Chapitre XVI. En haut à gauche ? Les évolutions géopolitiques de la Bretagne sous la Ve République
p. 269-284
Texte intégral
1Le tableau politique de la France de l’Ouest sous la IIIe République se donnait pour but d’examiner les permanences et mutations géopolitiques, de nuancer la représentation monolithique d’une région caractérisée par le bloc conservateur, agricole et catholique (au moins pour la Bretagne). Ainsi, André Siegfried insiste déjà en 1913 sur la subculture socialiste, ancrée dans certains bastions urbains, ouvriers et littoraux, érigés par la SFIO à l’orée de la Première Guerre mondiale. 75 ans après la parution de l’ouvrage, un numéro spécial de la revue Géographie sociale s’était attaché à appréhender les invariants et les transformations de la configuration géopolitique d’un espace, posant l’hypothèse d’un grand changement de la culture politique dominante, en passe d’évoluer, de la démocratie-chrétienne façonnée par le MRP depuis 1945 à la « social-démocratie des élus » en phase ascendante au début des années 1980.
2Le texte proposé ici, fondé sur des recherches de thèse menées à l’université Rennes 2, sous la direction de Jacqueline Sainclivier, sur « Les réseaux socialistes en Bretagne au XXe siècle » vise justement à réévaluer ces reconfigurations géopolitiques, à l’aune des élections locales, sous la Ve République. Désert militant dans les années 1958 à l’échelle nationale, la Bretagne s’apparente à une terre de mission pour les socialistes, cantonnés à une implantation initiale limitée aux bastions urbains et littoraux depuis le début du XXe siècle. Certes les matrices ouvrières et laïques de recrutement militant s’élargissent partiellement après 1945 avec la captation durable du terreau radical, la SFIO tissant un réseau minoritaire d’élus locaux qui maille la Bretagne. Un demi-siècle plus tard, la région forme au contraire un réduit électoral favorable au PS, à contre-courant même des équilibres du système partisan national qui se dégagent de la séquence politique la plus récente (2004-2008). Amplifié depuis les années 1981, ce processus de conversion de la Bretagne à gauche transcrit une inversion des réseaux socialistes, contenue dans le slogan de campagne de Charles Josselin, « en haut, à gauche ! » dans les années 1980, ce survote socialiste étant devenu une réalité frappante depuis les basculements historiques des principaux exécutifs locaux en 20041. En effet, l’intégration au PS de matrices militantes extérieures régénère le modèle socialiste régional, déplaçant les frontières du milieu partisan, qui se clôture à nouveau au terme des Assises du Socialisme et de ses suites (1974-1975). La révolution des réseaux socialistes est ainsi jalonnée de victoires locales symboliques (cantonales de 1976, municipales de 1977, législatives de 1981), annoncée par les frémissements électoraux des législatives de 1967 et 1973.
3Sans revenir en détail sur la généalogie et la particularité des socialismes en Bretagne2, il s’agit de décrypter l’évolution sur un demi-siècle des configurations socialistes au prisme des différentes élections locales, en proposant une chronologie fine, qui cible trois périodes distinctes : le moment laboratoire (1958-1973), le cycle d’Epinay (1973-1982), l’accession aux pouvoirs locaux de la génération Mitterrand (1982-2004). Dans une perspective multiscalaire, les ancrages socialistes sont à décomposer selon les niveaux de structuration du milieu partisan : pesée globale des effectifs socialistes et profils militants, audience électorale au fil des scrutins prenant en compte le nombre d’élus, délimitation de l’aire socialiste, définie comme une somme des réseaux et filières investies/mobilisées par des militants socialistes3.
Aux origines du « laboratoire socialiste breton » (1958-1973)
4Au-delà des approches traditionnelles sur la base des clivages sociologiques fondamentaux (âge, genre, catégorie socioprofessionnelle, territoire), une double tendance se dégage au sujet des profils militants socialistes. La transmission d’un terreau SFIO maintenu, profondément élargi et irrigué par l’ouverture aux filières militantes que l’on peut qualifier de chrétiens de gauche, sert de tête de pont à la mise en place d’un groupe important d’élus locaux, dont les relais se diffusent sur l’ensemble du territoire breton. Ainsi, la mise en série des parcours des cadres socialistes (parlementaires, conseillers généraux, maires, dirigeants fédéraux, cadres partisans et têtes de réseaux) met en lumière après 1958 des creusets spécifiques, qui varient en fonction des situations politiques locales : absorption des marges républicaines avec les transferts d’élus, sélection de micro-réseaux novateurs et dynamiques aussi bien dans les nébuleuses des chrétiens de gauche que dans les clubs, disparition des espaces totalement réfractaires au vote socialiste et alignement des résultats socialistes locaux sur les schémas médians nationaux, au contact d’une vague générationnelle mobilisant des réseaux militants pluriels et rénovés. Sans analyser l’ensemble de ces matrices d’adhésion qui modifient la physionomie du milieu socialiste, soulignons seulement le rôle des noyaux PSU dans le socialisme breton, récemment mis à jour4, en raison de la force de son implantation, de sa composition sociologique originale, des transferts militants qu’il induit, de son influence liée à sa nature intrinsèque de passoire/passerelle partisane.
5À l’instar des apports stimulants de l’historiographie du socialisme5, l’intérêt accordé à la phase de recompositions du milieu socialiste entre 1958 et 1973 invite aussi à revisiter les modalités de la reconfiguration du socialisme version PS, notamment en affinant à l’échelle locale les chronologies de ce processus de rénovation des réseaux socialistes. La précocité de la relance de la machine militante dès 1967, suivie d’une période cruciale d’ouverture des sources de recrutement militant (1973-1975), fixe durablement les contours de l’aire socialiste. Le contrôle de l’appareil organisationnel, dont les enjeux se nouent par la concurrence des différents courants intra-partisans, est déterminé par les dates d’entrée dans le premier PS, reproduisant les schémas initiaux de la genèse des cercles d’élus. Dès 1976 s’achève finalement le contexte de crise politique des réseaux socialistes, qui avait fait émerger un laboratoire politique. Véritable fenêtre politique, ce moment d’ébullition et de redistribution des responsabilités socialistes se referme en 1979, cédant la place à une relative stabilité structurelle du PS par ailleurs renforcé par les conquêtes géopolitiques continues.
