Jean-Joseph-Louis Graslin (1727-1790)
Un itinéraire dans son siècle
p. 29-86
Texte intégral
1Note portant sur l'auteur1
Une trajectoire familiale ascendante
2Jean-Joseph-Louis Graslin est né à Tours au milieu du mois de novembre 17272 dans une famille d’officiers des finances. C’est son grand-père Louis, né en 1638 à Semblançay3, qui embrasse le premier cette carrière4. Après avoir occupé plusieurs postes subalternes à la prévôté et à la chancellerie de Tours5, Louis Graslin devient en 1698 greffier en chef du bureau des finances de cette ville. Il meurt en charge en 1716. Les bureaux des finances, institués en 1577, ont à la fin du xviie et au début du xviiie siècle deux grands types d’attributions. Ils administrent le domaine royal « corporel » – palais, châteaux, forêts, fiefs, censives – et « incorporel », c’est-à-dire les droits féodaux appartenant à la couronne6. Ils surveillent également la répartition de certaines taxes sur les consommations comme les « aides » ou certains impôts directs et principalement la taille. Mais avant même l’époque de l’entrée en charge de Louis Graslin, les bureaux des finances voient une partie de leurs compétences remises en cause. La montée en puissance des pouvoirs des Intendants, de plus en plus impliqués dans la collecte des impôts et les travaux publics7 ainsi que les empiètements des Parlements et des baillages ou sénéchaussées sur la voirie, les auraient transformées en institutions vieillissantes8. Ce point de vue – et en particulier pour le bureau de Tours qui nous intéresse – a été relativisé dans l’importante étude récente de F. Caillou9. L’auteur relève en effet que si en matière de grandes routes et de fiscalité, la centralisation administrative a incontestablement ôté aux bureaux des finances certaines de leurs prérogatives, il n’en va pas de même pour la voirie urbaine, les routes secondaires et les affaires du domaine10. Si l’institution a donc perdu de son lustre, elle n’en reste pas moins au siècle des Lumières une administration active, qui suit le mouvement ascendant de rationalisation alors en cours. De plus, des privilèges lui restent attachés : outre des exemptions d’impôts, certaines de ses charges permettent un accès – au moins progressif – à la noblesse héréditaire. Et sur ce dernier point, la place de greffier en chef est tout à fait particulière.
3Le greffier, qui occupe d’abord une position subalterne, rédige et conserve les actes de la compagnie. Il reçoit ses ordres des trésoriers de France, personnages qui assurent la direction effective des bureaux des finances. La fonction, comme le souligne F. Caillou, a cependant la réputation d’être lucrative car outre les gages les prestations du greffier – contrairement à celles de ses supérieurs11 – ne sont pas gratuites12. Cet attrait financier va se doubler en 1695 d’un bouleversement complet de leur statut. Par lettres patentes en date du 30 octobre, le roi accorde en effet aux greffiers des privilèges comparables à ceux des trésoriers de France. La noblesse leur est désormais ouverte s’ils deviennent propriétaires de la charge13 : « Louis Graslin et François Dorion ont bien compris ces enjeux : ils profitent de la mort de Nicolas Augeard, pourvu du greffe ancien, pour négocier l’acquisition de l’office. […] Cependant un seul individu peut se faire pourvoir : ce sera Graslin, qui l’emporte peut-être en vertu de son droit d’aînesse (il a 49 ans en 1698, Dorion trois de moins)14. » Comme on le voit dans cette procédure d’achat en commun, les greffiers de Tours fonctionnent sur le modèle de la société d’associés, forme juridique utile dans une profession où les revenus sont fluctuants et où il est bon de pouvoir se répartir la charge de travail. Ce principe de solidarité « horizontale » se double d’une forme d’entraide « verticale » : en 1698, c’est à ses supérieurs les trésoriers de France que Louis Graslin emprunte une partie des 7 500 livres nécessaires à l’achat de son office. Cette forme de cooptation entretient également le rapport de subordination qui existait précédemment entre les charges de trésorier et de greffier : de fait ce dernier restera tout au long du xviiie siècle un subalterne qui ne pourra prendre part aux instances décisionnelles du bureau. Mais c’est grâce à ces mêmes protections que Louis Graslin est nommé bailli à la fois de la baronnie de Semblançay et des seigneuries de Gangnerie et de Vaugrignon15, places honorifiques mais lucratives. À cette époque en effet, les baillis, autrefois principaux agents de l’autorité royale, n’avaient plus ni compétences administratives, ni compétences judiciaires. Les baillis seigneuriaux, comme Louis Graslin, avaient surtout des fonctions de représentations et deviendront au cours du siècle des personnages de comédie, dont il sera de bon ton de décrier l’inutilité16.
4Dans cette trajectoire somme toute assez classique d’ascension sociale au siècle du Grand Roi, Louis Graslin contracte en 1668 un mariage endogamique avec Françoise Chauveau (1642-1722), fille d’un greffier d’appeaux17 au baillage et présidial de Tours. Les époux auront douze enfants de 1668 à 1683 et c’est le dernier d’entre eux qui prendra la succession de son père. Baptisé le 29 août 1683 en la paroisse Saint-Saturnin de Tours, Joseph-Louis Graslin hérite en 1717 de la charge de son père18, charge qu’il détiendra jusqu’à sa mort en 1743. Régnicole, ne possédant ni parent ni allié dans la compagnie, n’étant pas adepte de la Religion Prétendument Réformée et étant âgé de plus de 25 ans19, Joseph-Louis semble remplir les conditions nécessaires à son entrée en charge. Un élément lui est cependant défavorable : il a fait ses premières armes dans la Ferme générale. Il est ainsi qualifié de « “directeur des affaires du roi” en 1713 (expression désignant les agents des fermes et les factotums des traitants)20 » et, s’il a renoncé à cet emploi après 1717, il occupe encore en 1735 la direction générale du dixième21 dans la généralité de Tours. Naturellement, on ne peut cumuler un emploi dans une compagnie privée qui réalise ses profits dans l’affermage des impôts indirects et un autre dans une administration qui a pour but la supervision et la répartition de ce type de taxe. Le cas du dixième, impôt direct dont les bureaux des finances n’auront pas la charge est un peu différent, ce qui n’empêchera pas les trésoriers de France de Châlons de s’opposer à ce qu’un membre de leur bureau occupe le même poste que Joseph-Louis Graslin22. Mais ce qu’il faut relever, comme me l’a signalé F. Caillou, c’est que Joseph-Louis Graslin a peut-être obtenu sa place de receveur du dixième grâce à la protection que lui témoignent l’Intendant de Touraine Chauvelin23 et le duc de Noailles24, alors président du conseil des finances. Deux lettres25 du premier au second datées respectivement du 15 mai et du 30 juin 1716, témoignent du fait que Chauvelin sollicite une place pour Joseph-Louis Graslin, sans que les choses se décantent à cette date.
5Ce n’est qu’en 1725 que ce dernier épouse Jeanne Delavau (ou Delaveau) (1706-1792), la fille d’un marchand de soie tourangeau. Par ce mariage, F. Caillou considère que Joseph-Louis s’est uni avec un lignage de condition légèrement inférieure au sien26. Il est délicat de conclure de la sorte. Si bien sûr les Delavau ne sont pas nobles, ils semblent jouir d’une importante réputation et surtout d’une fortune non négligeable, comme en témoigne à la fois la dot apportée par Jeanne et le devenir de son frère aîné François-Raphaël Delavau (1696-1773). Lors du partage des biens de Joseph-Louis Graslin en 176127, nous apprenons que les parents de Jeanne lui ont constitué une dot de 20 000 livres. La fortune totale de la communauté de bien des époux Graslin étant quant à elle estimée à cette date à 40 000 livres. Nous ne connaissons pas l’inventaire après décès de Louis Graslin, mais la dot apportée par les parents de sa bru est à mettre en rapport avec la valeur de sa charge en 1698 (7 500 livres) et le fait qu’il ait dû en emprunter la quasi-totalité. Le mariage de son fils avec la riche famille Delavau a structuré la stratégie de la famille Graslin en promettant à ses petits-enfants une nouvelle ascension sociale, qui, comme on va le voir, a réussi. La carrière de François-Raphaël Delavau est également significative. Exerçant la profession de marchand dans l’activité textile à la suite de son père et de son grand-père, il devient en 1750 trésorier de France au bureau des finances de Tours, place onéreuse qui était peut-être convoitée par l’homme qui nous intéresse, à savoir son neveu Jean-Joseph-Louis Graslin. F.-R. Delavau annonce renoncer solennellement à tout espèce de commerce lorsqu’il entre en charge, mais F. Caillou a découvert qu’il poursuit en fait ses activités à l’aide de facteurs par voie épistolaire, pratiquant la revente de textile à Cadix jusqu’à sa mort en 177328. À cette date, son inventaire après décès estime sa fortune à 420 000 livres environ29. Chiffre considérable pour l’époque dans une ville comme Tours30 qui ne trouve d’équivalent que chez les très gros négociants et chez ses collègues trésoriers de finances. Ce constat doit être mis en relation avec la fortune de Joseph-Louis Graslin, son beau-frère, qui est dix fois moindre. En fait cette fortune de 40 000 livres des époux Graslin, qui comprend tout de même – signe d’appartenance à la classe des possédants – pour 1 400 livres d’argenteries31, correspond à la moyenne de celle des greffiers en chef du début du xviiie siècle. La fortune de ces derniers reproduit donc la position qui est la leur sur le plan symbolique : au-dessus des huissiers et des employés subalternes du bureau des finances, qui ne peuvent prétendre au maximum qu’à quelques milliers de livres, ils sont très en dessous des trésoriers, qui sont censés être leurs égaux sur le plan des privilèges, mais restent dans les faits leurs supérieurs32. Pour Joseph-Louis Graslin, la « marche » suivante était donc désignée par avance. Mais pour faire d’un de ses fils un trésorier de France, il fallait que plusieurs conditions soient remplies. Celle de la fortune d’abord, puisque la charge valait en moyenne 50 000 livres. Ensuite les parents se devaient d’assurer une bonne éducation à l’enfant car être trésorier de France nécessitait le titre d’avocat. Sur le plan strictement symbolique enfin, il fallait pouvoir s’élever dans la hiérarchie sociale d’Ancien Régime en entrant dans le second ordre du royaume. De ce point vue, un pas avait été accompli par Louis Graslin et son fils Joseph-Louis. En effet, le lignage des Graslin remplissait théoriquement les conditions requises pour un anoblissement définitif puisque la charge de greffier en chef avait été détenue par deux représentants de la même famille pendant au moins 20 ans chacun. C’est ainsi que le fils de Louis Graslin, Joseph-Louis, porte le titre d’Ecuyer33, sieur de Salvert, seigneur de la Moisandière et du Bois-Chambellay, deux terres possédées par la famille à Semblançay34. Mais Joseph-Louis Graslin, qui accède sur le tard à un « état », se marie à l’âge de 42 ans et à son décès en 1743, ses enfants sont en trop bas âge pour prétendre à la reprise de sa charge de greffier en chef35. Mais l’a-t-il réellement exercée ? Vraisemblablement non, puisque son fils aîné, Jean-Joseph-Louis, qui veut réfuter les attaques portées contre ses origines, nous apprend en 1789 que son père
« avait succédé à mon grand-père dans la Charge de Greffier en chef du Bureau des Finances de la même ville [Tours, A. O] ; &, comme les privilèges de cette Charge sont les mêmes que ceux de tous les Offices du Bureau des Finances & des chambres des Comptes, cette succession, à patre & avo, nous a acquis la noblesse héréditaire. Quoique mon père n’ait point exercé cette Charge par lui-même, (On sait que les Offices de Greffier en chef se donnent à ferme à des Commis-Greffiers) il n’a fait aucun commerce, aucune espèce d’affaire ; il n’a ni usé ni abusé de la fortune des autres, il n’a ni augmenté ni diminué la sienne. Il a vécu en sage, estimé & considéré de tous ses concitoyens ; & il est mort trop tôt pour ses enfants, pour ses amis, & pour tous les gens qui l’ont bien connu36 ».
6Joseph-Louis Graslin a donc vécu « noblement » comme on disait alors, c’est-à-dire de la location de l’office qu’il avait hérité de son père et de la dot de sa femme, sans exercer aucune activité particulière qui eut pu l’enrichir.
Une jeunesse facétieuse
7Joseph-Louis Graslin et Jeanne Delavau ont eu cinq enfants dont trois seulement atteindront l’âge adulte : Jean-Joseph-Louis (1727-1790), Jeanne-Catherine (1731- ?) et Athanase-Hilaire (1734-1771). Celui-ci est le dernier-né du couple alors même qu’à cette date Jeanne n’a que 28 ans et qu’il reste encore 9 ans à vivre à son mari. Les Graslin ont-ils décidé de pratiquer la limitation des naissances ou des causes naturelles indépendantes de leur volonté sont-elles à l’œuvre ? Le fait qu’en 1734 leur aîné ait passé le temps ou la mortalité infantile est la plus sévère a-t-il pu les rassurer sur leur descendance mâle ? Rien, bien sûr, ne peut être affirmé sur ce point, mais on serait tenté de voir là, comme c’est de plus en plus le cas chez les élites du dernier siècle de l’Ancien Régime, l’illustration d’une tendance concomitante au malthusianisme et au resserrement sur la famille nucléaire. Celle-ci devient le lieu central de la vie quotidienne, le lieu de l’intime, de la tendresse, où l’on porte une attention de plus en plus grande à la santé et à l’éducation de chacun de ses enfants, mouvement qui naturellement conduit à la limitation des naissances37. Quoi qu’il en soit, les destinées des deux enfants puînés du couple ne nous sont pas bien connues. Ce que nous savons, c’est que comme beaucoup d’enfants d’officiers des finances et comme nombre de leurs oncles et tantes, ils ont embrassé une carrière ecclésiastique. Jeanne-Catherine est ainsi désignée dans l’acte de partage des biens de ses parents comme « demoiselle » ou « fille majeure » et nous apprenons par la procuration qu’elle a fait établir à Tours en 1761 qu’elle demeure au couvent des Ursulines, en la paroisse Saint-Florentin. Athanase-Hilaire devient chanoine, comme d’ailleurs la quasi-totalité des enfants d’officiers du bureau des finances de Tours38 qui embrassent le clergé séculier. À la suite de son oncle Louis-Bernard Graslin (1672-1750)39, il est clerc tonsuré du diocèse de Tours, sénéchal de Saint-Martin (possession en juin 1749) et meurt le 15 octobre 1771 à Saint-Georges-sur-Loire40. À Saint-Martin, Athanase-Hilaire est d’un rang inférieur aux neuf dignitaires du chapitre et perçoit à ce titre des revenus qui, sans être négligeables, ne sont pas considérables41. Le sénéchal, nommé comme les sept autres dignitaires inférieurs par le doyen, le trésorier ou le chantre, avait autrefois pour fonction de s’occuper des « hôtes du chapitre » mais au xviiie siècle cette fonction primitive n’existe plus que pour la forme. Sans pouvoir suivre précisément le destin de la sœur et du frère de Jean-Joseph-Louis, nous verrons qu’ils émailleront le récit de la vie de leur aîné et qu’un destin tragique et proprement stupéfiant est réservé au plus jeune des enfants Graslin.
8Jean-Joseph-Louis Graslin, l’aîné, n’a pas encore 16 ans à la mort de son père. Qu’a-t-il fait jusqu’ici et à quoi le destinait-on ? Dans ses premières années, rien ne prouve qu’il ait été placé en nourrice, mais nous savons que cette pratique, sans être la règle, était très courante à cette époque et dans ce milieu social. À sept ans, le moment où l’on « passait aux hommes » dans les milieux aristocratiques et où commençait l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, deux solutions sont envisageables relativement à la profession et à la fortune de ses parents. Soit le petit Jean-Joseph-Louis a été confié à un précepteur, soit il a commencé à fréquenter les petites classes d’un collège ou celle d’un maître d’écriture. Les deux principaux biographes de Graslin s’accordent pour dire qu’il fut placé « fort jeune42 » et « de bonne heure43 » dans un collège. Leur entente s’arrête cependant sur ce constat de portée générale puisque R.-M. Luminais avance l’idée selon laquelle c’est chez les oratoriens de Juilly, au sud de Paris, que Graslin entra44 tandis que J. Desmars pense au contraire qu’il étudia chez les jésuites de Louisle-Grand45. Arrêtons-nous un instant sur ces premiers éléments. Les biographes de Graslin émettent un jugement de valeur et non de fait lorsqu’ils évoquent l’âge d’entrée de l’élève au collège. En fait, un collège de plein exercice comprend normalement quatre classes dites « de grammaire » (de la 6e à la 3e), puis deux classes « d’humanités » (la « 2de » et la « 1re », qu’on appelle aussi la « rhétorique ») et enfin une classe de « philosophie » répartie sur deux années (l’année de « logique » et l’année de « physique »)46. Mais en fait beaucoup de collèges commençaient à recruter avant la classe de 6e en proposant des 8e et 7e dans lesquelles les enfants apprenaient à lire et à écrire. Toutefois cette notion d’années ne prouve rien quant à l’âge des élèves en question. Si comme de nos jours, la majorité d’entre eux intégrait la 6e à l’âge de 11 ou 12 ans et la 2de vers 16 ans, les variations autour de cette moyenne étaient en revanche beaucoup plus importantes : on trouvait en 6e des élèves ayant entre 8 et 15 ans et en 3e entre 12 et 20 ans47. Par conséquent, l’entrée en 8e pouvait se faire dès 6 ou 7 ans. Donc même si Graslin est placé dans un collège – ou dans un établissement qui y est rattaché – avant l’âge de 8 ans, cela n’a rien d’exceptionnel et constitue même de plus en plus une règle tant l’élévation du niveau et la normalisation des cursus deviennent prégnants au début du xviiie siècle. Mais où Graslin fut-il placé ? En fait ni Luminais ni Desmars ne prouvent leurs assertions. Ce dernier, qui a consulté les registres d’inscription au collège de Juilly, veut prouver que Graslin n’est pas allé chez les oratoriens48, mais il ne fait état d’aucune pièce démontrant l’inscription de l’élève à Louis-le-Grand ! Si les registres de Juilly ne mentionnent effectivement pas la présence d’un Graslin portant le prénom de Jean-Joseph-Louis et originaire de touraine pour la période considérée (1733-1746)49, on ne peut malheureusement rien dire d’aussi définitif en ce qui concerne Louis-le-Grand. En effet, les registres d’inscription de cette période ont aujourd’hui disparu et les recherches que j’ai menées ne permettent pas de conclure : le nom de Graslin ne se trouve ni aux Archives Nationales dans les cartons relatifs au collège, ni dans les archives encore disponibles à Louis-le-Grand, ni dans celles des jésuites de Vanves, ni enfin dans les ouvrages de G. Dupont-Ferrier, le principal historien du collège et lycée50. Mais la tradition orale, qui fait de Graslin un ancien élève du prestigieux établissement parisien, n’est peut-être qu’une méprise assez compréhensible.
9Ce qui est incontestable en effet, c’est que Graslin, au milieu des années 1740, est l’élève du collège parisien de Dormans-Beauvais51, situé non loin de Louis-le-Grand, rue Jean-de-Beauvais, dans l’actuel 5e arrondissement de Paris. Cette information est-elle contradictoire avec sa présence à Louis-le-Grand ? A priori, non, car il faut savoir que l’Université de Paris n’a jamais reconnu Louis-le-Grand comme collège universitaire de plein exercice52. En pratique, les jésuites parisiens ne pouvaient donc délivrer aucun des grades qui couronnaient le cursus de la classe de philosophie. Pour obtenir aussi bien le baccalauréat (après la « physique »), que la maîtrise ès arts, il fallait quitter Louis-le-Grand après la classe de rhétorique et s’inscrire dans un autre collège de l’Université de Paris. Toutefois, concernant le cas Graslin, la chose n’est pas déterminante puisqu’il était en fait possible de s’inscrire dans une Faculté de Droit dès après la classe de rhétorique53. Or, ce sont des études juridiques qu’il suivit par la suite, il serait par conséquent étrange que Graslin ait quitté Louis-le-Grand pour Beauvais dans le but d’accomplir une classe de philosophie dont il n’avait pas nécessairement besoin. Le plus vraisemblable c’est que Graslin a bel et bien suivi, avec ses condisciples et amis le futur diplomate Pierre-Michel Hennin54 – avec qui il va entretenir une importante correspondance55 – et le futur homme de lettres Claude-Pierre Patu56, le cursus standard jusqu’à l’âge de 19 ans en classe de philosophie à Dormans-Beauvais. Cette idée selon laquelle il aurait fréquenté Louis-le-Grand provient peut-être tout simplement d’une méprise, qui fait suite à la réunion des deux collèges après l’expulsion des jésuites en 1762. En 1764 en effet, le collège de Dormans-Beauvais va investir les locaux de Louis-le-Grand, et, de 1764 à 1792, on a pu lire au-dessus de la nouvelle porte d’entrée une inscription latine qui mentionne les noms des deux établissements57. Ne formant désormais plus qu’un, il est possible que la tradition orale ait fait de Graslin un ancien de Louis-le-Grand, car c’est ce nom qui passera dans l’histoire, celui de Dormans-Beauvais venant à s’éteindre après la Révolution et la Restauration.
10Cette émigration prouve en tout cas que sa famille destinait le jeune homme à une brillante carrière qui nécessitait un collège parisien de grande réputation58. C’est en 1370 que le cardinal Jean de Dormans ( ?-1373), évêque de Beauvais et chancelier de Charles V, a fondé le collège qui porte son nom59. Au xviiie siècle, Dormans-Beauvais est un des dix collèges de plein exercice de l’Université de Paris et comme ailleurs, l’enseignement y est gratuit60. À l’époque de Graslin, l’établissement passe pour être un repaire du jansénisme : la quasi-totalité du corps professoral revendique son appartenance à cette doctrine et ses régents les plus célèbres, Rollin et Coffin61, vont d’ailleurs s’élever vivement en 1739-40 contre la reprise en main de l’Université de Paris par le nouveau recteur Armand de Rohan-Ventadour62. Les liens entre jansénisme et parlementarisme sont connus ; on ne s’étonnera donc pas de trouver à Beauvais un nombre très important d’enfants de magistrats. Le collège peut même se prévaloir d’avoir formé les plus brillants avocats du temps63, et il semble logique que la famille de Graslin, qui considère les études juridiques comme un marchepied vers les finances, ait placé l’enfant à Dormans-Beauvais.
11D’octobre 1746 à avril 1748, Graslin est inscrit à la Faculté de Droit de Paris64. Les études qu’il y suit durent normalement trois ans jusqu’à la Licence. La première année « c’est par les principes de la jurisprudence canonique et romaine contenue dans les Institutes que commencera l’élève65 ». En seconde année, on étudiera le Digeste, les Décrétales et leurs commentateurs. Si en troisième année l’étudiant poursuit son étude du droit canon et du droit civil, l’édit d’avril 1679 impose un enseignement de « droit français », « en langue vulgaire, qui doit préparer à l’étude des ordonnances royales et des coutumes66 ». On le voit, l’enseignement est tout de même largement dominé par les matières traditionnelles – en latin – ce qu’un Diderot ou un Brissot ne manqueront pas de dénoncer67. Mais comme le souligne H. Leuwers, il ne faut pas oublier que dans bon nombre d’établissements, « les cours de droit romain ou de droit canon intègrent la présentation des ordonnances et des usages provinciaux, contrebalançant l’enseignement des principes par celui de leur traduction dans la législation en vigueur68 ». Quoi qu’il en soit, pendant sa seconde année, l’étudiant supplie pour son premier examen, le baccalauréat, qu’il passe devant un jury de quatre examinateurs pendant une heure. « S’il réunit les suffrages, il supplie alors pour sa thèse, un jeudi de préférence, et il la soutiendra après un délai minimum de six semaines. La soutenance, publique, dure deux heures69. » En troisième année, à l’issue de l’enseignement de droit civil français, la même procédure recommence pour la Licence, dont la durée de soutenance de thèse doit normalement être de trois heures. Mais à côté de cet enseignement théorique et des grades qui y sont afférents, les étudiants qui se destinent à la profession d’avocat (la quasi totalité de ceux qui font des études juridiques) sont tenus par la déclaration royale du 13 juillet 1693 d’effectuer chez un homme de loi (généralement un avocat ou un procureur) un stage d’au moins deux ans. Si l’on reprend les éléments de ce cursus honorum, Graslin aurait dû supplier pour son baccalauréat à la fin de l’année 1747 ou au début de 1748, comme son camarade Hennin, et travailler en même temps chez un professionnel. La correspondance assidue que notre homme entretient avec son ami à compter de septembre 1748 nous conte cependant une tout autre histoire.
12Comme d’autres élèves avec lui, Graslin a bien été quelques mois clerc, c’est-à-dire « stagiaire », chez M. Cotterau, procureur du Roi au Châtelet, qui habite rue des Canettes. Il ne loge cependant pas chez le magistrat, mais non loin de là, rue de Buci, dans l’actuel 6e arrondissement70. Or au printemps 1748, Graslin, qui ne s’est jamais inscrit au moindre examen, décide de quitter son procureur en faisant croire à ce dernier que c’est sa mère qu’il lui en a donné l’ordre. Cette dernière, demeurée à Tours et se doutant de quelque chose, envoie un émissaire à Paris et découvre les mensonges de son fils : celui-ci n’est plus étudiant, et a, visiblement, d’autres projets en tête. Quels sont-ils ? Nous apprenons par ses lettres à Hennin, que Graslin est tombé amoureux d’une jeune fille, Melle Joli ou Joly71. Souhaite-t-il se marier ? Il ne le dit pas, mais ce qui est certain c’est que tout occupé par ses amours, il va à la fois délaisser puis abandonner ses études et multiplier les dettes jusqu’à craindre d’être arrêté. D’ailleurs à cette époque, Graslin montre tous les dehors d’un homme résolu. Apprenant que sa mère le fait rechercher et qu’un ecclésiastique correspondant au signalement de son oncle paternel le chanoine sénéchal Louis-Bernard Graslin, était venu s’enquérir de sa présence chez M. Cottereau, il quitte son logement, prend un garni dans lequel il force la logeuse à ne pas l’inscrire sur le registre, change ses vêtements et achète même deux pistolets. Après plusieurs affaires rocambolesques dont nous ne saurons jamais la teneur exacte, Graslin décide de sortir de la clandestinité et de s’ouvrir de ses déboires aux autorités. L’officier qu’il rencontre refuse de lui prêter de l’argent pour rembourser ses dettes, mais il le rassure : ni lui ni sa famille n’ont pour projet de le faire arrêter. Il décide alors d’écrire à sa mère qui lui envoie finalement de l’argent et il rentre à Tours au début de l’été 1748. En septembre, il s’y trouve toujours et travaille un peu son droit grâce à quelques ouvrages72. À cette date, nous perdons sa trace pendant quelques années. Est-il rapidement de retour à Paris ? C’est le plus vraisemblable car la correspondance avec P.-M. Hennin, qui réside tantôt à Paris, tantôt à Versailles, s’arrête entre 1748 et 1751. Or quand deux correspondants réguliers ne s’écrivent plus, c’est généralement qu’ils se voient en direct. Et en 1749-1750 nous savons que Hennin travaille à Paris au dépôt des archives des Affaires étrangères sous la direction de M. Ledrain. Ce n’est qu’en 1751 qu’il intègre les bureaux de Versailles et qu’à partir de 1752 qu’il commence à voyager à travers l’Europe73. Cette hypothèse d’une présence des deux amis à Paris pendant les années 1749-1750 est d’ailleurs renforcée par le ton de leurs lettres à la reprise de la correspondance : Hennin se plaint le 13 juin 1751 que depuis qu’il est à Versailles, « tout le monde [l]’oubli74 » à Paris et quelques jours plus tard Graslin signale dans une lettre écrite de cette dernière ville que l’absence de son camarade « fait un vuide chez moi que je n’ai pas encore rempli75 ». Mais que fait Graslin dans la deuxième capitale du Royaume ?
