La problématique de la consommation de substances à l’adolescence
p. 37-53
Texte intégral
1Plusieurs études récentes montrent que la consommation de drogues augmente en Europe, comme aux États-Unis, avec un début de la consommation qui commence à un âge de plus en plus précoce. L’alcool et le tabac, deux drogues légales, sont de loin les substances les plus consommées. Quant à la consommation du cannabis, elle est en augmentation chez les jeunes, ceci en dépit des programmes de prévention. Des données statistiques récentes de l’ISPA (Institut Suisse de Prévention de l’Alcoolisme et autres toxicomanies, 2003) montrent l’importance de ce problème en Suisse.
Données récentes sur la consommation de substances
Consommation d’alcool
2Pour la majorité des adolescents en Suisse, la consommation d’alcool fait partie de l’apprentissage social. Il s’agit d’une sorte de « rite de passage » vers l’âge adulte. La plupart du temps, les jeunes consomment de l’alcool la première fois dans le contexte familial. Par la suite, la consommation d’alcool est fortement influencée par les modèles et valeurs dominantes véhiculées par les pairs. En 2002, la consommation d’alcool a augmenté par rapport aux années 1994 et 1998 avec une proportion de 25 % de filles de 15-16 ans et de 40 % de garçons qui boivent régulièrement de l’alcool, soit au moins une fois par semaine (tableau 1).
3Si l’on considère le type d’alcool on observe certains changements : les « alcopops » (mélanges d’alcool à une boisson sucrée) sont devenus très populaires. Ils ont été introduits récemment sur le marché et correspondent à une proportion importante des alcools consommés par les jeunes (20 % des filles et des garçons de 15-16 ans). Les garçons boivent significativement plus que les filles. La bière est consommée davantage par les garçons que par les filles. D’une manière générale, la consommation d’alcool est en augmentation, et la fréquence des états d’ivresse observés augmente pour les 15-16 ans, avec une différence très importante en fonction de l’âge, entre les 11-12 ans et les 15-16 ans.
Consommation de tabac
4En Suisse, la proportion de fumeurs adultes consommateurs de tabac n’a pratiquement pas varié au cours des vingt dernières années. Selon une comparaison internationale, la Suisse figure parmi les pays européens où la consommation de tabac est la plus élevée, avec la Grèce, la Hongrie et la Pologne. Le nombre de fumeurs est également élevé en Grand-Bretagne, Irlande, Espagne, Allemagne, Tchéquie, Slovaquie, mais plus bas en France, en Italie et dans les pays scandinaves (fig. 1).
5On observe cependant une variation selon l’âge et le sexe : au cours de ces dernières années, la consommation chez les femmes a augmenté. Elle tend à se rapprocher de celle des hommes. En 1997, 39 % des hommes et 28 % des femmes fumaient régulièrement. La différence est due principalement au fait que les hommes âgés fument davantage que les femmes du même âge. Dans la population des moins de vingt ans, cette proportion est inversée : les filles fument autant si ce n’est plus que les garçons.
6La figure 2 illustre les changements selon l’âge en comparant la proportion de fumeurs, « anciens fumeurs » et les personnes n’ayant jamais fumé. Les jeunes générations tendent à fumer plus.
Consommation de cannabis
7La consommation de cannabis chez les filles et chez les garçons de 15 ans (consommation « vie entière ») a augmenté fortement, à la fois chez les consommateurs occasionnels et réguliers (tableau 2). En 2002, 45 % des adolescents de quinze ans avaient consommé au moins une fois du cannabis. Les différences selon le sexe sont peu importantes.
Consommation de substances à l’adolescence : séquence et facteurs de risques
Aspects séquentiels
8Dès le début de l’adolescence, les jeunes sont à la recherche d’autonomie par rapport à leurs parents. Dans une quête d’identité, ils expérimentent une large variété de comportements et d’attitudes. Durant cette période, l’adolescent ressent le besoin de prendre sa place parfois en utilisant des comportements déviants, comme la consommation de substances.
