) qui montre l’existence de changements non-linéaires tardifs au niveau de la substance grise corticale : accroissement global au moment de la préadolescence, diminution globale à la fin de l’adolescence ; de plus l’âge de ce pic de croissance n’est pas le même selon les régions du cerveau : vers 12 ans pour le lobe frontal et le lobe pariétal, vers 16 ans pour le lobe temporal, et l’accroissement se poursuit jusqu’à 20 ans pour le lobe occipital. Il est clair par conséquent que la maturation cérébrale se poursuit jusqu’à l’âge adulte et très probablement le développement du cerveau sera dans un proche avenir suivi sur l’ensemble de la vie et selon une approche différentielle.
48Faut-il pour autant considérer que la maturation cérébrale serait l’explication des changements cognitifs (et aussi, tant qu’on y est, des difficultés comportementales des adolescents) ? Sur cette question, plusieurs remarques s’imposent. Certes, il est important de mieux connaître comment relier le fonctionnement du cerveau aux comportements. Mais cela n’a rien de surprenant en soi d’identifier des corrélats neuronaux en relation avec les phénomènes psychologiques. Il est même impossible qu’il n’y en ait pas ! Cependant, identifier de tels corrélats ne constitue pas une explication du niveau psychologique, car le cerveau ne fabrique pas de la pensée comme un pommier des pommes. « Le cerveau en fonctionnement c’est de la pensée, de même que la pensée c’est le cerveau en fonctionnement » (Bideaud, Lehalle & Vilette, 2004, p. 332). En effet, ce sont bien les mêmes phénomènes que l’on approche soit par les techniques d’imagerie cérébrale soit par l’étude des comportements, et donc la dépendance causale invoquée est une tautologie. De plus, toute recherche de localisation cérébrale (ou de corrélats neuronaux) en relation avec les comportements doit s’accompagner d’une réflexion issue de la quantité de travaux attestant de la plasticité cérébrale (Elman, et al., 1996 ; Merzenich, 2001). En définitive, invoquer la maturation cérébrale nous conduit finalement à la plasticité et à des modèles d’auto-organisation (Arbib, 1995) qui n’auraient pas déplu à Piaget et qui nous obligent, là encore, à nous intéresser aux processus mêmes du développement.
49Ainsi, le troisième type d’explication des changements cognitifs ne recherche plus des déterminants en quelque sorte « externes » au développement cognitif (comme les capacités de la mémoire de travail ou la maturation cérébrale). C’est au contraire par l’analyse des processus de développement en eux-mêmes que l’on pourra parvenir à définir quelques principes généraux susceptibles de produire les évolutions et les formes d’évolution constatées. La partie suivante tentera de cerner quelques-uns de ces principes généraux. La démarche d’analyse qui sera suivie repose sur deux postulats qui découlent du caractère contextualisé des fonctionnements et du développement cognitif.
501.- On postule tout d’abord que fonctionner dans divers domaines induit des évolutions analogues dans ces différents domaines, mais sans liens nécessaires (bien qu’ils soient possibles) ni entre les domaines ni au travers de la forme de traitement (structure).
512.- Aucun domaine ne doit être privilégié pour l’évaluation des compétences… et surtout pas celui des connaissances scientifiques. C’est ce que l’on pourrait appeler un structuralisme distribué. Depuis 1955, de nombreuses recherches ont été menées selon le modèle expérimental suivant : évaluation d’un niveau de développement cognitif en utilisant des épreuves adaptées de Inhelder et Piaget (1955), croisement de cette évaluation avec les résultats d’une autre catégorie d’épreuves, par exemple des épreuves relatives au jugement moral. L’idée de ce type d’expérience était de rechercher les liens éventuels entre « le stade formel » et tel ou tel autre domaine de fonctionnement. Mais la méthode utilisée ne s’accorde pas avec un structuralisme distribué. En effet, toute épreuve d’évaluation est obligatoirement relative à un contexte et ne peut prétendre à évaluer un niveau général de compétence. Il en est ainsi pour les épreuves d’Inhelder et Piaget qui sont relatives au domaine des connaissances scientifiques, principalement celles de la physique. Il n’y a pas de raison de les privilégier comme représentatives des transformations cognitives au moment de l’adolescence, bien qu’elles puissent servir de bon modèle, au sens de bon exemple, pour étudier ces transformations. Si l’on cherche à cerner les aspects cognitifs d’un domaine fonctionnel, c’est en construisant des épreuves internes au domaine (et non pas externes).
