Les collections de l’intime
p. 307-322
Texte intégral
1Texte voué désormais au fragment qui a fait le deuil d’une linéarité perçue comme une imposture, le texte autobiographique serait-il condamné au discontinu et à l’incomplétude ? C’est la question qu’ont magistralement mise en lumière la quête autobiographique leirisienne ou encore l’entreprise de Barthes. Nous voudrions examiner, pour tenter d’approcher les contours de cette question, les œuvres d’artistes contemporains, écrivains et/ou plasticiens, dans lesquelles le désir de collection se substitue progressivement au désir de recomposition, jouant sur l’effet de série, de composition sérielle des discours langagiers et iconiques.
2Examiner ainsi la remise en question radicale de l’entreprise autobiographique dans et hors des frontières du littéraire, nous a semblé intéressant pour réfléchir à ce que ces expériences plastiques font à la littérature, comment elles éclairent les questions fondamentales qui taraudent toute production littéraire à caractère autobiographique, comment elles s’en nourrissent ainsi que les esquisses de réponse qu’elles suggèrent. Il s’agit d’autant moins d’envisager ces modes d’expression comme concurrentiels ou d’instaurer une hiérarchie entre eux que ces artistes ont très vite admis et pratiqué la volatilité d’un médium à l’autre sans s’embarrasser de questions épistémologiques. Leurs pratiques ouvrent la voie à un questionnement radical qui s’éloigne des problématiques soulevées par l’autofiction longtemps considérée, semble-t-il, comme le mode privilégié de remise en cause de l’autobiographie.
Collection d’objets, collection de phrases : sur le principe de sérialité
3Barthes rappelle qu’il a fallu attendre Balzac pour que l’objet acquière un statut dans la littérature en participant à la construction de l’univers référentiel dont procède l’effet de réel. Dénoncé par le Nouveau Roman qui vise à lui rendre son autonomie, valorisé par les expériences perecquiennes, considéré comme emblématique des sociétés consuméristes contemporaines, le statut de l’objet s’est fragilisé au point qu’il est devenu prétexte à l’écriture de petits textes insignifiants qu’on hésite à qualifier de littéraires alors que, dans le même temps, dans le champ artistique, des pratiques comme le ready-made lui accordent une place de choix. Tout semble donc avoir été dit sur la fonction esthétique, utilitaire, narrative, symbolique et idéologique de l’objet qui continue pourtant de hanter les textes littéraires et donc, par effet de contagion, d’investir la quête autobiographique.
4Envisageant la possibilité d’un autoportrait à l’aide d’objets, en référence à une vitrine du Musée de l’homme, Leiris dresse, avant Perec, dans Fibrilles, une liste des objets de son bureau, « dernières raclures d’un coffre où nul trésor n’étincelle » mais malgré tout « choses qu’il (lui) faut avoir là pour (se) sentir mieux assuré1 ». Ces objets sont liés à des souvenirs devenus textes (comme par exemple, cette « grosse rose des sables attestant le séjour saharien dont la « drôle de guerre » m’a fourni l’occasion »), ils participent donc de l’intertexte, comme témoignage de la réalité du passé en quelque sorte, garantissant dans le présent son existence même de passé. Mais bien vite Leiris en vient à admettre que dans cette brocante de l’intime, il parcourt le substrat de sa mémoire en lieu et place de la surface plane de la table de travail : « pierre volcanique que je ne cite que pour mémoire car elle s’est volatilisée au cours de travaux effectués chez moi (envoyée sans doute à la poubelle comme un débris quelconque)2 ». On peut dès lors s’interroger sur la fonction mémorielle assignée à l’objet qui, en perdant son évidence perceptible, ne perd pas pour autant sa qualité d’ancrage concret du souvenir. Or, il semblerait que ce soit à cette question que se soient confrontés des artistes contemporains comme Sophie Calle, Christian Boltanski ou Valérie Mréjen selon des perspectives singulières. Tous trois ont constitué, de manière très différente, ce que l’on pourrait nommer des collections de l’intime, « contrepoint » de cette vitrine leirisienne à laquelle ils apportent un éclairage nouveau.
