Les dialogues d’Ulrich von Hutten (1488-1523) : un outil poétique au service de la critique1
p. 235-247
Résumé
« Les dialogues d’Ulrich von Hutten (1488-1523) : un outil au service de la critique » : Ulrich von Hutten appartient à cette catégorie d’écrivains pour lesquels la littérature est avant tout une arme. Sur un même sujet, il n’est pas rare que Hutten mène, parfois simultanément, deux genres d’attaques très différents, une à destination d’un lectorat cultivé, dans un genre noble, et une seconde à destination d’un public plus populaire, dans un genre plus facile à aborder. C’est dans cette perspective qu’entre 1517 et 1521, s’inspirant des dialogues de Lucien, Hutten composa ses propres dialogues qui, mêlant vivacité, impertinence et causticité, comptent parmi les œuvres qui illustrent le mieux son talent singulier. Nous nous intéressons ici plus particulièrement à trois dialogues, rédigés entre 1518 et 1520, dans lesquels Hutten traite du conflit qui, dans les années 1517-1520, met une partie de l’Allemagne aux prises avec la puissance pontificale : Febris (prima), Inspicientes et Bulla sive Bullicida. En les examinant successivement, on verra que la place de ce sujet dans les dialogues croît au fur et à mesure que la pression augmente autour de Luther et que Hutten, au fil des trois textes, se fait à la fois de plus en plus précis dans ses attaques et de plus en plus soucieux de la qualité littéraire de ses textes ; mais on pourra constater aussi que derrière la préoccupation religieuse apparaît peu à peu le vrai sujet qui intéresse Hutten : la liberté de l’Allemagne, et la nécessité pour elle d’affirmer sa souveraineté face à l’oppresseur romain, sujet qui l’amène parfois, comme nous le verrons, à réécrire l’histoire sous un jour différent.
Texte intégral
1Ulrich von Hutten appartient à cette catégorie d’écrivains qu’on qualifie, avec parfois une légère condescendance, de polygraphes, et qui ont touché à tous les genres. Il s’est fait connaître à la fois un Ars versificatoria, traité de prosodie rédigé en vers, et par un pastiche épistolaire en prose, les Lettres des Hommes obscurs, deux genres à l’opposé l’un de l’autre. En fait, aux yeux de Hutten, peu importe le genre : pour lui, qui ressent constamment le besoin de polémiquer, voire d’en découdre, la littérature est avant tout une arme. Sur un même sujet, il n’est pas rare que Hutten mène, parfois simultanément, deux genres d’attaques très différents : c’est ainsi que pour dénoncer l’assassinat de son cousin par le duc de Würtemberg, il composa d’une part cinq discours qu’il adressa à l’empereur Maximilien Ier, et de l’autre le dialogue Phalarismus, aussi fantaisiste et drôle que les discours étaient sérieux et agressifs. Nous nous intéresserons aujourd’hui spécifiquement aux dialogues, qui ont constitué le genre de prédilection de Hutten dans les années 1518-1520, en limitant notre étude à trois dialogues dans lesquels Hutten traite du conflit qui, dans les années 1517-1520, met une partie de l’Allemagne aux prises avec la puissance pontificale : Febris (prima), Inspicientes et Bulla sive Bullicida. En les examinant successivement, on verra que la place de ce sujet dans les dialogues croît au fur et à mesure que la pression augmente autour de Luther ; mais on pourra constater aussi que derrière la préoccupation religieuse se fait jour le vrai sujet qui intéresse Hutten : la liberté de l’Allemagne, et la nécessité pour elle d’affirmer sa souveraineté face à l’oppresseur romain, sujet qui l’amène parfois, comme nous le verrons, à réécrire l’histoire sous un jour différent2.
Febris prima (1518)
2Le dialogue Febris ne semble pas avoir de modèle antique, et la première édition des Colloques d’Érasme, qui paraît en novembre 1518, ne contient pas de dialogue qui puisse avoir inspiré Hutten. Febris (prima) est le troisième dialogue écrit par Hutten, et il constitue un catalogue de cibles satiriques. L’argument est le suivant : Hutten veut chasser la Fièvre, qui vit chez lui depuis sept ans ; mais celle-ci refuse de le quitter avant qu’il ne lui ait trouvé un nouveau foyer. Hutten lui propose alors toutes sortes de maisons qui pourraient l’accueillir ; c’est l’occasion pour lui de passer en revue ceux dont il veut dépeindre et critiquer le mode de vie : légat du pape, banquiers, moines, chanoines. Si l’on excepte la maison des Fugger, rapidement évoqués, qui font ici leur première apparition comme figures emblématiques des commerçants et des banquiers, les maisons évoquées par Hutten et la Fièvre sont pour l’essentiel habitées par des membres du clergé.
