Le sujet exposé au miroir de l’art et des sciences humaines (Christian Boltanski, Roland Barthes, Jacques Derrida et Jean-Luc Nancy)
p. 333-351
Texte intégral
1Le sujet contemporain vit à travers ses propres images, et l’art de l’exposition de soi participe de la condition de l’humain moderne. Cette condition réflexive, alimentée par une débauche exponentielle de moyens techniques, a donné lieu à deux voies d’interprétation du sujet exposé, l’une par les sciences humaines, qui a fondé en un siècle une nouvelle épistèmê de l’identité, l’autre par l’art, qui a vu monter en puissance la figure singulière de l’artiste. Au moment du passage de la postmodernité au contemporain, deux aspects particuliers de l’exposition de soi ont émergé : l’un se trouve lié à la notion anthropologique de « bricolage mythopoétique », l’autre à celle, plus philosophique, de réflexivité théorique. Ces deux miroirs du sujet moderne et contemporain se sont fait relais entre les années 1970 et 1990, par-delà une exposition de soi plus communément admise. Ces processus d’exposition bricolés ou réflexifs sur lesquels je souhaite insister ne relèvent en effet ni de l’intime, ni d’une fiction ou autofiction, ni même de l’autoportrait. Il s’agit de dispositifs visuels, vivants, mobiles, qui renvoient à une automédialité qui traverse les arts, la littérature et la philosophie. Toutefois, ces dispositifs auto-réflexifs, ouvertement bricolés chez Christian Boltanski ou conceptuellement refroidis chez Jacques Derrida par exemple, commentent et questionnent le rapport du sujet, non pas seulement à son image, mais à ses modalités d’exposition.
2En raison de la multiplicité des supports rendant possible l’exposition de soi, les notions d’ethos, de posture, et encore moins de fiction de soi, ne peuvent à elles seules rendre compte des aspects chatoyants d’un sujet qui s’expose dans le discours, l’image mais aussi des dispositifs médiateurs. Les éléments hétéroclites qui œuvrent à rendre sensible et visible cette exposition soutiennent une interrogation culturelle et philosophique plus large du sujet. Par un effet spiral, le sujet se manifeste à travers des pratiques esthétiques variables – vidéos, photographies, sons enregistrés, textes, performances – dont les modes d’apparition eux-mêmes sont, par nature, intermittents. Pour se représenter cette intermittence, on ne verra Christian Boltanski que dans les espaces muséaux, Roland Barthes en ouvrant son Roland Barthes par Roland Barthes, Gilles Deleuze en faisant tourner sur un écran son Abécédaire. De même la jeune Corrie consciencieusement (ou obsessionnellement ?) observée en 2002 à travers sa webcam par Nicolas Thély ne sera visible qu’à des moments définis par elle et aléatoires pour le spectateur1. Si ces pratiques d’exposition intermittentes mêlent plusieurs supports médiatiques, elles placent de façon récurrente le sujet-artiste, sujet-auteur, sujet-philosophe au centre de l’attention. Cette concentration scopique sur le corps du sujet, son image, ses émanations comme autant de signes à décrypter, agit en retour sur ses modes d’apparition, au point que le corps peut être désormais pensé comme un média à part entière, ce que nous verrons tout particulièrement avec les apparitions scéniques de Jean-Luc Nancy2.
3Lorsqu’il prend en charge esthétiquement son exposition, l’objet de la pratique artistique se met à contenir son propre sujet, à le dépasser, le distancier, voire, le transcender : être à la fois le sujet et l’objet d’une œuvre force une projection hors de soi. Mais les dispositifs choisis chez les artistes, auteurs et philosophes dont il est question ici, indiquent clairement que cette mise à distance du sujet se fait sur une modalité à la fois critique et esthétique. Cet art intermittent de l’exposition du sujet ouvre ainsi, par sa transversalité disciplinaire, la possibilité d’une réévaluation du concept de « sujet » et de son image.
Expositions contemporaines intermittentes
4Le sujet exposé est donc à entendre comme un sujet qui se montre et se rend visible par intermittence. Il n’y a pas d’exposition continue, si ce n’est sous le regard fantasmé d’un dieu omniscient. Dans les œuvres autobiographiques visuelles, une illusion de continuité par le jeu de la fiction peut faire écran à cette discontinuité vécue, même si l’on sait pertinemment que les récits illustrés de Sophie Calle ne la mettent en scène que dans des circonstances déterminées (souvent des ruptures amoureuses), de même les images intimes de Nan Goldin ne l’exposent que sous un certain jour3. Les dispositifs transmédiatiques actuels, appuyés par les techniques contemporaines d’enregistrement et de diffusion des images, poussent les limites de cette exposition sinusoïdale, afin d’approcher ce fantasme d’une vision continue, complète, totale d’un sujet. C’est ainsi que semble se réaliser avec une sorte de plaisir le châtiment de Caïn, poursuivi par l’œil divin jusque dans la tombe, au point qu’il a été rejoué par la claustration volontaire dans un Loft bardé de caméras4 ou à travers un « jeu avec le diable » mis en place par Christian Boltanski, et intitulé La Vie de C. B.. Cette installation participe pour beaucoup des modalités contemporaines de l’exposition du sujet, dans la mesure où elle renvoie à la fois à la télé-réalité, aux webcams ou à une tendance générale à la surexposition médiatique. Débutée en 2011, La Vie de C. B. consiste surtout en un pari sur le temps. Il s’agit d’une vidéo placée dans l’atelier de l’artiste, à Malakoff. Elle diffuse en continu ses images à l’autre bout de la planète, dans une grotte en Tasmanie, où réside le collectionneur David Walsh qui a acquis cette pièce en viager, payable en 2018 – si et seulement si Boltanski est toujours en vie. Autre clause du contrat, restrictive : l’acquéreur ne pourra revenir en arrière pour regarder les enregistrements qu’après la mort de l’artiste. En attendant la date fatidique, Boltanski a mis en place un autre autoportrait intermittent, Storage memory, quant à lui ouvert à tous : chaque mois, depuis février 2012 et jusqu’à la fin de sa vie, l’artiste enregistre dix petits films d’une minute pour les mettre en ligne sur un site réservé aux abonnés5. Enregistrer les intermittences du sujet pour conserver sa trace comme signe d’une totalité, à défaut du tout lui-même, est encore un troisième projet de Boltanski endossant alors le rôle de conservateur d’une bibliothèque gigantesque les Archives du cœur (2010), située sur l’île déserte de Teshima au Japon. Elle a la particularité de contenir l’enregistrement des battements du cœur de l’artiste mais avec les siens, ceux de milliers d’autres personnes, captés à travers le monde depuis 2005. Ces exemples récents d’exposition du sujet autour de l’artiste Christian Boltanski portent en eux leur propre intermittence, faisant le lien entre deux états, l’absence et la présence, contenue elle-même dans le rythme cardiaque dans le cycle de ses diastoles et systoles. L’intermittence n’est pas à concevoir seulement de façon dialectique mais plutôt transitive, entre deux états, deux versants du sujet vivant, mobile. Avec les battements du cœur, eux aussi intermittents, nous entrons dans l’exposition d’un sujet à l’œuvre, un sujet en procès mais qui se met sur la scène comme sur un plateau médical pour une exposition réflexive, une leçon d’anatomie du sujet – quelques siècles après Rembrandt.