13Nous apprenons en cette même année 1751 que si à la paume, dont il est devenu un « grand joueur76 », Graslin a beaucoup de succès, il n’en va pas de même en matière judiciaire puisqu’il vient de perdre un second procès pour le compte de sa mère. Nous ne connaissons pas la teneur de ces affaires, mais un élément nous intéresse plus particulièrement : Graslin serait-il devenu avocat pour que sa famille lui confie ses procès ? Il n’en est rien. De nouveau, il est clerc chez M. Caillou, un procureur du Châtelet, qui cette fois-ci le loge rue Montorgueil77, mais il n’a toujours obtenu aucun grade. Finalement78, il se décide à se réinscrire aux examens de la Faculté de Droit en avril 1752. Les choses reprennent un cours normal : il est admis au baccalauréat en droit canon et droit civil le 30 décembre 1752, puis obtient sa licence le 3 septembre de l’année suivante79. Si l’on fait le total de ses inscriptions – et comme 85 % des étudiants ayant acquis leurs grades80 – Graslin a bien accompli les 3 années requises, puisqu’il était inscrit 1 an et demi entre 1746 et 1748, puis une autre année et demie en 1752-1753. Or plus que l’assiduité ou la préparation des examens, c’est le nombre d’inscriptions qui permettait d’obtenir la licence en droit81. Ayant également accompli un stage d’une durée totale de plus de deux années, Graslin, comme tout licencié en droit qui fait le serment devant la cour « d’observer les ordonnances, arrêts et règlement de cour » et qui s’acquitte de certains droits, peut alors porter le titre d’avocat du Roi au Parlement de Paris.
14À cette époque, certains traits de sa personnalité commencent à se dévoiler. Peut-être plus encore que les jeunes gens de son milieu, il est un assidu des spectacles parisiens. Il décrit en détail à Hennin ceux de la Comédie française, du Théâtre Italien, de l’Opéra Comique. Il est de toutes les représentations jusqu’à connaître les livrets par cœur et suit avec empressement la carrière des nouvelles actrices. Sa vie amoureuse continue d’être un roman – qu’il entreprend d’ailleurs d’écrire – dans lequel les salles de spectacle sont le théâtre. En 1752, il souhaite ainsi se marier, du moins s’est-il ouvert de ce projet à Hennin82, et peut-être la personne convoitée est-elle la même qu’en 1748. Sa mère, qui a réussit à lui faire reprendre ses études, est au courant que son fils fréquente une jeune fille et peut-être se doute-t-elle de ses projets d’union. Au début de l’année 1752, elle prétexte une grave maladie pour le faire revenir à Tours. Graslin quitte Paris sur-le-champ et se trouve fort marie lorsqu’il découvre qu’elle se porte comme un charme. Pendant plusieurs semaines, elle parvient à le garder près d’elle et entreprend de lui faire renoncer à ce mariage. Le père de la jeune fille n’est pas plus favorable à cette union que la mère de Graslin puisqu’il l’a mise au couvent après avoir découvert leur liaison83. Alors qu’il est de retour à Paris à Pâques 1752, Graslin tente des démarches auprès du curé de Saint-André-des-Arts pour adoucir le père de la jeune fille, mais rien n’y fait. Il fait alors plusieurs tentatives pour pénétrer incognito dans le couvent où elle est retenue, sans y parvenir. Sachant cependant par les domestiques de la maison qu’elle allait un soir en sortir pour aller au spectacle avec son père, il se déguise et pénètre dans leur loge. N’ayant pas été reconnu, il engage la conversation, donne du « madame » à la jeune personne et parvient même à lui prendre la main. La fille retourne dans son couvent et l’affaire en reste là jusqu’au mois de juin 1752 où sa mère vient à décéder. L’apprenant, Graslin en profite pour s’enquérir du bien de sa famille. Et c’est ici que l’on comprend que les discours de sa mère et ses propres désirs d’ascension sociale devaient entrer en conflit avec ses dispositions amoureuses : « Sa mère est morte il y deux mois et à cette occasion j’ai entendu dire qu’il n’y avait pas a beaucoup près autant de biens dans cette maison qu’on le croyait. Ces bruits la méritent attention. Le père vient de faire faire inventaire. Je sais quel est le notaire qu’il l’a fait, un de mes amis doit s’informer par les moyens des clercs a combien il se monte et je réglerai mon amour ou du moins mes démarches sur ce que j’apprendrai. […] Il y aurait trop d’extravagance à moi d’encourir la disgrâce de ma mère […] et cela pour me rendre malheureux avec ma penelope84. » Nous ne saurons sans doute jamais s’il s’agissait d’une passade ou de la jeune Melle Joly qu’il avait rencontré plusieurs années auparavant. Ce qui est certain, c’est que le mariage n’aura jamais lieu et que ce projet avorté n’est sans doute pas sans rapport avec la faiblesse de la fortune de la jeune fille en question. Ce dernier trait du caractère de Graslin est à mettre en rapport avec sa carrière judiciaire. En effet, s’il suit des procès pour le compte de sa mère et même s’il ne plaide pas – ou du moins pas seul –, elle lui fait reproche de les avoir perdus. Mais – et c’est un point d’importance – on comprend dès cette époque qu’il se désintéresse de la carrière d’avocat et qu’il fait même preuve d’un certain mépris envers l’institution judiciaire. Parlant des deux échecs (qu’il s’impute), il marque son ironie à Hennin : « Je viens encore de perdre un procès pour ma mère mais moins considérable que le premier. Tu vois, je ne suis pas heureux aux jeux d’hasard85. » Comme nous pouvons le supposer, Graslin n’a pas été envoyé à Paris faire son droit pour embrasser la carrière du barreau, et il est très conscient des espoirs que sa famille a placés en lui. Devenir avocat n’est qu’un marchepied vers une destinée qu’on espère autrement plus brillante.
15Mais l’ambition ne guide pas seulement les pas de Jean-Joseph-Louis. Son frère Athanase-Hilaire va en faire la démonstration tragique à la noël 1753 ou dans les premiers jours de l’année 1754. Nous apprenons en effet par une lettre à P.-M. Hennin datée du 4 juin 1759 que le chanoine sénéchal de Saint-Martin de Tours s’est livré à une tentative d’empoisonnement sur toute sa famille : « Je crois t’avoir parlé de la malheureuse affaire de mon frère qui d’un seul coup a essayé de faire périr il y a 5 ans et demi ma mère ma sœur et moi en mettant de l’arsenic dans un plat d’œufs a la neige. J’obtins dans le temps sur l’exposition que je fis de cette affreuse aventure à M. De St Florentin un ordre du roy pour le faire enfermer dans la maison des frères de la charité de Senlis86. » Comment expliquer ce geste ? Bien sûr la main d’Athanase-Hilaire a pu être guidée par des motifs personnels que nous ignorons, mais il faut aussi prendre en considération le régime successoral tourangeau qui accorde à l’aîné mâle des enfants les deux tiers des biens de ses ascendants disparus, le tiers restant étant partagé entre les autres descendants87. En 1753, Athanase-Hilaire est un chanoine subalterne depuis quatre ans qui n’a plus d’espoir d’être le seul descendant mâle de sa lignée et sans doute jalouse-t-il son frère aîné, en qui sa famille investit tant. Joseph-Louis disparu depuis déjà 10 ans, le partage de ses biens est probablement à l’ordre du jour maintenant que ses enfants ont tous atteints l’âge adulte, le plus jeune d’entre eux passe alors à la tentative de meurtre. La chose est d’autant plus probable qu’au début des années 1750, Louis-Bernard et Louise-Françoise Graslin, frère et sœur de Joseph-Louis, ainsi qu’Agnès Pelletier, une de ses nièces, sont décédés et que leurs biens doivent également échoir à Jean-Joseph-Louis Graslin comme principal héritier mâle. Or, dans l’acte de partage, qui n’interviendra qu’en 1761 – retardé peut-être à la suite de la tentative d’assassinat – nous apprenons que les biens de ces trois personnes réunies s’élèvent à la coquette somme de 17 980 livres88. Si à cela on ajoute les 40 000 livres du père, Joseph-Louis Graslin, dont le partage s’effectue en même temps, on comprendra qu’il y avait là de quoi aiguiser quelques appétits. Comme il se doit dans une famille de notables qui veut éviter le scandale, l’affaire n’est pas portée devant les tribunaux. Jean-Joseph-Louis s’adresse directement au département de la Maison du Roi, c’est-à-dire à Louis Phélypaux, comte de Saint Florentin, puis duc de la Vrillière (1705-177789) en charge des lettres de cachet. Pour étouffer le scandale tout en punissant le coupable, la famille use donc d’une procédure d’exception qui permet d’enfermer l’ecclésiastique dans la maison des frères de Saint-Jean-de-Dieu à Senlis, institution vouée au traitement des aliénés90. Mais comme nous allons le voir, c’est par l’intermédiaire d’un autre personnage que Graslin obtient cette lettre de cachet et en activant à plusieurs reprises cette relation de cour, Jean-Joseph-Louis va tenter de gravir les échelons de la société d’Ancien Régime avec des manières plus conformes à l’usage de son temps que celles de son frère91.
16En 1751, nous découvrons en effet dans la correspondance qu’il entretient avec Hennin un élément troublant. Il demande à son ancien condisciple où et quand rencontrer à Paris l’abbé de Saint-Cyr92, sans aucune autre forme d’explication. Odet-Joseph de Vaux de Giry, abbé de Saint-Cyr, est un jésuite né à Lyon en 1694. D’abord nommé en 1736 sous précepteur du Dauphin de France, il devient ensuite son confesseur, pour enfin accéder à la charge de conseiller d’État et entrer à l’Académie française (1742). Il est surtout célèbre pour avoir participé au sein du parti dévot à la cabale anti-philosophique des « Cacouacs93 ». Mais c’est un autre élément de sa biographie qui nous intéresse plus particulièrement : l’abbé de Saint-Cyr obtient, vraisemblablement dans les années 1720, le titre de grand vicaire et chanoine de l’Église de Tours94. Or dans cette place, il devient le supérieur direct de François Graslin, frère de Joseph-Louis et oncle de notre homme, prêtre, chanoine prébendé de l’Église de Tours et prieur de Coron en Poitou95. En tant que prébendé, Louis Graslin appartient à la hiérarchie supérieure de l’Église de Tours et a par conséquent pu se lier assez aisément avec un homme qui est certes issue d’une famille autrement plus prestigieuse que la sienne, mais encore jeune et dont la carrière n’a pas vraiment commencée.
17Renoul, Luminais et Desmars évoquent chacun un mystérieux personnage qui aurait fait bénéficier Graslin de ses grâces. Tantôt il s’agit d’ » un parent, fermier général, jouissant à la cour d’une grande considération et d’une faveur méritée96 », ou seulement « d’un de ses parents très influents à la cour97 » qui lui aurait soit obtenue, soit conseillé d’obtenir, une place de receveur général des fermes à Saint-Quentin, aujourd’hui dans le département de l’Aisne, en 1757. Il est certain que Graslin n’a pas dans sa famille, même au sens large, un fermier général. Il n’a vraisemblablement même pas un « parent » au sens strict à Versailles, mais un homme qui s’est lié avec son oncle et qui devient – comme c’est la règle dans une société de cour où règne un système pyramidal de « clientèle » – un protecteur de la famille Graslin. Cet homme, c’est l’abbé de Saint-Cyr. Il facilite ou indique les démarches à suivre, transmet les requêtes et parle à qui il convient de ceux dont il veut faire avancer les affaires. Souhaitant ainsi faire transférer son frère de Senlis au Mont-Saint-Michel, il écrit à Hennin le 4 juin 1759 : « Tu peux voir de ma part à ce sujet M. l’abbé de St Cyr qui m’a toujours témoigné des bontés particulières et qui s’est employé dans le temps auprès de M. de St Florentin pour me faire obtenir l’ordre en question98. » Nous ne savons pas si Athanase-Hilaire Graslin sera un jour déplacé chez les bénédictins du Mont-Saint-Michel, mais ce qui est certain c’est que Jean Joseph-Louis souhaite le voir dans un lieu de détention plus strict et sans doute mieux gardé que la maison de Senlis. On veut une « maison forte » plutôt qu’une « maison de correction » car Athanase-Hilaire, qui est encore plein de « fausseté » et de « dissimulation », n’a jamais pris conscience « de l’énormité de son crime99 ». Hormis sa présence au mariage de Jean-Joseph-Louis en 1765 à Nantes, nous perdons la trace du frère puîné de Graslin jusqu’à sa mort en 1771.
La « douceur de vivre » à Saint-Quentin
18Mais que veut dire Graslin lorsqu’il évoque les « bontés » qu’a toujours eues pour lui M. de Saint-Cyr ? S’agit-il de cette fameuse place de receveur des fermes à Saint-Quentin évoquée par les biographes ? Sans doute pas, car comme nous allons le voir, l’affaire de Saint-Quentin est en réalité un échec, au moins sur le plan professionnel.
19La correspondance Hennin-Graslin s’interrompt quatre ans entre août 1753 et août 1757, mais lorsqu’elle reprend, le 19 août 1757, la lettre de Graslin est adressée de Saint-Quentin. Il explique qu’il revient d’un séjour tourangeau de six semaines, où l’on a voulu le marier, mais il a su résister et il est de retour au « gîte ». Ce dernier terme sonnerait étrangement si l’on n’apprenait qu’il réside dans cette ville depuis près de trois ans100 et qu’il travaille « sans appointements » à la direction régionale des fermes générales. Que faut-il comprendre ? Ce n’est pas le lieu ici de détailler le fonctionnement complet du système d’imposition de l’ancienne France, mais quelques éléments doivent être rappelés cependant.
20À côté des grands impôts directs (taille, capitation, dixième, puis vingtième), l’État est comme de nos jours fort dépendant de nombreuses taxes indirectes. Les plus célèbres sont celles qui frappent la circulation des marchandises (les « traites »), les consommations (les « aides »), le sel (la « gabelle »), le tabac et les domaines. Les impôts directs sont perçus en régie : le Contrôle général des finances101 réparti la charge de l’impôt entre les généralités du royaume, et dans ces généralités entre les paroisses, puis assure la supervision de sa collecte grâce aux Intendants et à leurs subdélégués. Il n’en va pas de même des impôts indirects, qui sont affermés. L’esprit général du système est le suivant : depuis 1726 une compagnie de financiers, la Ferme générale102, avance à la monarchie une somme (négociée à chaque bail de six ans avec le Contrôle général) devant représenter la totalité des impôts indirects qu’elle se charge par la suite de collecter. La différence entre la somme versée au trésor royal et celle effectivement récoltée au cours de la période étant pour les Fermiers à perte ou à profit. Ce système a l’avantage pour le roi de ne pas avoir à salarier directement un personnel nombreux, de se voir avancer des sommes fixées à l’avance (donc moins sujettes aux fluctuations économiques) et, en utilisant des financiers intéressés à la recette fiscale, d’éviter que la collecte soit mal assurée. Au contraire, le roi se prive peut-être d’un surplus de recettes fiscales les bonnes années et surtout du profit que réalisent les fermiers entre le montant de la collecte et la somme effectivement versée. Les services centraux de la Ferme générale se trouvent à Paris à l’hôtel des Fermes rue de Grenelle-Saint-Honoré, près de Saint-Eustache. Si les Fermiers ne sont pas toujours les mêmes à chaque changement de bail103, ils « héritent des bâtiments et des bureaux, du matériel et de l’administration du bail précédent104 ». La Ferme est ainsi au xviiie siècle une administration rationalisée, disposant d’un personnel compétent. Pour assurer ses missions, elle dispose d’une véritable « armée privée » de milliers d’hommes qui contrôlent, arrêtent, perquisitionnent. Dans le royaume, elle est organisée en 42 directions provinciales des gabelles, traites, et tabac ainsi qu’en 156 directions des aides105. Ces bureaux assurent la perception effective des taxes indirectes, aux frontières et dans les ports bien sûr, mais également dans les nombreux postes de douanes qui existent entre et à même l’intérieur des généralités106. Trois personnages se partagent la direction effective de chaque direction régionale. À la tête, on trouve un directeur général qui assure la jonction entre les services parisiens et les employés locaux. Ses tâches principales sont la surveillance des opérations107 et la coordination des différents services. Avocat de la compagnie auprès des pouvoirs locaux, « [l]e directeur est placé sous la double dépendance des fermiers généraux, ses employeurs, et de l’intendant, représentant local de l’autorité de tutelle de la Compagnie108 ». En effet, au sein des départements des traites et du tabac, le travail est distribué par secteur géographique, chaque directeur étant sous les ordres d’un fermier général. Mais le directeur doit encore tenir compte des recommandations de l’Intendant en matière de règlements de police et lui faire remonter un certain nombre d’information sur les trafics et les procès-verbaux établis par la Ferme générale. Les receveurs généraux viennent en second dans la hiérarchie des services extérieurs de la compagnie. Comme le souligne J. Clinquart, « [l]eur rôle dépassait cependant celui de comptables centralisateurs ; il s’apparentait plutôt à celui des banquiers, car ces employés supérieurs étaient aussi amenés à payer des effets émis sur leur caisse par les fermiers généraux, les « rescriptions », et, pour certains d’entre eux […] à en créer d’autres en substitution d’espèces sorties de leurs caisses109 ». Le receveur faisait ainsi « travailler » à son profit l’argent collecté par ses services et était donc peu enclin à approvisionner rapidement la caisse centrale et à payer les fameuses rescriptions. S’il est formellement subordonné au directeur, le cautionnement de sa place était d’un montant beaucoup plus élevé que celle de son supérieur. Disposant d’une trésorerie qu’il utilise comme ses propres deniers, le receveur général avait ainsi une position à la fois plus risquée et plus lucrative que son directeur. Le troisième personnage de la hiérarchie est le contrôleur général. C’est cette fois un homme de terrain, qui assure la surveillance effective de la perception des droits et supervise les « brigades » qui luttent quotidiennement contre la fraude. Avant de revenir à Graslin, rappelons que ces trois places ne sont pas des offices, mais des emplois obtenus par protection et recommandation. Ils ne peuvent être achetés (il faut cependant les cautionner) et ne sont donc pas – en théorie du moins – transmissibles par héritage.
21Quel poste occupe notre homme à Saint-Quentin dans cette organisation ? Ce que nous comprenons au fil de la correspondance, c’est que Graslin n’a justement pas de rôle officiel et doit être « stagiaire surnuméraire » auprès de l’un des trois personnages susmentionnés. Comme le souligne Y. Durand, c’est là un passage obligé pour les futurs responsables de la Ferme, souvent d’abord formés aux carrières juridiques. Mais normalement les jeunes gens y restent un an110, non trois ou plus comme Graslin. Ce n’est cependant pas faute d’avoir essayé. Il a notamment sollicité la place de contrôleur général des fermes, mais sans succès, et il ne le regrette pas puisque ce qui l’intéresse par-dessus tout, c’est celle autrement plus importante de directeur général. Son titulaire, Pierre-Joseph Terrisse, est près de mourir, et décède au mois de septembre 1757111, mais la place est promise à un autre :
« La direction de St Quentin, qui était l’objet de mes vœux les plus doux, est sur le point de m’échapper. M. Terrisse allant se mourant, quelqu’un m’a dit qu’elle était promise a un homme protégé par Mde la Marquise112 ; j’aurais donné bien volontiers 15 ou 18 000 # [livres tournois] pour avoir l’agrément de cette place, ou encore plus volontiers une pension de cent louis sur la place et le plaisir que j’aurais eu a la payer aurait bien répondu de mon exactitude ; ne pourrais tu point trouver quelque porte, quelqu’honnête personne a qui cette pension fit plaisir et qui s’informerais si cette place est promise, et, au cas qu’elle ne le fut pas, qui en demandat l’agrément pour moi. Je suis dans le cas qu’on ne rougisse point de faire cette démarche pour moi, ayant déjà travaillé trois ans sans appointements et rapportant même des certificats de capacité. Cela serait plus facile si la nouvelle qu’on débit icy est vraye, scavoir que M. de Moras n’est plus Contr. Gnal, mais bien M. de Boulongne, qui pourrait ne pas tenir tous les engagements de son prédécesseur113. »
22Nous apprenons beaucoup de chose dans ce passage. Graslin travaille depuis plusieurs années à la direction de Saint-Quentin sans charge officielle, et par conséquent sans traitement. Il convoite la succession de M. Terrisse, mais elle va lui échapper car le Contrôleur général des finances en titre, Peyrenc de Moras114, l’a promise à quelqu’un d’autre. On comprend ici que Graslin manque cruellement d’appuis : il offre à Hennin la promesse d’une pension importante à quiconque l’aiderait à obtenir la place, sans savoir à qui s’adresser. Il en vient à espérer que le changement de ministère permette un retournement de la situation en sa faveur. Pourtant l’arrivée de Jean de Boullongne115 à la tête du Contrôle général des finances en avril 1757 ne changera rien à sa situation, à Saint-Quentin tout au moins. Contrairement à ce que ses biographes ont indiqués jusqu’ici, Graslin n’a donc jamais été receveur général des fermes à Saint-Quentin. Ce long séjour n’est cependant pas dénué d’intérêt.
23En premier lieu, Graslin y affirme jouir d’une société brillante, qui lui fait oublier les rigueurs que M. de Moras a pour lui et en second lieu, il explique comment sans s’enrichir réellement, il est partie prenante d’un petit commerce assez lucratif. Desmars relève que c’est à Saint-Quentin que Graslin aurait monté un théâtre de société, ou il joua quelques rôles importants, dont la Métromanie de Piron116. Sans donner de lieu, Luminais explique à son tour – toujours sans se départir de son ton de panégyriste – qu’il « connaissait presque par cœur tous les chefs d’œuvre de nos poètes les plus célèbres, en homme qui savait les apprécier et en sentir les beautés, et c’est sans doute pour les mieux comprendre qu’il prit des leçons de Lekain, dont il su si bien profiter, qu’on raconte qu’il joua avec le plus grand succès la Métromanie sur un théâtre de société117 ». Si Graslin ne donne aucune indication aussi précise à Hennin, nous le trouvons heureux à Saint-Quentin : « Je suis le plus content des hommes dans la petite société que je me suis faite icy, et dont je ne peux pas te peindre tous les charmes et les agréments. » Il ajoute que « je serais le plus content des hommes dans mon étroite et trop agréable société si j’avais la moindre place qui m’attachât icy118 ». Et à Hennin, qui le gronde de ne point trouver d’état, il plaide même que « si j’étais absolument maître de disposer de moi, je n’hésiterais pas à me fixer icy, et faute d’y trouver un état à ma convenance, je scaurais m’en passer. J’enverrais promener toute ta morale119 ». En filigrane, nous comprenons qu’il y a naturellement une femme dans cette affaire. En cherchant à se dédouaner de ce que Hennin considère comme un manque d’ambition, Graslin déclare : « Je voudrais bien que tu pu connaître par toi même mon excuse. Je ne scais pas si ta philosophie où ta raison trouverait encore des armes pour me combattre120. »
24Si l’on suit ses propres indications, Graslin est à Saint-Quentin depuis le milieu de l’année 1754. De quoi vit-il ? En partie des subsides que sa mère lui verse par anticipation sur sa part d’héritage et en partie également d’un commerce de céréales avec Paris :
« Je suis intéressé dans un petit commerce de grain qui m’a rapporté cette année pour 4 000#121 – quoique je n’y usse que 6 000# de fond. Le contrôle général que je demandais m’aurait moins rapporté et m’aurait engagé a de la dépense. Ce commerce consiste en une exportation toujours répété de ce grain cy pour Paris. Les gains ne sont pas considérables, mais ils sont extrêmement répétés. C’est une femme de Versailles nommée Mde Liger ou Leger, qui est à la tête de cette petite entreprise. Je ne suis connu de personne pas même de la fe Leger, m’étant mis de part a son inscu avec une personne qu’elle a associée. Au moyen de ce petit commerce qui se continu toujours, je suis dans le cas de demander peu à mes parents et vivre très bien icy, mais cela ne peut pas durer longtemps. Je crains les mauvais propos si on me voyait rester dans le pain sans aucun état ny raison apparente qui m’y retienne122. »
25Rappelons qu’à Saint-Quentin, Graslin se trouve dans la généralité d’Amiens en Picardie, zone dont les sols crayeux sont souvent réservés à la céréaliculture et qui constitue la deuxième zone d’approvisionnement du marché parisien123. Il ne détaille pas la façon dont ces blés sont acheminés, nous savons qu’ils l’étaient le plus souvent par voie de terre, mais dans le cas de Saint-Quentin, il est possible qu’ils aient emprunté l’Aisne, puis l’Oise et la Seine pour être débarqué au port de l’École, près Saint-Germain l’Auxerrois. Il ne nous renseigne ni sur la qualité des grains en question, ni sur leur prix, mais on ne s’étonnera pas du fait que Graslin dit avoir fait un bénéfice important « cette année », c’est-à-dire en 1756-57124. En effet, si l’on reprend les travaux de M. Baulant, on constate que le prix du setier de froment aux Halles de Paris (meilleure qualité) passe de 16 livres en 1756 (moyenne annuelle) à 22 livres en 1757 (moyenne annuelle125). Ce dernier prix commence à être très élevé, et même si l’on tient compte des différentes qualités de froment, l’amplitude nous donne une idée du mouvement général de hausse126, le setier descendant après 1757 en dessous de 20 livres jusqu’en 1766. La récolte de 1756 a été médiocre puisque partout en France les prix s’élèvent en 1757127, c’est donc durant la période de la « soudure » (mai-juillet) que les profits de Graslin ont du être les plus importants. Ces gains liés aux malheurs du temps font des marchands de grains des personnages extrêmement suspects aux yeux de l’opinion publique. Rappelons que dans l’inconscient collectif de l’Ancien Régime, ils sont même vus comme des « accapareurs » ou des « monopoleurs » en puissance, toujours près à spéculer sur le grain pour faire de hauts profits en affamant les peuples128. L’administration elle-même – la police – se méfie beaucoup des marchands et le commerce de blé étant partiellement administré129, elle les oblige à se déclarer auprès d’elle, mène des enquêtes de « moralité », pratique de nombreuses vérifications sur les stocks, les prix, etc. Elle contrôle tout particulièrement les « sociétés » ou « associations130 » opaques comme celle de Graslin et comme on peut douter, à la vue de ce qu’il explique à Hennin, que celui-ci se soit déclaré comme « marchand de grain » à la police locale, son activité entre dans la catégorie du très suspect. On comprend dès lors le caractère temporaire et semi clandestin qu’il donne à cette affaire. Ce ne peut être un « état » convenable pour un jeune homme comme lui que de se prévaloir d’un tel commerce.
26Cette situation ne pouvant durer, Graslin va devoir agir. Il écrit à Hennin le 19 octobre 1757 pour lui dire que M. Terrisse est mort et que la situation ne peut plus durer : « Je compte alors incessamment à Paris solliciter encore et peut être perdre encore mon temps131. » Le 2 novembre suivant, Hennin engage Graslin à venir lui-même à Paris rencontrer le Contrôleur général. Graslin suit-il les conseils de son ami ? Hennin intervient-il ? L’abbé de Saint-Cyr est-il de la partie ? Y a-t-il un quatrième personnage dans le jeu132 ? Nous ne le saurons probablement jamais. Quoiqu’il en soit, de la Haye ou Hennin se trouve avant de se rendre en Suisse, il écrit le 6 juillet 1758 à son ami : « Je ne scais ou te trouver mon cher Gr. Un comédien de ce Pays cy m’appris que tu avais obtenu une place considérable. Barbe qui le luy a écrit s’explique si mal que j’ignore ou et dans quel genre, je t’en fais cependant le compliment de tout mon cœur133. » Nous apprenons par l’almanach royal pour 1759 de quelle « place considérable » il s’agit : Graslin a succédé à M. de Marcenay dans la charge de Receveur général des Fermes, à la caisse du contrôle régional de Nantes. Contrairement à ce que l’on a cru jusqu’ici, si c’est bel et bien au milieu de l’année 1758 qu’il obtient la place, il ne semble entrer en fonction que l’année suivante. Au début du mois de juin 1759, il est en effet à Tours et il nous apprend qu’il revient d’un long séjour à Paris. Le 15 juin, il annonce à Hennin son départ définitif : « Je pars dans la minute, ma sœur que j’emmène avec moi a Nantes est déjà dans la voiture. Je t’écrirai le plus souvent que mes affaires qui sont considérables me le permettront ; mais tu auras moins besoin d’avoir de mes nouvelles car je me porterai bien134. » Graslin tiendra-t-il sa promesse ? Peut-être pas, car c’est sur ces derniers mots que la correspondance avec Hennin s’interrompt pendant vingt ans. Les deux amis s’éloignent, mais se retrouveront un jour. Une voiture attend Graslin et Hennin va bientôt partir pour la Pologne ou il a été nommé résident de France, les deux hommes s’en vont chacun vers un nouveau destin mais ils ont enfin embrassé un état à la hauteur des ambitions de leurs familles.
