Catégorisation et discrimination des Algériens dans les politiques du logement à Lyon (1950-1970)
p. 133-153
Texte intégral
1« Français musulmans d’Algérie », « main-d’œuvre algérienne », « travailleurs nord-africains en métropole », « travailleurs musulmans originaires d’Algérie », « ouvriers français de souche algérienne » : au cours des années 1950-1970, le large éventail d’appellations1 désignant les populations venues d’Algérie souligne autant leur fonction économique que leur origine géographique et un statut personnel. L’usage de cette classification sans relation avec les nomenclatures juridico-administratives existantes révèle l’empreinte de « l’exception coloniale algérienne ». En effet, l’histoire de la conquête d’Algérie s’est objectivée dans un dispositif politico-administratif de classement dont les catégories diffèrent de celles employées à l’égard des étrangers2. Si dans les documents administratifs la référence à la catégorie « Algérien » est prohibée, son acceptation politique relève d’une situation « paradoxale3 ». La loi organique du 20 septembre 1947 fixant les statuts de l’Algérie étend la citoyenneté française à l’ensemble des habitants mais continue à les distinguer selon un statut personnel comme l’illustre la catégorie de « Français musulman », une juxtaposition entre le critère de citoyenneté et le statut religieux. En métropole, la classification est très empirique et les populations sont dénombrées sous le vocable « nord-africain4 ». Cependant, à partir du recensement de 1954, la catégorie « musulmans originaires d’Algérie » désigne les « personnes nées en Algérie ayant à la fois un nom et un prénom à consonance arabe ou berbère » et la catégorie « Français de naissance originaires d’Algérie » désigne ceux qui ont « un prénom chrétien ou israélite5 ».
2À partir de la mise en œuvre de cette catégorisation, l’objectif de cet article est d’analyser une séquence historique6 dans l’histoire du logement de l’agglomération lyonnaise, à savoir la période de formalisation par les pouvoirs publics7, suivis par les acteurs du logement social, d’une « mise à l’écart » des Algériens8 puis de l’interdiction de leur installation dans certains quartiers (circulaires du 15 juin 1970 et du 30 novembre de la même année sur les nouveaux arrivants). Ces dispositifs furent légitimés par des normes, dont la plus connue est qualifiée de « seuil de tolérance9 », dans un contexte national complexe (effets de la décolonisation ; augmentation du nombre de travailleurs immigrés ; politique de construction massive de logement sociaux ; résorption de l’habitat insalubre, etc.).
3Dans quelle mesure ce raisonnement techniquement codifié par un outil proportionnel s’impose comme une « évidence sociale » et détermine la « limite acceptable » des populations immigrées10 ? Le récit historique, alimenté par des documents archivés par les services de la préfecture du Rhône11, permet de suivre les effets de cette différenciation comme un mode d’action spécifique de la politique du logement envers les populations venues d’Algérie.
La gestion des Algériens en métropole : une discrimination avérée
4L’adoption de la circulaire du 2 novembre 1947 ouvre les frontières de la métropole aux populations venues d’Algérie (principe de libre circulation) et oblige à repenser toute l’organisation administrative pour la rendre compatible avec le principe désormais admis de leur intégration dans le droit commun. Pourtant, les découpages retenus pour décrire ces populations font apparaître, en creux, une lecture particulière de la citoyenneté. Celle-ci se manifeste dans la catégorie « Français musulman d’Algérie » (FMA), aux définitions juridique et conceptuelle relativement ambiguës. En effet, le traitement particulier réservé aux FMA révèle les « écarts existants entre le droit et les usages du droit12 » et l’introduction d’une catégorisation qui ne dit pas son nom au sein du régime de citoyenneté en métropole13. Les services administratifs sont dès lors soumis à une forte contradiction, faciliter l’arrivée des travailleurs provenant des « départements » algériens14 et les désigner par des catégories statistiques ethno-religieuses. Ce mode de catégorisation est largement utilisé dans les politiques du logement, soulignant la volonté de mise en ordre social de ces populations15.
Recenser et contrôler les FMA : l’élaboration d’enquêtes dites sociales
5À partir de 1948, les ministères de l’Intérieur et du Travail se répartissent leurs champs de compétences16 : tandis que le premier se spécialise dans l’aménagement de centres d’accueil, de passage et d’orientation pour les indigents17, le ministère du Travail s’applique à développer les cantonnements d’entreprise ou à susciter la création de centres ou de foyers d’hébergement pour les travailleurs salariés18.
6La guerre d’Algérie transforme cette gestion administrative avec la création, en 1958, du service des Affaires musulmanes et de l’Action sociale (SAMAS). Rattaché directement au cabinet du ministre de l’Intérieur, il se voit confier la mission de coordonner « toutes les questions d’ordre social concernant les FMA de métropole19 ». Une note du responsable du SAMAS précise la fonction des conseillers techniques, oscillant entre une mission d’ordre public (lutter contre la propagation des idées indépendantistes) et une mission d’action sociale. Ainsi s’engage un vaste travail de collecte d’informations, recensements élaborés à partir de « tableaux de bord » révélant « l’effectif, l’origine, les déplacements, l’appartenance aux groupements ethniques, religieux, syndicaux et politiques », afin « d’agir sur l’état d’esprit de la migration algérienne20 ». Le premier document recensé dans les archives départementales du Rhône porte sur une Enquête sociale sur les conditions d’emploi et de logement offertes aux travailleurs musulmans originaires d’Algérie dans l’agglomération lyonnaise et le département du Rhône21. Pour obtenir ces renseignements, les services préfectoraux envoient un questionnaire aux chefs d’entreprise du département22 afin de cartographier la répartition de ces travailleurs dans l’espace urbain (cf. encadré 1).
7D’un point de vue méthodologique, les tableaux figurés ci-dessous (figures 1 et 2) représentent une vision partielle de la réalité dans la mesure où ils sont établis à partir de quelques réponses. Pourtant, ils sont essentiels pour le chercheur car, outre le fait qu’ils démontrent que les services préfectoraux ne sont pas en mesure de localiser les populations venues d’Algérie et ce malgré une catégorisation assez poussée, ces documents constituent la base doctrinale des services administratifs, dans leur volonté d’objectiver le peuplement des Algériens. Ils soulignent les objectifs contradictoires tels que « se soucier des conditions de logements de ces citoyens », une main-d’œuvre indispensable à l’économie du pays et surtout « éviter leur concentration ». Sur ce dernier aspect, la lecture attentive du paragraphe 7 du questionnaire est particulièrement éloquente. Les services préfectoraux demandent en effet aux acteurs interrogés qu’ils signalent « les problèmes particuliers posés par une forte concentration des travailleurs ou des familles musulmanes dans un quartier ou un îlot déterminé (délimiter sur une carte le périmètre de ce quartier ou de cet îlot en précisant dans toute la mesure du possible le nombre de musulmans et leur pourcentage par rapport à la population du quartier ou de l’îlot considéré) ». Ainsi, nous voyons poindre rapidement l’émergence de la notion de « concentration » comme futur problème dans la ville.