5Qu’entendre par collections de l’intime ? Des œuvres qui présentent une accumulation d’objets (réels ou fictifs), de représentations d’objets (artefact, facsimile, photos), des collections de phrases ou de textes qui tiennent avec plus ou moins de distance un discours en apparence autobiographique. Ces collections peuvent bien sûr se lire dans un rapport de filiation avec « La boîte-en-valise » de Duchamp3 qui rassemble des répliques miniatures d’œuvres que l’artiste a réalisées depuis le début de sa carrière, images de ses peintures mais aussi reproductions miniatures en trois dimensions de ses sculptures. Cette indistinction, due au flou générique et au mélange des genres, initie une première réflexion sur le statut de traces du passé. Sophie Calle et Christian Boltanski s’ingénient à présenter des pseudo-autobiographies en puisant dans ce que Boltanski nomme le « grand sac-mémoire4 », tandis que Valérie Mréjen externalise en quelque sorte le processus en puisant dans la brocante des autres. Sophie Calle, elle, procède à plusieurs reprises dans son œuvre à la collecte-collection dont Le rituel d’anniversaire est emblématique. Rappelons, ainsi qu’elle l’explique, quelle est la règle du jeu (en référence au titre de la somme autobiographique leirisienne) : « Le jour de mon anniversaire je crains d’être oubliée. Dans le but de me délivrer de cette inquiétude, j’ai pris en 1980 la décision d’inviter tous les ans, si possible le 9 octobre, un nombre de convives équivalant à mon nombre d’années. Parmi eux un inconnu que l’un des invités serait chargé de choisir. Je n’ai pas utilisé les cadeaux reçus à ces occasions. Je les ai conservés, afin de garder à portée de main les preuves d’affection qu’ils constituaient5 ». Ces cadeaux présentés comme des « preuves d’affection gardées à portée de main6 », donc tangibles, dessinent inévitablement un parcours autobiographique. Mis en vitrines, ils ont fait l’objet d’une installation au Centre national de la photographie puis à la Tate Gallery en 1998, les photos de ces vitrines accompagnées des séries de listes de cadeaux sont devenues un premier livre publié aux éditions Actes Sud, lequel a été inclus dans le dernier ouvrage de Sophie Calle, Moi aussi7. Le principe de ce dernier opus est d’établir une relation, à travers cette accumulation de cadeaux, entre les vitrines de Sophie Calle et le musée du Septennat de François Mitterrand, comme elle l’explique :
J’ai conservé mes cadeaux d’anniversaire à partir de 1980 et j’ai maintenu ce rituel quatorze années consécutives. Soit durant deux septennats. François Mitterrand a créé le musée du Septennat en 1986 pour y exposer tous les cadeaux reçus dans ses fonctions de président de la République durant deux septennats (1981 – 1995). Soit quatorze ans. Forte de mon année d’avance, j’ai pensé intituler ce livre Lui aussi. Mais eu égard à sa fonction, et au nombre de nos cadeaux respectifs – 318 environ de mon côté, 4 700 objets et 18 000 livres environ du sien –, j’ai renversé l’ordre. Tous les cadeaux que j’ai reçus sont représentés dans ce livre. Il n’était pas envisageable de montrer dans leur intégralité ceux du Président. Le choix des cadeaux photographiés n’est pas lié à leur importance symbolique, ni à des critères de valeur, ni aux préférences de François Mitterrand. Il s’agit d’une sélection personnelle8.
6Cette accumulation d’objets pose d’évidence question au spectateur dans la mesure où elle se présente comme un assemblage hétéroclite : on ne sait pas, en effet, quel ordre préside à la liste, ni quelle est l’organisation de la vitrine, quels sont les objets mis en avant, d’autant que, dès le début du Rituel, l’œuvre présente des entorses qui semblent sacrifier au réalisme pragmatique, comme le fait de substituer aux appareils électro-ménager le contrat de confiance Darty, c’est-à-dire une garantie, une de moins pour le lecteur, et que le parti-pris de l’arbitraire est assumé dans le second ouvrage. Si l’objet est souvent associé à la notion de vérité des choses, voire d’objectivité, du fait de l’évidence de sa présence, il n’en reste pas moins que le travail de Sophie Calle procède à une première remise en question du pacte d’authenticité qu’il est censé garantir. C’est le projet de Christian Boltanski qui, semble-t-il, porte un coup fatal à cette illusion de l’objet comme témoignage du passé. Ce qui reste de l’ordre du doute ou de l’interrogation chez Sophie Calle est, avec les reconstitutions en plastiline des objets de son enfance présentées par Boltanski dans « Reconstitution d’objets9 » et son livre Recherche et représentation de tout ce qui reste de mon enfance10, définitivement mis à mal. Il nous faut faire le deuil de la fonction testimoniale de l’objet dans la mesure où, comme l’explique l’artiste dans les entretiens avec Catherine Grenier, il s’agissait pour lui de « réimaginer d’après (ses) souvenirs des objets disparus et de les refabriquer11 ». « J’avais l’idée, dit-il, de sauver les choses du passé qu’on ne peut pas sauver. Comment sauver quelque chose qui n’existe plus que dans sa tête12 ? » La solution réside pour lui dans la démultiplication : « les objets sont souvent en plusieurs exemplaires, ce qui correspondait à l’idée que tu ne peux jamais épuiser le souvenir de quelque chose, jamais réussir à le reproduire13 ». Cette pratique interroge notamment le statut du souvenir qui n’atteste en rien, comme on sait, de la réalité des faits.
7Dès lors se pose la question de la signification du discours tenu par ces collections. Une première réponse est sans doute apportée par Valérie Mréjen qui, elle, ne craint pas de s’en remettre aux objets des autres au lieu de se restreindre à ceux qui auraient pour elle valeur mémorielle. À la question inaugurale « que trouve-t-on dans une brocante ? » qui lui est posée dans Ping-Pong, catalogue de l’exposition « La Place de la Concorde » du musée du Jeu de Paume en 2008 sous forme d’entretien avec Bertrand Schefer, Valérie Mrejen répond par une formule ambiguë : ces objets qu’elle rapporte des brocantes, qui sont « entre la poubelle et une seconde vie14 », lui racontent une histoire et la racontent en même temps, c’est donc affirmer le lien entre les deux aspects de la démarche, les deux faces de cette collecte des objets d’autrui, à la fois pour ce qu’ils lui racontent des autres et ce qu’ils lui disent d’elle-même. Il s’agit, par cette première collecte, de se fabriquer un héritage hors de toute considération réaliste, comme elle s’en explique :
Je n’ai pas beaucoup de traces de mes grands-parents, d’histoires, d’objets, ni de photos ; je ne les ai pas vraiment connus, c’est comme si j’essayais de retrouver un héritage à ma convenance, que je composerais moi-même. […] Le fait d’aller soi-même à la conquête de ce genre d’héritage est en même temps une façon de refuser le sien15.