Le receveur général des fermes de Nantes : les débuts de la prospérité
27Quand Graslin arrive à Nantes en 1759, la ville est déjà florissante, et – si l’on fait abstraction de la guerre américaine – cette situation va aller croissant jusqu’à la Révolution. Nous ne reviendrons pas sur les causes commerciales de cette prospérité, liée au commerce en droiture avec les Antilles et à la traite des esclaves noirs135. Ce qui nous intéresse, c’est qu’à activité commerciale intense, correspond des perceptions de droits de douanes importants et c’est pour cette raison que la place de Graslin peut être considérée à l’époque même comme « considérable ». Quels sont les droits effectivement perçus à Nantes sur le trafic de marchandise ? Il est pratiquement impossible de les lister tant la géographie de la direction régionale de Nantes est complexe, et les droits afférents singuliers. Celle-ci comprend en effet une fraction de la Bretagne, à savoir le comté nantais dans son ensemble136, pays d’État et province réputée étrangère puisque appartenant à l’ancien duché, ainsi qu’une frange du Bas-Poitou, pays d’élection, qui relève du royaume à proprement parler137. Quoi qu’il en soit, les droits les plus importants sont ceux perçus sur les 2 000 navires de commerce qui fréquentent annuellement en moyenne Nantes et l’estuaire, ceux des bureaux côtiers et de l’intérieur des terres étant comparativement marginaux. Ainsi le produit brut des traites pour la seule prévôté de Nantes est-il d’abord compris entre 500 000 et 1 million de livres dans les années 1760, puis connaît un véritable « boom » de 1768 à 1778 (entre 1 000 000 et 1 500 000) et s’il chute pendant la guerre (1778-1782), il redevient enfin florissant lorsque les hostilités cessent : il est de 1 700 000 livres en 1784138.
28Concernant les traites, les choses se déroulent en pratique de la manière suivante : après avoir passé Saint-Nazaire en remontant le fleuve, un capitaine a 36 heures pour déclarer le contenu de sa cargaison aux employés de la Ferme. Une fois cette formalité accomplie, le débarquement des marchandises peut commencer : les commis pratiquent des inventaires et des pesés sur le quai de la Fosse ou dans les ports de Couëron et de Paimbœuf. Bien souvent, ils contrôlent directement les gabarres nécessaires au débarquement des marchandises139. Ces inventaires réalisés, « le paiement des droits déterminés devait avoir lieu dans un délai d’un mois à la recette particulière de la Prévôté140 ». Concernant le tabac, la Ferme générale possédait le monopole de l’importation et de la diffusion. L’approvisionnement se faisait surtout aux Antilles, le tabac étant ensuite traité dans l’une des neufs manufactures du royaume (Morlaix pour Nantes). Transformé, il était enfin conservé dans un entrepôt de la compagnie pour être vendus par des débitants141.
29À Nantes comme ailleurs, la direction provinciale se compose d’un directeur, d’un receveur et d’un contrôleur général. À la fin des années 1750 et au début de la décennie 1760, plusieurs directeurs se succèdent, mais à partir de 1766, les choses se stabilisent. Ainsi Graslin a-t-il eu MM. de Guerton de 1766 à 1777, puis Adine de 1778 à 1790 comme supérieurs142. Quant à lui, il fait preuve d’une belle longévité dans la carrière puisqu’il est receveur des traites sans discontinuer de 1759 à 1790. Il y a cependant une petite ambiguïté concernant le tabac car si les Almanachs royaux le signalent comme receveur du tabac de 1759 à 1776 puis de 1783 à 1790, ce n’est pas le cas sur la période 1777-1782. Le problème, c’est que personne d’autres n’est indiqué, donc soit il s’agit d’une omission (Graslin ou quelqu’un d’autres s’en occupe), soit le tabac n’est plus affermé durant ces années143. D’ailleurs il nous faut mentionner le fait que dans les autres provinces, traites et tabac sont rarement rassemblés dans les mains du même homme. Ajouté à la prospérité de la ville de Nantes, cet élément nous permet de mieux comprendre l’importance de la place que Graslin occupera jusqu’à sa mort.
30Directeurs, receveurs et contrôleurs doivent fournir une caution garante de leur bonne gestion aux services centraux parisiens. À Nantes, les montants sont les suivants : 30 000 livres en immeubles et 30 000 en espèces au début des années 1760 pour le directeur et 10 000 livres en espèces pour le contrôleur. Le receveur, qui manie les fonds et qui, comme on l’a vu, a des activités qui s’apparentent à de la banque, doit fournir une caution d’une toute autre ampleur : à Nantes et toujours pour le début des années 1760, il s’agissait pour les traites de 136 000 livres en immeubles et 68 000 en espèces et pour le tabac de 100 000 livres en immeubles et de 63 000 livres en espèces144. Soit un total de 367 000 livres, somme considérable que Graslin, en 1758, ne possède pas. Les traitements des employés sont à Nantes de l’ordre de 10 000 livres pour le directeur (appointements fixes et frais), de 3 800 livres pour le contrôleur général et seulement de 1 200 livres pour le receveur général. Cette somme médiocre s’explique aisément : la place de receveur est de loin la plus lucrative puisque ce personnage peut placer les sommes collectées et les investir, ce qui lui assure un bénéfice, dans une ville comme Nantes, de plusieurs dizaines de milliers de livres par an.
31Mais comment Graslin a-t-il payé son cautionnement ? Nous ne le savons malheureusement pas. Il dispose tout au plus à cette date d’une fortune de 30 à 35 000 livres ; et s’il a pu emprunter à des parents, il paraît très improbable qu’il ait pu réunir une telle somme en ne faisant intervenir que son clan. Plusieurs hypothèses – qui ne s’excluent pas l’une l’autre – sont alors envisageables. Soit les sommes rapportées sont des sommes théoriques, qui n’ont pas été versées en totalité145, soit le receveur les a payée en plusieurs fois, soit – c’est le plus probable – un ou plusieurs tiers se sont portés caution avec, voire à la place de Graslin en tant que fidéjusseur146. Nous savons qu’en 1790, à sa mort, c’est ce qui se produisit : sa veuve se porte caution pour qu’Antoine-Louis, leur second fils, obtienne la charge de son père147 et pour ce faire elle fait appel au banquier de Graslin, Magon de la Balue148, pour qu’il avance la somme de 153 000 livres149. Magon est un des plus importants banquiers de la place de Paris et avec plusieurs autres, il crée même en 1767 un établissement susceptible de financer des avances au trésor royal. Parmi d’autres, on trouve dans cette entreprise un personnage qui est lui aussi issu d’une dynastie de financiers, même s’il ne fut pas fermier général : Charles-Pierre Savalette de Magnanville (1713-1790)150. Graslin entretient une correspondance avec ces deux hommes151. Puisque l’un est son banquier et l’autre garde du trésor royal, cela n’a rien d’étonnant. Pourrait-on dès lors imaginer qu’en 1758 déjà l’un d’entre eux se fut porté caution pour Graslin ? Lachose n’est pas impossible, surtout pour Savalette de Magnanville qui a dû très certainement nouer des contacts avec les familles Graslin et Delavau lorsqu’il était Intendant de Touraine (1745-1756152). Peut-être joua-t-il également un rôle dans l’obtention de la place ? Ce qui est certain, c’est que Graslin étant maintenant pourvu d’un « état », il a dû lui sembler temps de faire procéder au partage définitif des biens de son père, et comme nous allons le voir, ceux-ci ne permettaient pas son cautionnement.
32Ce partage eut lieu devant le notaire parisien Daruelle le 12 juin 1761153. Graslin, sa mère ainsi que son frère et sa sœur sont absents. Tous les quatre sont représentés par des personnes ayant procuration154. Comme nous l’avons déjà vu, deux successions interviennent ce jour-là : celle de Joseph-Louis Graslin d’une part et celle de son frère Louis-Bernard, de sa sœur Louise-Françoise ainsi que de sa nièce Agnès Pelletier, d’autre part. De son père, Graslin doit hériter de 31 294 livres. Il en a déjà touché 12 209 par anticipation, sa mère lui doit donc encore 19 085 livres. Son frère et sa sœur ont déjà reçu 6 299 livres et leur mère leur doit encore 4 674 livres chacun155. De ses oncle, tante et cousine, Jean-Joseph-Louis va recevoir 11 986 livres tandis que son frère et sa sœur toucheront 2 997 livres chacun. Grâce à ces héritages, Graslin se trouve donc à la tête d’une très belle somme (31 071 livres), mais peut-être la majeure partie est-elle déjà engagée pour son cautionnement. Cet argent reste cependant un capital que Graslin va habilement s’employer à faire fructifier.
Le temps de la joute : l’économie politique
33Le 19 novembre 1765, notre homme se marie à Chantenay en l’église Saint-Martin en présence – outre sa belle famille – de sa mère, sa sœur et son frère, peut-être libéré pour l’occasion156. Malheureusement, le contrat passé le jour précédent à Nantes devant le notaire Fouquereaux a aujourd’hui disparu des archives départementales de Loire-Atlantique157. Nous savons cependant qu’il épousa Renée-Magdeleine-Jeanne Guymont, fille de Hugues Gatien Guymont, directeur des vivres de la marine résidant à Chantenay et de Renée Cazalis de Pradine158, dont le frère est conseiller au présidial de Nantes. La date de naissance de Renée-Magdeleine-Jeanne à jusqu’ici été incertaine. Luminais déclare qu’elle était « à peine âgée de dix-sept ans » en 1765159, information qui est reprise par Desmars en 1900. En fait, elle a plus de 18 ans à la date du mariage puisqu’elle est née le 14 juillet 1747 et a été baptisé à Chantenay en la paroisse Saint-Martin le même jour160. Elle meurt à Nantes le 19 mai 1818161. De ce mariage naîtront six enfants, dont quatre seulement atteindront l’âge adulte162.
34Avec l’année 1766, nous entrons de plain-pied dans les activités tant théoriques que pratiques de Graslin qui font l’objet de ce volume. La tradition orale, à laquelle Luminais et Desmars font écho, a toujours souligné les grandes dispositions que Graslin aurait eues en mathématiques163. Nous n’avons aucune preuve tangible de cette affirmation, mais il faut quand même noter que dans ses travaux économiques, si les calculs sont réduits au strict minimum, il n’en reste pas moins vrai que Graslin fait preuve d’une rigueur logique qui s’apparente à celle du calcul mathématique. En fait, sa formation classique au collège de Beauvais, et notamment les cours de rhétorique de Crevier164, ainsi – et peut-être surtout – que ceux de Rivard165, son professeur de philosophie et de mathématiques, ont du marquer l’élève. Cette rigueur aurait, ses biographes le soulignent, engagé Graslin à poursuivre par lui-même ses études dans le champ de la science économique alors naissante. Nous ne disposons là non plus que de bien peu de preuves matérielles. Dans l’Avertissement de son Essai analytique sur la richesse et sur l’impôt (1767), Graslin précise qu’il est « occupé depuis longtemps à étudier les éléments de la science économique166 » et nous savons qu’en 1761, il se fit inscrire comme membre fondateur de la Société royale d’Agriculture de Touraine167. Cette société était composée de trois bureaux : l’un à Tours, l’autre au Mans et le dernier à Angers. Graslin participait-il assidûment aux travaux de l’un d’entre eux ? Nous ne le saurons probablement jamais puisque, comme nous l’ont confirmé les Archives départementales d’Indre-et-Loire, les papiers de cette société ont aujourd’hui disparu. Luminais et Desmars avancent encore que Graslin aurait été l’ami et le correspondant de l’économiste Forbonnais168. Là encore, les preuves matérielles manquent. L’inventaire après décès de Graslin ne mentionne pas de lettres à un quelconque économiste169 ; quant aux papiers de Forbonnais, la plupart ont disparu, vraisemblablement dès la Révolution. Il n’est pourtant pas impossible que des éléments viennent prochainement accréditer une idée aussi séduisante que probable.
35François Véron Duverger de Forbonnais (1722-1800170) a en effet beaucoup de points communs avec Graslin. D’abord il faut relever que le propre père de Forbonnais est secrétaire perpétuel du bureau du Mans de la société d’agriculture de touraine et Forbonnais lui-même, dans les années 1770-80, y présentera plusieurs de ses travaux agronomiques. Ensuite, comme Graslin, Forbonnais est un farouche opposant de la physiocratie. Lorsque le nantais se lance à la suite de la publication de son ouvrage dans une controverse avec le physiocrate Baudeau, il fait paraître deux lettres dans le Journal de l’agriculture, du commerce et des finances, dont Forbonnais est l’un des principaux contributeurs. Ce dernier ne manque d’ailleurs pas, sous le pseudonyme de M. ABCD, d’y louer l’ouvrage de Graslin. Ce faisant, il ne faisait que renvoyer la pareille au Nantais car dans une longue note de l’Essai analytique, notre homme est fâché que, sur un point de doctrine, ses conceptions s’éloignent de celles du manceau, dont il fait un éloge appuyé. Enfin, nous savons que Forbonnais avait un oncle armateur à Nantes, M. Plumard de Rieux, et qu’il séjourna longtemps chez lui dans les années 1740171. Si à cette date Graslin n’est pas encore arrivé dans le grand port atlantique, Desmars croit savoir que c’est à travers cet homme qu’il fit la connaissance de la famille Véron Duverger en général et de l’économiste en particulier172. Si la chose n’est pas impossible, il faut relever cependant que des liens familiaux lient Graslin à une autre branche de la famille Véron puisque sa propre tante, Catherine Delavau, s’est mariée en 1727 à Jean Véron de la Croix, négociant du Mans et parent, certes éloigné, de Forbonnais. S’il est ainsi très vraisemblable que Graslin connaissait M. Plumard de Rieux et que leurs origines sociales et géographiques les rapprochaient, rien ne nous prouve que c’est par ce biais qu’il connut Forbonnais. Graslin a très bien pu le rencontrer grâce à l’armateur nantais Montaudouin de la Touche173 qui fréquenta l’économiste manceau dans les années 1750 et qui était membre de la Société royale d’Agriculture de Bretagne. Mais le point de contact le plus décisif se trouve peut-être encore ailleurs. Forbonnais, de cinq ans plus âgé que Graslin, fit avant lui ses études au collège de Dormans-Beauvais et s’il est peu probable que c’est à cette époque qu’il rencontra Pierre-Michel Hennin, nous savons qu’ils devinrent amis et qu’ils eurent une correspondance. Notons qu’un autre membre du futur groupe Gournay, Charles Butel-Dumont, fréquenta lui aussi Dormans-Beauvais, cette fois en même temps que Graslin et se lia également avec Hennin. Ce dernier, comme sa correspondance en témoigne, est le pivot d’un vaste et complexe réseau de relations et il est donc très vraisemblable que c’est à travers Hennin que Graslin fit la connaissance de l’économiste manceau.
36Est-ce ce donc Forbonnais qui a guidé les premiers pas de Graslin en économie politique ? Est-ce au travers de la famille de Noailles, protectrice de Quesnay174 et dont le père de Graslin fut un client, que notre homme s’intéressa à ces matières ? Graslin était-il en contact avec plusieurs membres du « groupe Gournay175 » comme Forbonnais, Montaudouin ou Plumard de Dangeul ? Est-ce leurs discussions qui lui a fait embrasser le parti anti-physiocrate ? Ce qui est certain en tout cas c’est qu’en 1766, Graslin était sur le point de faire paraître ses propres travaux lorsqu’il eut connaissance d’un programme sur l’impôt indirect mis au concours par la Société royale d’Agriculture du Limousin176. C’est Anne-Robert-Jacques Turgot (1727-1781177), alors intendant de Limoges, qui est à l’origine de cette idée. Lors de la séance du 4 janvier 1766, il propose que l’on décide de deux thèmes où l’on inviterait les particuliers à réfléchir sur l’économie pratique ou « rustique » d’un côté, et sur l’économie politique de l’autre. Deux prix seront donc offerts178 : le premier à celui qui aura proposé la « meilleure dissertation sur la manière la plus avantageuse de brûler les vins pour avoir de l’eau-de-vie », le second – auquel Graslin va répondre – « à celui qui aura le mieux démontré et apprécié l’effet de l’impôt indirect sur le revenu des propriétaires des biens-fonds179 ». Le 11 janvier suivant, les programmes complets sont rédigés et il est décidé le 18 qu’ils seront envoyés aux bureaux d’Angoulême et de Brive, à tous les subdélégués de la généralité de Limoges, enfin et surtout à M. Bertin, ministre étant en charge des sociétés d’agriculture180. Pour parachever cette publicité, Turgot va envoyer des exemplaires à Dupont181, pour qu’ils les transmettent à plusieurs journaux182. C’est donc par le biais de la Société de Tours ou par celui plus classique des principaux périodiques de l’époque que Graslin a eu connaissance du programme en question. À la vue de la publicité qui en est donnée, il se dit inquiet du progrès des idées de la physiocratie dans l’opinion publique. Il décide alors de « redoubler [son] zèle et [ses] travaux183 » pour faire paraître ses propres découvertes. En décembre 1766, son mémoire – manuscrit – est reçu à Limoges. Dans la séance du 20 décembre, des commissaires sont nommés pour étudier les œuvres des concurrents qui se disputent le prix d’économie politique. Mais le concours sera prorogé jusqu’à Pâques, car Turgot n’est pas satisfaits de ceux qu’il a reçus. Le 3 janvier 1767, il invite Dupont à y participer et lui offre même son aide. Mi-badin, mi-sérieux, il le provoque en évoquant le travail de Graslin : « Nous avons ici un mémoire de 436 pages destiné à renverser toute la doctrine économique184 et j’ai bien envie, pour vous engager à travailler, de vous faire peur qu’il n’ait le prix. Cet ouvrage n’est pas à beaucoup près sans mérite ni même sans profondeur185. » Finalement, Dupont ne concourra pas et sur les 10 mémoires reçus, le prix sera remis, par défaut, au physiocrate Saint-Péravy. Toutefois, reconnaissant les qualités de l’Essai analytique sans pour autant souscrire à la majeure partie des idées de son auteur186, Turgot souhaite que Graslin soit récompensé. Il le sera le 10 octobre 1767 :
« Parmi les dix mémoires présentés pour concourir au prix promis par M. l’Intendant de la Généralité de Limoges, au Mémoire dans lequel on aura le mieux démontré et apprécié l’effet de l’impôt indirect sur le revenu des propriétaires de biens-fonds. Quoiqu’aucune de ces pièces n’ait paru donner la solution complète et rigoureuse du problème, la Société a jugé que le Mémoire qui a pour devise Brama assai, poco spera, e nulla chiede, en approchait assez pour mériter le prix qu’elle lui a adjugé. L’auteur est M. de St. Péravy, Membre de la Société Royale d’Agriculture d’Orléans. Parmi les autres Mémoires, il s’en est trouvé un qui avait pour objet de résoudre la question par des principes entièrement opposés à ceux du mémoire couronné ; la Société a jugé que la manière dont l’auteur a présenté ses principes, et les vues ingénieuses qu’il a répandues dans son ouvrage, méritaient une distinction particulière. Ce Mémoire a pour devise, Ne fortè impleantur extranei viribus tuis, et labores tui sint in domo alienâ : l’Auteur ne s’est pas fait connaître187. »
37Turgot savait-il qu’il s’agissait de J.-J.-L. Graslin ? Si ce n’est par un tiers, il dut l’apprendre assez rapidement car dès la parution de l’ouvrage en novembre 1767, le Journal d’Agriculture ne laissait plus de doute : « L’auteur de cet excellent ouvrage est M. Gr…, receveur général des fermes du Roi à Nantes188. » Car avant même de connaître la sanction de ses juges, Graslin a fait imprimer de manière anonyme son ouvrage pour le donner au public. Renoul croit révéler un fait d’importance en affirmant que son ouvrage, l’Essai analytique sur la richesse et sur l’impôt, n’a pas été imprimé à Londres, comme indiqué sur la page de titre, mais à Nantes189. Nous savons aujourd’hui que la majeure partie des ouvrages qui portent la rubrique de Londres ou d’Amsterdam était imprimés en France. Il s’agissait simplement d’éviter les éventuelles poursuites, surtout quand personnage public comme Graslin, on écrivait sur une matière aussi sensible que la fiscalité190.
38Si on laisse de côté la Correspondance littéraire, l’Année littéraire, le Journal de Verdun et le journal encyclopédique191, qui se bornent à des comptes-rendus plutôt élogieux mais rapides, on trouve au contraire des articles critiques de fond dans le Journal économique et le Journal des savants192. Ces périodiques louent la puissance de raisonnement de l’auteur, son caractère profond et extrêmement rigoureux. S’ils jugent que l’ouvrage contient en maints endroits des points obscurs, ces journaux n’en attribuent pas le défaut à Graslin, mais à ses contradicteurs physiocrates. D’ailleurs, ils font l’éloge d’une critique de la physiocratie qui ne se départit jamais d’un ton bienséant et des égards qui sont dus à l’adversaire. Mais c’est bien entendu dans les Éphémérides du citoyen, le périodique des physiocrates, et dans le Journal d’Agriculture, du Commerce et des finances, qui est au contraire passé aux mains de leurs opposants, que les réactions sont à la fois les plus nombreuses et les plus ardentes. Le second périodique193 ne consacre pas moins de quatre articles à l’Essai analytique194. Le rédacteur est au comble de la joie :
« Malgré l’anathème du déshonneur, disait-il, dont les apôtres de la Secte ont menacé quiconque oserait heurter les sentiments qu’ils professent, le zèle éclairé du patriotisme a suscité un vengeur des vérités qu’ils combattent. Un écrivain profondément versé dans les matières économiques vient d’attaquer la nouvelle doctrine avec des armes d’une trempe supérieure à toutes les subtilités que ses adversaires mettent en œuvre pour couvrir la faiblesse de leurs raisonnements. Sans jamais s’écarter des bornes de la modération que doit s’imposer le philosophe dans la recherche de la vérité, il relève avec force les paralogismes, les faux principes, les calculs idéaux, les vues sophistiques et toutes les erreurs qui servent de base au système qu’il réfute. À ce frivole étalage de sophismes et de déclamations, il oppose les vrais éléments de la Science économique, dont la découverte est le fruit de ses savantes et utiles méditations195. »
39En 1767-1768, les physiocrates font donner l’artillerie lourde en la personne de l’abbé Baudeau196 (2 lettres), Dupont (1 lettre), Treillard, avocat à Brives (2 lettres), Roubaud197 (1 lettre) et un mystérieux M. N (1 lettre). Nous laissons de côté ici les controverses de fond, qui sont traitées dans les articles de ce volume et notamment les raccourcis, soulignés par Dupont, que Graslin a parfois pris avec la doctrine des physiocrates. Sur la forme, la constante de ces articles est la critique du style il est vrai parfois obscur du Nantais, ainsi Dupont écrit-il :
« Vous connaissez peut-être le trait d’un homme de beaucoup d’esprit, qui définissait deux sortes de galimatias, le galimatias simple dans lequel l’auteur s’entend, mais ne peut se faire entendre des autres, et le galimatias double dans lequel l’auteur, qui ne s’entend pas lui-même, peut encore moins se faire entendre. Je ne veux pas affirmer que le second se trouve quelquefois dans l’ouvrage de M…, mais il y a vingt endroits de sa doctrine sur les richesses où vous rencontrerez au moins l’un des deux198. »
40Quant aux articles de l’abbé Baudeau, ils ne font pas suite à la publication de l’Essai analytique, mais à une lettre que Graslin fait paraître en août 1767 dans la Gazette du commerce. Avant la parution de son ouvrage, Graslin souhaite en effet critiquer l’ouvrage de Le Mercier de la Rivière199, l’Ordre naturel et essentiel des sociétés politiques, paru le mois précédent. Ce livre, qui va devenir un des bréviaires de la physiocratie, revenait en longueur sur une des thèses principales de cette école, à savoir la « stérilité » de l’industrie par opposition à la « productivité » agricole. Et c’est ce thème qui va donner lieu entre Graslin et Baudeau à une vive controverse : après la première lettre du Nantais, Baudeau répond dans le tome 9 des Éphémérides du mois de septembre 1767200. Son tempérament de feu le conduit à user abondamment de l’ironie, et, disons-le, de quelques procédés assez malhonnêtes. Peut-être pour calmer les choses, c’est d’ailleurs un autre physiocrate, Me Treillard, qui donne la réplique à Graslin dans les Éphémérides de janvier 1768201. Graslin écrira deux autres lettres, sur un ton plus posé que ses contradicteurs, et ayant toujours pour fond la prétendue stérilité de l’industrie. La deuxième dans le Journal d’Agriculture de novembre 1767202 et la troisième dans ce même périodique en mars 1768203. En 1777, il fera d’ailleurs imprimer (à Paris, chez Onfroy, même si le recueil porte également la rubrique de Londres) ses trois articles ainsi que celui de Baudeau et celui de Treillard en un volume in-8° qui aura pour titre Correspondance entre M. Graslin, de l’Académie économique de S. Pétersbourg, auteur de l’Essai analytique sur la richesse & sur l’impôt, et M. l’abbé Baudeau, auteur des Éphémérides du citoyen, sur un des principes fondamentaux de la doctrine des soi-disants philosophes économistes204. À cette date cependant, les choses ne sont déjà plus ce qu’elles étaient : la physiocratie a perdu son fondateur, François Quesnay205, mort en 1774. Elle ne dispose plus d’un organe périodique après la disparition des Nouvelles éphémérides (1774-76) et l’on peut dire qu’à partir de la chute de Turgot (1776), elle n’occupe plus de place centrale dans le débat politique français206.
41La fin des années 1760 marque pour Graslin le temps de l’économie politique. Au moment même où il travaille pour ses juges de Limoges, il répond en effet à un autre sujet, cette fois proposé par la société impériale d’agriculture de Saint-Pétersbourg en 1765, sur l’avantage (ou non), pour un État, d’avoir des paysans qui possèdent la terre en propre. Comme précédemment, Graslin n’obtiendra pas le prix, mais avec plusieurs autres il décrochera un accessit et verra sa dissertation publiée dans un volume collectif207. Si dans la correspondance avec Baudeau qu’il fera imprimer en 1777, Graslin se présente comme membre de la société impériale de Saint-Pétersbourg, les recherches que Desmars a entrepris en Russie n’ont pas permis de le confirmer208, mais quoiqu’il en soit Graslin a bien produit ce texte très rare, inconnu de la majeure partie de ceux qui travaillèrent sur le personnage, et c’est à ce titre que nous le donnons aujourd’hui au public209.