Encadré 1 : Questionnaire transmis aux chefs d’entreprises du département du Rhône.
Questionnaire
I – Physionomie générale du logement dans la ville de … ou l’agglomération de …
a – nombre des familles musulmanes ou mixtes (tableau a établir par familles de 2, 3, 4 personnes etc.) ;
b – augmentation ou diminution éventuelle du nombre de ces familles en chiffres absolus et en pourcentage du 1er janvier au 31 décembre 1960 (si possible 1er trimestre 1961) ;
c – ressources (allocations familiales non comprises).
II – État qualitatif du logement
a – nombre de familles correctement logées, au 1er juin 1961 en :
logéco ;
HLM ;
employeurs ;
accession a la propriété ;
logements de service.
b – nombre de familles logées dans des conditions défectueuses (surpeuplement, immeubles vétustes, etc.) ;
c – nombre de familles très mal logées (immeubles insalubres, taudis, caves, roulottes, bidonvilles).
III – Promotion
a – nombre de familles susceptibles d’accéder immédiatement a des logements-types
Logéco ou HLM ;
b – nombre de familles pour lesquelles une solution transitoire est rendue nécessaire.
IV – Besoins en logements
– de type HLM ou logéco ;
– de type transit.
En fonction de la migration et de l’évolution prévisible de la situation démographique et économique (expansion régionale – décentralisation – ouverture de chantiers) à partir du 1er janvier 1962 et suivant un plan éventuellement échelonné de … logements par an
V – Terrains (indiquer la surface des terrains)
VI – Financements – concours locaux
VII – Signaler les problèmes particuliers posés par une forte concentration des travailleurs ou de familles musulmanes dans un quartier ou un ilot déterminé (déterminer sur une carte le périmètre de ce quartier ou de cet îlot en précisant dans toute la mesure du possible le nombre de musulmans et leur pourcentage par rapport à la population du quartier ou de l’îlot considéré).
Source : ADR 248 W 251 – SAMAS 25 mai 1961.
8Cette courte séquence historique (fin des années 1950-début 1960) est extrêmement intéressante car elle souligne les injonctions contradictoires auxquelles sont soumis les SAMAS : alors que la guerre d’Algérie conduit à un contrôle des populations, voire à une limitation de l’émigration, le patronat milite pour une accélération du nombre de travailleurs. La multiplication des « enquêtes sociales » souligne le caractère contradictoire de la situation : recenser les « travailleurs ou les familles musulmanes » et engager une politique sociale du logement afin d’enrayer les velléités indépendantistes.
Le paradoxe français : loger les Algériens
9À la fin des années 1950, deux structures viennent traduire l’action sociale des services étatiques (SAMAS23 puis SLPM24) : la Sonacotral25 et la Logirel26. Cette « politique du logement » bénéficie pour une part d’une nouvelle source de financement mise en place par le SAMAS en décembre 1958, le Fonds d’action sociale pour les travailleurs algériens et leurs familles27 (FAS).
10À l’instar des questionnaires soumis au patronat, des enquêtes conduites dans les centres d’hébergement permettent de poursuivre l’idée d’objectivation des conditions de logement des travailleurs. Le mode de désignation différencié est toujours en vigueur, la répartition des travailleurs étant établie suivant l’« origine ethnique : main-d’œuvre française de souche métropolitaine ; main-d’œuvre française de souche algérienne ; main-d’œuvre étrangère28 ».
11C’est dans ce contexte qu’est promulguée la circulaire du 16 décembre 1958 sur l’« admission dans les foyers d’hébergement construits pour les ouvriers français originaires d’Algérie d’ouvriers de souche métropolitaine ou étrangers ». En effet, le document s’attache à montrer l’opportunité de « faire cohabiter » les « ouvriers français de souche algérienne et les ouvriers de souche métropolitaine ou étrangère », notamment parce que « dans les centres d’hébergement où n’étaient logés que des travailleurs originaires d’Algérie, l’atmosphère tribale se recréait aussitôt29 ».
12Le texte précise par ailleurs que la modification des statuts de la Sonacotral permettrait d’effectuer un « brassage » entre les différentes « catégories ethniques » en demandant aux conseillers techniques pour les affaires musulmanes le « pourcentage d’occupation des centres pour chaque catégorie de travailleurs ». Ces documents pointent la citoyenneté paradoxale des FMA : l’ethnicité est toujours mise en avant, couplée dès 1958 à la notion de pourcentage.
13Les objectifs fixés à la Sonacotral traduisent également les objectifs assimilationnistes et politiques assignés aux conseillers techniques : il s’agit bien de civiliser ces travailleurs tout en enrayant les idées indépendantistes.
« Ordre social – Le principal avantage qu’on lui reconnaît est qu’il est de nature à favoriser une évolution des Musulmans vers l’intégration dans notre vie sociale et économique en luttant efficacement contre le repliement sur eux-mêmes auquel les conduit naturellement le regroupement entre eux. […]
Ordre politique – L’admission d’ouvriers de souche européenne parmi les musulmans aurait pour effet de contrarier dans une certaine mesure la propagande du FLN. […]
Ordre financier – Les foyers étant assurés de faire constamment le plein, leur fonctionnement ne poserait plus de problème du point de vue financier30. »
14La construction de cités de transit répond également à cette mission. En effet, ces formes d’habitat éducatif, souvent construites lors de la destruction de bidonvilles31, constituent la phase « transitoire » et provisoire (du moins en théorie) avant l’accès à un logement HLM « normal32 ». La circulaire du SAMAS datée du 12 mai 1958 précise la nécessité de construire « plusieurs cités de transit dans un but de dépannage et d’action éducative auprès des familles musulmanes avant leur admission, dans des conditions de droit commun, dans des cités de logement33 ». Selon les méthodes d’enquêtes élaborées par R. Auzelle34, urbaniste en chef au MRU, ces « cités de rééducation sociale » sont placées sous l’autorité d’une assistante sociale, chargée d’évaluer le niveau social des familles à reloger35.
15Dans un souci toujours de « brassage » et afin d’éviter ce qu’il considère comme une éventuelle « ségrégation », le conseiller technique lyonnais refuse de faire financer par la Sonacotral un « programme particulier de construction de logements pour les familles musulmanes », préconisant leur prise en charge à la fois par les organismes gestionnaires du département et par les employeurs : « [Ces organismes pourraient leur] attribuer un pourcentage normal d’habitations. » Pourtant, face à l’augmentation des mouvements familiaux entre l’Algérie et la métropole36, le ministère de l’Intérieur reprend l’idée de créer une « société HLM dans le cadre de la Sonacotral de manière à participer à l’effort général de construction ». Il faudra attendre 1960 pour que la Sonacotral puisse créer une filiale de logements sociaux, la Logirel. Cependant, à partir de 1963, les crédits du FAS s’orientent principalement en direction des « travailleurs isolés » avec la construction de foyers37.
