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Trajectoires développementales de détresse psychologique et relations parentales à l’adolescence

p. 89-104


Texte intégral

Introduction

1La notion de détresse psychologique fait appel à une agglomération de symptômes intériorisés tels que l’anxiété, la dépression, l’irritabilité et la présence de problèmes cognitifs. (Ilfeld, 1976, 1978 ; Préville, Boyer, Potvin, Perrault & Légaré, 1992). Selon Lazarus et Folkman (1984), la détresse psychologique apparaîtrait à la suite d’un certain nombre de situations objectivement défavorables à la personne et d’une évaluation subjective négative de ces situations. Les symptômes récurrents de détresse psychologique se différencient des réactions normales de tristesse ou de tension propres à l’adolescence car elles entraînent des altérations significatives du fonctionnement familial, social et scolaire des individus.

2Nombre de mesures auto-rapportées ont été développées au cours des cinquante dernières années pour évaluer différents construits théoriques se rattachant à la santé psychologique. Compte tenu de la forte corrélation de plusieurs de ces échelles avec des mesures d’expression de tristesse, de désespoir et d’anxiété, Link et Dohrenwend (1980) ont retenu le terme de « démoralisation » pour désigner ce concept général, indirectement lié aux désordres psychiatriques cliniques, mais qui aurait un impact assez important pour que la personne qui l’éprouve tende à chercher l’aide d’un professionnel en santé mentale. Au cours des années 1980, plusieurs chercheurs ont adopté le concept de « détresse psychologique non-spécifique » comme synonyme du concept de démoralisation (Dohrenwend, Shrout, Egri, & Mendelsohn, 1980 ; Brown, Craig, & Harris, 1985), pour décrire l’état des personnes présentant un état psychologique perturbé, n’offrant pas de correspondance avec les symptômes de la nomenclature proposée par le Statistical Manual of Mental Disorders (DSMTV, American Psychiatric Association, 1994). Le concept de détresse psychologique est généralement utilisé comme une mesure continue présentant à son extrémité inférieure l’absence de symptômes et à l’autre, la présence de symptômes sévères pouvant s’accompagner d’idéations ou de tentatives suicidaires et de sérieuses incapacités fonctionnelles (Klerman, 1990 ; Gold, 1990).

3Peu d’études portant sur l’ajustement psychologique à l’adolescence ont adopté le concept de détresse psychologique, la plupart des travaux font plutôt référence à des notions telles que tristesse, dépression, anxiété ou « mal-être psychologique » pour refléter la présence d’un niveau élevé de ces symptômes. Les études relevées à l’intérieur de ce chapitre reflètent cette façon d’utiliser le construit de détresse psychologique. Nous avons donc utilisé les termes choisis par les auteurs des études, en regroupant les mesures qu’ils ont adoptées sous les termes de symptômes internalisés, appellation généralement utilisée désormais en psychopathologie développementale.

La détresse psychologique à l’adolescence

4Lors d’une étude épidémiologique menée au Québec, Breton, Légaré, Laverdure & D’Amours (1999) constatent qu’entre 18 % et 24 % des adolescents âgés entre 12 et 17 ans et 29 % des adolescents âgés entre 15 et 19 ans présentent des niveaux cliniquement significatifs de détresse psychologique, ces auteurs ayant fixé le seuil clinique de leur instrument au 80e percentile, compte tenu de la prévalence des troubles de santé mentale dans la population québécoise en général, tous âges confondus.

5La surreprésentation des troubles internalisés chez les filles constitue un phénomène répertorié internationalement (Braconnier, Chiland, Choquet & Pomarède, 1995). L’enquête de Santé Québec de 1999 confirme ce fait : près d’une adolescente sur quatre présente un niveau élevé de détresse psychologique et cette prévalence se révèle significativement plus élevée que celle des garçons (Breton et al., 2000). De telles données soulignent la pertinence d’examiner la détresse psychologique et son évolution chez les adolescents afin d’évaluer les facteurs de risque et de vulnérabilité, et ceci en tenant compte des différences de sexe.

