Henri IV anecdotique ?
La rhétorique de l’anecdote ou l’éloquence étrange d’Henri IV
p. 223-238
Résumé
Les guerres de Religion ont été marquées par des usages extrêmes de la langue politique. Derrière l’invective et le pamphlet des provocations verbales ébranlant l’ordre public garanti par le roi, il faut entendre la faillite d’une politique royale de la parole humaniste et l’argument pour les officiers royaux de faire entendre leur voix dans l’expression de la Souveraineté. À l’occasion de l’enregistrement de l’Édit de Nantes durant l’hiver 1598-1599, Henri IV mène un double combat visant à restituer au monarque l’efficace et l’autorité d’une Parole par laquelle doit se construire le régime commun de la différenciation religieuse. En accueillant au Louvre, le 7 janvier 1599, la délégation des parlementaires parisiens par un discours inouï, le premier Bourbon fait de l’anecdote la pierre fondamentale de la pacification de son royaume construisant la légitimité politique des Temps modernes sur un acte de langage principiel et absolument instituant.
Texte intégral
Si je faisois gloire de passer pour excellent Orateur, j’aurois apporté icy plus de belles paroles que de bonnes volontez : mais mon ambition tend à quelque chose de plus haut que de bien parler. (début de la harangue d’Henri IV à l’Assemblée des notables réunie à Rouen en 1596 – reproduite par Hardouin de Beaumont de Péréfixe, Histoire de Henri le Grand, Amsterdam, A. Michiels, 1661, p. 236-237)
Louis XIV, s’adressant à son Parlement, n’était pas tendre, et le réduisait strictement à l’obéissance : Henri IV est un roi plus parlant et moins majestueux, mais il mène également son monde et le fait obéir. Il a le pouvoir absolu plus agréable, voilà tout. (Sainte-Beuve, Causeries du lundi, Paris, Garnier Frères Libraire, 1856, t. XI, p. 308)
1Si Henri IV jouit du privilège d’une popularité quasi continue depuis sa mort à aujourd’hui, il ne la doit pas seulement aux réalités de sa politique et aux bénéfices d’un règne dans lesquels, peu ou prou, tous peuvent prendre leur part d’héritage. Il la doit probablement autant à ce que l’on pourrait appeler une stylisation du pouvoir par laquelle non seulement l’efficacité mais la postérité de son œuvre réunirent les conditions de leur félicité1. Il revient en effet à Henri IV d’avoir reconstitué une royauté par laquelle les guerres de Religion trouvèrent leur résolution à la faveur d’une économie de la personne souveraine habilement articulée entre la proximité et la distanciation. Peut-être plus roi que majesté – en se souvenant du mot de Mme de Simier, qui, accoutumée à voir Henri III, ne reconnut pas la Majesté de son successeur quand elle le vit –, Henri IV se signale par cette gouvernance singulière à laquelle participe, au premier chef, la langue du souverain2. Une langue dans laquelle précisément il sut faire entendre la puissance de la légitimité fondatrice de l’éternel hier wébérien, lui restituer la vertu efficace de la légalité et du droit comme lui conférer la singularité instituante d’une posture charismatique. La monarchie restaurée du compromis bourbonien n’est pas le seul fait d’un corps rassemblant en un corps unique les deux corps du roi – sans l’exposer pour autant à une sursacralisation toujours suspecte dans ses vapeurs d’encens. Elle n’est pas non plus le fruit d’une monarchie constitutionnelle avant l’heure, monarchomaque par principe, définissant la royauté sous une vulnérabilité critique. Empruntant à l’une et à l’autre de ces formes polarisantes de l’autorité monarchique, elle est probablement établie d’abord sur une parole souveraine merveilleuse à laquelle la charge revient de faire advenir la Raison dans ce monde et rétablir l’ordre par la puissance de son verbe providentiellement érigée contre le chaos des passions politiques et religieuses de ses contemporains3.
2Le paradoxe réside dans le fait que cette démiurgie d’une parole d’autorité efficace ne se manifeste pas dans le cadre d’une publicité politique que quarante ans de débats et de controverses ont familiarisée aux Français sous la forme du manifeste, du traité, de l’invective ou du pamphlet imprimés4. Elle ne prend pas pour autant la forme d’un verbe retranché dans son herméneutisme – lequel Verbe serait inaudible à ses sujets pour lesquels le politique est devenu de l’ordre de la discussion ordinaire. C’est moins contre la figure classique du monstre aux mille bras criminels que la politique de la langue henricienne doit agir mais c’est contre les mille langues assassines et les mille oreilles indiscrètes, que la politisation de la seconde moitié du siècle a suscitées, que l’Hercule gaulois doit inventer une nouvelle éloquence destinée à faire surgir dans la conscience de ses sujets la réalité d’une double distanciation : un écart vis-à-vis de la langue de son prédécesseur et de sa théâtrocratie curiale d’abord, sans rien céder cependant de l’éclat de la majesté souveraine ; une distance prise à l’égard de l’art rhétorique des Politiques, et plus précisément de l’éloquence parlementaire ensuite, sans donner prise toutefois aux soupçons de la tyrannie5.