3Le sujet abordé par Hutten lui est moins personnel que dans les dialogues précédents, puisque, après avoir évoqué deux sujets qui le touchent de près dans Phalarismus et Aula, respectivement l’assassinat de son cousin par son seigneur et les turpitudes de la vie de cour, dans laquelle il fait à cette époque ses premiers pas, il aborde dans Febris la dépravation morale du clergé. Certes, le point de vue est original et personnel : la fièvre est effectivement, dans la réalité, la « pensionnaire » de Hutten, qui souffre de la syphilis depuis plusieurs années, et aborder la dépravation du point de vue de la maladie est tout à fait nouveau. Le dialogue est très vif, le rythme est soutenu, et, entre les parties satiriques, les échanges aigres-doux entre Hutten et la Fièvre ont un ton très authentique3. Cependant la satire, si elle est pleine d’humour, est assez convenue, et les critiques du clergé restent très classiques : Hutten dénonce la goinfrerie, la luxure, le goût du luxe et du confort, la cupidité qui caractérise selon lui les ecclésiastiques, qu’ils soient moines, chanoines ou légats du pape. Il recourt à des clichés utilisés dès l’antiquité pour symboliser l’excès du luxe, comme la quête de vins et de produits exotiques. Hutten n’a donc pas déployé dans ce texte de grands moyens littéraires. Concernant notre sujet, il est intéressant de noter que c’est dans Febris qu’apparaît pour la première fois le cardinal Cajétan, légat du pape, envoyé en Allemagne en mission pour chercher de l’argent, notamment pour la guerre contre les Turcs4 ; il sera ensuite chargé d’obtenir la rétractation de Luther. Mais là encore, Hutten n’entre pas dans le vif du sujet. Bien que Cajétan soit un grand théologien, Hutten le traite sur le même plan que les moines d’Allemagne, et il limite ses critiques à des aspects matérialistes : il dénonce le goût du luxe affiché par le légat5, mais aussi son avarice6. Il n’y a pas de critique intellectuelle ni théologique ; le temps n’est pas encore venu.
Inspicientes (1519)
4On franchit une étape supplémentaire avec Inspicientes qui, comme Phalarismus, est inspiré de Lucien : l’auteur des Histoires véritables est alors pour Hutten une influence majeure, comme pour Érasme et bien d’autres écrivains de cette période. Hutten emprunte à Lucien une partie de son titre (Charon sive inspicientes, Charon ou les contemplateurs) et le procédé satirique ; il a cependant changé les personnages, peut-être parce qu’il avait déjà utilisé Mercure et Charon dans Phalarismus ; ici, il remplace les deux dieux par le Soleil et son fils Phaéton. Comme chez Lucien, les observateurs contemplent la terre de haut ; cependant leur poste d’observation n’est plus un empilement de montagnes mais le char du soleil. Phaéton, surpris de ce qu’il voit sur la terre en passant au-dessus de l’Europe du Nord, et particulièrement de l’Allemagne, en parle avec son père qui lui explique le sens de quelques scènes : un cortège qui accompagne le légat du pape Cajétan, une scène d’ivrognerie, une scène de bain, l’évocation des marchands et des banquiers, le comportement du clergé ; le dialogue s’achève par un long échange entre le Soleil, Phaéton et Cajétan, qui met en valeur la mégalomanie du légat et sa cupidité : celui-ci en effet excommunie le soleil pour désobéissance, et envisage de faire mourir tout le clergé allemand pour vendre à nouveau les bénéfices7.
5En renouant dans ce dialogue avec la veine mythologique inaugurée par Phalarismus, Hutten élabore une mise en scène plus complexe que dans Febris. Outre le caractère pittoresque du mythe, ce choix lui permet de jouer sur le thème, classique dans la satire, du regard extérieur : c’est ici celui de Phaéton, qui, du ciel, découvre le monde. Comme toujours, Hutten justifie la tenue du dialogue et sa durée de manière vraisemblable par rapport au mythe choisi : le dialogue se noue au moment où le char du soleil est au zénith, et où l’attelage marque une pause ; il s’interrompt quand l’après-midi s’avance et qu’il est temps de ramener les chevaux à l’écurie. La composition est réduite au minimum, comme dans Febris, et l’on assiste à un passage en revue de différents aspects de la société allemande, où l’on retrouve les deux cibles privilégiées de Hutten : les marchands, toujours représentés par les Fugger, et surtout le clergé. Cette fois-ci cependant, on remarque que l’étau de la critique se resserre autour du Saint Siège : en effet deux passages sont consacrés à Cajétan, qui, à cette époque, constitue pour Hutten le catalyseur de sa haine pour Rome, et ils sont placés en ouverture et en clôture du dialogue, ce qui indique l’importance que prend progressivement ce sujet. Par ailleurs, de manière également significative, le contenu de la critique évolue. Ce ne sont plus tant ses vices personnels qui sont reprochés à Cajétan, comme dans Febris prima, que la manière dont le Saint-Siège exploite l’Allemagne et l’appauvrissement qui en résulte pour celle-ci8. Le dialogue est en prise directe avec l’actualité et exploite la venue de Cajétan en Allemagne, l’affaire des Indulgences, la révolte d’une partie de la population. Dans le dialogue même, Hutten fait preuve de sa virtuosité habituelle : vivacité et naturel du dialogue entre Phaéton et son père9, précision dans la peinture des attitudes humaines, recours aux métaphores10, aux néologismes11. Au fur et à mesure que la situation se tend en Allemagne, la critique se resserre donc de plus en plus autour du comportement de l’église romaine et de ses membres ; mais elle prend aussi une tournure spécifique, qui n’est pas tant religieuse que patriotique, nationaliste : c’est le sort de l’Allemagne qui intéresse visiblement Hutten, et non les problèmes théologiques.