De quelques processus et mécanismes de développement
52La réflexion sur le développement cognitif au moment de l’adolescence nous a conduit à poser la question des rapports entre les formes de traitement, qui définissent des niveaux de compétence, et les domaines fonctionnels où s’expriment ces compétences. Et comme les formes de traitement n’ont pas d’emblée un statut psychologique autonome, c’est par des transformations internes aux domaines fonctionnels que l’on doit d’abord chercher à expliquer les constructions cognitives qui les structurent. Il est donc essentiel de mieux cerner les processus d’évolution que l’on suppose analogues d’un domaine à l’autre. Ces processus sont la manifestation des mécanismes de développement que l’on peut approcher soit par des méthodes psychologiques (comparaisons intra- et inter-domaines, et recherche d’analogies de développement), soit par la modélisation des fonctionnements neuronaux (Arbib, 1995). On suggérera ici trois directions d’analyse de tels processus. Par définition, ces mécanismes sont conçus comme étant une propriété des réseaux de neurones du cerveau humain. De ce fait, ils sont communs à l’espèce humaine et identiques à tous les niveaux de développement. Mais comme la mise en œuvre de ces mécanismes est canalisée par les circonstances environnementales, le postulat d’universalité de ces mécanismes n’est pas contradictoire avec les variabilités développementales qui feront l’objet du paragraphe suivant.
Implicite et local vs explicite et généralisable
53Dans tout traitement cognitif, et en particulier au moment de l’adolescence et dans les situations classiques référées au stade formel, la première question est de savoir ce qui est effectivement traité par l’individu. Quel est en quelque sorte le « système subjectif » en jeu dans la situation présente, pour reprendre l’expression de Pascual-Leone (Ribeaupierre & Pascual-Leone, 1979) ? Or, on peut analyser ce système subjectif comme étant situé entre deux pôles extrêmes. À l’un des pôles, la situation est traitée en elle-même avec par conséquent de nombreuses caractéristiques retenues. Il faut par conséquent trier ces informations, les organiser selon l’objectif poursuivi, etc. On parlera dans ce cas de « traitement sémantique ». À l’autre pôle, la situation est d’emblée considérée comme étant un exemple d’une classe de situations. Des caractéristiques communes et éventuellement calculables sont donc abstraites de la situation particulière actuelle. On parlera dans ce cas de « traitement symbolique ».
54D’un point de vue développemental, on peut alors soutenir qu’une nouvelle aptitude de traitement (« habileté » ou « schème ») est d’abord acquise par un traitement sémantique de situations particulières. Dans ce cas, les contraintes logiques qui valident le traitement restent implicites. On est « dans » la situation et on bricole une solution adaptée aux éléments signifiants de la situation sans expliciter les nécessités structurales, c’est-à-dire l’organisation logique et potentiellement générale de ces éléments signifiants. Pourtant ces éléments de la situation sont bien agencés logiquement, même à ce niveau « sémantique ». Par la suite, l’évolution développementale aboutit à des traitements « symboliques » portant cette fois sur des invariants de situation. Cette évolution peut s’accompagner d’une explicitation au moins partielle des contraintes logiques antérieurement implicites et liées aux situations particulières, car la reconnaissance et l’abstraction des invariants pourraient résulter des contraintes logiques qui les sous-tendent.
55Des exemples de tels processus sont plutôt à rechercher dans les évolutions intra-domaines et pas tellement dans les « généralisations » entre les grands domaines comme ceux désignés dans les figures 2 et 3. Ainsi, dans le domaine du jugement moral, le traitement cognitif qui produit le jugement peut porter uniquement sur les caractéristiques du dilemme en discussion ; mais il se peut également que le dilemme actuellement discuté soit explicitement envisagé comme représentatif d’une classe de dilemmes, où se trouvent par exemple opposées des valeurs morales et des obligations légales. De plus, des contraintes logiques (comme celles liées à l’application d’un principe éthique) peuvent rester implicites dans le traitement d’un dilemme particulier, mais être dégagées et traitées en tant que telles si elles permettent de relier des dilemmes analogues ; cf. les situations étudiées par Aris (1999) : voler un médicament pour sauver son épouse chérie ou voler un médicament pour sauver sa voisine. En suivant une remarque de Markovits (1997), ce type d’évolution est également applicable aux « raisonnements naturels », que ces raisonnements soient menés sur un matériel verbal (comme c’est habituellement le cas dans les publications de Markovits) ou dans d’autres situations. Par conséquent, dans ce domaine des raisonnements, les modèles logiques normatifs (comme celui de la logique propositionnelle) peuvent être utilisés de deux manières très différentes : ils peuvent modéliser des raisonnements spontanés effectués par l’analyse de situations particulières (traitement sémantique) sans appliquer de règles logiques reconnues comme telles ; ils peuvent aussi constituer le point d’aboutissement d’un développement par symbolisation progressive.
