Il y a quelqu’un là-dedans ?
Les cubomanies de Gherasim Luca, une déconstruction du sujet moderne
p. 323-331
Texte intégral
1Gherasim Luca naît en 1913 à Bucarest sous le nom de Salman Locker, dans une famille juive ashkénaze. Très jeune, il se choisit un nom d’écrivain et publie dans des revues d’avant-garde en Roumanie (Gherasim Luca, parfois écrit Ghérasim Luca, devient le nom civil du poète en 1943). En 1940, il fonde avec Gellu Naum le groupe surréaliste de Bucarest dont feront également partie Paul Păun, Dolfi Trost et Virgil Theodorescu. À cette époque, il commence à écrire en langue française. Parallèlement à son activité poétique, il réalise des cubomanies, travaux plastiques singuliers composés à partir de la reproduction et du découpage d’images existantes. Après son installation à Paris en 1952, Gherasim Luca élabore des livres-objets en collaboration avec d’autres artistes (parmi lesquels on compte Jacques Hérold, Victor Brauner, Piotr Kowalski, Wifredo Lam et Micheline Catti). Il poursuit des recherches plastiques, poétiques et sonores, et donne des récitals dans différents pays. À la fin de sa vie, Gherasim Luca prépare la traduction et la publication en français de ses recueils roumains de l’immédiat après-guerre, notamment Inventatorul iubirii [L’Inventeur de l’amour] et Moartea moartă [La Mort morte]. Il se donne la mort en 1994.
L’invention de Non-Œdipe et le geste cubomaniaque
2En 1945, Gherasim Luca publie à Bucarest Inventatorul iubirii [L’Inventeur de l’amour], dans lequel il présente la figure de l’homme non-œdipien, c’est-à-dire libéré de toutes les contraintes aussi bien psychologiques que biologiques qui entravent la circulation du désir1. Lecteur de Sigmund Freud, Gherasim Luca choisit la figure mythique d’Œdipe pour cristalliser les déterminations historiques, linguistiques, familiales auxquelles il s’attaque. Refusant de tenir pour acquis un héritage, le poète cherche une voie pour ébranler théoriquement et pratiquement ce qu’il nomme la « condition œdipienne de l’existence », qui trouve ses vestiges traumatiques dans la naissance et se perpétue quotidiennement dans l’angoisse de la mort. Ce qui émerge alors, c’est la possibilité pour un sujet de se déprendre des circuits habituels de la perception, de la pensée et de l’action pour parvenir à libérer la dynamique du désir : en un mot, de se réinventer2.
3La naissance des cubomanies est concomitante de l’invention de Non-Œdipe. En 1945, Gherasim Luca organise avec Dolfi Trost une exposition qui présente des cubomanies aux côtés de graphies colorées et d’objets. En 1946, il publie Les Orgies des quanta, plaquette qui contient trente-trois « cubomanies non-œdipiennes », chacune accompagnée de son titre-commentaire. Le geste de Gherasim Luca consiste à reproduire des photographies ou des gravures, puis à les découper en carrés réguliers afin de recomposer une image inattendue. Ce procédé s’inscrit pleinement dans le projet de déstabilisation du réel qui anime le poète. En témoigne avec humour cette « leçon pratique de cubomanie dans la vie courante » publiée dans le catalogue de l’exposition de 1945 :
choisissez trois chaises, deux chapeaux, quelques pierres et parapluies, plusieurs arbres, trois femmes nues et cinq très bien habillées, soixante hommes, quelques maisons, des voitures de toute époque, des gants, des télescopes, etc. Coupez tout en petits morceaux (par exemple 6/6 cm.) et mélangez-les bien dans une grande place de la ville. Reconstituez d’après les lois du hasard ou de votre caprice et vous obtiendrez un paysage, un objet ou une très belle femme inconnus ou reconnus, la femme et le paysage de vos désirs3.