Évolution de la détresse psychologique à l’adolescence

6Les quelques travaux qui ont examiné l’évolution des symptômes de détresse psychologique à l’adolescence débouchent sur des constats contradictoires. Alors que certains auteurs avancent l’hypothèse du caractère stable de la détresse psychologique chez les filles et d’une réduction chez les garçons (Breton et al., 1999), d’autres constatent une augmentation des symptômes internalisés chez les filles en début d’adolescence et une stabilité relative chez les garçons (Gasquet, 1994). De leur côté, Galambos, Barker et Almeida (2003) estiment que les troubles internalisés demeurent stables en début d’adolescence, et ce, autant chez les filles que chez les garçons. Toutefois, il ne semble pas y avoir à ce jour des travaux qui tentent de tracer, à l’aide d’une approche centrée sur les individus, différents patrons de trajectoires réunissant des adolescents ayant un profil développemental similaire.

Lien affectif parental et détresse psychologique à l’adolescence

7De nombreux travaux ont souligné le rôle primordial de la famille comme facteur de support et de protection face à la détresse psychologique durant l’enfance et l’adolescence (Barrera & Li, 1996 ; Noller, 1994). Steinberg (1990) affirme que la qualité des relations avec les parents constitue le facteur d’ajustement psychologique le plus puissant durant l’adolescence. Plusieurs auteurs mettent en lumière l’impact négatif du rejet parental et de la présence de conflits avec les parents sur l’ajustement émotionnel des adolescents (Goldstein & Heaven, 2000 ; Luckow, 2002). Cummings et Cicchetti (1990) ont recensé plusieurs contextes familiaux négatifs comme facteurs de risque de la dépression chez les adolescents : la séparation d’avec l’un des parents en bas âge, le rejet, la dépréciation et la négligence parentale, l’alcoolisme et la présence de symptômes psychiatriques chez un des parents. D’autres auteurs soulignent aussi l’effet délétère de la séparation parentale sur l’adaptation psychologique et sociale à cette période (Amato & Keith, 1991 ; Garnefski & Diekstra, 1997 ; Spruijt & de Goede, 1997).

Objectifs de l’étude

8La présente étude se propose d’examiner les liens entre la relation affective entretenue avec les parents et la présence de détresse psychologique à l’adolescence et ceci en tenant compte du sexe et de la structure familiale des répondants. Cet article poursuit deux objectifs principaux :

  • tracer le cours de l’évolution de la détresse psychologique durant l’adolescence en identifiant les principales trajectoires de la détresse psychologique au cours de cette période ;
  • prédire l’appartenance d’un adolescent à une trajectoire particulière à partir de la qualité des liens entretenus avec chacun des parents.

9En regard de l’évolution de la détresse psychologique à cette période, un modèle à quatre différents prototypes de trajectoires est attendu : (A) un profil de faible détresse (aucun ou peu de symptômes) stable dans le temps, (B) un profil de détresse sévère (niveau élevé de symptômes) stable dans le temps, (C) un profil présentant une augmentation des symptômes de détresse psychologique au fil des ans et (D) un profil présentant un niveau élevé au départ, mais une diminution des symptômes au fil des ans. En raison de la nature exploratoire de la présente étude et de la rareté des données empiriques à ce sujet, les deux hypothèses générales suivantes ont été formulées :

10H.1) l’appartenance à l’une des trajectoires présentant un niveau élevé de détresse psychologique (B, C et D) sera associée au faible niveau de qualité perçue des relations avec le père et la mère ;

11H.2) cette appartenance sera associée à une fréquence accrue de conflits avec chacun des parents et au caractère négatif de l’impact émotionnel de ces conflits.

Méthodologie

Échantillon

12Cette étude s’inscrit dans le cadre d’une étude longitudinale qui a suivi un échantillon d’adolescents une fois l’an durant trois années consécutives : 1999, 2000 et 2001. Les participants ont été recrutés dans deux écoles secondaires publiques de la région de Montréal (Québec, Canada). Un échantillon total de 794 adolescents, comprenant 54,3 % de filles et 45,5 % de garçons, a répondu à l’ensemble des trois temps de mesure. Au premier temps (T1), les participants étaient âgés de 12 à 17 ans avec un âge moyen de 14,3 ans (ET = 0,4 ans). Parmi ceux-ci, 67,6 % provenaient de familles intactes et 23,8 % avaient vécu le divorce ou la séparation des parents. La majorité des participants sont nés de parents d’origine québécoise (pères = 72 % et mères = 74 %). Le niveau socio-économique des parents, évalué selon les procédures proposées par Blishen, Carrol, & Moore, (1987), se situe à un niveau global légèrement inférieur à la moyenne québécoise.