56En un sens, les processus que l’on vient de décrire constituent des « généralisations » mais, s’il y a généralisation pour l’observateur (dans un domaine, comme on vient de le voir, ou entre domaines comme dans les figures 2 et 3), ces processus et les mécanismes sous-jacents peuvent être de natures très diverses. Comme nous l’avons suggéré auparavant (Lehalle, 1998 : Gauderat-Bagault & Lehalle, 2002), trois grands types de généralisations peuvent être distingués :
les généralisations « intra » (traitements sémantiques) : effectivement, pour un observateur extérieur, des traitements analogues sont attestés dans des situations ou des domaines différents, mais du point de vue de l’auteur des traitements, il n’y a pas de liens effectifs entre les situations ou domaines, et les analogies de traitement résultent des contraintes locales, au coup par coup, et de l’identité des mécanismes de développement qui produisent l’évolution ;
les généralisations « inter » (traitements « analogiques ») : une situation cible est traitée explicitement en référence à une situation source ; la correspondance peut être globale (« Ah oui ! C’est comme… ») ou stricte (les éléments de la cible sont mis en correspondance terme à terme avec les éléments de la source).
généralisation « trans » (traitements symboliques) : la situation n’est plus qu’un exemple d’une classe de situation ; ce sont les invariants entre situations qui sont représentés (« symbolisés ») et traités.
57À partir de ces considérations, et des exemples suggérés (tout particulièrement celui des raisonnements naturels), il faut souligner que c’est toujours le même modèle « logique » ou « structural » qui définit la compétence, quel que soit le type de traitement effectué : sémantique, analogique, symbolique. La différence entre ces types de traitement réside dans le degré d’explicitation des invariants et des contraintes logiques sous-jacentes. Il est donc essentiel pour un développementaliste, à la suite de Karmiloff-Smith (1992), de s’intéresser aux modèles cognitifs sur cette question de l’explicitation (Sun, Merrill & Peterson, 2001)
Extension vs coordination
58Les processus dont on vient de parler s’accompagnent au cours du développement d’un autre type d’évolution et ce sont en réalité deux grands types d’évolution cognitive (Extension vs coordination) qu’il convient de présenter l’un par rapport à l’autre (Gauderat-Bagault & Lehalle, 2002).
59Le premier type d’évolution, que l’on vient de décrire, peut être labellisé comme une « extension/abstraction filtre ». C’est une « extension » dans le sens que, d’un point de vue strictement descriptif, des traitements cognitifs relevant d’une même structuration sont effectivement observés dans plus de situations ou plus de domaines, bien que, comme nous l’avons souligné, ce ne soit pas la structure qui se généralise d’elle-même. C’est une « abstraction filtre » dans le sens que le repérage d’analogies, et finalement la symbolisation, filtrent en quelque sorte les invariants et les contraintes logiques liées. La formule (1) schématise ce type de processus : des traitements locaux structuralement équivalents (Si, Sj, Sk,…) aboutissent au traitement symbolique (S). Dans le cadre des modèles hebbiens, on peut facilement imaginer les mécanismes neuronaux qui correspondent à cette évolution psychologique. À la limite, l’abstraction « filtre » n’a pas besoin d’être expliquée puisqu’elle pourrait résulter de la simple réitération de fonctionnements neuronaux ayant un réseau commun.
60(1) Si Sj Sk… S
61L’autre type d’évolution peut être désigné comme une « coordination/abstraction super ordonnée ». Cette fois, il y a bien construction structurale et cette construction structurale revient à relier des traitements cognitifs jusque-là alternants c’est-à-dire manifestés à des moments différents du fonctionnement. La plupart des modèles néo-piagétiens (Demetriou, 1988) proposent de telles intégrations successives et, par certains aspects (en particulier la coordination des réversibilités N et R dans le groupe INRC), le système des stades de Piaget traduit aussi ce type d’évolution. La formule (2) schématise ce processus : dans une situation ou un contexte « i », deux traitements (S1i ou S2i) sont présentés à des moments différents. Puis, pour des raisons sémantiques liées à la situation « i », ces deux traitements sont « coordonnés » c’est-à-dire que des moyens sont trouvés, dans cette situation « i », pour relier ces traitements.
62(2) [(S1i) ou (S2i)] → (S (1 + 2) i)]
63Alors peut s’enclencher le premier processsus d’« extension/abstraction filtre » à partir de cette première structuration en situation. La formule (3) ne fait que reprendre la formule (1) mais en l’adaptant à la construction structurale de la formule (2).
64(3) S (1 + 2) i ≡ (1 + 2) j ≡ (1 + 2) k… ≡ (1 + 2)
65Des exemples de telles constructions structurales peuvent être trouvés à des niveaux variables de généralité : au niveau des organisations structurales qui relèvent de très nombreuses réalisations fonctionnelles (cas des situations de proportionnalité où, comme on l’a vu, des quantifications unidimensionnelles doivent être coordonnées et les premières coordinations sont effectivement sémantiques et locales, Lehalle & Savois, 1985), à des niveaux d’organisation en apparence plus spécifiques ou techniques (cas des acquisitions numériques et par exemple lorsque les écritures décimales et fractionnaires sont coordonnées par l’opération de multiplication : Lehalle, Van Poucke & Guedes, 2001).