4Comme le montre Petre Răileanu4, la cubomanie apparaît donc d’emblée comme une parodie de la Création, car cette leçon recommande de manier non pas des mots ou des images mais des fragments du réel. Le paradoxe dimensionnel est volontairement oblitéré (comment traiter le monde comme une image ? comment le découper en carrés ?) au profit d’une indifférenciation de la matière et de sa représentation. Le texte, qui n’est pas sans rappeler la recette proposée par Tristan Tzara dans Le Manifeste sur l’amour faible et l’amour amer (« Pour faire un poème dadaïste5 »), insiste sur la multiplicité des combinaisons possibles. D’où la réitération infinie en droit du geste de décomposition-recomposition : la création sérielle coïncide avec un mouvement de relance du désir, qui ne saurait se stabiliser dans une forme définitive. La pratique cubomaniaque apparaît comme une négation des conventions qui régissent la perception et la représentation : « la cubomanie nie », « la cubomanie rend le connu méconnaissable6 », est-il spécifié dans le même catalogue.
5Après son installation en France en 1952, Gherasim Luca prend ses distances vis-à-vis du mouvement surréaliste. Il ne cesse pas pour autant de travailler à l’invention de Non-Œdipe, qui se décline alors en Non-Œdipus et Non-Œdipus X7. La pratique cubomaniaque se perpétue mais se déplace, puisque ce sont des reproductions de tableaux qu’utilise principalement Gherasim Luca à partir des années 1960. Les fragments sont collés sur des plaquettes d’isorel ou des panneaux de bois peints, et un interstice est ménagé entre chaque carré. Les sources utilisées par Gherasim Luca sont multiples, mais elles appartiennent pour la plupart à la tradition picturale européenne. Parmi les artistes retenus, on peut citer Van Eyck, Van der Weyden, Raphaël, Dürer, le Titien, Ingres8. Le choix se porte donc sur des toiles de peintres qui ont été reconnus comme des maîtres de l’art occidental. Les fragments de reproductions sont disposés de façon à composer une image fort différente de l’œuvre initiale, comme dans les créations de la période roumaine. Des parties entières de la toile originelle peuvent être oubliées, tandis que certains morceaux apparaissent plusieurs fois. Fait remarquable, toutes les cubomanies décomposent des images de corps ou de visages humains : la pratique participe d’une entreprise de déstabilisation de l’individu, de sa perception, de sa pensée et de son langage. Tout comme les poèmes et les enregistrements sonores, les cubomanies font apparaître un sujet clivé, décentré, qui fait l’épreuve de sa division structurelle. Construit par et nourri des intermittences du désir, Non Œdipus X n’a d’existence que discontinue : il ne saurait être saisi dans sa totalité, et ne peut dès lors s’appréhender que dans la diffraction et le mouvement toujours relancé. La décomposition/recomposition qui fonde le geste cubomaniaque semble virtuellement infinie : comme dans le jeu du taquin, les éléments qui constituent l’image paraissent mobiles. De plus, les cubomanies sont créées par séries et accompagnent Gherasim Luca tout au long de sa vie : elles ne figent pas l’être, ne l’embrassent pas, mais laissent surgir le désir mouvant dans la rencontre des fragments et dans les interstices de l’image. En somme, le Je, le Soi, le propre, comme on voudra bien les appeler, sont ouverts par l’image : diffractés, ils laissent émerger Non-Œdipe, qui est en quelque sorte leur envers.
