Chapitre II. Le dictionnaire au xixe siècle
p. 57-76
Texte intégral
1Depuis les textes lexicographiques antiques et médiévaux étudiés par Jean-Claude Boulanger1 jusqu’à une modernité du genre s’originant, selon les travaux de Bernard Quemada2, en 1539 avec la parution du Dictionnaire françois-latin de Robert Estienne, pour mieux permettre l’apparition, au siècle suivant, des premiers lexiques monolingues en français, l’histoire du dictionnaire a fait l’objet de l’attention minutieuse des historiens et des linguistes. Au cœur des préoccupations de ces derniers figurent les dates d’émergence du genre tel qu’il se présente aujourd’hui, les raisons de sa (ou ses) genèse(s), les configurations de ses substrats et celles des formes concurrentes desquels il devait se distinguer, ainsi que les différentes modifications qu’il a lui-même connues, imposées par l’évolution des nécessités de l’homme et par celle de sa pensée. Passionnante, sinueuse et souvent très technique, cette histoire éclaire jusqu’à un certain point les reconfigurations du dictionnaire à l’époque qui nous concerne : à ce parcours transhistorique déjà mené en d’autres lieux, on préférera tenter de saisir en synchronie les détournements qui nous concernent, en les opposant à leurs modèles contemporains et aux réalités auxquelles ils réagissent directement. Guère besoin, au vrai, d’aller chercher trop loin : le XIXe siècle, dont certains prolongent les traditionnels termini pour l’étendre de 1789 à 1914, s’ouvre par une foule de bouleversements politiques, sociaux et culturels tels qu’écrire que la France n’est pas le même pays avant et après la Révolution ne relève pas de l’hyperbole.
À l’aube du XIXe siècle : l’ouverture aux biens culturels ?
2Le moindre des effets de la Révolution n’est pas l’accession progressive de cet entre-deux social qu’est le bourgeois à un statut de véritable dominant de la cité3. L’abolition de la royauté, proclamée le 21 septembre 1792 par les députés de la Convention nationale, et sa mise en pratique du 21 janvier 1793, date à laquelle Louis xvi est guillotiné, sonnent le glas d’une aristocratie déjà vacillante aux dernières heures de l’Ancien Régime et qui, tout au long du siècle, ira en déclinant sans jamais parvenir, malgré quelques sporadiques regains de vitalité, à recouvrer son hégémonie d’antan. Aux conséquences spectaculaires de 1789 sur les plans économique, juridique, politique et démographique, la prééminence de cette grande bourgeoisie engage, de façon moins abrupte, un basculement idéologique, qui se perçoit notamment à travers l’émergence d’une réflexion sur l’accessibilité aux biens culturels. La répartition de ces derniers est perçue comme inégale, et, puisque la domination matérielle est jusqu’alors corrélée à la domination culturelle, l’accroissement du capital culturel est inversement proportionnel au taux de dépendance d’une autorité extérieure : la conclusion, dans la continuité des dernières heures de l’Ancien Régime qui avaient déjà vu poindre, après l’Émile de Rousseau notamment, certains doutes quant à la validité des modes traditionnels de diffusion du savoir, implique que le progrès vers l’autonomie du citoyen passera tout d’abord par une remise en question du système éducatif.
Repenser l’enseignement
3Condorcet, dans son Rapport sur l’organisation générale de l’instruction publique présenté à l’Assemblée nationale législative les 20 et 21 avril 1792, met en lumière ce que devaient être les objectifs majeurs de la reconfiguration de l’enseignement : une accessibilité universelle, une mise à disposition des savoirs équitablement répartie, adaptée aux besoins de chacun et complète (ce ne sont pas les seules capacités cognitives qui sont à développer, mais aussi les facultés physiques et morales) doivent aider à former des citoyens épanouis, égaux et activement inscrits dans la société de laquelle ils participent. Si, d’après Charles Coutel et Catherine Kintzler, la « matrice philosophique » de l’instruction publique réside avant tout dans les cinq Mémoires que Condorcet consacrera au sujet4, les grandes visées que l’élève de D’Alembert défend dans son rapport (universalité du public, développement des capacités cognitives, renforcement des prédispositions, formation culturelle et civique dans le but de contribuer à l’émancipation personnelle et sociale de l’élève) constituent autant de traces annonciatrices de la pensée pédagogique moderne, au même titre, d’ailleurs, que sa défense de la formation continue et sa volonté d’élargir la publicité de l’école aux adultes.
4Intégrés en partie dans l’acte constitutionnel du 24 juin 1793, qui indique que « la société doit favoriser de tout son pouvoir les progrès de la raison publique et mettre l’instruction publique à la portée de tous les citoyens », les projets de Condorcet seront progressivement évincés des aménagements que connaîtra l’enseignement français après la Révolution. Dans un premier temps, on a pu lire dans ces préceptes les vues d’un philosophe considérable et capable de proposer une restructuration remarquablement cohérente avec l’« esprit nouveau » qui, avait-on pu croire, soufflait sur la France5, mais les réalités politico-économiques pesant sur la République naissante, puis sur l’Empire, infléchiront davantage les prises de décision concernant l’enseignement après la période de la Convention nationale. Les véritables enjeux de la restructuration du système éducatif sont en réalité plus pragmatiques : la France, décimée par la guerre civile, doit se refaire une santé sur le plan international, et celle-ci passe par la reconquête d’un prestige tributaire d’une mythologie de la « nation unie »6. L’objectif premier, sous le Directoire, est de créer un État solide, dont les citoyens soutiennent le nouveau système républicain. Pour ce faire, l’apprentissage d’un français standard est essentiel, comme la mise en place de cours d’histoire et d’éducation civique formatés louant (dans un premier temps) les valeurs républicaines. Rien de bien neuf sous la pluie : la volonté du dominant de faire participer le dominé à sa propre domination continue d’être à l’ordre du jour, quelle que soit la classe dans laquelle évoluent les agents impliqués – que Napoléon reproduise le même schéma quelques années plus tard en remplaçant République par Empire n’est, au fond, guère étonnant. Il ne faudrait pourtant pas verser dans une réévaluation naïve des avancées culturelles procédant de la Révolution française : si, du point de vue des réalisations concernant l’instruction publique, on est encore loin des mesures du début des années 1880, c’est aussi parce que la France ne peut simplement pas se le permettre. La gratuité et l’obligation de l’enseignement participaient en effet des exigences des révolutionnaires et c’est tout naturellement qu’elles sont appliquées durant la Convention nationale, avant que l’État ne constate rapidement qu’il ne dispose pas des moyens de prendre en charge un tel financement. Après plusieurs modifications de décrets7, les privilèges qui semblaient acquis se trouvent finalement révoqués sous le Directoire, et il faudra attendre près d’un siècle et Jules Ferry pour les récupérer intégralement.
Progrès et réticences
5Les législateurs du Directoire, puis du Consulat, n’avaient toutefois pas intérêt à contrer la totalité de la réforme de l’enseignement entreprise depuis 1789. Parmi les acquis indéboulonnables, la laïcisation du système éducatif laissait peu de place à la contestation8. Sous le Consulat, le monopole jadis dévolu à l’Église passe aux mains de Napoléon et la réorganisation de l’école française connaît alors une concrétisation majeure dans la création des lycées. Le financement d’un enseignement gratuit pour tous n’est certes pas envisageable, mais céder le pas à l’école privée l’est alors tout autant et, après une longue mise en route, comme l’écrit Antoine Prost :
La loi du 11 floréal an x (1er mai 1802), préparée par Fourcroy, établit un moyen terme. D’une part elle organise fortement un enseignement secondaire public : les lycées, qui succèdent aux écoles centrales [9] mais s’en distinguent par l’existence d’un internat où seront accueillis, outre des élèves payants, 6 400 boursiers. […] À côté des lycées, la loi du 11 floréal reconnaît un secteur privé : les écoles secondaires communales ou particulières10.