Bulla sive Bullicida (1520)
6La critique va s’intensifier encore avec Bulla sive Bullicida, même si entre temps, Hutten a écrit un autre dialogue nettement plus corrosif que les deux précédents intitulé Vadiscus sive Trias Romana12. Bulla sive bullicida est composé au moment suprême de la crise entre Luther et le pape, entre le mois de juin 1520, où celui-ci a publié la Bulle Exsurge Domine, qui menace Luther d’excommunication, et le mois de décembre de la même année, lors duquel Luther a brûlé la Bulle papale et les décrets l’accompagnant, décision qui sera immédiatement suivie d’une autre bulle lui signifiant son excommunication, publiée début janvier et intitulée Decet Pontificem romanum. Hutten est très attentif aux événements et il réagit presque à chaque épisode du conflit. Cependant, l’épisode de la Bulle lui fait rechercher des moyens exceptionnels : tout d’abord, il publie sur ses propres presses le texte intégral de la Bulle accompagné d’un commentaire juxtalinéaire dans lequel il dénonce, comme dans Trias Romana, l’hypocrisie du pape, la simonie de l’Église, la tyrannie de Rome. Mais à côté de ce commentaire, il rédige un très long dialogue dont le titre, comme souvent chez Hutten, est un néologisme, Bulla vel Bullicida. La forme aussi en est nouvelle, et unique dans les dialogues d’Ulrich von Hutten. Ce n’est plus Lucien qui en est l’inspirateur, mais Plaute, comme le montrent clairement un certain nombre d’éléments.
7La composition tout d’abord : dans une sorte de prologue, on voit la Bulle rouer de coups et insulter la Liberté allemande, qui se défend et appelle au secours ; dans un second temps, Hutten, qui répond à l’appel, vient défendre la Liberté. Il débat avec la Bulle sur un ton de plus en plus menaçant et lui promet des ennuis si elle ne renonce pas à tourmenter la Liberté ; la Bulle, sûre de sa puissance, refuse de s’incliner. Dans un troisième temps, Hutten se jette sur la Bulle et la roue de coups à son tour ; celle-ci avoue ses mauvaises intentions et appelle à son aide les chrétiens d’Allemagne, auxquels elle promet le pardon de leurs péchés et toutes sortes de récompenses ; enfin, le dialogue s’achève par une scène de foule : les quelques prélats venus aider la Bulle prennent la fuite devant les partisans de la Liberté appelés par Hutten, à la tête desquels se trouvent Charles Quint et Franz de Sickingen. La Bulle, très endommagée par les coups de Hutten, éclate de rage et de dépit et répand son contenu, un mélange nauséabond de tous les vices humains. On trouve là une ébauche de composition dramatique, plus proche du théâtre que les dialogues précédents, et la plus complexe des dialogues d’Ulrich von Hutten.
8Ensuite, le dialogue apparaît comme un long duellum qui n’est pas sans rappeler, par exemple, l’affrontement entre Sosie et Mercure dans Amphitryon : le lexique employé, notamment les injures et tout le lexique des coups, vient directement de Plaute13 ; on trouve aussi des néologismes assez caractéristiques de la langue théâtrale14 mais qui rappellent aussi ceux auxquels recourt Luther lui-même dans sa correspondance15. La reprise en parallèle des mêmes répliques, le rythme très rapide, le mouvement qui permet de visualiser la scène sont très plautiniens. L’intérêt de l’emprunt littéraire est clair : comme le duc de Würtemberg, si redoutable sur terre mais humilié aux Enfers par Charon et Mercure dans Phalarismus, la Bulle, dont tous les partisans de Luther craignaient l’arrivée, se trouve ici totalement désacralisée : insultée, raillée, battue, réduite à l’impuissance, finalement détruite, elle est plus malmenée qu’un esclave de comédie ; ses malheurs provoquent les rires, sa destruction, les applaudissements. L’aspect comique est accentué par la portée satirique du texte : Hutten s’en donne à cœur joie autour du terme Bulle : prenant un air faussement naïf, il commence par feindre de croire qu’elle n’est que vent, comme une bulle de savon16, ou une manifestation d’infection, en recourant au lexique médical grec17 ; ensuite, il en fait une bulga, une bourse, car elle explique qu’elle arrive vide d’argent, mais qu’elle repart d’Allemagne bien pleine ; mais il passe alors en même temps à un registre plus trivial car bulga signifie aussi « vulve » ; le jeu se poursuit lorsque Hutten fait semblant de croire que la Bulle est en cuir (scortea) : cet adjectif vient en effet du mot scortum, le cuir, mais c’est aussi une manière grossière de désigner un ou une prostituée18 ; quant à la Bulle elle montre à la fois son ignorance et sa prétention en faisant remonter son nom au grec bouleîn. Parallèlement, Hutten revient sans cesse sur sa grosseur19, qu’il explique tantôt par son orgueil, tantôt par sa colère, tantôt par la foule de stupidités dont elle est emplie ; à la fin, quand la Bulle se rompt sous l’effet de la rage, Hutten énumère dans une longue tirade tous les vices qui en sortent et qui la faisaient si grosse. Il n’est pas jusqu’à la couleur de la Bulle, due dans la réalité au plomb dont elle est faite, qui ne soit un prétexte à satire20. Le respect sacré dû aux Bulles est ici foulé aux pieds, et reflète la distance prise par les populations d’Allemagne avec le Saint-Siège, qui n’est plus perçu que comme un exploiteur et un oppresseur, ainsi que l’avait annoncé le dialogue Inscipientes.