Déconstruire l’individu : éclatement et diffraction
6Afin de saisir le bouleversement que constitue le geste cubomaniaque dans la représentation du sujet, nous proposons d’envisager les choix plastiques de Gherasim Luca à partir d’une double perspective, à la fois esthétique et anthropologique. Une rapide consultation de la liste des œuvres présentées lors de l’exposition des Sables d’Olonne laisse apparaître une grande majorité de cubomanies créées d’après des tableaux de la Renaissance. On peut s’interroger sur cette prédilection de Gherasim Luca pour la peinture flamande et italienne des XVe et XVIe siècles. Les choix de l’artiste affichent un intérêt tout particulier pour une période de grands bouleversements : bouleversements dans la pensée du sujet, dans les moyens techniques mis à la disposition des artistes, dans la représentation même. Le Quattrocento est le siècle de l’invention du portrait et du sujet dans le tableau. Or ce sont précisément des portraits que retient Gherasim Luca lorsqu’il sélectionne les toiles de maîtres. Plus que la peinture religieuse, les portraits séculiers attirent son attention.
(Dé)figurations
7Dans les cours qu’il assure au Collège de France de 2008 à 20119, Philippe Descola formule l’hypothèse selon laquelle certaines images, certaines productions artistiques, révèlent dans leur contenu et dans leur organisation formelle des systèmes de qualités prêtés aux objets du monde. En d’autres termes, les images peuvent apparaître comme le reflet ou l’expression d’une ontologie, d’une façon d’envisager les rapports entre les existants (animés et inanimés, humains et non humains). Parmi les différentes « formules ontologiques » mises au jour par l’anthropologue, c’est le naturalisme qui nous est le plus familier, dans la mesure où il domine en Occident depuis plusieurs siècles. La pensée naturaliste isole l’homme et le dote d’une intériorité : elle insiste sur l’unité et sur l’unicité de l’individu. C’est précisément cette perspective que vient ébranler le geste cubomaniaque. En s’attachant à découper et recomposer des portraits d’hommes et de femmes réalisés par les maîtres de la peinture occidentale, Gherasim Luca s’en prend à la conception et à la représentation de l’individu qui caractérisent l’époque moderne10. De la même façon que ses écrits en appellent à une libération des entraves œdipiennes, ses cubomanies proposent un affranchissement des codes figuratifs mis en place dès la Renaissance. En premier lieu, il importe donc d’interroger les représentations de l’homme qui sont apparues en Italie et en Flandres au XVe siècle et se sont imposées en Europe jusqu’aux mouvements d’avant-garde.
8La révolution dans l’image qui s’opère en Flandres au XVe siècle est analysée par Philippe Descola comme l’invention d’une nouvelle ontologie. L’Europe du Nord est en effet le lieu d’une transition, d’un passage, puisqu’au mode de figuration analogiste se substitue un mode de figuration naturaliste. Les tableaux choisis par Gherasim Luca témoignent de cette transformation qui affecte l’appréhension du monde et sa restitution par des moyens plastiques. Les toiles de Van Eyck et de Van der Weyden, notamment, cristallisent les bouleversements techniques et intellectuels. Selon les termes de Tzvetan Todorov, on assiste alors au surgissement de l’individu, envisagé dans toute sa singularité :
À un moment de l’histoire de la peinture européenne, des individus s’introduisent dans l’image : non les êtres humains en général, ni les incarnations de telle ou telle catégorie morale ou sociale, mais des personnes particulières, pourvues d’un nom et d’une biographie (que de nos jours parfois nous ignorons) ; en d’autres mots, surgit alors le genre du portrait. On ne voit donc plus dans ces tableaux des personnages réductibles à des schémas, agissant comme des signes, mais des êtres ordinaires, qu’on pourrait encore rencontrer tous les jours en sortant de chez soi11.
9Il n’est pas anodin que le choix de Gherasim Luca se porte justement sur des tableaux représentant des individus qui ne sont ni des types ni des personnages historiques. La figure que scinde et décompose le geste cubomaniaque est souvent un visage ordinaire, qui n’en demeure pas moins troublant : ambitieux projet que celui d’exprimer la totalité d’une subjectivité dans une image. Si le tableau retient l’attention, c’est donc moins par les qualités intrinsèques du sujet qu’il représente que par sa tentative de saisir l’ensemble de ces qualités dans une seule et même figuration. À ce titre, le regard joue un rôle majeur et constitue la pierre de touche du genre du portrait.