6Ces lycées, s’ils ne sont pas unis par un programme unique, se ressemblent par le système axiologique qui les supporte. Plus encore que des connaissances scientifiques, on y apprend les grandes valeurs conservatrices que sont la discipline, l’ordre, le respect de l’autorité et de la nation et, support et symbole de ce programme conservateur qui freine l’avancée libertaire de la révolution, c’est uniquement par le biais du latin que s’enseigne le français11. Il s’agit également de se préparer à l’Université, désormais « impériale » depuis sa relance ordonnée par la loi du 10 mai 1806, des œuvres de celui qui de Consul à vie était désormais devenu Empereur. Concernant le changement de perspective engagé par Napoléon quant à l’enjeu et à la philosophie de l’école française, les historiens de l’enseignement font fréquemment référence au mot de Louis Liard :
La Révolution avait vu l’État enseignant, maître d’école ; Napoléon conçoit l’État doctrinaire, chef d’école ; la Révolution avait envisagé l’enseignement public comme un devoir de l’État envers les citoyens ; Napoléon voit avant tout l’intérêt de l’État et celui du souverain12.
7En prolongeant la législation de Lakanal et de Daunou et en la radicalisant, Napoléon met l’enseignement au service total de l’État. Aux velléités démocratiques affichées par les révolutionnaires et sous la Convention nationale a définitivement succédé le règne de l’État-Nation pour le bien duquel doit s’effacer l’individu. Après l’abdication de Napoléon, la Restauration prolongera la politique scolaire de l’Empire et il faudra attendre la Monarchie de Juillet pour que l’éducation populaire fasse à nouveau l’objet d’une attention particulière : annonçant les lois Ferry relatives à la gratuité et l’obligation scolaires, l’importante loi Guizot de 1833 encourage de la sorte l’organisation d’un enseignement primaire public « encadr[é] par la religion chrétienne13 » (obligation pour chaque commune d’entretenir une école primaire, liberté d’enseignement) et c’est à elle que l’on devra les grands progrès en matière d’alphabétisation qui se feront jour sous le règne de Louis-Philippe.
8Ce qui importe avant tout, c’est que, depuis la Révolution jusqu’à la refonte du système scolaire par Napoléon, la langue est le sujet d’une réflexion qui va en s’amplifiant et, malgré les restrictions apportées aux lois sur l’enseignement, en s’élargissant du point de vue du lectorat. Là où Talleyrand considérait l’étude du français comme la discipline majeure à mettre au centre de tout enseignement14, l’Empereur utilise, dans les écoles, le latin comme férule autant que comme instrument de prestige. La prise de position impériale en matière de langue, en plus de participer d’une logique singulière au vu du système politique dans lequel elle prend place – lequel voit tout de même, avec la promulgation du code Napoléon le 21 mars 1804, le français devenir plus que jamais langue du droit et de l’administration –, se révèle d’autant plus réactionnaire qu’elle opère une rupture nette avec la vitalité du français de l’époque qui, après s’être enrichi d’un récent lexique révolutionnaire connaît de nombreux apports terminologiques, procédant notamment de l’essor considérable de différentes sciences et techniques. Ce foisonnement lexical sera soutenu par une production métalinguistique massive qui touchera un public de plus en plus important.
Une nouvelle langue en marche
La bataille des glossaires postrévolutionnaires
9L’académicien Chamfort, au lendemain de la Révolution, n’est pas tendre avec ses pairs et avec l’institution qui les réunit : regrettant le caractère élitaire de l’Académie, dénonçant son affèterie, le ridicule de son protocole et pointant, en définitive, son inutilité, l’auteur prend le travail lexicographique duquel sont chargés les quarante comme symbole du problème15. Il est vrai que le Dictionnaire de l’Académie, dont la cinquième édition parait en 1798, ne correspond plus vraiment aux réalités d’une époque en pleine mutation et dont les innovations se mesurent également sur le plan du vocabulaire, puisque la Révolution politique et sociale s’accompagne logiquement d’une révolution langagière dynamisée par un certain renouvellement lexical. Ce dernier se mesure à la création de mots nouveaux autant qu’à la réinvention de termes jusqu’alors considérés comme autant d’évidences : révolution après être passé du domaine de la cosmologie à l’architecture, intègre de la sorte la terminologie politique ; nation remplace tiers état, connoté péjorativement, et s’étend à l’ensemble de la population, sans distinction de classes ; citoyen et citoyenne suppléent officiellement – par décision de la Convention, actée le 31 octobre 1793 – les appellations Monsieur et Madame, de même que leurs emplois vocatifs16.
10Dès 1790, glossaires et dictionnaires fleurissent, qui se proposent de faciliter l’accès du citoyen à ces innovations linguistiques, de façon plus ou moins engagée : Pierre-Nicolas Chantreau, grammairien parisien, livre ainsi un Dictionnaire national et anecdotique dans lequel il s’inscrit à la suite de Nicolas Beauzée (« dont vous n’avez pas lu la grammaire parce que personne ne la lit17 »). S’y déploie un efficace agencement proposant, pour chaque item, son acception d’avant la Révolution – laquelle, quand elle existe (l’article accompagnant l’item citoyen s’ouvre par : « dans l’ancien régime, on ne savoit pas ce que c’étoit »), fait généralement l’objet d’une description critique sinon satirique – et la nouvelle, dans laquelle l’auteur laisse transparaître tout le bien qu’il pense du nouveau système en place. L’article « Journal » permet de rendre compte de toute la partialité dont fait preuve Chantreau au long de ce projet :
Journal : dans l’ancien régime, c’étoit une feuille périodique, qui parloit de la pluie et du beau tems, donnoit des extraits de catalogue de libraire, et quelques lettres de MM. les abonnés à M. le rédacteur, que dans les cafés on prenoit bonnement pour des lettres. Par la voie de ces feuilles on étoit informé très-exactement du genre et du nombre de grimaces que telle ou telle actrice avoit faites dans une pièce nouvelle, des angoisses de l’auteur sifflé, et de la jactance de celui qui avoit été appelé sur la scène. Cet article étoit surtout précieux pour l’impartialité de la critique.
Mais que tout a changé ! Ces feuilles, autrefois la pâture de nos désœuvrés, sont à présent l’aliment de toutes les classes de citoyens. On court après, on se les arrache, on les dévore. Nos politiques y lisent la régénération de l’empire et y trouvent les hausses et les baisses de l’aristocratie. Les Muses sont réduites au silence, le journal seul est en scène où il a le plus grand succès ; aussi les journaux pleuvent tous les matins comme manne du ciel, et 50 feuilles ainsi que le soleil, viennent tous les jours éclairer l’horison.
11Plus loin dans la notice, se met en place un répertoire critique des journaux d’avant et d’après la Révolution, dont l’auteur juge les qualités respectives et évalue les chances de survie. Le Dictionnaire de Chantreau assume un tel degré de manichéisme qu’il paraît quelquefois suspect : l’éloge, dans l’exemple susmentionné, est aussi naïf dans sa reproduction de lieux communs (la rhétorique post-révolutionnaire est omniprésente, depuis le cliché de la « régénération » jusqu’à l’analogie météorologique, en passant par l’éternelle référence aux « citoyens ») et idées creuses (le contenu de ces nouveaux journaux n’est qu’effleuré en surface, et n’est pas davantage précisé dans le répertoire qui suit l’article) qu’il vaut presque, malgré lui, la caricature des périodiques publiés sous l’Ancien Régime que constitue la première partie de l’article.