« La société HLM Logirel a pour objet essentiel de loger les familles musulmanes mais bien entendu, afin d’éviter toute ségrégation, il est exclu de ne loger que des familles musulmanes dans les constructions “Logirel”. Au contraire, suivant chaque opération, il est prévu certaines proportions entre les familles musulmanes et les familles métropolitaines afin d’envisager de procéder avec les offices et sociétés HLM de chaque région, à des échanges de manière à permettre le meilleur brassage possible38. »
16Jusqu’au début des années 1960, le mode d’action privilégié de la politique du logement est basé sur la différenciation, les populations venues d’Algérie se trouvant cantonnées à des logements répondant à des normes de confort inférieures ou spécifiques (foyers, cités de transit). Par ailleurs, les instruments statistiques utilisés pour leur gestion révèlent les représentations qui sont celles de l’administration sur la religion, les mœurs et les coutumes de ces populations. Enfin, les statuts mêmes de la Logirel révèlent l’ambiguïté qu’il y a à répondre aux problèmes de logements des Algériens tout en limitant leur nombre (apparition du paradigme proportionnel) afin d’obtenir, en théorie, un mélange avec les populations françaises. Ce dernier point doit être souligné car, dès la création de la désignation des Algériens, de vifs débats ont porté sur leur « degré d’assimilabilité39 », révélant une hiérarchisation raciale contraire aux principes égalitaires. Si cette notion a disparu des textes juridiques, dans la pratique, la dimension ethnique a largement contenu cette idée de non adaptation aux « normes françaises ».
La normalisation du raisonnement proportionnel : un outil discriminant
17Durant les années 1960-1970, la gestion administrative des Algériens est réorientée avec notamment un changement significatif dans la désignation : de « Français relatif », ils accèdent à un nouveau statut, celui d’Algérien, et deviennent ainsi étrangers sans avoir migré. Si, dans les pratiques, cette classification n’a que peu d’incidence (la dimension ethnique étant largement présente), on assiste pourtant à une libération du discours. Les Algériens n’étant plus considérés comme des citoyens, leur gestion relève désormais de la politique d’immigration. Les peurs présentes auparavant (concentration, non adaptation/assimilabilité/ethnicité) s’affichent clairement dans le débat public. Par exemple, les dispositions de 1964 relatives à la politique d’immigration pratiquent la différenciation ethnique parmi les populations migrantes : l’ouverture vers les pays européens est préférée à celle en direction des pays du Tiers-monde, notamment des anciennes colonies40. Le rapport Calvez41, du nom du président de la Confédération générale des cadres publié en février 1969, fait état des difficultés d’assimilation de certaines nationalités et préconise une action en faveur de l’immigration des familles appartenant aux nationalités « les plus proches culturellement et donc les plus intégrables », en misant sur le séjour temporaire de ceux qui semblent ne pas pouvoir s’acculturer rapidement.
18Au cours de cette période, on assiste à une montée en puissance du paradigme lié au raisonnement proportionnel : des seuils, quotas et autres proportions fleurissent dans le débat public et n’ont pour objectif que de limiter la concentration de ces populations. Institués comme une évidence sociale, ces chiffres expriment l’idée qu’à partir d’une certaine proportion d’étrangers au sein d’une population donnée, des problèmes sociaux apparaissent. Ces tensions se traduiraient alors par divers aspects : le retrait des enfants des écoles où la proportion importante d’élèves étrangers provoque des retards scolaires, des heurts de cohabitations dus aux grandes différences culturelles, des pratiques culinaires ou vestimentaires trop voyantes, etc. Dès 1970, le directeur du SLPM traduit cette approche différentialiste, au travers de quotas d’étrangers, corrélant ainsi la proportion d’étrangers aux différences culturelles.
« Dans une classe primaire, la présence de plus de 20 % d’enfants étrangers ralentit la progression de l’ensemble des élèves. Dans un service hospitalier, des problèmes de coexistence se posent lorsque des étrangers représentent plus de 30 % du nombre des malades. Dans un immeuble, il est peu sage de répartir plus de 10 à 15 % de familles d’origine étrangère lorsque celles-ci ne sont pas accoutumées à la vie d’un habitat moderne42. »
Le rejet des immigrés commence à l’école…
19Au début des années 1970, le préfet du Rhône transmet une circulaire sur la « limitation de l’admission des familles étrangères » (15 juin 1970) qui détermine des quartiers interdits à leur installation, ayant constaté « une trop grande concentration d’immigrés dans certains quartiers ». Dans ce document, aucune communauté n’est directement concernée car la loi interdit « les mesures discriminatoires [qui pourraient n’]appliquer cette règle qu’aux familles algériennes, marocaines et tunisiennes43 ». En réalité, dans les discours et les pratiques, ce sont ces dernières qui sont directement ciblées par cette exclusion comme en témoigne la même note du ministère de l’Intérieur sur l’exclusion de familles de travailleurs nord-africains :
« Dans ces secteurs, la proportion des élèves étrangers dans les écoles dépasse souvent 50 % ce qui ne manque pas de soulever de multiples difficultés.
[…] L’examen de votre rapport [du préfet] me conduit à penser que cette augmentation de la densité de la population dans certaines circonscriptions est due, pour une large part, à la création dans quelques communes de nouveaux ensembles immobiliers dont la plupart des logements sont attribués à des immigrés44. »
20La circulaire interdit l’admission de nouvelles familles en provenance directe de leur pays d’origine dont le logement se situerait dans les périmètres de recrutement des écoles dans lesquelles « la proportion d’enfants étrangers dépasse 45 % » (cf. figure 3). Pourtant, le ministre ne s’appuie sur aucune étude statistique mais sur les représentations couramment véhiculées par les services administratifs depuis les années 1950 et les doléances récurrentes des élus et de certains habitants46.
21La diffusion de cette circulaire, inédite dans sa restriction à la libre installation des familles immigrées dans l’agglomération, suscite de vives réactions de la part des autorités religieuses et des associations, dont le comité de liaison des organisations du Rhône pour l’accueil des travailleurs étrangers47. Ce groupement associatif48, mal à l’aise avec ces mesures d’interdiction, souligne que les services préfectoraux ne s’attaquent pas aux causes profondes de la situation (l’accès difficile des étrangers au logement social) mais se focalisent sur la concentration d’étrangers dans certains quartiers. Il est intéressant de noter que même si les associations préconisent l’engagement par l’État d’une politique de logement de grande ampleur, elles ne remettent pas en cause le climat xénophobe envers les étrangers, l’expliquant essentiellement par l’absence de bonnes conditions de logement pour les Français eux-mêmes. Le courrier souligne la « détérioration des relations entre Français et étrangers » et la recrudescence de plaintes de Français envers les étrangers, d’attitudes malveillantes à leur égard et la multiplication des témoignages de travailleurs étrangers contre le « racisme » des Français.