3La grande scène fondatrice de cette éloquence royale, réinventée et sommée d’être sur le fil ténu d’une double singularisation, a pour contexte l’enregistrement de l’édit de Nantes par le parlement de Paris. Son grand monologue est le discours que le roi tient aux députés de sa principale cour souveraine de justice, le 7 janvier 1599. Sa dramaturgie et son ingénierie narrative résident dans l’exemplification anecdotique et la subordination de la rhétorique à une économie éloquente définissant ses propres lieux. Sans rien abandonner des fins émotives de la rhétorique persuasive, il s’agit pour Henri IV d’user de l’éloquence en procédant à un écart rhétorique. Soit une forme d’éloquence par laquelle se dessine l’espace de l’ethos singulier de la parole d’autorité du roi et se donne à entendre la Grâce la constituant ou, de manière plus juste, l’instituant pleinement dans le mystère providentiel d’une souveraineté incarnée réenchantée.
4La temporalité de l’hiver 1598-1599 impose au roi l’efficacité d’une action qui, entamée par un verbe délégué à ses représentants et aboutissant à la négociation de l’édit de Nantes, doit trouver dans la seule parole royale la puissance performante de sa résolution définitive. En donnant à ses propos une origine absolue, Henri IV retranche de la langue sa faculté dialogique de communication pour en faire l’instrument d’une information et d’une expression exclusives de l’autorité royale. Par là même, il opère doublement une revitalisation efficace de la parole souveraine et une subordination du verbe parlementaire – réduit à une sorte de bavardage sans gravité politique dans lequel s’abîment les prétentions des officiers de justice à établir une monarchie mixte et délibérative. L’éloquence d’une anecdote fait alors surgir, dans la figure presque ordinaire d’un roi-Hercule achevant par ses travaux la pacification du royaume, le seul maître de la Parole par laquelle toute chose se trouve justifiée. Au début était le Verbe. Tel est en substance ce que l’anecdote royale a vocation d’établir : le règne de l’absolu monarchique par une parole reséminalisée sans qu’il soit cependant un au-delà indifférent ou insensible à ses sujets.
5Selon Karine Abiven, l’usage d’une anecdote est généralement précédé d’un « prudent avertissement », participant d’une « stratégie de restriction » visant à anticiper le discrédit pesant sur un contenu qui ne serait jamais que secondaire ou suspect, mais elle l’est tout aussi souvent d’une amplification qui prolonge l’avertissement – ce qu’elle appelle « un discours de légitimation » – valorisant le sens et universalisant le trait singulier rapporté. L’utilisation de l’anecdote que je propose d’étudier prend le contre-pied de cet emploi ordinaire puisque, loin d’universaliser, il procède d’une volonté de réduire à un particularisme et que, loin d’être négligeable, il pose d’emblée l’anecdote comme primordiale sans attendre d’autre démonstration de sa valeur que de son énonciation même6.
« Il était une fois… » : raconter une histoire pour en terminer une autre
6Rien n’est plus pertinent pour désigner l’histoire rapportée par Pierre de L’Estoile que de la qualifier d’anecdote – si l’on retient l’étymologie la désignant formellement comme quelque chose de non publié – puisque son statut est différencié du reste du discours tenu par Henri IV aux députés du parlement de Paris mandés au Louvre. Il s’agissait de les persuader de la nécessité de l’enregistrement rapide de l’édit de Nantes dont plusieurs points provoquaient difficulté et résistance au sein d’un parlement prétendant constituer l’organe politique essentiel d’une gouvernance monarchique mixte et tempérée. Son opposition était appuyée par les rumeurs courant alors sur une éventuelle excommunication qui frapperait ceux qui apportaient leur concours à la réussite de la procédure. Estimant que l’enregistrement forcé de l’édit ne pouvait que contrarier à ses commencements mêmes le processus d’union dont il devait être le premier mobile, Henri IV a dû mettre en œuvre une rhétorique inventive7. Son originalité procède moins de sa matière – car pour réussir à convaincre ses auditeurs il fait flèches de tout bois – que de sa forme introductive qui, par l’extraordinaire que l’anecdote dévoile, donne sa normalité à ce qui pourrait être pris, dans la suite de son propos, pour une rhétorique difforme dans le pot-pourri de tous les arguments possibles convoqués par le roi. Le contexte est bien celui d’un regain des tensions religieuses faisant craindre que les guerres de la Ligue ne reprennent malgré les traités de Folembray et d’Angers (janvier 1596 et mars 1598), comme en témoigne par exemple Pierre de l’Estoile pour les mois de décembre 1598 et de janvier-février 15998.
