Chapitre VII. Les ingénieurs et la société locale
p. 171-198
Texte intégral
1Les individus sont pris dans des réseaux. À travers les relations qui se nouent, ce sont des répertoires d’action que les différents acteurs intéressés partagent. L’analyse au niveau local des circuits d’influence et de décision permet de montrer les stratégies mises en œuvre pour constituer ce que M. Offerlé appelle des « coalitions agissantes » entre des acteurs pris dans des univers différents1. Elles participent des luttes de pouvoir pour se placer et se maintenir en position dominante dans leur propre sphère. Elles sont destinées surtout à faire aboutir leurs intérêts en leur permettant d’intervenir dans le fonctionnement du système politico-départemental à l’intérieur duquel les rapports entre l’État et les acteurs locaux s’établissent, ainsi que dans le circuit de décision2. Il ne s’agira pas d’en faire l’analyse systématique, mais de comprendre en quoi, selon l’expression de J.-P. Gaudin, l’ingénieur associé au notable ou le préfet et le notable forment des couples fondateurs de territorialité, dépassant ainsi le côté temporaire des coalitions agissantes3.
Le couple ingénieur/notable
2L’espace, dans lequel peuvent se rencontrer les différents acteurs, apparaît limité, à travers des structures classiques de sociabilité. Les élites économiques et professionnelles se rencontrent plutôt sur un autre terrain.
La mobilisation des élites
3Depuis Magin au xviiie siècle, l’ingénieur qui se livre à des travaux en Loire est considéré comme l’étranger, celui qui manque de connaissances pratiques et locales. Lemierre est fortement critiqué par L’Ami de la Charte en 1837. Dans les années 1830-1840, seule la Société académique favorise l’implantation dans le milieu local des ingénieurs en poste. Elle s’impose ainsi comme un lieu de débats et de propositions4. Mais elle perd dans la seconde moitié du siècle cette position particulière, tout en continuant à s’intéresser à la question de la navigation maritime et du développement de Nantes. Les ingénieurs y adhèrent davantage à titre personnel. De la Gournerie devient membre, lorsqu’il est à l’Institut, et Kerviler, connu pour sa participation à plusieurs sociétés savantes, en est correspondant en 1874. Au xxe siècle, l’intérêt de la Société académique pour ces problèmes d’aménagement ne passe plus par les ingénieurs des Ponts et Chaussées.
4La Société industrielle, créée en 1830 pour rassembler le courant industriel inspiré par le saint-simonisme, peine à fonctionner comme un espace de rencontre. Elle n’intéresse pas les ingénieurs, malgré le débat sur l’industrie et la proposition de construire un canal latéral et donner ainsi du travail à 600 ouvriers. Malgré son intervention dans le débat public, à propos des problèmes de navigation, et son projet de canal maritime sur la rive gauche, le Cercle maritime qui regroupe essentiellement des capitaines au long cours, n’obtient pas en 1856 le statut d’établissement d’utilité publique. L’exercice commun de certaines charges favorise davantage l’établissement de relations personnelles, qui peuvent à un moment donné être mobilisées. Plutôt qu’à l’intérieur d’espaces spécifiques, la réalisation du but poursuivi par les différents acteurs peut passer par des processus de mobilisation.
5La mobilisation prend plusieurs formes, et passe par l’activation des relations aussi bien à l’intérieur de la société locale qu’à l’extérieur. C’est vers 1850-1851 que le débat mobilise le plus au sein des institutions municipales et départementales. Il affecte aussi l’opinion publique par l’intermédiaire des journaux. Parmi les participants au débat, on retrouve bien entendu des armateurs, des industriels, des négociants. La chambre de commerce semble un peu en retrait, et ce n’est qu’en 1860 qu’elle prend véritablement la tête du combat pour la Loire. Les diverses modalités d’action se jouent alors à l’intérieur des institutions locales, et, par ailleurs, dans les rapports avec le pouvoir central.
6De manière frappante, la coalition des intérêts prend la forme d’une convergence des efforts pour faire aboutir le projet. Le rappel de la chronologie permet de le constater. Le 2 septembre 1850, M. de Grandville fait un rapport très critique devant le conseil général sur la navigation de la Basse-Loire et sur le projet de bassin à flot de Saint-Nazaire. Le rapport est publié in extenso en annexe du procès-verbal ; de plus l’assemblée départementale décide son impression, et de le distribuer aux parlementaires. À partir de là, tout s’enchaîne : la commission municipale prépare un rapport, adopté par le conseil municipal, en présence de Jules Roux, membre de la chambre de commerce, lors de sa séance du 12 octobre 1850. À la demande du préfet, une réunion se tient autour du maire Colombel le 6 novembre 1850. Les participants décident de joindre leurs voix à celles du conseil général et de la chambre de commerce pour faire pression sur le gouvernement. S’ils réclament une allocation de 1 million pour 1851, le texte élaboré à la suite de cette réunion remet en réalité en cause implicitement les moyens employés, et demande de nouvelles études pour un canal maritime latéral à la Loire. Si des points de vue contradictoires s’expriment dans le rapport de la commission municipale Polo contre le canal, en revanche, l’effet d’entraînement est indéniable, puisque le conseil municipal se rallie à la position du conseil général.
7Les grandes réunions favorisent cet effet. Le 12 janvier 1851 se tient une assemblée extraordinaire qui réunit un ensemble d’acteurs. Ce sont officiellement les commanditaires des travaux, avec les Ponts et Chaussées et le préfet. La présence d’autres personnalités militaires et civiles, en activité ou la retraite, témoigne de l’enjeu pour Nantes. La Société académique participe en raison de son engagement ancien sur ce type de questions, et de son influence dans la société nantaise, de même que la Société des architectes est là pour sa compétence dans le mode d’organisation de l’espace. Un troisième cercle est constitué par les journalistes chargés en quelque sorte de représenter le reste de la ville, et de donner un large écho à cette réunion publique. Le processus de publication change ici de nature, car le débat est désormais directement sur la place publique. L’appel implicite à l’opinion semble faire partie de la stratégie de coalition pour faire pression sur le gouvernement. Par l’élargissement du groupe d’acteurs, par cette nouvelle relation à l’espace public, et par la dramatisation recherchée, cette réunion enclenche un processus nouveau. Cependant, la coalition au nom de l’intérêt nantais ne résiste pas longtemps, car sa forme de débat ne permet pas en réalité de cacher les divergences.
8Avec plus de succès, que lors des précédentes tentatives décrites dans le chapitre précédent, la chambre de commerce reprend l’initiative en 1864. Malgré les critiques, la chambre de commerce de Nantes joue un rôle important dans le dossier de la Loire. D’instance surtout consultative, elle se mue en force de proposition en demandant l’autorisation de faire mener des études sur un canal de Nantes à la mer5. La nouveauté n’est pas dans la nature du projet, mais dans l’attitude de la chambre de commerce. Elle ne se contente plus d’émettre un vœu, et de soutenir un projet, comme elle a pu le faire pour l’endiguement, les dragages, le chemin de fer ou le port de Saint-Nazaire. Les Nantais seraient, selon la chambre, tous « effrayés de la déchéance de leur ville si elle n’était pas mise en rapport direct avec la mer par un canal, tous pénétrés de cette pensée que, si Saint-Nazaire est l’avant-port de Nantes, Nantes doit être et rester un port ». Cette belle unanimité est loin d’être aussi parfaite. Pourtant, cette représentation est indispensable pour obtenir le droit de financer les études si le gouvernement ne veut pas le faire. De plus, la chambre de commerce manifeste beaucoup de bonne volonté en faisant appel aux ingénieurs du gouvernement !
9Cela marque un tournant dans l’histoire de l’aménagement de la Loire, car à son initiative, les Nantais s’engagent concrètement dans la recherche d’une solution pour améliorer la navigabilité de la Loire entre leur port et la mer. Dorénavant, la chambre de commerce se positionne comme l’interlocuteur privilégié du gouvernement et de l’administration. Elle coordonne les efforts de la municipalité et du conseil général, en évitant d’être isolée comme précédemment. Les trois institutions œuvrent ensemble pour faire pression auprès du gouvernement, elles envoient ainsi des délégations qui appuient le travail des députés. De la même façon, la municipalité et la chambre de commerce se retrouvent solidaires dans l’effort financier nécessaire. De ce fait, les Nantais se trouvent tous engagés dans l’aventure du canal.
10En 1865, à l’initiative de Goullin père, président du Tribunal de commerce, un comité réunit quarante-cinq personnalités du monde économique, comme Flornoy, G. Goullin, E. Dubigeon, G. et H. Polo. Il se charge de recueillir des fonds pour financer les études ; 94 144,60 F sont récoltés, preuve de l’efficacité de leur campagne, avec un quadrillage systématique très organisé de la ville. La composition de ce comité confirme le caractère volontairement restreint du groupe décideur. Le but est d’obtenir beaucoup de petits souscripteurs pour prouver l’état de l’opinion publique, et d’élargir l’engagement aux petites villes environnantes. Or, à l’extérieur de Nantes, cette mobilisation n’a pas été évidente, ainsi que le montrent les réponses évasives ou négatives des maires. Le comité chargé de recruter un ingénieur s’élargit aux autres institutions, faisant ainsi entrer dans un jeu, où les rapports entre le niveau local et le niveau national ont leur part de faux-semblants.
La mobilisation des réseaux
11L’image du réseau peut être utilisée pour évoquer ces solidarités sous-jacentes qui tissent des liens entre des individus, à des échelons différents du territoire. Le propre du réseau est de dépasser les limites des échelons géographiques et d’articuler le local et le global. Le réseau saint-simonien est une manifestation de ce rapport qui existe entre espace, territoire, société. Non seulement, les saint-simoniens s’intéressent à l’instauration des réseaux de chemin de fer ou de voies navigables, mais aussi à ceux qui peuvent s’installer au niveau des hommes.