22Les périmètres scolaires de « concentration d’étrangers » ne sont pas non plus critiqués, le groupement associatif corroborant l’existence de cette situation : « Les inquiétudes des parents français sont partagées par les familles étrangères les plus conscientes. »
23En novembre 1970, le préfet répond à ces critiques en publiant une nouvelle circulaire49 qui justifie cette interdiction : « Éviter qu’il ne se crée à l’intérieur du tissu urbain lyonnais de véritables “médinas” inaccessibles aux assistantes sociales et même à la police50 » ; et répondre à l’hostilité des Français51 envers les étrangers.
« Ces plaintes, qui prennent la forme souvent de pétitions et comportant des centaines de signatures, […] émanaient de personnes troublées dans leur quiétude ou ayant à se plaindre de dégradations et parfois d’agressions de la part d’enfants ou d’adolescents étrangers. Dans quelques cas, les signataires de ces plaintes, à la limite de l’exaspération, menaçaient de “faire eux-mêmes leur police” si des mesures n’étaient pas prises. »
« Les doléances émanent de parents français très inquiets pour l’instruction de leurs enfants. Parmi eux, certains ont retiré leurs enfants de l’école de leur quartier pour les faire admettre dans d’autres écoles généralement privées. »
24Les craintes sont cette fois directement liées aux comportements des enfants des ménages immigrés, reprenant les représentations véhiculées, soulignées dans la circulaire comme des « constats objectifs ». Le premier « constat » porte sur l’acceptabilité du nombre d’étrangers dans un quartier, évoquée sous l’appellation « proportion de familles étrangères qu’il est sociologiquement recommandé de ne pas dépasser dans un lieu donné pour que règne une bonne harmonie entre des communautés d’habitude parfois dissemblables ». Si l’expression « seuil de tolérance » n’est pas explicitement employée, il apparaît que cette idée de « seuil quantitatif » se dégage, le préfet précisant qu’à l’échelle nationale, « le pourcentage retenu est de 15 % mais […] il peut atteindre 20 % ». Plus loin, le texte souligne que cette mesure d’interdiction concerne les quartiers dont « la proportion des enfants étrangers atteint ou dépasse 45 % d’élèves dans les écoles », un chiffre dépassant le « seuil critique à partir duquel des problèmes scolaires se posent », les sociologues fixant ce seuil à 30 %52. Le second « constat » porte sur le travail des services sociaux chargés d’effectuer les enquêtes sociales auprès des familles et travailleurs étrangers. Selon le préfet, ces administrations feraient preuve d’une « trop grande mansuétude » et délivreraient des « avis favorables d’attente » alors que les conditions de logement seraient insuffisantes. Le troisième « constat » porte sur les « mensonges » des demandeurs de régularisation sur la location d’un « logement réel » et par conséquent de l’absence de vérification par les services préfectoraux de l’existence réelle d’un logement. Enfin le dernier « constat » repose sur l’augmentation croissante de familles en situation clandestine, bénéficiant d’un visa de tourisme et qui restent en France au-delà des trois mois autorisés.
25Cette situation obligerait ainsi les pouvoirs publics non pas à prendre des mesures nouvelles mais à rappeler les « dispositions réglementaires relatives à l’installation des familles étrangères ». Ce document est particulièrement éloquent dans la mesure où il gomme toute référence à l’interdiction et à l’exclusion pour mettre l’accent sur les réglementations existantes et sur les difficultés de cohabitation entre Français et immigrés (la référence au seuil de tolérance et aux pourcentages est désormais récurrente). Il met enfin l’accent sur le fait que ces mesures s’apparentent à une « action éducative sociale » qui devrait améliorer le bien-être des familles immigrées grâce à des « conditions de regroupement […] le plus favorable possible tant sur le plan matériel que sur le plan psychologique ».
26Ces deux circulaires s’inscrivent dans ce courant différentialiste qui met en avant l’idée que la cohabitation interethnique nécessite un certain dosage. Ainsi, l’enquête d’opinion publique de l’INED publiée en 197153 fait très explicitement référence à l’idée qu’il existe une « proportion d’étrangers à ne pas dépasser » dans une ville, un ensemble de logements ou encore une école54. Au-delà de ce « seuil », se manifestent des attitudes de rejet voire de racisme par les autochtones. Si cette enquête a fait l’objet de nombreuses critiques55, notamment du fait de l’imposition de l’idée de seuil par la formulation même des questions, elle a néanmoins participé à la diffusion de la notion et cautionné l’idée que l’immigration « fait problème ».
… se poursuit dans le logement avec la « règle des 15 % »…
27À la suite de ces deux circulaires centrées sur l’acceptation de nouveaux ménages immigrés dans l’agglomération, cette « recette proportionnelle » est alors recommandée dans le peuplement des logements HLM, particulièrement dans la gestion de la vacance. Au cours de l’année 1973, le préfet tente de faire adhérer les organismes gestionnaires à cette « réglementation » au travers de courriers de recommandations et de réunions, les crédits publics alloués par le FAS aux organismes gestionnaires tels que Logirel permettant de « limiter » l’acceptation des Maghrébins (nouvelle catégorisation à l’œuvre).
« Au cours d’une récente réunion consacrée à l’encadrement social des grands ensembles, il a été souligné que certains programmes HLM comportaient un pourcentage de familles étrangères particulièrement élevé. C’est ainsi que dans la ZUP de Vaulx-en-Velin, on a pu noter, sur 350 logements attribués, 26 % de ménages étrangers dont 13 % de maghrébins, ce qui correspond à une population étrangère de 36 %, 47 % d’enfants étant de nationalité étrangère dont 29 % de maghrébins.
Il est certes possible que cet ensemble de logements ne soit pas représentatif de toute cette ZUP. Il est néanmoins apparu que seule une observation très stricte des pourcentages admis jusqu’à présent permet ou facilite l’adaptation de ces familles.
Or, seules les sociétés constructrices sont à même de vérifier que les réservations – au titre du FAS, de l’arrêté du 5 août 1971, du 0,90 % et de divers autres contingents – respectent les proportions fixées56. »
28En 1974, les services préfectoraux « commanditent » une enquête sur le logement des familles étrangères, en assemblant les pourcentages de familles en plusieurs groupes, classification héritée des pratiques administratives coloniales. En décembre 1974, une note synthétise les résultats obtenus pour chaque organisme et mentionne des préconisations sur le peuplement dans les logements vacants.