12À contre-pied de cette production, paraît, la même année, l’anonyme Nouveau dictionnaire françois, rédigé par un inconnu se présentant comme « aristocrate18 ». Un curieux volume, dont l’auteur pressent, au moment de sa publication, qu’il « aura sûrement le malheur de déplaire à MM. les enragés de tous les ordres de la capitale et des provinces19 » et se félicite de cet échec annoncé. Aussi partial que l’ouvrage de Chantreau et n’admettant guère davantage la nuance, ce dictionnaire encyclopédique condamne la totalité de ce qu’a apporté le Nouveau Régime, depuis l’assemblée nationale (« tout y est absurde, jusqu’au nom qu’elle s’est donnée contre le vœu de la nation et contre le sens commun ») jusqu’à la nouvelle législation en matière de chasse (« avant de supprimer le droit de chasse, nos dignes représentans auroient dû énoncer clairement leurs intentions et ne pas autoriser le peuple à chasser partout ; chaque individu peut chasser sur son bien ; elle a trouvé plus commode de dévaster les terres qui appartenoient à d’autres, et c’est ce dont les paysans se sont acquittés à merveille ») en passant par les hérauts de la révolution, dépeints avec rage dans différents portraits-charges (« Théroigne — Courtisane du second ordre, habitant en Hôtel garni, vivant conjugalement avec Populus, Mirabeau, et tous les faquins qui se présentent la bourse à la main20 »). Dans une perspective similaire, il faut également citer le collectif Petit Dictionnaire des Grands Hommes et des Grandes Choses qui ont Rapport à la Révolution, toujours anonyme (« composé par une société d’aristocrates ») et dont le parti est clairement désigné dans le sous-titre (« pour servir de suite à l’histoire du brigandage du nouveau royaume de France, adressé à ses douze cent tyrans21 »), le Nouveau Dictionnaire, pour servir à l’intelligence des termes mis en vogue par la Révolution, de l’abbé Adrien-Quentin Buée, tout aussi explicite quant à son positionnement idéologique (la suite du titre précise que l’ouvrage est « dédié aux amis de la religion, du roi et du sens commun22 »), mais aussi Giacomo Casanova qui, en 1797, réagit à la publication, deux ans plus tôt, d’un Nouveau dictionnaire françois composé par un professeur de Göttingen en faisant parvenir à l’auteur un petit lexique particulièrement hostile aux termes de la Révolution23. Engagés d’un côté ou de l’autre, ces dictionnaires officient comme des prises de positions et visent principalement à répertorier les reproches adressés à ceux de l’autre camp. Ils sont l’œuvre d’érudits et de lettrés, dont la visée ne repose sur aucun intérêt littéraire, et, en politisant la causticité d’un Voltaire, ils peuvent rétrospectivement se lire comme autant de satires qui, sans railler le genre dictionnairique, l’investissent pour montrer l’obscurantisme d’un monde tel que se le représentent les ennemis de leurs auteurs – à quelques variantes près, nous le verrons, c’est, un siècle plus tard, une logique comparable qui animera le Petit Glossaire rédigé par Paul Adam et inscrit au sein des luttes dynamisant le champ littéraire.
Uniformisation et didactique
13Toujours dans cette veine désireuse de gloser le vocabulaire de la révolution, mais participant d’un courant plus soucieux de se fixer une politique rédactionnelle intègre ou, à tout le moins, modérée, on trouve des travaux tels que le Dictionnaire de la Constitution et de Gouvernement français de Pierre-Nicolas Gautier24 et l’anonyme Dictionnaire raisonné de plusieurs mots qui sont dans la bouche de tout le monde, et ne présentent pas des idées bien nettes25 qui, malgré son titre pittoresque, vise une certaine objectivité et propose des définitions historiques, philosophiques et juridiques d’entités et de concepts comme « anarchie », « civisme », « constitution », « nation » ou « pouvoir exécutif ». Ces ouvrages manifestent une intention pédagogique placée sous le signe de l’exactitude et les articles qui les composent, davantage que sur l’opinion de leurs auteurs respectifs, reposent sur celles de ceux qui les ont précédés ou de leurs contemporains. Témoins d’une variation diachronique et diastratique particulièrement rapide, ils contribuent, consciemment ou non, à une politique d’uniformisation de l’État, au service de laquelle le dictionnaire est un instrument idéal.
14Différents dictionnaires de régionalismes et du « bas langage », focalisés sur les diversifications géographique et diastratique de la langue, voient également le jour, qui considèrent les éléments de corpus qui les fondent comme autant d’impuretés à combattre. En témoigne, parmi d’autres, le volume Lyonnoisismes ou recueil d’expressions vicieuses usitées à Lyon, livré en 1792 par l’instituteur Étienne Molard ; celui-ci proposera, cinq ans plus tard, un Dictionnaire grammatical du mauvais langage ou recueil des expressions et des phrases vicieuses usitées en France, et notamment à Lyon, qu’il remettra à plusieurs reprises sur le métier et qui connaîtra quatre rééditions. Cette tendance du dictionnaire cacologique, fréquemment investie par des enseignants publiant à compte d’auteur, se prolongera inlassablement tout au long du siècle26.
15Pareille visée unifiante motive, en 1801, les travaux du polygraphe Louis-Sébastien Mercier. Membre de l’Institut national de France27, l’auteur réclame son indépendance vis-à-vis de ce dernier tout en manifestant le souhait de ne pas être considéré comme un « nouveau Furetière28 » et propose une Néologie, qu’il signe seul et par laquelle il entend « imprimer à notre langue plus de grâce, plus de fécondité, d’énergie, de simplicité, sans violer ses lois fondamentales29 ». Le constat épilinguistique qui motive ce travail est présenté comme une évidence : « Les langues pauvres s’opposent à la pensée30 ». Autrement dit, le français doit permettre l’élévation de la réflexion du Français. Mercier, dans sa préface, propose un réquisitoire contre le Dictionnaire de l’Académie, dont la cinquième version avait pour rappel vu le jour en 1798. Dénonçant les multiples oublis du lexique des Immortels, Mercier s’offusque de la présence dans celui-ci de termes légers, de notices creuses et de renvois d’un article à l’autre ne permettant pas d’éclairer le lecteur sur la signification de tel ou tel mot31. En réalité, le travail de celui que Baudelaire considérera comme un esprit en avance sur son temps32 peut sembler déconcertant dans la mesure où, en fait de nouveautés, il puise allègrement dans un répertoire d’archaïsmes, multiplie les références aux œuvres de Voltaire33 et, surtout, « écart [e] (à quelques expressions près) les mots qui tiennent à la révolution ainsi que les mots techniques des sciences et des arts ». Probablement clairvoyant en ce qui concerne le tournant politique procédant du coup d’état du 9 novembre 1799, Mercier justifie l’éviction du vocabulaire de la Révolution en invoquant à demi-mot la position délicate du scientifique traitant d’un objet vis-à-vis duquel il ne dispose pas du recul nécessaire (l’argument est intrinsèquement défendable, mais intrigue quand il émane du rédacteur d’une Néologie) et, surtout, en soulignant à la fois l’ampleur du travail que réclamerait un tel recensement lexical et la dimension un peu trop verte à son goût des données qui seraient alors collectées34. Mercier fait de la sorte l’impasse sur les innovations lexicales majeures de son temps et préfère exhumer ce qui, à ses yeux, a fait les grandes heures de la France. À ce titre, il contribue symboliquement à la mise à l’écart des acquis populaires de la Révolution, et semble annoncer certaine couleur du romantisme français à venir, dont Jacques Dubois signalait qu’il « n’a[vait] fait que reprendre l’écriture classique en tant que valeur du langage, tout en amplifiant le mythe littéraire dont il héritait et qui était fondé sur cette valeur35 ».