12Guépin est la figure emblématique de cette tendance à Nantes. Autour de lui, le groupe nantais est composé d’É. Souvestre, d’E. Ménard, de P. Athénas et de C.-E. Bonamy6. Ce dernier, qui a fait ses études à Paris, a été mis en contact avec le saint-simonisme par l’intermédiaire de son frère, ingénieur des Ponts et Chaussées. La doctrine trouve, en effet, à l’École des ponts et chaussées, un foyer favorable, M. Chevalier étant lui-même ingénieur. À Nantes, on peut relever certaines proximités, comme celle qui rapproche Voruz, industriel et membre de la chambre de commerce, de l’entourage de Guépin. Ils sont amenés à collaborer à plusieurs reprises dans la Société académique, au conseil municipal, ou lors du lancement de cette étude en 1865. Le saint-simonisme a réuni sous sa bannière aussi bien d’anciens élèves de Polytechnique que des ingénieurs civils, comme Théodore Bordillon, dont le frère est lié à Ange Guépin. Ce sont également des gens ayant un esprit d’entreprise, comme en témoigne leur engagement dans diverses initiatives concernant les docks ou les ponts de Nantes. C’est également ce noyau, avec Mellinet et Le Sant, qui est à l’origine de la Société industrielle. Pour les saint-simoniens comme pour la bourgeoisie libérale, les problèmes économiques et la question des transports sont très importants.
13Les capacités se saisissent de ces thèmes. Billault, qui fait partie des relations de Guépin, prolonge en quelque sorte l’engagement de son beau-père, G. H. Bourgault-Ducoudray, dans ces questions. Billault est le spécialiste du thème des transports, à Nantes comme à la Chambre des députés, dans sa période d’apprentissage parlementaire. Pour le compte du conseil municipal, il négocie avec l’État la convention pour l’établissement du canal de Nantes à Brest, puis il intervient sur la question des chemins de fer, épousant donc tout à fait les vues du négoce nantais sur la concurrence du Havre et sur la bonne position nantaise pour l’approvisionnement de Paris7. Un groupe très informel existe à Nantes, ouvert à l’influence du saint-simonisme. Cela forme donc des conditions favorables pour une entente avec les ingénieurs, mais nous n’avons pas trouvé la confirmation de l’activation d’un réseau proprement saint-simonien. Il faut noter que tous les ingénieurs ne sont pas favorables à ces théories, et quelqu’un comme Kerviler s’y déclare absolument opposé.
14Les réseaux d’ingénieurs sont plus aisés à repérer, comme le montre le recrutement de Carlier par la chambre de commerce de Nantes. Dans l’intérêt de Nantes, un ingénieur de l’État est préféré à un ingénieur civil. Les relais entre les ingénieurs fonctionnent en s’appuyant sur une même compétence dans les travaux maritimes ou sur les liens familiaux. Plocq, beau-frère de Carlier, conseille les Nantais dans leur choix. À cela se superpose le réseau polytechnicien. Dubigeon consulte ses camarades d’école dès le mois de janvier 1865, au nombre desquels figure Marin. Il lui demande le nom d’un ingénieur spécialiste de la canalisation, car, dans son esprit, seul le canal peut sauver Nantes, mais cela doit rester confidentiel. Face aux autres propositions, c’est le réseau personnel de Dubigeon qui a primé et c’est lui, l’ingénieur, qui se rend à Fécamp auprès de Carlier, de préférence à tout autre responsable de la chambre de commerce.
15Ce réseau polytechnicien reste actif, si l’on en croit la camaraderie entre Kauffmann et Schwob, dénoncée comme telle à la fin du siècle. De même, Schwob est-il lié à Gaston Michel, l’ingénieur en chef de la ville de 1897 à 1923, depuis leurs années d’études au Lycée de Nantes. Il est possible de se rendre compte de la place des polytechniciens dans la ville, dans la mesure où cette qualité d’ancien élève est assez systématiquement énoncée, participant du processus de distinction8.
16Diverses sources existent, telles que les dictionnaires de biographie. Celui rédigé par Jouve en 1895 accorde une place essentielle aux nouvelles élites9. Les 1480 références contenues dans ce dictionnaire sont élaborées à partir de notices adressées par des correspondants, le principe étant de créer un dictionnaire spécialisé par département. Un tel dictionnaire est évidemment une représentation partielle de la société nantaise, mais celle-ci est validée en s’insérant dans un projet global de dictionnaires. Il y a des lacunes, et il tient compte de la même façon des gens nés ou non à Nantes, résidents ou non. Tel quel, il fait apparaître le changement de la fin du siècle, en montrant l’importance prise par les professions par rapport aux fonctions publiques. Cet ouvrage montre aussi une élite reconnue par ses qualités intellectuelles (participation aux sociétés savantes, œuvre littéraire…). Gustave Bord apparaît pour ses brochures sur Saint-Nazaire, et non pour sa qualité d’entrepreneur. Si les professions de santé et les professions judiciaires sont les plus représentées, les professions touchant de près au champ économique apparaissent peu en tant que telles. Derrière l’importance prise par les études dans le processus de différenciation sociale, ce dictionnaire reflète à sa manière le phénomène de méritocratie. En négligeant le problème de la localisation, les individus qualifiés d’ingénieurs ou d’ancien élève de l’École polytechnique représentent 4,7 % de l’ensemble. À 56,5 %, ils sont issus des grandes écoles d’application de l’École polytechnique. Cependant, Félix de La Brosse qui sort de l’École polytechnique a la qualité d’ingénieur civil des Mines. Ce choix se rencontre un peu plus fréquemment vers la fin du siècle, et les carrières ne se conçoivent plus au service exclusif de l’État. L’importance des Ponts et Chaussées se vérifie, alors que le poids des militaires dans la société est ici exagéré, car c’est parmi eux que l’on compte un certain nombre de non-résidents ; quelques-uns viennent en retraite dans le département.
17La part importante des ingénieurs d’État se comprend, car longtemps, le titre d’ingénieur a été réservé au service de l’État. De ce fait, l’ingénieur civil n’a pas vraiment de définition. La place de ces derniers est difficile à apprécier, car certains n’ont pas éprouvé le besoin d’apparaître avec le titre ou même d’être cité, comme Lotz. Le travail effectué sur le lycée de Nantes confirme le réseau des anciens élèves de Polytechnique10. Créé en 1803, le Lycée accueille dès 1867 une Amicale des anciens élèves du lycée de Nantes, à laquelle vient s’ajouter en 1884 une Association parisienne des anciens élèves du lycée de Nantes. Il permet de créer des liens entre des gens qui ne sont pas tous originaires de Nantes, comme les Lorieux, Gustave Maillard ou les conserveurs Benoît, tous du Croisic. La liste des prix d’honneur permet de relever les noms de famille de plusieurs ingénieurs. Parmi les autres lauréats de Prix, figurent un Bourgault-Ducoudray en 1856 et un de Wismes en 1861 et 1862, ce qui tend à prouver que la bourgeoisie et la noblesse traditionnelles ne refusent pas cette fi lière. Le Lycée est une voie d’excellence ouverte, même s’il est menacé par le dynamisme de l’enseignement catholique11.
18Certains de ces noms nous sont connus, parce qu’ils évoquent des ingénieurs ou des industriels qui ont su s’intégrer dans la société nantaise, et qui ont joué un rôle dans les questions d’aménagement. Le lycée compte, en effet, parmi ses anciens élèves, des ingénieurs comme Jégou d’Herbeline, Watier, Viollet-Dubreuil, H. Chéguillaume, Jean Babin-Chevaye, Plantier et Lorieux... S’y ajoutent ces ingénieurs devenus industriels comme Dubigeon ou Brissonneau. Les élites, économiques et politiques tout à la fois, fréquentent aussi le lycée12. Les listes d’anciens élèves permettent de voir le développement du monde des ingénieurs, marqué par la domination de l’École polytechnique au début du siècle, et l’orientation vers les grands corps à la fin du siècle. L’origine familiale fait apparaître des logiques de formation, car les ingénieurs des Arts et Métiers ont des pères industriels, alors que les ingénieurs des grands corps ont des pères qui en sont eux-mêmes issus. Bien que leur nombre soit limité, ces orientations laissent penser à un choix de la bourgeoisie d’engager ses enfants vers une formation plus concrète et directement utile. Les ingénieurs sont bien placés dans la société, tout en apparaissant, en quelque sorte par définition, comme des experts, personnalités indépendantes et compétentes.
L’appel à l’expert
19L’appel à l’expert n’apparaît pas toujours étranger à la mobilisation des réseaux, comme l’a montré le recrutement de Carlier. Mais ce recours manifeste de façon forte les relations qui peuvent exister entre acteurs locaux et agents de l’État. Cette position particulière permet aux ingénieurs de collaborer autrement qu’à l’intérieur d’un système politico-administratif. Or, l’expertise est aussi un moyen de gérer l’intérêt du groupe13. Comme le démontre G. Massardier, les conditions de production du discours savant sur le territoire et son aménagement doivent être examinées à travers les interactions du savant et de l’administratif.
20Les ingénieurs remplissent une fonction d’expert et à ce titre sont sollicités par différentes instances nantaises. La désignation de spécialistes représente un effort de l’État pour établir des liens en dehors du strict rôle administratif et de la maîtrise d’ouvrages pour le compte de l’État. Depuis la loi du 10 mai 1854, la commune doit exonérer l’ingénieur de sa responsabilité pécuniaire et décennale. Cela équivaut à une reconnaissance de cet espace d’intervention d’ordre technique. Cela va donc dans le sens d’une séparation des champs, entre celui à caractère technique, et celui à caractère économique ou politique. Des passerelles sont donc instituées pour permettre une collaboration entre les détenteurs de ces deux domaines, sans nuire pour autant à l’État. Ainsi Lefort est-il sollicité en 1889, pour mener des études sur l’amélioration du service des eaux pour le compte de la ville de Nantes, ou en 1892 pour étudier un projet de distribution d’eau dans la commune de Doulon14. Lefort est aussi requis comme expert en 1889 auprès du Tribunal civil de Nantes, dans l’affaire concernant les nuisances de l’usine de la Compagnie de Blanzy. Babin est l’expert de la ville de Saint-Nazaire dans un procès contre un entrepreneur ou bien Cosmi est expert auprès du Tribunal de commerce en 1896.
