« Comment on devient ce qu’on est » : sur le rôle décisif de la maladie chez Nietzsche
p. 73-90
Texte intégral
Humain, trop humain est le mémorial d’une crise. Il s’intitule un livre pour esprits libres : presque chaque phrase y exprime une victoire – avec lui je me suis émancipé de tout ce qui est corps étranger à ma nature1.
1Voilà une citation qui peut surprendre. On a en effet pris l’habitude, dans les lectures dites « déconstructionnistes » ou « post-structuralistes » de Nietzsche, de le considérer comme le grand critique du moi et de la subjectivité, chez qui toute identité serait illusoire, fabriquée et fictive. Que signifie donc ce passage dans lequel l’auteur nous parle de la libération d’une « nature » propre, et plus loin encore d’un « moi profond2 » ?
2Il est vrai qu’on trouve dans l’œuvre de Nietzsche un grand nombre d’aphorismes dans lesquels le philosophe critique l’unité du sujet, de la volonté3 ou de la conscience4, « l’atomisme de l’âme5 », la « fausse substantialisation du moi » et explique que « le moi est une pluralité de forces » et que « le point de subjectivité est mobile6 ». On oublie parfois, cependant, que cette critique de la subjectivité ne constitue qu’une partie de la pensée nietzschéenne du moi, à savoir sa partie métaphysique. Ces critiques, d’ailleurs, ont souvent pour objet le cogito cartésien. Mais, simultanément, l’œuvre de Nietzsche contient aussi une importante valorisation éthique du moi, de la personnalité7, de l’acquiescement à soi8, et d’une certaine forme d’égoïsme (Selbstsucht) sur laquelle je reviendrai. On ne le dit peut-être pas assez : Nietzsche, grand admirateur de Goethe, est aussi un héritier de la Bildung9, et la question de savoir « comment on devient ce qu’on est », sous-titre d’Ecce homo10, l’intéresse au moins autant que la critique du cogito. Or c’est ce thème que développe le passage d’où est extraite cette citation, dans lequel Nietzsche, revenant rétrospectivement sur la rédaction d’Humain, trop humain, explique comment il s’est alors « émancipé de tout ce qui est corps étranger à [sa] nature » (§ 1), de tout ce qui est « contre-instinct » et « contre-nature » (§ 3), pour devenir un « esprit […] libre, qui s’est recouvré lui-même » (§ 1), en même temps que son « moi profond », « enseveli », s’éveillait et se remettait à parler (§ 4).
3Je tenterai dans les pages qui suivent d’approfondir cette problématique éthique de la pensée de Nietzsche en procédant à un commentaire ouvert de ce passage. Ainsi que Nietzsche y invitait souvent11, et le faisait lui-même dans Ecce homo, ce commentaire mobilisera et mettra en regard deux types d’explications : il y sera tantôt question de sa philosophie, et tantôt question de sa vie. L’enjeu d’une telle approche est de parvenir à restituer l’expérience, à la fois singulière et philosophique, de Nietzsche.
4Il faut commencer par parler de la « crise » à laquelle cette citation fait allusion : comme l’explique la suite du texte, Nietzsche parle ici de la maladie, qui, dit-il, le « libéra lentement » et permit à son « moi profond » de s’éveiller12. Quelle maladie ? Là n’est pas le plus important. Je ne discuterai pas ici l’hypothèse d’une infection syphilitique ; il faut en effet mettre ces suppositions scientifiques de côté si l’on veut comprendre le discours que le philosophe lui-même tient sur cette maladie, et ainsi se concentrer sur les problèmes de son sens et de ses enjeux existentiels13.
5De ce point de vue, Nietzsche, dans ses textes, ne fait pas vraiment référence à une maladie particulière, mais plutôt à une aggravation critique d’un état général de mauvaise santé, d’ailleurs partiellement héréditaire. À partir de 1874, l’auteur, très myope depuis sa naissance, souffre de migraines de plus en plus violentes, accompagnées de vomissements, voire même de pertes de conscience, qui l’obligent souvent à rester alité plusieurs jours. Cet état maladif va empirer jusqu’au début de l’année 1880, où Nietzsche est au plus mal. Le 14 janvier 1880, il écrit ainsi à Malwida von Meysenbug : « le terrible et quasi permanent martyre qu’est mon existence me donne hâte d’en finir, et à en juger par certains indices, l’attaque d’apoplexie est assez proche14 ». Dans Ecce homo, il écrira rétrospectivement :
C’est dans ma trente-sixième année que j’ai atteint l’étiage de ma vitalité […]. Alors, – c’était en 1879 – j’abandonnai ma chaire de professeur à Bâle, passai l’été comme une ombre à Saint-Moritz et l’hiver suivant, le moins ensoleillé de ma vie, comme une ombre à Naumburg. Cela fut mon nadir15.
6Cependant Nietzsche se remet ensuite assez rapidement sur pied et trouve une nouvelle énergie ; simultanément, sa philosophie change de tonalité, comme lui-même le reconnaîtra : « le son, le timbre de la voix s’est complètement modifié », écrit-il dans Ecce Homo16. On assiste alors à ce que Jaspers et Janz appelleront la « métamorphose » de Nietzsche17.
7La « crise » en question possède donc des analogies avec la crise hippocratique. Elle correspond en effet à l’atteinte d’un moment critique, décisif, où l’évolution de la maladie se joue de façon déterminante, où le malade meurt ou renaît. C’est sur cette période « critique », correspondant à la rédaction d’Humain, trop humain, que Nietzsche reviendra en 1886, dans l’importante seconde préface au Gai savoir, puis en 1889, dans Ecce homo.
8Je vais maintenant tenter d’expliquer comment, pour Nietzsche, cette maladie a pu permettre l’éveil et l’expression d’un « moi profond18 » (I). Je montrerai ensuite que ce « moi profond » n’accède vraiment à l’existence que dans la création d’une nouvelle philosophie : je développerai alors plus spécifiquement la question du rôle de la maladie dans la pensée de Nietzsche (II).