L’image de soi, une science humaine déjà ancienne
5L’image de soi et son exposition peut aussi se concevoir comme un horizon de connaissance du sujet. Elle se rattache de loin en proche à une utopie vériste, portée par exemple dans les années 1920 par la nouvelle objectivité d’August Sander en photographie, dont les images crues lui ont valu d’être interdit par le régime nazi6. Cette exposition du sujet fraye aussi le désir d’un déchiffrement du sens sous l’apparence d’un corps ou les traits d’un visage, un fantasme alimenté jusque dans L’Empire des signes par Barthes qui lit et décrypte au Japon le « visage écrit » du différend absolu7. Mais le sujet exposé est avant tout un sujet à l’œuvre. Il recouvre une forme publique signifiante recevable et interprétable par une communauté qui se constitue autour d’un objet à observer, sentir, critiquer ensemble. S’emparant de cette notion de communauté, désignée à double sens comme « désœuvrée » en 1986 par Jean-Luc Nancy, Jacques Rancière redéfinit les conditions de réception et de production artistiques dans l’espace social en replaçant l’expérience esthétique au cœur d’un « partage du sensible » (2000). C’est entre ces deux moments théoriques que Giorgio Agamben désigne quant à lui la « Communauté qui vient » à partir du principe de « singularité quelconque » (1990) qui articule nettement la position du singulier – pour ne pas dire de l’individuel8. C’est dans ce paysage imaginaire théorique que se développent des recherches tant formelles que conceptuelles sur la création et l’exposition d’un sujet singulier dans le champ social.
6Cette aventure contemporaine du sujet exposé débute vers la fin des années 1960 avec l’apparition sur la scène artistique d’un renouvellement des mises en scène de la figure de l’artiste et plus généralement de l’auteur, celui-ci ayant été déclaré « mort » par Roland Barthes en 1967. À la même époque, le commissaire d’exposition Harald Szeemann rassemble sous la bannière des mythologies individuelles un groupe d’artistes conceptuels, des bruts ainsi que de jeunes artistes de la scène parisienne post-1968, ces derniers étant marqués à la fois par un rejet de la figuration narrative, la peinture moderniste et par l’essor des sciences de l’Homme9. Lecteurs des Cahiers de l’Art brut, des Mythologies de Barthes, au courant des recherches de Pierre Bourdieu par l’entremise de Luc Boltanski, Annette Messager et Christian Boltanski sont en effet imprégnés de cette nouvelle pensée humaniste et critique de la fin des années 1960. Elle est alors incarnée par des personnalités phares de la sociologie, de l’ethnologie et de la psychologie comme Pierre Bourdieu, Claude Lévi-Strauss mais aussi Jacques Lacan10. Quant à Roland Barthes, à la fois sociologue, analyste des médias et critique littéraire, son Roland Barthes par Roland Barthes le place en précurseur d’une réflexion profonde sur l’image de soi et ses dispositifs qui va émerger de cette décennie d’exposition du « sujet », un sujet exposé sous toutes les coutures comme face à un « miroir encyclopédique » pour reprendre les termes d’Anne Herschberg-Pierrot11. Cécile de Bary remarque également une véritable émergence de la notion de « sujet » à travers la poussée humaniste : « ce retour n’est évidemment pas un phénomène isolé, spécifiquement littéraire », constate-t-elle, « il est préparé par les sciences humaines : il faudrait ainsi évoquer autant les “récits de vie”, souvent publiés dans la collection Terre humaine – qui passionnent les lecteurs dans les années 1970 – que les récits psychanalytiques12 ».
7Dans ce contexte littéraire et scientifique qui voit apparaître de plus en plus de sujets s’exposant au public, les performances tiennent le haut du pavé dans le monde de l’art, mettant parfois directement à contribution le corps de l’artiste (Body art, Actionnisme viennois) ou le public (Fluxus). Le dramaturge Tadeusz Kantor, qui réalise un happening d’après La leçon d’anatomie du Dr Tulp par Rembrandt en 1969, se fait une spécialité d’apparaître sur scène dans ses pièces. Cette exposition du sujet se généralise et loin d’être morts, les auteurs font de plus en plus résonner leur voix propre dans leurs textes, même dans les sciences humaines. Certains essais majeurs du début des années 1980 témoignent de cette mise en avant du sujet-auteur, celui de Georges Duby en 1983 portant sur la nouvelle tendance à l’« Ego-histoire13 », décisif pour les historiens, de même que La Carte postale de Jacques Derrida et La Chambre claire de Roland Barthes en 1980. Ces textes intègrent, non pas une forme de subjectivité comme on a pu le dire parfois de façon abusive, mais une forme d’exposition du sujet à l’œuvre dans un moment processuel où sa pensée se laisse voir en plein développement.
8Le champ des sciences humaines fut donc le terreau et le décor de cette auto-analyse constante, prenant pour objet l’Homme, sa vie en communauté, sa vie psychique, ses outils de communication mais aussi ses moyens d’expression plastique et créative. Des sciences humaines apparaît la notion de bricolage mythopoétique que Claude Lévi-Strauss présente dans La Pensée sauvage en 1962 comme une activité structurante à la fois pour la communauté et l’individu. Le bricolage a des facultés doubles, à la fois créatrices et réflexives : « Comme le bricolage sur le plan technique, la réflexion mythique peut atteindre, sur le plan intellectuel, des résultats brillants et imprévus. Réciproquement, on a souvent noté le caractère mythopoétique du bricolage14 … » Dans un article portant sur le devenir mythopoetique de la mythocritique, Véronique Gély résume ainsi la position exprimée par Lévi-Strauss dans La Pensée sauvage : « Ici mythopoétique signifie simplement “qui fabrique des mythes” ou “qui fabrique du mythe”15… » C’est cependant ignorer que le mythe, et notamment dans l’Art brut aussi appelé « arts singuliers », que Claude Lévi-Strauss intègre dans sa réflexion, est constitutif de la fabrication de l’identité, d’une manifestation directe du sujet : « la pensée du bricolage lui vient aussi, et surtout, de ce qu’il ne se borne pas à accomplir ou exécuter ; il “parle” […] : racontant, par les choix qu’il opère entre des possibles limités, le caractère et la vie de son auteur. Sans jamais remplir son projet, le bricoleur y met toujours quelque chose de soi […]16 », de sorte que cette fabrique mythopoétique procède d’un bricolage qui lui-même révèle une part de l’identité du bricoleur.
L’identité bricolée : une mythopoétique
9C’est toute la thèse ultérieure du sémioticien Jean-Marie Floch, spécialiste du design et auteur en 1995 d’un ouvrage majeur, Identités visuelles. Il se réfère directement au bricolage énoncé par Claude Lévi-Strauss à l’occasion d’une étude, en apparence décalée, du « total look » de Coco Chanel, à savoir ce style Chanel si particulier, sa silhouette, ses accessoires, ses couleurs17. Cette référence à un système de la mode n’est pas anodine : elle préside à une véritable théorie du bricolage identitaire et visuel. Floch reconnaît d’abord chez Coco Chanel les mêmes processus de production et de création que pour les compositions abstraites de Kandinsky qui associent des systèmes semi-symboliques : peu importe que la visée soit commerciale, l’identité visuelle est avant tout le résultat d’un bricolage sémiotique qui associe « le sensible et l’intelligible […] le visuel et les autres manifestations sensorielles18 ».