21Le travail dans les différentes commissions est également propice aux rencontres. Elles évoluent malgré tout d’une forme de gestion notabiliaire, reposant sur des fonctions gratuites, à une gestion capacitaire, faisant davantage appel aux compétences techniques, selon l’analyse de Y. Le Marec. Cela permet à l’État d’imposer ses spécialistes. Il faut donc distinguer ces formes de collaboration émanant des autorités, de celles qui existent à l’intérieur des institutions locales. Plusieurs commissions ayant trait à l’amélioration de la Loire travaillent au cours du xixe siècle. Une des premières est celle du conseil municipal, dont la caractéristique est d’être permanente et dédiée à tous les travaux publics. La chambre de commerce de Nantes constitue également ses propres commissions, davantage spécialisées. Dès 1832, la commission pour rendre la Basse-Loire navigable est chargée d’examiner les projets. Chaque étape suscite l’apparition d’une commission particulière, comme celle de 1838, pour le projet de bassin à flot, ou celle qui se réunit en 1847 pour la question des travaux de dragage… Le travail de ces différentes commissions est fondamental, car elles sont la cheville ouvrière de l’institution. En 1859, puis en 1861 et de nouveau en 1864, c’est justement la commission spéciale de la Basse-Loire qui se charge d’éditer les brochures concernant les travaux d’amélioration de la Loire. Elle met en œuvre la stratégie de publication, qui caractérise le rapport de la chambre de commerce de Nantes avec la société. Le rôle de la commission a donc évolué, sortant de son rôle dans l’ombre, consistant seulement à préparer un dossier.
22Les commissions apparaissent de plus en plus comme des formes de mobilisation, en étant à l’interface des institutions et de la population au niveau local. Mais, le rôle d’expert, qu’on demande à l’ingénieur de jouer dans ces différents cas, débouche sur une multiplication et une confusion de ses rôles, par rapport aux édiles et à l’administration centrale. Tout en formulant leurs propres projets, les ingénieurs sont appelés en tant que spécialistes à juger des autres propositions, comme dans le cadre du concours pour l’amélioration de la Loire. À l’exception de Lechalas qui participe aussi à l’Association des crèches et au conseil de surveillance de l’École de dessin, les ingénieurs de l’État s’impliquent dans la vie de la ville par le biais des commissions techniques15. La commission des bateaux à vapeur en 1880 s’offre comme un lieu de rencontre entre ingénieurs de l’État, appartenant à des corps différents. Bourdelles, par son refus de succéder à de Carcaradec comme président, montre toutefois l’évolution de l’implication personnelle des ingénieurs dans la vie locale. Son exemple est imité par l’ingénieur des Mines Benoît. La logique sociale des capacités ne fonctionne plus pour ce type d’ingénieur.
23L’interface entre l’État et la société locale passe aussi par les innombrables commissions d’enquête sur l’état de la Loire. Elles représentent un moyen d’accès des acteurs sociaux au champ d’action de l’État. Elles font largement appel aux notables et aux élites, mais en intégrant le monde maritime et les représentants des populations riveraines, elles évitent l’écueil d’un recrutement trop limité. Par leur intermédiaire, les ingénieurs rendent compte concrètement de leurs travaux et de leurs difficultés, alors que la voie officielle est celle du rapport transmis au conseil général par le préfet. Dans les procès-verbaux de la chambre de commerce de Nantes, la mention de réunions extraordinaires en présence d’inspecteurs généraux signale bien que ces réunions ont pour fonction de faciliter la communication du gouvernement avec les élites économiques.
24Alors qu’il est officiellement dans la posture du représentant de l’État chargé d’une tâche technique, l’ingénieur peut se voir investi de la défense des intérêts locaux, ce qui manifeste l’existence d’une « coalition active ». La perception systémique de ces relations place l’ingénieur en position intermédiaire, chargé d’assurer le lien entre ces deux niveaux16. Dans une perspective d’analyse localisée, on peut interroger cette posture, autrement qu’en termes de mécanismes. Le temps où l’ingénieur était considéré comme totalement étranger à la situation locale semble, à maints indices, révolu. Par leur situation personnelle ou par le souci de trouver un compromis efficace avec les propriétaires et les riverains, certains ingénieurs au xixe siècle s’impliquent localement, dans un équilibre parfois fragile entre l’administration et les désirs ou réactions du milieu local. L’ingénieur court aussi le risque d’être, l’exemple de Jégou le montre, totalement partie prenante d’un des groupes d’acteurs de la scène locale.
25Qu’en est-il alors de l’indépendance des ingénieurs, par rapport au pouvoir local qui peut les mobiliser à son avantage ? Lechalas assoit la valeur scientifique de son travail sur son indépendance d’esprit, mais cette déclaration intervient, après qu’il ait choisi de réintégrer les Ponts et Chaussées à Rouen en 1874. L’exemple de Lefort, félicité à plusieurs reprises par le conseil général de la Loire-Inférieure, prouve que le cumul des fonctions et l’implication des ingénieurs dans la vie locale introduisent une certaine complicité. Le conseil compte certes sur son impartialité, mais le charge aussi d’être le défenseur des intérêts locaux. Ces différents indices prouvent l’existence d’une coalition agissante à des moments différents, mais suscitent une interrogation sur la fonction d’intermédiaire de l’ingénieur17.
Les ingénieurs et la compétence territoriale
26Ces formes de coopération résultent de stratégies, plus ou moins voulues, de la part des notables nantais et des ingénieurs. Si l’appel à l’expertise débouche sur les recrutements locaux des ingénieurs de l’État, l’enjeu pour les ingénieurs des Ponts et Chaussées est d’imposer leur compétence technique en matière de territorialité, face à des concurrents, ingénieurs civils et architectes. Cependant, cette coalition n’est que ponctuelle, parce qu’elle pose le problème de l’intérêt local par rapport à l’intérêt général.
Les ingénieurs et la société
27C’est surtout dans les années 1860-1870 que se constitue véritablement une coalition agissante entre des personnalités qui apparaissent comme des « entrepreneurs », en raison de leur dynamisme dans les questions d’aménagement et dans la défense des intérêts des groupes dont elles sont issues. Cette alliance qui ne va pas de soi est produite par des stratégies, propres à chacun, mais qui s’épaulent mutuellement. Il faut donc nouer ensemble les fils de l’individu et ceux des groupes dans lesquels il se situe. L’exemple d’un ingénieur récalcitrant comme Jégou soulève concrètement le problème du fondement du couple ingénieur-notable.
28Jégou, dont la famille est bien implantée, cumule sa situation de notable, plusieurs fois conseiller municipal, et sa position d’ingénieur. Il est élu en 1846, en 1848, en 1852. Sa famille possède un château à Chantenay et Jégou est allié à la famille Laënnec par son mariage. Il est mêlé à la discussion sur l’emplacement de la gare, comme à l’affaire de l’alimentation en eau de la ville. François Watier et Lechalas ont également des rapports privilégiés avec Nantes, alors que Carlier est recruté sur le critère de ne pas faire partie des « coteries dirigeantes ». Si le rapprochement est en train de s’opérer entre l’ingénieur et le notable, au point de mettre leur couple au cœur d’un réseau capable de produire du sens au territoire en construction, c’est peut-être parce que l’ingénieur est celui qui manie le mieux cette notion nouvelle18. Après la reconstruction de plusieurs ponts, Jégou est affecté au chemin de fer de Tours à Nantes, pour lequel il doit penser l’articulation entre la voie ferrée, la ville et la voie navigable. C’est peut-être le projet d’alimentation en eau de la ville de Nantes qui lui fournit matière à concevoir globalement un réseau. Derrière l’enjeu de l’équipement des villes, il y a un fort enjeu social, dans lequel l’ingénieur et le notable sont associés, ainsi qu’un enjeu économique qui intéresse les milieux d’affaires nationaux19. Les relations, établies au niveau local entre un ingénieur et une municipalité, s’en trouvent perturbées, comme le rapporte C. Richomme. Jégou, hostile comme expert pour la ville au projet de la société privée, est affecté à la direction des travaux du service des Eaux, à la compagnie générale des eaux20. En 1863, il se retrouve au cœur de la crise entre cette société et la municipalité, crise nourrie par des doutes sur la quantité et surtout la qualité de l’eau fournie.
29Le manque de résultats rapides de l’endiguement défendu par Jégou déclenche une autre crise, dont les ressorts sont à la fois techniques, sociaux et politiques. Bien qu’il soit défendu par le préfet, les instances locales obtiennent finalement son remplacement en 1864. Or, de sa position au conseil général des Ponts et Chaussées, il est en mesure d’intervenir dans le débat, ce qu’il continue à faire même en retraite. Ainsi la position de Jégou dépasse-t-elle le cadre strictement technico-administratif, car il avoue lui-même son intérêt à la question, en tant qu’« enfant dévoué de Nantes ». Il met au cœur du couple notable/ingénieur la relation de confiance. Or, dans sa dénonciation de la maladie du canal, c’est comme si seule la folie empêchait cette collaboration, dont l’efficacité repose aussi sur le partage de compétence entre le champ technique et le champ économique. De même, il condamne l’agitation publique provoquée par Radiguel, car elle fausse ce qu’il considère comme la relation viable entre les ingénieurs et les Nantais.
30La personnalité de Jégou, son implication dans les affaires locales et sa prise de position dans la question technique de l’amélioration de la Loire expliquent son rejet. Hypothèse supplémentaire, ce refus tient à ses rapports avec les milieux d’affaire favorables à Saint-Nazaire, où il a travaillé au premier bassin. Son projet d’alimentation de la ville de Nantes est repris en 1851 par P.-J. Maës qui fait partie de l’opposition à la chambre de commerce de Nantes, et qui se montre favorable au développement de Saint-Nazaire. Les liens que Jégou noue avec la CGE ne sont donc pas détachés de ce contexte nazairien, où les Pereire s’investissent.
31Les alliances de circonstance rendent difficile une vision claire des différentes positions, notamment sur le plan politique. La position de l’ingénieur est finalement à l’image du réseau qu’il crée, car il apparaît comme l’homme capable d’articuler et d’interconnecter des éléments initialement séparés. Il est celui qui met en relation des échelles différentes, il est celui qui articule le technique et l’économique, car comme le dit Lechalas en 1848, « l’administration des Ponts et Chaussées doit satisfaire les besoins du commerce, elle doit même les prévoir21 ». Devant les difficultés, l’ingénieur peut assumer cette position autrement, qu’à l’intérieur de l’administration. Il rencontre en cela la stratégie de la chambre de commerce de Nantes, qui y voit une solution pour contourner les blocages, notamment celui de l’opposition du conseil général des Ponts et Chaussées à ses projets, mais aussi les difficultés locales.