9Hutten cependant n’oublie pas, comme il l’expose dans l’Apologie pour Phalarismus21, que la fable doit servir à mieux dénoncer, et son dialogue est une dénonciation constante des abus de l’Église romaine. Hutten intègre à son dialogue des éléments contemporains : la Bulle affiche sans complexes son orgueil, sa volonté de maintenir les Allemands dans une soumission absolue aux ordres du Saint-Siège, la violence qu’elle est résolue à employer, les profits qu’elle escompte de sa visite22. Le théologien Johann Eck, un dominicain favorable à la domination de l’Église romaine et grand ennemi de Luther, est montré comme un être malfaisant23 et comme un lâche qui a fait venir la Bulle mais s’enfuit devant les difficultés24. Hutten n’oublie pas non plus l’origine de la révolte de Luther, qui trouvait sa source dans le trafic d’indulgences : dans un des moments les plus forts du dialogue, la Bulle, qui comprend qu’elle va périr sous les coups, tente de se trouver des défenseurs et promet à ceux-ci la rémission totale de leurs péchés. Les formules qu’elle emploie, et la liste des fautes qu’elle énumère25, semblent tout droit sorties des formulaires d’indulgences du dominicain Tetzel26, comme le montre facilement une comparaison entre les deux textes.
10Nous pouvons cependant remarquer, pour terminer, qu’une fois de plus, dans ce dialogue, Hutten donne une vision des événements qui ne reflète pas tant la réalité que ses propres préoccupations. Celles-ci sont clairement indiquées par la page de titre de la première édition des Dialogi novi27, sur laquelle l’auteur se présente ainsi : Ulrich ab Huttenus Germanus libertati propugnat et se fait représenter en armure, l’épée au côté. Dans le dialogue Bulla, les personnages mis en scène28 reflètent l’orientation choisie par Hutten dans sa présentation des événements. D’une part, un personnage de premier plan brille par son absence : Luther, qui est le véritable protagoniste de l’affaire. Cette absence est clairement assumée par Hutten dans le dialogue : certes, il compte Luther parmi les hommes de bien, mais se défend d’être Luthérien29. En se mettant en scène à la place de Luther, Hutten réinterprète les faits historiques : il fait de la révolte contre la Bulle un événement national, porté par le désir de l’Allemagne de recouvrer la liberté, avant d’être un événement religieux. Le dialogue illustre donc bien le rapport entre Luther et Hutten, nettement défini par ailleurs dans une lettre de Hutten au moine de Wittemberg30 : ils ont le même ennemi, mais pas le même domaine d’intérêt ; dans la réalité comme dans Bullicida, tous deux viendront à bout de cet ennemi : Luther brûlera la Bulle, Hutten la fait crever ; mais l’un agit au nom de la religion et de sa foi, l’autre au nom de l’Allemagne et de sa souveraineté. Un autre élément illustre la manière dont Hutten déforme l’histoire pour faire épouser ses rêves aux événements : à cette période, Charles Quint n’a jamais soutenu Luther contre l’autorité du pape, loin de là. Le 8 octobre 1520, c’est en présence de Charles Quint que les livres de Luther sont brûlés en autodafé à Louvain ; la même opération se déroulera peu après à Cologne, sous l’autorité de Johann Eck. Après la promulgation de la Bulle Decet Romanum Pontificem et l’excommunication de Luther, en mars 1521, Charles Quint le cite à comparaître devant la diète de Worms, en lui procurant un sauf-conduit pour qu’il ne soit pas inquiété. Luther refusant à nouveau de se rétracter, Charles Quint décide alors, le 19 avril, de mettre Martin Luther et ses disciples au ban de l’Empire par l’Édit de Worms. S’il est clair que, pour des raisons stratégiques liées au maintien d’un équilibre des forces en Europe, l’empereur ne tenait pas à arrêter Luther – il lui laissa tout le temps de se mettre à l’abri auprès de son protecteur Frédéric, grand électeur de Saxe, au château de Wartburg, en repoussant notamment la signature de l’édit au 26 mai31 – on ne peut dire, comme le fait Hutten, que Charles Quint figure au nombre des combattants de la Bulle. En revanche, il est vrai, on pourra le compter au nombre des défenseurs de la liberté des Allemands face aux abus de la puissance pontificale, et en cela les vœux de Hutten seraient exaucés – mais trop tard pour qu’il pût le voir.
11Si, comme nous l’avons vu, le dialogue est apparu comme le genre privilégié par Hutten pour traiter du problème des rapports entre le Pape et l’Allemagne, il ne nous paraît pas hors-sujet, pour éclairer le combat de Hutten d’un jour différent, de citer quelques vers du chevalier écrits suite à l’autodafé des œuvres de Luther. C’est un des rares poèmes sur ce sujet qu’Ulrich von Hutten ait écrit en latin et traduit en allemand, les autres ayant été rédigés directement en allemand. Privilégiant cette fois la puissance lyrique des vers, Hutten n’en conserve pas moins les thématiques qui lui sont chères :
[…] Ô Christ bienveillant, dirige par ici ton regard, fronce sévèrement
Le sourcil. Prouve ton existence à ceux qui la nient,
Car personne n’agirait ainsi, si l’on croyait que tu es.