« Il semblerait indiqué que vos propositions d’affectation d’appartements devenant vacants portent en priorité sur des logements compris dans les groupes comportant les plus faibles pourcentages de familles étrangères. Il me paraît opportun :
- dans les groupes où le pourcentage d’étrangers est supérieur à 25, de remplacer au moment de leur départ, les familles étrangères par des familles françaises ;
- de ne plus introduire de familles étrangères dans les groupes où elles représentent plus de 15 % des occupants57. »
29Le « seuil maximal » de familles étrangères (15 % dont 5 % de Maghrébins) à accepter dans le parc social ne fait l’objet d’aucun débat parmi les organismes gestionnaires et indique l’institutionnalisation de cette norme. L’utilisation récurrente de statistiques (réelles ou supposées) par les acteurs de terrain et les services publics installe cet outil comme une « évidence empirique ». Par ailleurs, le recours constant au rejet des Français (relations de voisinage et école) fait fonctionner ce seuil comme une théorie interprétative basée sur l’existence d’une corrélation entre taux d’immigrés et relations interethniques.
30Ce souci de limiter la proportion des immigrés se poursuit lors des actions menées dans le cadre de la résorption de l’habitat insalubre qui s’opère, dans le centre-ville de Lyon, par la démolition de taudis, garnis et meublés. Au cours de la préparation du VIIe plan et suite aux questionnaires transmis par les organismes gestionnaires sur la répartition des familles étrangères dans l’agglomération, la question de la concentration des étrangers dans les quartiers centraux est clairement dénoncée et les mêmes « constats objectifs » de « rejet très localisés » par les familles françaises se lisent.
« Les centres-villes devront faire l’objet de mesures tendant à éviter la ségrégation qui s’établit quand un vieux quartier se trouve colonisé par une population étrangère peu soucieuse de confort et attentive à économiser sur les loyers. […] Parmi les zones saturées où l’on constate la présence d’une forte population étrangère avec des phénomènes de rejet très localisés, il convient de citer dans le Rhône : Lyon 1e -4e -5e ; Caluire ; Villeurbanne ; Vaulx-en-Velin ; Saint-Priest ; Vénissieux ; Pierre-Bénite ; Oullins ; Villefranche ; Givors ; Saint- Fons. […]
Au-delà d’un certain taux d’occupation, la population autochtone déserte les immeubles en cause et des ghettos se constituent, en particulier à Lyon où quelques ensembles immobiliers comptent de 60 à 100 % d’étrangers principalement nord-africains.
[…] La prévention doit être envisagée au niveau même de l’immigration. Il est en effet évident que l’excessive concentration engendre l’inadaptation et à terme, la délinquance58. »
31La synthèse émanant du SLPM sur la situation en 1974, date de l’arrêt de l’immigration, sur le logement des familles étrangères dans le département du Rhône traduit la difficulté des pouvoirs publics à apporter une solution à ce problème, défini à la fois par des obligations réglementaires – le relogement à la suite de la démolition de bidonvilles ou de taudis – et l’instauration de quotas d’acceptabilité des familles étrangères dans un quartier. Ce document souligne cette contrainte du seul fait de la restriction et de l’interdiction.
« Si l’on considère que 5 % seulement d’un programme HLM peut être attribué à des familles du Maghreb, il faudrait dans le département du Rhône mettre à la disposition des classes sociales les plus démunies 40 000 logements HLM pour résorber le retard pris dans le relogement de cette catégorie d’étrangers. […] En définitive, le problème du relogement des familles nord-africaines ne pourra jamais être complètement résolu, même avec un arrêt total de l’immigration familiale, sans un effort du gouvernement et la compréhension de la population française59. »
32Le document se poursuit avec le danger encouru par le dépassement des « normes fixées par les sociologues » : la « défection des familles françaises et étrangères européennes » et la vacance inéluctable. En effet, comme les organismes gestionnaires ne peuvent laisser des logements inoccupés, « la seule clientèle qui accepte alors ces appartement est étrangère nord-africaine ». Face à constat d’impuissance, la question des seuils est relancée au sujet des régies privées, qui ne sont pas « tenues de respecter les pourcentages précités » et à qui les services préfectoraux reprochent d’accepter « facilement ces familles ». Là encore, le même type d’argumentaire prévaut pour souligner la concentration des familles immigrées comme source de problèmes : les vols et attaques à main armée dont on accusait les travailleurs des cantonnements dans les années 1950 ont fait place à la constitution de ghettos où sévit la délinquance juvénile.
33Les pratiques de gestion révèlent le caractère consensuel des « quotas » fixés par les pouvoirs publics, sous couvert de travaux dits sociologiques comme les enquêtes d’opinion de l’INED, et la nécessité de répartir les immigrés dans l’agglomération.
… et devient une norme
34Pour terminer le récit de cette séquence historique, il est intéressant de mobiliser le procès-verbal de la première réunion de la commission départementale pour l’organisation et la mise en œuvre de la politique du logement des immigrés tant ce document concentre et synthétise parfaitement la gestion spécifique du « logement des immigrés60 ». En effet, les propos tenus par les principaux maires de l’agglomération, exprimant leurs visions de ce « problème », vont ainsi contribuer à la normalisation de la discrimination des populations immigrées.
35En préambule, le préfet de région met en corrélation les difficultés de cohabitation interethnique61, dues aux immigrés, désignés comme « des groupes ethniques souvent fort éloignés des autochtones par le genre de vie, la langue et les mœurs ». Puis le député-maire de Villeurbanne prend la parole pour souligner les lieux de « concentrations » clairement identifiés dans sa commune (régie Simon, rue Olivier de Serres) et les problèmes posés par certains groupes scolaires qui comptent « plus de 50 % d’enfants étrangers ». Il s’élève vigoureusement contre « l’attribution abusive de permis de construire à des organismes constructeurs, désignant en particulier la Sonacotra et sa filiale Logirel » et demande à ce que le « pourcentage de 15 % » de familles étrangères soit appliqué autoritairement dans tous les programmes de logements. Le directeur de l’organisme gestionnaire Logirel récuse ces propos et précise qu’à Villeurbanne, un programme de 200 logements environ a vu le jour et que seules « 8 familles nord-africaines y résident ». Ces précisions ne changent rien à la teneur de la réunion. Lorsque le maire de Vénissieux prend la parole, c’est pour évoquer les problèmes posés par le « pourcentage de familles étrangères qui atteint 18 % » dans la ZUP des Minguettes, « ce qui est déjà excessif ». Il compare le peuplement de la ZUP avec celui défini par la Sacoviv62 qui « limite à 7 % la part des étrangers dans son patrimoine » et souligne que « les problèmes relationnels ne s’y posent pas ». La discrimination faite aux familles étrangères au sein du patrimoine Sacoviv ne fait pas débat. Le président de l’office HLM de la communauté urbaine de Lyon (Courly) donne une explication inédite jusqu’à présent des taux élevés des étrangers dans certains quartiers gérés par les organismes gestionnaires. Il en rend responsable « la multiplicité des contingents réservataires – au titre des garanties d’emprunts, du Fonds d’action sociale, du contingent 5/863, du 1 % des employeurs, des fonctionnaires ». Pour conduire une politique de peuplement différente, il propose la création d’une commission ayant la responsabilité des attributions de ces contingents. La structure pourrait alors opposer un « refus formel à toute candidature qui lui paraît de nature à compromettre l’équilibre ethnique d’un ensemble ». Le maire de Saint-Priest s’attaque quant à lui au peuplement des immeubles dépendant de régies privées car dans sa commune, « les pourcentages élevés de familles étrangères sont observés dans des immeubles relevant de la promotion privée ». Devant son impuissance à obtenir de la part des organismes privés une politique de peuplement différente, il demande au préfet de prendre des mesures afin que tous les promoteurs privés observent une « déontologie de l’habitat ».