32D’une certaine façon, le recrutement de Carlier et celui des ingénieurs au service direct de la ville paraissent le résultat de l’expérience Jégou. La stratégie nantaise, de la chambre de commerce comme de la municipalité, fonde alors véritablement le couple ingénieur/notable, en formalisant ce lien dans le contrat du 22 juin 1865. Mais, les conditions de collaboration dépendent, par ailleurs, d’un facteur difficilement maîtrisable, celui de l’opinion publique, cette question devenant importante dans les années 1860. Sous le couvert de la question de la Loire, se jouent en effet des rapports de force, entre ingénieurs d’une part, entre intérêts nantais d’autre part. La conclusion du contrat articule trois sortes d’intérêt, celui de l’État, celui de la chambre de commerce de Nantes et celui des ingénieurs. Ici, Plocq supervise le contrat et protège les intérêts de son beau-frère, notamment la suite de sa carrière au sein de l’administration, d’autant plus que ses appointements restent modestes par comparaison avec les compagnies de chemin de fer. Il ne faut pas en déduire trop vite que les ingénieurs sont tous solidaires. Si la question du canal se pose en terme de secret ou de publication, les rapports de force, qui sous-tendent cela, concernent aussi bien la relation parfois difficile entre l’ingénieur recruté par la chambre de commerce et les autres ingénieurs en poste, tant Carlier s’inquiète de l’opposition de Jégou et d’Eon du Val.
33Ces difficultés s’aplanissent lorsque le Service des Ponts et Chaussées est chargé officiellement de l’étude. Les intérêts locaux sont pris en charge par une administration qui leur donne, alors, une autre dimension, celle de l’intérêt général. Un inspecteur général des Ponts et Chaussées, reconnaissant les difficultés techniques et humaines rencontrées par Carlier, lui écrit que « La somme des intérêts de clocher fait pour nous l’intérêt général ». À partir de 1874-1875, quand l’État accepte de soutenir la demande nantaise, les ingénieurs sont dans une logique qui empêche les contradictions entre les différents services. Les représentants du Génie et de la Marine n’ont pas d’opposition à formuler et les ingénieurs du Service hydraulique, s’ils concluent à la nécessité de préserver les intérêts riverains, renvoient l’étude de la question technique au Service spécial de la Loire. Le canal maritime sur la rive Sud est donc adopté, car toutes les autres combinaisons ont été écartées, en raison de leurs dépenses, de leurs inconvénients ou de leurs incertitudes. La procédure, s’achevant sur la déclaration d’utilité publique, garantit l’adhésion des services de l’État. Le canal ne compromet aucun intérêt général, même si quelques dommages particuliers ne peuvent être évités !
34Par ailleurs, les ingénieurs doivent gérer l’opposition au canal, qui se poursuit au-delà du vote de la loi. Les riverains cherchent à ajourner les travaux, puis à perturber le déroulement de la phase délicate des enquêtes parcellaires qui doivent déboucher sur les acquisitions de terrains. Les ingénieurs sont très soucieux de ne pas aggraver l’agitation, ni d’entraver les transactions amiables, afin d’éviter l’action en justice contre l’État. À travers les dossiers de réclamations des riverains, y compris dans les années 1890, on peut suivre les négociations entre propriétaires et ingénieurs. Bien qu’elle soit gérée à travers une procédure d’expropriation, cette question de la propriété conditionne en grande partie le rapport difficile entretenu entre la logique patrimoniale de conservation, et celle de l’aménagement qui est une logique de bouleversement. Toutes les stratégies des agents de l’aménagement consistent à essayer de gérer cette contradiction. Celle-ci fait naître une notion assez vague d’opinion publique, qui regroupe les intérêts de cette « riche région » sur la rive gauche, auxquels se joignent certains des anciens partisans du canal maritime. L’aménagement met en jeu des groupements d’intérêts, qui ne cessent de se recomposer, mais qui confortent la « coalition agissante » qui soude les ingénieurs, agissant au nom de l’État, et ceux qui continuent à soutenir le canal maritime. La mise en scène des travaux à l’Exposition universelle de 1889 relève aussi de cette logique.
35L’intérêt des « entrepreneurs » locaux, selon le vocabulaire de M. Offerlé, est évident, puisqu’ils ont pu dans ces associations avec les ingénieurs contourner l’opposition initiale du conseil général et des ingénieurs des Ponts et Chaussées, en faisant faire l’étude de la faisabilité du canal maritime par l’un d’entre eux. Puis, ils ont obtenu la collaboration officielle des Ponts et Chaussées et le vote de la loi. Les ingénieurs sont bien situés en tant que fonctionnaires représentant l’État et inscrits dans un champ technique, où leurs divergences peuvent s’exprimer. Ils entretiennent cependant des rapports de nature plus ambiguë avec les responsables locaux. Cette ambiguïté, qui sert le corps des Ponts et Chaussées, a été plusieurs fois relevée, notamment dans les études de sociologues ou de juristes22. Elle tient en partie au besoin des ingénieurs de situer leur domaine de compétence face à d’autres professions.
Ingénieurs de l’État, architectes, ingénieurs civils
36Le domaine de compétence sert à déterminer la place de l’ingénieur dans la ville, qu’il intervienne comme représentant de l’État, ou dans une relation plus personnelle. Dans le processus historique, au bout duquel le corps des Ponts et Chaussées finit par prendre son autonomie au sein de l’État, le Corps fonctionne comme un groupe d’intérêt. Or, la concurrence entre les ingénieurs des Ponts, les architectes et les ingénieurs civils interfère aussi dans la question locale. Si les ingénieurs de l’État s’imposent, c’est en s’affirmant détenteurs d’une compétence que n’ont pas les autres. L’histoire de ces conflits ne peut être traitée sous l’angle de la professionnalisation, car l’ingénieur n’est pas alors défini en tant que tel23. Cette querelle avec les architectes d’une part, et avec les ingénieurs civils, d’autre part, est productrice de sens dans la question de l’aménagement.
37La question paraît d’autant plus légitime que la querelle porte sur la compétence et sur la constitution d’un monopole par les Ponts et Chaussées. Les conséquences en sont une meilleure distinction des « professions ». Si les architectes ont été obligés de s’organiser, il ne s’agit pas seulement d’un conflit à l’intérieur du champ technique, mais également d’une concurrence entre capacités pour se positionner dans la ville. Or c’est bien au niveau des parcours individuels que l’on peut saisir ces enjeux propres aux capacités. À Nantes, c’est en 1864 qu’un ingénieur se substitue à un architecte pour occuper la fonction d’architecte-voyer, même si la question du partage des compétences se pose depuis les années 183024. Pour une meilleure délimitation de leur activité, avec la possibilité de rendre plus évident pour l’administration le recours à leurs conseils pour l’embellissement de la ville, la professionnalisation des architectes se réalise à travers les sociétés d’architectes, celle de Nantes étant imitée de la Société parisienne en 1841.
38Les années 1860 sont celles où un nouveau plan d’urbanisme est proposé et où la question du percement des grandes voies se pose. Peut-être, le choix d’un ingénieur des Ponts au poste d’architecte-voyer, entre-t-il également dans la stratégie nantaise de développer le dialogue avec les Ponts et Chaussées, au moment où s’ouvre une nouvelle phase du débat sur l’amélioration de la Loire. Il faut également faire la part de la stratégie personnelle de Lechalas, esprit curieux et inventif, prêt à s’investir dans la gestion de la ville. Accepter de diriger les services de la voirie en 1864, lui permet de rester dans la région, car il est originaire d’Angers et il est marié avec une fille Simon. La Société des Architectes de Nantes réagit, sinon directement à la nomination de Lechalas, du moins à sa conception de l’urbanisme, en proposant son propre plan de façon à affirmer la compétence des architectes en matière d’urbanisme. Lechalas réduit le nombre de percements25. Pour la municipalité, l’ingénieur est celui qui a une conduite de rationalisation, face à l’imagination de l’« artiste ». C’est la même position qui est reprise face à Radiguel.
39En 1864, la situation à Nantes oppose trois catégories de professionnels qui, tous, peuvent avoir une compétence en matière d’aménagement : les architectes, l’ingénieur des Ponts et Chaussées, l’ingénieur civil. Les problèmes de compétence sont, en effet, complexes et nécessitent des mises au point officielles sur des interprétations. C’est avec l’ingénieur civil parisien Radiguel que transparaît explicitement le conflit. Celui-ci propose en 1862 un vaste programme de canal maritime, transformant le port de Nantes en bassins à niveau constant, et dans la logique des compagnies privées, avec une demande de concession du canal. Jégou se moque particulièrement de cette « folie des grandeurs ». Le ton est donc donné, révélateur d’un certain état d’esprit des relations entre les ingénieurs civils et ceux des Ponts et Chaussées, les seuls à maîtriser la technique du projet. Or, le débat va être placé, par Radiguel lui-même, sur ce terrain social.
40Pour l’administration des Ponts et Chaussées d’ailleurs, le débat technique n’a pas lieu d’être, puisque le bassin à fl ot et le chemin de fer rendent le canal inutile. Cette hostilité du conseil général des Ponts et Chaussées oriente les actions des uns et des autres. Les ingénieurs des Ponts en tiennent également compte dans leur propre stratégie. Ainsi, Marin se félicite-t-il en 1865 que Plocq ait refusé une affaire qui n’a aucune chance d’aller à son terme ; alors que les Nantais voudraient justement recruter quelqu’un bien en cour ! Face à la capacité d’organisation et de mobilisation du réseau des ingénieurs, Radiguel apparaît bien seul. Cependant, devant les attaques de ce dernier, Jégou demande l’autorisation de faire imprimer son rapport. L’opinion est juge du conflit entre l’ingénieur des Ponts et l’ingénieur civil, ce que l’administration ne peut admettre.