Mesures

13Les adolescents ont répondu à un questionnaire auto-administré comprenant diverses questions d’ordre sociodémographique, une mesure de détresse psychologique et deux mesures en lien avec la relation que l’adolescent entretient respectivement avec sa mère et avec son père : la qualité du lien affectif perçu et la présence de conflits.

Détresse psychologique

14La détresse psychologique des adolescents a été évaluée par l’Indice de Détresse psychologique de l’Étude de Santé-Québec (IPESQ-14 ; Préville et al., 1992). Validée auprès d’une population adolescente (Deschesnes, 1998), cette échelle comprend 14 items qui évaluent divers symptômes intériorisés. Quatre facteurs composent cette échelle : dépression (« j’ai pleuré facilement ou je me suis senti(e) sur le point de pleurer »), anxiété (« je me suis senti(e) agité(e) ou nerveux(se) intérieurement »), irritabilité (« je me suis senti(e) facilement contrarié(e) ou irrité(e) ») et problèmes cognitifs (« j’ai eu des trous de mémoire »). L’adolescent devait indiquer à quelle fréquence il avait éprouvé chacun des symptômes au cours de la dernière semaine (1 = jamais ; 2 = de temps en temps ; 3 = assez souvent ; 4 = toujours). L’échelle possède une bonne validité concomitante avec différentes échelles évaluant la dépression et l’anxiété (Deschênes, 1998) et présente ici de bons indices de consistance interne au fil du temps (α =.89 au T1, α =.89 au T2, α =.90 au T3) et selon les sexes (α =.88 au T1 pour les garçons et α =.89 au T1 pour les filles).

Qualité du lien affectif parent-adolescent

15L’échelle évaluant le lien affectif perçu entre l’adolescent et son parent a été produite par le Laboratoire de Recherche sur le Développement psychosocial des Adolescents (Claes, 1996). La plupart des 17 items sont inspirés du Parental Bonding Instrument de Parker, Tupling et Brown (1979). Les adolescents devaient indiquer, sur une échelle Likert en quatre points, à quel point les énoncés correspondent à la manière dont ils perçoivent la relation avec leur mère et leur père (1 = cela ne correspond pas du tout ; 2 = cela correspond parfois ; 3 = cela correspond souvent ; 4 = cela correspond tout à fait). Deux dimensions des relations parent-adolescent composent cette mesure : une dimension d’affection (ex. « ma mère me parle avec une voix chaleureuse et amicale » ou « je me sens aimé par mon père ») et une de rejet (ex. « mon père me fait sentir que je suis de trop » ou « ma mère ne comprend pas ce dont j’ai besoin »). Le score de cet outil présente une bonne consistance interne (au T1 : α mère =. 91 ; α père =. 93).

Conflits avec les parents

16La fréquence des conflits avec les parents a été évaluée par une mesure abrégée du Issues Checklist, élaborée par Robin, Kent, O’Leary, Foster et Printz (1977) et révisée par Printz, Foster, Kent et O’Leary (1979). Cette échelle mesure la fréquence des conflits avec les parents à propos de 13 thèmes potentiellement conflictuels comme les tâches domestiques, l’argent de poche, les résultats scolaires, la fréquentation des amis, les relations entre frères et sœurs, etc. Pour chaque thème de conflits, les adolescents devaient indiquer à quelle fréquence ils se produisent (1 = jamais, 2 = rarement, 3 = quelquefois, 4 = toujours). Laursen et Collins (1994) ayant souligné l’importance de considérer l’impact émotionnel des conflits chez les adolescents au-delà de leur simple fréquence, il a été demandé aux adolescents, en parallèle aux items mesurant la fréquence des 13 thèmes de conflits, de se prononcer sur l’impact émotionnel de ceux-ci en indiquant si ces conflits les dérangent ou les frustrent (1 = pas du tout, 2 = un peu, 3 = assez, 4 = tout à fait). Les scores totaux pour chacune des échelles de fréquence et d’impact émotionnel des conflits consistent en les moyennes aux deux sous-échelles. Pour la sous-échelle de la fréquence des conflits, les alphas de Cronbach se situent à alpha =. 79 pour la mère et le père (T1) et pour la sous-échelle de l’impact émotionnel des conflits, ceux-ci sont à. 81 pour la mère et à. 82 pour le père (T1).