9Dans chacune de ces deux parties, je suivrai la même méthode : je commencerai par présenter l’influence concrète de la maladie avant d’en venir aux réflexions plus générales et plus proprement philosophiques de Nietzsche. Nous verrons ainsi d’abord dans la première partie comment la maladie l’a forcé à s’éloigner de l’enseignement universitaire bâlois, ainsi que de la musique wagnérienne et de Bayreuth, avant d’en venir à un niveau d’explication plus général : sa maladie révélait selon lui un style de vie inadéquat. Je montrerai dans la deuxième partie que c’est en réalité son état de santé qui a au début contraint le philosophe à adopter à contrecœur son célèbre style aphoristique ; puis je présenterai certaines de ses réflexions plus générales sur les rapports entre maladie et connaissance.
La maladie fait signe vers le « moi profond »
Comment la maladie éloigne Nietzsche de Bayreuth et de Bâle
Les commencements de ce livre se situent en plein dans les semaines du premier festival de Bayreuth ; un état d’esprit profondément étranger à tout ce qui m’y entourait constitue l’un de ses présupposés19.
10Un des éléments déclencheurs de la « crise » fut l’arrivée au festival de Wagner. Nietzsche, qui brûlait d’impatience d’y aller et avait dû annuler son voyage l’été précédent, part précipitamment pour Bayreuth le 22 juillet 1876, malgré un « état de santé de plus en plus pitoyable20 ». Il arrive le 25, malade, et ne supporte ni la musique, ni l’ambiance du festival, si bien que dès le 3 ou 4 août, il part brusquement s’isoler à Klingenbrunn, dans la forêt bavaroise. Ce départ précipité est très probablement le signe d’une grande déception. Déception affective et intellectuelle, d’abord : après avoir fait l’éloge de Wagner dans la quatrième des Considérations inactuelles, il espérait recevoir à Bayreuth un accueil glorieux. Mais Wagner délaisse Nietzsche, car, comme l’explique Janz, il est lui-même pris dans un « gigantesque travail d’organisation », et doit, pour le succès de son entreprise, « s’entourer de “personnalités” totalement insignifiantes sur le plan intellectuel21 », mais dont l’appui financier était déterminant. Nietzsche est donc exclu de la société wagnérienne ; c’est la raison pour laquelle il dira ensuite ne plus avoir reconnu Wagner au milieu de cette « horrible société », où « l’esprit […] fait défaut22 ».
11Mais il y a ensuite une déception esthétique et, pourrait-on dire, physiologique : la musique de Wagner elle-même le rend malade, lui procurant notamment des « maux de tête incessants23 ». C’est sans doute cette mauvaise expérience qui l’amènera à écrire :
Mes objections à la musique de Wagner sont des objections physiologiques : à quoi bon continuer à les travestir sous des formules esthétiques ? Le « fait » est pour moi que je ne respire plus avec aisance lorsque cette musique exerce son effet sur moi ; qu’aussitôt mon pied s’irrite et se révolte contre elle – il a besoin de cadence, de danse, de marche […]. – Mais mon estomac ne proteste-t-il pas également ? et mon cœur ? ma circulation sanguine ? mes entrailles ? Ne suis-je pas en train de m’enrouer imperceptiblement avec cette musique24 ?
12Cependant la maladie n’a pas seulement éloigné Nietzsche de Bayreuth ; elle avait déjà, depuis 1874, commencé à l’éloigner de Bâle. Celui-ci a en effet de plus en plus de mal à assumer sa lourde charge d’enseignement en philologie au Pedagogium (lycée) et à l’université. S’il parvient, en 1875, à terminer intégralement son deuxième semestre (« au prix des pires souffrances25 »), il est forcé de demander une décharge au Pedagogium le 2 janvier 1876, et renonce même temporairement à son enseignement universitaire le 7 février26. Il reprend ensuite ses cours, en allégeant ses préparations, mais doit demander une année de congé d’octobre 1876 à septembre 1877, avant de finalement envoyer une lettre de démission définitive le 2 mai 1879 :
Mes douleurs cérébrales, […] la perte de temps de plus en plus importante que m’inflige des crises longues de deux à six jours, la considérable diminution de mon pouvoir visuel […], qui ne me permet plus guère de lire ou d’écrire vingt minutes sans douleurs – toutes ces circonstances réunies m’obligent à reconnaître que je ne suis plus en mesure de suffire à mes obligations académiques27.
13Ainsi la maladie l’aura amené à se déprendre de ces deux activités, pour revenir à lui et à son œuvre. En réfléchissant sur ce fait, Nietzsche va considérer que cette double crise correspond à un phénomène plus général : la maladie lui a signalé qu’il menait un style de vie inadéquat, allant contre son « instinct ».
La maladie comme symptôme d’un style d’existence inadéquat
Ce qui se décidait alors chez moi, ce n’était pas exactement une rupture avec Wagner – je ressentais une aberration générale de mon instinct, dont telle ou telle méprise, que ce fût Wagner ou la chaire de professeur à Bâle, n’était qu’un signe. Je fus assailli par un accès d’impatience à mon égard ; je compris qu’il était grand temps de me raviser pour revenir à moi28.
14Le vocabulaire de Nietzsche varie : ainsi que nous l’avons vu, il parle tantôt d’un « moi profond », tantôt d’une « nature » propre, tantôt d’un « instinct ». Il emploie ici ce terme pour indiquer que le moi n’est pas transparent à lui-même ; au contraire, sa véritable nature peut rester longtemps cachée, le moi véritable demeurant alors en quelque sorte en gestation. C’est là l’objet du § 9 du deuxième livre d’Ecce homo : la découverte et la compréhension de soi, explique Nietzsche, ne sont jamais immédiates ; elles n’adviennent qu’au terme d’un long processus, sur lequel insiste la formule : « devenir ce que l’on est » – et non, simplement, « être soi-même ». Ceci permet de comprendre cette phrase étrange : « Que l’on devienne ce qu’on est suppose que l’on ne se doute pas le moins du monde de ce qu’on est29. » Il est nécessaire, déclare Nietzsche après Goethe, que le moi ne se comprenne pas trop tôt, qu’il demeure caché à lui-même pendant une longue période d’élaboration où il se nourrira d’expériences diverses et contradictoires. Le terme d’« instinct » renvoie alors à l’idée d’un principe organisateur souterrain, qui va structurer ces expériences multiples :
Entre-temps ne cesse de croître en profondeur l’« idée » organisatrice, appelée à la maîtrise, – elle commence à ordonner, lentement elle ramène hors des chemins détournés et écartés, elle prépare des qualités et des capacités séparées qui, un jour, se révéleront indispensables comme moyens du tout, – elle façonne tour à tour toutes les facultés servantes, avant même de laisser transpirer quoi que ce soit de la tâche dominante, du « but », de la « fin », du « sens »30.