6L’étude sérielle des scrutins locaux apporte des réponses sur ce processus de recomposition du socle des élus et responsables socialistes notamment. Le cycle des élections législatives valide la grille temporelle nationale de l’émergence des réseaux socialistes. Aucun élu ne résiste à la vague bleue de 1958, alors que les deux députés de 1962 sont les ancêtres du Front Populaire (Tanguy Prigent et François Blancho). Dès 1967, on compte cinq parlementaires socialistes (Yves Le Foll et Roger Prat pour le PSU sur la façade Nord, Yves Allainmat, Georges Carpentier et Christian Chauvel dans les bastions urbains traditionnels). Le reflux logique de 1968 (un seul élu, Georges Carpentier à Saint-Nazaire) fait figure d’exception au regard des six députés de 1973 (reconduction des anciens SFIO Georges Carpentier, Christian Chauvel, Yves Allainmat, Yves Le Foll, auxquels viennent s’ajouter Louis Le Pensec et Charles Josselin, symboles élitistes du rajeunissement).
7Le détour par la géographie électorale accentue cette idée d’un décollage électoral linéaire à compter de 1965, comme en Ille-et-Vilaine où les socialistes rassemblent moins de 5 % des voix en 1958 et 1962, près de 10 % des voix en 1967 (étiage électoral à 6 % des suffrages exprimés en 1968) et 13 % des voix en 1973. Dans le Morbihan, qui disposait de fiefs SFIO par archipel, le PS est vecteur d’un électorat neuf, en passant de 12-13 % des voix en 1958 à 18 % des voix en 1973. Le différentiel de 5 points dans les Côtes-du-Nord paramètre différemment les rapports de force avec le PCF, puissant dans le Centre-Bretagne depuis 1945. La densification du nombre de conseillers généraux, limpide, montre la naissance politique d’une force de premier plan à gauche, avec un triplement des élus à l’échelle de la Bretagne : 15 en 1958, 22 et 25 en 1964-1967, 43 en 1973. Dans le cas du Finistère, le groupe socialiste s’étoffe en deux temps, de 4 à 7 éléments en 1967 avant d’atteindre un pic de 12 élus en 1973. En Loire-Atlantique comme dans les Côtes-du-Nord, les dates clés diffèrent en revanche : respectivement de 1 à 4 et de 8 à 12 élus en 1964 pour former un groupe de 10 et 12 élus en 1973. Les trends du Morbihan (2 en 1958, 1 en 1961, 2 puis 3 en 1964 et 1967, 1 seul élu en 1970 et 1973) et de l’Ille-et-Vilaine (de 0 à 7 élus en 1973), plus décalés, relèvent des lignes directrices nationales. Si l’on poursuit l’emboîtement des échelles, les municipales de 1965 apparaissent de façon étonnante comme une ligne de partage dans l’histoire socialiste avec un effritement de l’héritage SFIO de 1945, contrebalancé par l’émergence de grandes coalitions laboratoires allant des communistes aux chrétiens, notamment à Rezé et Saint-Brieuc, pointes avancées de percées symboliques localement.
8Plus globalement, il faut insérer cette émergence décisive des réseaux socialistes dans un contexte historique et politique large, qui autorise le PS à occuper un nouvel espace politique, en réaction à la crise de la SFIO : fin de l’assèchement des viviers militants, remise en cause de l’hégémonie à gauche du PCF, impact de la guerre d’Algérie dans l’émergence de nouvelles générations militantes, atténuation des stratégies de troisième force, prise en compte des bouleversements inhérents aux évolutions du champ religieux (fissure de la seule référence à la laïcité) et aux transformations sociales (intégration des classes moyennes urbaines salariées).
Le cycle d’Epinay en Bretagne6 (1973-1982)
9L’affirmation du PS comme force politique majeure en Bretagne, échelonnée de 1973 à 1981, s’inscrit dans une période de renaissance de la gauche non-communiste, entamée après le choc des mobilisations populaires des années 1968, particulièrement puissant à l’échelle régionale7. Cadre de la refonte politique, la structure partisane innovante impulse l’agrégation de milieux partisans à bases multiples, ce qui explique pour partie la réussite du modèle des réseaux socialistes bretons.