8Il semblerait que les pratiques de ces trois artistes contreviennent à la définition même de l’autobiographie en sapant définitivement le lien du souvenir avec le réel, quand bien même fragile, ténu et incertain, au profit d’une fabrication de souvenirs de l’ordre de l’artifice (ce qui, comme tel, s’apparente à l’autofiction). Mais ils apportent en outre, semble-t-il, la preuve de la capacité d’engendrement du rêve que recèlent les objets, en même temps qu’ils attestent du besoin irréfragable de l’individu de se savoir lesté en quelque sorte par un ancrage matériel qui le garantirait contre la dissolution à laquelle le condamne le discontinu. Comme en témoigne François Bon dans son dernier opus, Autobiographie des objets :
L’ancien nous émeut : pas forcément pour l’avoir tenu en main dans l’enfance – un tracteur à rouiller dans un champ, une voiture en équilibre sur la pile d’une casse périurbaine, vue rapidement du train, et c’est le temps tout entier qui vous surgit à la face, et ce qu’on n’a pas su en faire16.
9Alors que nombre d’exemples ont montré dans le champ littéraire que l’écriture autobiographique correspond à des modèles et que peu importe la réalité du souvenir, il semblerait que ces entreprises plastiques prennent acte de la prégnance du modèle contre le matériau. S’en remettre à la forme, indépendamment du contenu, conduit, par exemple, Boltanski à fabriquer des albums de photos de famille hors de toute considération réaliste comme il le fait avec « L’album de photographies de la famille D. ». À partir des photos de famille prêtées par un ami, il a « tout mis en vrac et tenté de reconstituer un album photos sans connaître la famille », parce que, dit-il, « la photo de famille ne renvoie pas à la réalité mais à des modèles préconçus, les modèles de rituels familiaux17 ».
10Se pose ainsi la question du passage de l’individuel au collectif, l’une des questions fondatrices de l’écriture autobiographique depuis Rousseau. Paradoxalement, c’est la préoccupation première de Boltanski qui refuse pourtant énergiquement qu’on associe son œuvre à une quelconque démarche autobiographique, bien que les entretiens avec Catherine Grenier publiés sous le titre La Vie possible de Christian Boltanski, malgré l’incertitude introduite par l’expression du potentiel, s’apparentent à un récit de vie. Boltanski s’interroge sur « le passage du plus personnel au collectif » : « J’ai toujours tout inventé… J’ai inventé une enfance standard, la plus collective possible, sans la moindre anormalité… Je me suis inventé tellement de souvenirs d’enfance que je n’en ai plus de réels18. »
11L’intime étant ce « plus personnel » donc, comment le rendre signifiant pour tout un chacun ? Par le recours à la fiction certes, mais aussi par la confrontation avec les collections d’autrui, impersonnelles ou non-personnelles. Il s’en explique après avoir affirmé, comme d’autres, l’impossibilité de l’autobiographie : « Je ne crois pas qu’on puisse faire une autobiographie, parce que je crois qu’on ne peut parler que de ce que l’autre connaît. […] Je pense qu’on peut à la rigueur se prendre comme un exemple générique, mais que sa propre histoire n’est pas communicable19. » Il manifeste un refus de l’intime tandis que l’œuvre dans son entier, qu’il qualifie lui-même volontiers de narrative, est traversée par des questions qui touchent à l’intime.
12Qui plus est, ces collections en tant que telles, mettent en lumière la question du choix, question qui ne peut manquer de se poser dans toute entreprise autobiographique. Si Sophie Calle y répond par l’arbitraire, posture déjà revendiquée d’une certaine manière par la subjectivité assumée de Barthes, Boltanski fait le choix, en apparence complètement illusoire, ou du moins assurément voué à l’échec, de l’exhaustivité. Plusieurs de ses œuvres relèvent de cette tentative d’épuisement perecquienne. Le critère de l’exhaustivité s’oppose à celui de choix, de sélection, en évitant ainsi la valeur sentimentale. Si l’objet fait sens pour celui qui le choisit (deux personnes ne peuvent rapporter les mêmes objets d’une brocante, comme le souligne Mréjen), chez Boltanski, l’idée de « dispersion à l’amiable », séance au cours de laquelle il vend aux enchères tout ce qui se trouve dans son tiroir ou encore la série des « Inventaires » qui propose l’exposition de tous les objets d’une personne (réunir tout ce qui reste de quelqu’un et constituer une sorte de portrait en creux) démontre l’impasse à laquelle conduit inévitablement la sélection : « ça tournait autour de l’idée que la chose importante et la chose la moins importante, une fois qu’on est mort, n’ont plus de valeur20 ». Cette tentation de l’impossible exhaustivité conduit à réfléchir à la question de la valeur qui n’est que subjective : les objets ayant perdu leur valeur d’usage n’ont plus qu’une valeur sentimentale et, à vouloir évacuer cette valeur, on se trouve dans une impasse, comme il semblerait que l’ait été François Bon dans son Autobiographie des