15Il y a donc, chez Nietzsche, une temporalité du « devenir soi-même », constituée d’au moins deux grandes étapes : l’expression du « moi profond » n’est possible qu’au terme d’une longue phase souterraine, « instinctive », de développement et de formation. Ces deux étapes correspondent à deux phases de la maladie. La première phase – cette longue « montée en ligne de la maladie » que Nietzsche connaît de 1874 à 1880 – constitue en quelque sorte l’expression somatique des tensions propres à un moi en formation. Elle manifeste dans son interprétation l’effort fourni par « l’instinct » pour organiser et structurer ce qu’il appelle « des qualités et des capacités séparées », acquises dans « des chemins détournés et écartés ». Pendant six terribles années, Nietzsche prend sur lui, et fait tout son possible pour assumer ses responsabilités et ses engagements dans ce qu’il appellera ensuite des « méprises » : l’enseignement universitaire à Bâle, la musique de Wagner. Puis la tension et les souffrances finissent par devenir trop fortes ; l’instinct ne parvient plus à les unifier ; Nietzsche ressent alors qu’il est arrivé au point de rupture, que cet instinct risque de sombrer dans une « aberration générale ». Ces tensions finissent alors par se résoudre dans une ultime crise, correspondant à la deuxième phase de la maladie ; celle-ci fait alors impérieusement signe vers le moi : « lorsque je fus presque à bout, et parce que j’étais presque à bout, je me mis à réfléchir sur cette déraison fondamentale de ma vie […]. Il fallut la maladie pour me ramener à la raison », écrit Nietzsche31. Celle-ci joue alors un rôle libérateur, en obligeant le sujet à sortir de toutes les « méprises » dans lesquelles il s’était enfermé et dépérissait :
La maladie me libéra lentement : elle m’épargna toute rupture, toute démarche violente et choquante […] La maladie me conféra du même coup le droit à un bouleversement complet de toutes mes habitudes ; elle me permit, elle m’ordonna l’oubli ; elle me fit cadeau de l’obligation à la position allongée, au loisir, à l’attente et à la patience… Mais c’est cela justement qui s’appelle penser32 !
16Ainsi, la myopie et les maux de tête de Nietzsche finissent par la libérer de la philologie :
Mes yeux décidèrent tout seuls d’en finir avec toute bibliomanie, traduction allemande : la philologie : j’étais sauvé du « livre », je ne lus plus rien des années durant – le plus grand bienfait que je me sois jamais accordé33 !
17Et la maladie rend alors la parole à ce que Nietzsche appelle son « moi profond » :
Ce moi profond pour ainsi dire enseveli, pour ainsi dire rendu muet par l’obligation constante d’écouter d’autres moi (– c’est cela justement qui s’appelle lire !) s’éveilla lentement, craintif, incertain, – mais finalement il se mit à parler34.
18Nietzsche y insiste : ce « moi profond » ne se découvre ni dans l’illumination soudaine ni dans la contemplation sereine. Au contraire, il n’apparaît qu’au terme d’une longue accumulation de tensions et de souffrances. Son avènement ne correspond donc absolument pas à la paix intérieure, ni même à la disparition de la souffrance, auxquelles prétend aujourd’hui nous mener la littérature du « développement personnel » : « Jamais », écrit Nietzsche, « je n’ai pris autant de bonheur à moi-même que dans les époques les plus maladives et les plus douloureuses de ma vie35 ».
19Il est ici crucial de noter que les tensions qui s’expriment et se résolvent par la maladie ne trouvent pas leur origine dans le sujet lui-même, mais plutôt dans sa relation à son milieu36. Il importe donc de ne pas étudier la maladie seulement pour elle-même, avec ses symptômes et son étiologie particulière ; il faut aussi remonter au contexte général qui l’a favorisée, sous peine de commettre ce que Nietzsche appelle « l’erreur de la confusion entre la cause et l’effet37 ». Il y a en quelque sorte une double sémiologie de la maladie chez Nietzsche ; par-delà les signes de telle ou telle maladie, la maladie elle-même est interprétée comme le signe d’un égarement ou d’un déclin :
Ce jeune homme pâlit et s’étiole prématurément. Ses amis disent : la faute en est à telle ou telle maladie. Je dis : qu’il soit tombé malade, qu’il n’ait pas résisté à la maladie, c’était déjà la conséquence d’une vie appauvrie38.
20On rencontre, à ce sujet, deux thèmes importants dans Ecce homo. Le premier est le régime ; il constitue l’objet de tout le deuxième livre. Pris dans un sens général, il ne désigne pas seulement l’alimentation, mais aussi ce qu’on pourrait appeler le style d’existence. Nietzsche, ainsi, s’interroge longuement sur « l’influence du climat sur le métabolisme39 », ou le « choix de son mode de délassement40 », tout en précisant que ces choses habituellement tenues pour « insignifiantes41 » sont en réalité de la plus haute importance ; en effet, explique-t-il, « en tout cela […] c’est un instinct de conservation qui commande, lequel s’exprime de la façon la moins équivoque comme instinct d’autodéfense42 ».
21Le deuxième thème déterminant pour caractériser cet égarement est le concept de « désintéressement43 ». La présence, dans ce texte, de ce concept moral est plus longue à expliquer. Comme souvent chez Nietzsche, le fait qu’il apparaisse entre guillemets signale une mise à distance critique, voire un détournement de sens. L’expression « indigne “désintéressement” », une fois remise dans son contexte, semble dénoncer un certain conformisme, une identification lâche et paresseuse avec le milieu environnant, un « penchant à céder, à suivre, à me confondre avec autrui44 ». Mais, pour mieux comprendre de quoi il est ici question, il faut revenir à l’allemand : « désintéressement » traduit ici « Selbstlosigkeit », qui, littéralement, signifie « absence de soi ». Ce concept, important et récurrent dans l’œuvre de Nietzsche, sert à caractériser un trait essentiel de ce qu’il appelle de façon volontairement générale « la morale ». De Socrate à Schopenhauer, en pensant par Paul, Pascal ou Kant, Nietzsche dénonce une tendance univoque à dévaloriser le moi, en exaltant l’humilité, la modestie ou le « devoir45 ». Cette tendance trouve pour lui son apogée dans les thèmes schopenhaueriens de la pitié, où l’« homme ne fait plus de distinctions égoïstes entre sa personne et celle d’autrui46 », et de la négation du vouloir-vivre, où la volonté « n’affirme plus son essence », mais « la nie47 ». Comme l’enseigne Zarathoustra, cette valorisation du « désintéressement » s’enracine souvent dans une haine et une fuite de soi :
Vous vous pressez autour de votre prochain et vous avez pour cela de belles paroles. Mais moi, je vous dis : votre amour du prochain n’est que mauvais amour de vous-mêmes.