10À l’échelle des législatives, un an après la grève mythique du Joint Français, le retentissement national de la victoire de Charles Josselin sur René Pleven en 1973, épisode fondateur, est démultiplié par la progression électorale globale, qui singularise les années tournant du PS en Bretagne (1976-1979). La palette impressionnante de situations contrastées converge vers une nationalisation et une moyennisation du vote socialiste en Bretagne. Ce rattrapage de l’Ouest à l’échelle nationale, qui fournit un réservoir de voix et d’élus modifiant la dimension même des réseaux socialistes, surgit avec force lors des municipales de 1977. La métropolisation du PS, porteur d’un socialisme à visage urbain, en référence aux réflexions de Michel Phlipponneau (« changer la vie, changer la ville ») est répercutée en 1978 (7 députés) par le renouvellement du personnel dirigeant du PS lors des législatives, incarné par Jean-Yves Le Drian, Marie Jacq, Alain Chenard ou François Autain. La typologie des nouvelles mairies socialistes emportées entre 1971 et 1983, avec une surreprésentation des succès en 1977, dévoile une pluralité d’ancrages locaux : la prise spectaculaire des grandes villes, l’impact du développement socialiste dans les communes périurbaines, la peau neuve des anciennes municipalités rouges, l’onde de choc des transferts des filières chrétiennes modérées et du recyclage d’élus divers gauche déjà en place8. À l’échelle cantonale, le nouveau doublement du nombre des conseillers généraux se fait sans à coup : 43 élus en 1973, 53 élus en 1976, 68 élus en 1979 et 84 élus en 1982. Les poussées sont significatives en 1979 et 1982 pour le Finistère (de 12 à 17 conseillers généraux en 1979 puis 21 en 1982) et la Loire-Atlantique (de 10 à 14 conseillers généraux en 1979 et 18 en 1982). Les élections de 1976 et 1982 modifient la situation pour l’Ille-et-Vilaine (de 6 à 9 conseillers généraux en 1976 puis 13 en 1982) et le Morbihan (de 1 à 4 conseillers généraux en 1976 puis 6 en 1982). La configuration des Côtes-du-Nord est particulière puisque Charles Josselin conquiert l’assemblée départementale en 1976 (de 14 à 17 conseillers généraux en 1976, 22 en 1979 et 26 en 1982).
11À l’échelle des micro-réseaux locaux, on assiste à l’intégration de filières relais, à partir de socialismes séparés qui forment un modèle original de social-démocratie en Bretagne : chrétiens (myriade de structures militantes influentes), paysans (rôle du CDJA et des filières JAC), enseignants (avec cependant une déprise des interactions avec les réseaux FEN-SNI dès la fin des années 1970), élus (mise en place systématique de structures ouvertes UDSER), femmes. Ce mouvement d’amplification du PS préfigure la vague rose de 1981, apogée du socialisme breton, qui initie une seconde phase de consolidation électorale. En 1968, la gauche socialiste disposait d’un seul député, contre 19 parlementaires, 3 ministres en 1981 (Louis Le Pensec, Edmond Hervé, François Autain) ainsi que plusieurs figures de stature nationale (Claude Evin dans le courant rocardien, Jean-Marc Ayrault dans les réseaux Poperen, Jean-Michel Boucheron dans les réseaux parlementaires de la Défense…). La situation hégémonique qui découle du déclin concomitant du PCF recentre aussi politiquement le PS, d’autant que la digestion partielle de l’électorat démocrate-chrétien fait suite à l’absorption du vote républicain laïque sous la IVe République. Somme d’héritages des cycles d’implantation socialiste, les engagements des générations militantes font apparaître trois périodes d’entrée progressive dans le milieu socialiste : 1871-1914, 1936-1944, 1968-1981. Synthèse originale entre trois sources politiques (Révolution, République, Religion), le syncrétisme des militants socialistes bretons cumule les principes issus de l’humanisme laïque teinté de pratiques contestataires radicales, le modèle social en phase avec la culture républicaine et démocrate, les racines idéologiques du christianisme social.
12La révolution du socialisme dans les années 1970 suppose de revenir sur l’histoire précise des filières des chrétiens de gauche, groupe militant minoritaire mais dont les trajectoires mettent en avant une nouvelle identité socialiste. Jusque dans les années 1970, l’implantation socialiste fait fructifier les liens avec les mondes laïques, avant de puiser, abondamment à l’échelle des élus, dans les filières des mondes chrétiens en conversion vers la gauche. Cette translation, plus qu’un détournement des premiers lieux d’enracinement, s’apparente à une expansion dans une autre direction, par l’agrégation d’une seconde strate de réseaux militants dans des espaces différents. Les mutations politiques et les transferts électoraux s’inscrivent dans un contexte général de délitement du bloc catholique d’une part, de crise de conscience religieuse et de prise de conscience politique de ces chrétiens à gauche d’autre part9. Le PS attire une fraction des mondes chrétiens, qui ne se retrouvent pas dans la vision du monde proposée par le mouvement communiste et qui ne s’identifient plus politiquement au bloc catholique conservateur. Ces phénomènes de transferts et de conversion à gauche, en lien avec une restructuration en profondeur de la société bretonne, sont accélérés par une série d’agents, de passerelles et de réseaux militants progressistes, qui favorisent les voies de passages vers le socialisme par l’entremise des milieux ACO-JOC-CFDT-PSU.
13À l’instar du rôle des chrétiens de gauche du PSU, expression privilégiée de ces milieux militants durant un moment précis de basculement politique, il est possible de dresser une typologie des nouveaux visages du socialisme breton. Les structures de jeunesse, JOC-JAC-JEC, forment des noyaux militants homogènes, qui fonctionnent comme autant de réseaux militants maintenus au sein du milieu socialiste. Fortement imbriquées les unes aux autres, les myriades de structures du militantisme familial forment un courant puissant du christianisme social progressiste, dont seule une infime partie conflue au PS : Mouvement de Libération du Peuple (MLP), Confédération Syndicale des Familles (CSF), Associations Populaires des Familles (APF)… Les cercles religieux, au sens premier, sont des lieux de sociabilités où s’entrecroisent les réseaux précédents : ACO, Vie Nouvelle, cercles de pensées, prêtres-ouvriers… Trait commun de la deuxième gauche, se concentrant au sein du courant rocardien puissant en Bretagne, la ligne de force CFTC-CFDT soude ces réseaux multiples des mouvances socialistes et chrétiennes. La socialisation dans l’enseignement catholique, l’expression et le détachement des pratiques religieuses, sont aussi des éléments clés pour comprendre la complexité des réseaux socialistes et chrétiens.