Résultats

Évolution de la détresse psychologique à l’adolescence

17La figure 1 illustre l’évolution des scores moyens de détresse psychologique pour l’ensemble des répondants, aux trois temps de mesure. Il est à noter que les scores pour les garçons et les filles diffèrent à chacun des temps de mesure, les filles présentant toujours un score significativement plus élevé : 26,67 pour les filles comparativement à 22,87 pour les garçons en T1 (t(761) = -6,71, p<.001), 26,44 pour les filles et 22,22 pour les garçons en T2 (t(761) = -7,46, p<.001) et 27,82 comparativement à 23,93 en T3 (t(761) = -6,25, p<.001). Pour l’ensemble des répondants, le niveau moyen de détresse psychologique au T3 (26,07) est significativement plus élevé qu’en T1 (24,96 ; t(763) = -3,51, p<.001) et en T2 (24,54 ; t(763) = -5,57, p<.001), lesquelles ne diffèrent pas significativement l’un de l’autre (ṯ(763) = 1,45 n.s.).

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Figure 1. - Évolution de la détresse psychologique selon le sexe des adolescents

Identification des trajectoires de détresse psychologique à l’adolescence

18La procédure de modélisation semi-paramétrique développée par Nagin (1999) a été adoptée afin d’identifier les différentes trajectoires de détresse psychologique regroupant les adolescents présentant des patrons d’évolution similaire au fil des trois années. Cette procédure permet d’identifier un nombre optimal et parcimonieux de trajectoires développementales spécifiques, en regroupant les individus qui présentent une évolution semblable. Cette approche de modélisation suppose que la population étudiée est composée d’un ensemble de groupes distincts définis par leur trajectoire. La stratégie de modélisation discrète permet l’identification de ces groupes distincts de trajectoires individuelles et permet aussi l’analyse des caractéristiques des participants se retrouvant dans chacune des trajectoires identifiées. Cette méthode permet de déterminer statistiquement le nombre de trajectoires s’ajustant le mieux aux données recueillies, en plus de calculer, a posteriori, la probabilité de chaque participant d’« appartenir » à une trajectoire spécifique. Cette procédure s’appuie sur divers indices du type « Goodness of Fit », appelé ici BIC (Bayesian Information Criterion). Le tableau 1 présente les critères BIC obtenus à chacune des étapes préliminaires pour la sélection du modèle final. Le modèle à quatre trajectoires a été retenu même si les indices statistiques privilégient un modèle à cinq trajectoires. Ce choix a été retenu en fonction d’une règle de parcimonie, le modèle à cinq trajectoires ne faisant qu’introduire deux trajectoires parallèles, présentant une pente identique.

Tableau 1.- Indices d’ajustement pour la sélection du modèle final

Nombre de groupe

BIC

Modèle nul

2 loge (B10)a

1

-8109,84

-

-

2

-7846,67

1

263,17

3

-7791,57

2

55,10

4

-7771,00

3

20,57

5

-7757,77

4

13,23

6

-7771,05

5

-13,28

Trajectoires selon quatre groupes

19La figure 2 illustre graphiquement le modèle final retenu à quatre trajectoires de détresse psychologique. La désignation utilisée ici pour ces trajectoires réfère à l’ordonnée à l’origine et la pente de ces dernières. La trajectoire 1, basse et stable, regroupant 56,1 % des adolescents, est caractérisée par des niveaux faibles et constants de détresse psychologique au cours des trois années de mesure. La trajectoire 2, intermédiaire, présente des niveaux moyens de détresse psychologique durant les trois années et est composée de 29,4 % des participants. La trajectoire 3, décroissante, est caractérisée par la présence de niveaux élevés de symptômes de détresse psychologique au T1, lesquels diminuent en T2 et T3 : 7 % des adolescents composent cette trajectoire. La trajectoire 4, élevée et stable, représente 7,5 % des adolescents de l’échantillon qui rapportent des niveaux élevés et constants de détresse psychologique aux trois temps de mesure.

Figure 2.- Modèle de trajectoire à quatre groupe

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Composition des trajectoires : sexe du participant et statut marital des parents