La décennie 1770 : les opérations foncières
42Graslin n’a pas publié d’autres travaux économiques que ceux dont nous venons de parler. Il est d’ailleurs étrange qu’il se décide en 1777 à faire paraître la controverse qu’il eut avec Baudeau et Treillard, car à cette date, d’autres affaires l’occupent. Graslin s’est en effet lancé en 1772 dans une entreprise foncière de grande ampleur dans la paroisse de Lavau, aujourd’hui Lavausur-Loire en Loire-Atlantique, dans l’estuaire du fleuve. Je serais très bref sur cette opération et ses conséquences, qui sont amplement traitées par les articles de ce volume. En résumé, notre homme s’allie en 1771 avec Mellinet210 et Saulnier de la Pinelais211 pour obtenir l’afféagement d’une grande partie des terres du seigneur de la Haye et de Sesmaisons en la paroisse de Lavau, le Comte de Runnefau212. L’opération technique est rondement menée puisqu’en 1773 les travaux sont terminés. Mais les problèmes ne font en fait que commencer car les habitants – désignés comme les « vassaux » dans les actes juridiques – ont le sentiment que le partage des communaux leur a été défavorable et qu’ils sortent largement désavantagés de l’initiative de Graslin. Les procédures se poursuivront jusqu’en 1785, date à laquelle un accord entre les parties sera finalement trouvé. Les biographes de Graslin sont très élogieux sur cette opération, réalisée selon eux par pur désintéressement et pour le seul soulagement des populations locales. Luminais croit ainsi que « malgré les longues contestations qui en résultèrent, il parvint à convertir en prairies ces terrains si longtemps inutiles et malsains213 » et selon Desmars, l’opération « réussit pleinement214 ». Les articles de cet ouvrage donne une image un tant soit peu plus nuancée de l’affaire. Mais il faut croire que les difficultés ne rebutèrent pas Graslin puisqu’en 1775, il afféage des marais et renouvelle l’opération cette fois à Dol, aujourd’hui Dol-de-Bretagne en Ille-et-Vilaine215. Les travaux, qui avaient été entamés par le précédent afféagiste et qui devaient être terminés par les habitants, ne débuteront qu’à la fin de l’année 1778 ou au début de 1779 et seront réalisé par « les ouvriers de l’atelier du sieur Graslin216 ». Ainsi, devant la mauvaise volonté des vassaux, Graslin devra-t-il faire venir de Nantes les ouvriers de sa manufacture, dont je parlerai dans quelques instants. Aussitôt les travaux entamés, les riverains du Bied-Briand attaquent d’ailleurs le nantais devant la justice car ils se déclarent spoliés et refusent de pourvoir à l’entretien des nouveaux canaux. Le 24 juin 1783, Graslin écrit à Hennin car il souhaite employer les grands moyens : « Pourrais-tu enfin, mon bon ami, m’indiquer la machine hydraulique la moins coûteuse pour dessécher un marais ? il ne s’agit que de faire remonter l’eau pardessus une digue de quatre à cinq pieds. Je voulais employer deux pompes et pour moteur le vent qui ferait tourner un moulin, comme on le pratique dans toute la hollande, mais on ne peut pas assez compter sur le moteur217. » L’ouvrage n’a-t-il été que partiellement réalisé ? N’est-il pas viable sans cet entretien constant ? Ce qui est certain c’est qu’à cette date des problèmes demeures. En fait, aux mêmes causes les mêmes effets : là encore Graslin se heurte à la franche hostilité des populations locales qui subissent une transformation importante de leur environnement sans avoir été consulté218. Nous savons peu de choses sur ce qui se passa réellement par la suite, mais les problèmes ont du se poursuivre. Nous apprenons en effet en 1790 que les opérations ne sont pas terminées puisque la veuve de Graslin donne procuration à M. Le Compte, huissier à Dol, pour « pour qu’il administre en son nom les marais de feu son mari situé en cette paroisse, et également pour qu’il continue et achève les travaux de dessèchements des dits marais219 ».
43Cette décennie est celle des opérations foncières. En 1777, Graslin prend en fermage avec deux associés les terres que possède le duc de Lauzun220 en Bretagne. Laissons-le en parler lui-même :
« Nous donnions de cette terre 92 000 livres par an, prix supérieur à celui du bail précédent, indépendamment d’un pot-de-vin de 36 000 livres. Nous prêtâmes de plus à M. le duc de Lauzun une somme de 200 000 Livres, à l’intérêt ordinaire de 5 pour cent l’an. Peu de temps après, M. le duc de Lauzun trouva une occasion avantageuse de vendre sa terre, &, par là, le moyen de se liquider entièrement. L’acquéreur demandait que la terre fût libre, & par conséquent que la ferme fût résiliée. L’Anonyme avance221, avec sa fausseté habituelle, que les conseils du duc de Lauzun voulaient qu’il se restitua contre son bail ; ils n’en eurent pas même l’idée : en même temps qu’ils nous engagèrent au résiliement, ils parlèrent d’une indemnité ; cette indemnité devait être proportionnée à la durée de notre jouissance, qui ne faisait que commencer : par les calculs qui furent faits, elle s’élevait à 150 000 livres ; &, en la réduisant, elle ne pouvait être portée à moins de 120 000 livres. Mes deux Associés, qui n’avaient chacun qu’un quart dans l’affaire, ne se relâchèrent en rien de cette dernière prétention, ils ont effectivement obtenu & touché chacun une somme de 30 000 livres […]. J’avais le double d’intérêt de chacun d’eux ; ainsi je pouvais, à aussi bon titre, exiger une somme de 60 000 livres. J’eus alors l’occasion de faire le voyage de Paris. Je n’y fut pas plus tôt arrivé, qu’un des Conseils de M. le duc de Lauzun vint me trouver, pour traiter de l’affaire du résiliement & demander, qu’en mon particulier, je me réduisisse de mes droits au sujet de l’indemnité ; car on ne pouvait attendre que cela de moi, quelqu’honneteté qu’on me supposat : la ferme promettait d’assez grands bénéfices, (& des bénéfices très légitimes) rien ne pouvait m’obliger à y renoncer ; il eût été trop déraisonnable qu’on m’en eût fait la proposition, sans mettre à la place un dédommagement plus ou moins proportionné. Prévenu de la visite que je devais recevoir, j’avais eu le temps de réfléchir sur le parti qu’il me convenait de prendre ; &, dans de pareilles circonstances, le parti de la plus grande honnêteté est toujours celui qui se présente à moi ; je pris, de mon propre mouvement, une détermination à laquelle on ne s’attendait pas, ce fut de ne rien exiger du tout ; je voulu même ne pas donner trop de prix à mon désintéressement : je dis à M. Pays que, sans prendre exemple sur mes Associés, je sentais que, dans la position où était M. le duc de Lauzun, il me convenait de ne pas le surcharger d’une créance, qui n’avait pour cause & pour motif qu’un gain à faire, & un gain conjectural ; qu’ainsi j’étais prêt à souscrire l’acte de résiliement, sans aucune indemnité. M. Pays, homme de beaucoup de mérite, sentît vivement l’honnêteté et la délicatesse de mon procédé ; il ne perdit pas de temps à aller en faire part, non seulement à M. le duc de Lauzun, mais à M. le duc de Gontaut, son père, & à Madame la maréchale de Luxembourg, sa belle-mère, qui, tous, me firent engager à les aller voir, pour recevoir leurs remerciements, ce à quoi je ne me refusais pas222. »
44Ce trait a été unanimement loué par les biographes de Graslin et on ne peut nier qu’il fit preuve dans cette affaire d’un étrange désintéressement. Mais n’oublions pas que s’agissant de personnages aussi puissant que la famille de Gontaut, il pouvait être de bon ton de ne pas insister et de pouvoir, en cas de besoin, se réclamer de leur protection. Luminais note à ce propos que le duc de Lauzun, touché de cette noble conduite mit « à sa disposition sa haute influence et celle de sa famille. Graslin, qui ne savait pas vendre ses services, eut l’honorable scrupule de ne s’en servir jamais223 ». Voilà un jugement bien hâtif dans la verve du panégyriste. Rien ne nous permet de conclure de cette façon et à la vue des innombrables requêtes que Graslin adresse à Hennin dans les années 1780, il serait au contraire étrange qu’il ne se soit pas servi de cet appui pour obtenir satisfaction224, que ce soit concernant le quartier neuf, ou pour les autres affaires commerciales que Graslin a en cours à cette époque. Mais de quelles affaires s’agit-il ?
Le manufacturier et le négociant : à la périphérie ou au centre du système négrier ?
45Desmars croit savoir que Graslin fonda à Nantes la première manufacture d’indiennes en toiles peintes225. Là encore, ce jugement n’est pas assorti de preuves matérielles et comporte une erreur. Graslin n’a pas fondé la première manufacture de ce type à Nantes, celle-ci l’ayant été en 1758 juste avant son arrivée226, ni même l’une des premières, mais il s’est associé, à la fin de 1775, avec le négociant Pierre Dubern et le coloriste hollandais Christ de Vries pour fonder la manufacture d’indiennes que l’on connaîtra sous le nom de Dubern et Cie227. Cette manufacture, qui débutera son activité au tout début de l’année 1776, se trouvait sur la prairie Moulin, faubourg de Petite Biesse à côté des Récollets (fig. 36). De quoi s’agissait-il concrètement ? Le Dictionnaire universel de commerce de Savary des Bruslons édité en 1741 donne la définition suivante du mot « indienne » : « Robe de chambre pour homme ou pour femme faites de ces toiles de coton peinte de diverses couleurs et figures qui viennent des Indes Orientales. On appelle aussi Indiennes les toiles mêmes dont ces robes de chambre sont faites, soit qu’elles aient été fabriquées et peintes aux Indes, soit qu’elle aient été imitées et fabriquées en Europe […] Toutes les Indiennes de quelque couleur ou façon qu’elles soient sont défendues en France par quantité d’Arrêts et Déclarations et en dernier lieu par un édit du Roi Louis XV donné à Paris au mois de juillet 1717228. » Les manufactures d’indiennes sont en effet prohibées en France de 1686 à 1759 sous la pression des fabricants de tissus de soie, de laine, de lin et de chanvre. Mais le vent de libéralisation qui souffle sur la France des années 1750 sous l’impulsion du groupe Gournay, puis des physiocrates, va conduire, après des années de débats, aux lettres patentes du 5 septembre 1759. Ces lettres accordent la liberté d’impression des indiennes peintes dans le Royaume tout en les grevant de multiples impôts qui devaient avoir pour but d’en limiter la consommation. Bien entendu, il n’en sera rien, et le port de Nantes va s’engouffrer dans la nouvelle activité. Nantes est en effet très bien placée pour se lancer dans ce type d’industrie. Des Antilles et du sud de ce qui va devenir les États-Unis, elle reçoit d’abord les matières premières comme l’indigo, l’alun et le coton. C’est ensuite une ville fluviale et cette industrie à besoin d’une eau abondante et claire pour le lavage et le blanchiment des toiles. Enfin, la traite des esclaves offre le premier débouché à cette industrie textile, les Africains étant très souvent payés aux chefferies côtières en pièces d’indiennes229. Le principal problème réside dans les procédés de fabrication dont la maîtrise est longue et difficile. Cependant après quelques années de tâtonnement, les manufactures françaises impriment annuellement plus de 500 000 pièces d’indiennes dans les années 1780. En 1785, « Nantes représente le troisième centre d’indiennage français : la ville réunit 22.2 % de la production nationale (soit 111 000 pièces par an) derrière la région parisienne qui réalise 23.2 % et celle de Rouen qui totalise 31 % de la production française230 ». Dans cette production locale, la manufacture Dubern et Cie est une des plus considérables, avec 25 000 pièces par an. Elle était si florissante à la Révolution qu’elle vaudra à Dubern, par ailleurs échevin, de faire partie des 132 nantais arrêtés par Carrier en 1793. Il sera rapidement libéré et la manufacture poursuivra ses activités jusqu’en 1803. Mais est-ce par soucis de concentration verticale de ses activités que Graslin décide d’investir dans l’indiennage ? La chose n’est pas impossible.
46À la fin de la décennie 1770, nous apprenons en effet, toujours grâce à la correspondance que Graslin entretient avec Hennin, que notre homme est en affaire avec un armateur nantais, Nicolas Viaud, résidant à la Chézine. Ce dernier a armé en 1779 deux navires pour l’île de France, l’actuelle île Maurice : le Restaurateur231 et la Marie-Anne-de-Sartine232. Depuis le 13 août 1769 en effet, le monopole du commerce de la Compagnie des Indes orientales avec l’océan Indien est levé233. Le négoce nantais, qui s’était constamment attaqué aux privilèges de cette Compagnie, s’y engouffre alors. Le premier navire de Viaud quitte Nantes le 23 mars 1779 et le second le 23 mai 1779, mais les deux font route pour Lorient. Pourquoi ? À cette date, la France est entrée en guerre contre l’Angleterre pour soutenir l’indépendance des colonies américaines et l’île de France sert de base navale pour les opérations menées en Inde (Chandernagor et Pondichéry sont occupés par les anglais). Or ce que nous comprenons au travers de la lettre qu’il adresse à Hennin c’est que les deux bâtiments dans lesquels Graslin a « deux forts intérêts234 » ont été affrétés par le roi. L’escale à Lorient avait pour but l’approvisionnement en marchandises, passagers, artillerie, munitions et troupes pour les opérations militaires de l’océan Indien. L’approvisionnement réalisé – et pour des raisons qui sont inconnues de Graslin lui-même – les navires ont été retenus jusqu’au 15 février 1780 dans le port de Lorient. À cette date, ils appareillent, en convoi comme c’est généralement le cas en période d’hostilités, pour les Mascareignes. Le Restaurateur arrive à l’île de France le 22 juin 1780, mais il semble y faire une courte escale car au lieu de regagner la France, il repasse le cap de Bonne-Espérance pour faire route vers Saint-Domingue. Il arrive à Port-au-Prince le 4 août suivant pour être désarmé le 7 septembre 1781. La Marie-Anne-de-Sartine débarque à l’île de France le 28 juin 1780, elle repart le 22 septembre, se rend au cap de Bonne-Espérance et revient à l’île de France le 28 juin 1781. Comme c’est toujours le cas lors d’affrètements, Graslin a craint la prise des vaisseaux par l’ennemi, mais celle-ci n’a pas eu lieu. Le problème réside dans la « mobilisation » trop longue des navires, qui va donner lieu à des demandes d’indemnités au ministère de la marine :
« Les affrètements de ce genre, ou l’armateur reste chargé d’engager en nourriture de tout l’équipage sont ordinairement de 25# du tonneau par mois ; je me suis réduit dans le mémoire que j’ai donné pour le nom de l’armateur de ces deux navires M. Viaud, à demander 20# au lieu de 25, et 6 mois, au lieu de 9 mois que ces navires ont été retardés ; ce qui donnerait de la totalité du fret 110 000#. Il paraît que cette demande souffre quelque difficulté ; cependant il ne faut point qu’on décourage les négociants qui se livrent eux et leur fortune avec confiance entre les mains du roy, ainsi que les particuliers qui y mettent leurs fonds235. »
47On ne sait si Graslin et ses partenaires seront indemnisés à cette hauteur, mais Maurepas236 et Sartine237 ont eu le mémoire en question sous les yeux et ils firent « de ces difficultés générales, et surtout sur les disettes de fond et sur la prodigieuse quantité de demande de cette espèce que ne manquerait pas de faire238 » s’ils y répondaient favorablement. Graslin se plaint du « grand désavantage de cet affrètement239 », et déclare que « si ces deux navires avaient été pris, comme j’en ai eu toute la peur, je perdais 40 000#240 ». Quel type d’investissement Graslin avait-il fait pour engager une telle somme et risquer de la perdre sans pouvoir se retourner contre quiconque ? C’est très vraisemblablement d’un contrat de « Cambie » ou « à la grosse » dont il s’agit. J. Meyer rapporte que ce type de contrat « consiste à donner de l’argent au risque de la mer à un capitaine ou officier de navire qui voyage sur la mer moyennant 10 ou 20 ou 30 % pour aller, et sy le vaisseau se perd, celuy qui a donné l’argent à la grosse perd tout sans avoir recours aucunnément à Celui à qui il a donné la somme principale241 ». C’est une pratique risquée mais juteuse pour le prêteur (les taux d’intérêt sont élevés) et qui permet à l’emprunteur d’avoir des liquidités immédiatement et d’en disposer comme il le souhaite242. N. Sannier rapporte que 20 % de ce type de contrat sont souscrits par des financiers comme Graslin, 40 % par des armateurs et 23 % par des capitaines et seconds243.
48Mais qu’allaient faire ces bateaux dans cette région du monde à l’origine et que vont-ils y pratiquer, malgré leur réquisition ? Les cargaisons marchandes envoyées de métropole sont en général composées de vin, d’eau-de-vie, de goudron, d’huile, de clous, de peinture, de toiles peintes, etc. Au retour, les navires rapportent du bois (notamment de l’ébène), du café, du cacao et de l’indigo. Le Restaurateur et la Marie-Anne-de-Sartine auraient très certainement dû commercer ce type de marchandises s’ils n’avaient pas été affrétés, et il est possible qu’ils en transportèrent en partie. Mais nous savons également que les navires nantais ou lorientais se livraient à la traite des esclaves dans l’océan Indien, selon trois modalités détaillées par N. Sannier. La première était d’acheter ces êtres humains dans les comptoirs portugais du Mozambique, à Madagascar ou au Cap de Bonne-Espérance, puis de les revendre aux Mascareignes. La deuxième consistait à acheter les esclaves au même endroit sur la route du retour, puis d’aller les vendre aux Antilles. La troisième consistait enfin, traditionnellement, à s’approvisionner en esclaves dans le golfe de Guinée au retour de l’océan Indien, pour se rendre ensuite aux Antilles244. Or nous savons par les Archives départementales de Loire-Atlantique que la Marie-Anne-de-Sartine a ramené de son voyage au cap de Bonne-Espérance six esclaves qui ont été vendus à l’île de France245 et l’on peut se demander si c’est encore pour des transports de troupes ou d’armements que le Restaurateur s’est rendu à Saint-Domingue après l’océan indien. Compte tenu de cette incertitude et du faible nombre d’esclaves transportés par le premier navire, on ne peut conclure qu’ils avaient pour activité principale la traite négrière. Pour autant, on ne saurait passer sous silence qu’il est avéré que Nicolas Viaud avait armé antérieurement deux expéditions négrières246. Graslin a donc non seulement construit indirectement sa fortune sur le commerce esclavagiste – au travers notamment des droits de traites et du commerce des indiennes – mais a aussi participé très directement à des entreprises qui s’y sont, au moins partiellement, livrées247.
Le quartier neuf : une opération lucrative ?
49Mais en 1781, Graslin n’est déjà plus occupé ni par l’économie politique, ni par l’indiennage, ni même par le commerce maritime. À cette date, il a engagé la grande affaire de sa vie, celle à laquelle il consacrera toute son énergie jusqu’à sa mort en 1790 : la construction du quartier neuf de la ville de Nantes qui porte son nom. Contrairement aux notices biographiques du xixe siècle, qui réduisent presque toujours le personnage à ce seul aspect, cette partie de la vie de Graslin – de loin la mieux connue de nous et qui est très largement traitée dans cet ouvrage248 – ne sera pas développée ici. Je me contenterais de revenir sur la chronologie des événements, sur quelques éléments saillants du point de vue budgétaire, et sur les informations nouvelles que mes découvertes d’archives peuvent apporter au sujet.
50Ce que nous savons, c’est que dès l’année 1776, Graslin commence à acquérir des terrains au-dessus de la zone portuaire de la Fosse, opérations qui se poursuivent jusqu’en 1779249. Schématiquement, Graslin procède à des achats : 1° sur la « tenue de Bouvet », comprise en gros entre la rue de la Fosse, l’actuelle place Graslin et la rue Crébillon et dans laquelle se trouve l’immeuble de la Ferme générale (aujourd’hui rue Rameau) (fig. 31) ; 2° sur les terrains de la Cagassais, qui se trouvent en haut et à l’est de l’actuelle place Graslin. Ces deux espaces se composent de terrains vagues, jardins, jeux de boules et prairies, quelques habitations s’y trouvent également, mais elles sont mal desservies. Le troisième espace est enfin celui du couvent, jardins, vergers et bosquet des Pères capucins, qui se trouvent à peu près à l’emplacement du cours Cambronne (fig. 39, 41 et 42). En 1779, par ses achats successifs, Graslin a dépensé entre 250 000250 et 261 000 livres251 selon les estimations, pour constituer un lot de 403 272 pieds carrés (11 202 toises carrées252) d’un seul tenant. À la vue de ce montant considérable, il est clair qu’il projetait une opération foncière et immobilière de grande ampleur et rien, dans ce projet, ne relevait de l’extrapolation ou de l’utopie. Laissons-le en parler lui-même :
« Quand j’ai conçu mon projet, en 1775, il y avait déjà longtemps qu’on souffrait à Nantes de la rareté & de la cherté des logements ; on sait même que c’est ce qui a empêché un assez grands nombre de famille américaine de se fixer dans cette ville, & les a obligées d’aller s’établir à Angers & à Tours. J’ai donc du regarder, dans ce temps-là, ma spéculation comme une opération aussi patriotique que peut l’être celle d’un Armateur qui fait venir des grains dans un temps de disette253. »
51À cette époque en effet, nul n’ignore que la ville de Nantes est à l’étroit entre ses murs, que les loyers sont chers, que les prés marécageux empêchent les constructions nouvelles et que son urbanisme n’est plus en phase avec son développement économique. On s’est d’abord interrogé sur la possibilité de bâtir sur les îles de Loire et surtout sur celle de la Madeleine, mais à partir des années 1760, les plans se concentrent sur les pourtours de la ville par la destruction des fortifications (fig. 33, 35 et 37). D’importantes opérations sont menées, mais trop souvent la communauté de Ville se heurte au morcellement de la propriété et au problème de l’insalubrité des terrains. En haut du port, sur ce site rocheux et sain, il y avait donc un espace à prendre – dans tous les sens de l’expression – pour un homme décidé, ayant du crédit et de la volonté, et Graslin ne manquait ni de l’un ni de l’autre. Ce qui est d’ailleurs notable, c’est que cette opération résume à elle seule le caractère du personnage : celui d’un homme d’affaires intéressé, mais qui a toujours eu le souci de laisser son nom dans l’histoire en concourrant aux affaires de son temps. Ainsi se dévoile-t-il lui-même à son ami Hennin le 28 mars 1780 : « L’affaire de ma ville va supérieurement bien, elle excite ici un enthousiasme soutenu ; il est vrai que ce sera une très belle chose. J’espère même faire une salle de comédie au centre de mon terrain, en face de la place Graslin. Je veux me livrer uniquement à cette occupation, qui me fera honneur et profit, et renoncerai à toute espèce de commerce254. »
52Graslin a dû s’ouvrir assez tôt de ses projets aux autorités municipales car l’architecte-voyer de la ville de Nantes, Jean-Baptiste Ceineray, propose au corps de Ville un plan du quartier daté du 6 août 1779 (fig. 40). Ce plan est adopté par les autorités locales le 23 septembre 1780 et autorisé par ordonnance royale du 12 mai 1781. Les travaux de percements et de déblaiement des rues commencent dès 1782 et sont bien avancés en 1784255. Toutefois, ce premier projet ne comporte qu’une place ovale sur le haut de la colline, en fait un simple carrefour, sans édifices publics, or nous avons vu que Graslin, dès le début de l’année 1780, souhaite au contraire que les principales voies aboutissent à une place qui porterait son nom et sur lequel une salle de spectacle serait édifiée. Il ajoutera, par la suite, sa volonté d’y voir un hôtel des voyageurs, un café, la nouvelle Bourse et même une église et un musée256. Alors que Mathurin Crucy succède à Ceineray comme architecte-voyer en 1781, il reprend les plans de son prédécesseur – sur lesquels il avait déjà travaillé – et fait en 1784 de nouvelles propositions. Crucy soumet l’idée d’une place rectangulaire avec une salle de spectacle, mais sans autres édifices (fig. 41). Peu satisfait de ce plan, Graslin propose un contre-projet avec l’aide de l’architecte Robert Seheult (fig. 44). En substance, les deux hommes souhaitent organiser la place autour de tous les nouveaux édifices publics que Graslin projette, ce que Crucy voyait comme une trop grande concentration de bâtiments en un même lieu. Mais l’architecte-voyer n’est pas le seul à s’opposer aux idées de notre homme. Graslin se heurte également à Emmanuel Longo – qu’il traite de « faquin257 » – qui devait devenir directeur des spectacles en 1783. Longo fit en 1782 une proposition qui allait grandement irriter notre homme : il s’agissait de construire à ses frais une salle de spectacle provisoire en bois, jusqu’à ce que la ville eut érigé une salle définitive. Les autorités municipales acceptèrent ce projet le 17 octobre 1782, mais Graslin ne l’entendît pas de cette oreille et la polémique dura deux ans258 : le receveur général opposait au faible coût du projet Longo la dangerosité d’une salle si inflammable et le caractère trop souvent durable des constructions provisoires. Pour emporter l’affaire, il proposa tout bonnement de céder à la ville une portion de ses terrains de la future place, la salle de spectacle devant constituer l’un des côté de cet espace.
« Enfin, après bien des écrits, dans lesquels le public s’est toujours rangé de mon côté, nous sommes parvenus lors d’une nouvelle élection de deux échevins, de les prendre dans les citoyens non propriétaires, et qui avaient déjà fait leur profession de foy. Et, dès la seconde assemblée, l’affaire de la salle de mon terrain a passé. Ce n’est pas moi qui la bâtirai, mais la ville : je donne seulement l’emplacement (qui se vendrait bien 150 000#) et l’on me donne, en mémoire de cette concession gratuite, une loge de quatre places à perpétuité pour moi et les miens, loge qui sera, je crois, dans les Baignoires. Tu conçois qu’à présent, ma spéculation doit passer mes espérances et qu’elle doit être aussi lucrative que brillante259. »
53Nous sommes en 1784 et si le projet de salle de spectacle est entériné, d’autres obstacles se trouvent encore sur le chemin de Graslin.
54Ce sont très certainement les Pères capucins qui lui causèrent le plus de soucis à partir de cette date. On leur avait offert une rente de 600 livres pour la cession d’une partie de leur terrain, mais comprenant qu’il s’agissait là d’une opération d’une ampleur considérable, les Pères vont être de plus en plus gourmands et vont finalement s’engager dans une véritable « guerre des nerfs » avec Graslin. Ce dernier devient à leurs yeux le « spéculateur » qui voudrait rouler et dépouiller pour son seul intérêt financier un ordre mendiant peu rompu aux affaires. Le Père géomètre n’a pas de mots assez durs pour Graslin : il le traite de « f… gueux » et de « fripon260 ». Pour démêler l’affaire, notre homme tente une manœuvre : il crée une « société patriotique » (fig. 43) qui accorderait aux capucins une rente annuelle de 15 000 livres jusqu’à ce que la revente des terrains eût permis de réunir la somme de 300 000 livres contre leur entier abandon de leurs possessions de la Fosse261. En lieu et place, il propose la construction d’une promenade (le futur cours Cambronne) avec une série d’hôtels particuliers en bordure et la nouvelle Bourse à l’entrée (fig. 44). Après de nombreux rebondissements – amplement détaillés dans les articles qui suivent – et un arbitrage de l’Intendant de Bretagne, les capucins vont finir par céder. Finalement on aboutira à un compromis (l’actuelle place) entre ces derniers, qui ont vendu une partie de leur terrain (mais qui sont toujours là262), le Corps de ville, Crucy et Graslin, le 17 février 1787 : le tracé en hémicycle de Graslin est accepté, mais il est légèrement plus petit que celui qu’il avait proposé, la place comporte un théâtre, un café et un hôtel garni, mais point de Bourse, d’église et de musée (fig. 42 et 45). À cette date, le gros œuvre de la salle de spectacle est d’ailleurs déjà commencé et les travaux d’intérieur se dérouleront de 1787 à 1788, la salle étant inaugurée le 23 mars 1788, jour de Pâques.
55S’il n’a pas pu imposer toutes ses vues, Graslin à cependant réussit à construire le quartier, la place et surtout la salle de spectacle dont il rêvait (fig. 46 et 53). Cette opération a-t-elle été aussi profitable sur le plan financier que sur le plan symbolique ? Si l’on reprend les calculs de J.-C. Renoul et P. Lelièvre263, incontestablement. Nous voyons en effet que Graslin, qui disposait de 403 272 pieds carrés devait en abandonner à la ville, pour la place et le théâtre, 92 412264 et pour les rues, 25 200, soit un peu plus du quart de ses possessions (117 612 pieds carrés).