7Le quatrième centenaire de l’édit a été l’occasion d’établir de manière rigoureuse la chronologie des événements liés aux convocations successives des représentants du parlement de Paris devant le roi, dont l’ensemble des discours qu’il leur a successivement tenus a été ramené à un texte bien commenté par les historiens à l’exception de son préambule dont on ne saurait pas quoi faire : un ornement baroque, un symptôme du style du temps9 ? Le 10 novembre 1598, le Conseil du roi est appelé à se réunir pour préparer la vérification de l’édit par le parlement de Paris. Le 15 décembre, le roi à Saint-Germain reçoit l’avocat général Servin accompagné de plusieurs parlementaires auquel il remet le texte de l’édit et les articles secrets. Avant même le début des travaux des officiers du roi, le 6 janvier 1599, le père Jean Brûlart, à Saint-André-des-Arts, prêche contre ceux qui accepteraient les provisions de l’édit et les tentations régicides réapparaissent. Le lendemain, Henri IV rencontre une première fois les députés du parlement de Paris. Le 16 février, il reçoit encore les parlementaires au Louvre et leur tient un nouveau discours moins connu que le précédent. Celui-là est en effet « célèbre » comme le rappelle Bernard Cottret qui précise que « l’on cite moins souvent l’anecdote qui précède10 ». L’analyse qu’il fait lui-même de cet élément anecdotique en déporte cependant la signification en la renvoyant aux fins du texte qu’il sert – soit la juste réparation du sang versé. Mais cette anecdote joue à mon sens un rôle plus essentiel en établissant en amont les conditions de félicité possible du discours de justice lui-même devant réaliser cette réparation. Et si elle renvoie au théâtre baroque de l’époque et à une sensibilité spécifique, je pense qu’elle est bien plus que ce simple affleurement dans le politique des passions du grand théâtre des cruautés contemporain et qu’elle joue un rôle plus essentiel que de fournir un sujet aux peintres troubadours du XIXe siècle par lesquels sa popularité s’est poursuivie11. L’épisode est en effet indirectement représenté par Eugène Devéria qui expose au Salon de 1857 Les Quatre Henri dans la maison de Crillon à Avignon en donnant à la scène des acteurs une localisation et une chronologie qui ne sont pas exactement celles mobilisées dans le récit de janvier 1599, afin de mieux mettre en valeur le panache du premier Bourbon12. L’histoire quant à elle, pour en revenir aux sources, se trouve racontée dans Pierre de L’Estoile :
le jeudi 7e de ce mois [janvier 1599], le roi manda ses gens du Parlement au Louvre pour la vérification de l’Édit de ceux de la Religion, auxquels il parla en roi et en termes exquis et choisis, qui depuis ont été imprimés, hormis le commencement qui fut tel : Devant que vous parler de ce pourquoi je vous ai mandés, je veux vous dire une histoire que je viens de ramentevoir au maréchal de la Châtre. Incontinent après la S. Barthélemy, quatre qui jouions aux dés sur une table vîmes paraître des gouttes de sang et, voyant qu’étant essuyées par deux fois, elles revenaient pour la troisième, je dis que je ne jouerai plus, et que c’était un augure contre ceux qui l’avaient répandu. M. de Guise était de la troupe13.
8Cet épisode est développé par Jacques-Auguste de Thou dans le treizième tome de son Histoire universelle :
Je me souviens, dit-il, qu’il y a vingt-six ans, étant à la cour de Charles IX je proposai à Henri de Lorraine duc de Guise mon parent, & qui étoit alors mon ami, de joüer aux dez. Il y avoit avec nous un grand nombre de gens de la Cour, & entre autres la Chastre, que voila à présent, & qui peut vous rendre témoignage de ce que je vais vous dire. On essuya la table, & dans le tems que nous allions commencer à joüer, on vit des goutes de sang qu’on essuya vainement & qui parurent plusieurs fois, sans qu’on pût sçavoir d’où elles couloient ; on remarqua exactement qu’aucun des assistans ne saignait du nés, ni d’aucune autre partie du corps. Étonné de ce prodige, j’en tirai un mauvais augure ; je quittai aussitôt le jeu ; je communiquai ma pensée à mes amis ; & me tournant vers eux, je leur dis, sans que M. de Guise m’entendit ; je prévois qu’il coulera un jour des torrens de sang entre le Duc & moi. Des événemens aussi funestes à l’État, que douloureux pour moi, ont justifié mes prédictions. Que nos malheurs passés nous soient du moins de quelque utilité ; & qu’ils nous enseignent les remedes necessaires aux maux presens. N’avons-nous pas versé assez de sang ? N’avons-nous pas assez souffert14 ?
9Mais l’historien corrige ou neutralise l’étrangeté du propos et lui imprime une forme qui abolit l’extraordinaire de l’énoncé pour l’articuler au reste du propos, dans une économie argumentative régulière constituant la seule lecture à laquelle pouvait procéder ce président à mortier de la grande Cour de Justice parisienne15. Pour ne pas être étranger au monde des parlementaires et à l’éloquence du palais, Pierre de L’Estoile a cependant su saisir véritablement ce qu’il en était de ce petit récit dans la volonté du roi. Moins un élément d’une rhétorique articulée qu’une éloquence du fragment, de la décomposition par laquelle la production du sens devenait la propriété de la seule langue du roi. Un roi qui parle alors bien différemment de son cousin et prédécesseur Henri III dont toutes les grâces de la langue ne possédèrent cependant pas le caractère exquis des paroles de 1599.
La parole du Roi : contre le prince orateur et face à la rhétorique de la souveraineté robine
10Comme cela a été montré par Claude La Charité, Henri III faisait figure de roi orateur16. Lors de l’enregistrement de l’édit de Nemours au parlement de Paris, le 18 juillet 1585, l’ambassadeur Giovani Dolfin souligne que le roi « parla avec beaucoup d’éloquence, comme c’est son naturel17 ». Il se voulait, par ailleurs, soucieux de cultiver cette rhétorique, comme le montrent ses démarches pour être instruit des particularités de cet art, non seulement dans une perspective de maîtrise théorique, mais surtout afin de servir une mise en pratique directe de ces enseignements dans le cadre de son métier de roi. Une parole royale portant pour ses maîtres sur ce qui doit constituer l’activité souveraine, soit la mise en ordre, par sa puissance normative et régulatrice, des relations humaines. Dans sa préface à l’édition du Projet d’éloquence royale de Jacques Amyot, Philippe-Joseph Salazar rappelle une image de l’Iconologie de Ripa, celle d’une ourse léchant la masse informe de son petit « pour lui donner la bonne apparence : ainsi agit la langue, la parole royale qui, formée par la parole de son précepteur […], invente à son tour la forme harmonieuse des relations humaines18 ». L’Académie du Palais témoigne de l’ambition d’une réforme de la parole royale se devant d’être étrangère par sa forme – mais également supérieure par ses fins et différente par son énergie – du langage mondain et italianisé de la cour, de la rhétorique délibérative des États-généraux et du parlement parisien comme de l’invective pamphlétaire des catholiques zélés et des partisans huguenots. Davantage, selon une dialectique de l’apparence et de l’essence d’inspiration néoplatonicienne, elle doit être une langue transformée, surhumaine, réalisant la conversion de l’entendement – soit le logos intérieur par lequel l’homme entend Dieu – en éloquence efficace19. Avec Henri III, l’éloquence royale procède donc d’une conception « orale » et « spirituelle » de la fonction souveraine, héritée de la première Renaissance, et dont la plus grande part disparut à Saint-Cloud le 2 août 1589.