14Les évolutions du rapport socialisme/religion en Bretagne sont le produit des évolutions propres de chaque pôle dans les années 1960 et 1970. Au sein du socialisme, la primauté militante des références à la laïcité s’estompe face au renversement du centre de gravité de la mouvance partisane avec l’irruption des chrétiens de gauche. Au sein du catholicisme, de l’Encyclique Rerum Novarum au concile de Vatican II et ses suites, l’Église se saisit de la question sociale et favorise l’expression d’un courant politique démocrate-chrétien, avant d’engager une profonde mutation des idéologies et des pratiques catholiques, qui modifie les contours et les ressorts de la religion en Bretagne. Si la région se caractérise par la prégnance des relais et réseaux chrétiens dans la première moitié du XXe siècle, le versant politique se singularise par l’implantation des partis catholiques puis des organisations de la démocratie-chrétienne comme le MRP. De l’apogée politique de la démocratie-chrétienne à la social-démocratie des élus socialistes, la gauche socialiste profite à plein de ces transferts militants, tout en s’inscrivant dans la continuité de la culture politique de la SFIO.
Le temps des « menhirs socialistes bretons » (1982-2004) : de la « terre de mission » à la région « en haut à gauche »
15Passant de la lutte des classes à la lutte des places, les figures fondatrices indéracinables qui encadrent les réseaux socialistes, s’imposent politiquement à l’échelle régionale à partir des années 1981. Si l’accès aux responsabilités ministérielles réactive la mémoire des pionniers (François Blancho, Tanguy Prigent, Jean Le Coutaller), cette vague générationnelle présente surtout un profil commun et marqué, issu de matrices militantes qui renforcent les liens de l’entre soi que constitue la communauté militante du PS10.
16La maturation de la démocratie sociale bretonne consolide l’idée d’une résistance exceptionnelle des formes partisanes socialistes au cours du siècle. Par l’adaptation, la sédimentation des strates militantes, ce socialisme à géométrie variable a façonné un corps intermédiaire entre la société et la structure partisane, à savoir le groupe des élus. Élites produites par les nouveaux réseaux militants apparus dans les années 1968, les leaders locaux implantés précocement sont en phase avec le milieu socialiste. Le bouleversement se poursuit jusqu’en 2004, avec un élargissement continuel des cercles d’élus locaux, qui résistent mieux aux périodes d’étiage électoral du PS et amplifient les effets des succès socialistes à l’échelle nationale11.
17Les résultats des législatives montrent ce renforcement, avec un groupe parlementaire régional supérieur à 15 membres (avec un maximum de 19 députés et 11 sénateurs en 2007-2008), pour une période qui fournit 108 des 185 sièges de parlementaires sur l’ensemble du siècle. Dans le même temps, les élections cantonales lissent les spécificités locales, dévoilant l’homogénéisation de l’implantation socialiste en Bretagne, qui prend une ampleur sans précédent en 1998 : 84 élus en 1982, 110 élus en 1998, 129 élus en 2004. En effet, le Finistère augmente sa représentation de 20 à 26 conseillers généraux lors de la victoire de 1998. La vague rose en Loire-Atlantique (de 15 à 24 conseillers généraux) comme en Ille-et-Vilaine (de 10 à 21 conseillers généraux) fait basculer à gauche de façon historique en 2004. Les Côtes d’Armor ne dérogent pas à la règle (de 24 à 31 conseillers généraux), ce qui se traduit par un prolongement du système Josselin, recomposé par Claudy Lebreton, rouage des réseaux d’élus. Seul département breton à rester ancré à droite en raison de pesanteurs socio-historiques, le Morbihan, de 4 à 8 élus, efface difficilement les crises intestines des années 1980 entre courants (là encore la césure s’opère surtout en 2004 avec 10 conseillers généraux), sans être pourvu du capital géopolitique des années Mitterrand. À l’échelle municipale, le poids ambivalent des élections de 1989 semble crucial, cumulant à la fois la répercussion des processus de 1981 et la mise en route du basculement à gauche selon les lieux.
18Historique, le contrôle des exécutifs locaux en 2004 ouvre une nouvelle page de l’histoire des réseaux socialistes. La modernité apparente des socialistes bretons, qui représentent 10 % du groupe parlementaire national en 2007, masque l’épuisement du modèle socialiste en Bretagne, en proie à de nouveaux défis. Le PS local vit assurément sur ses acquis, profitant encore des effets de l’ouverture des années 1968, dans le sillage de leaders historiques durables. « Réseaux fossiles » de la période antérieure, les résidus du substrat de la génération mitterrandienne pointent le problème de la chaîne des générations militantes12, du déracinement de la société des socialistes et du tarissement des réseaux militants. Ces coupures frappantes tournent le dos aux racines historiques du socialisme régional, selon le modèle d’une organisation partisane ouverte sur les filières investies dans le mouvement social, au cœur du dispositif militant en définitive. Le système PS avait réussi à opérer autour de lui une fédération de réseaux associés puis aspirés par les espaces partisans. Multi-positionnés, les militants socialistes ont toujours été des hommes doubles, mobilisant au profit du milieu partisan des espaces et des réseaux partiellement ou totalement extérieurs à la structuration partisane.