Ceux donc qui te méprisent, qui font au Tonnant
Un doigt d’honneur, montre-leur enfin ta puissance.
Qu’il te contemple, le féroce Léon, qu’il sente ta présence,
Le flot des méchants, et que la Rome scélérate tremble
Devant toi, vengeur des crimes ! Qu’ils apprennent au moins ton existence,
Ceux qui nient ton règne. Qu’il soit possible de terrifier les coupables,
Qu’il soit permis de consoler les hommes pieux ; réprime celui qui s’ en prend
Superbement aux lois, et arrache le droit aux griffes de la fureur.
Retiens les audacieux, dresse-toi face aux tyrans
Qui tuent les innocents par la ruse, et menacent chacun de la violence.
Et ces œuvres qu’on brûle désormais, ces mots courageux en ta faveur,
Contemple-les, Père vénérable, et venge cet acte criminel.
C’est toi que vise cette rage ; c’est toi qu’on insulte ; c’est à ta loi
Qu’on fait violence. Au contraire, on approuve tous les crimes,
On loue tous les sacrilèges. Éveille-toi enfin ! Que chacun, enfin
Récolte les récompenses que lui vaut sa conduite !
Que règne la vérité divine, que la probité soit préservée !
Qu’Aléandre le Juif périsse dans ces flammes !
Que périssent les criminels, et qu’on envoie les Furies
Pour emporter le cruel Léon ! Qu’il soit consumé par le feu
Par lequel Rome impie attaque en ce moment l’innocent Luther32 !
12Pour conclure, il semble clair que si Hutten s’intéresse de très près à l’histoire contemporaine, la plupart du temps comme acteur, par les armes ou par la plume, il l’appréhende toujours sous un angle subjectif, et jamais dans une oeuvre unique. L’angle sous lequel il l’aborde est celui d’un combattant patriotique, nationaliste, prêt à mettre sa plume et sa vie au service de la souveraineté nationale ; les différents genres auxquels il recourt sont pour lui un moyen de toucher le public le plus vaste possible : discours, lettres ou commentaires sérieux et théoriques sont toujours accompagnés d’œuvres plus légères, plus accessibles, dans lesquelles l’humour, le pastiche, la vivacité du ton présentent les faits, ou plutôt la vision huttenienne des faits, sous un aspect beaucoup plus accessible. Soucieux d’informer le peuple allemand, Hutten trouve dans le dialogue une arme d’autant plus efficace qu’elle est peu codifiée, et qu’il peut y déployer sa virtuosité. C’est d’ailleurs dans la même perspective qu’il traduit ou fait traduire ses dialogues, dont il connaît le retentissement, en allemand, en même temps qu’il les publie en latin. Usant et abusant de la liberté totale que lui confère le genre du dialogue, Hutten témoigne ainsi en direct des tensions de son époque ; et si ses dialogues donnent des événements historiques une vision particulière, reflet de ses propres préoccupations, on ne peut nier ni l’influence qu’ils ont eue, ni l’intérêt qu’ils présentent pour qui étudie l’histoire de la Réforme.
Notes de bas de page
1 Hutten U. von, Vlrichi Huttenis equitis Germani Opera quae reperiri potuerunt omnia edidit, Leipzig, Teubner, 1859 (vol. I), 1862 (vol. III) ; 1860 (vol. IV), 1861 (vol. V).
2 À titre de bibliographie générale, voir Hutten U. von, Die Schule der Tyrannen, Herausgegeben von Martin Treu, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1996, et Chaunu P., Escamilla M., Charles Quint, Paris, Fayard, 2000.
3 La Fièvre : « Conduis-moi donc ailleurs, je t’en supplie, au nom de des services que je te rends depuis longtemps.
Hutten : De quels services ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Ceux que tu envahis, tu leur rends donc service ?
La Fièvre : A toi, surtout ; depuis huit ans que je t’accompagne, comme je t’ai rendu studieux, pieux et patient ! »
4 Voir dans le dialogue Inspicientes (Hutten, ed. E. Böcking, t. 4, p. 277) : « Il vient de Rome jusque dans notre ville nous demander des fonds que ces maudits Romains veulent consacrer à la guerre contre les Turcs, car ils préparent à nouveau une expédition en grand appareil. » Nous donnons des passages une traduction personnelle, et nous renvoyons pour le texte à l’édition des œuvres complètes de Hutten par E. Böcking (notée supra et infra Hutten, éd. E. Böcking), désormais disponible en ligne, pour laquelle nous indiquons le numéro de volume et la page.