66Dans tous ces exemples, la nouvelle organisation structurale est une « abstraction super ordonnée » dans le sens qu’elle dépasse et intègre les traitements antérieurs alternants qui restent cependant effectifs ou possibles. Mais comme nous l’avons vu au paragraphe précédent, toute construction structurale débute en situation et pour des raisons liées à l’analyse de cette situation. Il n’y a pas de construction structurale d’emblée abstraite. Autrement dit, les processus décrits dans ce même paragraphe s’enclenchent à partir de ceux décrits dans le paragraphe : « Extension vs coordination » et ces derniers présupposent une pluralité de fonctionnements qui sont parfois des fonctionnements analogues assignables aux processus décrits dans le paragraphe « Implicite et local vs explicite et généralisable » (comme dans les situations de proportionnalité), ou parfois des fonctionnements différenciés (ainsi, l’écriture décimale est fonctionnellement liée à la mesure, l’écriture fractionnaire est plutôt référée au partage).
Continuité vs discontinuité du développement
67Les liens que l’on vient de souligner entre les deux grandes catégories de processus développementaux (extensions et coordinations) invitent à discuter le caractère « continu » ou « discontinu » de ces évolutions. Il s’agit là d’un thème qui alimente encore les discussions actuelles, par exemple en ce qui concerne le développement des concepts numériques (Carey, 2002 ; Bideaud, Lehalle & Vilette, 2004). Il convient donc de l’aborder à propos du développement cognitif des adolescents.
68Mais il faut s’entendre sur le sens des termes. Si par « continu » on entend : « accroissement quantitatif sans changements qualitatifs », – ce qui revient au « prédéterminisme » car si les changements sont uniquement quantitatifs c’est que les compétences existent en germe dès le départ –, alors les processus dont on a parlé ne sont évidemment pas « continus » et nous avons en particulier souligné les difficultés du modèle explicatif par l’augmentation des capacités de la mémoire de travail. D’un autre côté, si par « discontinu », on veut dire que des compétences entièrement nouvelles se manifestent comme par miracle sans lien avec les constructions antérieures et se généralisent d’elles-mêmes en englobant l’ensemble des fonctionnements possibles, alors, là encore, les processus que l’on a décrits ne sont pas « discontinus ». Le développement ne serait donc ni continu ni discontinu, ce qui est difficilement concevable.
69Toutefois, la combinatoire (nous sommes au stade formel !) offre une autre possibilité qui est d’envisager le développement comme à la fois continu et discontinu. Ainsi, en considérant les évolutions cognitives qui se déroulent au moment de l’adolescence, le développement est continu dans le sens que les constructions nouvelles s’appuient toujours sur les acquisitions précédentes avant de s’en différencier. Mais il est aussi discontinu car les traitements symboliques comme les constructions structurales produisent des différences qualitatives et des ruptures qui rejaillissent sur les conceptualisations précédentes. Comme l’écrivait Gréco à propos du nombre : « À mesure que les inférences progresseront, s’organiseront en systèmes de plus en plus stables, mobiles, généraux, les nombres auxquels elles s’appliquent, quand bien même ils continuent de s’appeler 1, 2, 3… de se succéder comme pour l’enfant de 8 ou 9 ans, seront devenus d’autres nombres » (1963-1991 p. 134).
70Ainsi trois certitudes en apparence contradictoires peuvent être formulées. Première certitude : « Rien n’est vraiment nouveau ». Il y a plusieurs manières de valider cette conviction de la continuité du développement. Tout d’abord, les constructions structurales sont progressives, et dans certains cas des repérages partiels et précoces ont été mis en évidence suggérant ainsi la continuité du développement. S’agissant des compétences habituellement attribuées aux adolescents, de telles acquisitions partielles et précoces ont été montrées à propos du raisonnement expérimental (Lehalle, 1994) ou des déductions logiques (Matalon, 1962-1990 ; Hawkins, Pea, Glick, & Scribner, 1984 ; Markowits, Schliefer, & Fortier, 1989). Par ailleurs, lorsque les acquisitions relèvent de contraintes didactiques et qu’elles dépassent pour un temps les possibilités des apprenants, les problèmes sont d’abord résolus par un transfert de procédures à partir des connaissances déjà acquises, ce qui est une autre manière de produire une certaine continuité. Ainsi, il est fréquent que les décimaux soient d’abord traités comme des entiers (Léonard & Sackur, 1991) et cela provoque des erreurs typiques (« 3,12 » jugé plus grand que « 3,2 », car « 12 » est plus grand que « 2 » : logique !), ou encore, pour les mêmes raisons d’extension procédurale à partir des acquis sur les nombres entiers, les multiplications de fractions seront plus faciles que les additions (Rittle-Johnson et Siegler, 1998). Enfin, toute coordination structurale suppose la constitution préalable des éléments à coordonner. Comme on l’a souligné, l’un des aspects de la cognition adolescente est de construire des opérations sur les opérations et cette construction apparaît par conséquent dans la continuité d’un développement à long terme. Ainsi : « Rien n’est vraiment nouveau. »
71Mais, seconde certitude : « Tout est vraiment nouveau ». Cette conviction d’un développement discontinu est bien illustrée par les compétences décrites au paragraphe « Approche empirique : quoi de neuf en grandissant ? » et par la nature des processus développementaux (symbolisation et coordination) que l’on a cherché à préciser. Il y a bien au cours du développement des changements qualitatifs qui se présentent comme des ruptures et des ouvertures : le stade formel est une libération par rapport aux structurations immédiates qu’il permet d’organiser de façons plus complètes et plus générales.