19Pour appréhender les évolutions des noyaux militants, composés principalement d’élus locaux, on peut suivre les reconfigurations d’un réseau égocentré, autour d’Edmond Hervé, un des « menhirs bretons historiques » du PS. Jeune adhérent à la SFIO dès 1966 au contact des élus Troisième Force (Alexis Le Strat, Paul Collinot), Edmond Hervé monte un micro-réseau dans le milieu étudiant (Jean-Pierre Michel, Frédéric Vénien) tout en nouant des relations étroites avec les filières FO ou Fédération Léo-Lagrange et les organisations laïques (André Cahn, Noël Eliot). Le second cercle de son entourage entre au PS tandis que le jeune universitaire, féru des ancêtres socialistes rennais (Carle Bahon, Armand Rébillon, Charles Foulon), reste premier secrétaire fédéral jusqu’en 1977 (Louis Chopier). Sa liste municipale est victorieuse en 1977, composée d’anciens militants de la CIR (Michel Phlipponneau, François Richou, Lucien Rose), du CERES (Jean-Michel Boucheron, Jean Normand), du PSU (Pierre-Yves Heurtin), des matrices syndicales (Albert Renouf, Martial Gabillard) et associatives (Marcel Rogemont). Edmond Hervé bouleverse une seconde fois le paysage socialiste local, après son entrée au conseil général en 1973 (Georges Cano, Jean-Louis Tourenne) au terme d’une absence totale depuis 1951. Il accroît les scores des socialistes aux législatives en 1973 (Jacques Faucheux), 1978 (Pierre Bourges, Guy Gerbaud), jusqu’au succès de 1981 (Clément Théaudin), contribuant à la mise en avant d’une nouvelle génération d’élus locaux socialistes. Ministre jusqu’en 1986, il contrôle aussi les réseaux PS du Conseil Régional, sans pouvoir maîtriser totalement la direction fédérale du PS (Jean-Claude Du Chalard, Henri Gallais), faisant apparaître des réseaux socialistes autonomes et déconnectés (fédération, parlement, conseil général, conseil régional, mairie…). Battu en 1993, voire attaqué par d’autres responsables PS, il retrouve le Palais-Bourbon en 1997, avant de passer la main en 2002 (Philippe Tourtelier). Il reste maire jusqu’en 2008, contribuant à féminiser le socialisme rennais (Maria Vadillo, Clotilde Tascon-Mennetrier) et verrouillant sa succession en direction de ses anciens collaborateurs (Daniel Delaveau), voire d’une nouvelle génération, forgée dans le sérail de la municipalité (Nathalie Appéré). Après un bref retrait, il s’impose au parti (Frédéric Bourcier) pour mener la liste PS aux sénatoriales, pour un nouveau succès historique (trois élus, dont Jacky Le Menn), qui met fin à une longue disette depuis 1948 (Eugène Quessot).
20En se saisissant de l’ensemble des données disponibles sur les élections, sur l’organisation socialiste comme sur les milieux militants, l’idée était de comprendre comment et pourquoi la Bretagne, terre de mission au début du siècle, est devenue ce réduit favorable à la gauche, « en haut à gauche ». Car le socialisme breton est passé des marges du système partisan régional lors de l’élection du premier député à Brest (Émile Goude en 1908) au centre du système politique13 comme le montrent les rôles nationaux de Marylise Lebranchu, Jean-Marc Ayrault ou Jean-Yves Le Drian depuis 201214 ? Outre le rôle des leaders nationaux d’origines bretonnes (les ministres Stéphane Le Foll, Benoît Hamon ou le porte-parole du groupe socialiste Bruno Le Roux), voire de conseillers influents du président Hollande (Bernard Poignant), plusieurs élus PS enracinés en Bretagne occupent des postes stratégiques au plan national au début du XXIe siècle. Dans les réseaux d’élus, on retrouve Claudy Lebreton, président de l’Assemblée des Départements de France (ADF) depuis 200415. Fait inédit en dehors du cas de Jean-Michel Boucheron en 1988, deux députés finistériens se trouvent à la tête de la présidence des commissions parlementaires : Patricia Adam (défense) et Jean-Jacques Urvoas (lois). De même, les vice-présidences des commissions révèlent la présence de la garde rapprochée de Jean-Marc Ayrault, c’est-à-dire les élus ligériens Marie-Odile Bouillé et Michel Ménard (affaires culturelles) et Dominique Raimbourg (lois), mais également de députés proches de Jean-Yves Le Drian, Gwendal Rouillard (défense), Hervé Pellois et Annick Le Loch (économie). Prenant la suite de Marylise Lebranchu, Marie-Françoise Clergeau, bras-droit du député-marie de Nantes, est devenue titulaire de la questure, tandis que François Marc remplit les fonctions de rapporteur général du budget. Les proches d’Edmond Hervé, ministre entre 1981 et 1986, ancien député-maire de Rennes, occupent également des postes clés au Palais du Luxembourg : Jacky Le Menn (vice-président de la commission des affaires sociales), Virginie Klès (secrétaire de la commission des lois). Par ailleurs, avant 1971, les socialistes bretons restent à l’écart des différences instances dirigeantes nationales du parti, à quelques exceptions près (le Dr Boyer au sein de la commission administrative permanente, Émile Goude, Louis L’Hévéder, Tanguy Prigent, Jean Le Coutaller, André Routier-Preuvost au sein du comité directeur de la SFIO16). Accentuant un processus de renforcement de la présence au sein des cercles dirigeants nationaux du PS depuis 1981, les élus bretons figurent en bonne place parmi les membres du conseil national (élus nationaux), véritable parlement national du parti. Pour autant, le Bureau Régional d’Études et d’Informations Socialiste (BREIS) n’a jamais porté de motion au plan national, ni joué comme les logiques de territorialisation du socialisme, comme ce fut le cas au temps des motions « Bouches-du-Nord ». Depuis le congrès de Reims en 2008, plusieurs figures du socialisme breton s’imposent au sein du PS au plan national : Sylvie Robert (culture), Jean-Jacques Urvoas (sécurité), Laurianne Deniaud (jeunesse)17, plus Claudy Lebreton et Marylise Lebranchu au titre des réseaux d’élus (ADF, FNSER). Depuis juillet 2012, l’entrée des secrétaires fédéraux du Finistère et du Morbihan, à savoir Gwendal Rouillard (énergie) et Marc Coatanéa (questions de société), renforce cette réalité.