Vous vous réfugiez auprès du prochain pour vous fuir vous-mêmes et vous voudriez vous en faire une vertu : mais je perce à jour votre « désintéressement »48.
22Elle constitue alors une des sources du ressentiment : « quiconque est mécontent de soi-même est prêt sans cesse à en tirer vengeance49 ». Un des grands objectifs de la philosophie nietzschéenne est donc, face à cette morale négative, de restaurer un rapport sain et affirmatif à soi : « une chose est nécessaire : que l’homme parvienne à être content de lui-même50 ». Au concept de Selbstlosigkeit, Nietzsche n’oppose pas l’Egoismus, mais la Selbstsucht, qui signifie littéralement « passion de soi ». Il enseigne qu’elle est la seule source possible du véritable amour : « il faut avoir un moi solidement assis […] sinon il est impossible d’aimer51 », ainsi que de la véritable création : « où il y a un grand amour pour soi-même il est l’emblème de la fécondité52 ».
23Pour en revenir maintenant à notre texte : celui qui tombe malade par faute de s’être perdu dans le « désintéressement » a deux options possibles. La première, systématiquement condamnée par Nietzsche53, consiste à vouloir soulager la souffrance plutôt que sa cause en cherchant des « narcotiques » ; ce faisant, elle ne fait qu’aggraver la maladie. Nietzsche accuse l’art de Wagner de jouer ce rôle, expliquant ainsi le lien existant pour lui entre Bâle et Bayreuth :
C’est alors que je devinai pour le première fois la relation entre une activité choisie à contre-instinct, une prétendue « vocation » à laquelle on n’est rien moins qu’appelé – et ce besoin d’un assoupissement du sentiment du vide et de faim au moyen d’un art narcotique – par exemple au moyen d’un art wagnérien54.
24Cette attitude est, dit Nietzsche, le propre du « décadent », qui « choisit toujours les remèdes qui lui font du tort55 ». La bonne attitude à suivre est, a contrario, d’écouter la maladie, qui manifeste la nécessité de changer de style d’existence. Elle est alors considérée comme un langage du corps, faisant signe vers un moi en perdition. Celui qui, sachant correctement interpréter sa signification au lieu de chercher à l’oublier dans des « narcotiques », conserve alors un fond sain et parviendra à se « sauver ». Nietzsche, pour caractériser l’opposition entre ces deux attitudes, oppose parfois la morbidité à la simple maladie :
Un être typiquement morbide ne peut pas devenir sain, encore moins recouvrer lui-même la santé ; inversement, pour un être typiquement sain, la maladie peut même être un stimulant énergique de la vie56.
25Comme l’explique la fin du texte, la guérison proprement dite ne sera alors qu’une conséquence de ce changement salutaire :
Qu’on lise seulement Aurore ou, par exemple, Le Voyageur et son ombre, et l’on saisira ce que fut ce « retour à moi » : une forme supérieure de convalescence !… L’autre n’en fut que la conséquence57.
26La maladie, pour qui sait l’interpréter, et ne tente pas de la fuir dans les « narcotiques », peut donc permettre l’expression d’un moi « enseveli58 ». De plus, son rôle ne se limite pas à révéler le moi à lui-même : la maladie peut aussi participer au processus concret de sa libération, le forçant à se dégager d’un milieu ou « d’une activité choisie à contre-instinct59 ».
27Cependant le concept d’« expression de soi » peut aussi avoir un sens plus profond que celui d’une simple découverte de soi. Comme l’a notamment montré Charles Taylor, l’expression possédait aussi, chez Herder et d’autres penseurs de la Bildung, le sens fort d’une réalisation de soi. L’expression ne fait pas alors que manifester à l’extérieur ce qui existerait déjà à l’intérieur : elle est un processus constitutif du moi lui-même60. Trouve-t-on aussi cette idée chez Nietzsche ?
28Je vais tenter dans cette deuxième partie de montrer qu’elle apparaît effectivement chez notre auteur, mais sous une forme bien particulière et assez proustienne61 : le sujet est aussi créateur de lui-même au sens où il finit par faire corps avec son œuvre, avec ce que Nietzsche appelle sa « tâche62 ». Ce dernier, en effet, finit par s’identifier totalement avec sa philosophie, comme en atteste par exemple sa célèbre formule : « Je ne suis pas un être humain, je suis de la dynamite », à la suite de laquelle il déclare : « [la] réévaluation de toutes les valeurs […] en moi s’est fait[e] chair et génie63. » Le philosophe, en quelque sorte, en vient à se définir principalement par sa philosophie, et l’idée d’un moi « substrat » se tenant « derrière » cette philosophie finit par ne plus avoir d’intérêt, ni même de sens64. Qu’en est-il alors du rôle de la maladie ? N’était-elle qu’une crise préparant à la maturité intellectuelle ? Non : son rôle est plus important. Après l’y avoir mené, la maladie ne laisse pas Nietzsche au seuil de sa philosophie ; elle joue aussi un rôle déterminant dans son élaboration même, tant dans sa forme que dans son contenu.