« Le pied carré lui revenant alors à 17 sols, il faisait à la ville un cadeau de 65 400 livres. Mais après l’ouverture des rues, le terrain vaudrait en moyenne 40 sols le pied carré. Son terrain aurait alors une valeur d’environ 588 528 livres. Il lui resterait donc un bénéfice de 238 528 livres si son terrain pouvait être vendu sans délai. Compte tenu des avances faites et des intérêts à courir qu’il faut évaluer à 50 % du bénéfice brut, le bénéfice net devait être de 113 528 livres, sur la seule vente des terrains265. »
56Ces calculs de P. Lelièvre comportent beaucoup d’erreurs et d’à peu près. D’abord notons qu’une livre valant 20 sols, on ne pouvait arriver à la somme de 65 400 livres, même pour le chiffre – erroné – qu’il utilise d’un don à la ville de 109 008 pieds carrés. En fait, l’erreur provient du prix d’achat, que Lelièvre recopie mal de Renoul : il ne s’agit pas de 17 sols, mais de 12 sols 4 deniers le pied carré, et pour lequel on obtient un abandon total pour la communauté qui est de l’ordre de 75 000 livres. Ce chiffre est une estimation qui renvoie à la cessation d’un quart de ses possessions. Est-ce un ordre de grandeur exact ? Il semble que oui, puisque dans une lettre à Hennin daté du 8 août 1782, Graslin déclare avoir plus de 8 000 toises carrées à vendre. La toise carrée valant 36 pieds carrés, nous obtenons un chiffre de 288 000 pieds carrés restants, ce qui correspond à peu de choses près aux calculs précédents qui font état de 285 660266 pieds carrés revenant à Graslin après ses dons à la ville. Toutefois ce chiffre de 75 000 livres cédé à la communauté ne tient pas compte de la plus-value qu’il aurait dû réaliser sur une partie de ces terrains et donc du coût d’opportunité qu’il subit. Nous l’avons vu, Graslin évalue le manque à gagner de la cession de l’emplacement du théâtre à 150 000 livres. Mais il espérait naturellement que l’élévation de celui-ci allait permettre de rehausser le prix des terrains alentours, par un effet d’externalité positive267. Et c’est effectivement ce qui se produisit. Les chiffres moyens avancés par Lelièvre sont en effet largement sous-estimés : après l’ouverture des rues, comme on va le voir, les terrains ne valaient pas 2 livres (40 sols) en moyenne le pied carré, mais beaucoup plus. Au contraire, les estimations de Renoul semblent un peu surévaluées. Ce dernier fait état de prix de vente de 10 à 12 livres le pied pour les terrains de la place (et même jusqu’à 15 et 20 livres à la fin de la décennie), de 8 à 9 pour rue Dauphine (l’actuelle rue Jean-Jacques-Rousseau), de 6 à 7 pour ceux de la rue de Goyon (l’actuelle rue Crébillon) et de 4 à 5 pour le reste268. À ces prix, Renoul évalue le bénéfice brut total de Graslin en 1790 à 2 000 000 de livres et son bénéfice net à 1 million. La vérité, que nous ne connaissons pas avec précision, est certainement moins généreuse.
57Le même 8 août 1782, Graslin écrit en effet à Hennin :
« Tu prends, Mon cher ami, trop d’intérêt à ma grande et belle entreprise, pour que je t’en laisse ignorer le succès : mes rues se percent à travers la roche, et sont presque finies ; on est tout étonné de se voir si près du port et de la Bourse : ma place est dessinée, et il paraît décidé qu’on y mettra la salle de spectacle. J’ai le plaisir de voir tous les soirs une grande quantité de curieux et d’amateurs venir admirer et applaudir et les frondeurs forcés au moins de se taire : j’ai déjà vendu un emplacement sur le pied de 200# la toise quarrée ; il est vrai que la position est singulièrement heureuse : on m’offre 200# de plusieurs autres ; Mais, quand mes rues seront achevées, cela montera encore ; et, ne fut-ce que de 50#, comme j’ai plus de 8 000 toises à vendre, cela vaut la peine d’attendre269 ».
58Graslin évoque les prix des meilleurs emplacements lorsqu’il parle de 200 puis 250 livres, chiffre qui nous autorisent à prendre une moyenne comprise entre 130 et 220 livres la toise carré à l’achèvement des rues. Nous obtenons donc un prix compris entre 3,6 et 6,1 livres le pied carré, le bénéfice brut théorique total s’élevant entre 1 040 000 et 1 760 000 livres270. Ces chiffres sont supérieurs aux estimations de Lelièvre (qui évalue le bénéfice brut total à un peu moins de 600 000 livres) et inférieurs à celles de Renoul (qui fait état d’au moins 2 millions de livres de produit brut). C’est la moyenne haute qui semble la plus vraisemblable car elle est corroborée par les calculs que Graslin donne lui-même en 1789. Il dit avoir engagé à cette date pour 1 000 000 de livres de travaux271 et avoir vendu la moitié de ses terrains (soit environ 4 000 toises carrées) pour la somme de 850 000 livres272. Ces chiffres donnent une moyenne de 212,5 livres la toise carrée (soit 5.9 livres le pied carré), ce qui est conforme à l’intervalle retenu ici. Après 1789 cependant – alors que la construction du théâtre et de l’hôtel est terminée et que les terrains alentours sont vendus273 – il escompte que la moyenne devrait quelque peu baisser, sans doute en dessous de 200 livres la toise carrée, peut-être même autour de 150 livres274. Théoriquement donc, si Graslin avait tout vendu entre 1789 et 1790, soit environ 4 000 toises carrées qui lui restait encore, il aurait pu faire un second bénéfice brut compris entre 600 et 800 000 livres, ce qui compte tenu des frais qu’il avait engagés jusqu’ici et si l’on retient le haut de l’intervalle (200 livres de moyenne), lui aurait assuré un bénéfice net total de 650 000 livres275. Mais nous sommes ici dans le domaine de la théorie, car Graslin n’a pas pu vendre tous ses terrains avant sa mort et les prix ont sans doute été, comme il le prévoyait, inférieurs à 200 livres la toise carrée.
59En premier lieu, le prix de vente des terrains a très probablement été moindre que la moyenne d’avant 1789 (212.5 la toise carrée). Lors de la liquidation de ses biens en 1790 – certes il n’est plus là pour négocier – nous voyons en effet des particuliers acheter les terrains de la place à 6 livres le pied carré et rue Dauphine (l’actuelle rue Jean-Jacques Rousseau) à 3 livres 6 sols276. Les terrains de la place étant moins nombreux que les autres, ces chiffres nous amènent à une moyenne pondérée autour de 140/180 livres la toise carrée. En second lieu, il n’a pas vendu avant sa mort la totalité des 4 000 toises carrées qui lui restait, mais peut-être, selon mes estimations sommaires, seulement 2 500 toises et même sans doute un peu moins, son bénéfice brut de 1789 à 1790 a donc pu être compris entre 350 000 et 450 000 livres environ. Résumons. En 1789 il dit avoir dépensé 910 000 livres et croit qu’il lui en reste 90 000 à sortir, soit un total de 1 000 000 livres environ pour la partie dépenses277. Du point de vue des recettes, il dit avoir gagné 850 000 livres entre 1777 et 1789, et l’on a vu qu’il a pu toucher entre 350 et 450 000 livres sur la période 1789-1790. On obtiendrait finalement entre 1 million 200 et 1 million 300 mille livres de bénéfice brut, ce qui correspondrait à un bénéfice net compris entre 200 000 et 300 000 livres avant sa mort en mars1790. L’écart est grand et des travaux complémentaires – qui demanderont toutefois le dépouillement d’une masse considérable de documents d’archives – permettraient très certainement de l’affiner. Toutefois, il semble que dans cet intervalle, c’est sans doute la fourchette basse qu’il faille retenir car l’inventaire après décès nous indique que nombre de terrains n’ont pas été vendus contre espèces sonnantes et trébuchantes, mais contre des rentes annuelles, très souvent en nature (en tonneaux de froments278) et beaucoup semblent l’avoir été à bas prix. En vendant les 4 000 toises restantes, Graslin escomptait gagner « peut-être 300 000, peut-être 400 000# ; ce qui est une somme considérable279 », mais il n’aura pas le temps de réaliser la totalité de ce bénéfice. Cela n’empêche pas notre homme d’être à la fin de sa vie à la tête d’une fortune considérable.
60Si nous connaissons bien la fortune mobilière de Graslin, il est plus difficile d’évaluer le montant de ses possessions immobilières. Ainsi l’inventaire de la communauté des époux Graslin fait-il état d’une fortune en meubles, habillements, bijoux, argenteries, titres, encaisse à la banque, crédits, etc. de 451 559 livres280. Attention, il s’agit là de masse successorale, non de fortune disponible, la veuve de Graslin étant dans l’incapacité de chiffrer les dettes de ladite communauté entre elle et feu son mari. Les biens immobiliers ne sont malheureusement pas évalués, mais sont listés comme suit dans la vente aux enchères qui en est faite en 1790 : il s’agit des terrains et emplacements non encore bâtis (au moins 1 000 toises), du magasin de la rue Dauphine (rue Jean-Jacques-Rousseau), de l’ancien hôtel des Fermes du Bouvet, rue Coustard (rue Rameau), de la maison de la Prévôté, rue de Bertrand (rue Santeuil) et d’une maison neuve rue de Goyon (rue Crébillon281). Il ne faut pas oublier bien sûr son propre immeuble de la place Graslin, situé entre les rues Goyon et Molière282, qui n’est pas à vendre mais est évalué par sa veuve, lors du cautionnement de son fils, à 400 000 livres283. Par incidente, ce que nous apprenons ici, c’est que Graslin, en tant que receveur, était propriétaire des bâtiments de la Ferme générale : le magasin, l’immeuble de la recette de la Prévôté et celui de l’administration au Bouvet. Hormis les terrains, pour lesquels il est très difficile de procéder à un calcul exact, mais que l’on peut estimer à environ 150 000 livres, nous connaissons les montants des autres immeubles aux prix auxquels ils ont été vendus en 1790 lors de l’adjudication des biens de Graslin. Le magasin de la rue Dauphine sera acheté 18 297 livres, l’hôtel des Fermes du Bouvet 23 859 livres, la maison de la prévôté 75 000 livres et la maison neuve de la rue Goyon 94 000 livres284. Le montant total de ces immeubles à la mort de Graslin était donc d’environ 361 156 livres. Il faut encore ajouter son hôtel particulier – 400 000 livres – qui est cependant sans doute surestimé. Si on y ajoute les meubles, on obtient une masse successorale au décès d’environ 1 200 000 livres. Ce chiffre est énorme et doit être mis en rapport avec la fortune de son père à son décès (environ 40 000 livres), mais également avec celles des gens de son état ainsi que celles de ses supérieurs les Fermiers généraux. En détaillant un peu plus ses possessions, nous allons voir que c’est encore la position de Graslin dans la société de son temps qui se dévoile plus avant, dans ce qui constitue la dernière étape de cet itinéraire.
L’homme riche et l’homme de goût
61La tradition orale rapporte que la maison de Graslin, d’abord celle de la place St-Nicolas (aujourd’hui place Royale), puis son hôtel particulier de la nouvelle place qui porte son nom, ont été les rendez-vous de la bonne société nantaise. « Parmi les habitués de ces réunions, nous trouvons les personnages les plus distingués de Nantes ; des écrivains : d’Orvillié285, Français286, Douaux287, Dumas288 ; de hauts fonctionnaires : Bertrand, Intendant de la province289 ; Coustard, lieutenant des maréchaux de France290 ; Beaumon291, Baco292, Miromesnil293, magistrats ; des hommes d’esprit : Château, de Trévelec, d’Armaillé, le chevallier de Gadaignes, Rosilly294 ; des membres de plusieurs académies et des savants ; des artistes enfin, tels que Bougon295 et Champcourtois296, peintres d’histoire, auxquels Graslin confia la décoration de son propre salon297 ». Les preuves matérielles de ces allégations manquent, mais nous pouvons quand même faire état, grâce à l’inventaire après décès de Graslin, de quelques éléments. Si les bibliothèques des Fermiers généraux étaient souvent richement pourvues, il était de bon ton de moquer le peu d’usage qu’ils en faisaient. Plus soucieux de posséder des instruments de culture que de les lire, les financiers les auraient seulement jugés utiles à leur symbolique sociale298. Aucune généralité ne peut cependant être établie sur ce point, et les sarcasmes du public ne pouvaient naturellement être adressés à des Fermiers comme Helvétius où Lavoisier pour ne citer que les plus célèbres savants qu’à pu compter la compagnie. À ce titre, l’inventaire de la bibliothèque de Graslin corrobore l’image du lettré éclectique et de l’homme d’action qu’il fut. Car s’il recevait des personnages versés dans bien des matières, nous savons par ses écrits et ses réalisations qu’il était familier d’un vaste spectre de champs du savoir.
62La bibliothèque de Graslin compte 800 volumes pour 289 titres299. Ces chiffres sont plus faibles que les moyennes établies par Y. Durand pour les Fermiers généraux (2 500 volumes pour 800 titres300), mais sont très comparables à ceux des bibliothèques des moins bien pourvus d’entre eux, tel le banquier de Graslin Magon de la Balue. Du point de vue de la structure par grandes thématiques, des différences assez notables doivent être signalées. Si en ce qui concerne les Fermes, la géographie, la médecine, la théologie et la jurisprudence, les proportions sont à peu près équivalentes dans la bibliothèque de Graslin et celles de ses supérieurs, il n’en va pas de même dans plusieurs autres domaines. Ainsi la philosophie (22,3 % du total des titres), les finances et le commerce au sens large (10,8 %) et les sciences (14 %), représentent-ils chez Graslin des proportions très largement supérieures à celles des bibliothèques des Fermiers généraux (respectivement 2.8 %, 1,8 % et 5,5 % du total des titres en moyenne). Compte tenu des centres d’intérêt de notre homme, cette situation n’est pas surprenante, mais si l’on entre dans les détails, on est étonné de l’exhaustivité dans ces champs, où il n’y a – au moins pour la philosophie – que très peu d’absents (la métaphysique cartésienne, les théoriciens du droit naturel et presque tous les grands noms des Lumières sont là). La situation est un peu plus contrastée du point de vue de la science du commerce et des finances : ainsi l’homme possède-t-il la plupart des ouvrages des pionniers de l’économie politique et de l’agronomie, tandis qu’il y a plutôt indigence du côté de ses grands contemporains301. Du point de vue des livres scientifiques, on ne s’étonnera pas de trouver de très nombreux ouvrages de mathématique et de physique, ainsi, bien sûr, que beaucoup de titres relatifs à l’architecture et la navigation. Inversement, l’histoire et les belles-lettres sont sous représentés (16 % chacun chez Graslin contre 30,6 % et 32,9 % chez les Fermiers) et encore – nous retrouvons une fois de plus une de ses passions de jeunesse – faut-il noter qu’à l’intérieur des belles-lettres le théâtre est largement prédominant. Cette « anomalie » est sans doute éclairante : moins soucieux que ses supérieurs, car vivant en province et n’ayant pas le statut de Fermier, de se représenter dans son espace privé, l’inventaire de la bibliothèque de Graslin donne l’image d’un homme qui lisait les livres qu’il possédait. En effet, le faible prix total de sa bibliothèque révèle que les éditions richement reliées étaient rares et les titres qui s’y trouvent recoupent parfaitement les centres d’intérêt que nous lui connaissons. Si le nombre de volumes reste modeste, il n’en va donc pas de même de l’usage que le personnage en a fait.
63Les Fermiers généraux sont souvent mécènes et collectionneurs. Il peut s’agir de mécénat littéraire, pensons à Marmontel chez Pelletier, mais également de peinture, car beaucoup, à l’image des Laborde, se font tirer le portrait par des peintres célèbres : van Loo, Greuze, ou La Tour302. Graslin, à son échelle, reproduit les pratiques de ses supérieurs : il confie à des peintres – de moindre envergure que les précédents – la décoration de son hôtel et fait appel à des architectes pour son particulier. On retrouve cette même idée dans son inventaire qui fait état de beaucoup de médailles, de miniatures, de pastels et d’estampes, mais il s’agit, contrairement à ce que l’on trouve dans les hôtels et châteaux des Fermiers, de reproductions303. Mais outre le mécénat et les arts libéraux, « [i]l est un autre signe de luxe, de l’intensité de la vie de société et des réceptions, c’est la possession d’une cave304 ». Signe qui ne trompe pas, Graslin a une assez belle cave : quatre barriques de vin nantais, dix-huit tierçons de vin de Cap-breton, plusieurs centaines de bouteilles de vin de Bourgogne, de Bordeaux, d’autres terroirs encore, le tout valant plus de 1 500 livres. Cette cave est à comparer avec celles des Fermiers généraux : si celles de Philippe Cuisy et Jean-François Laborde sont évaluées à plus de 4 000 livres, celle de Claude Douet (2 100 livres) ou Le Riche de la Pouplinière (environ 2 000 livres) sont assez comparables à la cave de notre homme305. Mais la représentation de soi dans l’espace public passait encore par d’autres éléments, et notamment par les équipages. Et de ce point de vue encore Graslin était très bien pourvu. Il possédait deux chevaux à courte queue (700 livres), deux autres chevaux à court crin (600 livres), une diligence anglaise (640 livres), une vieille diligence à la française (150 livres), un vieux cabriolet à quatre places (240 livres), un autre cabriolet à deux places (450) et une chaise de poste (140), soit un total de 2 940 livres. C’est plus que l’équipage d’un très important Fermier général comme Jean-François Laborde par exemple (7 chevaux, deux berlines, une calèche, une chaise de poste, pour un total de 2360 livres306). « Une dernière marque du luxe financier et de l’intensité des relations sociales est à rechercher dans l’argenterie et les bijoux, qui servent à rehausser l’éclat de la vie de société307. » Le service en argent308 ainsi que les bijoux309 possédés par les époux Graslin sont d’un montant tout à fait comparable à ceux des Fermiers généraux et de ce point de vue encore, le receveur général de Nantes n’avait pas à rougir de ses instruments de paraître par rapport à ceux de ses supérieurs. Plus généralement, la structure de la masse successorale de Graslin est assez proche de celle des Fermiers (sur un échantillon de 32 actes sur la période 1732-1789310). Si l’immobilier (au sens large : maisons, seigneuries, terres) représente chez ces derniers environ 62 % de leur fortune si on y ajoute leurs fonds d’avance dans la Ferme, il représente environ 63,4 % de la masse successorale de Graslin. Nous ne disposons pas de données aussi précises concernant les crédits des Fermiers généraux, mais nous savons que ceux-ci représentait 31,8 % de la fortune brute de Graslin (382 050 livres, dont 204 658 en banque à Paris chez Magon). Si l’on entre dans les détails du mobilier, les meubles, argenteries et bijoux représentaient 3.26 % de la masse successorale de Graslin (contre 4.5 % pour les Fermiers généraux) et l’argent comptant, 1,85 % (2,81 % chez les Fermiers311).
64Tant du point de vue des pratiques de représentation de soi que des activités et de la fortune – qu’il s’agisse de son montant (1 200 000 livres312) ou de sa structure – Graslin est donc un parfait représentant de la finance d’Ancien Régime. D’ailleurs, que sa maison ait été le rendez-vous de la bonne société nantaise, il n’y a là rien d’étonnant, c’est le contraire qui eut été une anomalie sociologique. Car qu’ils aient reçu des hommes de lettres ou des musiciens, des filles de l’opéra ou des nobles de cour, les financiers du xviiie siècle, en province comme à Paris, ont en effet presque tous tenu salon313. Comme le souligne Y. Durand, il s’agissait par-là de tenter une intégration progressive à la bonne société de l’époque moderne. Et l’entreprise, si l’on peut dire, a réussi. Dans la seconde moitié du siècle en effet, l’image des Fermiers et des financiers en général se modifie dans l’opinion « éclairée » : l’élite n’hésite plus à s’afficher à leur côté, les savants et les Républicains des lettres sont fréquemment reçus dans leurs châteaux et la littérature du temps se montre de moins en moins amère contre eux314. Mais attention, à rebours des classes supérieures, les Cahiers de Doléances de 1789 enregistrent partout la condamnation du système d’imposition, des Fermiers et de la Ferme générale315. Les accusations de prévarications sont déjà là et la violence affleure derrière les critiques. L’opinion publique, qui vit la Ferme au quotidien, à une toute autre image que celle des élites, à laquelle les financiers se sont désormais intégrés316. Nous ne connaissons pas les opinions de Graslin sur les événements révolutionnaires, mais ce que l’on peut imaginer à la vue des multiples oppositions que ses réalisations avaient soulevées, c’est que l’épisode Carrier ne l’eut sans doute pas épargné. Lui qui – incarnation des Lumières de province – avait toujours cru pouvoir concilier son intérêt personnel et l’intérêt général, lui qui se voulait un acteur rationnel et « éclairé », résolument tourné vers l’action, se serait peut-être heurté à ces « citoyens », au nom duquel il se disait si souvent agir, mais qui, peut-être, avaient parfois vu les choses différemment. Il est toutefois inutile d’entrer dans ces conjectures, car Jean-Joseph-Louis Graslin s’éteint à Nantes le 10 mars 1790317 et c’est à cette date que s’arrête cet itinéraire.
Notes de bas de page
1 Je remercie F. Caillou et Ch. Maillard pour les nombreuses informations qu’ils ont bien voulu me transmettre, je suis également redevable à Ph. Le Pichon pour les commentaires et additions qu’il a bien voulu faire à ce texte.
2 F. Caillou m’a aimablement transcrit l’acte de baptême de Graslin (Archives Municipales de Tours, GG 102, BMS Tours-St-Denis 1718-1735, f° 51 r°) : (15/11/1727) « Le même jour Jean Joseph Louis, fils de Me Joseph Louis Graslin, écuyer, greffier en chef du bureau des finances et de dame Jeanne Delavau sa légitime épouze a esté baptizé, le parrein Me Jean Delavau, marchand, grand juge des Consuls, la mareinne dame Charlotte Graslin, femme de M. de St-Prix, procureur du roy à la Monoye, tous soussigné » (Signé : Deffray curé, Graslin, C. Graslin, Delavau). Les registres d’inscription de Graslin à ses examens de la Faculté de Droit de Paris mentionnent bien cette date du 15 novembre 1727 (cf. Archives Nationales (AN), Minutier Central (MC), ET/LXII/463). Luminais, qui avait avancé celle du 13 décembre 1728, confond avec un frère puîné de Graslin, Joseph-François, qui est décédé, selon toute vraisemblance, en très bas âge, cf. Luminais R.-M., « Recherches sur la vie, les doctrines économiques et les travaux de Jean-Joseph-Louis Graslin », Annales de la Société académique de Nantes et du département de Loire-Inférieure, Nantes, t. 32, 1861, p. 377-450, cf. p. 379, cet article a été réimprimé en 1862 à Nantes, chez Mellinet, Imprimeur de la Société Académique.
3 Petite paroisse située à 10 kilomètres au nord-ouest de Tours. Comme me l’a précisé F. Cailllou, sous l’Ancien Régime, Semblançay est le siège d’une des 28 baronnies de la province de Touraine. Dans la 2de moitié du xviie siècle et au siècle suivant, elle appartient à la famille d’Albert de Luynes et fait partie intégrante du duché-pairie de Luynes.
4 La profession du père de Louis Graslin, Barthélemy, est inconnue. Nous savons cependant qu’un frère de Louis, François, exercera la profession de notaire et greffier à Semblançay au xviie siècle, peut-être en succession de son aïeul. Il est certain en tout cas que n’étant pas désignés par un quelconque titre, les Graslin n’étaient pas gentilshommes. Nous avons affaire ici à une famille de petits notables ruraux, ce qui correspond bien à la structure sociale des ascendants de greffier au xviiie siècle (Caillou F., Une administration royale d’Ancien Régime : le bureau des finances de Tours, Tours, Presses de l’Université François-Rabelais, 2 tomes, 2005, t. 2, p. 80-81).
5 Il a été commis au greffe de la prévôté royale et commis-greffier au bureau des finances de 1666 à 1698. Il est ainsi désigné comme « praticien », c’est-à-dire spécialiste de la jurisprudence formé sur le tas dans une étude de notaire, procureur ou greffier, cf. Caillou F., op. cit., 2005, t. 2, p. 187.
6 À l’origine, on comprenait dans le domaine les rivières, les grands chemins, la voierie urbaine, les remparts, et certaines portions de mers. Les affaires de péages et d’octrois étaient donc de sa compétence.
7 Les nouveaux impôts directs, capitation et vingtième, ne seront pas confiés aux bureaux des finances, tandis que les grands chemins deviennent au xviiie siècle du ressort des commissaires départies et des ingénieurs des Ponts et Chaussés, cf. De Viguerie J. (dir.), Histoire et dictionnaire du temps des Lumières, Paris, Robert Laffont, 1995, p. 984.
8 Marion M., Dictionnaire des institutions de la France au xviie et xviiie siècle, Paris, Éditions A. & J. Picard & Cie, 1969, réimpression de l’édition de 1923, p. 61.
9 Cf. note 4.
10 Caillou F., op. cit., t. 2, p. 417-418.
11 En théorie car certains actes et certaines prestations donnent lieu à rémunération, que l’on appelle des « épices ». Sur ces dernières au bureau des finances de Tours, on consultera Caillou F., op. cit.,t. 1, p. 215-224.
12 Caillou F., op. cit., t. 1, p. 106.
13 Ils avaient en effet possibilité de la prendre seulement à bail, contre un fermage versé à son propriétaire.
14 Caillou F., op. cit., t. 1, p. 117.
15 Vaugrignon se trouve à Esvres à environ 10 km au sud-est de Tours, Gangnerie n’a pu être identifié. Comme me l’a expliqué F. Caillou, c’est grâce à ses liens avec des officiers du bureau des finances de Tours que Louis Graslin a pu se faire nommer « bailli et juge ordinaire », des terres, fiefs et seigneuries de la Gaignerie (ou Gangnerie) et de Vaugrignon. En effet, il a été nommé en la première charge par Charles Milon, écuyer, secrétaire du roi, procureur du roi au bureau des finances de Tours, seigneur de la Gaignerie, en la seconde par Pierre Tournier, écuyer, seigneur de Vaugrignon, trésorier de France à Tours.
16 Marion M., op. cit., p. 42.
17 « Greffiers d’Appeaux : anciennement on appelait ainsi celui qui tenait la plume dans un bailliage ou sénéchaussée, à l’audience où l’on jugeait les appels, que l’on disait aussi appeaux, en parlant des appels au pluriel : comme on dit encore, nouvel & nouveaux », in Encyclopédie ou Dictionnaire Raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers, t. 7, p. 926. Nous ne connaissons pas la dot apportée par Françoise Chauveau, mais il semble qu’à la vue de la profession de son père, Louis Graslin n’a pas réalisé un bond dans la trajectoire d’ascension de son lignage avec ce mariage.
18 Il a cependant dû s’acquitter des « droits de mutation », s’élevant à plusieurs centaines de livres.
19 À 34 ans, il a exactement l’âge moyen d’entrée dans la carrière au bureau de Tours (Caillou F., op. cit., 2005, t. 2, p. 185). L’âge médian est cependant inférieur, Joseph-Louis entrant assez tardivement dans ses fonctions.
20 Caillou F., op. cit., 2005, t. 2, p. 228.
21 « Impôt du dixième du revenu (au moins théoriquement), de tous, établit par déclaration du 14 oct. 1710, qui dura jusqu’en 1717, fut rétabli par déclaration du 17 nov. 1733 jusqu’au 1er janv. 1737, et enfin par déclaration du 29 août 1741 pour durer jusqu’à l’édit de mai 1749, qui y substituera un impôt du vingtième », in Marion M., op. cit., p. 181.