36À partir des « récriminations » des édiles, relais supposés des acteurs de terrain et des situations locales, le préfet accepte l’idée d’un traitement différencié d’accès au logement social des Maghrébins et, de fait, le principe de leur répartition dans l’espace urbain au nom d’une meilleure assimilation. Outre le consensus indiscutable sur le « respect du pourcentage communément admis pour les familles étrangères », variable selon les situations locales pour ne pas se trouver enfermé par un chiffre, l’accent est désormais mis sur la nécessité d’intégrer les promoteurs privés et leurs organisations professionnelles à cette gestion discriminante. Le préfet se charge de demander au Secrétariat d’État aux travailleurs immigrés de mettre en place une « disposition » qui tende à « l’obligation de ne pas dépasser, dans les programmes publics et privés, le pourcentage de 15 à 18 % de familles étrangères, qui seul permet une relative assimilation de ces populations ».
Conclusion
37La reconstitution du processus historique à travers lequel s’est défini et diffusé le consensus sur un traitement différencié du mode d’action pour loger des populations venues d’Algérie ne revient pas seulement à décrire de manière factuelle l’acceptation de cette codification mais concerne bien l’invention par des normes de leur mise à l’écart voire de leur exclusion. L’étude des catégories statistiques utilisées pour les désigner (Français musulmans d’Algérie, puis Algériens, puis Nord-Africains et enfin Maghrébins) témoigne des représentations qui sont celles de l’administration, coloniale puis postcoloniale, illustrées par trois paramètres dominants : leur concentration et ses dangers ; leur capacité d’assimilation aux normes de la société française ; leur caractère ethnico-religieux. C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre comment a pu se construire le raisonnement proportionnel, entendu comme un outil technique, un objectif à atteindre et un enjeu sociétal et politique.
38La banalisation des quotas, la diffusion d’enquêtes d’opinion défavorables aux Algériens, le contenu des circulaires d’exclusion des Algériens, et progressivement des Nord-Africains, témoignent de l’acceptation non discutée du seuil à partir duquel le racisme peut être considéré comme légitime. Dès lors, en se focalisant sur ces populations, les autorités administratives et politiques valident l’idée que leur seule présence (à l’école ou dans le logement) fait problème.
39Si ces pratiques révèlent une volonté d’exclusion avérée, cette quête d’un quota optimum dénote le fantasme de créer des normes universelles, réglementaires, indiscutables car propres à traduire un « fonctionnement harmonieux » de la ville. Par ailleurs, le recours systématique à ces normes est légitimé par l’invocation d’enquêtes telles que celles conduites par l’INED et sert d’alibi à des pratiques discriminatoires. En effet, l’ensemble de ces mesures a concrètement limité l’accès des immigrés au logement social, les obligeant à vivre dans les seuls espaces disponibles – le parc privé dégradé ou les logements sociaux vacants –, dans un climat de xénophobie latent.
Notes de bas de page
1 L’ensemble de ces désignations est issu des documents administratifs de cette époque (archives départementales du Rhône – ADR – et centre des archives contemporaines – CAC).
2 Laurens S., « L’immigration : une affaire d’États. Conversion des regards sur les migrations algériennes (1961-1973) », Cultures et Conflits, no 59, printemps 2008, p. 33-53.
3 Loi du 20 septembre 1947 sur le statut organique de l’Algérie.
4 Kateb K., « Gestion statistique des populations dans l’empire colonial français : quelques éléments relatifs à l’histoire des populations de l’Algérie (1830-1960), Histoire et Mesure, vol. 13, 1998, no 1-2, p. 77-111.
5 Simon P., « Nationalité et origine dans la statistique française. Les catégories ambiguës », Population, 3, 1998, p. 541-568.
6 Cet article est un volet d’une recherche en cours sur la construction socio-historique des catégorisations dans les politiques du logement depuis la fin du XIXe siècle. En partant de la genèse, de l’acceptation et de la normalisation des catégorisations, il s’agit d’analyser les modes de classification et de désignation des destinataires de cette politique publique.
7 Il s’agit de circulaires, notes, lettres émanant de la préfecture, le plus souvent non publiées, en direction de la DDASS, des mairies, des offices HLM et du service de Liaison et de promotion des migrants (ADR).
8 J’utilise volontairement cette appellation malgré la négation de cette désignation durant la période coloniale.
9 Ce seuil quantitatif correspondrait au point au-delà duquel la coexistence est impossible entre des « communautés d’habitudes dissemblables ». Sociologie du sud-est, no spécial, « Le seuil de tolérance aux étrangers », no 5-6, juillet-octobre 1975.
10 Le terme « immigré » renvoie non seulement à un statut juridique (être né étranger à l’étranger) mais aussi à une figure sociale renvoyant l’individu à son lieu de naissance ou à son « origine ». Se reporter aux travaux de De Barros F., « Des “Français musulmans d’Algérie” aux “immigrés” : importation de savoir-faire algériens en métropole et catégorisation des étrangers dans la politique du logement (1950-1970) », Actes de la recherche en sciences sociales, no 159, 2005, p. 26-45 ; Spire A., « De l’étranger à l’immigré. La magie sociale d’une catégorie statistique », Actes de la recherche en sciences sociales, no 129, 1999, p. 50-56.
11 J’ai choisi de dépouiller les archives conservées au sein d’institutions publiques en rapport avec les étrangers et leurs conditions de logement : le Centre des archives contemporaines (ministère de l’Intérieur ; ministère de la Construction et du Logement) ; les archives départementales du Rhône (cabinet du préfet de région ; service social d’Aide aux émigrants ; services des Affaires musulmanes et de l’Action sociale ; service de Liaison et de promotion des migrants).
12 Spire A., « Semblables et pourtant différents. La citoyenneté paradoxale des “Français musulmans d’Algérie” en métropole », Genèses, 53, décembre 2003, p. 68.
13 Les recherches d’A. Spire mettent en lumière les pratiques dérogatoires à laquelle sont soumis les FMA notamment dans les domaines de l’accès aux emplois publics et la protection sociale.