41Derrière la figure de l’ingénieur qui relève de l’idéal-type, il y a toute la diversité déjà relevée, ainsi que les divergences sur le plan technique, mais, peut-être aussi, la rivalité dans la reconnaissance sociale. La persistance des critiques envers le canal, après 1879, pose un problème dans le fonctionnement du Corps même si c’est à la retraite que Jégou d’Herbeline, propriétaire, met en avant l’intérêt agricole et la santé publique. L’ingénieur Bouquet de la Grye est également soupçonné en 1881 d’être à l’origine de l’opposition auprès des ministères et de susciter les pétitions nazairiennes. De son côté, Lechalas, grâce à sa position d’ingénieur de la ville, se voit offrir la possibilité de proposer son propre projet. Si dans l’immédiat, son projet est rejeté comme trop ambitieux, la suite de sa carrière montre qu’il a pu en profiter. Le discours savant permet aux ingénieurs d’avoir une carrière scientifique, et pas seulement technique, ce qui représente une voie élitiste26. D’une certaine façon, le discours de Lechalas conduit à formuler autrement sa position d’intermédiaire, car il aide en 1868 la société locale à produire ses propres propositions. Il apparaît ici comme un élément clef du réseau, par son statut, par sa capacité à nouer l’économie et l’art de l’ingénieur, ainsi que par sa vision du rapport entre la théorie et la pratique. Il peut recommander son successeur, l’ingénieur Aumaître, en 1874. L’ingénieur des Ponts et Chaussées l’a bien emporté alors sur l’architecte, ce qui n’est remis en cause qu’en 1908. Avec la fonction d’ingénieur de la ville créée en 1885, l’ingénieur des Ponts et Chaussées ne serait plus un expert extérieur, mais l’architecte d’un véritable service, notamment capable de gérer les problèmes soulevés par la distribution des eaux27. À Gaston Michel, en poste à Nantes de 1897 à 1923, la ville offre véritablement moyen de faire carrière, ce qui se prolonge, en 1935, par une fonction de conseiller municipal.
Les ingénieurs civils à Nantes
42Vers la fin du siècle, les rapports entre les ingénieurs et les architectes ne sont pas résolus, pas plus qu’entre ingénieurs des Ponts et ingénieurs civils. Certes, le débat entre les premiers ne se pose plus en terme de métier, mieux désigné à travers les Sociétés d’architectes et la création du diplôme d’architecte délivré par l’École des beaux-arts en 1867. L’Exposition universelle de 1889 qui voit le triomphe de l’ingénieur sur l’architecte est surtout le point de départ d’une autre problématique, entre archaïsme et modernité28. Mais l’ingénieur, dont il s’agit, est plutôt l’ingénieur civil que l’ingénieur des grands corps. Or, les ingénieurs issus des grands corps sont encore très importants. Ils sont confrontés, cependant, à un gonflement du nombre des ingénieurs civils à Nantes, en raison des possibilités de formation plus ouvertes, et du choix de certains élèves des grandes écoles de s’orienter vers une carrière civile.
43Eugène Flachat, qui conseille Carlier, devient président de la Société des ingénieurs civils peu de temps après. L’opposition de deux types d’ingénieurs, correspondant à des modes de formation et de recrutement distincts, n’est pas aussi absolue que le laisse penser la construction « idéaltypique » de l’ingénieur. Dans quelle mesure la recherche d’un monopole des Ponts et Chaussées sur la construction du territoire laisse-t-elle de la place pour une autre forme d’expression d’ingénieurs ? L’ingénieur civil naît du désir de se distinguer de l’ingénieur d’État. Fondée en 1829, l’École des arts et manufactures répond au besoin des industries, aussi bien qu’au désir d’avoir accès aux travaux publics. Elle devient en 1862 une école dirigée par l’État, mais le mot ingénieur ne correspond pas à un titre reconnu. L’Association amicale des anciens élèves de l’École centrale se constitue en 1865, avec pour but de « relier les promotions nouvelles aux promotions antérieures, en formant un faisceau continu dont tous les membres puissent se reconnaître, être utiles les uns aux autres… ». Les ingénieurs de Centrale deviennent un groupe d’intérêt, dans le but de défendre aussi bien leur statut, que les intérêts particuliers de ses membres. Sur les listes publiées de 1832 à 1865, ne figurent, parmi les correspondants nantais, que Voruz, Jules de La Thuilerie (promo 1833) exerçant aux forges de Basse-Indre, E. Bertholomey (1838) et A. Renoul. Comme plus tard pour les Architectes, la reconnaissance du statut passe par la création d’une Société centrale d’ingénieurs civils en 184829.
44Dès 1849, celle-ci conteste aussi bien l’existence du corps des Ponts et Chaussées, que la position qu’occupent ces ingénieurs d’État dans le système politico-administratif. « L’esprit de centralisation » de l’administration des Travaux publics renforce donc « l’esprit de corps » des Ponts et Chaussées. Les ingénieurs civils voudraient donc obtenir que l’État donne l’impulsion aux travaux, sans se charger de leur exécution. Au niveau local, ils proposent l’émancipation du Département, en lui donnant la possibilité de choisir ses ingénieurs. Les ingénieurs d’État se feraient les ingénieurs civils du département, en étant toujours sous le contrôle du conseil général des Ponts et Chaussées, et appointés par lui, mais en étant révocables. Le corps n’ayant pas « le souci de l’intérêt local », ce nouvel emploi d’ingénieurs recrutés en fonction des spécialités techniques, permettrait de combattre efficacement l’esprit de centralisation, ainsi que l’irresponsabilité des ingénieurs, aux sources d’un manque de productivité. Cette réflexion pose bien le problème de la place de l’échelon local par rapport à l’échelon national, considéré comme improductif. L’ingénieur voit sa position redéfinie, mais les modes de fonctionnement dans les années 1860 montrent l’échec des ingénieurs civils à venir concurrencer, sur ce nouveau terrain, les ingénieurs des Ponts et Chaussées. Contrairement aux ingénieurs civils, les ingénieurs de l’État sont des pièces essentielles d’un réseau, permettant d’articuler, de façon plus souple qu’un système, les deux niveaux d’intervention.
45L’augmentation du nombre des ingénieurs civils semble la seule solution, avec l’occupation d’un champ technique plus varié, à la domination des ingénieurs des Ponts et Chaussées. À Nantes, la faiblesse numérique des ingénieurs ne menace pas cette suprématie. Les Étrennes nantaises ne mentionnent, entre 1845 et 1850, que deux à cinq ingénieurs. Ils sont une quarantaine en 1883, ingénieurs civils et ingénieurs des Arts et Manufactures. Ce sont des hommes sans grand capital social familial, ni, pour la plupart, capital économique30. En revanche, leur exercice professionnel, pour autant qu’il est connu, témoigne bien de ce mouvement de diversification des ingénieurs, qui est une réponse à la complexité des problèmes techniques et aux besoins nouveaux. Ils s’engagent dans les chemins de fer, les tramways, la construction navale, l’industrie de la raffi nerie...
46Un certain nombre participe au conseil municipal ainsi qu’à la Société industrielle et à la Société académique. Ce sont les mêmes qui, avec F. Libaudière, se retrouvent en 1895 à la Société de géographie. Ils empruntent le même processus de reconnaissance sociale, à travers ces différentes formes de sociabilité qui reflètent leur goût pour les réflexions savantes et techniques et leur investissement local. Une sorte de corporatisme d’école distingue la filière de l’École centrale des arts et manufactures, des Écoles d’arts et métiers, dont l’une est située à Angers. Ces dernières ont un côté très pratique qui peut séduire les industriels et constitue une filière qui permet aussi la réussite sociale. La Société Lotz et Brissonneau illustre l’association entre les deux types d’ingénieurs. Cette distinction reflète cependant la diversité du profil de l’ingénieur qui évolue du statut de concepteur dominant dans les années 1870 au statut de producteur à l’intérieur des entreprises. Les Alliot fournissent du matériel pour les Ponts et Chaussées. D’autres développent la logique industrielle de la construction navale, comme Oriolle ou les ingénieurs qui travaillent au sein des Ateliers et Chantiers de la Loire31. Le diplôme d’ingénieur permet d’avoir une activité industrielle spécialisée comme les Lotz, alors que Eugène de La Brosse fonde un groupe financier qui dépasse largement le domaine d’action de l’ingénieur. Certains de ces ingénieurs civils, comme Babin-Chevaye, recourent pour leurs fils à une formation d’ingénieur par l’École polytechnique ou par l’École centrale.
47La fréquentation d’une société locale favorise l’intégration dans les diverses formes de sociabilité et témoigne de l’intégration de ces ingénieurs aux élites. La participation à des structures savantes, comme les congrès de l’Association pour l’avancement des sciences à Nantes en 1875 et en 1898, offre des opportunités de rencontre et se fonde sur un goût commun pour la science, présentée ici dans son aspect pratique et théorique. Ces congrès sont l’occasion de diffuser les innovations et représentent un espace de discussions et de rencontres entre ingénieurs de formations différentes. Ils peuvent donner une caution scientifique à l’aménagement, comme lors du congrès tenu à Rouen en 1883 à propos de l’aménagement de la Seine. De plus, les ingénieurs se retrouvent dans des congrès internationaux, comme celui organisé par l’Institution of Civil Engineers en 189332.
48L’Association pour l’avancement des sciences représente autant une forme de sociabilité savante, qu’un réseau tissant des liens au sein des élites anciennes et nouvelles, savantes et économiques. Elle compte, parmi ses fondateurs, de nombreux ingénieurs (environ 12,5 % des fondateurs individuels), les ingénieurs des Mines étant deux fois plus nombreux que les ingénieurs des Ponts et Chaussées. La Société des ingénieurs civils y participe comme dix-huit sociétés et compagnies, notamment de chemins de fer, de gaz, des houillères, des chantiers de construction... Les chambres de commerce de Nantes, Bordeaux, Lyon, Marseille et Rouen soutiennent le mouvement, ainsi qu’un certain nombre de personnalités membres de l’Institut, de l’Académie française ou de l’Académie de médecine. Des banquiers et des entrepreneurs importants appuient également l’association (Alphonse de Rotschild, Ernest Gouin, F. de Lesseps, Talabot). Le seul Nantais est alors Fernand Crouan. Les gens de la Loire-Inférieure adhèrent assez vite, car, en 1883, ils sont 75, dont neuf sont membres à vie. Si les professions médicales, les propriétaires et les négociants sont toujours nombreux (respectivement 21,2 %, 18,7 % et 17,3 %), les industriels et les ingénieurs représentent 10,7 % et 9,3 % des adhésions du département, suivis des professions juridiques (6,7 %). Les architectes (2,7 %) ne s’intègrent pas à ce mouvement.