9Étant donné que l’expérimentation en soi est « normative », elle n’est pas nécessairement prédictive de problèmes ultérieurs. Il s’agit souvent d’expériences transitoires qui permettent à l’adolescent de s’affirmer et d’acquérir une indépendance. Globalement, on peut observer que la plupart des adolescents traversent cette période et parviennent à l’âge adulte sans véritables difficultés. Seule une minorité d’adolescents ont des problèmes de consommation et d’abus de drogues, de délinquance, de dépression ou autres problèmes psychiques.
10Plusieurs recherches montrent que la consommation de substances licites comme l’alcool et le tabac précèdent l’utilisation du cannabis et une série d’autres substances illicites (Donovan & Jessor, 1983 ; Kandel et al., 1992). Plus récemment, d’autres chercheurs (Coffey et al., 2000 et Pedersen et al., 2001) ont également mis en évidence le lien entre la consommation de tabac et la consommation de cannabis.
11La théorie de la « gateway » postule un cheminement qui va des cigarettes et de l’alcool à l’héroïne et à la cocaïne (fig. 3).
12Ce modèle a été repris par Kandel (2002) qui distingue trois groupes de propositions : la proposition séquentielle, la proposition d’association et la proposition causale.
13La première proposition suggère qu’il y a une séquence développementale d’initiation à différents types de substances. Cette proposition soulève un certain nombre de problèmes : d’une part la séquence n’est pas invariable. On constate par exemple que la séquence n’est pas identique chez les filles et chez les garçons. Dans certains cas, la consommation de substances évolue à un rythme différent ; dans d’autres cas, il y a initiation simultanée d’alcool et de cannabis. D’autre part, l’initiation d’une substance n’implique pas une progression inexorable vers d’autres substances : seule une minorité de jeunes passe par exemple de l’alcool ou du tabac à des drogues dures. Enfin, l’hypothèse de séquence avec une progression est basée sur les comportements de consommation comme si cette consommation était indépendante d’autres événements alors que la consommation est le plus souvent associée avec d’autres types de comportements comme l’initiation des rapports sexuels, l’échec scolaire, le début d’un travail, des problèmes psychiques.
14La deuxième proposition est celle de l’association qui implique que l’utilisation d’une substance est associée avec un risque accru d’utiliser d’autres substances plus tard. Cette hypothèse présuppose que le fait de consommer de l’alcool et du tabac est un facteur de risque de la consommation de cannabis, par exemple. À ce propos, les recherches montrent que la séquence de consommation est associée de manière beaucoup plus évidente avec l’intensité de consommation qu’avec la consommation en tant que telle. Le risque de progression vers une drogue dure est celui de consommer de manière régulière et importante une substance comme le cannabis.
15La troisième proposition postule que la consommation d’alcool et de tabac est la cause de l’utilisation ultérieure du cannabis ou d’autres substances. Plusieurs recherches ont montré que c’était plutôt l’importance de la consommation qui était la cause d’une consommation ultérieure d’autres substances. Pour inférer ce lien causal il importe de pouvoir contrôler d’autres variables, notamment les variables liées au contexte, à l’environnement social, aux caractéristiques socio-démographiques, mais aussi à l’accessibilité au produit. Tous ces facteurs peuvent intervenir dans le passage d’une consommation exploratoire à une consommation régulière. De plus, d’autres variables doivent être prises en considération pour expliquer la consommation, notamment des facteurs biologiques, et des facteurs génétiques.
16Si l’ordre de consommation de substances suit une certaine cohérence, l’âge du début et la durée de la progression à chaque étape varie beaucoup selon les groupes d’adolescents et selon les cultures. En Suisse on a constaté une baisse de l’âge du début de la consommation au cours des dix dernières années.