Le geste cubomaniaque contre la figuration naturaliste
10L’œil, qu’il soit volontairement soustrait à la cubomanie ou bien démultiplié, se trouve au centre de l’attention. Par son absence ou sa présence inattendue, il dérange, surprend, amuse parfois. Dans l’une des cubomanies de la série Le ton erre confit dans ciel12, chacun des deux yeux du visage est amputé de sa moitié intérieure : l’image, évidée en son centre, suscite l’illusion qu’une fusion des deux moitiés restantes est possible. L’être ainsi créé serait proche du cyclope, doté d’un unique œil. En 1983, La Reine Jane Seymour13 (d’après Holbein) reproduit et multiplie les yeux de la femme au point d’en représenter cinq. Le fait est d’autant plus troublant que le nombre impair perturbe les attentes du spectateur : s’il est déconcertant de se trouver confronté à plusieurs paires d’yeux, la présence d’une paire incomplète est encore plus intrigante. En 1960, Gherasim Luca réalise une cubomanie d’après le Portrait de jeune homme de Botticelli14. Chose inusuelle, il renomme l’œuvre seconde et l’appelle Portrait d’Antonin Artaud : preuve, s’il en est, que le mot portrait qui apparaît dans de nombreux titres est parfaitement assumé par Gherasim Luca. En réalisant et en signant ce Portrait d’Antonin Artaud, Gherasim Luca s’inscrit explicitement dans la tradition figurative. Même si l’entreprise est frappée du sceau de la dérision, même si le vocabulaire semble en partie discrédité par celui qui l’emploie, le geste cubomaniaque n’est pas étranger à la représentation du monde et des êtres. Sans aucun doute, il s’agit là d’une subversion du portrait comme genre établi.
11La figure cubomaniaque est libérée des contraintes de la figuration naturaliste, de la même manière que le sujet est libéré des contraintes psychologiques et biologiques dont Œdipe constitue l’incarnation mythique. La cubomanie, parce qu’elle se présente comme une déconstruction, fait apparaître la figuration naturaliste et l’individu qu’elle met en scène comme autant de constructions. À l’évidence d’une essence humaine inaltérable et atemporelle se substitue une perspective qui insiste sur la relativité de toute conception du sujet. En revenant aux sources de l’invention du sujet moderne, les cubomanies montrent qu’il s’agit d’une création historiquement datée et géographiquement localisée. La pratique citationnelle de la cubomanie fait la généalogie de la figuration naturaliste : elle constitue, à ce titre, une forme de métalangage visuel. On peut voir là une forme de fiction de processus de création, une genèse à l’œuvre : Gherasim Luca rejoue le moment de la naissance de l’individu. Les portraits des Renaissances flamande et italienne convoqués, découpés et recomposés sont à la fois témoins et initiateurs des changements de l’époque. Cette entreprise, qui n’est pas pure négation, tient aussi du jeu, et installe une connivence avec le spectateur : il ne s’agit plus de reconnaître, mais de méconnaître une image. Dans cet écart, dans cette brèche ouverte par la découpe cubomaniaque peut émerger Non-Œdipe, dont la figure échappe aux conventions naturalistes.