5 Hutten : « C’est le portrait exact de l’hôte chez qui je t’emmène ; il a tout cela en abondance et ne se prive pas d’en jouir. […] Allons, investis la place : il dort couché dans un manteau de pourpre, au milieu d’innombrables tentures. Il mange dans l’argent et boit dans l’or, avec un raffinement tel que personne en Allemagne, selon lui, n’a de palais. Il critique les perdrix et les grives d’ici, assurant qu’elles n’ont rien à voir avec celles d’Italie, et que leur goût est totalement différent. Le gibier le dégoûte, il trouve le pain insipide et, lorsqu’il boit du vin, il pleure, invoque l’Italie et réclame du Cursique. Pour cette raison, il nous taxe de barbarie et nous appelle ivrognes ; et en quatre mois passés ici il n’a pas encore pu satisfaire son appétit. » (Hutten, éd. E. Böcking, t. 4, p. 30-31)
6 La Fièvre : « Ce n’est pas la manière dont il vit, lui, que je conteste ; mais comment un homme pourra-t-il bien m’accueillir s’il nourrit mal ceux de sa maison, s’il les habille mal ? Une fois où, il y a quelque temps, j’avais frappé à sa porte, et où, malgré les cris du portier, j’avais demandé l’hospitalité pour quelques jours, il s’exclama : “Entends-tu ce vacarme ?” Je l’entends, répondis-je. C’était quelque chose comme les coups de gens qui réclament. « Ce sont les domestiques qui ont dîné et qui réclament du pain. – Du pain ? dis-je ; est-ce qu’on distribue la nourriture dans cette maison en portion si réduite qu’il n’y a même pas assez de pain ? – c’est bien le cas, dit-il ; en fait il n’y a d’oreillers, de plumes et de confort que ceux que le cardinal s’attribue à lui-même, et dans lesquels il se délecte. » (Hutten, éd. E. Böcking, t. 4, p. 32)
7 Cajétan reproche d’abord au Soleil de ne pas avoir obéi à ses ordres et de briller, alors qu’il lui avait ordonné, en quittant l’Italie, de rester caché ; le Soleil lui reproche sa folie. Pour le punir, Cajétan l’excommunie. Entrant dans son jeu, le Soleil lui demande par quelle action il pourrait expier sa faute : Cajétan lui ordonne alors de briller suffisamment pour faire périr de maladie tous les membres du clergé en place en Allemagne, afin qu’il puisse vendre les bénéfices vacants et récolter ainsi de l’argent. Phaéton, indigné, sort de son silence, et promet au légat que son nom restera dans les mémoires comme synonyme de ridicule et de folie.
8 Le soleil : « Ce cortège accompagne hors de chez lui le légat du pape de Rome. […] Il a l’intention de dépouiller les Allemands et d’extorquer aux barbares tout l’or qu’il leur reste.
Phaéton : Y a-t-il là quelque injustice, je te prie ? Et pourra-t-il le faire, avec ce peuple belliqueux, fier ?
Le soleil : Il agit au nom de son propre droit ; et il pourra le faire grâce à l’habileté, qui lui tient lieu de force… » (Hutten, éd. E. Böcking, t. 4, p. 278)
9 Phaéton : « O Jupiter, quel vacarme ! Quelles beuveries ! Quels cris, et comme ils sont désagréables ! Mais quel est ce cortège qui s’avance au milieu ? Et dis-moi, avant tout, quelle est cette ville ?
Le soleil : C’est Augsbourg ; les puissants de l’Empire y affluent, par exemple pour délibérer sur des sujets importants. Ce cortège accompagne hors de chez lui le légat du pape de Rome. » (Hutten, éd. E. Böcking, t. 4, p. 277-278)
10 Le soleil : « Il répète sans cesse qu’il est un berger, comme le Christ autrefois ; que les chrétiens sont ses brebis, surtout les Allemands ; et il envoie son légat pour tondre son troupeau et emporter la laine loin d’ici. Quelle injustice y aurait-il ?
Phaéton : Il n’y en a aucune, mon père, s’ils sont brebis de par leur foi, et si le pasteur les nourrit. Le soleil : Il les nourrit, mais, sache-le, de vraies sottises, qui cependant leur semblent du four rage…
Phaéton : Ça leur suffit, les apparences ?
Le soleil : À eux, oui, ça leur suffit.
Phaéton : Eh bien, qu’il tonde ses brouteurs de sottises, et même qu’il les écorche, s’il en a envie !
Le soleil : Mais il ne s’en prive pas, et ce tondeur cupide tranche désormais dans le vif… » (Hutten, éd. E. Böcking, t. 4, p. 278-279)
11 Par exemple nugivoras, que nous traduisons par « brouteurs de sottises ».
12 La triade romaine dont il est question dans le titre est composée de l’hypocrisie, la simonie et la tyrannie, ce qui suffit à suggérer la teneur du dialogue. Celui-ci a inspiré à Matthias Grünewald une gravure célèbre qui porte le même nom.
13 Hutten : « Dans ton royaume, dis-moi, scélérate ? Là, tu signes ton arrêt de mort, et on t’appellera désormais sac de frappe [sexcentoplagae indito cognomine] ; c’est ainsi que je vais te rompre tous les membres. Tiens, mange mes poings [ede pugnos].
La Bulle : Je n’ai pas faim [non esurio].
Hutten : Mange quand même !
La Bulle : Tu me frappes donc, finalement ?
Hutten : Juge par toi-même.
La Bulle : Il m’a rouée de coups ! Malheur à toi [Vae capiti tuo] !
Hutten : Malheur à tes épaules [Vae scapulis tuis] !