La science pour tous
Dans le sillage de l’Encyclopédie
16Mercier n’exclut pas seulement de sa Néologie le lexique de la Révolution : les « mots techniques » sont pour leur part écartés parce qu’« ils ont leur Vocabulaire à part36 ». La justification concise que donne l’auteur ne reflète pas une quelconque prise de position idéologique et s’inscrit en réalité dans le sillage de la tradition encyclopédique de l’Ancien Régime, au sein de laquelle les volumes consacrés aux spécificités terminologiques connaissaient un certain succès. Héritier du vaste projet de l’Encyclopédie37 qu’il a lui-même réédité38, le libraire-éditeur fortuné Charles Joseph Panckoucke publie, en 1783, le premier volet de l’Encyclopédie méthodique. Conçue comme une série de dictionnaires répartis en fonction de diverses matières développant chacune son propre lexique39, elle entend succéder à l’entreprise de Diderot et D’Alembert et suppléer certains articles de cette dernière, qui, en raison de la révolution scientifique entamée dès le milieu du XVIIIe siècle, se révélaient surannés40. L’efficacité de la formule privilégiée par Panckoucke tient à sa structure, que la plupart des contributeurs, dont certains sont recrutés parmi les nombreuses plumes de ceux que Robert Darnton appelle les « Rousseau des ruisseaux41 » (pour lesquels le dictionnaire, par l’écriture de commande qu’il génère, se révèle autant un moyen de subsistance qu’un lieu d’aliénation dont il s’agira de se libérer), acceptent de suivre sans sourciller42 :
Chaque métier y est traité en entier selon le même schéma : historique, définition, divisions, développement graduel, régime civil et politique, règlements de police, vocabulaire raisonné et complet des mots techniques propres à l’art43.
17On trouve ainsi, dès 1783, des recueils marqués du sceau de l’Encyclopédie méthodique consacrés à la Jurisprudence, aux Grammaire et littérature, au Commerce, à la Botanique, à la Marine, aux Mathématiques, aux Bois et forêts, à la Musique, à la Philosophie, à l’Économie politique, à l’Art militaire, aux Logique et métaphysique, à l’Agriculture, à la Médecine, à la Théologie et à de multiples autres arts et techniques dont les fondements sont mis à la disposition de tous. La science, au XIXe siècle, n’est plus perçue comme une propriété privée à laquelle ne peuvent accéder que de rares privilégiés : ses progrès sont fulgurants, et ceux qui lui accordent de l’intérêt sont de plus en plus nombreux. Cette circulation, de laquelle rend bien compte Alain Rey, accroît en outre la légitimité du français de façon considérable :
Un facteur définitif, au tournant du XIXe siècle, va permettre même dans un enseignement bourré de traditions, la victoire définitive de la langue vivante. C’est l’extraordinaire activité scientifique et technique, prémices d’une révolution industrielle et financière bénéfique à la bourgeoisie et au capital. C’est le moment où Legendre publie la Théorie des nombres, où Laplace décrit ce qu’il nomme la « mécanique céleste », où Monge écrit sa Géométrie descriptive. La chimie, après Lavoisier, est redevable à Berthollet, la physique à Gay-Lussac. Cuvier fonde l’anatomie comparée qu’il applique aux formes de vie disparues, aux « monuments fossiles » (1812) : avec trois os, il décrit un organisme. La médecine évolue vite ; Pinel transforme l’idée ancienne de « folie » et crée une psychiatrie. Hors de France, les langues anglaises et allemandes expriment les idées nouvelles de Gauss, Herschell, du Suédois Berzélius, qui écrit aussi en français, de Davy… L’hypothèse atomique de l’Anglais Dalton (1802) gagne du terrain, avec l’italien Avogadro. Quant à celle d’une évolution des espèces vivantes, rejetée par Cuvier, elle est avancée par un grand botaniste, Lamarck, dans sa Philosophie zoologique, élaborée de la fin du XVIIIe siècle à 1808. Les techniques ne sont pas en reste : télégraphie, pile de Volta (1800), sous-marin, puis bateau à vapeur de Fulton, métier Jacquard, première locomotive de Stephenson (1814)44…
De Diderot à Pécuchet
18Ce foisonnement scientifique et technique implique autant qu’il nécessite la production d’un discours d’escorte qui va rapidement se dédoubler. Il est l’œuvre de celui des premiers concernés, tout d’abord, qui synthétisent l’avancée de leurs recherches et découvertes respectives dans des ouvrages destinés à leurs pairs. Mais il est également pris en charge par des vulgarisateurs, non désignés comme tels à l’époque et de profils divers45, encouragés par la demande d’un public émergeant composé des désireux de s’instruire et des poseurs que Jean-Yves Mollier rapproche volontiers des Homais, Bouvard et Pécuchet46. Certains manuels de chimie expérimentale et simplifiée qui émaillent le XIXe siècle ne sont de cette façon pas sans annoncer les recueils explosifs consultés par le Gaston Lagaffe de Franquin, tandis que se multiplient les compositions bigarrées où le plaisir et l’amusement se fondent à l’érudition47. Enfin, il faut aussi prendre en compte l’apport des manuels scolaires, qui, comme le rappelle Mollier, se développent sous la Monarchie de Juillet, avec les encouragements de François Guizot, chantre de l’instruction universelle :
[…] L’Alphabet et Premier livre de lecture, la Petite Histoire de France de Mme de Saint-Ouen, la Petite Arithmétique raisonnée de Vernier, le Robinson dans son île de Rendu, les Premières Leçons de Géographie, de Chronologie et d’Histoire de Letronne furent les véritables artisans de l’alphabétisation de masse des Français et on ne saurait les juger avec nos propres critères ou même à l’aune de la génération suivante, celle de l’instituteur Pierre Larousse qui abandonnera l’enseignement primaire pour rédiger des manuels dignes de ce nom48.
19C’est dans ce contexte que le genre dictionnairique se popularise : ne s’adressant plus uniquement aux mieux nantis, il vise jusqu’à un public enfantin sous la forme voisine, simplifiée et récréative de l’abécédaire illustré49, dont la réclame, fondée sur la scie de l’« apprentissage amusant », gagne même les journaux satiriques50. Aux côtés de ces alphabets plaisants, un autre symptôme dictionnairique lié à l’expansion culturelle aux alentours de 1800 s’observe dans la propension à mettre à la sauce du dictionnaire des savoirs réputés moins légitimes et généralement jugés peu dignes de publication jusqu’alors. Des jeux de l’enfance51 à la minéralogie52, en passant par la confiserie53, toute activité est alors l’occasion de l’établissement d’un lexique. Le projet de Dictionnaire raisonné des onomatopées françaises mis en œuvre par Charles Nodier est une autre conséquence, d’apparence fantaisiste mais fondée sur une démarche absolument sincère, de ce foisonnement dictionnairique54.