17Concernant le lien entre la consommation de substances et les troubles psychiques chez les adolescents, plusieurs séquences peuvent être envisagées :
18• La toxicomanie précède les troubles psychiques
19Les recherches qui vérifient cette hypothèse sont peu nombreuses. L’étude longitudinale de Brook et al. (1998) confirme que les troubles psychiques suivent la consommation de substances ; celle de Bovasso (2001) montre que le cannabis est un précurseur de la dépression. Selon les recherches de Rohde et al., 1991 et Hovens et al., 1994, les troubles psychopathologiques précèdent la consommation, sauf pour la dépression, qui serait une conséquence.
20• Les troubles psychiques précèdent la toxicomanie
21Un plus grand nombre de recherches confirme cette séquence, notamment pour les troubles dépressifs, mais aussi pour les troubles du comportement (Christie et al., 1988 ; Boyle & Offord, 1991 ; Henry et al., 1993 ; Kessler et al. 1996).
22• Les troubles psychiques sont concomitants à la toxicomanie
23Il est aussi possible d’envisager qu’un autre facteur explique la concomitance des deux phénomènes : il se pourrait que des prédispositions génétiques interagissent avec des facteurs psycho-sociaux, comportementaux, ou des facteurs de risque, et soient à l’origine de la consommation de substances et de troubles psychiques (Kandel et al., 1999).
24Quels sont les facteurs qui peuvent être considérés comme des causes ou comme des déterminants durant l’adolescence ? Quatre catégories principales peuvent être considérées : les facteurs relatifs aux pairs, les facteurs familiaux, les facteurs psychologiques et les facteurs biologiques.
Facteurs de risques
Le rôle des « pairs »
25L’influence des pairs joue un rôle central dans le processus développemental à l’adolescence. C’est ainsi que cette influence s’exerce également en ce qui concerne la consommation de substances, notamment au stade initial de la consommation. Un lien étroit s’établit entre la consommation et le comportement des pairs qui joue un rôle en tant que prédicteur du début et de la poursuite de la consommation.
26La participation à des activités sociales entre pairs, comme les festivals, soirées ou « rave parties » sont autant d’occasions propices à la consommation de substances et peuvent augmenter le risque de consommer des substances. Le fait de côtoyer des jeunes qui consomment est certainement un des facteurs les plus importants (Andrews et al., 2002 ; Jessor et al., 1980 ; Sobeck et al., 2000).
Les facteurs « familiaux »
27L’influence de la famille joue également un rôle important avec des variations au cours des différentes étapes de la consommation de substances : les idées et attitudes des parents au sujet des substances, notamment les attitudes de tolérance et les croyances au sujet du caractère inoffensif des substances sont des prédicteurs de la consommation de drogue (Kandel et al., 1978). À l’inverse, la rigidité peut également constituer un facteur de risque pour l’adolescent (Steinhausen & Metzke, 1998).
28D’autres études montrent par ailleurs que la consommation des parents a une incidence sur la consommation de leurs enfants à l’adolescence (Wills et al., 1994 ; Costello et al., 1999). Parmi les prédicteurs familiaux on trouve chez les parents, un encadrement insuffisant et un manque de cohérence dans la définition des limites (Molina et al., 1994).
Les facteurs « individuels »
29Les facteurs individuels constituent une catégorie relativement large d’antécédents ou de facteurs de risque à l’adolescence. Plusieurs études montrent que le début précoce de l’initiation à la consommation d’une substance augmente le risque d’une consommation ultérieure de cette substance ainsi que la probabilité de consommer d’autres drogues (Golub, & Johnson, 2002 ; McCuller et al., 2001). L’échec scolaire est également un prédicteur de l’initiation à la consommation (De Micheli & Formigoni, 2002). La consommation de drogues dures est prédite par des troubles psychiques : la dépression et l’anxiété chez les adolescents semblent augmenter le risque d’abus ultérieur de substances (Brown, et al., 1996 ; Wilens et al., 1997). Les troubles de la conduite représentent peut-être le prédicteur le plus important à l’adolescence (Pedersen et al., 2001). Enfin, la non-conformité aux valeurs traditionnelles, ainsi qu’une basse estime de soi, sont également des traits caractéristiques des adolescents consommateurs de drogue (Kopstein et al., 2001 ; Gorman, & Derzon, 2002 ; Comeau et al. 2001).