11En effet, quoi de plus éloignée, en apparence, de cette sage, magistrale et savante rhétorique que la franchise bonhomme, brève, directe et spontanée, savoureuse mais quelquefois blessante, d’un roi qui, dans ses manifestations d’éloquence, cultive sa singularité comme lors des discours de janvier et février 1599 où l’insistance sur l’humilité de la mise – ni habit royal, ni cape, ni épée… – trouve son écho direct dans une parole sans apprêt ? En apparence, donc, car si la parole royale d’Henri IV tranche avec le style de son prédécesseur, elle entretient cependant avec lui des liens plus intimes que sa confrontation avec l’éloquence parlementaire permet de mettre en évidence.
12Contre l’énervement de l’art oratoire d’Henri III, condamné à n’être qu’une éloquence sans effet, la parole royale refondée par Henri IV se veut une performance instituante, dont le combat, toutefois, est probablement moins celui qui la dresse contre l’impuissance verbale d’un Henri III réduit au langage des larmes que contre les prétentions des officiers du parlement de Paris qui, en faisant parler la Royauté outragée, font entendre la part souveraine de leurs ambitions politiques.
13L’attentat contre le roi commis par Jean Chastel, le 27 décembre 1594, a été l’occasion pour les robins de réaffirmer leur rôle dans la constitution monarchique et d’asseoir leur ambition à une participation à la Souveraineté. Convaincu de la responsabilité des Jésuites dans ce régicide, le parlement de Paris prononça deux jours plus tard l’arrêt d’expulsion de son ressort de la Compagnie de Jésus20. Assortie à l’exécution du « meschant et cruel parricide », fut décidée la destruction de la maison des Chastel en lieu et place de laquelle un monument commémoratif devait être érigé. Élevé en 1595, il s’agit d’une pyramide sommée d’une croix, sise sur un piédestal monumental ouvragé – flanqué de quatre statues en pied représentant les vertus cardinales – et support d’inscriptions portant pour la postérité la condamnation du bras qui avait frappé et les paroles qui l’avaient inspiré, et célébrant la faveur particulière de Dieu pour la France et son roi21. Comme cela a été souligné, cet édicule « s’impose comme une véritable pierre de touche au cœur de toute réflexion sur les représentations du pouvoir et la genèse de l’iconographie royale moderne, à un moment clef dans l’histoire des institutions de l’Ancien Régime22 ». Quand l’iconographie du pouvoir se concentre sur la personne du souverain, la représentation de cette pyramide constitue la tentative de réalisation d’une autre image de la Souveraineté. Quand est figurée l’ineffable parole d’autorité et de force d’un homme sous le charme aimable de son sourire, c’est la voix pétrifiée de la Loi que les parlementaires ont essayé de lui associer sous la forme d’une imagerie concurrente, potentiellement rivale : à l’implicite d’une parole suggérée, virtuelle, l’explicite des mots prononcés, fixés dans le marbre. Autrement dit, l’esprit et la lettre de la légitimité de part et d’autre de ces choix iconographiques.
14Une première gravure de ce monument semble avoir été réalisée en 1597 par Jacob de Weert et éditée en 1601, accompagnée de l’arrêt du parlement et de trois textes en latin qui étaient gravés sur ses côtés. Empruntant à divers canons monarchiques – le Louvre de Pierre Lescot et le tombeau d’Henri II notamment –, le monument se veut comme un écho direct de l’iconographie royale, mais un écho seulement, loin de toute idée d’inféodation immédiate à celle-ci. Davantage, la pyramide du parlement gallican était porteuse d’un imaginaire politique autonome spectaculairement mis en scène à travers l’absence de la figure royale – à laquelle elle était pourtant consacrée – dont certains attributs essentiels se trouvaient tenus par les vertus placées au-dessus de l’édicule. Cette capacité de la pyramide à témoigner de cet ethos parlementaire sur lequel se fondent les prétentions politiques des magistrats se fait entendre dans la grève des avocats du parlement survenue en 1602 où, au-delà d’intérêts corporatistes immédiats, est défendue la grandeur de l’exercice de la Parole dans la cité. Cette même année, Antoine Loisel, dans son Pasquier, ou Dialogue des avocats, procède à la formalisation d’un héroïsme robin disputant aux gens d’épée le monopole de la vertu et défend une « éloquence civique » que l’affaire des Jésuites en 1594 avait consacrée. Comme l’analyse Marc Chatelain, cette parole des gens de justice, officiers et avocats, porte l’ambition d’une participation aux affaires de l’État, « ou, à tout le moins, de participation à ses fondations théoriques et à sa direction morale23 ». Cette position ambiguë, à la fois connexe à l’encomiastique royale mais distincte d’une simple déclinaison neutre et circonstanciée de celle-ci, est révélatrice d’une affirmation iconographique de la souveraineté du parlement parisien dont la légitimité se trouve figurée dans la « dimension hyperbolique de [la] composante verbale » du monument que ses représentations gravées accentuent24. C’est en effet un spectacle rhétorique tout entier qui supporte la souveraineté parlementaire fondée dans sa puissance à dire le droit et à assurer le pouvoir du roi. En mettant en scène l’éloquence, mais une éloquence sans voix personnelle car parole d’un corps tout entier, les magistrats parisiens disputaient au souverain cette faculté rhétorique donnée à comprendre comme exclusive dans le sourire de l’homme aimable ou dans les chaînes d’or qui partaient de la langue de l’Hercule gaulois dont l’autorité même, fondée sur la Fable, était directement concurrencée par la référence antique de la pyramide. Celle-ci porte les armes du roi, expose les symboles de la royauté, condamne l’attentat contre sa personne. Mais l’homme réel