21Le croisement de l’approche géopolitique, du regard sur l’organisation partisane et de l’analyse des liens noués par les filières militantes révèle une succession de reconfiguration des réseaux et des milieux socialistes en Bretagne entre 1958 et 2004. Appréhendées sous l’angle des élections locales, les années 1958-1973 se traduisent par l’émergence d’un laboratoire politique, sous la forme du nouveau PS, qui met sur le devant de la scène des générations militantes dont les ancrages décloisonnent l’implantation socialiste par rapport à la période SFIO. L’élargissement de l’aire socialiste en Bretagne au fil de la décennie 1973-1982, dont la chronologie ne peut être calquée sur les mutations observées à l’échelle nationale, révolutionne la nature des cercles dirigeants socialistes, faisant apparaître assez brutalement un groupe des élus dont les profils se révèlent très proches. Jusqu’en 2004, la phase de maturation de ces mêmes réseaux socialistes confirme ces analyses sur le fonctionnement du milieu socialiste, dont les paramètres sont fermement établis dès 1973 et raffermis en 1982.
22En multipliant les jeux d’échelles (nationale, régionale, départementale, locale), il est possible de saisir les ruptures internes au champ partisan socialiste, c’est-à-dire la différenciation nette des périodisations de la reconfiguration des réseaux socialistes, ce qui est encore accentué par le biais des prosopographies militantes et des études de trajectoires. Pour comprendre cette transformation du PS, force électorale minoritaire devenue la sensibilité politique dominante à l’échelle locale, et la remettre dans le contexte d’une mutation profonde du système partisan français, il faudrait encore approfondir les analyses sur le moment 1965-1978, en présentant d’autres monographies régionales et locales dans une perspective comparative. De plus, ce travail sur les réseaux socialistes en Bretagne, qui rappelle l’absence d’une formation de réseaux socialistes bretons homogènes18, met en lumière la diversité des implantations socialistes. En voulant présenter une grille périodique de l’affirmation du PS, pensée comme une reconfiguration du socle socialiste en Bretagne, nous avons aussi souhaité insister sur l’originalité de ce modèle socialiste, défini comme l’addition de réseaux partisans et militants à bases multiples, ancrés dans une pluralité de systèmes politiques locaux.
23Au vu de la pluralité des matrices militantes, le moment d’entrée dans le PS et le contrôle des instances sont des enjeux primordiaux. Ce parti, efficace machine électorale qui rassemble des courants sans unification complètement achevée, a lancé dans les années 1968 une nouvelle génération politique, qui s’apprête difficilement à passer le relais dans les années 2000. Désormais « en haut à gauche » en termes de géographie électorale nationale, la Bretagne socialiste se heurte depuis 2004 aux enjeux et aux défis du renouvellement de ses réseaux d’élus et de sa base partisane.
24L’hégémonie politique et la stabilité d’un système partisan puissant et dominant ne sont pas propices à l’émergence de laboratoires, a priori. Historiquement, les effets d’une crise, en soi annonciatrice de nouveaux équilibres, dressent à l’origine les réseaux rénovateurs contre les structures établies. Les anciennes élites socialistes des années 1958, forgées lors de l’antifascisme du temps du Front Populaire, sont jugées porteuses d’archaïsmes au regard des nouveaux militants formés en dehors des circuits d’élus laïques consolidés depuis 1945. Ces cadres SFIO, en perte de vitesse, ont été supplantés depuis les années 1958-1968 par un souffle radicalement inventif de stratégies, de trajectoires et de réflexions, nées lors des luttes anticoloniales puis des mobilisations antigaullistes, qui font remonter à la surface des pratiques innovantes. Désormais, le laboratoire breton, usé par son insertion dans les lieux de pouvoir établi, s’avère très proche du modèle du parti-cartel19. Il reste pourtant désigné par les cadres du PS breton comme un « socialisme venu du large », qui doit justement procéder aux ajustements internes, indispensable pour continuer à demeurer une force politique dominante, et se confronter aux défis du XXIe siècle, comme par exemple l’impact social et sociétal de la globalisation.
Annexe
Les socialistes dans les élections locales en Bretagne : monographies comparées de 5 circonscriptions (Vitré, Dinan, Morlaix, Hennebont, Nantes)
En 1958 comme en 1962, la faiblesse du milieu partisan dans la circonscription de Vitré (Ille-et-Vilaine) empêche les socialistes d’être en mesure de présenter un candidat face au clan démocrate-chrétien Méhaignerie, dont l’attrait sur les sociabilités paysannes progressistes est réel. En 1967 et 1968, le tandem Guy Gerbaud et Louis Menard (15.13 % et 9.57 %), issu des filières laïques obtient un score supérieur de 5 % à la moyenne départementale, la FGDS s’étendant alors aux élus radicaux. Lors des 3 législatives suivantes, la reconduite du même duo ainsi que l’immuabilité des réseaux militants mobilisés (SNI, FO, monde laïque) est un fait marquant, au même titre que la sensible progression des scores obtenus par Guy Gerbaud et Jacques Crochet, le vote total se situant en revanche en dessous des moyennes départementales (15.77 %, 17.9 % et 16.08 % des voix). Le poids du notable national de la droite ralentit la progression socialiste, qui capte partiellement le vote communiste. La continuité de la candidature Gerbaud jusqu’en 1997 avec des scores compris entre 20 % et 25 % des suffrages montre l’assèchement des relais militants. À partir de 2002, c’est la conseillère générale Clotilde Tascon-Mennetrier, formée dans les milieux chrétiens (enseignement privé, Vie Nouvelle…) puis aguerrie dans les cabinets socialistes nationaux, qui prend la suite sans que les résultats électoraux ne traduisent un décollage substantiel.