49Il faut noter une cohérence entre la participation à une telle société et la participation à la vie nantaise, caractéristique d’une démarche élitaire, chez plusieurs industriels et d’autres ingénieurs moins connus, comme Deshayes ingénieur aux Aciéries de Trignac, ou Fd. Blin ingénieur aux Raffineries anonymes. Briau, directeur des chemins de fer nantais et exemple de réussite sociale, participe également d’un tel réseau savant. Plusieurs des ingénieurs civils sont conduits à jouer un rôle local de plus en plus important, au sein du conseil municipal à partir des années 188033.
50La ligne de fracture passe alors davantage sur le plan politique entre républicains et opposants, comme le souligne M. Schwob34. Ce dernier, élève de l’École polytechnique, puis directeur du Phare, est un des hommes clefs au tournant des deux siècles. Il participe aussi bien à l’entreprise de la Loire navigable qu’à la Société académique, dont il devient président en 1906. Avec Louis Linyer, avocat, et Félix Libaudière, ancien du canal de Suez et directeur du Petit Économiste, tous les trois se trouvent les initiateurs de nouvelles propositions comme celle de la Loire navigable. Elle est créée en 1896 pour grouper et solidariser les initiatives individuelles, ainsi que pour faire pression sur les diverses institutions politiques, administratives et économiques, en vue de faire reconnaître l’utilité publique de l’amélioration de la Loire maritime et fluviale, en amont de Nantes35. Le fait qu’elle soit à l’origine de plusieurs études d’économie spatiale et politique, peut séduire des industriels, notamment de l’agro-alimentaire, et des ingénieurs, dans la logique des liens entre la science et le développement. L’entreprise intéresse davantage ceux qui ont besoin de liaisons avec l’arrière-pays.
51Des ingénieurs des Arts et Manufactures font partie de l’entreprise, à commencer par F. Libaudière. Comme lui, certains d’entre eux choisissent d’exercer leurs talents dans la presse. Les Centraliens ont conquis leur place dans la société nantaise, en phase avec l’industrialisation. L’évolution du mode de recrutement ainsi que la gestion des carrières favorisent moins l’implication des ingénieurs des Ponts et Chaussées dans la société locale. Les ingénieurs en chef Robert puis Kauffmann semblent davantage s’inscrire dans le système politico-administratif, souvent décrit avec sa dérive technocratique. Certaines chambres de commerce demandent des devis comparatifs aux frères Hersent, ingénieurs civils et entrepreneurs, pour contrôler ceux de l’administration des Ponts et Chaussées. Par contraste, l’ingénieur des Ponts et Chaussées Kerviler apparaît d’autant plus une figure puissante et originale, ancrée à Saint-Nazaire. Ce changement au niveau des ingénieurs s’accompagne d’une évolution dans les changements de conception, tant au niveau du port et de son rôle, qu’au niveau de l’aménagement comme facteur de développement.
« L’esprit de localité » par rapport à la centralisation
52Le couple formé par l’ingénieur et le notable se construit durant la période où règne « l’esprit de localité » qui oriente les demandes de travaux. Les ingénieurs participent alors aux élites du pouvoir local, alors que ce dernier paraît un « pouvoir périphérique », par rapport à un pouvoir central36. L’État, donneur d’ordres et de contraintes, administratives et juridiques, intervient dans la production d’un espace nouveau. L’échec de la Société de curage en 1833 a signifié l’impossibilité d’importer le modèle écossais d’action directe d’une société sur son environnement37. Si le pouvoir de décision est à Paris, ses modalités d’intervention sont variées et laissent place à une expression du local, qui n’est pas réduit à un simple emboîtement de niveaux, ni à la notion de périphérie.
Le jeu du centre et de la périphérie
53Si le débat sur la décentralisation naît dès la réflexion sur les départements, c’est à partir de 1859-1860 qu’on assiste à un réveil du thème de la décentralisation, mais ce n’est qu’avec la loi du 10 août 1870, sur les départements, et du 5 avril 1884, sur les conseils municipaux, qu’un nouvel équilibre des forces entre les niveaux territoriaux est réalisé. Ces lois donnent une réalité à la capacité de délibération et de décision des institutions locales. Au-delà de ce cadre formel, la pensée des identités locales ou régionales ne prend de sens que rapportée à ce qui se passe au niveau national, comme le montre l’exemple de la Vendée38.
54L’État impose, partiellement, les catégories pour penser le territoire et son aménagement. Il le fait à travers la délimitation du domaine maritime. Cette détermination, même laborieuse, coïncide avec cette vision de l’espace à aménager, comme un espace longitudinal entre Nantes et Saint-Nazaire, dédié à la navigation. C’est cette conception qui s’impose dans les discours, puis dans les décisions, malgré les résistances, notamment, chez les riverains soucieux de protéger leur propriété ou leur usage du fleuve et de ses rives, ainsi que chez ceux qui voudraient développer l’économie de toute une micro-région. L’État intervient aussi, par le biais du corps des Ponts et Chaussées, en fournissant le modèle du projet, ce qui disqualifie l’ingénieur civil Radiguel en 1862.
55L’intervention de l’État se justifie également par l’usage qu’il fait de l’intérêt général, avec la notion d’utilité publique. Ces procédures ont été réglementées par l’ordonnance du 18 février 1834 sur l’enquête d’utilité publique, puis par la loi du 3 mai 1844 sur l’expropriation pour cause d’utilité publique. La loi du 27 juillet 1870 stipule que les travaux des ports maritimes de commerce ne peuvent être exécutés, qu’en vertu d’une loi ou d’un décret, avec enquête préalable sur un avant-projet, et un mémoire descriptif, indiquant le but de l’entreprise et les avantages à en attendre, ainsi que le tarif des droits d’usage ou des péages prévus pour couvrir la dépense. Une commission, nommée par le préfet parmi les armateurs, industriels et négociants, veille à la régularité de l’enquête et rédige ses conclusions, de même que l’ingénieur en chef. La loi du 9 avril 1898 fait de la chambre de commerce, l’interlocuteur privilégié pour émettre son avis sur l’utilité publique des travaux et sur les taxes à percevoir. Un décret du 12 mai 1912 simplifie la procédure, en permettant à une seule commission de siéger, même s’il y a plusieurs enquêtes durant l’année.
56Dans ses différentes formes d’intervention, l’État est dans son rôle, en fixant en quelque sorte le cadre, mais il ne peut pas empêcher la contestation. L’État n’intervient pas seulement par des mécanismes, tels qu’ils apparaissent à travers les relations hiérarchiques propres à l’administration des Ponts et Chaussées, ou dans le rapport d’autorité des notables et du préfet avec le gouvernement, ni même par les mécanismes législatifs. L’État lui-même trouve son intérêt à agir ainsi, comme le montre son attitude dans le climat agité des années 1860. Le débat politique porte en partie sur la question du canal et de l’aménagement.
Un enjeu politique
57Les élections offrent un moment privilégié pour examiner les rapports de force et leur évolution. Dans les années 1840, l’influence légitimiste se renforce sur les campagnes et le conseil général est dominé par les propriétaires qui s’opposent au régime. La présence de la bourgeoisie négociante et industrielle, de tendance opportuniste, s’est affirmée depuis 1832 au sein du conseil municipal. Elle traduit le désir d’ordre et la méfiance à l’égard de ce qui crée des conditions délicates pour les affaires. Les rapports de la bourgeoisie nantaise aux régimes se comprennent sous cet éclairage, au moment où se dessinent de grands changements politiques, et où, sur le plan local, l’inquiétude sur l’avenir du port de Nantes provoque de grandes discussions. Les campagnes se rallient plus vite à l’Empire que Nantes, alors que les nobles se retirent de la vie publique. Le ralliement au bonapartisme, même mesuré, permet un renouvellement des forces en présence, et d’écarter quelques anciens notables comme de Cornulier ou Jégou. Les négociants investissent le conseil général, au moment où la question de Saint-Nazaire se précise. A. Garnier et F. Favre incarnent une stratégie efficace, même si le prix à payer est la non-politisation de l’assemblée départementale. Quelques mois après, les élections municipales confirment la défaite du légitimisme, et donc des intérêts plus terriens.
58À partir des élections départementales et municipales de 1852, ce sont des hommes liés au pouvoir qui gèrent les affaires locales. Cette bourgeoisie d’affaires qui soutient l’Empire dans l’espoir de le voir rétablir la prospérité économique, est représentée aux élections législatives par quelqu’un comme Auguste Garnier, armateur et président de la chambre de commerce de Nantes. L’arrivée d’Henri Chevreau comme préfet en 1853, qui dirige efficacement le département, contraint ces négociants, ralliés au régime, à suivre ses grandes orientations économiques. C’est lui qui lance l’idée du Liverpool nazairien, et donc défend le développement de l’avant-port. Alors que le département est le premier échelon en dessous de l’État, « loin d’être une représentation authentique de la population, le Département est avant tout un rouage de l’État centralisateur », ne contribuant que faiblement aux dépenses39.