qui les porte et qui les incarne n’y figure pas. Il est le sujet d’une histoire passée – ses victoires antérieures – et n’est qu’un acteur lointain du présent – sa parole est portée par d’autres, comme le montre sur la face principale du monument l’arrêt du parlement signé « Du Tillet ». Par ailleurs, le latin de trois des quatre textes qui flanquent la pyramide s’oppose à cet idéal de communication et d’accessibilité directes du roi avec le moindre de ses sujets et établit, a contrario, la nécessité de la présence du parlement comme force médiatrice de la Souveraineté, voire sa source même. Comme le texte de l’arrêt fait peser la responsabilité de l’attentat sur les Jésuites, opérant le déplacement d’une culpabilité individuelle à une faute collective, il procède également, derrière l’apparent triomphe individuel d’Henri IV, à la célébration politique collective du Parlement, incarnation de ce véritable corps du Roi dont le couteau de Jean Chastel n’a blessé, seulement, que la représentation charnelle, sujette aux outrages et à la mort.
15Contre les pierres qui parlent pour la Monarchie au corps défendant du roi et contre le spectre d’un prince inaudible et assassiné, la parole d’Henri IV procède à une cartographie discriminante de la Souveraineté rejetant hors d’elle les prétentions robines à y prendre part comme la faculté des rois malheureux à l’incarner pleinement25. L’anecdote qui précède les « paroles » du roi aux représentants des officiers du parlement de janvier 1599 est alors l’instrument efficace de cette nouvelle géométrie du pouvoir constitutive de la restauration monarchique bourbonienne.
L’anecdote absolutiste
16« Ces patissages de lieux communs, dequoy tant de gents mesnagent leur estude, ne servent guere qu’à subjects communs ; et servent à nous montrer non à nous conduire » écrit Montaigne dans ses Essais (III, 12). On peut chercher à caractériser le style d’Henri IV dans une typologie particulière de l’éloquence, mais un bénéfice plus considérable et plus fécond sera acquis depuis une réflexion sur l’extériorité des « paroles » henriciennes au système rhétorique contemporain ; un écart dont l’économie efficace procède du jeu habile de ses normes avec une transgression de ses codes à l’image de la révision montaignienne du cadre épistémologique des conditions et de la validation du jugement alors contemporaine26. Si Roger Zuber a qualifié l’éloquence henricienne comme une rhétorique de « paroles » et non de harangues et s’il est possible de mesurer combien elle pouvait relever d’un style julien hostile à l’ornement du langage – l’imperatoria brevitas –, il importe peut-être davantage de souligner la distance qu’elle prend vis-à-vis des attendus de la rhétorique pour justement donner à entendre, puis à voir, un roi inattendu27.
17Cette différence a été perçue par les contemporains à l’exemple du jésuite Louis Richeome pour qui l’éloquence d’Henri IV « n’était pas une tissure de phrases mignardes et de fleurs de rhétorique, mais un discours nerveux, d’un langage mâle et martial, laconique et sentencieux, prenant sa source d’une profonde prudence et subtilité naturelle28 ». Les derniers mots sont ici essentiels : la parole du roi ne procède pas d’un art ; elle ne relève pas de l’École mais elle porte les attributs d’une souveraineté naturellement inspirée, de celle topiquement prudentielle de la gouvernance idéale29. Le rôle de l’anecdote de janvier 1599 est alors de sortir le roi de l’exemplarité de l’exemple et de son incertaine valeur probatoire en faisant entendre l’exceptionnalité du prince d’une part et en libérant, d’autre part, sa parole de la labilité et de la passion paradoxale de la validation argumentative établie sur l’exemple comme en signant encore l’espace d’une énonciation indifférente à l’éloquence délibérative ou judiciaire30.
18Le roi sacré, providentiel et charismatique, ne peut pas être un exemple. Sa qualité est celle d’une liminalité. Il ne peut être un exemple pour ses sujets et toute la pastorale absolutiste insiste sur la différence de nature entre le berger et son troupeau. Ses paroles ne peuvent donc être exemplaires non plus au risque de vulgariser sa personne et de léser la Majesté de son être, lequel assume depuis François Ier la charge sacrée de la lieutenance divine qui était traditionnellement attachée dans la gouvernance médiévale au ministère royal. Henri IV ne peut pas mettre en œuvre une inventio qui référerait la parole à une justification trouvant sa source et sa caution hors de lui-même dans la communauté d’un trésor de lieux. La construction de l’absolutisme ne peut pas se faire dans les mots d’une gouvernance royale qui serait liée au système normé de l’administration de la preuve tel que le modèle rhétorique antique retrouvé et amendé par les humanistes l’établit31. Aussi, dans l’ordre politique, le passage à l’absolutisme pourrait-il être éclairé par ce qui est en jeu de manière contemporaine dans la transformation de l’exemple rhétorique en référence dans la philosophie classique, comme dans la mise en ordre de l’imagination dans un imaginaire établi, repéré et cartographié auquel donnent accès les traités d’iconologie ? La royauté refondée dans son absolutisme peut-elle être autorisée par les pépinières d’arguments dont les robins nourris de culture humaniste tiennent les clefs32 ? Le parallèle est à réfléchir ici entre la posture prise par Henri IV dans son texte et le jugement de Montaigne affirmant dans ses Essais que « tout exemple cloche » (III, 13). Quand le premier établit l’économie légitimante de l’absolutisme, le second construit les prémices d’une autonomie épistémologique d’ordre intellectuel contre les coups de force de l’induction, de l’imitation et de l’analogie du code rhétorique et de l’épistème des correspondances.