72Enfin, troisième certitude : « Tout est semblable ». L’idée ici est que les évolutions sont analogues à tous les moments du développement. En particulier, s’agissant de l’abstraction, on peut se demander si les traitements cognitifs des adolescents sont « abstraits » (selon la terminologie de Fischer, 1980) ou s’ils sont simplement « plus abstraits », et dans ce cas l’abstraction serait un processus continu et semblable à tous les âges et non pas une caractéristique spécifique de l’adolescence. Effectivement, si l’abstraction est définie sous les deux formes envisagées (extensions et abstraction « filtre » ; coordination et abstraction « super ordonnée »), elle ne concerne pas uniquement la période adolescente.
73Une manière de relier ces trois certitudes, formulées ici de façon contradictoire par simple jeu rhétorique, est de postuler l’existence de mécanismes neuropsychologiques qui auraient les caractéristiques suivantes :
des mécanismes présents dès le début de la vie, car les mécanismes peuvent être innés sans que les structures qu’ils produisent le soient pour autant ;
opérant à tous les niveaux d’évolution (« Tout est semblable ») ;
à partir des habiletés déjà construites (« Rien n’est vraiment nouveau »)
pour produire deux sortes de nouveautés (« Tout est vraiment nouveau ») : des traitements sémantiques avec une construction structurale implicite et des traitements symboliques à partir des traitements sémantiques.
74En définitive, le point de vue qui allie continuité et discontinuité n’est pas contradictoire et peut se comprendre aisément par la pluralité des processus en jeu : toute création structurale va paradoxalement dans le sens de la continuité car elle prolonge des traitements effectués localement en situation ; toute abstraction structurale qui thématise les invariants et induit leur généralisation fait apparaître une discontinuité tout aussi paradoxale puisqu’il s’agit toujours des mêmes contraintes structurales. Ce faisant, invoquer la pluralité des processus nous conduit aux questions de variabilités intra-et interindividuelles.
Variabilité et facteurs de variabilité
75Les discussions précédentes centrées à la fois sur la description des compétences cognitives des adolescents et sur les processus développementaux qui les produisent, aboutissent obligatoirement à considérer la variabilité de ce développement. S’agissant du stade formel, il est bien connu en effet que la standardisation des épreuves classiques n’a pas permis de mettre en évidence un âge de réussite à 100 % de ces épreuves (voir par exemple : Longeot, 1969). C’est donc en premier lieu la variabilité interindividuelle que l’on doit considérer. Mais les théories développementales actuelles intègrent également la variabilité intra-individuelle, c’est-à-dire le fait qu’un individu ne fonctionne pas toujours au même niveau de compétence.
La variabilité intra-individuelle
76Il y a plusieurs manières de concevoir et de situer théoriquement la variabilité intra-individuelle. La première découle directement des relations entre « formes de traitements » et « domaines fonctionnels ». Si les formes de traitement n’ont pas d’emblée de réalité psychologique indépendamment des domaines où elles se manifestent et si par conséquent ces formes sont toujours à reconstruire en situation (Fischer, 1980), alors il n’est pas surprenant d’observer des variations de traitement chez un même individu selon les situations ou les concepts à structurer. Autrement dit, les « décalages horizontaux » de Piaget sont loin d’être une bizarrerie du développement. Ils en constituent au contraire la forme habituelle par le jeu des processus d’extension et de construction décrits dans le paragraphe précédent. De ce fait, la modélisation structurale n’a plus pour corollaire obligé le synchronisme nécessaire des acquisitions et finalement l’asynchronisme effectivement observé ne suffit pas à rejeter la modélisation structurale. Ce type de variabilité intra-individuelle est équivalent à une variabilité inter-contextes, que cette variabilité soit commune à tous les individus (l’explication serait alors à rechercher dans la difficulté relative de certains contextes) ou qu’elle soit liée à la variété des expériences individuelles pour les divers contextes ou domaines (dans ce cas la variabilité intra-individuelle est aussi une variabilité interindividuelle due aux différences d’expertise). En définitive, il est normal que les individus en développement ne fonctionnent pas toujours au même « stade » et, en ce qui concerne les adolescents, l’observation d’un raisonnement de niveau formel dans une situation n’implique pas que ce même niveau de raisonnement doive être observé dans toutes les situations. Même si les raisonnements formels peuvent éventuellement se présenter comme des raisonnements abstraits d’un contenu local, cette abstraction peut ne pas être uniformément possible quel que soit le contexte.