objets. Il se défend à de nombreuses reprises contre la nostalgie21, alors même qu’il répète que « le temps des objets est fini », dans une sorte de déploration. Ces objets du quotidien devenus obsolètes peuvent acquérir une autre valeur, qu’elle soit esthétique ou testimoniale. Si Boltanski fait l’hypothèse qu’un objet qui a cessé d’être utile devient beau, François Bon, en revanche, qui, lui, refuse toutes les options précédentes, se voit contraint de s’en tenir à leur valeur testimoniale et, comme il ne fait pas œuvre d’ethnologue, se trouve dans une impasse. Il s’en remet à des objets génériques appartenant à un monde disparu : la règle à calculer, le pied à coulisse ou la dymo : « J’appartiens à un monde disparu – et je vis et me conduis au-delà de cette appartenance. […] La question, c’est l’importance et la rémanence matérielle d’un tel objet, parfaitement incongru, parfaitement inutile, dans le parcours personnel22. » Comme l’explique Boltanski, « Les inventaires n’apprennent rien sur personne. Leur seul intérêt est que chaque personne qui les regarde y retrouve son propre portrait, puisque nous possédons tous à peu près les mêmes objets… nous en apprenons plus sur nous-mêmes que sur la personne concernée par l’inventaire23 » des « Je me souviens », qui rappellent que l’entreprise autobiographique n’est qu’un « modus memori », un moyen donné à tout un chacun d’avoir accès à sa mémoire en même temps que de se rassembler grâce à ces fragments épars qui n’ont aucun lien entre eux si ce n’est d’avoir appartenu à un même individu.
La fascination de la banalité comme miroir de notre vacuité
13La question du passage du dérisoire et de la banalité à l’œuvre d’art est une question esthétique certes, qui revêt, nous semble-t-il, une acuité particulière au regard de l’écriture autobiographique comme l’a démontré Perec avec les notions d’infra-ordinaire et d’endotique :
Faites l’inventaire de vos poches, de votre sac. Interrogez-vous sur la provenance, l’usage et le devenir de chacun des objets que vous en retirez. Questionnez vos petites cuillers. Qu’y a-t-il sous votre papier peint24 ?
14Dans ce contexte, force est d’admettre le paradoxe qui conduit l’objet de série qu’on peut considérer comme l’opposé du chef-d’œuvre artistique à devenir œuvre d’art par la mise en collection, ce qui ne manque pas de poser la question de cette fascination des écrivains contemporains pour la banalité du quotidien qui ne pourrait donc faire sens que par la mise en série. Dès lors se pose la question de savoir comment la sérialité peut opérer cette « transfiguration du banal » pour reprendre les termes d’Arthur Danto25.
15L’objet intégré dans ces collections de l’intime est décontextualisé, il perd sa fonction d’objet pour accéder à un autre statut grâce auquel il se trouve enrichi d’une signification qui lui permet de transcender en quelque sorte sa propre finitude. Or, curieusement, ces entreprises de « transfiguration » opèrent également sur le langage, ce qui nous conduit d’évidence à interroger les collections de l’intime dans ce qu’elles disent à la fois de l’extrême banalité de ce que l’on croit être, ce qui nous différencie de l’autre et d’une certaine idée de la mort de la littérature. Quel est donc le discours tenu par ce recours aux objets et ce recours aux phrases toutes faites pour se dire ?
16La banalité du langage, des lieux communs, des poncifs sert aussi à faire œuvre, comme chez Grégoire Bouillier ou Valérie Mréjen. Grégoire Bouillier publie en 2004, L’Invité-mystère26, qui peut être qualifié de « roman » à caractère autobiographique, récit, ou texte d’autofiction placé sous l’égide de Michel Leiris, texte dans lequel il raconte avoir été l’invité-mystère d’une des soirées d’anniversaire ritualisées de Sophie Calle. Son texte donne à lire dans un discours en apparence fluide, le flux de conscience d’un narrateur-personnage, rendu par la technique de la juxtaposition et du collage qui donne le sentiment d’une linéarité trompeuse : l’absence de ponctuation rend, en effet, impossible d’isoler un passage. La concaténation du propos, le texte saturé par la conjonction « et » laissent bien vite percevoir que ce texte n’est qu’un collage de banalités, scandé par l’expression « comme on dit ». Cette plongée dans la chair du langage qui s’approprie la parole d’autrui pour en exposer la vacuité démontre comment l’être fragmenté est en permanence traversé par le langage d’autrui auquel il a parfois la faiblesse de s’en remettre sans autre forme de réflexion, comme s’il était en quelque sorte dépossédé de son être, de sa pensée :
en même temps je me sentais à cet instant bovin et gros et stupide et écarlate et pour ne pas rester muet et dire malgré tout quelque chose d’impérissable je lui souhaitais un “joyeux anniversaire” et elle me remercia tout en recevant dans ses bras la bouteille de Margaux 1964 et j’espérais qu’elle allait ôter sur le champ le papier de soie et révéler au monde mon exploit et s’extasier de mon présent27.