19Dès lors, en lieu et place d’un processus rhétorique d’exemplification, l’anecdote procède-t-elle à une exemplarisation éloquente mais sans imitation possible dans sa qualité d’unicum absolu par sa forme comme par son sujet33. Elle constitue une illustration du prince, en prenant au mot la faculté lumineuse de son processus. Il n’appartient qu’au roi d’interpréter les signes célestiels et à donner sens à l’extraordinaire d’une manifestation providentielle. Comme à fermer les portes du temple de Janus. Henri IV redéfinit l’espace politique depuis sa personne contre les ressacs du discours communautaire et unanimiste des catholiques zélés d’un côté (la parole collective et mimétique de l’enthousiasme) et le discours de la république des parlementaires parisiens de l’autre (la parole politique et critique de la différence). Sa souveraineté ne tient ni des uns ni des autres. Le seul corps sacré ici-bas est le sien et seule sa parole prophétique a la gravité des origines et la faculté d’autoriser les commencements.
20Au spectacle d’une parole déchirée entretenant les passions criminelles et au paradoxe d’un Henri III éloquent « incapable de persuasion », Henri IV oppose une parole unificatrice et efficace s’absolutisant du cadre rhétorique parlementaire sans cependant se perdre dans l’exclusivisme d’un verbe clérical et catholique ou dans l’étroitesse d’une mondanité curiale34. Henri IV conserve de la rhétorique l’amplification ; prouver, c’est pour reprendre les termes de Francis Goyet « rendre conscient de l’importance des enjeux ». Mais afin de faire échapper la légitimité du relatif rhétorique capable d’amplifier ou de minimiser – « le légitime n’est pas donné une fois pour toutes » dans la pratique du rhéteur –, l’exemple est délaissé au profit de l’anecdote35. Cette parole singulière participe de l’intense travail d’« exceptionnalisation » à l’œuvre dans la restauration henricienne qui n’est pas tant la pacification d’un royaume que la refondation, d’abord, de l’individu royal36.
21Dans l’économie de cette efficacité, l’anecdote fonctionne chez Henri IV comme le skeptron donné chez Homère à l’orateur qui va parler, en ce sens qu’elle est fondamentalement un acte, voire un rite, d’institution37. À charge pour elle justement ensuite de se dire comme surgie d’une autorité qui n’est pas de ce monde dans une théâtralisation qui règle fondamentalement l’économie de la sortie des guerres de Religion, comme l’a montré Hélène Merlin-Kajman à la suite des travaux de Reinhart Koselleck38. Le roi informe ; il ne se communique définitivement pas. Il n’a nul compagnon dans sa langue pour justement en faire désormais le lieu de tous, un espace commun de la société moderne pouvant assumer le deuil de son univocité perdue. Et à ceux qui, inattentifs à l’anecdote liminaire, s’étonneraient du florilège extraordinaire des arguments du roi dans la suite de ses paroles de janvier 1599, Henri IV crânement dévoile sa nature démonique, mi-ange, mi-homme :
Vous avez beau faire, je sais tout ce que vous faites, je sais tout ce que vous dites. J’ai un petit démon qui me le révèle39.
22Le secret des cœurs révélé à cette omniscience souveraine est bien alors l’apocalypse définitive d’un roi que l’anecdote initiale avait dressé liminairement en figure singulière, nouveau Melchisédech d’une rencontre à faire vivre : celle du dissensus génétique des temps « classico-baroques ».
Notes de bas de page
1 Hariman R., Le Pouvoir est une question de style. Rhétoriques du politique, Paris, Klincksieck, 2009 (1995 – la traduction française rend imparfaitement compte du sens d’artistry utilisé par l’auteur, Political Style. The Artistry of Power).
2 Haquet I., L’Énigme Henri III. Ce que nous révèlent les images, Paris, Presses universitaires de Paris Ouest, 2011, p. 87.
3 Crouzet D., Les Guerriers de Dieu. La violence au temps des troubles de religion, vers 1525 – vers 1610, Seyssel, Champ Vallon, 1990, t. II, chap. XX.
4 Debaggi Baranova T., À coups de libelles. Une culture politique au temps des guerres de religion, 1562-1598, Genève, Droz, 2012.
5 Balandier G., Le Pouvoir sur scènes, Paris, Fayard, 2006 (1980), p. 19 ; Le Roux N., « Henri III and the Rites of Monarchy », dans Mulryne J. R. et alii (dir.), Europa triumphans. Court and Civic Festivals in Early Modern Europe, Aldershot, Ashgate, 2004, t. I, p. 116-121.