59Si le coup d’État du 2 décembre 1852 a été finalement accepté, dès 1863, Napoléon III est sanctionné. Les clivages au sein de la bourgeoisie d’affaires se réveillent en même temps que l’opposition au régime s’affirme par l’intermédiaire d’un journal comme Le Phare. De son côté, l’opposition royaliste mêle les aspects politiques, religieux et économique, en profitant de sa nouvelle légitimité, acquise en se restructurant derrière le baron de Lareinty et le cercle Louis XVI, présidé en 1863 par Auguste de Cornulier. Aux élections législatives de 1863, Lanjuinais est soutenu par les divers opposants au régime. Son élection contre le candidat officiel Voruz apparaît comme une élection politique, mais c’est aussi une sanction à l’égard du gouvernement impérial trop favorable à Saint-Nazaire. Malgré l’appel du préfet aux négociants, industriels et aux ouvriers pour voter pour Voruz, la ville de Nantes et sa banlieue (Indre, Chantenay et Saint-Herblain) se sont nettement placées dans l’opposition. Les négociants et les industriels protestent ainsi contre la politique de libre-échange menée par le gouvernement. Ils s’orientent vers un républicanisme modéré, qui les conduit à voter pour Guépin aux élections pour le conseil général en 1864. Celui-ci est alors le chef des républicains à Nantes. Parmi ses objectifs fi gure celui d’obtenir un canal maritime latéral à la Loire, solution qu’il avait proposée en 1831 devant la Société académique.
60Le thème de la Loire, et plus particulièrement cette idée de canal, devient un enjeu politique. Les stratégies politiques recomposent les forces en présence, en fonction des questions économiques et spatiales. La tension à propos du canal est telle que les autorités doivent réagir. Le ministre A. Béhic ordonne en 1864 de rendre publics les documents officiels, par voie d’affiche, pour faire admettre à la population le refus du conseil général des Ponts et Chaussées. L’Administration rappelle les efforts qu’elle a consentis depuis 1836. Finalement, en 1865, le Gouvernement autorise la chambre de commerce à financer une étude sur le canal. Lors des élections municipales de 1865, Radiguel accuse Le Phare de la Loire d’utiliser le thème du canal pour soutenir la candidature de Guépin. Cependant, si le comité, soutenu par ce journal, voit le succès du républicain Guépin, du libéral Babin et du catholique progressiste Waldeck-Rousseau, Radiguel est aussi élu. Au sein du conseil municipal dirigé par Ferdinand Favre, la question du canal reste pourtant un objet de conflit, qui se complique avec le projet d’une percée urbaine, reliant les routes de Rennes et de Vannes aux rives de la Loire. La chambre de commerce de Nantes, en accord avec Carlier, essaye de gérer ces problèmes, aussi bien en évitant les provocations de Radiguel, qu’en essayant de retarder la publication de l’historique présenté par V. de Courmaceul ; ils se décident à publier, de temps en temps, une note préparée par l’ingénieur dans Le Phare de la Loire, en prélude à l’étude finale, car l’heure n’est plus à la confidentialité. Les conditions de cette publication sont mûrement réfléchis, pour respecter l’apparence d’objectivité et pour toucher ses destinataires de façon à conforter l’unanimité nécessaire vis-à-vis de l’extérieur. Ainsi en 1869, Gaudin, le candidat officiel, est élu, sans que la question du canal pose réellement un problème, car ce grand propriétaire, représentant le canton rural de Riaillé au conseil général, soutient le projet. On pourrait croire à l’unanimité mise en avant par le préfet, pour obtenir le soutien du Gouvernement.
61Lorsque pour les élections législatives de 1869, G. Lauriol, opposant au canal, et un comité d’industriels et de commerçants demandent à Prévost-Paradol de se présenter à Nantes, il s’agit aussi bien d’une opposition à la politique économique du gouvernement, que d’une demande de plus de libertés. D’une certaine façon, ce qui est défendu ici, c’est la possibilité d’avoir un véritable pouvoir local, grâce à plus de liberté municipale. Cela annonce le changement d’échelle dans le traitement des problèmes d’aménagement, et l’enjeu que peut représenter l’inscription dans un programme national. Le climat politique très tendu permet la mise en place de stratégies pour faire pression sur le gouvernement. Pourtant les électorats sont différents entre les républicains modérés et les radicaux, puisque les premiers sont surtout défendus par les armateurs, les gros commerçants et les raffineurs, inquiets des grèves répétées depuis 1866.
62L’évolution du thème du canal maritime dans les luttes politiques nantaises est difficile à suivre, puisque, soutenu par les opposants à l’Empire, il est ensuite défendu par ses partisans. Sous la Troisième République, la défense commune des intérêts de Nantes, à l’intérieur de l’espace français, résulte d’une position de principe. Elle passe par l’envoi de délégués et l’utilisation des députés, pour défendre, à la Chambre, les positions nantaises, et faire pression pour faire inscrire le canal maritime dans le programme gouvernemental d’équipement40. Après Ange Guépin, c’est son neveu par alliance, Charles Laisant, député républicain en 1876, 1877 et 1881, qui reprend le flambeau, avec beaucoup de virulence parfois41. Or, cette question n’est plus réellement une ligne de partage, car partisans et adversaires du canal se retrouvent au même comité républicain constitué entre 1870 et 1874, avec le soutien du Phare de la Loire42. Sans doute ne faut-il pas négliger pour autant l’aspect politique dans les relations qui se tissent entre les individus ou les groupes.
63S’il est vrai que l’antagonisme croît entre les négociants conservateurs et les républicains, c’est aussi une résistance contre l’État républicain, jugé centralisateur et ne prenant pas en compte suffisamment les intérêts locaux. La question du partage du droit de tonnage entre Nantes et Saint-Nazaire, en 1889, est l’objet d’une telle présentation politique, car Le Journal des Transports fait état du républicanisme de Saint-Nazaire face au conservatisme du conseil général et d’une partie de la population nantaise, vision largement fondée sur des documents fournis par le port aval. Cette vision politique est alors refusée par Le Phare de la Loire. Face à ceux qui se réclament de l’État, d’autres critiquent justement l’intervention de l’État. Lors d’un débat à la Chambre des députés sur la poursuite des travaux, le 3 février 1887, Le Cour intervient comme représentant des ports maritimes. S’il défend les ingénieurs des Ponts et Chaussées attaqués à travers le conseil général des Ponts et Chaussées, jugé sans contrôle, et s’il défend également le principe d’une surtaxe du pavillon, pour protéger la flotte française, Le Cour estime que la meilleure gestion se fait au niveau local. En l’occurrence, l’État doit laisser les chambres de commerce gérer les ports. Lors d’une séance de la Chambre des députés du 4 février 1885, le modèle d’une Administration locale, reposant sur la chambre de commerce ou le conseil municipal, est proposé. Dans cette attitude conservatrice de l’esprit de localité, l’État républicain apparaît comme un centre s’opposant à sa périphérie. Dans cette construction, l’abandon du canal est à placer au compte des républicains au pouvoir à Nantes. En même temps, il est signifi catif d’une autre vision de l’espace. Elle repose sur l’acceptation du glissement du port vers l’aval et sur le développement de l’ensemble Nantes-Saint-Nazaire solidaire par rapport à l’ensemble français.
Le groupe d’intérêt, l’ingénieur et l’État
64Dans la problématique actuelle autour de la question de la séparation entre la ville et le port, on s’interroge sur la dépossession des édiles locaux de la maîtrise et du contrôle de leur port. Si l’étatisme apparaît, en partie, la conséquence de la désertion des bourgeoisies portuaires, celles-ci ont cherché au xixe siècle avant tout à agir à l’intérieur de leur relation à l’État43. Face à l’État, principal investisseur et donneur d’ordres, l’exemple de Lorient montre la part de « dynamisme de la périphérie » et de « lobbying des autorités locales civiles qui conduit à nuancer la stratégie du pouvoir central et peut expliquer certains choix44 ».
65La tension ne fait que croître, lorsque l’État empêche les velléités d’autonomie des ports, à la fin du xixe siècle. Il a du mal à trouver des relais pour ses choix, lorsqu’ils entrent en conflit avec des intérêts locaux. C’est ainsi que la chambre de commerce de Nantes, qui appuie dans un premier temps l’idée de Saint-Nazaire, est obligée de reculer, sous l’effet de la contestation. Le débat sur l’utilité du canal maritime montre la divergence entre l’intérêt local, et le choix de développement qui profite plutôt à la partie Est du pays. Le programme Freycinet repose sur un système de redistribution et cherche, d’une certaine manière, à compenser les inégalités régionales, alors que le programme Baudin signifie une centralisation renforcée, à travers un nouveau rapport avec les régions. Sans entrer dans l’analyse de ces programmes, l’État a relevé un autre défi que celui de l’équipement en voies de transport. Il s’agit de doter la France, aussi bien d’un équipement portuaire, que d’une industrie de la construction navale, et cela passe par le maintien d’un pôle nantais.
66Les intérêts de l’État sont donc multiples, et interfèrent, à leur tour, avec les intérêts locaux. Ces derniers trouvent leur spécificité, dans les rapports de force, nés dans cette différence de niveau. L’intervention de l’État ne signifie pas que la mobilisation faiblit, mais celle-ci tend davantage à protéger le groupe lui-même. Elle continue cependant à produire son effet sur le territoire. La mobilisation du groupe d’intérêt est donc importante et assure sa cohérence. La légitimité du porte-parole en dépend. Ainsi Le Cour refuse-t-il l’entrée des Chantiers nantais dans le syndicat parisien en 1899, de peur d’y être « noyés sans considération45 ». Le groupe, ici dans son expression syndicale, est d’autant plus important qu’il a la capacité de mobiliser des réseaux extérieurs. L. Bureau, président du syndicat nantais des armateurs et des industries maritimes, joue un rôle essentiel, non seulement en raison de sa compétence, de ses réseaux familiaux et professionnels au niveau local, mais aussi par ses alliances avec le comité des forges de France, l’Association de l’industrie française et le groupe de l’agriculture. Le groupe entend tirer un bénéfice de la capacité de l’individu, préposé comme porte-parole, à mobiliser des réseaux.
67Il faut parfois l’intervention du Conseil d’État pour faire échouer les projets, et indiquer les limites de l’autonomie d’un pouvoir local. C’est le cas dans le modèle de mobilisation et de stratégie mis en œuvre entre Nantes et Chantenay pour garder le contrôle du développement économique au sein de la ville. Dans ce cas précis, le jeu politique et le ralliement de la gauche républicaine, dans la perspective de la conquête du pouvoir à Nantes, ont eu un effet déterminant en 190846. Des recompositions s’opèrent donc en fonction des intérêts des individus à l’intérieur de la catégorie qui sert à les désigner, l’ingénieur, le notable… Cette recomposition s’opère sur la scène locale, au bénéfice des intérêts locaux, tels que certains individus assumant le rôle de porte-parole les ont définis. Le jeu sur les échelles, pratiqué par les acteurs locaux, semble la solution pour sortir de l’impasse, où les solutions divergentes sur l’aménagement et sur la place à accorder à Nantes conduisent. C’est pourquoi, tout en ne faisant pas l’analyse du système politico-administratif, la référence à l’État s’impose.