Les facteurs « biologiques »
30La présence de facteurs biologiques comme prédicteurs de la consommation de substance par les adolescents a fait l’objet de moins d’attention. Les cliniciens ont observé depuis longtemps que certaines familles présentaient une proportion élevée d’abus de substances. Les chercheurs ont montré que ces troubles dus à la consommation de substances, particulièrement l’alcoolisme, se concentraient dans certaines familles (Cotton, 1979). Dans cette même perspective, la recherche sur des jumeaux a démontré une forte concordance concernant l’alcoolisme pour les jumeaux monozygotes.
31La plupart des études sur l’adoption relèvent un risque accru d’alcoolisme parmi les enfants adoptés issus de familles alcooliques. On a postulé par ailleurs un rôle des traits de personnalité comme facteurs de risque (Caspi et al., 1997). Certains traits de tempérament, qui ont une base biologique et héréditaire, peuvent entraîner une vulnérabilité, des troubles psychiatriques ou comportementaux, y compris l’abus de substance (Bailly, 2002 ; Bardo et al., 1996 ; Cadoret et al., 1995).
Résultats tirés de recherches empiriques sur la consommation de substances
32Deux recherches menées récemment dans le cadre du Service Universitaire de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent à Lausanne (Suisse) sont une illustration de la problématique de la consommation de substances chez des adolescents
Dépendance et consommation de substances
33La recherche menée entre 1995 et 2002 porte sur les conduites de dépendance à l’adolescence (Corcos et al., 2003)1. Réalisée conjointement avec un réseau français INSERM, elle est basée sur des sujets consommateurs de substances, comparés à des sujets avec des troubles de conduites alimentaires et une population témoin (N = 1491). Les données ci-après se réfèrent à la population suisse de ce réseau et ne concernent que la consommation de substances.
34La population inclut deux groupes, des sujets toxicomanes (abuseurs ou dépendants), au total 107 (34 femmes et 73 hommes), et une population témoin appariée pour l’âge et le milieu social, ceci de manière à la rendre comparable à la population clinique (N = 72 femmes 49 hommes). L’âge moyen de la population est de 20,4 ans.
35Concernant la consommation de tabac, l’évaluation se réfère à une consommation « vie entière ». La proportion de fumeurs est proche de 100 % pour les toxicomanes (hommes ou femmes). Pour ce qui est de l’alcool, le critère est une consommation régulière (au moins une fois par semaine). Celle-ci est relativement fréquente (39 %), avec une plus forte proportion d’hommes consommateurs chez les sujets témoins (60 %), ce qui montre que l’usage d’alcool est relativement fréquent dans la population générale.
36Tous les sujets du groupe des toxicomanes sont consommateurs de cannabis. L’héroïne, la cocaïne et l’ecstasy ont été consommés par 80 % des sujets (60 % pour les opiacés et 50 % pour les amphétamines). Ces données attestent de la gravité de la consommation de la population incluse dans la recherche.
37Concernant l’âge du début de la dépendance (tableau 3), quelle que soit la substance illégale, près de 40 % des femmes ont commencé à consommer régulièrement et sont devenues dépendantes entre 10 et 15 ans. C’est le cas pour 30 % des hommes qui ont tendance à devenir consommateurs ou dépendants un peu plus tard que les femmes : 28 % le deviennent au-delà de 18 ans.