17L’artiste Valérie Mréjen se montre encore plus radicale dans cette voie au sens où elle pratique le collage de phrases et d’expressions, manière d’emprunter à ce qui se dit autour d’elle pour se forger un langage sinon une pensée : « Je m’appuie sur la parole des autres pour parler. Mes livres sont presque une restitution de phrases que j’ai retenues. Ce n’est pas tout à fait mon langage. Je n’ai rien inventé28. » Elle présente dans son film Capri c’est fini29, une expérience de collage qui renvoie à l’universalité de l’intime, qui fait qu’en tant que spectateur on se retrouve en situation de se projeter dans une scène dont l’artifice nous est à chaque instant rappelé. « Un couple se dispute au rythme de répliques tirées du répertoire des téléfilms. Ces phrases toutes faites, clichés psychologiques et automatismes de scénaristes qui appartiennent au fonds commun et universel des dialogues de films » ne produisent pas seulement un effet comique, qui résulterait notamment de l’alternance des prénoms et qui devrait obérer toute illusion référentielle, mais mises bout à bout elles finissent, grâce au jeu des acteurs, par créer une scène de rupture crédible renvoyant ainsi le spectateur à sa propre histoire.
18Dans son récit intitulé Eau sauvage, elle entreprend de brosser le portrait d’un père par l’accumulation de messages laissés sur le répondeur, de bribes de conversation, de phrases écrites au dos d’une carte postale, sorte de litanie qui correspondrait au degré zéro du récit autobiographique, mais qui signifie en même temps le dépassement des possibilités d’une écriture narrative au sens où rien absolument n’est dit ni du contenu de ces propos ni de l’effet qu’ils produisent sur leur destinataire. Cette ouverture du champ interprétatif abolit la distance avec le lecteur au sens où chacun peut y lire son propre rapport à autrui. Disons que la vacuité de ce collage de lieux communs et de banalités nous invite à une lecture de notre propre intimité. Certes, l’amorce du récit n’est pas anodine, celui que l’on va entendre tout au long de ce texte sans possibilité de lui répondre profère une première phrase définitive : « Je crois que je vais prendre une décision très grave parce que maintenant ça commence à bien faire. À partir de demain c’est terminé, je n’entendrai plus parler de vous30. » Cette phrase fait sens dans un montage où alternent des questions bienveillantes (ça n’a pas l’air d’aller ? tu peux te confier), des formules affectueuses (mon petit, il faut parler, tu ne peux pas toujours garder tes préoccupations enfouies) et des injonctions terribles (je ne veux plus te voir, disparais à jamais, c’est à croire que tout te pèse, va-t’en d’ici). Elle opère des regroupements thématiques qui sont de nature à mettre en lumière l’absurdité des propos en même temps que leur poids de bon sens. Le père aborde la question du bonheur conjugal :
ma chérie, fais comme tu l’entends, je ne suis pas à ta place, mais je t’en prie réfléchis bien. Tu me dis qu’il a des enfants… Va au supermarché, pousse deux caddies, fais la cuisine pour six ; range les affaires, vide la voiture et là tu sauras si tu veux toujours… Je ne voudrais pas que tu regrettes de t’être aventurée trop vite. C’est ton bonheur et je respecterai toujours ta décision. Mais c’est une situation particulière ! Vous devez vous aimer beaucoup, il faut qu’il soit à genoux devant toi, qu’il rampe, qu’il avance à plat ventre ! Tu as une bonne nouvelle à m’annoncer ? Un fiancé en vue31 ?
19C’est le voisinage de ces propos qui les rend incohérents : en tant que tels, pris isolément, ils pourraient s’apparenter à des paroles de bon sens, mais mis en série, ils s’annulent. C’est une manière de dire comment ce flot de paroles condamne au silence, et va même jusqu’à interdire toute révolte. Une phrase en apparence anodine dans la formulation comme : « Allô, tout va bien ma chérie ? Non parce que j’ai vu ce matin dans le journal qu’un immeuble a brûlé dans le XIe et comme tu es dans le XIIe j’ai pensé à toi en me disant que c’était peut-être chez toi32 » qui réduit l’autre à un sujet de fait-divers est terrible dans le pouvoir de négation d’autrui qu’elle recèle et du coup, elle détruit tout le reste des propos (les formules affectueuses comme ma chérie, bonjour ma jolie…)… en fracturant l’apparente normalité de la relation filiale et des sentiments.
20« Hormis ce terriblement peu (rien que d’éparpillé)33 », notait Leiris, à propos de cette tentative de description de soi par les objets qu’il tient pour importants, voire nécessaires à son bien-être sinon à sa survie. Cependant, l’oxymore (terriblement peu) dit le caractère dérisoire qui affecte ces collections du peu, du trois fois rien, ce qui semblerait justifier chacune des deux attitudes qui relèvent de la tentative de sauvetage : soit l’on choisit de les magnifier pour en faire des reliques, des fétiches, en les « exposant » comme le ferait un collectionneur dans une sorte de cabinet de curiosités comme témoignages des vestiges d’un amour, d’un moment de bonheur perdu ou tout simplement du « ça a été » de Barthes, ce que se refuse à faire François Bon, soit on postule que c’est le regard qu’on porte sur elles qui en fait des œuvres d’art, comme le suggèrent Calle et Boltanski, car, selon le précepte de Duchamp, c’est le regardeur qui fait l’œuvre et qui suffirait donc à les tirer de l’oubli. Comme l’explique Boltanski :
Aux Puces, ce qui est très touchant, c’est qu’on trouve des ventes après décès avec tous les objets de quelqu’un. Tu as, posés par terre, sur la même couverture, un petit carnet, une boîte, une horloge un peu plus belle, etc., tout cela mis à égalité… Ce qui m’a intéressé, c’est l’idée de faire revivre… Si tu regardes quelque chose, tu lui donnes vie34.