Échos, réseaux, analogies
12La distorsion cubomaniaque est de deux natures. Physique, elle affecte les êtres représentés par l’image, et fait d’eux des chimères. Visuelle, elle reporte l’attention sur la médiation de l’image comme moyen de représentation. C’est alors le regard même qui est touché. Dans l’image kaléidoscopique, le spectateur n’est pas invité à postuler l’existence d’un monstre mais bien plutôt à interroger la valeur de sa propre perception. La difformité n’est pas une qualité de l’être représenté mais de la vision elle-même. L’éclatement dont procède le geste de Gherasim Luca fait osciller l’image entre l’irréductible singularité des fragments dont elle se compose et la commune mesure instaurée pour chaque module15. Le carré de 6 x 6 cm, parce qu’il se présente comme un invariant, permet virtuellement des échanges entre les cubomanies. Il est dès lors possible d’interroger la pratique cubomaniaque à l’aune de l’ontologie analogique, que Philippe Descola définit comme
un mode d’identification qui fractionne l’ensemble des existants en une multiplicité d’essences, de formes et de substances séparées par de faibles écarts, parfois ordonnés dans une échelle graduée, de sorte qu’il devient possible de recomposer le système des contrastes initiaux en un dense réseau d’analogies reliant les propriétés intrinsèques des entités distinguées16.
13En somme, les images ne résultent plus du désir de représenter un être dans sa complétude et son intériorité, comme c’était le cas dans l’ontologie naturaliste. Elles prennent acte de la segmentation générale des composantes du monde, exposant leur hétérogénéité et leur discontinuité constitutives. Pour autant, elles n’interdisent pas la création de réseaux, qui par le biais de correspondances permettent à l’œil de circuler dans cette multiplicité, et d’échapper ainsi au vertige. Le retour d’un motif, d’une figure géométrique offre la possibilité d’établir des connexions entre les différents modules. Si la répétition est toujours accompagnée de variations (avec le déplacement et la rotation des fragments qui composent la cubomanie), elle instaure néanmoins dans l’image des jeux d’échos visuels qui ne sont pas sans rappeler les phénomènes physiques de réflexion et de réfraction. Une tension s’installe entre diversité et similitude, puisque l’accent peut être mis tantôt sur les écarts qui séparent les différents éléments, tantôt sur la connexion qui les relie les uns aux autres.
14Si on les perçoit comme des réseaux de modules que des ressemblances ont permis de rapprocher, les cubomanies ressortissent bien de la figuration analogique17. Un trouble cependant demeure : sont-ce des fragments d’images ou des fragments d’objets que le système analogique permet de mettre en relation ? En d’autres termes, les cubomanies peuvent-elles être perçues comme des représentations d’êtres du monde, ou bien ne sont-elles que des images d’images ? Il semble que les deux propositions puissent être conciliées, dans la mesure où la pratique cubomaniaque brouille délibérément – et non sans humour – les frontières entre les différents domaines sémiotiques.
15Les cubomanies se présentent comme une expérience corporelle qui ne met en jeu ni le soi ni l’autre : l’invention de Non-Œdipe permet de déplacer la question du propre, sans la dissoudre dialectiquement dans un troisième terme. En cela, elle participe bien du mouvement de « dialectique de la dialectique » et de « négation de la négation » revendiqué par le groupe surréaliste roumain lors de sa constitution. Pour Gherasim Luca et Dolfi Trost, comme le rappelle Iulian Toma, « la véritable dialectique ne connaîtrait pas la synthèse, mais se constituerait en une série infinie de moments irréconciliables, correspondant à la dynamique même de la pensée18 ». Ni première personne ni troisième personne, Non-Œdipe ne peut exister que dans la relance infinie d’un désir. Aussi toute tentative de fixer une identité semble-t-elle vaine. Les cubomanies, parce qu’elles mettent en scène ce mouvement incessant, participent de la mise en branle du sujet. Si cette pratique plastique s’enracine dans une démarche surréaliste, il est frappant de constater qu’elle accompagne Gherasim Luca toute sa vie, même lorsque l’artiste ne se définit plus comme surréaliste. C’est dire à quel point l’activité de décomposition-recomposition est centrale pour le créateur, qui s’attache à déjouer les circuits habituels du regard et de la pensée.