10Laissant de côté Chanel et poursuivant son interprétation de Lévi-Strauss, Floch souligne que « le bricolage n’est pas le fait de la seule pensée sauvage ; la pensée scientifique, elle aussi, bricole19 ». Il va plus loin en affirmant qu’il y a même plus « qu’une similarité objective entre la pensée mythique, l’analyse mythologique et le bricolage », et selon lui, « il existe une relation toute personnelle entre l’objet d’étude, le chercheur et la forme de pensée […]20 ». Cette intrication entre forme de pensée, bricolage et création individuelle a été commentée par Derrida qui lui a ajouté la notion centrale de jeu21. Floch quant à lui rapproche le bricolage intellectuel et créatif de la personnalité même de Lévi-Strauss en rappelant l’influence croisée du linguiste Roman Jakobson et du collagiste Max Ernst durant ses années à New York. Cette double fréquentation aurait associé dans son esprit le travail sur la pensée du langage et l’expérimentation picturale par l’association de fragments. Pour aller dans le sens de Floch, on remarque qu’en effet esthétique et pensée se sont toujours intimement entrelacées chez Lévi-Strauss, lui qui composait Le Cru et le cuit comme une partition musicale et qui comparait dans son dernier ouvrage Regarder, écouter, lire (1993), « deux formes de bricolage sublimes », les œuvres de Poussin et Proust. L’année de parution de cet ouvrage, Lévi-Strauss lui-même rappelait encore à l’occasion d’un entretien au Figaro que le bricolage lui apparaissait « essentiel pour le fonctionnement de la pensée humaine22 ». On comprend donc que ce bricolage de la pensée implique de façon manifeste consubstantiellement une dimension créatrice et esthétique, faisant aller de pair avancées poétiques, esthétiques et intellectuelles.
11À partir des années 1970, les Surréalistes ne sont plus les seuls à emprunter à l’ethnologie ou à la psychanalyse la matière de leurs expériences esthétiques. Les artistes des mythologies individuelles font désormais pendant à cette tendance créative de la pensée, qui avance aussi par bricolages successifs. En 1977, le critique d’art Günter Metken, qui a suivi Christian Boltanski depuis ses débuts, publie un recueil d’articles revenant sur la décennie passée et la pratique de « l’archéologie de soi » (la Selbstforschung). Dans son introduction, il lui paraît naturel qu’une telle introspection soit apparue en France, là où « l’ethnologie avait grâce à Lévi-Strauss gagné en actualité23 ». Si l’on regarde donc plus attentivement les premières œuvres de Christian Boltanski, elles s’inscrivent visuellement et volontairement dans une esthétique du bricolage, qui s’est enrichie de la légitimation de nouvelles pratiques artistiques telles que l’Art brut et la photographie.
12Tout d’abord, les objets que Christian Boltanski présente sont manifestement bricolés et laissés sans finition. Dans sa Vitrine de référence de 1971, conservée au Centre Pompidou24, on trouve un petit échantillon d’une douzaine de boulettes de terre confectionnées à la main, boulettes qu’il a réalisées par milliers et toutes compulsivement rangées dans les boîtes en métal caractéristiques de ses installations. Dans cette vitrine muséale, Boltanski dispose également une sorte de piège rudimentaire fait en tissu, fil de fer et épingles, à la manière d’un outil primitif, au milieu de petits items personnels : photographies d’identité, morceaux de cheveux et de vêtements. Cette manière d’exposer des objets rappelle les vitrines archéologiques ou ces grandes boîtes vitrées par-dessus lesquelles on peut se pencher au Musée de l’Homme du Trocadéro pour prendre connaissance des mœurs et outils de la vie quotidienne de peuplades anciennes ou exotiques. La vitrine de Boltanski, à la fois ethnologique et archéologique, rassemble des petits objets qui témoignent à la fois de l’intense activité de bricolage de l’artiste mais aussi de la distanciation qu’il opère en les plaçant dans un dispositif d’observation qui a pour visée la connaissance humaine au sens large. Régine Robin rappelle par ailleurs que cette compulsion de Boltanski à « se conserver tout entier » est elle-même directement liée à une activité de bricolage : « [il] se livre à un bricolage maniaque sur la simulation de la mise en scène de soi et le fantasme de “tout conserver”25 ». Et bien qu’elle n’insiste pas sur le travail expographique qui accompagne et commente cette conservation de soi, Boltanski se dédouble, tel le bricoleur de Lévi-Strauss qui se rêve ingénieur. L’artiste se fait en conservateur et commissaire d’exposition de ses propres fragments, présentés finalement de façon très méthodique, scientifique pourrait-on dire.
13D’autres vitrines de référence de ce type constituent une série entière menée de 1970 à 1972. Elles exposent une grande variété d’objets bricolés : là des sucres sculptés, ici de petits couteaux en bois montés d’une lame de rasoir, un lance-pierre fait avec une branche et un élastique, tout un ensemble fabriqué en matériaux simples. L’ensemble témoigne en l’état « d’une pensée en train de s’élaborer26 » mais aussi d’une pensée de l’exposition du « sujet » en construction, tendant vers plus d’objectivité. Les objets, désignés en muséologie comme des « expôts » pour les distinguer des « dépôts », forment donc une vitrine témoignant de bribes d’un Christian Boltanski très évanescent, puisque pour une fois, ni son nom ni même ses initiales ne sont mentionnées dans le titre de l’œuvre. Il en résulte une vitrine anthropologique faisant référence à un sujet absent, non identifié, mais ayant par contre un riche palimpseste de références croisées qui renvoient directement aux sciences de l’Homme. À ce jeu de relations intertextuelles, on peut, dans la Vitrine de 1971, comme dans L’Album de la famille D. réalisé la même année, trouver un écho direct à l’usage des photographies que commente Pierre Bourdieu dans Un art moyen, une étude à laquelle Luc Boltanski, le frère, participe entre 1961 et 196427. Si les boulettes et objets magiques semblent tout droit sortis de La Pensée sauvage de Claude Lévi-Strauss (1962), même la fameuse conférence de Jacques Derrida, « La Structure, le signe et le jeu dans les sciences humaines » (1966) paraît littéralement illustrée par la photographie d’un enfant jouant à assembler une structure avec des cubes. Boltanski ne fait d’ailleurs pas secret de cette influence à Catherine Grenier dans son entretien fleuve de 2007 : « il y a plutôt eu une grande influence, chez nous tous, de Lévi-Strauss et du structuralisme », confie-t-il, et la « caractéristique principale de ce moment a été la découverte des sciences humaines par un groupe d’artistes […] moi [prenant à mon compte] une sorte d’ethnologie personnelle28… »
14La mise en abyme entre l’individuel et l’universel se fait donc par le choix de la forme qui inscrit le dispositif et ce qu’il représente dans un intertexte commun. Il faudrait dès lors considérer l’activité de bricolage à la Boltanski d’un point de vue plus anthropologique qu’autobiographique. La mise en exposition renvoie dans ce cas d’une part à une tradition muséale qui entretient un certain rapport à la scénographie des objets et des « expôts29 ». D’autre part, on distingue nettement qu’elle se réfère également, tout en la mettant à distance, à une certaine conception de l’homme restituable sous la forme d’un ensemble d’objets disposés selon des groupements pertinents pour la compréhension de sa culture, ou encore de son identité30. Elle propose aussi, tout simplement, la possibilité d’une nouvelle forme d’exposition de soi. Pour Michel de Certeau, dans L’Invention du quotidien, cette activité de bricolage est une tactique déviante qui a même une fonction politique dans la mesure où elle imposerait à travers les objets la présence d’une singularité, une promesse de lendemain à défaut de postérité, si l’on en croit l’interprétation de Pierre Taminiaux31.