21Aucune des deux attitudes ne peut donc nier le rapport que ces objets entretiennent avec la mort, tout d’abord, comme le rappelle opportunément Leiris parce qu’en tant qu’objets du passé ils ont perdu leur fonction (au point d’en devenir presque obscènes) :
Maints objets qu’on a chez soi et qu’un jour on retrouve s’avèrent incroyablement vieillis, désormais inutiles, alors qu’on les avait gardés dans un but immédiatement pratique : tel annuaire, par exemple, indicateur ou catalogue qui, maintenant ne renvoie à rien qu’on puisse avoir une sérieuse chance d’atteindre et est devenu un résidu aussi macabre que, dans un fichier ou sur un agenda mal révisé, l’adresse d’une personne décédée35.
22Mais également parce que le fait de les muséifier les tue en quelque sorte, les condamnant à l’inutilité en les figeant. Rousseau en son temps avait déjà fait ce constat à propos de l’écriture des moments heureux de son passé. Sauf que la dialectique présence/absence est plus subtile comme le rappelle Boltanski qui dit s’être toujours intéressé au musée comme lieu de conservation et de mémoire : « Le musée est un lieu que j’ai aimé parce que c’est l’absence qui désigne une présence, il n’y a que des morts, des gens qui ont été présents mais ne sont plus là36. » Ces objets acquièrent donc ainsi un nouveau statut entre fétiche et relique, une nouvelle fonction qui est de garder des traces, de lutter contre la mort alors que dans le même temps ils actualisent une présence de la mort. Cette tentative désespérée en quelque sorte de lutter contre le temps et la disparition conduit à des mises en scène obsessionnelles de ces objets fétiches, parfois considérées comme l’expression d’une maladie mentale (le terme est parfois employé par les critiques) mais qui traduisent toujours la même interrogation inquiète face à la mémoire, l’oubli, la disparition. Boltanski ne s’y trompe pas quand il avoue avoir utilisé des tiroirs de morgue pour y accumuler ces objets, pseudo-souvenirs : « C’est extrêmement froid, métallique37 », comme il le rappelle. Ces entreprises ont, également à voir avec l’aspect ethnologique de la vitrine de soi à laquelle fait référence Leiris. Il s’agit même d’un parti-pris artistique pour Boltanski qui réalise une sorte de musée de la culture enfantine, selon la méthode de l’enquête ethnologique pour son œuvre intitulée « Règles et techniques » exposée à la Galerie Sonnabend : « L’idée était que j’avais oublié mon enfance donc j’étais en position de chercheur comme quelqu’un qui va dans une tribu, et je demandais à un enfant – en l’occurrence, mon neveu – de me donner sa culture38. » Cette collecte donne lieu à quatre ou cinq vitrines d’objets et de photographies composées de règles et techniques du savoir de l’enfance (savoir faire des cocottes en papier, une fronde…). Il s’agit d’une œuvre à la fois individuelle et collective, qui dépasse les clivages, fondée sur l’idée que « l’on porte un enfant mort en nous – nous mort en tant qu’enfant – et que, plus on avance, plus on oublie cet enfant39 ». L’intérêt de cette collection est de mettre au jour une des vérités de l’entreprise autobiographique : l’idée générale de l’enfance, la valeur générique des souvenirs qu’on ne s’embarrasse même pas ici à présenter comme des souvenirs personnels.
23Poussé à l’extrême, ce postulat nie l’évidence de l’exposition même, de sorte que, au fil des remaniements de ses diverses expositions, Boltanski en vient à les cacher dans des tiroirs puis des boîtes à biscuits auxquelles le spectateur n’a plus accès ou que Sophie Calle, dans Moi aussi, cache les photos de ses vitrines grâce à une reliure japonaise qui referme la double page sur elle-même. L’ouvrage fait alterner des pages de papier rose réservées à François Mitterrand, pages visibles qui présentent la liste exhaustive par année des cadeaux offerts au Président tandis que la reliure japonaise renferme un choix d’images des cadeaux et des pages de papier blanc dédiées à Sophie Calle. Les pages visibles présentent la liste exhaustive par année des cadeaux offerts à l’artiste, les pages invisibles du fait de la reliure japonaise renferment les visuels des vitrines présentant ses cadeaux. Les objets collectionnés par Boltanski ou Sophie Calle n’étant plus donnés à voir, ils continuent néanmoins d’assumer un rôle testimonial, considérés donc comme des souvenirs qui ont perdu leur réalité concrète au profit d’une réalité abstraite. Ce qu’on pourrait appeler « ego-document » entre alors dans une base de données universelle et acquiert un statut virtuel en déplaçant le registre de signification. Le principe de la collection, de la série a, certes, un lien indéniable avec la société industrielle et la société de consommation, mais il a un lien plus profond, comme le rappelle Umberto Eco avec l’esthétique de la répétition et de l’itération qui, selon lui, domine tout l’univers de la création artistique contemporaine. On pourrait postuler qu’il s’agit là d’une mise à mal du concept d’originalité aussi bien dans sa forme esthétique que dans le contenu du matériau mémoriel, que l’on pourrait pourtant considérer comme une forme privilégiée de l’expression contemporaine.