20Le tableau 2 présente les caractéristiques de la composition de chacun des groupes selon le sexe de l’adolescent, le statut marital des parents et le niveau socio-économique de la famille. De façon générale, les fréquences relatives présentées soulignent la prépondérance des filles dans les trajectoires intermédiaires, décroissante et élevée, alors que la situation est inverse dans le cas de la trajectoire basse, cette trajectoire étant davantage composée de garçons que de filles. Des analyses de chi-carré visant à comparer entre eux l’appartenance à chacune des trajectoires indiquent qu’il y a significativement moins de filles qui se retrouvent dans le groupe 1 (trajectoire basse et stable) que dans le groupe 2 (trajectoire intermédiaire ; χ2 (1)=20,85 ; p<.001), que dans le groupe 3 (trajectoire décroissante ; χ2 (1)=14,60 ; p<.001) et que dans le groupe 4 (trajectoire élevée ; χ2 (1)=21,33 ; p<.001). De plus, un nombre significativement moins élevé de filles se situe dans le groupe 2 en comparaison au groupe 4 (χ2 (1)=4,34 ; p<.05). De la même façon, les analyses indiquent que davantage d’adolescents issus de familles ayant connu le divorce ou la séparation parentale appartiennent à la trajectoire élevée qu’à la trajectoire basse et stable (χ2 (1)=3,81 ; p<.05). Il n’y a aucune différence significative entre les trajectoires basse, intermédiaire et décroissante en ce qui a trait à leur composition en termes de structure familiale des adolescents ; elles sont composées d’environ 2/3 de familles nucléaires pour 1/3 de familles séparées.

Tableau 2.- Sexe des adolescents, statut conjugal des parents et statut socioéconomique selon les trajectoires d’appartenance

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Prédiction des trajectoires de détresse psychologique selon les variables parentales

21Trois analyses de régression logistique hiérarchique ont été réalisées afin de prédire l’appartenance des adolescents aux trajectoires de détresse psychologique élevée, décroissante et intermédiaire, comparativement à l’appartenance à la trajectoire basse. Le tableau 3 présente les données statistiques pour chacun des groupes comparés au groupe 1 (trajectoire basse) de façon à identifier les variables parentales qui prédisent l’appartenance à l’une des trois trajectoires plus élevées (en terme d’ordonnée à l’origine et de pente), soit la qualité du lien affectif entretenu avec la mère et le père, la fréquence et l’impact émotionnel des conflits avec la mère et le père. De façon générale, les analyses de régression démontrent toutes l’impact négatif d’une faible qualité du lien émotionnel avec les deux parents, d’une fréquence élevée de conflits et d’un impact émotionnel élevé des conflits sur l’appartenance à une trajectoire supérieure à la trajectoire basse et stable. De plus, les résultats soulignent des différences importantes autant dans les prédicteurs que dans le poids prédictif de ces derniers.

Tableau 3.- Résultat des analyses de régression logistique où la trajectoire 1 (stable-basse) constitue la trajectoire de référence

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22La première analyse mettant en contraste les trajectoires 4 (élevée) et 1 (basse) indique que les adolescents rapportant un lien affectif maternel plus faible en T3, un lien affectif paternel plus faible en T2, plus de conflits avec la mère en T3, un impact émotionnel des conflits avec la mère plus fort en T1 et avec le père en T3 ont une probabilité plus grande d’appartenir au groupe 4 (trajectoire élevée) qu’au groupe 1 (trajectoire basse). Ce modèle explique 23,5 % de la variance de l’appartenance à cette trajectoire. La seconde analyse révèle que les adolescents rapportant un lien affectif paternel plus faible au T2, une fréquence des conflits plus élevée avec la mère au T2 et un impact émotionnel des conflits avec la mère plus fort au T1 ont une probabilité plus grande d’appartenir au groupe 3 (trajectoire élevée-décroissante) qu’au groupe 1 (trajectoire basse). Ce modèle explique 16,2 % de la variance de cette trajectoire. Enfin, la dernière analyse indique que les adolescents qui perçoivent un lien affectif paternel plus faible au T2 et plus de conflits avec la mère aux T2 et T3 ont une probabilité plus grande d’appartenir au groupe 2 (trajectoire intermédiaire) qu’au groupe 1 (trajectoire basse). Ce modèle explique 20,9 % de la variance de cette trajectoire.

Conclusions, limites et perspectives de recherche

23Quatre trajectoires de détresse psychologique ont été identifiées chez les adolescents dans cette étude. La première trajectoire, comprenant 56,1 % des adolescents, est caractérisée par un faible niveau de détresse psychologique au cours des trois années de mesure. La deuxième trajectoire inclut 29,4 % des participants qui présentent des niveaux intermédiaires de détresse psychologique durant les trois temps de mesure. La troisième trajectoire est composée de 7,0 % des adolescents ayant une symptomatologie de détresse psychologique moyennement élevée au T1 et qui diminue au cours des T2 et T3. La quatrième trajectoire, avec un total de 7,5 % des adolescents, représente la trajectoire la plus problématique considérant la présence élevée de symptômes de détresse psychologique de façon stable au cours des trois temps de mesure. Les scores moyens des adolescents de cette trajectoire dépassent le seuil clinique de l’instrument, soulignant ainsi la sévérité des symptômes présentés.