15On pourrait ainsi multiplier les points de contacts entre ethnologie, sociologie, archéologie et anthropologie et les artistes des années 1970, tant ces disciplines sont étroitement imbriquées dans la pratique artistique d’un Joseph Beuys, des performeuses Carolee Schneemann (Interior scroll, 1975) ou Ana Mendieta (série Arbol de la Vida, 1977), mais aussi des artistes d’autres tendances comme Mario Merz (Arte Povera), Robert Smithson (Land Art), Robert Filliou (Fluxus) ou Fred Forest, auteur en 1974 du Manifeste pour l’art sociologique. Si l’on intègre Boltanski dans cette tendance de l’artiste-chercheur, point d’autofiction ni même d’autoportrait dans cette vitrine. Et cette modalité d’exposition qu’il continuera à utiliser, en l’appliquant à d’autres, notamment avec l’Inventaire des objets ayant appartenu à une jeune fille de Bordeaux, commencée en 1973 (collection du CAPC, Bordeaux), signale qu’il souhaitait justement d’éviter cette confusion entre exposition de soi et d’un « sujet32 ».
Formes réflexives et théoriques du sujet exposé
16Pour en revenir au « sujet », et à l’horizon de son identité, il se définit à travers des pratiques mythopoétiques, créatrices d’une mythologie certes mais productrices de formes plastiques qui traduisent matériellement la pensée du sujet à l’œuvre, l’expose. Comme je l’ai indiqué, Boltanski prend progressivement ses distances avec sa propre image. Pour ce faire, il tend à utiliser d’autres identités pour continuer ce versant anthropologique de son travail et se dégager du soupçon autofictionnel. La distance va se jouer sur le mode de l’autodérision expressionniste avec la série des Saynètes comiques en 1974, qui sont presque la dénonciation critique de ceux qui auraient pu croire en la supercherie Boltanski. De la même façon, Jean Le Gac en créant la figure du peintre qu’il va mettre en scène dans sa propre activité, parodie le discours de Clement Greenberg sur la dimension auto-critique des arts et la recherche d’une finalité esthétique qui tombe, avec cet exercice d’auto-analyse de l’artiste, dans la tautologie. La distanciation semble même, dans la rétrospective, de plus en plus marquée : l’image s’altérise, se décolle de façon quasiment visible du sujet pour devenir un objet de réflexion et de travail autour d’un bricolage générateur de mythe et d’identité visuelle.
17Parallèlement à cette prise de distance affirmée chez Boltanski et Le Gac, Roland Barthes se trouve de 1972 à 1974 aux prises avec un problème similaire : comment traiter le sujet Barthes dans un dispositif automédial ? C’est en effet durant cette époque qu’il tente d’honorer la commande que Denis Roche lui a passée pour sa collection Écrivains de toujours, imposant la double approche biographique et iconographique. Ce qui était peut-être pour l’éditeur une boutade de fin de repas devient un véritable casse-tête existentiel et critique pour Barthes. Il décide dans un premier temps de rationaliser l’opération par la production d’un dictionnaire de soi discuté et élaboré au sein de son séminaire Le Lexique de l’auteur33. Ce travail préliminaire et collaboratif montre bien l’arrière-plan de la production du Roland Barthes par Roland Barthes, qui combine clairement réflexion théorique et bricolage. La « mythologie individuelle » se déplace subtilement, à pas chassés, sur le terrain de la réflexivité théorique, entraînant dans son sillage une réflexion plus générale sur l’individu contemporain. Le livre, désigné par Barthes par ses initiales « R. B. », sert de recueil pour les fragments comme une boîte qui garderait les objets en attente de leur sens, à la manière de ces puzzles ethnographiques que sont les « vitrines de référence ». S’il n’est pas lieu ici de s’attarder sur le Roland Barthes par Roland Barthes, l’on peut signaler une très nette continuité dans les préoccupations de Barthes et Derrida autour de la figure du sujet et de son décentrement, certaines expressions qu’ils emploient tous deux étant directement empruntées à Lévi-Strauss : le « Cercle des fragments » fait directement écho au cœur du texte de Derrida sur « Le signe, la structure et le jeu34 », on peut également évoquer l’effet d’image, ce que Barthes nomme imago, qui fige le sujet et qui ressurgira chez Derrida sous une autre forme, celle du spectre. Le Roland Barthes par Roland Barthes, livre-tentative, sert donc de transition praxémique et théorique entre d’une part les œuvres bricolées de Boltanski, directement issues des sciences humaines et une philosophie de l’image qui va être à l’œuvre chez Jacques Derrida et Jean-Luc Nancy dans les années ultérieures. Les expériences visuelles et autographiques de ces derniers se manifestent par un travail esthétique intermittent, qui fait entrer en contact deux voies de la représentation du sujet, celles de l’esthétique et celle de la réflexivité théorique, avec des proportions variables.