De la collection comme constat de l’impossible unité du moi
24Dès lors se pose la question de savoir comment l’œuvre survit en quelque sorte à ces entreprises qui semblent avoir pour objectif une restitution du réel qui mette à mal cette illusion fondamentale de la permanence du moi et de l’intégrité de la mémoire. Si de nombreux sociologues ont pris acte, à la suite de la psychanalyse, de l’impossible unité du sujet, de la diffraction du moi, de la multiplicité de l’individu et de sa décomposition en quelque sorte, on peut admettre néanmoins que le constat ne va pas sans mal lorsqu’il s’agit de renoncer à rendre compte de cette dispersion au moyen d’une œuvre malgré tout totalisante. Quelles attitudes relève-t-on chez les artistes confrontés à cette aporie ?
25Comme nous l’avons vu, la première tentative consiste à essayer de transformer le bric-à-brac en collection, quitte à en assumer l’aspect hétéroclite et définitivement fragmenté enserré malgré tout dans l’espace d’un livre. Les premières tentatives littéraires que l’on peut qualifier d’audacieuses se sont révélées très sophistiquées dans la mesure où elles mettent en jeu des compositions rhapsodiques, thématiques, voire phonétiques ou ludiques qui tentent de tisser des liens entre les fragments épars, quand bien même on a admis l’absence fondamentale de liens. Il semblerait que les artistes qui nous occupent dans le cas présent aient sensiblement déplacé le problème. On assiste ainsi à un double mouvement de dispersion assumée par l’écriture fragmentaire, que nombre de critiques ont déjà glosée, et la collecte-collection d’objets comme traces du passé, que vient contredire un mouvement de tissage « hyper textuel » qui tente malgré tout une recomposition extra-territoriale si l’on peut dire, c’est-à-dire au-delà des frontières de l’œuvre unique.
26On peut admettre que l’espace du livre comme celui de la vitrine ou du musée sont des moyens d’enclore ces collections et de les circonscrire. C’est une question esthétique récurrente. Boltanski en fait une notion centrale de son œuvre dont il dit avoir pris conscience dans les années 1984 :
Je pense que si j’ai amené, avec quelques autres, quelque chose de nouveau dans l’art, c’est le fait de prendre en compte le lieu entièrement et de concevoir l’exposition comme une seule œuvre. Le principe n’est plus de regarder une œuvre après l’autre, c’est d’être à l’intérieur de quelque chose, où les œuvres se parlent tellement qu’elles ne constituent plus qu’une seule unité40.
27L’analogie avec la clôture du livre fonctionne également, comme dans l’exposition de Sophie Calle, « M’as-tu vue » au Centre Pompidou comme l’analyse Alfred Paquement dans la préface de catalogue : « Le titre ironise sur l’omniprésence de la figure de l’artiste dans sa propre démarche. Il souligne aussi que, même constituée d’un ensemble d’œuvres, anciennes ou inédites, l’exposition forme un ensemble à voir, et à lire, comme un récit en une succession de chapitres41. » Il s’agit même selon Valérie Mrejen de reconstituer une sorte de puzzle imaginaire. Interrogée sur ses critères de choix, elle invoque ce « critère qui n’en est pas un, (et qui est que) c’est que tout d’un coup un objet me dise quelque chose, trouve une cohérence dans un ensemble que j’essaye de constituer42 ». Mais bien vite, on s’aperçoit que ces œuvres débordent le cadre de l’unité à laquelle on serait tenté de les réduire pour faire sens au sein de ce qu’Anne Sauvageot appelle un vaste hypertexte, une œuvre hypertexte qui, selon elle, « n’est pas assujettie à la construction en continu d’un sens mais opère par entrelacements de liens au sein d’un espace sémantique où l’essentiel ne réside pas seulement dans ce qui est dit et photographié mais dans le passage d’un univers de significations à un autre43 », « les textes, images, objets détritus sont autant de fragments de signification qui s’interpellent mutuellement44 », ils font sens par un effet d’écho ou de mise en résonance. En cela, ils ne seraient rien moins que des leitmotive, mais ce qui ne peut laisser de surprendre est le fait que ces effets d’écho dépassent le cadre de la circulation autoréférentielle pour fonctionner collectivement, c’est-à-dire d’un artiste à l’autre.