77Une autre manière d’envisager les variations intra-individuelles est bien illustrée par l’approche « pluraliste » de Lautrey (1990, 1993). L’idée ici est d’envisager que, même dans le cadre d’une seule situation (et non plus en comparant des contextes), plusieurs types d’inférences, plusieurs façons d’aborder le problème peuvent être effectives. Et comme les critères de décision liés à ces approches n’aboutissent pas forcément aux mêmes réponses, leur activation simultanée est susceptible de créer les conditions d’une évolution cognitive majorante. Cette conception pluraliste s’oppose aux modèles « unitaires » où chaque niveau de développement est caractérisé par une seule modalité de traitement cognitif, chaque modalité nouvelle se substituant à la précédente et disparaissant le moment venu pour laisser place à la suivante. De telles variabilités intra-individuelles en situation sont tout à fait envisageables dans les tâches référées au stade formel. On peut penser tout particulièrement aux situations de proportionnalité : plusieurs dimensions de transformation y sont en jeu, plusieurs procédés de calcul sont éventuellement en compétition, etc. Mais si cette forme de variabilité intra-individuelle est susceptible d’induire un progrès cognitif c’est bien parce qu’elle relève d’une variabilité fonctionnelle en situation et donc d’un traitement sémantique de cette situation.
78Enfin, on peut s’intéresser plus directement aux déterminants externes, « écologiques », de la variabilité des réponses. À ce propos, Fischer (Fischer, Kenny, & Pipp, 1990 ; Fischer, & Kennedy, 1997 ; Fischer, Yan, & Stewart, 2003) a régulièrement souligné l’intérêt de distinguer deux niveaux de performance susceptibles d’être présentés par un même individu : un niveau « fonctionnel » lorsque les conditions de production de la performance ne sont pas favorables à la production de réponses sophistiquées, et un niveau « optimal » lorsqu’elles le sont (par le choix du matériel, l’étayage social, etc.). Cette distinction est en un sens banale. Mais elle devient plus intrigante si l’on ajoute que, toujours selon Fischer, seuls les niveaux optimaux sont susceptibles de présenter des évolutions non-linéaires (avec des moments de progression rapide et même des régressions temporaires) tandis que les niveaux fonctionnels progressent plus lentement et de façon quasi linéaire avec l’âge.
79En définitive, depuis 1955, le statut théorique des variabilités intra-individuelles a beaucoup changé, quel que soit le niveau de développement considéré et donc aussi pour ce qui concerne le stade formel et le développement cognitif au moment de l’adolescence. Ces variabilités s’intègrent désormais parfaitement aux modélisations du développement, et sont même considérées comme essentielles pour mieux comprendre les processus d’évolution. De plus, si elles rendent caduques les modèles unitaires par substitutions successives de compétences au profit des modèles en réseau de connaissances, d’inférences et d’activation (Fischer, Yan, & Stewart, 2003), le caractère ordinal ou séquentiel des évolutions est maintenu. Ainsi, bien qu’ayant évolué vers des modélisations dynamiques non-linéaires, Fischer a toujours maintenu sa description de processus généraux sous forme de hiérarchies d’habiletés avec finalement peu de modifications par rapport à leur première formulation (Fischer, 1980).
La variabilité interindividuelle
80Comme on l’a déjà souligné, les travaux d’Inhelder et de Piaget (1955) ont très vite conduit à l’élaboration d’épreuves relativement standardisées qui n’ont mis en évidence les raisonnements formels que chez une minorité d’adolescents (Longeot, 1969). La question des variabilités interindividuelles s’est donc retrouvée très vite au cœur du débat.
81Remarquons tout d’abord que les standardisations des épreuves du stade formel n’ont fait que reprendre une partie des situations explorées par Inhelder et Piaget, mis à part les raisonnements de logique verbale dont on a déjà parlé. De ce fait, il s’agit d’un domaine particulier de connaissances (le domaine « scientifique ») et c’est prendre quelque risque que de conclure en termes de compétence générale à partir d’évaluations contextualisées dans un domaine particulier. Cela est bien connu depuis longtemps : comme on n’évalue jamais que des performances, il est impossible de conclure à l’absence de compétence puisque l’on peut toujours supposer que cette compétence pourrait se manifester dans un autre contexte que celui choisi pour l’évaluation (Lehalle & Mellier, 1984). C’est bien ce qui est pris en compte dans les tentatives actuelles de relier théoriquement les formes de traitement aux domaines fonctionnels (voir supra).