18Si la première apparition du sujet Barthes se fait subrepticement dans L’Empire des signes en 1970 sous la forme d’une photographie retouchée, celle du sujet Derrida se fait de façon frontale dans Jacques Derrida de Jacques Derrida et Geoffrey Bennington, publié au Seuil en 1991 dans la collection Les Contemporains, sous la direction de Denis Roche. L’histoire se répète : Les Contemporains fait directement suite à la collection Écrivains de toujours, puisqu’il s’agit de faire la biographie d’un écrivain ou d’un philosophe avec des illustrations. La « filiation » intellectuelle et mythopoétique avec Barthes est d’autant plus évidente que Derrida est le seul à avoir l’honneur de faire son volume lui-même, avec Geoffrey Bennington, suivant un dispositif à la fois pensé et bricolé, celui de deux textes cheminant parallèlement, comme sur un polyptique. Le texte de Derrida, « Circonfession » est posé comme une prédelle en dessous de celui de Bennington intitulé, par un effet de chiasme, « Derridabase ». Ces deux textes forment un dispositif à double contrainte, l’une interne, car Bennington ne cite jamais Derrida, et l’autre externe, car, comme ils cheminent en parallèle, rendant la lecture simultanée impossible, seules les photographies créent une jonction entre les deux textes. Dans ce jeu de croisement entre bricolage esthétique et théorique de l’image de soi, La carte postale est certainement l’un des textes les plus conceptuels et personnels de Derrida avant cette autobiographie bicéphale35. L’intertexte avec ce précédent se fait par le truchement d’une image qui rend hommage au frontispice de l’édition originale, publiée en 1980, la même année que La Chambre claire de Barthes. Derrida avait alors choisi une enluminure illustrant un livre de bonne aventure du XIIIe siècle, la Prognostica Socratis Basilei de Matthew Paris : on y voit Platon dictant à un Socrate devenu simple scribe ce qu’il doit écrire. Pour son Jacques Derrida, Derrida élabore avec la photographe Suzanne Doppelt une mise en scène similaire dans laquelle Bennington prend la place de Platon tandis que Derrida tape à l’ordinateur ce qu’il lui dicte. L’image crée un lien prismatique entre les deux auteurs, réunis dans le livre par cette seule image. Elle tisse aussi une référence souterraine à cet autre livre de Derrida, La Carte postale, qui s’adressait à des destinataires absents et dont on saisissait malgré tout l’intimité profonde qui les reliait avec l’auteur (sa femme, Marguerite, en est une des destinataires principales). Jean-Luc Nancy, dans son essai À plus d’un titre, sur un portrait de Derrida par Valerio Adami36, rappelle comme une anecdote familiale presque anodine, que Jacques, sa femme et leurs fils aimaient jouer à monter des tableaux vivants en famille – sans savoir peut-être que Barthes durant son enfance basque allait lui aussi assister à des tableaux vivants, et qu’il avait non seulement fait du théâtre à la Sorbonne mais aussi avec son ami Pierre Klossowski, lors des fameux théâtres de société organisés par le frère de Balthus37. Ces jeux intimes de mise en scène de soi n’ont pas manqué de marquer en sous-main de leur empreinte les auteurs et derrière cette exposition du sujet, photographie, tableau vivant, espaces scéniques forment un cadre à la fois théorique et esthétique à ces apparitions intermittentes.
19On pense souvent à Derrida comme un philosophe du langage, de la structure. Pourtant il fut un penseur de l’image et de la forme autobiographique. Dans le film D’ailleurs Derrida, réalisé par Safaa Fathy, on suit le philosophe sur les traces de son enfance en Algérie, dans Tolède et Paris38. On y croise Jean-Luc Nancy, seul autre protagoniste faisant une intervention directe dans le documentaire. Le rapport à l’autre dans la conception du sujet derridien est capital, soit qu’il passe par un autre féminin (Catherine Malabou), un autre étranger (Geoffrey Bennington, Safaa Fathy), et même un autre organique, avec Jean-Luc Nancy39. Ce dernier porte en effet le cœur d’un autre, ce dont il a fait état dans L’intrus (2000) mais aussi dans une conférence troublante sur Faust intitulée d’après une phrase de Goethe mais comme s’il était question de lui-même, « Dans ma poitrine hélas, deux âmes sont logées40… » En 2004, Nancy avait déjà mis en scène pour Claudio Parmiggiani, artiste conceptuel italien, ce personnage de Faust en compilant les textes de Goethe : il s’agissait de les faire jouer par un acteur unique, censé incarner ses différentes versions, Méphisto compris, à lui tout seul41. Ce n’est donc pas sans raison que Derrida, dans l’ouvrage co-écrit avec Safaa Fathy Tourner les mots, compare son apparition à la loi qui même régit le film, comme si son corps était une mise en abyme vertigineuse du film en tant qu’il est le résultat d’une multitude de greffes, d’une série de montages, de coupes, de replacement, de textes intégrés par l’Acteur comme siens : « Chaque greffon, dans le film, peut prétendre – visiblement, silencieusement – à la même autorité théorique. […] La singularité du moment “Nancy”, c’est que cette fois le théorème est incarné par l’ami philosophe de toujours42. » Cette apparition chez Derrida en appellera d’autres.
20Derrida est le penseur des spectres, des Spectres de Marx, du communisme, qui hante l’Europe, mais qui fonde aussi la science des fantômes (une « hantologie ») qu’il déclare aussi être la science du futur dans Ghost Dance43 – lui-même se présente comme un fantôme, présent à l’image et déjà absent, mort en effet44. En cela, la pensée de l’image de Derrida, spectrale, et la portée de sa réflexion théorique sur sa propre image se distingue assez nettement de celle de Nancy qui fait pourtant relais en exposant directement son corps, faisant aussi œuvre de sa présence au monde. Si Derrida bricole avec Malabou, Bennington et Fathy des livres automédiatiques – La Contre-allée, Jacques Derrida, Tourner avec les mots – avec des dispositifs pervers, au sens positif du terme, Nancy se prête littéralement à des œuvres performatives et au jeu de l’exposition de soi. Comme s’il testait l’apparition d’un sujet au monde, soignant ces intermittences, les encadrant sur scène ou sur un écran vidéo, on constate que cette expérience du sujet exposé est la mise en œuvre d’une réflexivité théorique sur l’image des corps, leur évanouissement ou résistance. Je prendrai pour exemple premier l’œuvre vidéo JLN (portrait tombant de sommeil) réalisée par Élie Cristiani, artiste vidéaste corse en 2005. Ayant demandé au philosophe de ne pas dormir pendant vingt-quatre heures, il le laisse se filmer luttant très péniblement contre le sommeil. La vidéo dure deux minutes pendant lesquelles le philosophe fixe la caméra, jusqu’à l’épuisement. C’est dans l’exposition Dormir, rêver et autres nuits conduite par Maurice Fréchuret, que l’on a pu voir, en boucle, ce moment où le sujet disparaît, s’effondre dans le sommeil. Le catalogue est accompagné d’un essai du philosophe intitulé « Ars somni », une autre version de ce texte ayant été publiée ultérieurement sous le titre évocateur Tombe de sommeil45. Cette expérience d’un art de la chute dans le sommeil, pour faire résonner les deux titres de ses essais, renvoie à une forme d’intermittence du sujet vis-à-vis de lui-même et de sa conscience : « en tombant de sommeil, je tombe à l’intérieur de moi-même […] je glisse tout ensemble au plus intérieur et au plus extérieur de moi […]. Je dors et ce je qui dort ne peut pas plus le dire qu’il ne saurait dire qu’il est mort. C’est donc un autre qui dort à ma place46 », comme si le corps n’était, à ce moment-là, plus joué par le même acteur. Que ce soit dans le sommeil ou lors de ses apparitions sur scène, que je vais maintenant évoquer, Nancy joue à se glisser dans une autre peau. De Barthes à Derrida, de Derrida à Nancy, quelque chose de l’ordre de la boucle et de la rupture se joue en même temps. Un petit théâtre se trame à l’arrière-plan, mais les modalités d’exposition du sujet, sous sa forme esthétique, varient.