Maladie et philosophie
Comment la maladie détermine la forme de la philosophie de Nietzsche
29Il est un fait important dont on parle étonnamment peu : comme l’indique sa lettre de démission, et le rappelle le début de Ecce homo (« Je vivais encore, mais sans y voir à trois pas devant moi65 »), Nietzsche, en 1879, était devenu presque aveugle. Il était très myope de naissance, et cette myopie s’était aggravée avec le temps ; de plus, son œil droit percevait les lignes déformées66. Or ce problème ophtalmologique sera déterminant dans le développement d’un nouveau mode d’expression : l’écriture aphoristique. On a beaucoup commenté cette forme, emblématique d’« un langage nouveau parlant pour la première fois d’un nouvel ordre d’expériences67 », et nécessitant un « art de l’interprétation68 » spécifique. Il faut cependant garder à l’esprit que cette forme est à l’origine plus subie que choisie. Elle est d’ailleurs absente de ses premières œuvres, comme La Naissance de la tragédie ou les Considérations inactuelles. Et si Humain, trop humain est écrit en aphorismes, c’est parce que les yeux de Nietzsche, à ce moment, lui permettent seulement de griffonner de courts textes qui seront ensuite retranscrits par son ami Köselitz (aussi connu sous le nom de Peter Gast). Tout en le théâtralisant quelque peu, il reconnaîtra lui-même ce fait :
Au fond, c’est monsieur Peter Gast, qui à l’époque étudiait à l’université de Bâle et qui m’était très dévoué, qui a ce livre sur la conscience. Je dictais, la tête bandée et douloureuse, il écrivait, il corrigeait même, – c’était lui au fond le véritable écrivain, tandis que je n’étais que l’auteur69.
30Mais Nietzsche, à l’époque, déplore fortement ce mode d’expression auquel la maladie l’a acculé. Ainsi, le 5 octobre 1879, il écrit à Köselitz :
Tout, à quelques lignes près, en a été conçu chemin faisant et esquissé au crayon dans six petits cahiers, que je n’ai ensuite presque jamais pu transcrire sans malaise. Il m’a fallu laisser filer une vingtaine de séquences de pensées plus longues et malheureusement tout à fait essentielles, parce que je n’ai jamais trouvé le temps de les débrouiller du terrifiant griffonnage sous lequel mon crayon les avait consignées70.
31Nietzsche est donc très loin, au début, de revendiquer haut et fort l’invention d’un « langage nouveau » ou, selon le commentaire de Patrick Wotling, de considérer la « forme aphoristique » comme la « seule conforme aux exigences d’une pensée de la nuance71 ». Au contraire, il la regrette amèrement. L’impossibilité où il est de retranscrire des « séquences de pensées plus longues » l’empêche de bien se faire comprendre ; et le 5 novembre, il écrit de nouveau à Köselitz : « Le haut fond du malentendu affleure si souvent dans cet écrit ; la cause en est la brièveté, le maudit style télégraphique auquel me contraignent ma tête et mes yeux72. » Ainsi il faut noter avec Janz qu’au début « ce n’est qu’à contrecœur que Nietzsche se soumet aux contraintes de cette forme lapidaire qu’est l’aphorisme », cette dernière étant simplement « une conséquence du seul mode de travail qui lui fût permis73 ». Le génie de Nietzsche se manifestera ensuite dans la façon dont il surmontera ces contraintes et se réappropriera ce mode d’expression.
32Je voudrais maintenant dire quelques mots sur l’influence que la maladie a eue sur le contenu de la philosophie de Nietzsche. Cette question est beaucoup plus complexe, et je ne pourrai la traiter ici entièrement ; je proposerai seulement quelques pistes de réflexion.
Maladie et connaissance
33Nietzsche énonce clairement les enjeux des rapports entre maladie et connaissance : Humain, trop humain est à plusieurs reprises présenté comme une « victoire » sur l’« idéalisme74 ». Il faudra par contre faire appel à d’autres textes de Nietzsche pour comprendre comment la maladie permet cette victoire. Mais qu’est-ce, tout d’abord, que l’« idéalisme » ?
34On peut, fondamentalement, le définir comme une fuite de la réalité, comme « le fait de refuser-de-voir à tout prix la réalité telle qu’elle est son fond75 » : « tout idéalisme est manière de mentir devant la nécessité76 ». Il constitue ainsi une autre sorte de narcotique, plus raffinée : il est en effet une façon de nier ou de fuir la vie et la souffrance qui en fait irréductiblement partie, en se consolant avec des arrière-mondes imaginaires. Il en a d’ailleurs aussi les effets néfastes : « on a fait perdre sa valeur, son sens et sa véracité à la réalité dans la mesure où l’on a inventé le mensonge d’un monde idéal77 », dit Nietzsche de façon générale. Le « maudit “idéalisme” », précise-t-il aussi de façon plus personnelle, « l’ignorance in physiologicis », est aussi la cause de « toutes les méprises, toutes les grandes aberrations de l’instinct, toutes les “modesties” qui m’ont écarté de la tâche de ma vie78 », allant jusqu’à le réduire à « l’inanition79 ». Comment faire, alors, pour s’en déprendre ? Nietzsche, sur ce point, est catégorique : il est inutile de chercher à le réfuter, car on ne réfute pas une illusion ou une maladie80 ; vaincre l’idéalisme, qui est en son fond une volonté de mensonge, exige plus que la seule argumentation.
35Le passage que je commente demeure cependant relativement énigmatique à ce sujet, en donnant seulement deux indices pour répondre à cette question. Le premier se trouve au § 5 : la sortie de l’idéalisme passe par un « dressage rigoureux du moi ». Nietzsche introduit cette notion par une reprise significative : « Humain, trop humain, disait-il au § 1, est le mémorial d’une crise » qui, nous l’avons vu, oblige à revenir à un égoïsme sain (Selbstsucht). Humain, trop humain, reprend-il au § 5, est le « mémorial d’un dressage rigoureux du moi par lequel je préparais une fin subite à tout ce qui s’était introduit en moi d’“escroquerie supérieure”, d’“idéalisme”, de “beaux sentiments” ». Cette similitude de construction appuie en réalité un jeu de mots intraduisible : le terme de Selbstzücht (dressage de soi) est volontairement forgé, par paronomase, sur le modèle de la Selbstsucht. Il renvoie au concept de Züchtung (élevage, sélection) qui, comme l’a montré P. Wotling, est fondamental chez Nietzsche. Se substituant au terme d’« éducation » (Erziehung), il « désigne une technique de sélection visant à conserver, voire même à développer certaines caractéristiques d’une espèce [ou d’un individu] au détriment de certaines autres, qui sont éliminées81 ». Cette association indique qu’à travers le concept de Selbstsucht Nietzsche ne prône ni un épanchement incontrôlé de ses passions, ni l’autosatisfaction. « Devenir ce qu’on est » requiert d’abord un travail de sélection, d’élimination de ce qui est « corps étranger à ma nature ». Nietzsche reprend d’ailleurs souvent la métaphore classique de la sculpture de soi82.