38Parmi les facteurs de risques, figurent les événements de vie vécus par les sujets. Les événements de vie ont été évalués à partir du questionnaire anamnestique dérivé de l’AMDP, Doublet et al., 1988). Certains événements discriminent les sujets toxicomanes des sujets témoins. C’est le cas des mauvais traitements chez les femmes. Par ailleurs, le fait d’avoir vécu plusieurs événements négatifs, séparation, divorce des parents, placements, mauvais traitements, décès dans la famille proche, semble être un facteur important, notamment pour les femmes. Cette situation est très rare chez les hommes toxicomanes. Elle n’est pas rapportée par les sujets témoins.
39En ce qui concerne les troubles psychiques, une évaluation systématique a été effectuée en utilisant les critères DSM-IV. Le principal trouble associé à la toxicomanie est l’épisode dépressif majeur. Il est fréquent chez les hommes toxicomanes (50 %) mais surtout chez les femmes toxicomanes, (65 %) avec une différence significative également entre les hommes témoins et les femmes témoins.
40Concernant la séquence dépression et dépendance, les données sont assez difficiles à évaluer par une mesure transversale. Lors de l’entretien évaluant les troubles à partir de la classification DSM-IV (Lecrubier et al., 1997), une question précise a été posée concernant le moment de l’apparition des troubles, et le moment du début de l’abus ou de la dépendance. Une proportion un peu plus élevée de sujets situe le début de la dépression avant ou pendant la dépendance. Un tiers des femmes toxicomanes et 42 % des hommes rapportent des troubles dépressifs après la dépendance, comme conséquence de la consommation de substances.
Consommation de substances dans une approche multidimensionnelle2
41La deuxième recherche a été financée par l’Office Fédéral de la Santé Publique en Suisse (2000-2004). Elle vise à évaluer une population de consommateurs de substances dans une perspective longitudinale. Le but est d’identifier les facteurs qui permettent de prédire l’aggravation de la consommation ainsi que les facteurs protecteurs qui expliquent le fait que certains adolescents arrêtent de consommer (Bolognini et al., 2005).
42La population comprend 102 adolescents, 36 filles et 66 garçons, âgés de 14 à 19 ans, (âge moyen de 17,1 ans). La gravité de la consommation de substances, drogue et alcool a été évaluée au moyen d’un instrument structuré qui se présente sous la forme d’une approche multidimensionnelle (ADAD, Adolescent Drug Abuse Diagnosis ; validation française Bolognini, et al., 2001). Quatre niveaux de consommation désignés comme « niveaux de gravité » ont été distingués : 1 à 2, consommation peu importante, 3 à 5, consommation relativement importante, 6 à 7, traitement nécessaire, 8 à 9, traitement absolument nécessaire.
43Comme le montre le tableau 4, la population présentait un niveau de gravité jugé important en dépit du fait que la plupart des jeunes ne consommaient pas régulièrement d’autres substances que le cannabis. Globalement, le niveau de gravité est un peu plus haut chez les filles que chez les garçons.
44L’âge du début de la consommation pour les différentes substances est un peu différent de celui observé par Kandel qui situe la consommation d’alcool en amont (fig. 4). Le tabac précède la consommation d’alcool, suivi par la consommation de cannabis, qui précède toutes les autres substances. L’initiation est plus précoce chez les filles que chez les garçons.
45Des questions ont été posées sur les événements de vie, les troubles psychiques, les difficultés de l’adolescent dans ses relations avec la famille et avec les pairs.
46Il ressort que la consommation de substances, les troubles psychiques ou un handicap dans la famille sont plus fréquents chez les filles que chez les garçons (tableau 5). Comme pour les événements de vie, on peut émettre l’hypothèse que la consommation de substances est plus fréquemment liée à des problèmes graves dans la famille chez les filles que chez les garçons, ces derniers étant moins « réactifs » à la perturbation de l’environnement familial.