21Ainsi, la mise en pratique de l’exposition du sujet chez Nancy se fait littéralement sur la modalité de l’intermittence du spectacle, comme en témoigne sa remarquable participation à la conférence dansée Allitérations, pour laquelle il a écrit un texte, « Séparation de la danse », que la chorégraphe Mathilde Monnier a mis en scène47. La scène d’Allitérations distribue quatre tables : une pour l’auteur, deux pour les danseurs, une autre pour le compositeur. Chacun travaille à sa table, à sa manière. Il résulte de ce dialogue et de cette mise en exposition de soi une véritable dépersonnalisation de la figure de l’auteur, qui bien que présent sur scène, comme le dramaturge Tadeusz Kantor le fut, endosse « la peau d’un autre48 ». Isabelle Décarie interprète ce morceau de bravoure comme le moment où « il faudrait penser la danse dans une intermittence entre un intérieur et un extérieur, un dehors et un dedans qui s’échangent constamment […]49 », mais dont la peau reste une limite infranchissable, opaque. À partir de cette enveloppe qui reste partie visible et sensible du corps, Jean-Luc Nancy se fait le penseur d’une image-peau, qui renvoie à une corporéité du sujet – un Corpus50 – et à une sensibilité de l’image qui perdure dans l’image d’un visage, ce dont témoignent ses autres nombreux écrits sur le portrait : À plus d’un titre : Jacques Derrida sur un portrait de Valerio Adami, Le Regard du portrait dans lequel il commente le triple autoportrait de Johannes Gumpp, et avec Federico Ferrari, Iconographies de l’auteur puis Nus sommes, la peau des images51, etc. Le fondement de sa pensée du sujet est traversée par la réflexion sur l’image, comme par un lien ontologique qui ne pourrait se dissocier – pas d’égoïté chez lui, dit-il – car l’être en scène, ses transformations, sa possible sublimation esthétique ne sont pas une manifestation de lui – elles sont celle du sujet intermittent qui s’expose à l’autre, se glisse dans la peau de sa propre apparence et réclame de ce regard posé sur lui la possibilité d’une existence, un retour à lui-même mais altérisé, donné à une communauté sur la scène, et par conséquent, politique.
22« Qui suis-je ? » : voilà une question par nature intermittente – dont témoignent ces artistes, penseurs, artistes. On ne saurait imaginer le cauchemar de qui serait hanté par cette question. Comment continuer à vivre, si l’on a constamment l’obsession de sa propre identité ?
23Boltanski le sait bien et parle du risque lié à un art qui se lierait de façon trop intime à la vie : « Un artiste joue avec sa vie – Il ne la vit plus52. » Comment le sujet se fabrique-t-il esthétiquement, par expositions intermittentes ? comment se pense-t-il, se conçoit-il à partir de cette expérience d’exposition aux autres et à soi ? car derrière le dispositif, il y a des manières d’être – Derrida parle de la « manière » de Barthes – de manifester son être sur un cadre scénique pour lui donner la possibilité d’une réflexivité plus grande, mais aussi lui donner la possibilité de se projeter dans une communauté de sujets qui se pensent ensemble.
24Les procédés d’exposition que l’on a pu rencontrer sont divers et très variés, mais une méthode réflexive sous-tend leur démarche, qu’elle soit ethnologique, analytique, ontologique. Si d’un côté elle implique une réflexivité en miroir, telle qu’elle apparaît dans la tradition picturale de l’autoportrait et plus particulièrement dans celle de l’autoportrait au miroir, elle inscrit depuis les années 1970 le sujet dans une interrelation avec le spectateur, dans une interlocution publique, directe, qui a aussi des conséquences politiques, puisque nous sommes aussi tous des « sujets » d’un État, d’une Nation, d’une communauté considérée tantôt comme « désœuvrée » (Nancy), tantôt « sensible » (Rancière) ou du « quelconque » (Agamben). Il y a donc deux fonctions à l’exposition du sujet, la connaissance de soi et sa position dans l’espace social, deux postures philosophiques et sociologiques qui se sont affrontées – je renvoie à l’excellent ouvrage d’Hervé Marchal intitulé L’Identité en question qui explique très bien les enjeux d’une identité considérée tantôt comme essentialiste ou socialement déterminée53. Sujet et identité sont deux concepts corrélés car derrière l’identité, il y a en effet le sujet, support d’une identité. Ainsi, la notion même de sujet, s’exposant, devient à la fois objet esthétique (Boltanski) mais aussi « critique », au sens où il s’interroge lui-même par le regard de l’autre (Derrida). C’est le versant positif de l’expérience de soi pour la compréhension de soi et de la tentative de définition d’une identité du sujet, à l’horizon de la recherche. Le sujet et sa forme esthétique est par essence intermittente car elle nécessite un moment de réflexivité. Ce moment de réflexivité peut se frayer plusieurs voies, qu’elles soient sensibles (la réminiscence proustienne par ex.), visuelles (l’autoportrait), introspectives (pour un examen de conscience ou une analyse), ou théorique, hybridant alors plusieurs éléments réflexifs pour en faire une synthèse générale, qui tende vers l’être mais aussi vers ses modalités de présence singulière au sein d’une communauté de singularités.
Notes de bas de page
1 Thély N., Vu la webcam (essai sur la web-intimité), Dijon, Les Presses du Réel, 2002.
2 Je renvoie aux séries Scriptocorpus (hiver 2011) et Ces corps qui parlent (hiver 2012) de Paveau M.-A. qui montre comment les corps peuvent être à la fois des médiums et des supports de message (en ligne) : [http://penseedudiscours.hypotheses.org].
3 Voir Calle S., Histoires vraies + 10 (1994), Arles, Actes Sud, 2002 ou Douleur exquise, Arles, Actes sud, 2003, ainsi que Goldin N., The Ballad of Sexual Dependancy (1986), New York, Aperture, 2012.
4 Je renvoie à la très fine réflexion d’Anne Cauquelin notamment sur la réversibilité de l’observation dans L’Exposition de soi. Du journal intime aux Webcams, Fenêtre sur, Eshel, 2003. Elle différencie la culture de la télé-réalité de celle des webcameurs, plus libre : « C’est lui qui ouvre ou ferme les angles de vue, dispose ou ne dispose pas, s’absente et revient, débranche ou branche… Un panoptikon à l’envers, dira-t-on… », p. 69.
5 « Ces vidéos pourront être vues séparément mais l’ensemble formera, à la manière d’un puzzle, une sorte d’autoportrait parlant d’émotions de sensations, entre la « carte postale » et le « journal intime » suivant au fil du temps les transformations de sa vie […] », annonce en ligne, [http://www.facebook.com/pages/Christian-Boltanski-Storage-Memory/258575834210811] et sur le site [http://www.christian-boltanski.com].
6 Au sujet de la « nouvelle objectivité » de Sander, Alfred Döblin écrit dans sa préface : « De même qu’il existe une anatomie comparée, éclairant notre compréhension de la nature et de l’histoire de nos organes, il existe désormais une photographie comparée proposée par Sander : une photographie dépassant le détail pour se placer dans une perspective scientifique. À nous de lire ces photos […] : leur recueil constitue un matériel de choix pour l’étude de l’histoire culturelle, économique et sociale de ces trente dernières années. », Döblin A., « Von Gesichtern, Bildern und ihrer Wahrheit », in Sander A., Antlitz der Zeit. Sechzig Aufnahmen deutscher Menschen des 20. Jahrhunderts, Transmare, Munich, 1929, cité par Conrath-scholl G., « Manières de voir – Notes sur l’œuvre d’August Sander », in Sander A., Voir, Observer et Penser. Photographies, trad. fr. Jean Torrent, Munich, Schirmer Mosel, 2009, p. 18.