6 Abiven K., position de thèse, « L’Anecdote ou la fabrique du petit fait vrai. Un genre miniature, de Tallemant des Réaux à Voltaire (1650-1756) », soutenue le 17 novembre 2012 à l’université Paris 4-Sorbonne sous la direction du professeur Delphine Denis [http://www.fabula.org/actualites/soutenance-de-these-de-k-abiven-l-anecdote-ou-la-fabrique-du-petit-fait-vrai-un-genreminiature-de-_53613.php].
7 Qui n’exclut pas des pratiques plus traditionnelles, comme la mise à l’écart de l’un des plus farouches opposants à ce texte, le président Antoine Séguier, nommé ambassadeur à Venise le 5 janvier 1599, qu’il remplace par Jacques-Auguste de Thou, l’un des négociateurs du traité, rappelé à la cour pour y exercer sa charge.
8 Lefèvre L.-R. (éd.), Journal de l’Estoile pour le règne de Henri IV, Paris, Gallimard, t. I, 1943, p. 547-555 ; voir également la « Lettre de M. de la Force à sa femme. 12 janvier 1599 » citée par Lods A., « L’Édit de Nantes devant le parlement de Paris », Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme français, t. XLII, 1899, p. 124-138, p. 129.
9 Cottret B., 1598. L’Édit de Nantes. Pour en finir avec les guerres de religion, Paris, Librairie Académique Perrin, 1997 ; De Waele M., Les Relations entre le parlement de Paris et Henri IV, Paris, Publisud, 2000, p. 355-382 ; Barbiche B., « L’édit de Nantes et son enregistrement : genèse et publication d’une loi royale », dans Mironneau P. et Pébay-Clottes I. (éd.), Paix des armes. Paix des âmes, Paris, Imprimerie Nationale, 2000, p. 251-260 ; Daubresse S., Le Parlement de Paris ou la voix de la Raison (1559-1589), Genève, Droz, 2005.
10 L’édit est enregistré le 25 février 1599. Cottret B., 1598, op. cit., p. 209-211 ; Maugis E., Histoire du Parlement de Paris. De l’avènement des rois Valois à la mort d’Henri IV. Période des guerres de religion de la Ligue et de Henri IV, Paris, A. Picard, 1913-1916, t. III, p. 207-209. Rien des échanges entre le roi et ses officiers n’a été reporté dans les registres du parlement.
11 Biet C. (éd.), Théâtre de la cruauté et récits sanglants. En France (XVIe-XVIIe siècles), Paris, Robert Laffont, 2006 ; une version enregistrée par Jean Deschamps de ce discours « patrimonial » a été éditée dans un disque contenant d’autres textes d’Henri IV par L’Encyclopédie sonore en 1960 sous la forme d’un 45 tours.
12 Musée national du château de Pau (Inv. P. 2007.10.1).
13 Journal de L’Estoile…, t. I, op. cit., p. 555-558, p. 555 (je souligne) ; BnF, Ms. Fr. 4744, fol. 94 et Ms. Fr. 5045, fol. 506. Claude de La Châtre est un proche des Guise. Fait maréchal par le duc de Mayenne en 1593, il s’est rallié à Henri IV en 1594 (Le Roux N., « L’exercice de la fidélité entre loyauté et rébellion. Le parcours politique du maréchal de la Ligue Claude de La Châtre », Revue d’histoire moderne et contemporaine, t. XLIII-2, 1996, p. 195-213).
14 Histoire universelle de Jacques-Auguste De Thou, depuis 1543 jusqu’en 1607. Traduite sur l’édition latine de Londres, t. XIII [1596-1601], à Londres, M.DCC.XXXIV, Livre CXXII, p. 375-379, p. 375 (je souligne).
15 Un gauchissement comparable mais visant un autre but est également sensible dans la mention de cet épisode par François Du Val, marquis de Fontenay-Mareuil (né en 1595), qui dans ses « Mémoires », rédigés en 1653-1654, reprend l’épisode mais amputé de la parole prophétisante du roi et le vidant de son actualité en le renvoyant à l’attentat de Chastel en décembre 1594 (Petitot C.-B. [éd.], Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France, « Mémoires de messire du Val, marquis de Fontenay-Mareuil », Paris, Foucault, 1826, t. I, p. 52 ; Germa-Romann H., Du « bel mourir » au « bien mourir ». Le sentiment de la mort chez les gentilshommes français, Genève, Droz, 2001, p. 33-34 – je remercie Christian Renoux pour ces suggestions).
16 La Charité C., « Henri III, nouvel Hercule Gaulois », dans Pernot L. (dir.), New Chapters in the History of Rhetoric, Leyde, Brill, 2009, p. 269-286 ; ibid., « La formation rhétorique de Henri III par delà les trois institutions oratoires : le Discours de la Philosophie (1584) d’Amadis Jamyn ou le premier abrégé de l’Organon d’Aristote en langue vernaculaire », Seizième Siècle, no 7, 2011, p. 243-259 ; Bastien P., « Les deux voix du roi. Notes pour une nouvelle écoute de la parole souveraine de Henri III », dans Poirier G. (dir.), « La majesté de la parole sous le règne de Henri III », Tangence, no 93, 2010, p. 9-16 ; Fumaroli M., « La prose de l’État : Charles Paschal, théoricien du style royal. Rhétorique et politique à la Cour de France sous Henri III et Henri IV », idem, La diplomatie de l’esprit. De Montaigne à La Fontaine, Paris, Herrmann, 1994, p. 59-124 ; Kushner E., « Pontus de Tyard, professeur de rhétorique ? », dans De Conihout I. et alii (dir.), Henri III mécène des arts, des sciences et des lettres, Paris, PUPS, 2006, p. 160-167 ; Le Person X., « Practiques » et « practiqueurs ». La vie politique à la fin du règne de Henri III (1584-1589), Genève, Droz, 2002, p. 229-269 ; et Greengrass M., Governing Passions. Peace and Reform in the French Kingdom, 1576-1585, New York, Oxford University Press, 2007, p. 56-65.