14 La migration économique représente deux avantages : l’absence de négociation d’accords gouvernementaux jusqu’en 1962 et le caractère temporaire des travailleurs.
15 De Barros F., art. cit. ; Bernardot M., Camps d’étrangers, Bellecombe-en-Bauges, Éditions du Croquant, 2008 ; Hmed C., Loger les étrangers « isolés » en France. Socio-histoire d’une institution d’État : la Sonacotra (1956-2006), thèse de doctorat en science politique, université de Paris 1, 2006 ; Spire A., Étrangers à la carte. L’administration de l’immigration en France (1945-1975), Paris, Grasset, 2005 ; Viet V., La France immigrée. Construction d’une politique (1914-1997), Paris, Fayard, 1998.
16 Dans la lutte qui oppose les deux ministères pour la gestion de la population « nord-africaine », c’est le ministère de l’Intérieur qui l’emporte. En effet, à partir de 1958, il oriente son action sociale pour les FMA car les Français musulmans vivant en Algérie échappent à ses compétences (création des SAMAS).
17 CAC 760134, art. 8, « Hébergement des travailleurs nord-africains en métropole », 16 juillet 1954.
18 Le MRU refuse de prendre en charge la construction de foyers d’hébergement pour les FMA, laissée à l’initiative du patronat. Les archives départementales comportent plusieurs documents attestant des difficultés rencontrées par les entrepreneurs pour construire des cantonnements destinés aux ouvriers nord-africains, notant le climat xénophobe qui entoure les projets. ADR 248 W 284.
19 CAC 760133, art. 3, « Note sur les services s’occupant de l’action en faveur des FMA », 16 juillet 1958.
20 CAC 760133, art. 4, « Note de M. Blanchard à l’attention du directeur général de la Sûreté nationale », 16 avril 1959.
21 ADR 248 W 252, enquête sociale conduite par le SAMAS de Lyon entre le 15 décembre 1959 et le 30 janvier 1960. Un questionnaire fut envoyé à 1080 chefs d’entreprise portés sur « les listes du contrôle social de la main-d’œuvre nord-africaine ». 759 réponses furent transmises au cabinet du préfet. Les citations suivantes sont extraites de ces documents.
22 ADR. Le versement 248 W 251 recense de nombreux courriers de réponses de différentes entreprises (Rhône Poulenc, Saint-Gobain, Berliet, Société normande de produits chimiques, Rhodiaceta, etc.) datés de 1959 et 1961.
23 En 1958, une circulaire du ministère de l’Intérieur (no 65 – 10 février 1958) étend leurs compétences à l’ensemble des questions intéressant les Nord-Africains et précise que « leur intervention dans le domaine politique ou de l’information policière devra se faire avec une discrétion suffisante pour ne pas gêner leur action sociale », ADR 248 W 1, note du 27 septembre 1963.
24 Après la fin de la guerre d’Algérie, l’existence de ce service ne s’impose plus et il fait place au service de Liaison et de promotion des migrants (SLPM) (circulaire no 446 – 22 juillet 1965). Dans le cadre de la restructuration du ministère de l’Intérieur, les SLPM sont placés sous l’autorité des préfets de région mais sont en étroite relation avec la direction des Migrants et de la Population du ministère des Affaires sociales.
25 La Société nationale de construction pour les travailleurs originaires d’Algérie (Sonacotral) est créée en 1956 (loi no 56-780 du 7 août 1956) et a pour objet « le financement, la construction, l’aménagement de locaux d’habitation destinés aux Français musulmans d’Algérie venus travailler en métropole et leurs familles ». Cf. Bernardot M., Loger les immigrés. La Sonacotra 1956-2006, Bellecombe-en-Bauges, Éditions du Croquant, coll. « Terra », 2008.
26 Logement et Gestion Immobilière pour la région lyonnaise, filiale de la Sonacotra : elle a pour mission de faciliter la construction de logements de familles étrangères impartie à la Sonacotra (qui n’a pas droit aux prêts HLM et ne peut donc aboutir à des loyers suffisamment bas) et « tolère » dans ses immeubles jusqu’à 15 % de familles étrangères.
27 Le financement du FAS provient en partie du système national des allocations familiales car les familles des travailleurs restées en Algérie ne perçoivent qu’une partie des allocations familiales, ce qui entraîne un excédent. Se reporter au travail de Math A., « Les allocations familiales et l’Algérie coloniale : à l’origine du FAS et de son financement par les régimes de prestations familiales », Recherches et Prévisions. Revue de la CNAF, no 53, 1993, p. 35-44.
28 ADR 248 W 252, circulaire du ministère de l’Intérieur adressée au SAMAS du Rhône, 16 décembre 1958.
29 ADR 248 W 252, circulaire du ministère de l’Intérieur adressée au SAMAS du Rhône, 16 décembre 1958.
30 ADR 248 W 252, note du ministère de l’Intérieur – SAMAS au sujet de l’admission éventuelle d’ouvriers français de souche et étrangers dans les foyers de travailleurs français d’Algérie, 6 mars 1959.
31 Dans l’agglomération lyonnaise, la résorption des bidonvilles traditionnels, c’est-à-dire des « baraques sommairement construites en planches, en carton et en vieilles tôles » a lieu durant les années 1950-1960 avec la destruction de dix-neuf bidonvilles, situés à Lyon, Villeurbanne, Vénissieux, Saint-Fons et Bron, et au relogement de 3 109 personnes, dont 647 membres de 140 familles et 2 462 célibataires. Les « travailleurs célibataires » ont été relogés pour la plupart dans les foyers-hôtels. Quant aux familles, elles ont été installées dans des logements construits notamment par le Comité lyonnais de secours d’urgence aux sans logis et mal logés, le PACT, la Maison du travailleur étranger, la Sonacotra et la société Logirel. ADR 248 W 358, Logirel – courrier d’Henri Laborde à destination de la directrice de la publication « équipement-Logement-Transports », 26 mars 1968.
32 Ce temps d’adaptation est défini par le titre de transit possédé par les familles.
33 ADR 248 W 251, circulaire no 242 du 12 mai 1958 relative au logement des familles d’ouvriers algériens en métropole (SAMAS).
34 Auzelle R., Recherche d’une méthode d’enquête sur l’habitat défectueux, Paris, ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme, 1949.
35 Différentes enquêtes sociales conservées aux archives départementales du Rhône soulignent ce degré d’évolution, en distinguant les « familles pouvant être logées normalement » de celles « devant être logées dans une cité de transit », ADR 248 W 251.
36 Une note relative au problème du logement des familles musulmanes souligne que cette « immigration familiale s’explique par des considérations d’ordre économique (avantages de la législation sociale métropolitaine, notamment dans le domaine de la Sécurité sociale et des allocations familiales) et d’ordre psychologique (désir de s’implanter en France pour échapper à certaines contraintes politiques, sociales ou religieuses en Algérie). ADR 248 W 251, préfecture du Rhône, 12 novembre 1958.