La Bulle : Tu connaîtras une mort funeste, misérable, digne de toi !
Hutten : Avant que tu puisses, toi, causer la mienne, ou celle de quelqu’un d’autre, tiens, impie, prends ça : voilà une avoinée de coups fertiles [accipe fertiles, impia, plagas]. » (Hutten, ed. E. Böcking, t. 4, p. 320)
14 Par exemple bullicida ; bullivendis ; cocreatura.
15 Par exemple bullistae (Lettre de Luther, sans date, donnée dans Hutten, éd. E. Böcking, t. 5, p. 346).
16 Hutten: « Ad perpetuam rei memoriam… Tu es une Bulle. Mais d’où vient ce nom de Bulle ? Est-ce parce que tu es vide, et que, produit d’un souffle, tu t’évanouis en un instant ?
La Bulle : Tu es trop méprisant.
Hutten : Trop méprisant ? Toutes les bulles qui sont émises n’ont-elles pas coutume de s’envoler au moindre souffle ? » (Hutten, éd. E. Böcking, t. 4, p. 316)
17 Hutten : « Laisse-nous la Liberté, que tu sois une Bulle de la sorte que les Grecs nomment πoµϕλυξ [pustule], ou de l’espèce qu’ils appellent ϕύσηµα [cloque].
La Bulle : Tu te trompes, ce n’est pas là l’explication de mon nom ; c’est parce que nous nous occupons des affaires ; les Anciens nous ont appelées Bulles d’après le mot βoυλῆ, et ont voulu qu’on nous honore. » (Hutten, éd. E. Böcking, t. 4, p. 317)
18 Hutten : « Selon moi, pourtant, quelle que soit l’origine de ton nom, tu n’es pas une Bulle, mais une bourse [bulga] : car vous avez coutume d’emmener d’ici de l’argent, et d’apporter ce viatique aux créatures de Rome. En outre tu me sembles brûler des flammes de la cupidité. Mais, fais voir, tu es en cuir [scortea], cela convient parfaitement !
La Bulle : Je me demande si tu as des yeux, toi qui me crois en cuir [scortea], alors que je suis en parchemin ; ne m’appelle pas bourse, non plus ; je craindrais qu’on ne donne à ce nom un sens obscène.
Hutten : Mais nous te trouvons tout à fait obscène, que tu sois une bulle ou une ampoule ! » (Hutten, ed. E. Böcking, t. 4, p. 317)
19 Hutten : « C’est donc d’autre chose que tu es emplie, ce qui explique ta grosseur ?
La Bulle : Oui.
Hutten : De quoi ? Car tu es vraiment énorme !
La Bulle : Certainement : je suis pleine de religion, pleine de pouvoir, de règne, d’honneur et de divinité.
Hutten : À mon avis, tu es gonflée de superstition et d’avarice, enflée d’arrogance et d’ambition, ivre des gloires les plus vaines, mais, pour le reste, tu ne contiens pas une once de probité ni d’innocence. » (Hutten, ed. E. Böcking, t. 4, p. 317)
20 Hutten : « Jamais je n’ai vu une Bulle plus vilaine. Comme tu es noire, et d’un aspect peu amène ! » (Hutten, éd. E. Böcking, t. 4, p. 321)
21 Ad Petrum de Aufsas pro Phalarismo ab illo discerpto apologia, in Hutten, éd. E. Böcking, t. I, p. 296.
22 La Bulle : « Il n’est pas permis au Souverain Pontife d’envoyer ici ses créatures pour régner sur vous ?
Hutten : Comment cela pourrait-il l’être ?
La Bulle : Tu l’ignores ? Je vais te l’apprendre : les Papes de Rome vous ont donné l’empire romain ; en échange d’un tel don, ils exigent de vous que vous supportiez les Bulles, les légats et l’honnête trafic des prélats de l’Église. » (Hutten, éd. E. Böcking, t. 4, p. 319)
23 Hutten « C’est un homme stupide et dépourvu d’agrément, mais pas assez idiot pour qu’on le mette à la tête de cette entreprise. Il est mauvais, fonce sans réfléchir, et il est toujours prêt s’il y a quelque part un mauvais coup à faire.
La Bulle : Que dis-tu ? C’est un grand homme, que Léon X élèvera au plus haut, s’il mène à bien le forfait qu’il a entrepris.
Hutten : Puisse-t-il s’élever… au bout d’une corde !
La Bulle : Pourquoi serait-il protonotaire apostolique, et, si la modestie de cet homme l’avait permis, déjà même évêque ?