16L’épreuve du sujet se fait donc dans la discontinuité : la scission est d’ailleurs physiquement inscrite dans les interstices ménagés entre chaque fragment de la cubomanie. Les œuvres engagent le corps et invitent à prendre acte de la nécessaire non-coïncidence du sujet à lui-même. À la fois inquiétante et ludique, systématique et capricieuse, la démarche provoque le surgissement de la liberté dans la contrainte. Inscrite dans la chair, dans le regard et dans la pensée, la diffraction devient une modalité d’être et de percevoir. Ainsi Non-Œdipe peut-il prendre corps dans une pratique qui compromet toute saisie définitive et accompagne les mouvements de l’intermittence.
Notes de bas de page
1 La position non-œdipienne est aussi développée en 1945 dans Dialectique de la dialectique, manifeste rédigé en français par Gherasim Luca et Dolfi Trost et adressé au mouvement surréaliste international (le texte est reproduit intégralement dans Pop I., La Réhabilitation du rêve. Une anthologie de l’Avant-garde roumaine, Paris, Maurice Nadeau, 2006, p. 255-271).
2 Selon les termes de Iulian Toma, c’est une « restructuration de psychisme » qui est visée (Toma I., Gherasim Luca ou l’intransigeante passion d’être, Paris, Honoré Champion, 2012, p. 198).
3 Luca G. et Trost D., Présentations de graphies colorées, de cubomanies et d’objets, catalogue d’exposition, Bucarest, Sala Brezoianu 19, 7-28 janvier 1945, in Mincu M., Avangarda literară românească [L’Avant-garde littéraire roumaine], Bucarest, Minerva, 1983, p. 652.
4 Răileanu P., Gherasim Luca, Paris, Oxus, 2004, p. 140.
5 Tzara T., « Pour faire un poème dadaïste », in Sept manifestes dada, Paris, Dilecta, 2013 [1924].
6 Luca G. et Trost D. in Mincu M., op. cit., p. 651.
7 Luca G., Paralipomènes, Paris, Le Soleil Noir, 1976, p. 35. Voir aussi Luca G. et Catti M., Non Œdipus X, Rome, Le Parole gelate, 1998.
8 Certaines de ces œuvres sont reproduites dans le catalogue de l’exposition qui s’est tenue successivement au musée de l’Abbaye de Sainte-Croix (Les Sables d’Olonne, du 19 janvier au 13 avril 2008), au Centre international de poésie (Marseille, 11 juillet-15 septembre 2008) et au Centre des Livres d’Artistes (Saint-Yrieix-la-Perche, février-15 juin 2009). Voir Decron B. (dir.), Ghérasim Luca, Cahiers de l’Abbaye Sainte-Croix, no 110, Les Sables d’Olonne, 2008-2009.
9 Ces cours, regroupés sous l’intitulé « Ontologie des images », sont disponibles en ligne à l’adresse suivante : [http://www.college-de-france.fr/site/philippe-descola/index.htm#course] (site consulté le 24.11.2013).
10 À ce titre, son geste est loin d’être isolé. On peut mentionner, dans la première moitié du siècle les créations du mouvement Dada et par la suite les œuvres de Jiří Kolář. Certaines cubomanies partagent d’ailleurs avec les collages de Kolář une origine commune : elles s’attachent (ou s’attaquent) à une même toile de maître pour la recomposer.
11 Todorov T., Éloge de l’individu, Paris, Adam Biro, 2001, p. 9.
12 Reproduite dans Decron B. (dir.), op. cit., p. 70.
13 Ibid., p. 87.
14 Ibid., p. 71.
15 Nous proposons d’appeler modules les carrés qui composent les cubomanies. Le terme de module, qui désigne un élément simple dans une structure répétitive, convoque deux notions essentielles dans la pratique cubomaniaque : celle d’assemblage, et celle d’étalon.
16 Descola P., Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005, p. 281.
17 Cette hypothèse, ici seulement esquissée, mériterait un examen plus précis. Il serait intéressant, notamment, de confronter la pratique cubomaniaque à d’autres images ressortissant du mode de figuration analogique.
18 Toma I., op. cit., p. 200.
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