37 En 1964, le mot d’ordre de la politique d’immigration est de « stabiliser la main-d’œuvre » (concurrences de la Suisse et de l’Allemagne fédérale). Cette orientation aura des conséquences lourdes sur les conditions de logement des familles. Archives FAS, programmes complémentaires, année 1964. Cité par Viet V., op. cit., p. 338.
38 ADR 248 W 251, préfecture du Rhône, courrier adressé au directeur de la Sonacotral, 7 juin 1961.
39 Weil P., « Racisme et discrimination dans la politique française de l’immigration. 1938-1945/1974-1995 », Vingtième siècle, 1995, vol. 47, no 1, p. 77-102.
40 Le gouvernement prend des mesures spécifiques envers les Algériens en instaurant des quotas de touristes algériens à partir de 1966 puis en restreignant l’entrée des familles algériennes en 1967.
41 Rapport présenté au Conseil économique et social, « Les problèmes des travailleurs étrangers », journal officiel, avis et rapports du CES, no 7, 1969 ; cité par Gastaut Y., « La volte-face de la politique française d’immigration durant les Trente Glorieuses », Cahiers de l’URMIS, no 5, 1999.
42 Communication de Michel Massenet à l’Académie des sciences morales et politiques, dans Vivre en France, no 8, 1970 ; cité par De Rudder V., « La tolérance s’arrête au seuil », Pluriel, no 21, 1980, p. 3.
43 ADR 759 W 261, lettre du ministère de l’Intérieur au préfet de région Rhône-Alpes sur l’admission en France de familles de travailleurs Nord-Africains, 26 mai 1970.
44 Ibid.
45 Consultation de ce document sous dérogation aux ADR : le titre, la légende, les secteurs et annotations sont reproduits à l’identique.
46 « En vous demandant de les approuver, j’estime qu’elles sont susceptibles de donner partiellement satisfaction aux édiles locaux, d’apaiser les protestations des parents d’élèves, de rassurer quelque peu l’opinion publique et de conforter le moral des services sociaux », ibid.
47 ADR 759 W 262, courrier du comité de liaison des organisations du Rhône pour l’accueil des travailleurs étrangers adressé au Premier ministre, 19 novembre 1970.
48 Association et rencontres ; MTE ; ACFAL ; CIMADE ; SSMOE ; Amitiés Internationales ; Association dauphinoise de coopération franco-algérienne de Décines ; Association vaisoise d’aide aux étrangers ; comité d’accueil aux Portugais, foyer Notre-Dame des Sans Abri ; Secours catholique.
49 ADR 759 W 261, circulaire no 3110 du 30 novembre 1970, « Contrôle de l’admission des familles étrangères ».
50 ADR 759 W 261, courriers du préfet M. Moulins au pasteur et au cardinal de Lyon, 31 août 1970.
51 Ce climat d’hostilité est corroboré par les organisations précitées : « Certaines de nos organisations ont d’ores et déjà des listes d’immeubles, de logements, de rues, de quartiers, où des pétitions, des lettres, des démarches auprès des régisseurs ou des propriétaires ont abouti au départ de telle ou telle famille étrangère, ou de travailleurs isolés, aussi bien dans le centre de Lyon que dans l’agglomération », ADR 759 W 262, courrier du comité de liaison des organisations du Rhône pour l’accueil des travailleurs étrangers adressé au Premier ministre, 19 novembre 1970.
52 Selon Michel Marié, la notion de « seuil » aurait été utilisée par un sociologue qui effectuait une recherche au Canibouts du Petit Nanterre, cité PSR de Logirep : il s’agissait de l’une des premières expériences de logements sociaux de la Sonacotra pour loger les familles immigrées (presque toutes arabes, relogées des bidonvilles de Nanterre) et quelques familles françaises (venues d’Algérie et des quartiers insalubres du centre de Paris). La récurrence des conflits entre les enfants, étendus aux adultes, a conduit le sociologue à reprendre, dans son rapport, les recommandations du plan de Constantine : il souligne ainsi que la cohabitation n’a pas en soi de vertus intégratives (ne pas sous-estimer les risques de conflits) et utilise le terme de « seuil » à ne pas dépasser. La société Logirep a dès lors systématisé cette notion dans les nouveaux programmes de construction, afin de prévenir les problèmes de cohabitation. Marié M., « Quelques réflexions sur le concept de seuil de tolérance aux immigrés : ce que l’on fait dire aux sociologues », Sociologie du sud-est, no spécial « Le seuil de tolérance aux étrangers », no 5-6, juillet-octobre 1975, p. 41.
53 Girard A., Lany M.-L., « L’attitude des Français à l’égard de l’immigration étrangère », Population, no 5, 1971.
54 Les questions se référant au seuil de tolérance sont ainsi formulées :
- « À votre avis, dans une localité d’environ 5 000 habitants, à partir de quels nombre d’étrangers diriez-vous qu’il y en a trop ? » ;
- « Et dans un ensemble collectif de cent logements, à partir de quel nombre de logements attribués à des étrangers diriez-vous qu’il y en a trop ? » ;
- « Dans une école, à partir de quel nombre d’élèves étrangers estimeriez-vous qu’une classe est gênée ou retardée ? » ;
- « Si vous aviez un enfant dans une classe de 30 élèves où il y a des étrangers, à partir de quel nombre d’élèves étrangers chercheriez-vous à placer votre enfant dans une autre école ? ».
55 Voir les travaux publiés dans le numéro spécial de Sociologie du sud-est, no 5-6, juillet-octobre 1975.
56 ADR 759 W 259, courrier du préfet (SLPM) aux organismes gestionnaires, 27 mars 1973.
57 ADR 759 W 259, courrier du préfet au directeur de l’office public d’HLM de Villeurbanne, 12 décembre 1974.
58 ADR 759 W 259, préparation du VIIe plan – réponses au questionnaire, 1974.
59 ADR 759 W 224, SLPM, « Le logement des familles étrangères dans le département du Rhône. Situation au 31 décembre 1974. » Toutes les citations qui suivent sont tirées de ce document.
60 ADR 759 W 224, SLPM, procès-verbal de la réunion de la commission départementale pour l’organisation et la mise en œuvre de la politique du logement des immigrés, 2 juin 1975.
61 Les maires de la banlieue est remarquent l’augmentation de « troubles sociaux dus à un voisinage de moins en moins admis par les populations en présence ».
62 Société d’économie mixte de la Ville de Vénissieux, présidée par le maire.
63 Un arrêté du ministère de l’Équipement et du Logement du 5/8/1971 (d’où le nom du contingent 5/8), complété par un arrêté du 6/8/1971, fixe les conditions d’attribution de logements HLM pour les personnes provenant d’habitat insalubre dans la communauté urbaine de Lyon (les personnes dites prioritaires).
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