Hutten : Pour avoir osé ce forfait : faire du mal à des hommes de bien. » (Hutten, éd. E. Böcking, t. 4, p. 318)
24 La Bulle : « Pauvre de moi, pauvre piété ! Où est Johann Eck maintenant ? Où s’est transporté cet homme de bien ? Il a eu connaissance de mon malheur, il a décidé de fuir ! C’est comme ça que tu as voulu me livrer à l’ennemi, théologien de carnaval, pleutre malhonnête ? » (Hutten, éd. E. Böcking, t. 4, p. 322)
25 « Allons, qui que tu sois, que tu sois excommunié ou maudit, pour quelque raison que ce soit, pour n’importe quel crime, qui relève du droit, du droit canon, ou des hommes ; qui que tu sois, toi qui as commis un inceste ou un adultère, toi qui as violé des vierges, souillé des mères de famille ; qui que tu sois, toi qui t’es parjuré, qui as commis un meurtre, qui as quitté la religion, plusieurs fois ; toi qui as tué un prêtre, ou qui as transgressé les lois humaines et divines, sois absous et retrouve l’innocence. Toi qui as dérobé des objets sacrés, qui as pillé les églises, qu’il te soit permis de jouir pour toujours de ces biens, et qu’il te soit accordé de n’avoir pas à rendre ce que tu as pris. Écoutez-moi, où que vous soyez, contempteurs de Dieu, hommes privés de toute humanité : en échange de ce petit service, vous pourrez balayer toute l’ordure immonde des plus terribles crimes : le meurtre de cet homme sera suffisant, et n’importe qui peut le commettre impunément. Tout délit, fût-il hors norme, tout crime, même inouï, tout meurtre, même incroyable [sera pardonné]. Écoutez-moi, écoutez, Allemands, même si vous avez commis contre ma sœur, la Bulle Caenae Domini, quelque crime, fût-il réservé au Siège apostolique, et dont la règle veut qu’on l’expie par une pénitence publique, si quelqu’un a fait quelque chose contre les règles édictées par la chancellerie, de quelque manière que ce soit, de quelque façon, dans le domaine spirituel ou temporel, voici la manière d’être rendu à sa pureté originelle, le moyen d’être lavé. » (Hutten, éd. E. Böcking, t. 4, p. 312)
26 « Que notre Seigneur Jésus-Christ ait pitié de toi, et t’absolve par les mérites de sa très-sainte Passion ! Et moi, en vertu de la puissance apostolique qui m’a été confiée, je t’absous de toutes les censures ecclésiastiques, jugements et peines que tu as pu mériter ; de plus, de tous les excès, péchés et crimes que tu as pu commettre, quelque grands et énormes qu’ils puissent être et pour quelque cause que ce soit, fussent-ils même réservés à notre très-saint Père le Pape et au siège apostolique, j’efface toutes les taches d’inhabilité et toutes les notes d’infamie que tu aurais pu t’attirer à cette occasion. Je te remets les peines que tu aurais dû endurer dans le purgatoire. Je te rends de nouveau participant des sacrements de l’Église. Je t’incorpore derechef dans la communion des Saints, et je te rétablis dans l’innocence et la pureté dans laquelle tu as été à l’heure de ton baptême. En sorte qu’au moment de ta mort, la porte par laquelle on entre dans le lieu des tourments et des peines te sera fermée, et qu’au contraire la porte qui conduit au paradis de la joie te sera ouverte. Et si tu ne devais pas bientôt mourir, cette grâce demeurera immuable jusqu’au temps de ta fin. Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Amen. »
27 Les Dialogi Novi (janvier 1521), le deuxième volume de dialogues de Hutten, réunissent Monitor (primus), Monitor (secundus), Bulla et Praedones.
28 Le texte porte : « La liberté allemande, la Bulle, Hutten, Franz de Sickingen, et quelques Allemands ». À la fin du dialogue, avec Sickingen, arrive l’empereur Charles Quint.
29 « Je pourrais peut-être ne pas bouger à propos de Luther ; mais en ce qui concerne la Liberté il n’en est pas question. » (Hutten, éd. E. Böcking, t. 4, p. 319) et, plus loin :
La Bulle : « Tu oses porter la main sur moi ? Te voilà anathème de fait ; Léon X saura désormais que tu es Luthérien.
Hutten : Mais je ne le suis pas ; je suis en revanche, plus encore que Luther, ennemi des Bulles, et très hostile à la Rome impie.
La Bulle : Il y a peu, l’Allemagne ne comptait pas de tels hommes. Misérables ! Ô comble de misère ! Jusqu’où osez-vous lever vos cornes ? À voir votre impudence, je pense que vous boirez à la même coupe, Luther et toi – et bien des maux attendent ce Babylonien –, à moins que tu n’écoutes mes avertissements et que tu ne te ressaisisses. » (Hutten, éd. E. Böcking, t. 4, p. 320)
30 Lettre de Hutten à Luther (4 juin 1520) : Christus adsit, Christus iuvet, quandoquidem eius stata adserimus, eius obscuratam pontificiarum caligine constitutionum in lucem reducimus doctrinam ; tu foelicius, ego pro viribus […] Vindicemus communem libertatem, liberemus oppressam diu iam patriam : deum habemus in partibus ; quodsi deus pro nobis, quis contra nos ? « Le Christ soit avec nous, Le Christ nous aide puisque nous défendons les principes qu’il a enseignés, nous ramenons en lumière sa doctrine, obscurcie par le brouillard des dispositions pontificales, toi avec grand succès, moi dans la mesure de mes forces […] Nous vengerons notre liberté commune, nous libérerons notre patrie depuis longtemps opprimée : nous avons Dieu de notre côté ; et si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? » (Hutten, éd. E. Böcking, t. 1, p. 355-356.)
31 Chaunu P., Escamilla M., Charles Quint, Paris, Fayard, 2000, p. 157-169.
32 Hutten, éd. Böcking, 1862, p. 453-455.
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