36Par quel procédé ce « dressage du moi » prépare-t-il, comme dit Nietzsche, « une fin subite » à l’idéalisme ? Comment élimine-t-il ce « corps étranger83 » ? Le deuxième élément de réponse de notre texte paraît encore plus mystérieux :
Une torche à la main […] on illumine d’une clarté incisive ce souterrain de l’Idéal. C’est la guerre, mais la guerre sans poudre ni fumée, sans poses martiales, sans pathos ni membres démis – tout cela ne serait encore qu’« idéalisme ». L’une après l’autre, les erreurs sont tranquillement posées sur la glace, l’Idéal n’est pas réfuté – il gèle84…
37Il est ici nécessaire, pour expliciter ce lien entre maladie, « dressage du moi » et sortie de l’idéalisme, de faire appel à d’autres textes de Nietzsche. On peut ainsi citer le § 114 d’Aurore ; Nietzsche y explique que la maladie mène celui qui souffre à jeter un regard froid et désabusé sur le monde et que, ce faisant, elle le délivre de certaines illusions :
Celui qui souffre profondément, enfermé en quelque sorte dans sa souffrance, jette un regard glacial au-dehors, sur les choses : tous ces petits enchantements mensongers où se meuvent généralement les choses, lorsque le regard de l’homme bien portant s’y arrête, ont disparu pour lui : il s’aperçoit lui-même couché devant lui, sans charme et sans couleurs. Pour le cas où il aurait vécu jusque-là dans une sorte de rêverie dangereuse : ce suprême désenchantement par la douleur sera le moyen de l’en tirer, et peut-être est-ce le seul85.
38La métaphore du froid et du gel renvoie donc à la désillusion qu’engendre l’expérience de la souffrance et de la maladie. Cependant le texte le plus important sur cette question est sans doute la préface à la seconde édition du Gai savoir, où, développant les réflexions d’Aurore, l’auteur thématise plus philosophiquement l’influence qu’aura eu l’expérience de la maladie sur son œuvre. Nous avons déjà vu qu’il était inutile de tenter de réfuter l’idéalisme. Nietzsche, dans ce texte, explique alors qu’il faut changer d’approche : il faut, pour s’en émanciper, faire l’expérience d’être soi-même malade afin de ressentir et de pouvoir décrypter les rouages de sa séduction. On apprend alors, explique-t-il, « à considérer d’un œil plus fin tout ce sur quoi on a philosophé jusqu’à présent ». Seule cette expérience personnelle de la maladie permet en effet de comprendre « vers quoi le corps malade et son besoin poussent, tirent, attirent inconsciemment l’esprit – vers le soleil, le calme, la douceur, la patience, le remède, le soulagement86 ». Seule cette expérience rend alors possible ce qu’on pourrait appeler une généalogie de l’idéalisme :
Toute philosophie qui place la paix plus haut que la guerre, toute éthique présentant une version négative du concept de bonheur, toute métaphysique et toute physique qui connaissent un finale, un état ultime de quelque sorte que ce soit, toute aspiration principalement esthétique ou religieuse à un en marge de, un au-delà de, un en dehors de, un au-dessus de autorise à demander si ce n’est pas la maladie qui a inspiré le philosophe87.
39Faire « geler » l’idéalisme signifie ainsi l’analyser froidement, en décryptant ses liens avec la maladie : c’est un travail difficile, souterrain, mais plus décisif que les grandes envolées métaphysiques. Il s’agit alors de démasquer « le déguisement inconscient de besoins physiologiques sous le costume de l’objectif, de l’idéel, du purement spirituel88 ». La maladie « dresse » le moi au sens où elle l’oblige à renoncer à toutes les illusions réconfortantes de l’« idéal ».
40Un point, cependant, demeure problématique : le texte d’Aurore et celui du Gai savoir semblent contradictoires. Dans le premier, en effet, la maladie fonctionne comme un « suprême désenchantement », sortant le malade de sa « rêverie ». Dans le second, au contraire, elle semble précisément l’y pousser, le mener vers les « lieux ensoleillés de la pensée » où « les penseurs souffrants ont été entraînés par séduction89 ». Peut-on résoudre cette contradiction ? Nietzsche y consacre de nombreuses pages, dans lesquelles il explique que cette expérience de la maladie ne peut pas être bénéfique pour tous les penseurs. Pouvoir expérimenter les tentations auxquelles mène la maladie sans y céder, et alors « prendre l’esprit sur le fait », « en flagrant délit de faiblesse90 » est un privilège rare, réservé à ceux qui, comme Nietzsche, jouissent d’une « grande santé », « d’une nouvelle santé plus forte, plus rusée, plus opiniâtre, plus téméraire », « une santé que l’on ne se contente pas d’avoir, mais que l’on conquiert encore et doit conquérir sans cesse continuellement, parce qu’on la sacrifie et doit la sacrifier sans cesse91 ». Comme dans notre première partie, cela suppose que le philosophe, même malade, ne devienne pas totalement « morbide » ou « décadent ». Cela demande finalement, dira Nietzsche, d’avoir comme lui « le don de “double” vue92 », qui seul permet ce renversement de perspective sur l’idéalisme :
Se placer au point de vue du malade en quête de concepts et de valeurs plus sains, et, inversement, du haut de la plénitude et de l’assurance propres à la vie riche, plonger son regard dans le travail secret de l’instinct de décadence, tel a été mon plus ancien exercice, mon expérience propre, et si je suis passé maître à quelque chose, c’est bien à cela93.
41Cette santé « opiniâtre » et « téméraire », qui continue de lutter souterrainement avec la maladie et qui en refuse les conclusions, cette « formidable tension de l’intellect qui veut s’opposer à la douleur » – Nietzsche l’appelle aussi la « fierté de l’esprit94 » :
Notre fierté se révolte comme jamais elle n’a fait : elle éprouve un plaisir incomparable à défendre la vie contre un tyran tel que la souffrance et contre toutes les insinuations de ce tyran qui voudrait nous pousser à porter témoignage contre la vie, – à représenter la vie justement en face du tyran95.