7 Voir Barthes R. L’Empire des signes, Genève, Skira, coll. « Les Sentiers de la création », 1970, p. 119-126 mais aussi le célèbre passage d’Emmanuel Lévinas sur le visage, parchemin de l’âme et clef de l’éthique interpersonnelle, dans Éthique et infini. Entretiens avec Philippe Nemo, Paris, Fayard, coll. « L’espace intérieur », 1982.
8 Nancy J.-L., La Communauté désœuvrée, Paris, Christian Bourgois, 1986, Agamben G., La Communauté qui vient. Théorie des singularités quelconques, trad. fr. Marilène Raiola, Paris, Le Seuil, coll. « La Librairie du XXe siècle », 1990 et Rancière J., Le Partage du sensible. Esthétique et politique, Paris, La Fabrique, 2000.
9 Voir Nachtergael M., Les Mythologies individuelles. Récit de soi et photographie au XXe siècle, Amsterdam – New York, Faux Titre, Rodopi, 2012.
10 Je ne mentionne que pour être explicite et afin que le tableau soit complet, les études de Philippe Lejeune sur l’autobiographie, et la publication de son Pacte autobiographique d’obédience structuraliste en 1975, ouvrage légitimant dans le champ de la critique littéraire l’exposition textuelle d’un sujet entier et « autonome » : c’est-à-dire un sujet à la fois auteur, narrateur et personnage, mais on le voit, encore intermittent à lui-même.
11 Elle utilise ces termes au sujet du séminaire Le Lexique de l’auteur tenu par Barthes de 1973 à 1974 à l’EPHE et qui était un travail préparatoire au Roland Barthes par Roland Barthes, Paris, Le Seuil, coll. « Microcosme – Écrivains de toujours », 1975. Voir Herschberg-pierrot A., « Lexique d’auteur et miroir encyclopédique. Sur la genèse du Roland Barthes par Roland Barthes », Recherches & Travaux, no 75, 2009, en ligne : [http://recherchestravaux.revues.org/370].
12 Bary C. de, « Introduction », La Fiction aujourd’hui. Itinéraires. Littérature, textes, cultures, vol. 1, 2013, p. 9. Le succès du Cheval d’orgueil, paru dans cette collection fondée par Jean Malaurie en 1955, est le signe de cet intérêt pour les récits de vie : Jakez Hélias P., Le Cheval d’orgueil, mémoires d’un Breton en pays bigouden, Paris, Plon, coll. « Terre humaine », 1975.
13 Duby G., « Ego-histoire » (mai 1983), L’Histoire saisie par la fiction, Le débat, no 165, vol. 3, 2011, p. 101-120.
14 Le passage qui précède fait clairement le lien entre activité de bricolage et réflexion spéculative : « Or le propre de la pensée mythique est de s’exprimer à l’aide d’un répertoire dont la composition est hétéroclite […]. Elle apparaît ainsi comme une sorte de bricolage intellectuel, ce qui explique les relations qu’on observe entre les deux. Comme le bricolage sur le plan technique, la réflexion mythique peut atteindre, sur le plan intellectuel, des résultats brillants et imprévus… » Lévi-Strauss C., La Pensée sauvage, Plon, 1962, p. 26. Cette idée est reprise par Jacques Derrida reprend en 1966 : « L’activité du bricolage, Lévi-Strauss la décrit non seulement comme activité intellectuelle mais comme activité mythopoétique. » Derrida J., « La structure, le signe et le jeu dans les sciences humaines », L’Écriture et la différence, Paris, Le Seuil, coll. « Points Essais », 1967, p. 418.
15 Gély V., « Pour une mythopoétique : quelques propositions sur les rapports entre mythe et fiction », Bibliothèque comparatiste, SFLGC, 2006 (en ligne) : [http://www.vox-poetica.com/sflgc/biblio/gely.html].
16 Lévi-strauss C., La Pensée sauvage, op. cit., p. 32.
17 Floch J.-M., Identités visuelles, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Formes sémiotiques », 1995.
18 Ibid., p. 3.
19 Ibid., p. 5.
20 Id.
21 Derrida reproche d’ailleurs à Lévi-Strauss sa nostalgie du centre perdu, alors que le décentrement pour Derrida n’est pas une perte mais un jeu de substitution qui relance le sens.
22 Id.
23 Metken G., Spurensicherung. Kunst als Anthropologie und Selbstforschung. Fiktive Wissenschaften in der heutigen Kunst, Cologne, Dumont Aktuell, 1977, p. 11. Metken affinera cette idée en la considérant comme un « malentendu fructueux » entre Lévi-Strauss et les artistes contemporains. Il nous semble difficile de considérer comme un échec des œuvres d’importance, sous prétexte que les artistes n’auraient pas compris les textes dont elles seraient inspirées ; ce malentendu montre en tout cas très clairement le déplacement effectué dans leur interprétation plastique, voir Metken G., « Das fruchtbare Missverständnis. Lévi-Strauss und die individuelle Mythologien », in Billeter E., Mythos und Ritual in der Kunst der siebzieger Jahre, cat. exp., Zürich, Kunsthaus Zürich, 1981, p. 37-39.
24 Boltanski C., Vitrine de référence, 1971, 59,6 x 120 x 12,4 cm, boîte en bois vitrée contenant des photographies, cheveux, morceaux de tissus, pages et matériaux divers, collection MNAM, Centre Georges Pompidou, Paris.
25 Robin R., Le Golem de l’écriture. De l’autofiction au cybersoi, Montréal, XYZ, coll. « Théorie et littérature », 1997, p. 194.
26 Communiqué de presse, Exposition d’œuvres de Christian Boltanski, Frac-Aquitaine et Rives de’ art, Château de Monbazillac, 17 juin au 6 septembre 2009.
27 Bourdieu P. (dir.), Un art moyen : essai sur les usages sociaux de la photographie, Paris, Les Éditions de Minuit, coll. « Le sens commun », 1965.
28 Boltanski C. et Grenier C., La Vie possible de Christian Boltanski, Paris, Le Seuil, coll. « Fiction & cie », 2007, p. 48.
29 On peut à ce sujet voir l’excellent ouvrage de référence de Gob. A. et Drouguet N., La Muséologie : histoire, développements, enjeux actuels, Paris, Armand Colin, coll. « U. Sciences sociales », 2010, qui retrace l’histoire de l’exposition de la grande palette des musées, du musée scientifique à l’écomusée en passant par le musée archéologique.
30 On peut consulter pour s’en convaincre : Bissière C. et Blanchet J.-P., Les Années 70. Les Années mémoire : archéologie du savoir et de l’être, cat. exp., Meymac, Centre d’art contemporain, 1987,
31 Certeau M. de, Giard L. et Mayol P., L’Invention du quotidien. 1. arts de faire (1980), Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 1990 (p. 188), cité par Taminiaux P., Surmodernités : entre rêve et technique, Paris, L’Harmattan, coll. « Ouverture philosophique », 2003, p. 118.