La course aux mots : le dictionnaire et l’accumulation
20Encouragées par les progrès de l’instruction, les productions du genre sont alors également liées à ce qu’on pourrait qualifier, dans tous les sens, d’effet accumulatif de la lexicographie : avec la démocratisation progressive de l’accès aux savoirs et la politique d’unification linguistique, le début du XIXe siècle voit en effet se développer la tendance des compilations dictionnairiques ou, comme l’écrit Jean Pruvost, des « accumulateurs de mots55 ». Le Dictionnaire universel de langue française de Boiste, publié pour la première fois en 1800, en témoigne idéalement, qui cherche à épuiser la totalité du vocabulaire français. Proche de l’auteur, Nodier écrira dans sa préface à la huitième édition du projet avoir dû tempérer son ami, emporté par une ambition démesurée : « Prétendre à l’universel et au complet dans ce genre, est la plus absurde des folies. M. Boiste lui-même avait fini par y renoncer sur mes observations56 ». D’une qualité très relative57, le Dictionnaire de Boiste vaut toutefois par la perspective égalitariste qui motive son élaboration : comme le fait justement remarquer Jean Pruvost, « d’une certaine façon, accumuler les informations en privilégiant le nombre de mots, c’était démocratiser le dictionnaire en offrant la langue dans sa plus large étendue58 ». Dans la première moitié du XIXe siècle, c’est précisément cette volonté d’exhaustivité affichée qui anime nettement la perspective lexicographique : en plus des défauts qualitatifs qu’elle présente, on peut suspecter cette démarche de répondre davantage à un argument commercial qu’à une forme d’émulation scientifique. Le Dictionnaire de l’Académie française, augmenté de plus de vingt mille mots, que Jean-Charles Laveaux compose en 1802 en est un autre exemple : réédité jusqu’à quarante ans après son achèvement (après que l’auteur s’est véritablement fait connaître grâce à la publication d’un puriste Nouveau Dictionnaire de la langue française, en 1820, que les spécialistes de la question s’accordent à considérer comme l’un des précurseurs du renouveau dictionnairique amorcé par Littré et par Larousse59), il s’inscrit dans cette tendance à la superlativité manifeste chez les lexicographes de la première moitié du Grand Siècle, depuis Boiste jusqu’aux 130 000 entrées du Dictionnaire national du « compilateur et emprunteur notoire60 » qu’est Louis-Nicolas Bescherelle en 1843, en passant par le présomptueux Dictionnaire général et grammatical des dictionnaires de Napoléon Landais, publié en 1834.
21Si la représentation commune tient les entreprises capitales de Larousse et de Littré (elles-mêmes très distinctes par ailleurs, tant en ce qui concerne les moyens mis en œuvre pour aboutir à l’instruction – le premier privilégiant l’enseignement plaisant, le second une rigueur revendiquée – que sur le plan de leurs modes de rédaction) pour le modèle lexicographique du XIXe siècle, c’est au prix d’un léger anachronisme. Se donnant rétrospectivement à lire comme les étalons du modèle dictionnairique de leur époque, ces deux projets considérables, qui voient le jour dans les années 186061, sont davantage des aboutissements novateurs ayant tiré profit des erreurs de la tradition qui les précède. En matière d’institution lexicographique, le XIXe siècle est plus longtemps partagé entre les tendances accumulatives susmentionnées et la domination symbolique du dictionnaire de l’Académie, éternel work in progress sur lequel nous reviendrons au cours du quatrième chapitre, qui permettra notamment d’examiner la façon dont ce projet est tourné en dérision par différents auteurs tout au long du siècle. Pour l’heure, tenons-nous-en à ce que nous avons jusqu’à présent observé en matière de démocratisation culturelle et pédagogique, et gardons à l’esprit la façon dont le dictionnaire, à l’aube du siècle, se trouve à la fois mis au service de la vulgarisation des savoirs et embarqué dans une course à l’autorité et à l’exhaustivité qui, paradoxalement, affaiblit sa réputation. Compte tenu de ces données, auxquelles il faut ajouter l’émergence de pratiques scripturales nouvelles liées au médium du journal, tout semblait réuni pour favoriser la récupération du genre dictionnairique par des auteurs désireux de réinventer sa logique en lui conférant un tour satirique.
Notes de bas de page
1 Boulanger Jean-Claude, Les Inventeurs de dictionnaires. De l’eduba des scribes mésopotamiens au scriptorium des moines médiévaux, Ottawa, Presses de l’université d’Ottawa, « Regards sur la traduction », 2003.
2 Quemada Bernard, Les Dictionnaires du français moderne 1539-1863, op. cit.
3 Pour une approche plus nuancée et bien complète de cette évolution, ici résumée à grands traits, voir notamment Charle Christophe, Histoire sociale de la France au XIXe siècle, Paris, Le Seuil, coll. « Points histoire », 1991, Daumard Adeline, Les Bourgeois de Paris au XIXe siècle, Paris, Flammarion, coll. « Science de l’histoire », 1970 et Jardin André et Tudesq André-Jean, La France des notables. L’évolution générale 1815-1848, Paris, Le Seuil, coll. « Points histoire », 1973.
4 « Présentation », dans Condorcet, Mémoires sur l’instruction publique, édition Charles Coutel et Catherine Kintzler, Paris, GF, 1994, p. 16.
5 Antoine Léon insiste sur la modernité des réflexions qui circulent lors de cette phase idéale (quasiutopiste) de la gestion du système éducatif : « pour les législateurs révolutionnaires [la volonté d’éduquer les hommes du peuple consiste à] les préparer à devenir des individus raisonnables, sensibles aux valeurs morales, mais aussi aptes à défendre les libertés récemment conquises et à repousser les avances démagogues et des fanatiques. C’est également contribuer à fortifier leurs capacités intellectuelles et à développer leurs compétences professionnelles » (Léon Antoine, Histoire de l’éducation populaire en France, Paris, Nathan, 1983, p. 9).
6 Comme l’écrivent Paul Aron et Alain Viala, « [après la Révolution,] le souci de l’unité nationale se manifeste notamment dans une réflexion sur une politique de la langue : le français est considéré comme le facteur fondamental de l’unité des Français, et donc de la nation, qui se confond dans les mentalités d’alors avec la République. De plus, le développement du pays est perçu comme tributaire de la présence de cadres administratifs et économiques autant qu’intellectuels » (Aron Paul et Viala Alain, L’Enseignement littéraire, op. cit., p. 48).
7 La constitution du 3 septembre 1791 indique qu’il « sera créé une instruction publique, commune à tous les citoyens, gratuite à l’égard des parties d’enseignement indispensables à tous les hommes ». Le décret du 19 décembre 1793 entérine l’obligation scolaire et la liberté d’enseignement. Sous le Directoire, le décret du 17 novembre 1794, procédant d’un rapport de Joseph Lakanal, abroge l’obligation scolaire et, le 22 août 1795, Pierre Daunou intègre à la Constitution de l’an iii un volet relatif à l’enseignement, supprimant l’obligation et la gratuité scolaires.
8 Dans un premier temps conciliants et ouverts au dialogue avec l’Église, les législateurs post-révolutionnaires eurent tôt fait d’interdire les congrégations religieuses (décret du 8 mars 1793 ; mais la promulgation de la liberté d’enseignement en décembre 1793 – voir la note précédente – implique que les ex-membres de ces congrégations ne sont pas interdits de classe pour la cause), puis de dissoudre les académies, écoles militaires et universités (par les décrets des 8 août, 9 septembre et 15 septembre 1793).
9 Instituées sous le Directoire (projet du 16 décembre 1794, décret du 25 février 1795), par Lakanal, elles consistaient en la cristallisation des degrés secondaire et supérieur. Destinées à un public privilégié (selon Lakanal, chaque individu ne devait pas prétendre à une « instruction plus étendue » et il était nécessaire que certains jeunes gens soient plus volontiers redirigés vers « les champs, […] les ateliers, […] les magasins, [les] navires, [les] armées »), elles ouvrirent leurs portes en 1796. (Voir Ponteil Félix, Histoire de l’enseignement en France 1789-1965, Tours, Sirey, 1965, p. 73-92.)
10 Prost Antoine, L’Enseignement en France 1800-1967, Paris, Armand Colin, « U », 1968, p. 24.
11 Voir à ce sujet les pages qu’Alain Rey consacre au portrait d’Émile Littré en élève du lycée impérial Louis-le-Grand dans Littré, l’humaniste et les mots, Paris, Gallimard, 1970. André Chervel note pour sa part que « le français, qui est le grand absent du règlement des lycées, n’est pas non plus mentionné pour les écoles primaires où “on apprend à lire, à écrire, et les premières notions de calcul” » (Histoire de l’enseignement du français du XVIIe au XXe siècle, Paris, Retz, coll. « Les usuels », 2006, p. 50).