24Les résultats des travaux qui ont examiné l’évolution des troubles internalisés à l’adolescence sont controversés. En identifiant des sous-groupes homogènes d’adolescents présentant une évolution similaire des symptômes de détresse psychologique, cette étude permet de jeter un regard nouveau sur cette question. Il apparaît en effet divers phénomènes évolutifs à cette période qui ne peuvent être décelés en examinant l’ensemble de l’échantillon, puisque la détresse psychologique peut augmenter, rester stable ou diminuer selon l’appartenance à l’un des quatre sous-groupes d’individus.

25Sur le plan du sexe, une surreprésentation des filles a été observée. Ce résultat rejoint les données internationales (Braconnier et al., 1995 ; Breton et al., 1999 ; Légaré et al., 2000 ; Offer, Ostrov & Howard, 1981 ; Romano, Tremblay, Vitaro, Zoccolillo & Pagani., 2001). De plus, en accord avec les observations des travaux mettant en lien structure familiale et symptômes internalisés, un pourcentage plus grand d’adolescents dont les parents sont séparés se retrouve dans les trajectoires problématiques.

26Cette étude permet de confirmer que les adolescents dont le profil reflète une détresse psychologique élevée et constante présentent des relations plus problématiques et plus conflictuelles avec leur parent. La trajectoire décroissante est composée d’adolescents qui perçoivent une moins bonne relation avec leur mère, et ce, en début d’étude. La présence d’une relation plus problématique avec le père permet aussi de prédire l’appartenance des adolescents à cette trajectoire de même que l’impact émotionnel des conflits avec leur mère. Quant aux adolescents se regroupant dans la trajectoire intermédiaire, ils ne semblent pas présenter une relation difficile, ni avec leur mère, ni avec leur père. Par contre, ces adolescents seraient particulièrement sensibles à la fréquence des conflits avec leur mère et à l’impact émotionnel des conflits avec leur père. La qualité des relations entretenues avec les parents constitue un important prédicteur de la présence de symptômes de détresse psychologique à l’adolescence, puisque les variables parentales examinées dans la présente étude expliquent une part importante de la variance de l’appartenance à une trajectoire plus problématique (entre 16 et 24 %). Les liens parentaux ne sont certes pas les uniques prédicteurs de l’appartenance à chacune des trajectoires et la recherche s’attache à identifier le poids d’autres variables comme les facteurs génétiques, les facteurs sociaux comme les amitiés et l’adaptation scolaire.

27Certaines limites restreignent la validité externe de cette étude. Premièrement, il est important de noter qu’une forte attrition (33 % sur trois ans) a été observée au cours de l’étude longitudinale et que des différences significatives ont été observées, entre les participants longitudinaux et ceux du groupe d’attrition, sur diverses mesures d’adaptation psychosociale (idéations suicidaires, comportements délinquants, détresse). Les sources et les impacts de cette défection ont fait l’objet d’une analyse détaillée et de recommandations pour les analyses subséquentes (voir Picard, Benoit et Claes, 2005). À l’aide de méthodes de remplacement des données manquantes, il sera possible d’utiliser l’ensemble de l’échantillon et ainsi augmenter la puissance et la justesse des analyses. Une autre limite concerne la nature auto-rapportée des données de l’échantillon. En effet, la présence de symptômes de détresse chez les adolescents modifie vraissemblablement leur perception de la qualité de la relation et des conflits avec leurs parents. Comme certains auteurs l’ont souligné, on peut soupçonner la présence d’une relation bidirectionnelle entre les pratiques parentales et l’ajustement à cette période de la vie (Gillespie, Zhu, Heath, & Martin, 2003). Nos travaux s’engagent dans cette direction, afin de vérifier auprès du même échantillon, les effets réciproques qui existent entre la détresse psychologique et la perception des liens parentaux.

28Bien qu’exploratoire, l’apport de cette étude réside dans le fait qu’elle éclaire l’évolution de la détresse psychologique à cette période charnière de la vie. L’identification de prédicteurs familiaux comme facteur d’appartenance à des trajectoires développementales problématiques, appuie l’importance de considérer la relation affective avec les parents dans l’exploration des difficultés émotionnelles des adolescents.

Bibliographie

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