42On retrouvait sans doute déjà cette « fierté » et cette « tension de l’intellect » dans la lettre du 14 janvier 1880, où, malgré « le terrible et quasi permanent martyre » qu’était devenu son existence, Nietzsche déclarait : « Aucune souffrance n’a pu et ne doit pouvoir m’induire à un faux témoignage sur l’existence96. »
Notes de bas de page
1 Nietzsche, Ecce homo, « Pourquoi j’écris de si bons livres », Humain, trop humain, § 1, traduction E. Blondel, Paris, Flammarion, coll. « GF », 1992, p. 112. Par commodité, je n’indiquerai plus dans la suite le nom de l’auteur pour les livres de Nietzsche ; de plus, pour affranchir le lecteur des problèmes d’éditions, je ne renverrai pas les citations de Nietzsche à des numéros de page mais à des aphorismes.
2 Ibid., § 4.
3 Par-delà bien et mal, § 19.
4 Fragments posthumes, traduction des Œuvres philosophiques complètes, Paris, Gallimard, 1968-1997, tome XII, XII, 5 [56].
5 Par-delà bien et mal, § 12.
6 Cité dans Granier J., Nietzsche. Vie et Vérité, Paris, PUF, 1971, p. 52-53 ; tous les textes sélectionnés p. 49 à 57 vont aussi dans ce sens.
7 Voir par exemple L’antéchrist, § 11.
8 Voir Le Gai savoir, § 290.
9 Je prendrai aussi à ce sujet le contrepied de la lecture par ailleurs admirable de P. Wotling, qui dans son Nietzsche et le problème de la civilisation, écrit que Nietzsche ne célèbre pas Goethe « pour la qualité de sa Bildung, mais au contraire parce qu’il incarne, en tant qu’individu singulier, la Cultur » ; voir Woltling P., op. cit., Paris, PUF, 1995, p. 28. Voir aussi à ce sujet l’excellent article d’Alexander Nehamas, « Comme on devient ce que l’on est », dans Nietzsche. La vie comme littérature, traduction V. Béghain, Paris, PUF, 1994, notamment p. 223, 240 et 295.
10 On retrouve aussi cette formule de Pindare aux § 270 et 335 du Gai savoir, dans le quatrième livre d’Ainsi parlait Zarathoustra (« L’offrande de miel »), et au § 9 du deuxième livre d’Ecce homo.
11 Voir par exemple Par-delà bien et mal, § 6 : « Peu à peu s’est révélé à moi ce que fut toute grande philosophie jusqu’à présent : à savoir l’autoconfession de son auteur », traduction P. Wotling, Paris, Flammarion, coll. « GF », 2000.
12 Ecce homo, « Pourquoi j’écris de si bons livres », Humain, trop humain, § 4.
13 Je suivrai en cela la position de Janz : « puisqu’il est désormais impossible de reconstituer un diagnostic que l’état de la science, en 1880-1890, ne permettait pas d’établir », la « césure essentielle » dans l’œuvre et la vie de Nietzsche que nous allons étudier « ne peut être déduite avec nécessité comme une phase normale de l’évolution de telle ou telle maladie ». Au contraire, « elle peut exclusivement être établie en considération des changements intervenus dans sa forme d’existence, la matière de sa pensée, le mode et l’intensité d’exposition de ses idées […] On comprendra bien mieux la métamorphose qui s’opère en Nietzsche aux environs de 1880 en la rapportant à un tissu d’expériences profondes ». Voir sa biographie : Janz C. P., Nietzsche, traduction P. Rusch, Paris, Gallimard, 1984, tome II, p. 298.
14 Sur cette longue « montée en ligne de la maladie », voir Janz C. P., ibid., tome II, deuxième partie, ch. 15 et suivants ; la lettre est citée p. 300. Je tirerai par la suite la plupart des données biographiques de cet ouvrage de référence.
15 Ecce homo, « Pourquoi je suis si sage », § 1.
16 Ecce homo, « Pourquoi j’écris de si bons livres », Humain, trop humain, § 1.
17 Jaspers K., Nietzsche. Introduction à sa philosophie, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1950, p. 95-109 ; Janz C. P., ibid., p. 293-325.
18 Ecce homo, op. cit., § 4.
19 Ibid., § 2.
20 Voir Janz C. P., ibid., p. 168 et suivantes. Sur l’annulation en 1875, voir p. 83-84.
21 Ibid., p. 169.
22 Ecce homo, ibid., § 2.
23 Lettre à sa sœur du 1er août 1876, citée dans Janz C. P., ibid., p. 168.
24 Le Gai savoir, traduction de P. Wotling, Paris, Flammarion, coll. « GF », 1997, § 368.
25 Janz C. P., ibid. p. 84.
26 Ibid., p. 96-97.
27 Lettre au Président du Conseil de l’Instruction Publique, citée dans Janz C. P., ibid., p. 286-287.
28 Ecce homo, op. cit., § 3.
29 Ecce homo, « Pourquoi je suis si avisé », § 9, traduction personnelle. Je dois signaler ici que la traduction d’E. Blondel est erronée, peut-être à cause d’une coquille (il manque le « se » au verbe « douter »). Le texte original dit: « Dass man wird, was man ist, setzt voraus, dass man nicht im Entferntesten ahnt, was man ist », cf. l’édition de référence de Colli et Montinari: Friedrich Nietzsche, Werke, Kritische Studienausgabe, Berlin, Walter de Gruyter & Co, 1969, VI 3, p. 291.
30 Ecce homo, ibid., traduction E. Blondel. La filiation avec Goethe est ici frappante : ce dernier écrivait en effet dans Les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister que « tout ce qui nous advient laisse des traces, tout concourt, sans que l’on s’en doute, à notre formation, mais il est dangereux de vouloir s’en rendre compte » ; traduction B. Briod et B. Lortholary, Paris, Gallimard, « Folio classique », 1999, p. 521.