12 Cité par Léon Antoine, Histoire de l’enseignement en France, op. cit., p. 67.
13 Charle Christophe, Histoire sociale de la France au XIXe siècle, op. cit., p. 45.
14 « La langue française [d’après Talleyrand] doit être enseignée à tous, car c’est la langue de la constitution et des lois. Elle doit chasser “cette foule de dialectes corrompus, vestiges de la féodalité”. Mais la langue française n’est pas simplement l’expression de la pensée des Français. Elle est aussi l’expression du langage politique et libre. “Il est constitutionnel que la langue française s’épure à tel point qu’on ne puisse plus désormais prétendre à l’éloquence sans idées, comme il ne sera plus permis d’aspirer à une place sans talent ; qu’en un mot, elle reçoive pour tous un nouveau caractère et se retrempe en quelque sorte dans la liberté et dans l’égalité.” Et plus loin : “Notre langue a perdu un grand nombre de mots énergiques qu’un goût, plutôt faible que délicat, a proscrit ; il faut les lui rendre…” La langue française est embarrassée de mots louches et synonymes, de constructions timides et traînantes, de locutions oiseuses et serviles ; il faut l’en affranchir. » (Ponteil Félix, Histoire de l’enseignement en France 1789-1965, op. cit., p. 56.)
15 « Le premier et le plus important de ses travaux est son dictionnaire. On sait combien il est médiocre, incomplet, insuffisant ; combien il indigne tous les gens de goût ; combien il révoltait surtout Voltaire qui, dans le court espace qu’il passa dans la capitale avant sa mort, ne put venir à l’académie sans proposer un nouveau plan, préliminaire indispensable, et sans lequel il est impossible de rien faire de bon. On sait qu’à dessein de triompher de la lenteur ordinaire aux corporations, il profita de l’ascendant qu’il exerçait à l’académie, pour exiger qu’on mît sur-le-champ la main à l’œuvre, prit lui-même la première lettre, distribua les autres à ses confrères, et s’excéda d’un travail qui peut-être hâta sa fin. Il voulait apporter le premier sa tâche à l’académie, et obtenir de l’émulation particulière ce que lui eût refusé l’indifférence générale. Il mourut : et avec lui tomba l’effervescence momentanée qu’il avait communiquée à l’académie. Il résulta seulement de ses critiques sévères et âpres, que les dernières lettres du dictionnaire furent travaillées avec plus de soin ; qu’en revenant ensuite avec plus d’attention sur les premières, les académiciens, étonnés des fautes, des omissions, des négligences de leurs devanciers, sentirent que le dictionnaire ne pouvait, en cet état, être livré au public, sans exposer l’académie aux plus grands reproches, et surtout au ridicule : châtiment qu’elle redoute toujours, malgré l’habitude. Voilà ce qui reculera, de plusieurs années encore, la nouvelle édition d’un ouvrage qui paraissait à peu près tous les vingt ans, et qui se trouve en retard précisément à l’époque actuelle, comme pour attester victorieusement l’inutilité de cette compagnie. Vingt ans, trente ans pour un dictionnaire ! Et autrefois un seul homme, même un académicien, Furetière, en un moindre espace de temps, devança l’académie dans la publication d’un dictionnaire qu’il avait fait lui seul : ce qui occasionna, entre l’académie et l’auteur, un procès fort divertissant, où le public ne fut pas pour elle. » (Chamfort, Œuvres complètes, t. 1, édition Pierre René Auguis, Paris, Chaumerot, 1824, p. 261-263.)
16 Voir à ce sujet Rey Alain, Duval Frédéric et Siouffi Gilles, Mille ans de langue française. Histoire d’une passion, Paris, Perrin, 2007, p. 925-938.
17 Chantreau Pierre-Nicolas, « Epître dédicatoire à Messieurs les représentans de la commune de Ris », dans Dictionnaire national et anecdotique pour servir à l’intelligence des mots dont notre langue s’est enrichie depuis la révolution, Apoliticopolis, Chez les marchands de nouveautés, 1790, n. p.
18 Nouveau dictionnaire françois à l’usage de toutes les municipalités, les milices nationales, et de tous les patriotes, composé par un aristocrate, dédié à l’Assemblée dite nationale pour servir à l’histoire de la révolution de France, Paris, SL [D’une imprimerie aristocratique], 1790.
19 Ibid., « Avertissement de l’auteur », n. p.
20 Anne-Josèphe Théroigne de Méricourt (1762-1817) est l’une des fortes têtes de la Révolution. On conserve différents discours de sa plume, datés de la période d’insurrection, dirigés vers les « citoyennes » et appelant celles-ci à soutenir les citoyens dans leur lutte. Paul Hervieu lui consacre une pièce, intitulée Théroigne de Méricourt et publiée en 1902 chez Alphonse Lemerre, tandis qu’Emile Verhaeren lui rend hommage dans la troisième partie du volet « L’Amour » de ses Forces tumultueuses (« Deviens la Théroigne âpre et tragique, / dressée au cœur des révoltes logiques, / comme tu fus la sainte et l’amoureuse »).
21 Petit dictionnaire des grands hommes et des grandes choses qui ont rapport à la Révolution, pour servir de suite à l’histoire du brigandage du nouveau royaume de France, adressé à ses douze cent tyrans, Paris, Imprimerie de l’Ordre Judiciaire, 1790.
22 Buée Adrien-Quentin, Nouveau dictionnaire pour servir à l’intelligence des termes mis en vogue par la Révolution, Paris, Crapart, 1792.
23 Le titre de ce petit dictionnaire est purement dédicatoire : À Léonard Snetlage, docteur en droit de l’Université de Goettingue, Jacques Casanova, docteur en droit de l’Université de Padoue. Le célèbre hédoniste s’est quelquefois trompé en prédisant la disparition de certains mots dont il affirmait qu’ils n’étaient que des effets de mode (ambulance est « bête », suicider « ridicule » et paralyser « pathologique »). À propos de cet objet, voir la belle notice de Rey Alain, Dictionnaire amoureux des dictionnaires, Paris, Plon, 2011, p. 205-212.
24 Gautier Pierre-Nicolas, Dictionnaire de la Constitution et du Gouvernement Français, contenant la dénomination de tous les nouveaux Officiers publics, les formes de leur élection ou nomination, leurs fonctions, leur traitement, leur costume, etc. Les nouvelles institutions civiles, politiques, militaires, ecclésiastiques, judiciaires et financières ; les lois de chacune des branches de l’administration de l’état ; les droits et les devoirs des citoyens ; la définition des nouveaux termes les plus usités, quelques-uns de ceux qui ne doivent plus être employés, etc. Paris, Guillaume, 1792.
25 Dictionnaire raisonné de plusieurs mots qui sont dans la bouche de tout le monde, et ne présentent pas des idées bien nettes, Paris, Palais Royal, 1790.