22 Caillou F., op. cit., 2005, t. 2, p. 229.
23 Bernard Chauvelin de Beauséjour ( ?-1755) est maître des requêtes en 1703. Il devient Intendant de Tours de 1710 à 1717, puis de Bordeaux et d’Amiens.
24 Adrien Maurice de Noailles (1678-1766) est un militaire et homme d’État français. Nommé président du Conseil des finances le 15 septembre 1715, il démissionne de cette fonction le 28 janvier 1718. Le 10 mars 1743, il est nommé ministre d’État, puis devient secrétaire d’État aux Affaires étrangères du 26 avril au 19 novembre 1744. Il siège au Conseil jusqu’au 28 mars 1756, date à laquelle il se retire en raison de son âge.
25 Bibliothèque Nationale de France (BNF), Ms Fr. 11372.
26 Caillou F., op. cit., 2005, t. 2, p. 91.
27 Archives Nationales (AN), Minutier Central (MC), ET/LXII/463.
28 Caillou F., op. cit., 2005, t. 2, p. 233.
29 Ce chiffre sera à mettre en relation avec la fortune de Jean-Joseph-Louis Graslin en 1790, à peu près triple.
30 Bien sûr au xviiie siècle, certains grands marchands des villes portuaires, de très hauts magistrats des cours souveraines, quelques grands seigneurs de cour et des fermiers généraux possèdent des fortunes qui dépassent le million de livres, mais on entre là dans la classe des individus « richissimes » de l’Ancien Régime.
31 Ce chiffre de 40 000 livres est déjà considérable et fait des parents de notre personnage des individus qui appartiennent à monde complètement étranger à celui du petit peuple des villes et des campagnes.
32 Et dont la fortune est de manière générale au moins égale à 200 000 livres.
33 « C’était le titre inférieur de la hiérarchie nobiliaire : il venait après celui de chevalier, comme il était naturel, l’écuyer ayant été au temps de la chevalerie un candidat à cet honneur, qui portait l’écu du seigneur auquel il s’était attaché. Supposant la noblesse, le titre d’écuyer était fréquemment usurpé ; un édit de janvier 1634 punit cette usurpation de 2000 l. d’amende », in Marion M., op. cit., p. 197.
34 Les armoiries de la famille Graslin sont les suivantes : « D’argent au chevron d’azur, accomp. En chef de deux étoiles de même et en pointe d’un coq au naturel ; au chef de sinople, chargé d’un croissant d’argent accosté de deux cloches d’or, bataillées de sable », in Potier de Courcy P., Nobiliaire et Armorial de Bretagne, 5e édition, 2 tomes, Mayenne, Joseph Floch, 1976, 1846 pour la première édition, t. 1, p. 478.
35 Joseph-Louis Graslin meurt le 25 octobre 1743 et est inhumé le jour suivant à Semblançay. Sa charge est alors vendue pour un montant de 12 000 livres à Claude-Jean Franquelin, qui est nommé greffier en chef le 27 mars 1744 (cf. Caillou F., op. cit., 2002, p. 1057 et p. 1067 et AN MC ET/LXII/463).
36 Graslin J.-J.-L., Mémoire de M. Graslin au sujet de trois libelles anonymes qui ont été publiés successivement contre lui, Nantes, in-4°, 1789, p. 2-3.
37 Sur cette question, cf. Ariès Ph., L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, Paris, Seuil, 1975, 1960 pour la première édition, p. 299-306.
38 Caillou F., op. cit., 2005, t. 2, p. 103.
39 La thèse de C. Drouault nous signale la figure remarquable de la sœur aînée de cet ecclésiastique, Louise-Françoise Graslin (1668-1753). Sans avoir jamais été ni religieuse, ni mariée, la demoiselle Graslin est Dame de Charité et inspectrice de l’hôpital de la Madeleine à Tours. Ses multiples dons et aumônes signalent une femme à la fois indépendante et éclairée car outre les pauvres, elle se souciera également du sort des prisonniers et de leur « réinsertion » ainsi que de celui des jeunes filles trouvées et de leur instruction. En souvenir de ses bienfaits, Monseigneur de Rastignac, archevêque de Tours en 1753, autorise son inhumation dans la chapelle de l’Hôpital général. (Cf. Drouault C., Le statut des femmes dans la société civile du xviiie siècle. Droit et réalités à travers l’exemple de Tours, thèse pour le doctorat en Histoire moderne, Université de Tours, 2005, p. 504-519).
40 Maillard Ch., Le Chapitre et les Chanoine de la « Noble et Insigne église de Saint-Martin de Tours » au xviiie siècle (1709-1790), thèse pour le doctorat en Histoire moderne, Université Michel-de-Montaigne Bordeaux 3, 2007, 3 tomes, 2007, t. 3, p. 1986-1987.
41 Nous ne connaissons pas les revenus précis que percevait Athanase-Hilaire, mais Ch. Maillard, évoque le cas de « Martin Caillault [qui] est sénéchal en 1790. Il explique que sa “sénéchaussée est réputée office ou dignité de second ordre dans l’Église de S. Martin” ; elle est dotée de “menues et vertes dix mes qui s’etendent dans les seigneuries ou prevotés dans lesquelles le chapitre jouit de grosses dix mes”, ainsi que des rentes. À ce titre, il perçoit 1514 livres annuellement », in Maillard Ch., op. cit., t. 1, p. 549.
42 Luminais R.-M., op. cit., p. 379.
43 Desmars J., Essai d’une étude historique et critique sur un précurseur de l’économie politique classique en France, thèse pour le doctorat en Droit, Université de Rennes, 1900, p. 5 note 2. (Une version abrégée de cette thèse a été publiée : Desmars J., Un précurseur d’Adam Smith en France : Jean Joseph-Louis Graslin, New York, Burt Franklin reprint, 1972, 1900 pour l’édition originale, Rennes, Imprimerie des Arts et Manufactures).
44 Luminais R.-M., op. cit., p. 379.
45 Desmars J., op. cit., p. 5.
46 Lebrun F., Venard M., Queniard J., Histoire de l’enseignement et de l’éducation, 3 tomes, Paris, Perrin, 2003, t. 2, p. 501. Sur les cycles et les programmes des collèges parisiens, cf. Compère M.-M., Les collèges français (16e-18e siècles), t. 3, Lyon, INRP, 2003.
47 Lebrun F., Venard M., Queniard J., op. cit., t. 2, p. 502.
48 « Quelques historiens prétendent qu’il a fait ses études à Juilly, mais ils auront sans doute confondu Jean-Joseph-Louis Graslin avec un Graslin, fils d’un maître chirurgien, rue des Prouvaires, à Paris, qui entra à Juilly le 19 décembre 1733. Ni la date d’entrée, ni la profession du père ne correspondent (cf. Registre d’inscription du collège de Juilly) », in Desmars J., op. cit., p. 5 note 2.
49 Le Père archiviste a effectué à ma demande des recherches à Juilly qui confirment les doutes de Desmars.
50 AN H3 2561B et H3 2530, 2563, 2565 ; Archives de Louis-le-Grand « Fonds Gustave Dupont-Ferrier (1563-1900) » ; Vanves Archives jésuites E Pa 45 et Dupont-Ferrier G., Du collège de Clermont au Lycée Louis-le-Grand (1563-1920), 2 tomes, Paris, E. de Boccard, 1921.
51 Dans une lettre à Hennin datée du 29 juin 1751 (Bibliothèque de l’Institut de France (BI), Fonds Hennin, Ms 1260, f° 176), Graslin parle d’un camarade, en précisant : « Il a fait ses études avec nous à Beauvais. » Je n’ai pu découvrir depuis quand Graslin est inscrit dans ce collège car les registres d’inscription ont aujourd’hui disparu. Mes recherches aux AN dans la série H3, notamment dans les comptes de recettes et de dépenses du collège, n’ont rien donné. Comme me l’a signalé Th. Kouamé, il est fort probable que Graslin suivait les cours de l’école de droit du Clos-Bruneau, rue Jean-de-Beauvais, pendant son passage au collège, et peut-être même après. Relevons également que le célèbre architecte Claude-Nicolas Ledoux (le maître de Mathurin Crucy) sera pensionnaire de Dormans-Beauvais sur la période 1749-1753. Compte tenu de ces dates et de leur différence d’âge (Graslin est de 9 ans son aîné), il est cependant peu probable que les deux hommes s’y rencontrèrent.
52 Dans l’Ancien Régime, la Maîtrise ès Arts, qui couronne le cursus de la classe de philosophie, c’est-à-dire le tronc commun avant l’entrée dans les Facultés dites « supérieures » (Théologie, Droit, Médecine), était délivrée par les 10 collèges de plein exercice, autrement appelés « collèges universitaires », dont Louis-le-Grand était exclu. Sur les conflits entre les jésuites parisiens et l’Université de Paris et la notion de collège universitaire, cf. Chartier R., Compère M.-M., Julia D., L’éducation en France du xvie au xviiie siècle, Paris, SEDES, 1979.
53 En théorie, l’inscription en Droit, faculté supérieure, devait se faire lorsque l’étudiant avait suivi ses classes de philosophie et obtenu la maîtrise ès arts, qui couronnait ce « tronc commun » inférieur. Mais en pratique, l’inscription pouvait se faire sans que les classes de philosophie aient été terminées, voire même commencées (Lemasne-Desjobert M.-A., La Faculté de Droit de Paris aux xviie et xviiie siècles, Paris, CUJAS, 1966, p. 74 et Chartier R., Compère M.-M., Julia D., op. cit., p. 256).
54 Né à Magny en 1728, Hennin est le fils d’un procureur de Versailles. Après ses études de droit, il va faire l’intégralité de sa carrière aux Affaires étrangères. Après de nombreux voyages en Pologne et dans les États allemands dans les années 1750, il devient Résident de France à Varsovie (1761-64) sous les ordres du Comte de Broglie. De 1767 à 1777 il est nommé résident de France à Genève, il rencontre alors Voltaire à plusieurs reprises et correspond avec lui. En 1775, il se marie avec une protestante et rentre en France en 1777 où il obtient la place de premier commis des Affaires étrangères sous les ordres de M. de Vergennes. En 1785, Hennin a été nommé à l’Académie des inscriptions et belles-lettres dans la classe des académiciens libres. Il meurt en 1807 et institue l’Académie légataire de ses papiers (Doniol H., Politique d’autrefois. Le Comte de Vergennes et P.M. Hennin, directeur au département des affaires étrangères, Paris, Armand Colin, 1898).
55 Bibliothèque de l’Institut de France (BI), Fonds Hennin, Ms 1260.
56 Claude-Pierre Patu (1729-1757), avec qui Graslin était « fort lié » (BI, Ms 1260, f° 179), fut lui aussi avocat au Parlement de Paris, mais surtout poète, critique de théâtre, auteur dramatique, traducteur et historien de la littérature italienne et anglaise. Ami de Casanova et de Voltaire, il fait jouer en 1754 une comédie en un acte et en alexandrins Les Adieux du goût. Il décède prématurément dans les Alpes à son retour d’Italie. Sur Patu, cf. Lelièvre R., « C. P. Patu (1729-1757) le fervent admirateur de Shakespeare, le traducteur, le critique, l’historien de la littérature anglaise », Revue de Littérature Comparée, Paris, 1977, vol. 51, n° 1, p. 58-73.
57 Dupont-Ferrier G., op. cit., p. 315 :
Collegium Ludovico Magni.
In Quo
Academiae Parisiensis Aedes Alumnique
Et Collegium Dormano-Bellovacaeum,
Ex Munificentia
Ludovici XV Regis, Dilectissimi
1764
58 Il y avait en effet un collège de plein exercice à Tours, dirigé par les jésuites jusqu’en 1762, mais il ne connut jamais une forte affluence et était déserté par les classes supérieures de la ville. Lors de l’expulsion des pères jésuites, « le procureur du roi au présidial analyse ainsi le recrutement du collège : “Ce collège n’a point de pensionnaires. Il n’a tout au plus que 150 écoliers externes qui sont les enfants de parents qui, pour la plupart, ne se trouvent pas dans l’aisance. Quant aux pères et mères qui sont dans l’opulence, ils envoient leurs enfants au loin” », in Compère M.-M. et Julia D., Les collèges français 16e-18e, Répertoire 2 – France du Nord et de l’Ouest, Lyon, INRP, 1988, p. 659.
59 Sur le collège de Beauvais de la fin du Moyen-âge, cf. Kouamé Th., Le collège de Dormans-Beauvais à la fin du Moyen-Âge : stratégies politiques et parcours individuels à l’Université de Paris 1370-1458, Londres, Brill, 2005.
60 Les collèges universitaires sont gratuits depuis 1719, suite à une substantielle augmentation de revenus liés à la proportionnalité de la part qui est due à l’Université de Paris sur le bail des postes (cf. Chartier R., Compère M.-M., Julia D., op. cit., p. 259).
61 Charles Rollin (1661-1741) est principal de 1699 à 1712, son successeur Charles Coffin (1676-1749) de 1712 à sa mort. Sur ces deux personnages, qui vont faire de l’établissement l’un des collèges les plus courus de Paris, cf. Compère M.-M., op. cit., t. 3, p. 95-97.
62 Le recteur souhaite en finir avec le gallicanisme et les querelles sans fin de l’Université à propos de la bulle Unigenitus. L’opposition manifesté par Coffin et Rollin va leur valoir une exclusion de toutes les assemblées de l’Université, cf. R.P. Chapotin M.D., Le collège de Dormans-Beauvais et la chapelle Saint-Jean l’évangéliste, Paris, Joseph Albanel et Durand & Pedone-Laurel, 1870, p. 430-471.
63 Et notamment les avocats Denis-François Secousse (1691-1754), Pierre-Jean-Baptiste Gerbier (1725-1788), Simon-Nicolas-Henri Linguet (1736-1794), cf. R.P. Chapotin M.D., op. cit., p. 457.
64 AN, MM 1157 (108) (1744-1750).
65 Lemasne-Desjobert M.-A., op. cit., p. 75.
66 Ibid., p. 19.
67 Ces contemporains pointent l’insuffisante formation en droit français et la quasi-absence du droit public, droit naturel et droit des gens. Voir Diderot D., « Plan d’une Université ou d’une éducation publique dans toutes les sciences », Œuvres, L. Versini (éd.), t. 3, Paris, Laffont, 1995 et Brissot J.-P., Un indépendant à l’ordre des avocats, sur la décadence du barreau en France, Berlin, 1781.
68 Leuwers H., L’invention du barreau français 1660-1830, Paris, EHESS, 2006, p. 19-20.
69 Lemasne-Desjobert M.-A., op. cit., p. 119.
70 BI, Ms 1260, fos 162-163.
71 C’est peut-être d’ailleurs seulement le nom d’emprunt que lui donne Graslin quand il s’adresse à ses amis.
72 Il pratique également quelques « entre-actes » en lisant les Causes célèbres de St-Evremond et les ouvrages de Madame de Villedieu, cf. BI, Ms 1260, f° 163.
73 Doniol H., op. cit., p. 15-16.
74 BI, Ms 1260, f° 165.
75 Ibid., f° 166.
76 Ibid., f° 169.
77 Ibid.
78 Nous savons que le taux d’abandon des études de Droit était très élevé, souvent de l’ordre de 40 %, mais il faut aussi compter les étudiants qui quittaient l’Université de Paris pour aller prendre leurs grades ailleurs, dans des Facultés moins regardantes et surtout moins chères, cf. Julia D. et Revel J., « Les étudiants et leurs études dans la France moderne », in Julia D. et Revel J., Les Université européennes du xvie au xviie siècle, 2 tomes, Paris, EHESS, 1989, t. 2, p. 161-162. Notons également que la vie de clerc chez les procureurs ou les avocats ressemblaient de près à un cauchemar : outre que les places y étaient chèrement disputées et le loyer très élevé, la nourriture n’était pas assurée tous les jours et la charge de travail était très souvent si considérable que les étudiants n’avaient matériellement pas le temps d’assister aux cours, cf. Julia D. et Revel J., op. cit., p.134.
79 AN, MM 1105 (56) 1748-1762.
80 Julia D. et Revel J., « Les étudiants et leurs études… », in Julia D. et Revel J., op. cit., p. 155.
81 Leuwers H., L’invention du barreau français 1660-1830, op. cit., p. 19.
82 BI, Ms 1260, f° 170.
83 Peut-être la jeune fille s’est-elle laissée aller trop avant avec Graslin, près d’un puit, à Saint-André-des-Arts, mais il est difficile de savoir ce qui s’est réellement passé.
84 BI, Ms 1260, fos 172-173.
85 BI, Ms 1260, f° 166. Nous retrouvons, mêlé à sa passion du théâtre, ce ton ironique sur l’institution dans l’affection marquée qu’il porte à la comédie de Racine Les plaideurs. Cf. Journal d’Agriculture, du Commerce et des Finances, novembre 1767, p. 171-172 et Journal de Paris, mars 1778, supplément au n° 341, p. 1392.
86 BI, Ms 1260, fos 182-183.
87 AN MC ET/LXII/463.
88 Ibid.
89 Sur ce personnage-clef du règne de Louis XV appartenant à la « tribu » ministérielle des Phélypeaux, on consultera de Maurepas A. et Boulant A., Les ministres et les ministères du siècle des Lumières (1715-1789), Paris, Éditions Chrisitian/JAS, 1996, p. 262-266.
90 Mais le cas d’Athanase-Hilaire Graslin est loin d’être isolé. Dans ces maisons, les aliénés côtoient de nombreux « correctionnaires » enfermés sur lettre de cachet. Sur ces institutions et leur évolution, cf. Masson M., « L’ordre hospitalier de Saint-Jean-de-Dieu et la psychiatrie », Synapse, 159, 1999,p. 35-38.
91 Si au milieu du xviiie siècle, l’usage du poison est si l’on ose dire » passé de mode »et appartient surtout aux mœurs du siècle précédent, il n’en a pas pour autant disparu. Cf. Jacquin F., Affaires de poisons. Les crimes et leurs imaginaires au xviiie siècle, Paris, Belin, 2005.
92 BI, Ms 1260, f° 166.
93 À la fin de l’année 1757, l’avocat Jacob-Nicolas Moreau lance un pamphlet contre les philosophes en général et le clan Encyclopédiste en particulier, qu’il désigne comme une nouvelle tribu de sauvages bien plus féroce que celles que l’on a connu jusqu’alors en les affublant du nom de « Cacouacs ». Après les premières attaques de Moreau, l’abbé de Saint-Cyr entre dans la danse en publiant en 1758 un Catéchisme et cas de conscience à l’usage des Cacouacs suivi d’un Discours du patriarche des Cacouacs pour la réception d’un nouveau disciple. Sur cette affaire en général on consultera Masseau D., Les ennemis des philosophes, Paris, Albin Michel, 2000,p. 123-131, et Stenger G., L’affaire des cacouacs. Trois pamphlets contre les Philosophes des Lumières, Saint-Étienne, Université de Saint-Étienne, Collection xviiie siècle, 2004. D’Argenson qualifie l’abbé de Saint-Cyr de personnage « faux et hypocrite », « qui a le cœur aussi mal fait que l’esprit », cf. Argenson R.-L., Journal et Mémoires du Marquis d’Argenson, Paris, Renouard, 1859-1867,t. 6, p. 253 et p. 121.
94 Baron du Roure de Paulin, Le château de Rochebaron. Généalogie de la famille de Giry, Paris, Bibliothèque de la « Revue Héraldique », 1906, p. 19 et Stenger Gh., op. cit., 2004, p. 17.
95 Il est chanoine prébendé depuis au moins le 7 juillet 1704 et le 1er juillet 1717 il est procureur du chapitre (cité le 28/5/1714). Toutes ces informations m’ont aimablement été transmises par Ch. Maillard.
96 Desmars J., op. cit., p. 6.
97 Luminais, op. cit., p. 380.
98 BI, Ms 1266, fos 182-183.
99 Ibid.
100 Ibid., fos 174-175.
101 Le Contrôle général dirige les finances royales depuis la suppression de la surintendance en 1661. Son pouvoir, qui ne cesse de s’étendre au cours du siècle, est immense. Outre la mise au point de toutes les affaires budgétaires (impôts directs et indirects, emprunts et rentes), ce ministère a aussi la haute main sur la législation « économique » au sens large (le commerce des grains, les manufactures, les corporations de métiers) ainsi que sur les Intendants, qui, présents dans chaque généralité du royaume, appliquent les décisions du ministre et font remonter des informations (notamment en matière d’état des récoltes et même « d’état de l’opinion »). Le contrôleur général est de tous les conseils (finances, commerce, dépêches) et porte la plupart du temps le titre de ministre d’État. Son ministère est découpé en plusieurs départements, chacun étant confié à un intendant des finances. Le nombre d’intendants varie de quatre à sept, mais ils sont le plus souvent au nombre de six et comme le souligne J. de Viguerie, puisque leur charge est un office qui s’achète fort cher, « les contrôleurs généraux passent, les intendants des finances restent. Ils acquièrent ainsi une sorte de supériorité sur le ministre », in de Viguerie J. (dir.), op. cit., p. 1048. Sur le contrôle général des finances, cf. Antoine M., Le cœur de l’État. Surintendance, contrôle général et intendance des finances 1552-1791, Paris, Fayard, 2003.
102 Comme le souligne Y. Durand, le mot de « compagnie », « possède ici deux sens. La compagnie, c’est d’abord une société de commerce, en l’occurrence “une union de plusieurs personnes qui s’associent pour entrer dans les affaires du Roi”. […] Le second sens est celui de corps, c’est-à-dire d’une “personne” mêlant les intérêts publics et privés, formé avec la permission du souverain, en vue du bien commun. Les corps ont une organisation stable et des privilèges. Ils se distinguent des individus qui les composent », in Durand Y., Les fermiers généraux au xviiie siècle, Paris, Maisonneuve et Larose, 1996, 1971 pour la première édition, p. 63. On pourra, pour tout ce qui concerne la Ferme et les Fermiers, se reporter à ce maître-ouvrage, unique sur ce thème.
103 Les changements de baux sont également des moments importants pour les employés des directions régionales, car toutes les dépenses sont réexaminées (nombre de postes, rémunérations, frais de fonctionnement), cf. Clinquart J., Les services extérieurs de la Ferme générale à la fin de l’Ancien Régime. L’exemple de la direction des fermes du Hainaut, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1996, p. 74.
104 Durand Y., op. cit., p. 67.
105 Ibid., p. 72.
106 La généralité est la circonscription administrative la plus importante de l’ancienne France. Chaque généralité est dirigée par un intendant, et l’on en compte, en 1789, trente-quatre. L’intendant de la généralité de Bretagne réside normalement à Rennes. Cf. Marion M., op. cit., p. 257.
107 Il réalise notamment une tournée d’inspection une fois par an dans tous les bureaux qui sont de son ressort.
108 Clinquart J., op. cit., p. 72.
109 Ibid., p. 106. Ce que Graslin fera en créant du papier monnaie qu’on appellera les « Bons Graslin » pendant la construction du quartier de Nantes qui porte son nom.
110 Durand Y., op. cit., p. 73.
111 BI, Ms 1260, f° 176.
112 La Marquise de Pompadour, favorite en titre.
113 BI, Ms 1260, f° 176.
114 François-Marie Peyrenc de Moras (1718-1771) a suivi une carrière classique de haut-fonctionnaire : d’abord conseiller au Parlement de Paris (1737), maître des requêtes (1742), il devient intendant d’Auvergne (1750), du Hainaut (1752), puis intendant des finances (1755) et contrôleur général, adjoint à son beau-père Moreau de Séchelles avant de l’être en titre (1756-57) et enfin ministre d’État (1757) et secrétaire d’État à la Marine (1757-58). Sur la carrière de Peyrenc de Moras, cf. de Maurepas A. et Boulant A., op. cit., p. 229-232 et Mosser F., Les intendants des Finances au xviiie siècle. Les Lefèvre d’Ormesson et le « département des impositions » (1715-1777), Genève-Paris, Droz, 1978.
115 Jean de Boullongne (1690-1769) a d’abord été conseillé au Parlement de Metz (1725), puis Intendant des finances (1744) pour faire enfin un bref passage au Contrôle général (1757-1759), cf. de Maurepas A. et Boulant A., op. cit., p. 326-328.
116 Desmars J., op. cit., p. 6.
117 Luminais R.-M., op. cit., p. 380. Rien, dans les mémoires que Lekain nous a laissé, ne nous permet d’affirmer que tout cela est vrai. Cf. Lekain (Henri-Louis Caïn dit), « Mémoires de Lekain », in Barrière M. F., Mémoires de Mlle Clairon, de Lekain, de Préville, de Dazincourt, de Molé, de Garrick, de Goldoni, Paris, Firmin Didot, 1878, p. 107-161.
118 BI, Ms 1260, f° 179.
119 Ibid.
120 Ibid.
121 4 000 livres tournois.
122 Ibid., fos 174-175.
123 Kaplan S.L., Les ventres de Paris. Pouvoir et approvisionnement dans la France d’Ancien Régime, Paris, Fayard, 1988, p. 72-73.
124 La lettre est datée du 19 août 1757, BI, Ms 1260, fos 174-175.
125 Baulant M., « Le prix des grains à Paris de 1431 à 1788 », Annales. Histoire, Sciences sociales, 1968, 23 (3), p. 520-540. Les travaux de Labrousse avaient déjà esquissé cette évolution de prix, tout en étant moins précis sur la qualité des blés en question. Dans la généralité de Paris, on passe selon l’auteur de 15,05 livres en 1756 à 21,55 en 1757 et pour Paris ville, il relève respectivement 15,3 et 18,35 (Labrousse E., Esquisse du mouvement des prix et des revenus en France au xviiie siècle, 2 tomes, Paris, Éditions des archives contemporaines, 1984, réimpression de l’édition de 1933,t. 1, p. 112).
126 Rappelons que le petit peuple des villes considère que le « bon prix » du setier est d’environ 12 livres dans la seconde moitié du siècle. À partir de 18-20 livres, on entre dans la « cherté », au-delà de 26-28, la situation devient insupportable. Sur quelques réflexions sur ces « seuils de tolérance », on consultera Faure E., La disgrâce de Turgot, Paris, Gallimard, 1961, p. 316-318.
127 Labrousse E., op. cit., t. 1, p. 104.
128 Sur la modification – lente – de cet état d’esprit à la fin de l’Ancien Régime, on consultera Steiner Ph., Sociologie de la connaissance économique. Essai sur les rationalisations de la connaissance économique (1750-1850), Paris, PUF, 1998, p. 69-120.
129 Jusqu’en 1763-64, le marché du grain et donc du pain est un marché fortement administré, la Police et les Intendants contrôlant à la fois les marchands, les approvisionnements et les prix. Sur ce mode de régulation étatique et les tentatives de libéralisation des années 1760, cf. Kaplan S.-L., Le pain, le peuple et le Roi. La bataille du libéralisme sous Louis XV, Paris, Perrin, 1986.
130 Ibid., p. 60-61.
131 BI, Ms 1260, f° 176.
132 La famille de Noailles ou celle des Chauvelin de Beauséjour, dont le père de Jean-Joseph-Louis était un protégé ? (cf. supra n. 32) Il faut en effet noter que Jacques-Bernard Chauvelin de Beauséjour, fils aîné de celui dont Joseph-Louis Graslin fut le client, est depuis 1753 et jusqu’à sa mort en 1767 intendant des finances. Ou peut-être la piste la plus vraisemblable est-elle celle de M. Savalette de Magnanville (voir infra n. 150) ?
133 Ibid., f° 180.
134 Ibid., f° 184.
135 Sur la prospérité de Nantes au xviiie siècle, cf. Pétré-Grenouilleau O., Nantes au temps de la traite des noirs, Paris, Hachette, 1998.
136 Hormis le bureau de la prévôté à Nantes, les bureaux de la Ferme sur la côte et dans l’estuaire sont les suivants : Mesquer, Le Croisic, le Pouliguen, sur la cote nord, Paimbeuf, St Nazaire, Le Pellerin, Coueron, dans l’Estuaire, cf. Léauté B., Les employés de la direction régionale des fermes générales de Nantes à la fin du xviiie siècle : missions, recrutement, carrières et protections, mémoire de maîtrise sous la direction de Y. Durand, Université de Nantes, 1983, p. 7.