31 Ibid., « Pourquoi je suis si avisé », § 2.
32 Ibid., « Pourquoi j’écris de si bons livres », Humain, trop humain, § 4. Voir aussi « Pourquoi je suis si avisé », § 2 : « Lorsque je fus presque à bout, et parce que j’étais presque à bout, je me mis à réfléchir sur cette déraison fondamentale de ma vie – l’“idéalisme”. Il fallut la maladie pour me ramener à la raison. »
33 Ibid.
34 Ibid.
35 Ibid.
36 Par « la maladie me libéra lentement », E. Blondel rend l’allemand « Die Krankheit löste mich langsam heraus » ; on peut aussi, comme Henri Albert, traduire « la maladie me dégagea lentement de mon milieu » (Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1993, p. 1164).
37 Le Crépuscule des idoles, traduction de E. Blondel, Paris, Hatier, 2001, « Les quatre grandes erreurs », § 2, p. 42.
38 Ibid.
39 Ecce homo, « Pourquoi je suis si avisé », § 2.
40 Ibid., § 3.
41 Ibid., § 10.
42 Ibid., § 8.
43 Ibid., « Pourquoi j’écris de si bons livres », Humain, trop humain, § 4.
44 Ibid. Voir aussi « Pourquoi je suis si avisé », § 2 : « j’étais dépourvu de tout égoïsme un peu subtil, de toute protection par un instinct impérieux, c’était une assimilation de soi à n’importe qui, un “désintéressement” ».
45 C’est pourquoi Nietzsche écrit, au § 3, « La honte me prit de cette fausse modestie », avant de critiquer, au § 4, le « prétendu “sentiment du devoir” ».
46 Schopenhauer, Le Monde comme volonté et comme représentation, trad. A. Burdeau revue par R. Roos, Paris, PUF, 1966, [1998], § 68, p. 476.
47 Ibid., p. 478 : « Il ne lui suffit plus [au sage] d’aimer les autres à l’égal de sa personne, et de faire pour eux ce qu’il ferait pour lui-même ; en lui naît un dégoût contre l’essence de la volonté de vivre. »
48 Ainsi parlait Zarathoustra, traduction de G. -A. Goldschmidt, Paris, Librairie générale française, Le livre de poche, 1972 [1983], I, « De l’amour du prochain ».
49 Le Gai savoir, § 290, traduction de P. Klossowski, Paris, Gallimard coll. « Folio essais », 1956 [1982].
50 Ibid.
51 Ecce homo, « Pourquoi j’écris de si bons livres », § 5 ; voir aussi le Gai savoir, § 14.
52 Ainsi Parlait Zarathoustra, III, « De la félicité malgré soi ».
53 Voir par exemple Aurore, § 52 : « Ce sont les moyens de consolation qui ont imprimé à la vie ce caractère foncièrement misérable auquel on croit maintenant : la plus grande maladie des hommes est née de la lutte contre leurs maladies, et les remèdes apparents ont produit à la longue un mal pire que celui qu’ils étaient censés éliminer. Par ignorance, l’on considérait les remèdes stupéfiants et enivrants qui agissaient immédiatement, ce que l’on appelait des “consolations”, comme des curatifs proprement dits ; on ne remarquait même pas que l’on payait souvent ces soulagements immédiats par une altération de la santé, profonde et générale […] » ; ceci sera développé dans La Généalogie de la morale, III, § 15-17.
54 Ecce homo, op. cit., § 3.
55 Ecce homo, « Pourquoi je suis si sage », § 2.
56 Ibid.
57 Ecce homo, « Pourquoi j’écris de si bons livres », Humain, trop humain, § 4.
58 Ibid.
59 Ibid.
60 Voir Taylor C., Hegel, Cambridge, Cambridge University Press, 1975, p. 14 et sq ; Les Sources du moi, traduction C. Melançon, Paris, Le Seuil, 1998, p. 469 sq.
61 Sur les similitudes avec Proust voir Nehamas, op. cit., p. 240 sq.
62 Ibid., § 3.
63 Ecce homo, « Pourquoi je suis un destin », § 1. Déjà, au § 4 de notre texte, le retour à soi et la « convalescence » s’exprimait dans des œuvres : Le Voyageur et son ombre, Aurore.
64 La Généalogie de la morale, I, § 13.
65 Ecce homo, « Pourquoi je suis si sage », § 1.
66 Le 6 octobre 1877, le Dr Krüger lui diagnostique des lésions rétiniennes ; voir Janz C. P., ibid., p. 229. Il signale dans son rapport que son œil droit ne percevait que des images difformes, si bien qu’il lui était presque impossible d’identifier les lettres. Ce rapport est cité par F. Kittler dans Gramophone, Film, Typewriter, traduction de G. Winthrop-Young et M. Wutz, Stanford, Standford University Press, 1999, p. 200.
67 Ecce homo, « Pourquoi j’écris de si bons livres », § 1.
68 La Généalogie de la morale, Avant-propos, § 8.
69 Ecce homo, ibid., « Humain, trop humain », § 5.
70 Cité dans Janz C. P., ibid., p. 315.
71 Wotling P., op. cit., p. 16.
72 Janz C. P., ibid. Je souligne.
73 Janz C. P., ibid.
74 Ecce homo, « Pourquoi j’écris de si bons livres », § 1 et 5.
75 Ibid., « Pourquoi je suis un destin », § 4.
76 Ibid., « Pourquoi je suis si avisé », § 10.
77 Ibid., Préface, § 2.
78 Ibid., « Pourquoi je suis si avisé », § 2.
79 Ibid., « Pourquoi j’écris de si bons livres », Humain, trop Humain, § 3.
80 Voir Le cas Wagner, Post-Scriptum.
81 Wotling P., op. cit., p. 218.
82 Voir par exemple Par-delà bien et mal, § 225.
83 Ecce homo, op. cit., § 1 et 5.
84 Ibid., § 1.
85 Aurore, traduction de H. Albert, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1993, § 114.
86 Le Gai savoir, Préface à la seconde édition, § 2.
87 Ibid.
88 Ibid.
89 Ibid.
90 Ibid.
91 Ibid., § 382.
92 Ecce homo, « Pourquoi je suis si sage », § 3.
93 Ibid., § 1.
94 Le Gai savoir, Préface à la seconde édition, § 2.
95 Aurore, § 114.
96 Cité dans Janz C. P., ibid., p. 300.
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