Conclusion de la deuxième partie
Quadriller l'espace savant : la gestion de la recherche
p. 307-308
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Index géographique : France
Texte intégral
1Les transformations sociales impulsées par la Révolution et l'Empire ont imposé un régime de savoirs très différent de celui qui dominait au siècle des Lumières. Les logiques individuelles disparaissent et la science devient une affaire d'État. L'activité scientifique s'insère dans un cadre bureaucratique et devient, comme l'a montré Marie-Noëlle Bourguet pour la statistique départementale, un outil de gestion des hommes et des choses339.
2La figure du savant aristocrate disparaît à l'aube du xixe siècle. Les directeurs de l'observatoire, nommés par le Conseil municipal, sont rémunérés par la collectivité publique. Ils occupent une fonction précise et doivent composer avec une politique partitaire particulièrement versatile à Toulouse. Leur engagement dans ces jeux de pouvoir locaux est d'ailleurs une constante sur la période. Du royaliste Alphonse Desplas au républicain Frédéric Petit, les savants de la cité garonnaise prennent position dans l'espace politique qui se structure et ne cesse d'évoluer au début du xixe siècle.
3La figure de l'astronome n'est pas la seule transformée dans le nouveau régime de savoirs qui apparaît après la Révolution. Le lieu de science est déplacé. Il quitte le cœur de la ville et n'est plus situé au sommet de la maison de l'observateur. Si la civilité aristocratique du siècle précédant imposait aux savants de ne pas s'éloigner du centre urbain, la fonctionnarisation de l'astronomie après 1800, les dispense de cette obligation. La pratique scientifique doit désormais se tenir à l'écart du tumulte, loin des soubresauts de la cité. De la même manière, l'espace consacré à l'examen du ciel n'est plus un lieu public où des témoins de valeurs viennent certifier l'exactitude des recherches. L'architecture de l'observatoire, construit à partir de 1838 sur les hauteurs de Jolimont, porte en elle la séparation entre espace privé et espace public. Cependant, le repli n'est pas l'enfermement et les savants toulousains ouvrent, à un public bourgeois épris de spectacles scientifiques, des cours d'astronomie qu'ils prolongent par de nombreux articles de vulgarisation édités dans la presse locale.
4L'économie technique qui s'organise de la Révolution à l'avènement de la IIIe République, se démarque du régime d'acquisition des instruments au xviiie siècle. Une nouvelle fois, les logiques individuelles s'effacent pour laisser place à des logiques collectives. L'achat des objets scientifiques est soumis aux décisions du Conseil municipal ce qui contraint les astronomes à développer des rhétoriques argumentatives davantage fondées sur l'orgueil de la ville que sur un éventuel usage des outils techniques.
5Le discours autour des pratiques savantes semble reprendre les objectifs énoncés au siècle des Lumières, de la compilation d'informations concernant la position des astres à la correction sans fin de tables astronomiques destinées à la navigation. Mais l'activité des observateurs garonnais de la première partie du xixe siècle est assez différente de ce modèle traditionnel d'examen céleste. Jacques Vidal et Frédéric Petit en particulier, concentrent leurs recherches sur des thèmes précis qu'ils explorent sans relâche. Le premier suit Mercure jusqu'au méridien et le second étudie la trajectoire des bolides. Les linéaments d'une recherche plus spécialisée semblent émerger. Parallèlement, les analyses météorologiques et les observations magnétiques soulignent la relative harmonisation de certaines pratiques scientifiques en France. Les observateurs de Toulouse s'emparent notamment des méthodes hypso-météorologiques répandues sur tout le territoire et les appliquent avec soin.
6La communauté scientifique est davantage centralisée encore qu'au xviiie siècle. Les réseaux de sociabilité des astronomes garonnais s'organisent donc autour de l'épicentre parisien, tout en déployant le registre des liens amicaux préexistants à la relation savante.
7À Toulouse, le passage d'un régime aristocratique à un régime bureaucratique des savoirs ne se résume pas à une transformation brutales et mécanique des différents éléments de l'espace savant. Les acteurs locaux, qu'ils soient politiques ou scientifiques, composent avec le nouvel ordre savant qui se met en place. La ville organise une gestion municipale de la pratique scientifique en dépit d'une volonté centralisatrice des autorités nationales. Les astronomes adaptent les principes directeurs de la fonctionnarisation de leur profession en refusant notamment une ingérence trop marquée des pouvoirs publics dans leurs activités savantes.
8Ainsi, le nouvel ordre bureaucratique, qui constitue le principe organisateur de la science de la Révolution à l'avènement de la IIIe République, met effectivement fin au foisonnement d'une astronomie garonnaise principalement aristocratique au xviiie siècle. L'administration s'efforce donc de quadriller l'espace savant et d'y imposer la logique collective d'une gestion administrative de la science. Toutefois ces mutations s'accompagnent, dans la cité garonnaise, d'une reformulation de certaines exigences d'un nouveau régime de savoirs. Les observateurs et les édiles toulousains modulent les effets des transformations politiques et scientifiques à l'œuvre dans la première partie du xixe siècle.
Notes de bas de page
339 M.-N. Bourguet, op. cit
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