32 La figure de l’artiste ethnographe est un motif très présent dans la critique récente, voir l’article de référence de Foster H., « L’artiste comme ethnographe ou la “fin de l’Histoire” signifie-t-elle le retour à l’anthropologie ? », in Face à l’histoire, 1933-1996. L’artiste moderne devant l’événement historique, Paris, Centre Georges Pompidou-Flammarion 1996, p. 498-505 et Foster H., le chapitre « Portrait de l’artiste en ethnographe », Le Retour du réel. Situation actuelle de l’avant garde, Bruxelles, La Lettre volée, 2005. On consultera aussi avec intérêt le texte de l’artiste conceptuel Joseph Kosuth publié en 1976, « The Artist as Anthropologist » (1974), in Kosuth J., Art After Philosophy and After : Collected Writings, 1966-1990, Cambridge, MIT Press, 1993, p. 107-128. Un colloque international L’artiste en ethnographe organisé par Aliocha Imhoff, Morad Montazami et Kantuta Quiros s’est par ailleurs tenu du 26 au 28 mai 2012 au Musée du Quai Branly, Paris.
33 Barthes R., Le Lexique de l’auteur. Séminaire à l’École pratique des hautes études, 1973-1974, suivi de Fragments inédits du Roland Barthes par Roland Barthes, Paris, Le Seuil-IMEC, coll. « Traces Écrites », 2010.
34 « Que dit Lévi-Strauss de ses “mythologiques” ? C’est ici qu’on retrouve la vertu mythopoétique du bricolage. En effet, ce qui paraît le plus séduisant dans cette recherche critique d’un nouveau statut du discours, c’est l’abandon déclaré de toute référence à un centre, à un sujet, à une référence privilégiée, à une origine ou à une archive absolue. On pourrait suivre le thème de ce décentrement à travers toute l’Ouverture de son dernier livre sur le Cru et le Cuit … » Derrida J., « La structure, le signe et le jeu dans les sciences humaines », op. cit., p. 419.
35 Derrida J., La Carte postale de Socrate à Freud et au-delà, Paris, Aubier-Flammarion, coll. « La philosophie en effet », 1980. Le texte est composé pour grande partie d’envois épistolaires à des destinataires non nommés qui font prélude à un essai en particulier, « Spéculer – sur “Freud” ».
36 Nancy J.-L., À plus d’un titre : Jacques Derrida, sur un portrait de Valerio Adami, Paris, Galilée, coll. « Écritures-figures », 2007.
37 Cf. Butor M., « Souvenirs sur le théâtre de société », Pierre Klossowski. Pour un temps, Paris, Centre Georges Pompidou, coll. « Cahiers pour un temps », 1985, p. 27-29. Catherine Millot raconte ces séances qui rejouaient des scènes sadiennes et où elle a aussi croisé Michel Foucault. En ligne : [http://www.leoscheer.com/la-revue-litteraire/2010/03/15/90-rl-45-catherine-millotklossowski-et-les-amis].
38 Fathy S., D’ailleurs, Derrida, France, 68’, 2000, l’édition DVD fait figurer deux autres films Nom à la mer, 29 et De tout cœur, 54’, avec Jacques Derrida et Jean-Luc Nancy, éd. Montparnasse, 2008.
39 Derrida J. et Bennington G., Jacques Derrida, Paris, Le Seuil, coll. « Les Contemporains », 1991 ; Derrida J. et Malabou C., La Contre-Allée, Paris, La Quinzaine littéraire-Louis Vuitton, 1999 ; Derrida J. et Fathy S., Tourner les mots. Au bord d’un film, Paris, Galilée-Arte éditions, 2000. Voir Nachtergael M., « Derrida, l’autre en soi. Textes, photographies, films », Lascaux S. et Ouallet Y.-J. (dir.), Autoportrait et altérité, Le Havre, PURH, 2014.
40 La conférence donnée à l’auditorium du Louvre le 18 janvier 2006 était accompagnée d’un documentaire sur une installation de Claudio Parmiggiani, Isola del Silenzio (2005), pour laquelle il avait monté une gigantesque pyramide de livres dans la Chapelle des Brigittines, Bruxelles. Son ouvrage L’Intrus, Paris, Galilée, « Lignes fictives », 2000 a inspiré un long-métrage à Claire Denis en 2004.
41 Un Faust de Claudio Parmiggiano a été monté au Teatro Metastasio Stabile della Toscana à Prato (Italie) du 26 au 28 mai 2004 à partir d’un montage de textes de Goethe réalisé par Jean-Luc Nancy : Parmiggiani C., Faust di J. W. Goethe, Rome, Gli Ori, 2004. Une pyramide de livres dont la surface avait été brûlée trônait était au centre de la scène.
42 Derrida J. et Fathy S., Tourner les mots. Au bord d’un film, op. cit., p. 109.
43 McMullen K., Ghost Dance, Grande-Bretagne, 94’, 1983.
44 C’est une pensée de l’image qui liée à la conception de l’imago photographique chez Barthes, et que Derrida, dans son article hommage à Roland Barthes, « Les Morts de Roland Barthes » commente directement, Derrida J., « Les morts de Roland Barthes », Poétique, no 47, septembre 1981, p. 269-292.
45 Dormir, rêver et autres nuits, cat. exp., Bordeaux, CAPC-Musée d’art contemporain, Lyon, Fage, 2006. Toutefois Jean-Luc Nancy m’a assuré de façon étrange « que cela n’avait rien à voir » (entretien privé du 10 février 2013, Paris).
46 Nancy J.-L, Tombe de sommeil, Paris, Galilée, coll. « Lignes fictives », 2007, p. 20.
47 Monnier M. et Nancy J.-L., Allitérations : conversations sur la danse, Paris, Galilée, coll. « Incises », 2005 et leur carnet de correspondances préliminaire au spectacle, Monnier M. et Nancy J. L., Dehors la danse, Lyon, Rroz, 2001. Spectacle joué la première fois en 2001 au Centre Pompidou, Paris, puis sous une seconde version le 5 juin 2002, « Paroles de chorégraphes », Festival Agora – Ircam – Spectacles Vivants, Centre Pompidou, Paris.
48 Nancy J.-L., entretien privé, 10 février 2013, Paris.
49 Décarie I., « Danser, penser », Spirale, no 204, septembre-octobre 2005, p. 28.
50 Nancy J.-L., Corpus, Métailié, coll. « L’élémentaire », 1992.
51 Nancy J.-L., Le Regard du portrait, Incises, Galilée, 2000, avec Ferrari F., Iconographie de l’auteur, Paris, Galilée, coll. « Lignes fictives », 2005 et Nus sommes, la peau des images, Paris, Klincksieck, coll. « Collection d’esthétique », 2006.
52 Boltanski C., cité par Steiner B. et Yang J., Autobiographie, Londres, Thames & Hudson, coll. « Question d’art », 2004, p. 68.
53 Marchal H., L’Identité en question, Paris, Ellipses, coll. « Philo », 2006.
Auteur
ORCID : 0000-0001-7084-4442
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