82Piaget l’avait bien compris. Dans un article de 1972, il examine diverses explications possibles de la faible incidence effective du stade formel chez les adolescents. Parmi celles-ci il en est une qu’il considère comme étant la plus plausible. C’est une interprétation différentielle, mais elle ne conduit pas pour autant à hiérarchiser les individus selon leurs aptitudes cognitives. L’idée est de relier la variabilité interindividuelle à la variabilité intra-individuelle. Piaget estime en effet très probable que tous les individus finissent par acquérir des compétences formelles, mais dans des domaines spécifiques, ceux qu’ils ont eu l’occasion d’exercer, en particulier dans le cadre de leurs activités professionnelles. Ainsi, il est socialement important de souligner que les opérations formelles ne sont pas l’apanage des élèves qui suivent sans problème un cursus scientifique de haut niveau. Les activités « techniques » font également appel à des compétences de nature formelle et à la logique naturelle. Pensons en effet aux compétences opératoires requises pour planifier sans erreur une installation électrique (pas seulement au niveau des calculs, mais aussi à celui de la réalisation « concrète » du cablage…), pour daller une pièce (obligation d’une représentation géométrique abstraite, avec les contraintes et les ajustements que cela implique), pour doser des produits à mélanger, etc. Et plus généralement, des raisonnements formels sont possibles, sinon effectifs parce que non nécessaires, dans de nombreuses activités quotidiennes.
83Ainsi, contrairement aux idées dominantes dans l’après Piaget (ou l’après Inhelder…), il y a des raisons d’être optimiste car il n’est pas interdit de présupposer la compétence au lieu de la nier à partir de performances localement pré-formelles. Une autre raison provient des recherches sur les apprentissages structuraux de niveau formel. En s’appuyant par exemple sur les résultats de Danner et Day (1977) des apprentissages structuraux (i. e. parvenir à faire raisonner des adolescents à un niveau formel dans un contexte donné) sont possibles et même relativement faciles – il s’agissait en l’occurrence du raisonnement expérimental – à partir d’un certain âge, comme si les compétences formelles des adolescents (mais pas chez les enfants trop jeunes) restaient latentes, en production spontanée, tant que la familiarité ou les échanges interactifs n’auront pas suffisamment clarifié les éléments du problème et les contraintes à prendre en compte. En un sens, on rejoint là encore la variabilité intra-individuelle et, plus précisément, la distinction opérée par Fischer entre le niveau « optimal » et le niveau « fonctionnel ».
84Une troisième raison d’être optimiste provient de l’évolution historique. En réitérant les passations de Longeot dans les mêmes conditions expérimentales, mais 20 ou 30 ans plus tard, Flieller (1999) a pu observer une très nette augmentation de la fréquence des raisonnements formels. Ainsi, entre 1967 et 1996, avec l’EPL (Echelle de Développement de la Pensée Logique), pour la tranche d’âge des 13-15 ans, la fréquence du « stade formel A » passe de 26 à 40 %, celle du « stade formel B » passe de 9 à 15 %.
85Ces variabilités invitent à mieux cerner les déterminants de l’évolution opératoire et de sa différenciation intra- et interindividuelles. Certes, il est facile d’invoquer de tels déterminants généraux : incitations scolaires, occasions d’exercice, motivations pour un domaine d’activité, socialisation familiale et extra-familiale, etc… Mais il y a en réalité peu de recherches sur ces questions, probablement en raison de la difficulté théorique et pratique de cerner les compétences formelles dans des domaines variés. Il est a priori (a priori seulement !) plus facile de s’intéresser aux compétences cognitives des bébés ! Toutefois, sans réelle surprise, on a pu observer un effet positif des interactions dyadiques entre pairs (Dimant & Bearison, 1991) dans une étude portant sur la combinatoire (situation adaptée de la combinaison des produits chimiques, Inhelder & Piaget, 1955). Et même, à la suite de diverses comparaisons, les auteurs ont pu montrer par l’analyse des échanges verbaux que les progrès individuels entre le pré-test et le post-test étaient reliés à l’importance des interactions dyadiques pertinentes (« questions », « expression d’un accord ou d’un désaccord », « explications »), et non pas aux interactions sociales sans rapport avec la tâche ; de plus, dans les sessions d’entraînement, les dyades parviennent à résoudre plus de problèmes que les participants du groupe contrôle (résolutions individuelles). Il s’agissait dans cette recherche de grands adolescents (18 ans en moyenne). Clairement, il faudrait pouvoir développer ce type de recherches car identifier les processus de construction cognitive, en approcher les mécanismes neuropsychologiques et repérer les déterminants généraux et différentiels qui sollicitent les mécanismes adaptatifs, tels sont les trois fronts de la modélisation du développement (Lehalle & Mellier, 2002). Et cela, quelle que soit la forme de celui-ci car les théorisations « dynamiques » actuelles ont pour ambition de théoriser non seulement les évolutions majorantes et hiérarchiquement ordonnées, qui sont le fruit d’un environnement stimulant, mais aussi les interactions environnementales qui aboutissent, par l’application des mêmes mécanismes, à des régressions, des stagnations ou des impasses. Autrement dit, nous avions trois raisons d’être optimiste… mais si l’on accepte que les mécanismes de développement, dans des conditions environnementales particulières, ne produisent pas toujours des évolutions majorantes, nous avons aussi des raisons d’être localement pessimistes. Cela incite à rechercher de façon plus efficace quels sont les facteurs du développement cognitif et de sa différenciation.