La circonscription de Hennebont (Morbihan) repose sur une autre configuration, en raison de la vigueur des contre-sociétés communistes locales. Entre 1958 et 1967, les élus socialistes locaux, François Giovannelli et Louis Le Moënic (leaders de la FOL) se présentent en alternance, distancés à gauche par le candidat communiste, Eugène Crépeau. Le désistement de 1967 s’élabore dans un contexte tendu à gauche, même si l’accord national favorise la victoire de Yves Allainmat à Lorient. En 1968 et 1973, ces bastions du vote PS ne suscitent pas des candidats ancrés dans le territoire (Raymond Fichant et Yves Guélard), signe de la déprise des réseaux militants dans les anciens bastions du Nord-Ouest du Morbihan. La nouveauté du scrutin de 1978 réside justement dans le profond renouvellement des filières militantes, entre Jean Giovannelli (fils) et le syndicaliste agricole chrétien Louis Le Guern (21.87 % des voix), qui dépassent le candidat communiste en 1981, remportant même l’élection (35.8 % et 52.83 % des voix) dans un tumulte local lié à l’affaire PSU. Réélu en 1986 et 1988 Jean Giovannelli, associé à Jean Moëc (44.4 % et 51.98 % des voix), se retire de la vie politique en 1993, les nouveaux candidats socialistes ne parvenant pas à atteindre le second tour (traumatisme du score obtenu par Jean-Yves Laurent et Robert Ulliac, 16.54 % des voix). Depuis 1997, la trajectoire de Jean-Pierre Bageot, ancré dans les anciennes Forges de Inzinzac-Lochrist, ne couvre pas l’ensemble de la circonscription, oscillant entre 45 et 49 % des suffrages exprimés au second tour.
La circonscription de Morlaix (Finistère) se caractérise par le poids d’une des figures nationales du socialisme breton, Tanguy Prigent, député depuis 1936 qui est battu en 1958. Sous l’étiquette PSU, le « paysan-ministre » l’emporte en 1962, avant de transmettre à Roger Prat son fief. Battu en 1968 comme l’ensemble des notables socialistes bretons, l’instituteur est devancé par une ancienne militante PSU, Marie Jacq passée au PS dès 1972, en compagnie du maire de Morlaix Jean-Jacques Cléach (issu de la CIR). Mais c’est la droite qui gagne les législatives. Première femme élue députée en 1978, elle est vice-présidente de l’assemblée nationale. Réélue facilement en 1981, 1986 et 1988, Marie Jacq ne parvient pas à imposer localement son assistante parlementaire, Marylise Lebranchu en 1993. Fille d’Adolphe Perrault, la future garde des Sceaux ancre nettement à gauche la circonscription de Morlaix en 1997, 2002 et 2007, symbole de la plus forte résistance des fiefs socialistes aux défaites électorales, même régionales.
La circonscription de Nantes (Loire-Atlantique) avalise le modèle des réseaux socialistes métropolitains. La figure molletiste d’André Routier-Preuvost, adjoint dans la municipalité André Morice, ne permet pas à la SFIO de briguer un siège de parlementaire. Élu en 1967, Christian Chauvel est battu lors de la vague bleue de 1968 mais retrouve sa place de député en 1973. La révolution du PS au milieu des années soixante-dix, faisant émerger à la fois les anciens militants PSU-CFDT-JOC-JAC et le courant du CERES, aboutit à l’élection d’Alain Chenard, passé par le sérail de la SFIO, mais incarnant la conquête des municipales de 1977. Reconduit en 1981 et 1986, Alain Chenard paye la défaite de 1983, les socialistes nantais ne conservant que les circonscriptions périphériques de Rezé (Jacques Floch, issu du sérail de la CIR) et Saint-Herblain (Jean-Marc Ayrault, passé par le MRJC et lieutenant de Poperen). Il faut attendre 1997 pour voir une femme, cadre bancaire, Marie-Françoise Clergeau revenir au Palais-Bourbon, réélue en 2002 et 2007.
La circonscription de Dinan (Côtes-du-Nord puis Côtes d’Armor) correspond aux territoires politiques modérés, élisant Michel Geistdorfer dans l’entre-deuxguerres puis le radical centriste René Pléven après 1945. En 1958, le rouage des réseaux socialiste seconds, Joseph Hourdin, obtient 12.1 % des voix, devancé par un syndicaliste laïque communiste. En 1962 et 1967, le milieu socialiste n’est pas en situation de présenter de candidat. En 1968, le duo FGDS René Régnault et Romain Boquen recueille 11 % des suffrages exprimés, réactivant les anciennes filières laïques et syndicales. Surtout, la victoire choc de Charles Josselin en 1973 incarne à elle seule la percée socialiste à l’échelle régionale. La défaite tout aussi retentissante du président du conseil général en 1978, montre aussi la paradoxale ascension du PS dans le département. Réélu lors des poussées de 1981, 1988 et 1997, il conserve aussi son siège lors des crises aiguës des gauches (1986, 1993), avant de passer définitivement la main au député-intérimaire Jean Gaubert en 2002, agriculteur passé par la JAC, le CERES et les réseaux d’élus locaux. Sénateur en 2007 au décès de Pierre-Yvon Trémel, Charles Josselin se retire de la vie politique régionale en 2008, en voyant émerger une femme (Jacqueline Chevé), un élu au profil médian (Yannick Botrel) tandis que le PCF maintient ses réseaux spécifiques d’élus.
Notes de bas de page
1 Les Côtes-du-Nord, déjà dirigés par la SFIO en 1947-1948 (François Clec’h), sont le premier département à basculer en 1976 (Charles Josselin, relayé par Claudy Lebreton depuis 1997), suivi par le Finistère en 1998 (Pierre Maille) puis en 2004 l’Ille-et-Vilaine (Jean-Louis Tourenne) et la Loire-Atlantique (Patrick Mareschal, auquel Philippe Grosvalet succède en 2011). Les exécutifs régionaux sont également conquis par la gauche en 2004, Bretagne (Jean-Yves Le Drian, remplacé par Pierrick Massiot en 2012) et Pays-de-Loire (Jacques Auxiette).