26 Pour ne citer que quelques exemples proches de la date de 1800 : d’Hautel, Dictionnaire du bas-langage, ou des manières de parler usitées parmi le peuple ; ouvrage dans lequel on a réuni les expressions proverbiales, figurées et triviales ; les sobriquets, termes ironiques et facétieux ; les barbarismes, solécismes ; et généralement les locutions basses et vicieuses que l’on doit bannir de la bonne conversation, Paris, Haussman, 1808 ; Michel Jean-François, Dictionnaire des expressions vicieuses : usitées dans un grand nombre de départements, et notamment, dans la ci-devant province de Lorraine, Nancy, Chez l’auteur, 1807 ; Peignot Gabriel, Petit dictionnaire des locutions vicieuses, corrigées d’après l’Académie et les meilleurs grammairiens ; précédé d’un abrégé des principes de l’art épistolaire, extrait des auteurs qui ont le mieux écrit sur cette partie ; et des conseils d’un père à ses enfans sur la religion, la morale et l’éducation, Paris, Renouard-Michel-Allais, 1807 ; Rolland Jean-François, Dictionnaire du mauvais langage. Recueil des expressions proverbiales et des locutions basses et vicieuses usitées parmi le peuple avec leur correction d’après l’Académie et les meilleurs écrivains, Lyon, Rolland, 1813 ; Villa Étienne, Nouveaux gasconismes corrigés ou tableau des principales expressions et constructions vicieuses, usitées dans la partie méridionale de la France, Montpellier, Izar-Ricard, 1802.
27 Organe dont la création procède de l’article 298 de la Constitution de l’an iii (adoptée le 25 août 1795), selon lequel « Il y a pour toute la République, un institut national chargé de recueillir les découvertes, de perfectionner les arts et les sciences. » L’Institut est composé de trois classes (Sciences physiques et mathématiques ; Sciences morales et politiques ; Littérature et Beaux-Arts), lesquels se subdivisent en différentes sections. Louis-Sébastien Mercier rejoindra la section « Morale » de la deuxième classe le 20 novembre 1795, en compagnie de son ami Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre.
28 Mercier Louis-Sébastien, Néologie ou vocabulaire des mots nouveaux, à renouveler ou pris dans des acceptions nouvelles, Paris, Moussard-Maradan, 1801, p. i.
29 Ibid., p. x.
30 Ibid., p. xi.
31 « On ne trouvera dans ce Vocabulaire aucun mot qui puisse réveiller une idée libre ; l’Académie française a mis dans son Dictionnaire trois mots étranges ; je vais les transcrire, et l’on ne sera pas peu surpris. 1° Dépuceler, verbe actif, ôter le pucelage ; quelle rédaction ridicule et indécente ! 2° Dépucelé, participe au masculin. Bon dieu ! 3° Pucelage, substantif masculin, l’état d’un homme qui n’a point vu de femmes, et d’une femme qui n’a point connu d’hommes. Cette définition académique n’est-elle pas vicieuse sous tous les rapports. 4° Puceau, garçon qui n’a point connu de femmes ; comme cela est essentiel ! Enfin la pudeur (selon l’Académie) est une honte honnête. Racine était-il présent à cette rédaction, ou son ombre du moins ? L’Académie a cru devoir donner l’entrée aux mots Forniquer, Fornication et même Fornicateur, et elle en répudie de chastes et d’honnêtes ; enfin je lis dans ce Dictionnaire l’ouvrage de tant d’abbés, trousser une femme, pour dire, lui lever les jupes et si vous ne m’en croyez pas, ouvrez le volume, revu, corrigé et augmenté par l’Académie elle-même, cinquième édition. Cherchez-vous Dimension, vous trouverez étendue des corps ; cherchez-vous étendue, vous trouverez dimension d’une chose. Voyez Paon ; gros oiseau domestique, il a comme une espèce de petite aigrette sur la tête, et les plumes de sa queue sont remplies de marques de différentes couleurs en forme d’yeux. Quel pinceau suave ! Cent articles sont non moins ridicules que ceux-ci. C’est dommage, en vérité, que ce corps ne soit plus ; il prêtait tant aux plaisanteries et gaîtés des sages et des gens d’esprit ! » (Mercier Louis-Sébastien, Néologie, op. cit., p. xxxiii-xxxv.)
32 Plus exactement, l’un de ces « auteurs anciens […] qui, ayant devancé leur siècle, peuvent donner des leçons pour la régénération de la littérature actuelle » (Baudelaire Charles, « Le Hibou philosophe. Notes pour la rédaction et la composition du journal », dans Œuvres complètes, édition de Michel Jamet [1980], Paris, Laffont, coll. « Bouquins », 2004, p. 462. Mercier, aux yeux de Baudelaire, partage ce titre avec Bernardin de Saint-Pierre).
33 Rien d’étonnant, en ce sens, à ce que le recueil de textes de Mercier rassemblés par Geneviève Bollème évoque très franchement, par son titre et sa structure apocryphes autant que par le contenu des extraits choisis, le Dictionnaire philosophique. Voir Mercier Louis-Sébastien, Dictionnaire d’un polygraphe, édition de Geneviève Bollème, Paris, 10/18, 1978.
34 « La plupart de ces expressions sont fortes et vigoureuses, elles correspondaient à des idées terribles ; la plupart sont bizarres, elles appartenaient à la tourmente des événements ; et lorsque les vents sifflent, que le vaisseau est battu par une horrible tempête, qu’il touche à des écueils, l’on ne parle pas comme quand le zéphyr règne ; les matelots jurent, mais ils font la manœuvre qui sauve. » (Mercier Louis-Sébastien, Néologie, op. cit., note i, p. xv-xvi.)
35 Dubois Jacques, L’Institution de la littérature, op. cit., p. 37.
36 Mercier Louis-Sébastien, Néologie, op. cit., p. xv.
37 Rappelons, très rapidement, que cette entreprise, lancée au seuil des années 1740 et initialement circonscrite à une traduction de la Cyclopaedia anglaise publiée en 1728 par Ephraïm Chambers, s’élargit au fil des années pour aboutir à une somme de près de 72000 articles compilant des réflexions scientifiques, culturelles, politiques et philosophiques sur à peu près toutes les réalités possibles et envisageables. Voir, au sujet de la mise en place et des implications de ce projet, Darnton Robert, L’aventure de l’encyclopédie [1974], traduction de Marie-Alyx Revellat, Paris, Perrin, 1982 et Becq Annie (dir.), L’Encyclopédisme, actes du colloque de Caen (12-16 janvier 1987), Paris, Aux amateurs de livres, 1991. Sur le genre de l’encyclopédie en général, voir également Collison Robert, Encylopaedias : Their history throughout the ages, New York-Londres, Hafner, 1966 et Gille Betrand, « L’encyclopédie, dictionnaire technique », dans Revue d’histoire des sciences et de leurs applications, Année 1952, vol. 5, no 1, p. 26-53.
38 Voir « La guerre des encyclopédies », Darnton Robert, Bohème littéraire et révolution [1983], traduction d’Éric de Grolier, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 2010, p. 209-243.
39 Ne parlons pas encore de « disciplines ». Comme le note Stéphane Zékian, « l’on s’accorde généralement à dater au moins de la seconde moitié du XIXe siècle la mise en place d’un système disciplinaire, c’est-à-dire d’un agencement stabilisé de pratiques savantes professionnelles (ou en cours de professionnalisation) que singularisent, au moins en théorie, leurs objets d’études, ainsi que les méthodes et procédures (notamment langagières) mises en œuvres pour en assurer le traitement. Le concept de discipline peine à rendre compte de l’époque postrévolutionnaire, car le processus de compartimentation et de spécialisation des savoirs (processus indissociable d’une conquête d’autonomie institutionnelle) n’en était alors qu’à ses balbutiements » (Zékian Stéphane, « Siècle des lettres contre siècle des sciences : décisions mémorielles et choix épistémologiques au début du XIXe siècle », dans LHT, no 8, [En ligne], mai 2011 URL : <http://www.fabula.org/lht/8/8dossier/234-8zekian>).