47À propos des relations avec les pairs, la plupart des jeunes mentionnent avoir plusieurs amis qui consomment des substances ou de l’alcool. La proportion est un peu plus élevée pour les garçons que pour les filles. Le fait d’avoir des amis qui sont des consommateurs de drogue ou d’alcool corrèle avec la gravité du score drogue pour ceux qui ont des amis qui consomment du cannabis ou d’autres drogues et corrèle fortement avec le score de gravité alcool pour les jeunes qui disent avoir des amis qui consomment de l’alcool.
48L’analyse des données longitudinales montre que les adolescents dont la consommation reste modérée présentent généralement moins de problèmes dans leur vie, et en particulier ont nettement moins de problèmes psychologiques que les autres. À l’inverse, ceux dont la consommation est importante ou s’aggrave ont plus de problèmes et leur situation tend plutôt à se dégrader dans tous les domaines. La consommation importante à l’adolescence apparaît clairement associée aux souffrances psychiques. Il ressort par ailleurs que la consommation de substances n’est pas un comportement isolé, mais s’inscrit dans un contexte et s’accompagne généralement de problèmes dans d’autres domaines de la vie.
49Sur la base des connaissances récentes tirées de la littérature et des résultats de ces deux recherches, trois aspects ressortent :
50• Le contexte socioculturel
51L’abus ou la dépendance aux substances n’est pas à considérer seulement au plan individuel. Il s’agit en premier lieu d’un problème de société : si la consommation de substances en Suisse augmente c’est en grande partie parce que les produits sont accessibles. Comme l’alcool, la consommation de substances illicites est devenue une sorte de « rite social » de passage de l’adolescence à l’âge adulte. Par ailleurs, durant la période de l’adolescence, le jeune est fragilisé, vulnérable. Il sera d’autant plus tenté d’expérimenter l’usage de substances que l’accès aux produits sera facilité.
52• La séquence de la consommation
53L’initiation précoce est un des problèmes essentiels de la consommation. La période d’exposition au risque est ainsi prolongée. Il s’agit ainsi d’un facteur aggravant qui contribue à augmenter le risque de consommation et la prolongation de la consommation de substances. Le tabac représente la principale « gateway » d’une consommation ultérieure de cannabis et d’autres substances illicites, comme le montrent de nombreuses études. La consommation de tabac est en forte hausse chez les jeunes adolescents.
54Cependant, la question se pose de savoir dans quels cas la consommation de substances illégales est un phénomène isolé et transitoire, dans quels cas elle s’inscrit dans un processus. La majorité des consommateurs ne passent pas à l’usage de drogues dures s’ils consomment occasionnellement du cannabis. L’usage de substances n’entraîne la dépendance que dans une proportion limitée de cas.
55• La famille et les pairs
56Il apparaît que de nombreuses familles des jeunes consommateurs sont « pathogènes », notamment pour les filles. Quelles interventions envisager ? Comment protéger l’adolescent de l’influence négative du milieu dans lequel il vit ? Des expériences de programmes ciblés sur les familles à risques ont été tentées aux États-Unis avec des résultats très mitigés.
57La consommation de substance intervient dans un contexte de relations sociales. Les pairs, comme on a pu le constater, jouent un rôle clé dans ces relations. Pour de nombreux chercheurs qui ont étudié plus spécifiquement les relations entre adolescents, il semblerait que « les pairs » seraient le facteur prédictif de la consommation. Le « processus d’épidémie » a même été évoqué. Ainsi, il importe de cibler l’information et les activités de prévention non pas sur l’individu, mais sur les groupes à risques.
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Notes de bas de page
1 Il s’agit d’une étude portant sur les conduites de dépendance au sens large du terme (cf. critères DSM-IV, Lecrubier et al., 1997) incluant la dépendance aux substances mais également les troubles des conduites alimentaires (anorexie et boulimie).
2 L’évaluation n’est pas focalisée sur les aspects liés à la consommation de substances, mais porte les caractéristiques personnelles, environnementales et sociales de l’adolescencent.
Auteur
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