137 Les bureaux des marches et du Poitou sont : Beauvoir, Chateauneuf, la Garnache, Falleron, Palluau, Rocheservière, l’Herbergement, Remouillé, Montaigu et la Bruffière, cf. Léauté B., op. cit., p. 7.
138 Ibid., p. 7-8.
139 Pour éviter la contrebande, des patrouilles de « brigadiers » sillonnent la Loire et fouillent même les marins. À la direction de Nantes, les brigades doivent surveiller 300 km de côte et de rives, et disposent pour cela de 485 hommes en 1775 et de 592 vers 1782. Ils sont situés le long ou a proximité du littoral et de l’estuaire. Dans l’arrière-pays, des brigades ambulantes pédestres existent également. La direction de Nantes dispose encore de deux navires destinées à la surveillance maritime. On trouve un nombre important d’anciens soldats dans ces brigades. Les brigadiers et les commis bénéficient de nombreux avantages : un salaire fixe, des primes, et ils n’étaient pas assujettis à la taille. De plus, ils furent parmi les premiers à bénéficier d’un système de retraite (il fallait 20 ans de service pour les brigades et 30 ans pour les bureaux). Pour plus de détails sur tous ces points on consultera Léauté B., op. cit.
140 Ibid., p. 11. L’hôtel de la Prévôté se trouvait dans l’actuelle rue Santeuil.
141 Qui eux ne sont pas des employés de la compagnie.
142 Almanachs royaux pour les années 1766-1777, http ://gallica.bnf.fr/ark :/12148/cb34454105m/ date.
143 Peut-être faut-il incriminer ici la guerre américaine, car « [u]p to the war of American Independence (1775-1783) Virginia and Maryland dried-leaf tobacco was purchased from colonial factors in England by agents of the General Farms. During the war the General Farms purchase directly in the tobacco producing states and later, in 1785, signed with Robert Morris a contract granting him the exclusive right to supply the monopoly with all its American tobacco », Matthews,G. T., The Royal General Farm in Eighteenth-Century France, New York, Columbia University Press, 1958, p. 120.
144 AN, G1 64 n°2.
145 C’est semble-t-il un cas assez fréquent puisqu’en 1759-1760, au moment même ou Graslin prend ses fonctions, il manque presque 2 millions de livres de cautionnement, que la compagnie procure de ses deniers pour ne pas perdre des employés zélés, mais qui ne parviennent pas à réunir les sommes nécessaires, cf. Durand Y., « Un placement sûr au xviiie siècle : Les cautionnements des employés de la Ferme générale », Études européennes : Mélanges offerts à Victor-L. Tapié, Paris, Publication de la Sorbonne, 1973, p. 330-343.
146 Ce cas est extrêmement fréquent car ces cautions sont rémunérées à un taux avoisinant les 5 %, cf. Durand Y., « Un placement sûr au xviiie siècle… », op. cit.
147 La loi du 5 novembre 1790 abolit les droits de traites dans l’intérieur du royaume et recule l’ensemble des barrières douanières aux frontières. Si Nantes, en tant que port, n’est pas trop touchée par ces mesures, l’Assemblée nationale va engager en 1790 une nationalisation et une réorganisation de la Ferme générale.
148 Jean-Baptiste Magon de la Balue (1713-1794) est issu d’une très ancienne famille de commerçants malouins, et il a d’ailleurs débuté sa carrière à Cadix dans le négoce maritime. Il a été directeur de la compagnie des Indes orientales, fermier général de 1763 à 1772 et banquier de la cour et du comte d’Artois. Il sera guillotiné, comme beaucoup d’autres fermiers généraux, le 19 juillet 1794.
149 Archives départementales de Loire-Atlantique (ADLA), 4 E 2/990.
150 Avocat du roi au Châtelet (1732), conseiller au Parlement de Paris (1736), il devient maître des requêtes (1738), puis intendant de la généralité de Tours (1745) et enfin garde du trésor royal à la mort de son père (1756), charge qu’il exercera jusqu’à sa mort.
151 Nous ne connaissons pas les lettres en question mais l’inventaire après décès de Graslin nous révèle leur existence, cf. ADLA, B 9512/1. Sur Magon de la Balue et Savalette de Magnanville, leurs familles, leurs charges et leurs affaires, on consultera Lüthy H., La banque protestante en France de la Révocation de l’Édit de Nantes à la Révolution, Paris, SEVPEN, 1959, et Durand Y., op. cit. Concernant le destin de la famille Magon, l’ouvrage de référence est celui de Lespagnol A., Messieurs de Saint-Malo. Une élite négociante au temps de Louis XIV, 2 tomes, Rennes, PUR, 1997. Sur la période suivante de cette famille on pourra également consulter l’ouvrage, quoique un peu vieilli, de Sée H., Le commerce maritime de la Bretagne au xviiie siècle, Rennes, La découvrance, 2001, 1925 pour la première édition.
152 Il a du intervenir dans l’affaire de la tentative d’assassinat.
153 AN, MC ET/LXII/463.
154 Un certain Jean-Baptiste-Pierre Gérard, intéressé dans les affaires du roi, représente Madame Graslin, Michel Charles Potée, bourgeois de Paris, Jean-Joseph-Louis, Henri Beugnet, capitaine de bourgeoisie à Tours, Jeanne-Catherine Graslin. Ce dernier personnage est l’homme de la confiance de la famille, c’est lui qu’on envoie à Paris ou à Versailles dès qu’il y a une affaire urgente à traiter, comme celle de la seconde lettre de cachet pour Athanase-Hilaire. D’ailleurs, l’incarcération de ce dernier a dû compliquer les procurations, puisque c’est un notaire de Tours, Paul Cabarat, qui se substitut à un certain Jacques Prosper Manois, bourgeois de Paris, la procuration ayant été accomplie par deux notaires de Senlis, où nous savons que le jeune Graslin se trouve (cf. AN, MC ET/LXII/463).
155 Ces sommes font plus que les 40 000 livres auxquelles les biens de feu Joseph-Louis Graslin ont été évalués. Mais les époux Graslin était également titulaires de plusieurs rentes, que nous ne détaillerons pas ici, et dont la liquidation entre dans l’héritage. (cf. AN, MC ET/LXII/463).
156 AMN, Chantenay, Saint-Martin, BMS 1765, 2 Z 48. Sont également présents Martin Gatien Gohuau de St Jean, négociant à Tours et François Dupuilh, inspecteur des fermes. je remercie Ph. Le Pichon d’avoir bien voulu me transmettre cet acte ainsi que celui du baptême de Renée-Magdeleine-Jeanne.
157 Il devrait se trouver sous la cote 4/E 2 764 et il n’y est pas. En fait, il semble que ce soit la seule pièce manquante du carton, donc il a été soit déplacé, soit volé.
158 La famille Cazalis de Pradine (ou de Cazalis Pradine) compte parmi ses membres plusieurs capitaines de navires et armateurs négriers, dont nous n’avons pu, pour l’instant, établir le lien de parenté exact avec la belle-mère de Graslin, cf. Mettas J. et Daget S., Répertoire des expéditions négrières françaises, Paris, Société française d’histoire d’outre-mer Paris, P. Geuthner, 1978, tome 1, p. 50, et ADLA Marine 336, ADLA B 4577 f° 133 ; an col. c8a 29.
159 Luminais R.-M., op. cit., p. 380.
160 AMN, Chantenay Saint-Martin, BMS 1747, 2Z 46.
161 AMN, Nantes Décès, 5e, 6e cantons, 1818, 1E 447.
162 1° Renée-Jeanne, l’aînée, née le 3 mars 1768, meurt en 1789. Elle épousa à Nantes Philibert-Étienne Doré le 25 avril 1785. Le 8 août 1786, Graslin dit à Hennin tout le bien qu’il pense de cette union : « j’ai marié l’année dernière l’aînée à un très bon sujet qui la rend et la rendra heureuse et gaie au pardessus aura beaucoup de fortune » (cf. BI, Ms 1260, f° 209). 2° Louis-François Graslin est né le 25 avril 1769 et meurt vers 1850 à Paris. Il deviendra receveur des contributions indirectes à Tours, puis consul de France à Santander. Il épouse N. Picault de Malitourne dont il aura un fils. Preuve que la noblesse des Graslin était en cours et non « achevée », Louis-François cru bon de demander à Louis XVIII des lettres de confirmation de noblesse, qu’il obtînt, ses descendants s’appelant alors « de Graslin », particule qui n’était pas portée par son père (si l’on trouve « M. de Graslin » sur une plaque de l’entrée de l’actuel hôtel de France et des voyageurs, il ne pouvait s’agir que d’une formule de politesse, comme on disait alors « M. de Voltaire »). 3° Antoine-Louis Graslin est né le 11 octobre 1771 et meurt en 1855 à Nantes. Il deviendra receveur général des fermes à Nantes à la suite de son père, puis officier de dragons, et on le trouvera en 1808 adjudant major de la garde d’honneur-cavalerie de Napoléon Bonaparte. Il épouse le 30 juin 1807 Marie-Joséphine-Blanche Levallois de Séréac, dont il prit le nom pour s’appeler Graslin de Séréac. Il est conseiller municipal de Nantes en 1825 et 1830. 4° Sophie-Rose Graslin est née le 1er mai 1774. Mariée à Louis-Marie Rivet de la Fournerie qui lui donnera un fils et dont la descendance portera le nom de « Rivet-Graslin ». Sur tous ces personnages, on consultera Kerviler R., Répertoire général de Bio-Bibliographie Bretonne, Mayenne, Joseph Floch, 1984, Rennes, Librairie générale de J. Plihon et L. Hommay, 1904, Gour-Gué, p. 111-114 et notre généalogie dans ce volume complétée à partir d’autres sources disponibles publiques et privées.
163 Luminais R.-M., op. cit., p. 379 et Desmars J., op. cit., p. 24.
164 Jean-Baptiste-Louis Crevier (1693-1765) est une « figure » du collège de Dormans-Beauvais. Il a laissé à la postérité plusieurs ouvrages d’histoire romaine, des Observations sur l’Esprit des lois de Montesquieu (1764) et une célèbre Rhétorique française (1765).
165 Dominique-François Rivard (1697-1778), professeur de philosophie à Dormans-Beauvais, est l’auteur de nombreux ouvrages estimés dont les Institutiones philosophicae (1778-1780), les Éléments de mathématiques (1744, 4e édition) et les Éléments de géométrie (1732). Je prépare un article sur la formation intellectuelle de Graslin et les origines de ses théories économiques qui rendra compte en détail de son influence.
166 Graslin J.-J.-L., Essai analytique sur la richesse et sur l’impôt, Paris, Librairie P. Geuthner, 1911, Londres (Nantes), 1767, p. iii.
167 Cette société a été créée par arrêt du Conseil d’État du roi le 24 février 1761. Sur la présence de Graslin comme membre fondateur, on consultera Sourdeval Ch. de, « Notice sur la société d’agriculture du département d’Indre-et-Loire », Annales de la société d’agriculture, sciences, arts et belles-lettres d’Indre-et-Loire, vol. 41, 1862, p. 125. La société a publié un seul volume, consacré entièrement à l’agronomie. On le trouve à la BNF sous la cote S-17233, Recueil des délibérations et des mémoires de la Société Royale d’Agriculture de la Généralité de Tours pour l’année 1761, Tours, Imprimerie de F. Lambert, 1763.
168 Cf. Luminais R.-M., op. cit., p. 381 et Desmars J., op. cit., p. 27.
169 ADLA, B 9512/1.
170 Forbonnais est né le 3 octobre 1722 dans une famille de grands négociants manceaux. Après avoir parcouru l’Europe, il décide d’abandonner la carrière de commerçant et se consacre aux lettres et à l’administration. Il s’installe à Paris en 1753 et se lie d’amitié avec l’Intendant du commerce Jacques-Claude-Marie Vincent de Gournay. Il donne notamment plusieurs articles à l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert et deux « traductions libres » en 1753, la Théorie et pratique du commerce et de la marine et Le négociant Anglois. Il publie par la suite ses Éléments du commerce (1754) et les Recherches sur les finances de la France jusqu’en 1721 (1758), pour ne citer que ses principaux ouvrages. En 1756 il est nommé inspecteur des monnaies puis il devient le plus proche conseiller du nouveau contrôleur général Étienne de Silhouette en 1759. Ce dernier vite remercié, Forbonnais retourne sur ses terres au début des années 1760, il reviendra à Paris à la fin de l’année 1766 après avoir cherché à obtenir un poste dans les colonies. Sous son impulsion, le Journal de l’agriculture, du commerce et des finances devient le principal organe anti-physiocrate. Il écrit alors à nouveau plusieurs ouvrages dont les Principes et observations économiques, dirigé contre les thèses de Quesnay et de ses disciples. Il cesse son activité littéraire de la fin des années 1760 jusqu’à la Révolution. Ses seuls travaux, agronomiques, sont présentés à la société d’agriculture du Mans. Il sera deux fois candidat malheureux : aux États Généraux et à l’Assemblé législative. Il entre à l’Académie des sciences morales et politiques en 1796 et meurt en 1800.
171 Joseph Plumard, sieur de Rieux, contrôleur au grenier à sel de la Ferté-Bernard et négociant au Mans, juge consul, puis armateur-négrier à Nantes. Cet homme est également l’oncle de Louis-Joseph Plumard de Dangeul (1722- ?), cousin de Forbonnais, économiste et comme lui membre du groupe de J. Vincent de Gournay. Ce groupe qui rassemblait dans les années 1750 à Paris un important cercle de jeunes hommes de lettres ambitieux, versés dans les matières économiques, tels que Forbonnais et Plumard de Dangeul, mais aussi Butel-Dumont, Cliquot-Blervache, Abeille, Montaudouin de la Touche et Turgot. Sur tous ces personnages ont consultera les travaux de Meysonnier S., La balance et l’horloge. La genèse de la pensée libérale en France au xviiie siècle, Montreuil, Éditions de la Passion, 1989, de Larrère C., L’invention de l’économie au xviiie siècle. Du droit naturel à la physiocratie, Paris, PUF, 1992. Mais surtout ceux de Charles L., La liberté du commerce des grains et l’économie politique française (1750-1770), thèse pour le doctorat en sciences économiques, Université de Paris I, 1999, et Charles L., « L’économie politique française et le politique dans la seconde moitié du xviiie siècle », in Nemo Ph. et Petitot J., Histoire du libéralisme en Europe, Paris, PUF, p. 279-313, ou encore Skornicki A., « L’État, l’expert et le négociant : le réseau de la “science du commerce” sous Louis XV », Genèses – Sciences sociales et histoire, 2006 (65), p. 4-26.
172 AD d’Ille-et-Vilaine, 33 J 46, fonds « Desmars », annotations manuscrites sur un exemplaire de sa thèse.
173 Jean-Gabriel Montaudouin de la Touche (1722-1781), d’abord proche de Gournay, était correspondant de l’Académie des sciences et membre fondateur de la Société Royale d’Agriculture de Bretagne et à ce titre il cosigna avec Louis-Paul Abeille le Corps d’observation de la société d’agriculture, de commerce et des arts, établie par les états de Bretagne. Années 1757-1758 & 1759-1760, Rennes, chez J. Vatar ; Paris, chez la Veuve de B. Brunet, 1760-1762. La famille Montaudouin, qui fréquentait les esprits éclairés du temps, n’en reste pas moins l’une des plus impliquée dans le commerce des esclaves à Nantes. Sa fortune considérable en faisait également l’une des plus riches de la cité.
174 Théré, Ch. et Charles, L., « François Quesnay : A “Rural Socrates” in Versailles ? », History of Political Economy, 39 (annual suppl.), 2007, p. 208.
175 Voir supra note 162. Le problème c’est que pendant la grande période d’activité du groupe Gournay (1756-1759) Graslin passe la plupart de son temps à Saint-Quentin.
176 Cette société a été fondée en 1759 par Christophe Pajot de Marcheval (1724-1792), intendant de la généralité de Limoges de 1757 à 1761.
177 Anne-Robert-Jacques Turgot, baron de l’Aulne, est né à Paris le 10 mai 1727. Son père Michel-Étienne Turgot, à qui l’on doit un célèbre plan de Paris, était prévôt des marchands. D’abord destiné à devenir prêtre, Turgot est le jeune prodige de la Sorbonne dans les années 1740, puis à la mort de son père il quitte l’habit et devient maître des requêtes (1753). En 1755 et 1756 il accompagne Gournay dans ses tournées en Province et est nommé en 1761 intendant du Limousin, charge qu’il exercera jusqu’à ce qu’il devienne Contrôleur général des finances (1774-1776) à l’avènement de Louis XVI. Il meurt le 18 mars 1781 loin des charges publiques. Turgot, quoiqu’on ait pu en dire, n’appartenait pas à la Physiocratie, même s’il se sentait proche d’un certain nombre des idées de Quesnay et de ses disciples. Considéré comme un des plus grand économiste français du xviiie siècle, il a laissé de très nombreux écrits sur tous les champs de la connaissance. Sur Turgot et ses travaux, cf. Schelle G., Œuvres de Turgot et documents le concernant, 5 tomes, Paris, Félix Alcan, 1913-1923 et Faure E., op. cit.
178 Sur les médailles qui seront frappées pour l’occasion, on consultera les lettres de Turgot à Dupont du 25 septembre au 27 octobre 1767, in Schelle G., op. cit., t. 2, 1914, p. 667-676.
179 Desmars J., op. cit., p. 34.
180 Henri-Léonard-Jean-Baptiste Bertin (1720-1792) devient, après une carrière classique de maître des requêtes (1745), puis d’intendant (Roussillon 1750-54, Lyon 1754-57), contrôleur général des finances (1759-1763). C’est pendant ce ministère qu’il va développer les sociétés d’agriculture et il ne les abandonnera pas puisque jusqu’en 1780 un secrétariat d’État en charge des mines, des manufactures de l’agriculture et de la navigation fluviale lui est offert. Sur Bertin et les sociétés d’agriculture on consultera Maurepas A. de et Boulant A., op. cit., p. 290-294, et surtout Bourde A., Agronomie et agronomes en France au xviiie siècle, 3 tomes, Paris, SEVPEN, 1967.
181 Pierre-Samuel Dupont (1739-1817) est un économiste et diplomate français disciple de Quesnay. Après avoir rédigé quelques opuscules, notamment sur la libre circulation des grains, il devient le principal rédacteur du Journal d’agriculture, du commerce et des finances pendant la période 1765-1766. Après son éviction par les propriétaires du périodique, il collabore aux Éphéméride du citoyen de l’abbé Baudeau. En 1768, il édite plusieurs textes importants de Quesnay dans le recueil Physiocratie. Lié avec Turgot depuis la décennie 1760, il est l’un de ses plus proches collaborateurs pendant son passage au Contrôle général des finances (1774-1776). Suivant Turgot dans sa disgrâce, il intègre cependant par la suite le ministère des affaires étrangères où il rencontre Th. Jefferson et participe à la rédaction du traité de Versailles de 1783. Député du Tiers pour le baillage de Nemours en 1789, il prend le patronyme de Dupont de Nemours, pour ne pas être confondu avec un autre Dupont. Après avoir connu beaucoup de déboires sous la République, il revient à la diplomatie sous l’Empire et s’exile finalement aux États-Unis pendant les Cent-Jours.
182 Notamment les Éphémérides du citoyen, la Gazette du commerce, le Mercure de France, le Journal de Verdun et le Journal Encyclopédique, cf. Lettres de Turgot à Dupont du 22 février et du 25 mars 1766, in Schelle G., Œuvres de Turgot et documents le concernant, Paris, Félix Alcan, t. 2, 1914, p. 504 et 516.
183 À la vue du programme de la société de Limoges, il note en effet que « les erreurs que j’avais à combattre n’étaient donc plus le sentiment de quelques particuliers ; c’était, en quelque façon, la doctrine de la Nation, puisque des sociétés Patriotiques la professaient hautement », in Graslin J.-J.-L., op. cit., p. iii.
184 C’est-à-dire « physiocratique ».
185 « Lettre à Dupont du 3 janvier 1767 », in Schelle G., op. cit., t. 2, p. 665.
186 Turgot enfonce le clou à la remise du prix : « Notre jugement mécontentera tout le monde, car l’auteur anti-économiste trouvera avec raison le mémoire économiste plus mal écrit et plus mal fait que le sien » (cf. note 174), in « Lettre à Dupont du 13 octobre 1767 », in Schelle G., op. cit., II, p. 672.
187 Graslin J.-J.-L., op. cit., p. v.
188 Journal d’Agriculture, du Commerce et des Finances, décembre 1767, p. 227.
189 Renoul J.-C., « Graslin et le quartier de Nantes qui porte son nom », Annales de la Société académique de Nantes et du département de Loire-Inférieure, t. 31, Nantes, Mellinet, 1860,p. 467-578, cf. p. 565.
190 Malgré la déclaration royale du 28 mars 1764, qui interdit purement et simplement les publications à caractère financier, beaucoup d’auteurs parviennent à tourner la censure et à faire imprimer. Sur le problème de la censure et de l’édition en général et le rôle de M. de Malesherbes à la direction de la libraire, on consultera Darnton R., Gens de lettres, gens du livre, Paris, Odile Jacob, 1992, mais aussi Roche D., Les Républicains des lettres. Gens de culture et Lumières au xviiie siècle, Paris, Fayard, 1988. Sur ces questions de censure et les livres d’économie politique on consultera Perrot J.-C., « Nouveautés : l’économie politique et ses livres », in Histoire de l’édition française, t. 2, Paris, Promodis, 1984, p. 240-256.
191 Correspondance littéraire, année 1767, t. 7, p. 468 ; Année littéraire, année 1767, t. 8, p. 60 ; Journal de Verdun, janvier 1768 ; Journal encyclopédique, 1768, t. 4, p. 80-91.
192 Journal économique, janvier 1768, p. 15-20 et février 1768, p. 51-56 et Journal des Sçavants, juin 1768, p. 369-375.
193 Qui rédige les articles élogieux à l’endroit de Graslin dans ce journal ? Comme c’est souvent l’usage à cette époque, ils ne sont pas signés, mais nous savons que la plupart d’entre eux sont rédigés par l’abbé Yvon (cf. Sgard J., Dictionnaire des journaux, 2 tomes, Paris, Universitas, 1991, II,p. 587-588). Il n’est toutefois pas impossible que Forbonnais en soit également le rédacteur.
194 Journal d’Agriculture, du Commerce et des Finances, décembre 1767, p. 121-165 ; janvier 1768,p. 121-158 ; avril 1768, p. 158-203 ; septembre 1768, p. 114-149. En janvier 1768 (p. 73-109), Forbonnais, sous le titre « Seconde lettre de M. A. B. C. D aux auteurs du Journal », fait l’éloge du livre de Graslin et discute longuement bien des points de détails : « J’ai lu avec un très grand plaisir, Messieurs, dans votre journal de décembre dernier, le premier extrait de l’Essai analytique sur la richesse et sur l’impôt. Cet ouvrage me paraît trop profond et trop intéressant pour m’en tenir à la lecture de cet extrait : il me semble démontrer dans toute l’énergie du mot, des vérités nécessairement supposées dans les Traités de la véritable économie politique… »
195 Ibid, décembre 1767, p. 121-122.
196 Nicolas Baudeau (1730-1792). Né à Amboise, chanoine régulier de l’ordre des Prémontrés, il prend la dénomination d’Abbé Baudeau, et se signale pour la première fois au début des années 1760 en adressant au ministre Bertin un mémoire sur les finances. Fondateur en 1765 d’un journal mensuel les Éphémérides du Citoyen d’abord farouchement opposé aux idées de Quesnay, il trouve son chemin de Damas et se « convertit » en 1767 à la physiocratie. Ayant reçu de l’évêque de Wilna le bénéfice de prévôt mitré de Widzinski en Pologne, il laisse la direction de son périodique à Dupont de Nemours. De retour à Paris en 1774, il remet à flot le journal sous le titre de Nouvelles Éphémérides Économiques. Les attaques auxquelles il s’y livre contre les financiers et la chute de Turgot signent la fin du journal et le font exiler en Auvergne. Il meurt à Paris en 1792 en ayant partiellement perdu la raison. Sur Baudeau et ses idées on consultera Clément A. (dir.), Nicolas Baudeau : un philosophe économiste au temps des Lumières, Paris, Michel Houdiard, 2008.
197 Pierre-Joseph-André Roubaud (1730-1792 ?) est un physiocrate orthodoxe qui outre quelques écrits favorables à la liberté du commerce des grains, collabore régulièrement au périodique de la secte, les Éphémérides du citoyen.
198 Éphéméride du citoyen, 1768, t. 2, pp. 165-188. À propos d’une idée de Graslin à laquelle il souscrit, Turgot note que son ouvrage est « mélangée chez lui de vrai et de faux, et qui, par cette raison, a paru assez obscure au plus grand nombre de ses lecteurs », in Schelle G., op. cit., t. 3, p. 88.
199 Pierre-Paul Le Mercier de La Rivière (1719-1792) est un économiste physiocrate français. Conseiller au parlement de Paris de 1747 à 1758, il devint intendant de la Martinique de 1759 à 1764. L’impératrice Catherine II l’appelle en Russie en 1767, et plus tard, sous Turgot, il reprit son siège au Parlement. Sous l’influence directe de Quesnay il rédige le classique de la secte qu’est l’Ordre naturel et essentiel des sociétés politiques (1767) (réédité chez Fayard en 2001).
200 Éphémérides du citoyen, 1767, t. 9, p. 151-75.
201 Ibid, tome premier, p. 225-36. Treillard donnera une autre lettre aux Éphémérides : « Réponse de M. Treillard, Avocat à Brives, à la lettre de M. G***. Directeur des Fermes à N***, insérée dans le Journal d’agriculture du mois de mars 1768 », Éphémérides du citoyen, 1768, t. 6, p. 115-121. Elle ne se trouve pas dans le recueil publié par Graslin. Deux autres lettres des physiocrates contre Graslin sont également absentes. La première est signée de l’abbé Roubaud, « Réponse à la seconde lettre de M… Auteur de l’Essai analytique sur la Richesse & et sur l’Impôt, insérée dans le Journal d’agriculture, mois de Mars », Éphémérides du citoyen, 1768, t. 5, p. 159-184. La dernière critique de l’ouvrage de Graslin paraîtra dans les Éphémérides du citoyen, t. 9, p. 165-206, signé d’un mystérieux Monsieur N. Sur cet anonyme et son éventuelle identité, cf. l’article de G. Faccarello dans ce volume. Sur cette controverse on consultera également Goutte P.-H., « La correspondance entre M. Graslin et M. l’abbé Baudeau, premier recueil d’un débat de “science économique” », in Clément A., op. cit., p. 257-287.
202 Journal d’Agriculture, du Commerce et des Finances, novembre 1767, p. 171-191.
203 Ibid., 1768, p. 159-195. Graslin fait paraître une quatrième lettre en 1778 dans le Journal de Paris (mars 1778, supplément au n° 341, p. 1391-1392) ou il s’explique sur la méprise qui lui avait prendre Treillard pour un nom d’emprunt de Baudeau et où il résume, rapidement, les idées qu’il a précédemment énoncées dans le Journal du commerce.
204 Elle sera réimprimée en 1779, sous un titre légèrement différent, toujours chez Onfroy : Correspondance contradictoire entre M. Graslin, de l’Académie économique de S. Pétersbourg, auteur de l’Essai analytique sur la richesse & sur l’impôt, et M. l’abbé Baudeau, auteur des Éphémérides du citoyen, sur un des principes fondamentaux de la doctrine des soi-disants philosophes économistes.