28On peut dans un premier temps voir comment se constitue cet espace hypertextuel à partir des œuvres de Sophie Calle qui entrent en résonance avec les productions d’autres artistes comme Hervé Guibert ou Paul Auster, cela est suffisamment connu pour qu’on ne le rappelle pas ici. En revanche, il est intéressant de constater que le principe fonctionne aussi dans l’autre sens, de Sophie Calle à Grégoire Bouiller. Comme nous l’avons vu, L’Invité-mystère tisse des liens avec l’œuvre de Sophie Calle, tout en se plaçant sous les auspices de Michel Leiris : « Elle précisa qu’il s’agissait d’une grande soirée et elle comptait sur ma présence, c’était important, elle me le demandait comme un service et elle eut un petit rire au bout du fil tandis que je me répétais silencieusement qu’elle n’appelait après toutes ces années que pour m’inviter à une soirée comme si de rien n’était et que le temps devait tout abolir et Michel Leiris être encore vivant45. » Il instaure un dialogue assurant le tissage hors des frontières de l’œuvre, mais aussi une forme d’intervention dans la mesure où les échos modifient l’œuvre princeps, influence qui va donc au-delà d’un simple rapport intertextuel : le texte fait état d’un litige concernant le cadeau apporté lors de cette fête, une bouteille de Château-Margaux qui n’est pas mentionnée dans les listes de Sophie Calle, dont il assure qu’elles ont été rectifiées à la suite par l’auteur, ainsi qu’en atteste la photo de l’exemplaire donné comme contresigné de la main de Sophie Calle. On constate en effet que des photos de textes entrent dans ces collections, jouant un rôle dans le tissage d’un intertexte entre les productions de Sophie Calle et Grégoire Bouillier, mais qu’elles ne fonctionnent pas comme des citations, n’étant pas intégrées au tissu textuel, dont elles se détachent comme des objets insolites ayant une existence autonome, réifiée, qui leur fait perdre toute vertu textuelle.
29On peut faire l’hypothèse que plus le texte se fragmente et plus le livre est affecté d’incomplétude, plus les liens qui se tissent à l’intérieur de l’œuvre, par la production de séries, et au-delà, par l’inauguration d’une intertextualité de type nouveau, sont de nature à lui assurer une forme d’unité qui tente de lutter contre le principe de diffraction à l’œuvre. Par la mise en scène des pièces dépareillées du matériau mémoriel, ces entreprises plastiques conduisent à un effacement de la figure de l’auteur derrière la composition d’objets et rappellent, pour paraphraser Roubaud46, que l’écriture autobiographique est tout à la fois l’autobiographie de personne et l’autobiographie de tout le monde. Ces collections de l’intime sont de nature, nous semble-t-il, à remettre en question de manière radicale l’illusion référentielle du texte autobiographique qui tendrait à considérer le matériau mémoriel autobiographique et les traces de l’existence, comme rémanences du passé et constitutives de l’unité de l’être.
Notes de bas de page
1 Leiris M., La Règle du jeu, Fibrilles, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2003, p. 916.
2 Ibid.
3 Duchamp M., La Boîte-en-valise, 1936-1941.
4 Boltanski C. et Grenier C., La Vie possible de Christian Boltanski, Paris, Le Seuil, 2007, p. 180.
5 Calle S., Le Rituel d’anniversaire, Arles, Actes Sud, p. 11.
6 Ibid.
7 Calle S., Moi aussi, Paris, Les Éditions 591, 2012.
8 Ibid., préface.
9 Boltanski C., Reconstitution d’objets, 1970.
10 Boltanski C., Recherche et représentation de tout ce qui reste de mon enfance. 1944-1950, 1969.
11 Boltanski C. et Grenier C., La Vie possible de Christian Boltanski, Paris, Le Seuil, 2007, 42-43.
12 Ibid.
13 Ibid.
14 Mrejen V. et Schefer B., Ping-Pong, Catalogue-dvd de l’exposition monographique « La place de la concorde » du musée du Jeu de Paume, Paris, Allia, 2008, p. 31.
15 Op. cit., p. 34.
16 Bon F., Autobiographie des objets, Paris, Le Seuil, 2012, p. 7.
17 Boltanski C. et Grenier C., op. cit., p. 104.
18 Ibid., p. 84.
19 Ibid.
20 Ibid., p. 72.
21 Bon F., op. cit., p. 24.
22 Ibid.
23 Boltanski C. et Grenier C., op. cit., p. 77.
24 Perec G., « Approches de quoi ? », L’Infra-ordinaire, Paris, Le Seuil, coll. « La Librairie du XXe siècle », 1989, [http://remue.net/cont/perecinfraord.html], consultationle12/01/2015.
25 Danto A., La Transfiguration du banal. Une Philosophie de l’art, Paris, Le Seuil, 1989.
26 Bouillier G., L’Invité mystère, Paris, Allia, 2004.
27 Ibid.
28 Mréjen V., Ping-Pong, op. cit., p. 45.
29 Mréjen V., Capri c’est fini, DVD Vidéo 2008.
30 Mréjen V., Eau sauvage, Paris, Allia, 2004, repris dans Trois quartiers, J’ai lu, 2005, p. 7.
31 Ibid., p. 121.
32 Ibid., p. 100.
33 Leiris M., op. cit., p. 916.
34 Boltanski C., op. cit., p. 171.
35 Leiris M., op. cit., p. 911.
36 Boltanski C., op. cit., p. 224.
37 Ibid., p. 91.
38 Ibid., p. 82.
39 Ibid.
40 Ibid., p. 129-130.
41 Paquement A., Catalogue de l’exposition « M’as-tu vue Sophie Calle », Paris, Éditions du Centre Pompidou, 2003, p. 16.
42 Mréjen V., op. cit., p. 32.
43 Sauvageot A., Sophie Calle. L’art caméléon, Paris, Presses universitaires de France, 2007, p. 166.
44 Ibid., p. 167.
45 Bouillier G., L’Invité mystère, Paris, Allia, 2004, p. 14.
46 Il s’agit d’un clin d’œil aux titres des œuvres poétiques de Jacques Roubaud, Les Animaux de tout le monde, Ramsay, Paris, 1983 et Les Animaux de personne, Paris, Seghers, 1991.
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