40 L’essor scientifique que connaît le XIXe siècle s’origine vers 1750, dans les multiples progrès concernant l’industrie textile (avec, notamment, l’arrivée tardive, en France, de la navette volante et de la filature mécanique), l’industrie chimique (la découverte de l’acide carbonique par Black) ou le développement des transports (qu’on pense aux différents perfectionnements apportés à la machine à vapeur de Newcommen). Voir à ce sujet Gille Bertrand, « L’encyclopédie, dictionnaire technique », art. cit., 1952, p. 48-49.
41 Darnton Robert, Bohème littéraire et révolution, op. cit., p. 47-82. Darnton montre bien comment la surpopulation d’aspirants écrivains permet un recrutement aisé de main d’œuvre pour la réduction de produits comme les « […] dictionnaires […] qui circulaient à profusion dans la seconde moitié du XVIIIe siècle » (p. 68). La source de ce recrutement et l’expansion de la production participent en amont à la dévalorisation du genre, qui se mesurera particulièrement au siècle suivant.
42 Kathleen Doig signale toutefois les réserves de Louis-Marie Blanquart de Septfontaines dont le volume Bois et forêts paraît en 1791. L’auteur argue que si « l’arrangement alphabétique convient pour ceux qui connaissent déjà une discipline, […] il est “tout à fait incommode quand on veut s’instruire”, car rien ne se trouve à sa place ». Voir Doig Kathleen, « L’encyclopédie méthodique et l’organisation des connaissances », dans Recherches sur Diderot et l’encyclopédie, année 1992, vol. 12, no 1, p. 60.
43 Gille Bertrand, « L’encyclopédie, dictionnaire technique », art. cit., p. 49.
44 Rey Alain, Duval Frédéric et Siouffi Gilles, Mille ans de langue française. Histoire d’une passion, op. cit., p. 964.
45 Voir à ce sujet Raichvarg Daniel et Jacques Jean, Savants et ignorants. Une histoire de la vulgarisation des sciences, Paris, Le Seuil, 1991 ; Chappey Jean-Luc, « Enjeux sociaux et politiques de la “vulgarisation scientifique” en Révolution (1780-1810) », dans Annales historiques de la Révolution française, no 338, [En ligne], octobre-décembre 2004, URL : <http://ahrf.revues.org/1578>.
46 « Tous ces types sociaux qui indignaient Flaubert, mais pour qui écrivirent tant d’auteurs dont les épais volumes reposent sur les étagères des bibliothèques du passé. » (Mollier Jean-Yves, « Diffuser les connaissances au XIXe siècle. Un exercice délicat », dans Romantisme, vol. 30, no 108, 2000, p. 92.) Ces lecteurs peuvent se tourner vers les bibliothèques publiques qui, après la Révolution, garnissent principalement leurs rayons de dictionnaires et d’œuvres complètes des classiques.
47 À l’image des Amusements philologiques de Gabriel Peignot (Paris, Renouard-Allais, 1808), où se bousculent notamment une « petite poétique curieuse et amusante » recensant de nombreux jeux littéraires allant de l’anagramme aux vers monosyllabiques, une typologie des différentes formes de divination, une nomenclature de chants d’oiseaux et un petit dictionnaire de découvertes anciennes et modernes.
48 Mollier Jean-Yves, « Diffuser les connaissances au XIXe siècle », art. cit., p. 93.
49 Le plus connu est certainement l’Alphabet de Mademoiselle Lili, publié chez Hetzel en 1865. Pour un bref historique du genre de l’abécédaire, voir Litaudon Marie-Pierre, « Abécédaire : ordre et commencements », dans Babar, Harry Potter & Cie : livres d’enfants d’hier et d’aujourd’hui, Catalogue d’exposition, Bibliothèque nationale de France, 2008, p. 150-155.
50 Dans le Charivari, on trouve dès décembre 1832, une réclame pour un Abécédaire en action, « composé dans le but d’apprendre à lire aux enfans, en gravant dans leur mémoire le souvenir des lettres, qui leur sont rappelées par des personnages, des animaux ou des ustensiles qu’ils connaissent parfaitement. Prix du cahier coloré et cartonné : dix francs ». Le même périodique publie, en janvier 1834, une publicité pour L’Alphabet pittoresque ou la lecture enseignée par des images, « joli petit livre-Album, rempli de charmans sujets dessinés par M. Bouchot », vendu au prix de deux francs. Enfin, dès le 1er novembre 1838, dans les « annonces pittoresques » du supplément du premier numéro de La Caricature figure une réclame pour un « Vocabulaire des enfans. Dictionnaire illustré », qui vise à « apprend[re] aux enfans une multitude de mots dont la signification, l’emploi et l’orthographe se fixent naturellement dans leur mémoire, au moyen des images amusantes qui les excitent à lire ».
51 Adry Jean, Dictionnaire des jeux de l’enfance et de la jeunesse chez tous les peuples, Paris, Barbou, 1807.
52 Brard Cyprien, Manuel du minéralogiste et du géologue voyageur, Paris, chez l’auteur, 1805.
53 Cardelli, Manuel du limonadier, du confiseur et du distillateur, Paris, Roret, 1822.
54 Le projet du « dériseur sensé », comme le nomme Georges Zaragoza (Charles Nodier, Le Dériseur sensé, Paris, Klincksieck, 1992), se fonde sur l’idée, contraire aux préceptes linguistiques reconnus aujourd’hui, que le langage est motivé par une volonté d’adéquation avec le monde qu’il décrit et que l’origine de certains termes est directement onomatopéique. Oscillant entre le loufoque (« Asthme : L’asthme est une infirmité qui consiste dans une grande difficulté de respirer dans de certains temps. Cette onomatopée imite le bruit de la respiration brusquement interrompue. Elle nous vient immédiatement, et sans changement, d’une onomatopée grecque qui représente la même chose ») et l’élégance poétique (« Bise : Vent sec et froid du nord-est, qui fait entendre le bruit dont ce mot est formé, en frémissant dans les plantes sèches, en effleurant les vitraux, ou en glissant à travers les fissures des cloisons »), le projet est porté par un discours d’escorte tellement documenté que l’impression de parodie conditionnelle qu’il peut générer fait long feu. À son sujet voir la plus récente édition Nodier Charles, Dictionnaire raisonné des onomatopées françaises [1808], édition de Jean-François Jeandillou, Genève-Paris, Droz, 2008.
55 Pruvost Jean, Les Dictionnaires français, outils d’une langue et d’une culture, op. cit., p. 65.
56 Nodier Charles, Préface à Boiste Pierre, Dictionnaire Universel de la langue française, 8e édition, Paris, Lecointe et Pougin, 1834, p. 3.
57 Matoré en résume la valeur par une phrase assassine : « La nomenclature est très riche et souvent inutile, les définitions, très courtes (le plus souvent par synonymes), sont médiocres, les étymologies sont fausses et le système d’abréviation peu clair. » (Matoré Georges, Histoire des dictionnaires français, op. cit., p. 115.)
58 Pruvost Jean, Les Dictionnaires français, outils d’une langue et d’une culture, op. cit., p. 65.
59 Voir ibid., p. 67, Matoré Georges, Histoire des dictionnaires français, op. cit., p. 116 et Quemada Bernard, Les Dictionnaires du français moderne, op. cit., p. 517-518.
60 Wooldridge Terrence et Leroy-Turcan Isabelle, « Aspects métatextuels du dictionnaire : les discours empruntés et les indéfinis », dans Texte, no 15/16, 1994, p. 307-350.
61 Le Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle est publié en dix-sept tomes de 1865 à 1876, après avoir été vendu en livraisons mensuelles dès décembre 1863, tandis que les quatre volumes du Dictionnaire de la langue française de Littré sont publiés chez Hachette de 1863 à 1873, regroupant les trente fascicules qui ont paru de 1863 à 1872.
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2007
Lignes et lignages dans la littérature arthurienne
Christine Ferlampin-Acher et Denis Hüe (dir.)
2007