205 François Quesnay (1694-1774) est un fils de laboureurs aisés qui a d’abord fait carrière comme chirurgien, puis comme médecin (il obtient les deux titres respectivement en 1723 et 1744). Il publie plusieurs ouvrages sur les questions médicales dont l’important Essai physique sur l’œconomie animale (1736) qui contient dans sa seconde édition (1747) d’intéressants développements métaphysiques. À partir de 1749 il est à Versailles médecin et protégé de la favorite en titre, Madame de Pompadour, puis médecin consultant du roi Louis XV. Mais c’est entre 1756 et 1759 qu’il commence sa carrière d’économiste et qu’il pose les bases de ce qui deviendra la physiocratie. Grâce à plusieurs articles relatifs à la culture des terres et surtout à son coup de génie, le Tableau économique – représentation synthétique du processus de circulation des richesses d’un « royaume agricole » – il va connaître la célébrité dans un champ nouveau du savoir. Quesnay n’est cependant pas complètement seul. En 1757, il a « converti » à ses idées Victor Riqueti, Marquis de Mirabeau (1715-1789). Par la suite, les « pères » de la nouvelle doctrine vont donner naissance à deux livres majeurs qui deviendront des classiques de leur temps : la Théorie de l’impôt (1760) et surtout la Philosophie rurale (1763). Dès cette époque, les fondamentaux de l’école sont posés : seule l’agriculture est productrice de richesse car aucun autre secteur de l’économie (industrie, commerce) ne reproduit davantage de richesses (en valeur) que ce qui est nécessaire à la production. La prospérité d’un « royaume agricole » comme la France (qui s’oppose aux « Républiques commerçantes » comme la Hollande) dépend du « produit net » (le surproduit monétaire) dégagé par l’agriculture, et tout l’objet du bon « gouvernement économique » doit être de l’accroître. Quesnay ne publie plus en matière économique après 1768 et s’éteint à Versailles à l’avènement de Louis XVI.
206 Sur l’âge d’or de la physiocratie, on consultera Weulersse G., Le mouvement physiocratique en France (de 1756 à 1770), 2 vol., Paris, Félix Alcan, 1910. Sur son léger renouveau sous le ministère Turgot, Weulersse G., La physiocratie sous les ministères de Turgot et de Necker (1774-1781), Paris, PUF, 1950. Sur son déclin au contraire on consultera Weulersse G., La physiocratie à la fin du règne de Louis XV (1770-1774), Paris, PUF, 1959, et G. Weulersse G., La physiocratie à l’aube de la Révolution, Paris, Corinne Beutler, 1985.
207 Graslin J.-J.-L., « Dissertation sur la Question proposée par la Société économique de St. Pétersbourg », in Béardé de l’Abbaye D. A., Dissertation qui a remporté le prix sur la question posée en 1766 par la Société d’Œconomie et d’Agriculture à St. Pétersbourg, à laquelle on a joint les Pièces qui ont eu l’Accessit, p. 109-154.
208 Desmars J., op. cit., p. 8, note 1.
209 Cf. Annexes. En effet, l’Essai analytique et la Correspondance avec Baudeau sont désormais disponibles sur Gallica : http ://gallica.bnf.fr/ark :/12148/bpt6k75252d.
210 François Mellinet (1741-1793) est un des grands négociants nantais, membre du Conseil royal du Commerce en 1767 et directeur des Approvisionnements de Paris, administrateur des Moulins de Corbeil. À Nantes, il assécha les marais de la Chézine au-delà du Sanitat et y construisit un vaste entrepôt de café avant de concevoir avec Duparc l’extension de la ville vers l’ouest, dans la continuité du quartier construit par Graslin. Officier municipal en 1790, il est élu député de Loire-Inférieure à la Convention en 1792 et meurt de congestion cérébrale en 1793. Il est le grand-père de Camille, célèbre libraire-éditeur, journaliste et écrivain, et du général Émile Mellinet.
211 On ne sait pas grand chose de ce personnage. Achille-Jean Saulnier de la Pinelais est sans doute né en 1740. Il devient magistrat au Parlement de Bretagne, puis procureur au Présidial de Nantes. On le trouve en 1797 administrateur municipal de Nantes dans la mairie Kervégan.
212 Louis-Gilles de Lescu, comte de Runnefau, conseiller au Parlement de Bretagne de 1723 à 1738, président aux enquêtes de 1728 à 1776, né le 30 décembre 1697 à Rennes (paroisse Saint-Sauveur), décédé le 19 avril 1779 à Rennes (paroisse Saint-Sauveur), épouse le 11 février 1744 à Saint-Malo Élisabeth Pauline Nicolas, née vers 1706, décédée le 16 mars 1746 à Rennes (paroisse Saint-Sauveur), inhumée le 18 au même endroit, fille de Germain Nicolas et de Madeleine Chenu (de Clermont).
213 Luminais R.-M., op. cit., p. 415.
214 Desmars J., op. cit., p. 9.
215 L’évêque de Dol avait en effet consenti un afféagement de 1 800 journaux de Bretagne (environ 900 hectares) à François-Louis Mauclerc, marquis de la Musanchère, le 30 juillet 1773. Ce dernier ayant semble-t-il entamé les travaux, il ne souhaite pas les poursuivre pour une raison qui nous est inconnue (mais peut-être est-il lassé de l’opposition des habitants et de leurs pratiques de pacage libre) et c’est alors Graslin qui reprend l’afféagement le 27 octobre 1775 (le contrat avec l’évêque ne sera toutefois signé qu’en 1785), cf. ADLA, B 9512/1 et BM de Nantes, Consultation, 206247/ C 105. Pour de plus amples détails sur cette affaire, il faut attendre la soutenance, prochaine, de la thèse d’Emmanuelle Charpentier « Le littoral et les hommes : espaces et sociétés des côtes nord de la Bretagne au xviiie siècle » (Cerhio, Université Rennes 2, sous ladirection d’Annie Antoine).
216 BM de Nantes, Consultation, 206247/C 105.
217 BI, Ms 1260, f° 206.
218 Desmars se croit autorisé ici à adopter le ton du mépris envers les autochtones pour mieux faire le panégyrique de l’homme éclairé. Il ne peut « [d]ire l’argent qu’il [Graslin] dépensa dans cette difficile opération, [ni] rappeler l’ignorante ingratitude que témoignèrent les habitants envers leur bienfaiteur », in Desmars J., op. cit., p. 10.
219 ADLA, 4 E 2/990.
220 Sur ce grand seigneur de cour, on consultera Vézelay Ch., Le duc de Lauzun (1747-1793), Paris, Buchet-Chastel, 1983.
221 Graslin répond ici aux attaques d’un libelle anonyme qui a été publié contre lui.
222 Graslin J.-J.-L., Mémoire de M. Graslin, au sujet de trois Libelles anonymes qui ont été publiés successivement contre lui, Nantes, 1789, Bibliothèque Municipale de Nantes, 50110, p. 5-7.
223 Luminais R.-M., op. cit., p. 382.
224 Du reste, il serait difficile de lui en faire reproche puisque c’est le fonctionnement même de la société d’Ancien Régime qui imposait ce type de relation de clientèle/protection/sollicitation.
225 Desmars J., op. cit., p. 8.
226 Avant même la levée des prohibitions, un certain Jean-Baptiste Ferrey aurait fondée à Pirmil, en bordure de la Sèvre nantaise, la première manufacture de ce type au début de l’année 1758. Cf. Cousquer C., Nantes : une capitale des indiennes au xviiie siècle, Nantes, Coiffard éditeur, 2002, p. 78.
227 « À noter que Christ de Vries se voit offrir un tiers d’intérêts en échange de son “talent” qu’il met à la disposition de la société alors que Dubern et Graslin mettent chacun soixante douze mille livres dans l’affaire », in Cousquer C., op. cit., p. 174.
228 Savary des Bruslons J., Dictionnaire Universel de Commerce, Paris, Veuve Estienne, 3 tomes, 1741, t. 2, p. 1708.
229 « [L]es toiles peintes sont le produit clé de l’échange. Ainsi, à titre d’exemples de transaction : sur la côte d’Angola pour obtenir un nègre de choix appelé pièce d’Inde il faut donner deux pièces de guinées, une demi-pièce de liménéas, une pièce de chasselas, deux bajutapaux, deux tapsels, deux nicanéas et un peu d’eau de vie », in Cousquer C., op. cit., p. 151.
230 Cousquer C., op. cit., p. 175.
231 Le Restaurateur est un navire de 400 tonneaux, 2 ponts, 12 canons, dont le capitaine est Luc Nau de Nantes, in Sannier N., Le négoce nantais et l’océan Indien de 1769 à 1782, Mémoire de Maîtrise sous la direction de J. Weber, 1995, Université de Nantes, 2 tomes, t. 2, p. 96-97.
232 La Marie-Anne-de-Sartine est un navire de 500 tonneaux, 2 ponts, 12 canons, dont les capitaines sont : de Paimbeuf à Lorient : François Lecadre d’Ambon puis Jacques Trublet de Lorient, ibid.,t. 2, p. 98-99.
233 Sur la compagnie des Indes Orientales et le commerce avec l’océan indien, on consultera Haudrère Ph., La compagnie française des Indes au xviiie siècle 1719-1795, Paris, Librairie de l’Inde, 1989.
234 BI, Ms 1260, fos 189-190.
235 Ibid.
236 Jean Frédéric Phélypeaux, comte de Maurepas (1701-1781), est à l’époque qui nous occupe ministre d’État sans portefeuille (il n’a pas le titre de premier ministre mais en tient lieu). Sur Maurepas, on consultera Faure E., op. cit., p. 7-32.
237 Antoine Raymond Juan Gualbert Gabriel de Sartine, comte d’Alby (1729-1801), a été lieutenant criminel au Châtelet en 1755, puis Lieutenant général de police de Paris (1759-1774) et enfin Ministre de la Marine (1774-1780).
238 BI, Ms 1260, fos 189-190.
239 Ibid.
240 Ibid.
241 Meyer J., L’armement nantais au xviiie siècle, Paris, SEVPEN, 1969, p. 152.
242 Sannier N., op. cit., p. 32.
243 Ibid., p. 34.
244 Ibid., p. 111.
245 Ibid., p. 111-112.
246 Mettas J., Répertoire des expéditions négrières françaises au xviiie siècle, (éd. par Serge Daget), Paris, Soc. française d’histoire d’outre-mer, t. 1, 1978, t. 2, 1984 : en 1764, N. Viaud arme La Félicité qui part de Nantes le 1er février pour l’Angola où il embarque 63 Noirs transportés en Martinique le 26 janvier 1765 ; il sera condamné le 30 avril 1765, (voir t. 1, Nantes, n° 771, p. 444) ; et en 1766, il arme Le Saint-Louis qui appareille de Nantes le 5 novembre pour le Cap-Vert, Gorée et la Guinée où il traite 300 Noirs, et d’où il repart avec 101 esclaves dont il en débarquera 86 en Martinique le 15 septembre 1769 (voir t. 1, Nantes, n° 850, p. 490-491).
247 N’oublions pas que chez les ascendants de sa femme, les Cazalis Pradine, il y a également plusieurs capitaines et armateurs négriers.
248 Outre les articles de ce volume, qui traitent la question du quartier sous tous les angles, on pourra consulter Renoul J.-C., op. cit. ; Lelièvre P., Nantes au xviiie siècle. Urbanisme et architecture, nouvelle édition revue et augmentée, Picard, 1988 et Delaval Y., Le théâtre Graslin à Nantes, Nantes, éditions Joca Seria, 2004.
249 ADLA, B 9512/1 et AM de Nantes, DD 225.
250 Lelièvre P., op. cit., p. 137.
251 Renoul J.-C., op. cit., p. 472.
252 1 toise carrée = 36 pieds carrés = 3799 m2. La surface acquise par Graslin représentait 42 332 m2, soit un peu plus de 4 hectares.
253 Graslin J.-J.-L., Mémoire de M. Graslin…, op. cit., p. 41, note 1. La métaphore est éclairante : comme l’importateur de grain en période de cherté, l’opération de Graslin – et c’est ce qu’il soutiendra constamment – doit être aussi lucrative pour son auteur qu’utile au bien public.
254 BI, Ms 1260, f° 190.
255 Il est prévu par le traité du 23 septembre 1780 que Graslin prête à la ville pour acheter les terrains nécessaires à la construction du quartier et qui ne l’ont pas encore été. Il touchera pour cela des intérêts à 5 % l’an remboursé par tranche de 10 000 livres à la deuxième année après la cessation de la guerre (cf. Renoul J.-C., op. cit., p. 486). La délibération du corps de ville du 23 septembre 1780 prévoit deux emprunts de 127 000 et 150 000 livres qui serviront à rembourser Graslin et commencer les travaux. Comme ceux-ci tardent trop aux yeux de Graslin, il commence lui-même les percements et déblaiements… et attendra les remboursements. Pour se consoler, il peut se souvenir que la communauté de Ville a accepté ce même 23 septembre 1780 que la futur place s’appellerait « place Graslin ».
256 Graslin J.-J.-L., Observations de M. Graslin, sur les additions très importantes à faire au quartier neuf, 44 pages, in-4°, 1786 ; (Graslin J.-J.-L.), Avis (concernant la construction d’un grand hôtel sur la place Graslin), 2 pages, in-4°, 1786 ; Graslin J.-J.-L., Prospectus pour l’établissement d’un musée à Nantes, Nantes, Despilly, 6 pages, in-4° (vers 1787) et Graslin J.-J.-L., Mémoire concernant le café de la comédie, présenté au Bureau de ville par le sieur Graslin, 18 pages, in-4°, 1788.
257 BI, Ms 1260, fos 205-206, Lettre à Hennin du 24 juin 1783.
258 On consultera (Graslin J.-J.-L.), Réflexions d’un citoyen sur la construction d’une salle de spectacle à Nantes, 24 pages, in-4°, 1782, puis la réponse, faussement attribuée à Chaillon et anonyme, mais qui est de Longo, Remarques sur la nécessité de construire une salle provisionnelle de spectacle à Nantes, par une Société d’amateurs, 23 pages, in-4°, (vers 1783) et le mémoire, également anonyme, mais rédigé par Graslin et son ami parisien l’avocat Hervé, Réponse de l’anonyme aux remarques sur la nécessité de construire une salle de spectacle à Nantes, 24 pages, in-4°, 1783.
259 BI, Ms 1260, fos 205-206, Lettre à Hennin du 24 juin 1783.
260 Graslin J.-J.-L., Mémoire de M. Graslin au sujet de trois libelles anonymes qui ont été publiés successivement contre lui, 54 pages, in-4°, 1789, p. 10.
261 Les capucins en demandaient 500 000, cf. Lelièvre P., op. cit., p. 141.
262 C’est la Révolution, par la confiscation des biens nationaux, qui les en chassera définitivement.
263 En fait, Lelièvre reprend les calculs de Renoul, en commettant cependant plusieurs erreurs et un certain nombre d’omissions, comme nous allons le voir.
264 Lelièvre ne fait état que de 83 808 mais il omet les 8 604 pieds supplémentaires que Graslin devra finalement céder pour la place, cf. Renoul J.-C., op. cit., p. 497.
265 Lelièvre P., op. cit., p. 140.
266 403 272 -117 612 = 285 660.
267 Il est d’ailleurs sur ce point d’une partialité amusante. Le 24 juin 1783 il écrit à son ami Hennin pour se plaindre que certains officiers municipaux s’opposent au projet de sa salle de spectacle permanente. Il avance l’idée selon laquelle cette salle engagera à bâtir autour et permettra une diminution des loyers par la hausse de l’offre de logement. Ce qu’il « oublie » de préciser, c’est que ce sont sur ses terrains que l’on va bâtir et que ce sont ceux des autres qui ne bénéficieront pas de l’externalité positive que constitue le théâtre pour les riverains : « Par malheur notre maire actuel, et trois échevins, qui sont des propriétaires de maisons, et qui, comme beaucoup d’autres propriétaires, voyaient bien que si la salle était sur mon terrain, il se bâtirait très promptement, ce qui ne pourrait qu’opérer la diminution du prix des loyers (parce que mon terrain est environné de beaucoup d’autres, qui, de proche en proche, se couvriront aussi de maisons). C’est un grand bien pour le public, car les loyers sont ici plus chers que dans les trois quarts de Paris ; mais l’intérêt particulier l’emportait chez nos officiers municipaux sur le bien général », in BI, Ms 1260, f° 205.
268 Renoul J.-C., op. cit., p. 531.
269 BI, Ms 1260, fos 198-199.
270 8 000 toises carrées multipliées par 130, puis 220 livres.
271 Qui se répartissent comme suit : Acquisition des terrains : 260 000 ; Excavations, déblais, charrois, nivellement : 550 000 ; Intérêt payés par lui : 100 000 ; Travaux à compléter : 90 000, in Graslin J.-J.-L., Mémoire de M. Graslin…, op. cit, p. 43-45.
272 Ibid.
273 L’hôtel Henri IV (sur le côté ouest de la place, devenu hôtel de France jusque dans les années 1930 et aujourd’hui disparu), construit grâce à un système de tontine, est terminé à la Saint-Jean 1788. Lors de son passage à Nantes, le célèbre Arthur Young s’extasie : « La ville à ce signe de prospérité qui ne trompe jamais, les nouveaux bâtiments. Le quartier de la Comédie est magnifique ; toutes les rues se coupent à angles droits et leurs maisons sont bâties en pierre blanche. Je doute qu’il existe en Europe une plus belle auberge que l’Hôtel de Henri IV : l’hôtel Dessein, à Calais, est plus grand, mais ni construit, ni aménagé, ni meublé comme celui-ci, qui est neuf », in Young A., Voyages en France en 1787, 1788 et 1789, première traduction complète et critique par Henri Sée, tome premier, Paris, Librairie Armand Colin, 1931, p. 244 (fig. 46, 49 et 52).
274 « Il ne me reste, à présent, que la moitié en quantité de tout mon terrain ; et ce sont les parties qui doivent avoir le moins de valeur : je ne peux pas compter que les emplacements des grandes rues soient au même prix au-delà qu’en-deça de la place ; j’espère encore moins des terrains de l’intérieur, qui sont éloignés des passages, telles que les derrières des maisons Gaudin, Albert, & autres, & tout le cœur de la Cagassais, qui est très distant des deux grandes rues, qui, au lieu de traverser ma possession dans cet endroit, comme je l’aurais désiré, passe sur sa limite, & longe tout l’enclos des PP. Capucins. En outre, comme je l’ai déjà observé, le besoin de nouveaux logements se fait beaucoup moins sentir à présent qu’il y a deux ou trois ans ; ensorte que je ne sais pas même quand j’aurais vendu assez de nouveaux emplacements pour achever de me remplir, en capital & intérêts, des dépenses que j’ai faîtes & de celles qui me restent à faire. Ainsi je ne peux jamais espérer qu’un bénéfice très inférieur à celui que j’avais dans la main ; & ce bénéfice se fera nécessairement attendre encore assez longtemps », in Graslin J.-J.-L., Mémoire de M. Graslin…, op. cit, p. 45.
275 Recette totale théorique : 850 000 livres (avant 1789) + 800 000 livres (après 1789) = 1 650 000 livres. Dépenses totales avant 1789 et envisagées par Graslin pour la suite : 1 000 000livres. Bénéfice net total à envisager : 650 000 livres.
276 ADLA, 4 E 2/290.
277 Graslin J.-J.-L., Mémoire de M. Graslin…, op. cit, p. 43-44 et Renoul J.-C., op. cit., p. 557-558.
278 ADLA, B 9512/1.
279 Graslin J.-J.-L., Mémoire de M. Graslin…, op. cit, p. 48.
280 Ibid.
281 AD L.-A., 4 E 2/990, Notaire Guesdon, PV des adjudications et enchères des biens Graslin.
282 C’est-à-dire Crébillon et Molière. Il occupait l’immeuble de l’actuel hôtel de France et donnant sur la place (fig. 46, 53 et 58).
283 ADLA, 4 E 2/290.
284 Ibid.
285 Il s’agit peut-être d’André-Guillaume Contant d’Orvillié (vers 1730-1800), auteur dramatique et littérateur, né à Paris mais qui travailla beaucoup pour les théâtres de province.
286 Antoine Français (1756-1836) dit « de Nantes », a travaillé à la Ferme générale et a été député de la Loire-Inférieure à l’Assemblée Législative de 1791. Il occupera plusieurs postes important sous l’Empire. Il est l’auteur de nombreux opuscules « sous son nom et sous divers pseudonymes, M. Jérome, Du Coudier, etc. », cf. Kerviler R., op. cit., Du-Fr, p. Sur ce personnage, cf. Guenel J., « Antoine Français de Nantes », Bulletin de la Société Archéologique et Historique de Nantes et de Loire-Atlantique, 2005, tome 140, p. 299-316.
287 Il s’agit peut-être de Gabriel-Urbain Douaud des Rivières, secrétaire de M. de la Musanchère, puis chanoine de la cathédrale de Nantes en 1771, incarcéré à Saint-Clément en 1792, et compris dans la noyade de la nuit du 26 au 27 brumaire an II, cf. Kerviler R., op. cit., Couet-Dul, p. 285
288 Ce personnage n’a pu être identifié.
289 Antoine-François Bertrand de Moleville (1744-1818). Né à Toulouse, il est maître des requête sous Maupéou, puis devient le dernier Intendant de Bretagne du 8 juin 1784 au 26 décembre 1788, mandat pendant lequel il se lie intiment avec Graslin. Ministre de la Marine en octobre 1791, il semble favoriser l’émigration et est décrété d’accusation après le 10 août 1792. Il parvient à s’enfuir et passe en Angleterre. Il rentre en France à la Restauration et meurt à Paris.
290 Anne-Pierre Coustard de Massy (1734-1793). Fut d’abord mousquetaire et auteurs de nouvelles. En 1784 il est chevalier de Saint-Louis et lieutenant des maréchaux de France. Il conquiert sa popularité en montant dans un ballon à Nantes sur le cours Saint-Pierre. Enthousiasmé par la Révolution, il devient député de la législative en 1792, député de la Convention, il vote l’appel au peuple dans le procès du roi, puis, envoyé en mission en Loire-Inférieure, il est décrété d’accusation et guillotiné le 7 novembre 1793, cf. Kerviler R., op. cit., Couet-Dul, p. 91.
291 Il s’agit peut-être de François de Beaumont, procureur du roi à Chateaubriant, demeurant à Saint-Julien de Vouvantes, condamné à mort à Rennes le 27 pluviôse an II, cf.. Kerviler R., op. cit., A-Be, p. 270.
292 René-Gaston Baco de la Chapelle (1751-1800). Né à Nantes, il est d’abord substitut, puis procureur du roi au présidial de Nantes, député aux États-Généraux de 1789, maire de Nantes (1792), emprisonné pendant la terreur il échappe à la mort grâce au 9 thermidor. Député de la Loire-Inférieure aux Cinq-Cents il devient commissaire du gouvernement à la Guadeloupe en 1799 où il meurt l’année suivante.
293 Pourrait-il s’agir d’un des fils d’Armand-Thomas Hue de Miromesnil (1723-1796) ? La chose semble étrange, et ce personnage n’a pu être identifié.
294 Aucun de ces cinq « hommes d’esprit » n’a pu être identifié.
295 Jean Bougon nous est mal connu. Né à Paris, peintre d’histoire à Nantes en 1787 et ami de Crucy, il va réaliser les décors du théâtre puis de la Bourse. Membre du club des amis de la Constitution, il en est le délégué à Londres avec Français en 1790. Présent lors de l’attaque de Nantes par les vendéens en 1793, il va participer après l’incendie de 1796 à la nouvelle décoration du théâtre Graslin.
296 René-Louis-Maurice Béguyer de Chancourtois est né à Nantes en 1751 et mort à Paris en 1817. Peintre d’histoire et décorateur comme Bougon, il est nommé architecte-adjoint de la ville de Nantes en 1787, démis de ses fonctions en 1790, cf. AM de Nantes, BB. 184 [BB 139-152]. On lui doit notamment des vues des arcs de Trajan et d’Aurélien à Tripoli, datées (vraisemblablement par lui-même) respectivement de 1806 et 1807.
297 Desmars J., op. cit., p. 18-19. Renoul rapport que les tableaux de Bougon et Champcourtois retraçait la vie d’Hipolyte dans Phèdre, cf. Renoul J.-C., op. cit., p. 576.
298 Durand Y., op. cit., p. 586.
299 Cf. ADLA, B 9512/1. L’inventaire, établi par le libraire Despilly, indique pour terminer : « Trente six volumes in douze de différents ouvrages imparfaits quarante sols… Deux cent cinquante brochures, journaux autres imprimés de peu de conséquence prisés dix-huit livres. » Ces ouvrages et brochures ne sont pas inclus dans les chiffres et calculs que je donne ici.
300 Durand Y., op. cit., p. 587.
301 Je prépare un article sur les inventaires comparés des bibliothèques de Forbonnais et de Graslin dans lequel j’avance plusieurs pistes qui expliquent ce paradoxe.
302 Durand Y., op. cit., p. 530.
303 Notamment des reproductions de Greuze, Verney, Watteau, Reynière et d’Argotière, cf. ADLA B 9512.
304 Durand Y., op. cit., p. 522.
305 Ibid., p. 523.
306 ADLA B 9512 et Durand Y., op. cit., p. 523-524.
307 Ibid., p. 524.
308 175 marcs deux pouces un gros d’argenteries, prisé à 48 livres le marc, soit 8 412 livres. Chez les Fermiers généraux les montant sont quand même souvent supérieurs à 20 000 livres, cf. ibid., p. 525-527.
309 Dont trente huit brillants sur un collier de grena (1 696 livres), une paire de bracelet en diamant (600 livres), une bague avec pierre (560 livres), deux étuis d’or (135 livres) et plusieurs autres bagues (708 livres), soit un total de 3 699 livres (cf. ADLA B 9512). On ne trouve chez Charles Savalette de Magnanville que 2 004 livres de bijoux, mais chez les Fermiers généraux les montants sont très variable, et peuvent aller de quelques centaines de livre à plus de 50 000, cf. Durand Y., op. cit., p. 156.
310 Ibid., p. 155 et suiv.
311 ADLA, B 9512 et Durand Y., op. cit., p. 155 et suiv.
312 Si les fortunes de certains grands seigneurs de cour dépassent celles des Fermiers généraux, ces derniers, avec des masses successorales avoisinants en moyenne les 3 millions de livres sur le siècle, appartiennent aux classes les plus riches, Ibid., p. 151.
313 Ibid., p. 551-570.
314 Ainsi Beaumarchais, qui connaît l’entreprise d’urbanisme que Graslin mène à Nantes et qui en a dit beaucoup de bien à Hennin (cf. BI, Ms 1260, f° 202), donne en 1770, à la Comédie-française, Les deux amis ou le négociant de Lyon. Cette pièce représente le receveur général de cette ville comme un « philosophe sensible » et l’auteur y fait l’éloge de « l’honneur financier », cf. Durand Y., op. cit., p. 441.
315 La critique des Physiocrates, durant toute la décennie 1760, est également très vive contre le système de la Ferme générale.
316 D’ailleurs, comme l’a montré Y. Durand, si la condition de Fermier général ou d’employé des fermes ne dérogeait pas, un très grand nombre d’entre eux étaient nobles. De noblesse récente, le plus souvent, par achat de charge, comme l’avait pratiqué le grand-père et le père de Graslin, cf. Durand Y., op. cit., p. 319.
317 Ph. Le Pichon m’a transmis son acte de décès : « Le onze mars mil sept cent quatre-vingt-dix, a été inhumé au cimetière le corps d’Ecuyer Jean-Joseph-Louis Graslin, avocat au Parlement de Paris, receveur général des fermes du Roi à Nantes, époux de Dame Renée-Magdelaine-Jeanne Guymont, décédé hier, place Graslin, âgé d’environ 64 ans, en présence de N.-H. [Noble-Homme, A. O] Joseph Berthault du Marais, ancien échevin de cette ville et négociant et N.-H. Saturnin Berthault, négociant et administrateur trésorier du Sanitat, ses cousins par alliance, le premier du deux au troisième degré et le second du trois au trois, sous-signé », ADLA, Nantes Saint-Nicolas, BMS 1790, 3 E 109/179, f° 39.
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