2 Bougeard C. (dir), Un siècle de socialismes en Bretagne. De la SFIO au PS (1905-2005), PUR, 2008, 323 p.
3 Sawicki F., Les réseaux du PS. Sociologie d’un milieu partisan, Belin, 1997, 336 p.
4 Kernalegenn T., Prigent F., Richard G., Sainclivier J. (dir.), Le PSU vu d’en bas. Réseaux sociaux, mouvement politique, laboratoire d’idées (années cinquante – années quatre-vingt), PUR, 2009, 343 p.
5 Citons les thèses récentes de Noëlline Castagnez, Fabien Conord, Thierry Barboni, Carole Bachelot, Julien Cahon et Anne-Laure Ollivier.
6 Prigent F., « Le cycle d’Epinay en Bretagne [1971-1981] », in Bergounioux A., Lazar M., Morin G., Pigenet M., Sirinelli J.-F. (dir.), Les socialistes d’Épinay au Panthéon, une décennie d’exception (1971-1981), PUR, 2015, p. 105-117 (actes du colloque de Paris, 17 au 18 novembre 2011).
7 Porhel V., Ouvriers bretons. Conflits d’usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968, PUR, 2008.
8 Prigent F., « Génération 1977. La révolution des réseaux PS en Bretagne », in Place Publique, Nantes, no 30, 2011, p. 12-19 (actes de la journée d’études, Le socialisme à visage urbain, Nantes, 19 novembre 2011).
9 Prigent F., « Les socialistes bretons face au choc de la Guerre d’Algérie : générations, recompositions, trajectoires », in Harismendy P., Joly V. (dir.), Algérie : sorties de guerre (19 mars 1962-19 mars 1963), PUR, 2014, p. 177-188 (actes du colloque de Saint-Brieuc, 26-27 septembre 2012).
10 Il y a neuf ministres socialistes bretons avant 2012 : Edmond Hervé, Louis Le Pensec, François Autain, Charles Josselin, Claude Evin, Jean-Yves Le Drian, Koffi Yamgnane, Marylise Lebranchu, Jacques Floch.
11 Le portrait collectif des militants PS en Bretagne s’inscrit désormais à part entière dans les tendances nationales, phénomène conforté par le regard sur les parcours typiques des grands élus locaux (parlementaires, conseillers généraux, maires, conseillers régionaux). La dilatation sur l’échiquier politique régional atténue et dilue la spécificité des socialistes bretons, qui n’échappent pas aux blocages des espaces socialistes, intuités par Frédéric Sawicki et Rémi Lefebvre : invisibilisation des catégories populaires, effets de la professionnalisation du champ politique, féminisation sous contrôle du groupe des élus…
12 Depuis les années 1990, on assiste à des modèles de succession de la part des grands élus socialistes locaux, privilégiant le recours aux circuits internes des entourages, notamment au sein des filières des assistants parlementaires. Les législatives de 2007 et 2012 donnent un aperçu de cette réalité, généralisée à tous les niveaux de la hiérarchie socialiste.
13 Prigent F., « D’Émile Goude à Jean-Yves Le Drian : les réseaux des parlementaires socialistes bretons au XXe siècle », in Cahiers du CEVIPOF, no 58, 2014, p. 34-55 (dossier coordonné par Rozenberg O. et Viktorovitch C., Le Parlement et les citoyens).
14 En juin 2012, la presse bretonne a pu ainsi relayer un trait d’humour (« Ce n’est plus un gouvernement, c’est un bagad ! »), qui n’est pas sans correspondre à une réalité des nouveaux équilibres de l’implantation socialiste à l’échelle nationale.
15 Entre 2003 et 2010, il a présidé la Fédération Nationale des Élus Socialistes et Républicains (FNESR), tout comme Jean-Marc Ayrault (1992-1993), Bernard Poignant (1993-2000) et Marylise Lebranchu (2010-2012).
16 En dehors de la spécialisation sur les questions agricoles, permettant l’émergence nationale de Tanguy Prigent à la Libération ou Bernard Thareau dans les années 1980.
17 Il existe une « longue » tradition des filières régionales dans l’animation nationale du MJS, depuis les rôles joués par Benoît Hamon et Gwenegan Bui. Prigent F., « Les figures de l’engagement des jeunes socialistes au sein du syndicalisme étudiant en Bretagne (années 1980-années 2000) : réseaux de relations interpersonnelles et trajectoires militantes », in Bouneau C. et Callède J.-P. (dir.), Figures de l’engagement des jeunes : continuités et ruptures dans les constructions générationnelles, éd. de la MSHA, 2015, p. 171-186 (actes du colloque GENERATIO, Bordeaux 4-5 avril 2013).
18 Trace symbolique de la mémoire des origines de la Fédération Socialiste Bretonne (FSB) de 1907, l’Union Régionale du Bureau Régional des Études et des Informations Socialistes (BREIS) mis sur pied en 1973 s’apparente aussi à une instance de fabrication d’un socialisme régional. Mais depuis sa création, le BREIS oscille entre lieu d’arbitrage des stratégies partisanes, structure d’élaboration des politiques socialistes et plate-forme d’intégration des différentes têtes de réseaux militants. Sans équivalent dans l’histoire socialiste française, les réseaux socialistes bretons renouent ainsi avec leurs racines historiques : le modèle organisationnel porte une forme socialiste proche de la configuration sociale locale. Mais en l’absence d’un modèle partisan construit publiquement, s’agit-il pour autant d’un laboratoire du socialisme du XXIe siècle ?
19 Aucante Y. et Dezé A., Les systèmes de partis dans les démocraties occidentales. Le modèle du parti cartel en question, 2008, 454 p.
Auteur
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