En conclusion : le développement cognitif a-t-il une fin ?
86La période de l’adolescence est traditionnellement considérée comme une période d’achèvement du développement avant la stabilité de l’âge adulte. Mais outre le fait que l’adolescence dure désormais un peu trop longtemps pour n’être qu’une phase de transition, la conception actuelle d’un développement se poursuivant tout au long de la vie remet en question l’idée même d’un achèvement, et noie en quelque sorte l’adolescence dans un processus de développement continu. Qu’en est-il du développement cognitif ? Déjà avec Fischer (Fischer, Yan, & Stewart, 2003) l’évolution cognitive déborde largement les âges traditionnels de l’adolescence. Mais la question posée n’a pas de réponse univoque (Lehalle, 2001).
87Dans le cadre d’une approche piagétienne, le développement aboutit effectivement à un niveau ultime et définitif qui se manifeste éventuellement après 18 ans : « stade formel » chez Piaget (Inhelder & Piaget, 1955) ; « abstractions » chez Fischer (1980) ; « stade abstrait ou vectoriel » chez Case (1985) ; « appariement de systèmes multiples » chez Halford (1993), etc. Cependant, des distinctions doivent être faites.
Si on se situe au niveau des connaissances acquises ou produites, il n’y a pas de raison d’envisager une limite quelconque à l’étendue des connaissances. Cela est assez évident : on peut toujours « apprendre » quelque chose de nouveau.
S’il s’agit de l’organisation de ces connaissances telle que produite par les mécanismes et selon les processus évoqués dans les paragraphes précédents, alors les limites seront des limites de fait et non pas de droit. Pas de raison, en effet, d’envisager a priori une limite aux organisations de plus en plus générales ou de plus en plus abstraites, comme celles qui sont décrites par les modèles de stade chez les néo-piagétiens (Fischer en particulier). Quant à Piaget, rappelons que dans son article de 1956, les équilibres qu’il postule à chaque niveau sont des équilibres relatifs, c’est-à-dire susceptibles d’être déstabilisés en vue de constructions ultérieures. Par conséquent, s’il y a des limites au développement des organisations ce sont des limites de fait, c’est-à-dire imposées par l’absence de facteurs incitateurs. Si dans la plupart des cas il n’y a pas de nécessité adaptative à des organisations plus complexes ou plus abstraites que celles des stades finaux décrits, rien n’interdit de penser que de telles organisations puissent se construire chez certains individus ou dans certains contextes (… par exemple lorsqu’il s’agit de réfléchir sur les caractéristiques du stade formel de Piaget !).
Mais il y a également un troisième aspect à l’évolution cognitive, celui des instruments de connaissance : non pas les connaissances elles-mêmes ni leur organisation, mais les outils conceptuels qui les décrivent ou les produisent. Deux cas sont à envisager. S’il s’agit d’outils explicites, comme les modélisations mathématiques, alors ces outils sont des formes particulières de connaissance et il n’y a pas lieu non plus d’en envisager la limite. En revanche, s’il s’agit des contraintes logiques implicites qui permettent de construire les connaissances et qui peuvent être approchées par les descriptions de l’analyse structurale, alors il est tout à fait envisageable que ces contraintes, qui ne sont pas innées, évoluent jusqu’à un niveau optimal, celui que Piaget a pensé décrire avec la logique propositionnelle. Mais celle-ci n’est qu’un modèle imparfait qui a luimême des inconvénients repérés par les logiciens (Lewis et Langford, cités par Grize 1967,… et Grize lui-même, 1990 a et b, par exemple).
88Cependant, les insuffisances du modèle ne condamnent pas la démarche et il est cohérent de supposer que toute activité de recherche opérée par un adulte (scientifique ou non) repose sur un niveau de compétence, une logique naturelle implicite, qui permet par exemple d’assurer des déductions valides ou de repérer des contradictions. Et finalement, rien n’interdit de penser que la construction de cette logique sous-jacente puisse s’achever au moment de l’adolescence.
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