68Lechalas a amorcé un renversement conceptuel, en plaçant la théorie en amont de tout programme d’amélioration de la Loire. Le renoncement au canal et la loi de 1903 marquent bien le début d’une autre phase de l’aménagement. Les ingénieurs n’ont plus besoin d’être liés au milieu local, puisque la pensée globale prime et oriente ce qui se fait au niveau local. Le relatif retrait des ingénieurs des Ponts et Chaussées laisse la place pour les ingénieurs issus de l’École centrale qui ont, eux aussi, une formation assez généraliste, mais sans compétence dans la construction du territoire. Cela favorise le changement de conception, et surtout d’échelle, car le problème du développement de Nantes se pose davantage en relation avec le reste du pays, en s’intéressant de nouveau à l’arrière-pays. De même y-a-t-il un transfert d’une bourgeoisie, plutôt négociante, à une bourgeoisie davantage tournée vers l’industrie. Dans ce cadre-là, le rapport de Nantes avec Saint-Nazaire se pose autrement, comme en témoigne le développement de groupes industriels, qui ont une dimension estuarienne. La Basse-Loire devient alors une réalité, symbolisée par l’adoption de cette expression dans la raison sociale des forges de Trignac.
69Le renouvellement des élites se fonde sur une alliance, temporaire, entre une fraction de la bourgeoisie des affaires, désireuse de conquérir le pouvoir local, et une fraction des élites professionnelles, ayant des motivations d’ordre capacitaire, même si elles sont liées à l’État. En retour, ce sont les ingénieurs qui sont capables d’approprier l’espace. La question de l’amélioration de la navigation de la Loire peut donc être vue dans cette optique, au moment où se rompt justement le consensus entre le régime impérial et une partie de la société, consensus qui reposait sur la prospérité économique47. Une telle coalition apparaît circonscrite à cette période transitoire, où la question de la spécificité locale est posée en même temps que se passe le renouvellement des élites. D’une certaine façon, Jégou, ingénieur d’État et notable, incarne ce système et son rejet. L’association des ingénieurs civils avec la nouvelle bourgeoisie d’affaires, est moins directement productrice d’une territorialité, car ces nouvelles élites posent le problème de l’aménagement à une autre échelle. Ces élites de la fin du siècle sont formées dans un moule scolaire qui leur donne le sens du général. Si le modèle républicain s’appuie sur une meilleure représentation des groupes d’intérêts, et recherche des liaisons commodes entre le centre et la périphérie, la résistance d’une certaine bourgeoisie maritime montre que le problème n’est pas réglé. La contestation de la légitimité de l’ingénieur de l’État prend peut-être sa source dans ces alliances, nouées au niveau local, et dans ces rapports difficiles entre le niveau de l’État et le niveau global.
70L’analyse d’un aménagement et des rapports sociaux, qui le sous-tendent, ne peut pas se conduire, sans tenir compte de ces enjeux scalaires. Plus que le système, c’est le réseau qui permet de comprendre le caractère idéal-typique de l’ingénieur en situation intermédiaire entre l’État et la société locale, et mettant en œuvre une rationalité technique. Or, un ensemble de contraintes et de déterminations, familiales, sociales, scolaires, ainsi que les diverses formes de sociabilité, interfèrent avec le fonctionnement vertical et expliquent autrement le couple formé par l’ingénieur et le notable. La notion de réseau permet aussi de rendre compte des solidarités et des rapports de force. Dans les questions d’aménagement, des coalitions se forment entre des acteurs, que l’on peut donc à juste titre appeler entrepreneurs, car ils visent à produire du territoire, mais ces ententes sont circonscrites dans le temps.
Notes de bas de page
1 Offerlé M., Sociologie des groupes d’intérêt, Paris, Montchrestien, 1994., p. 142.
2 Thoenig J.-C., L’ère des technocrates, op. cit., p. 29-30.
3 Gaudin J.-P., L’aménagement de la société, Paris, Anthropos, 1979, p. 154.
4 Blanloeil C., De l’institut départemental à la Société académique de Nantes et de la Loire-Inférieure : une société savante en province au xixe siècle, Nantes, thèse, 1992.
5 Chambre de commerce de Nantes, Canal maritime, 1865, op. cit.
6 Frambourg G., Un philanthrope démocrate nantais, le docteur Guépin, s.e., 1964.
7 Blayau N., Billault ministre de Napoléon III d’après ses papiers personnels 1805-1863, C. Klincksieck, 1967, p. 106-108.
8 Bourdieu P., Raisons pratiques, Seuil, coll. Points, 1994, p. 24 : « Une propriété distinctive [...] ne devient une différence visible, perceptible, non indifférente, socialement pertinente, que si elle est perçue par quelqu’un capable de faire la différence. »
9 Jouve H., Dictionnaire biographique de la Loire-Inférieure, 1895.
10 Barreau J. (dir.) Un grand lycée de province, Nantes, éd de l’Albaron, 1992.
11 Sur ces questions d’enseignement, voir M. Launay, op. cit.
12 Livre d’or du centenaire 1808-1908, Imp. du commerce, 1909.
13 Massardier G., Expertise et aménagement du territoire. L’État savant, Paris, L’Harmattan, 1996.
14 Richomme C., Nantes et sa conquête de l’eau, Nantes, Opéra Éditions, 1997, p. 236-252.
15 Le Marec Y., op. cit., p. 240-253 et p. 817-818.
16 Di Méo G., L’Homme, la Société, l’Espace, Anthropos, 1991, pour une approche de géographe.
17 Voir L Atour B., Nous n’avons jamais été modernes, La Découverte, 1997, p. 110-111.
18 Darcy, Recherches expérimentales relatives au mouvement de l’eau, 1857.
19 Goubert J.-P., La conquête de l’eau, Paris, Robert Laffont, 1986.
20 Richomme C., op. cit., p. 157-162.
21 Rapport de décembre 1846 sur l’agrandissement du port de Nantes.
22 Thoenig J.-Cl., op. cit. ; Marquis J.-Cl., op. cit.
23 Pour situer la problématique sur le terrain du groupe professionnel, voir Charle C., « Intellectuels, Bildungsbürgertum et professions au xixe siècle », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 1995, n° 106-107, p. 85-95.
24 Bienvenu G., « Les institutions de l’architecture et la fondation de la Société des Architectes de Nantes en 1846 », Bulletin de la Société archéologique de Nantes et de la Loire-Atlantique, 1985, t. 121, p. 123-141.
25 Bienvenu G., « La Société des Architectes de Nantes. Relations avec la mairie de Nantes au xixe siècle », Bull. Soc archéologique et historique de Nantes, 1986, t. 122, p. 230.
26 Dhombres N. et J., Naissance d’un nouveau pouvoir. Sciences et savants en France (1793-1824), Payot : exemples de Prony, Sadi Carnot ou de La Gournerie.
27 Richomme C., op. cit., p. 227-256.
28 Seitz F., « Architectes et ingénieurs : l’Exposition de 1889 », RHMC, 1992, n° 39, p. 483-492.
29 Picon A., L’art de l’ingénieur constructeur, entrepreneur, inventeur, Le Moniteur et Centre Georges Pompidou, 1997, p. 388 : finalement l’État impose une définition de l’ingénieur scolarisé.
30 Bergeron L., Les capitalistes en France 1780-1914, Paris, Gallimard, 1978 : seule une minorité peut recréer les systèmes familiaux de pouvoirs et se transmettre les postes, comme Ernest Gouin.
31 Kerezeon M., Les ateliers et chantiers de Bretagne 1895-1909-1968, Maulévrier, éditions Hérault, 1995.
32 Vernon-Harcourt L.-V. et Partiot L., The training of rivers and estuaries, London, The Institution of Civil Engineers, 1894.
33 Il s’agit de Bourdin, Bordillon, Bonfante, Jamin, Liébaut.
34 Schwob M., « Le port de Nantes », Annales de la Société académique de Nantes, 1897, p. 32.
35 La Loire navigable. Note pour les conseillers généraux, Imp. Schwob, 1899.
36 Grémion P., Le pouvoir périphérique, bureaucrates et notables dans le système politique français, Paris, Seuil, 1976.
37 L’autonomie des villes écossaises se prolonge par le « municipalisme », analysé par Rodger R., « L’interventionnisme municipal en Écosse 1860-1914... », Genèses, 1993, n° 10, p. 6-30.
38 Martin J.-C., La Vendée de la mémoire, Paris, Seuil, 1989, p. 134.
39 Fontvieille L., Évolution et croissance de l’administration départementale française 1815-1974, Cahiers de l’Institut de sciences mathématiques et économiques appliquées, Série AF, n° 14, 1981, p. 4 : préface de J. Marczewski.
40 Voir R Emaud Y., La défense des intérêts nantais au Parlement 1896-1914, Nantes, maîtrise 1981.
41 Le Gouriérec Th., Réponse au discours de M. Laisant, Imp. Paul Plédran, 1879, p. 10.
42 Schwob M., « Le port de Nantes », ASAN, 1897, p. 25-48.
43 Collin M., « Port et ville portuaire », in Villes portuaires et enjeux portuaires, Paradigme, 1991, p. 181.
44 Le Bouëdec G., Le port et l’arsenal de Lorient, de la compagnie des Indes à la Marine cuirassée, Lorient-Paris, Librairie de l’Inde, 1994, p. 779.
45 Pétré-Grenouilleau O., Négoce maritime, op. cit., p. 624 : Lettre du 15 décembre 1899, pap. priv.
46 Ibid., p. 292-297.
47 Pour la signification de ces rapports de force au niveau global et la chronologie, voir Charle C., « Légitimités en péril. Éléments pour une histoire comparée des élites et de l’État en France et en Europe occidentale (xixe-xxe siècles) », ARSS, 1997, n° 116-117, p. 39-52.
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