17 Lettre au Doge, datée de Paris, le 19 juillet 1585 (citée par Le Person X., « Practiques » et « practiqueurs »…, op. cit., p. 230). À propos du discours du roi lors de la séance d’ouverture des États-généraux de 1576, Guillaume de Taix témoigne de l’émotion qui le saisit, œuvre d’un roi qui « fit la plus belle et docte harangue qui fût jamais ouïe, non pas d’un roi, mais je dis d’un des meilleurs orateurs du monde, et en telle grâce, telle assurance, telle gravité et douceur à la prononcer, qu’il tira les larmes des yeux à plusieurs, du nombre desquels je ne me peux exempter » (ibid., p. 265).
18 Amyot J., Projet d’éloquence royale, Paris, Les Belles Lettres, 1992, p. 12. Si l’œuvre de Ripa, publiée en 1593, lui est postérieure, Montaigne, son contemporain, évoque dans ses Essais cette figure de l’ourse façonnant ses petits « en les léchant à loisir » (Essais de Michel de Montaigne, Tournon A. (éd.), Paris, Imprimerie nationale Éditions, 1998, Livre II, 12, p. 366) ; Crouzet D., Le Haut cœur de Catherine de Médicis. Une raison politique aux temps de la Saint-Barthélemy, Paris, Albin Michel, 2005, p. 24.
19 Cette dimension spirituelle, « pneumatique », de l’éloquence royale rattachée à la création de l’ordre du Saint-Esprit en 1578 est soulignée par Mark Greengrass (« Henri III, Festival Culture and the Rhetoric of Royalty », dans Mulryne J. R. et alii (dir.), Europa triumphans, op. cit., t. I, p. 105-115, p. 112-113).
20 Mousnier R., L’Assassinat d’Henri IV. 14 mai 1610. Le problème du tyrannicide et l’affermissement de la monarchie absolue, Paris, Gallimard, 1992 [1964], p. 201-208 et p. 282-289 ; Fouqueray H., Histoire de la Compagnie de Jésus en France des origines à la suppression (1528-1762), Paris, A. Picard et Fils, 1910-1913, t. II, La Ligue et le bannissement (1575-1604), p. 344-409 ; Barbiche B., « Le bannissement et le rappel des jésuites (1594-1603) », Henri IV et les Jésuites, La Flèche, Prytanée national militaire, 2004, p. 27-37.
21 Recueil de pièces touchant l’Histoire de la Compagnie de Jésus, composée par le Père Joseph Jouvenci Jésuite, et supprimée par Arrêt du Parlement de Paris du 24 mars 1713, Liège, 2e édition, par Nicolas Petit-Pied, 1716, in-12o, p. 93-99 ; Mémoires de Condé, servant d’eclaircissement et de preuves à l’Histoire de M. de Thou, à La Haye, chez Pierre Dehondt, 1743. t. VI, p. 138-141 et p. 171-180. Dix ans après son érection, Henri IV ordonna, en février 1605, sa destruction totale, effectuée aux mois de mai et juin suivants (Journal de l’Estoile…, op. cit., t. II, p. 164 ; Fouqueray H., Histoire de la Compagnie de Jésus…, op. cit., t. III, Époque de progrès (1603-1623), p. 9-12 ; Nelson E., The Jesuit and the Monarchy. Catholic Reform and Political Authority in France (1590-1615), Aldershot, Ashgate Publishing-Institutum Historicum Societatis Jesu, 2005, p. 58).
22 Wachenheim P., « La Pyramide du Palais ou Henri IV représenté malgré lui. Un épisode de la genèse de l’image du roi à l’aube du xviie siècle », Gaehtgens T. W. et Hochner N. (dir.), L’image du roi de François Ier à Louis XIV, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2006, p. 57-76, p. 58.
23 Chatelain M., « Heros togatus : culture cicéronienne et gloire de la robe dans la France d’Henri IV », Journal des savants, juillet-décembre 1991, p. 263-287, p. 281 ; Fumaroli M., « La prose de l’État… », art. cité, p. 86-87 et p. 93-94.
24 Wachenheim P., « La Pyramide du Palais ou Henri IV représenté malgré lui… », art. cité, p. 63.
25 C’est dans ce sens que l’on peut comprendre ces autres « paroles » du roi adressées aux députés du Clergé le 28 septembre 1598 : « Mes prédécesseurs vous ont donné des paroles avec beaucoup d’apparat ; et moi avec jaquette grise je vous donnerai des effets. Je n’ai qu’une jaquette grise, je suis gris par le dehors, mais tout doré au dedans » (Recueil des lettres missives de Henri IV, Berger De Xivrey E. (éd.), t. V, 1598-1602, Paris, Imprimerie Nationale, 1850, p. 33-34). Si je souscris pleinement à l’analyse de Pierre Wachenheim sur l’impossibilité pour le roi, parallèlement à ce refus de confusion entre sa parole et celles de ses officiers, de laisser s’affirmer une « imagerie royale organisée, contrôlée et de plus en plus riche, pour représenter l’autorité royale sans image du roi, pour en être le substitut sans visage […], un imaginaire […] faisant l’économie d’une personnalisation de la représentation, et subordonnée en outre à la puissance de la robe », je ne conclurai cependant pas sur l’échec des parlementaires parisiens comme le montrent les débats contemporains relatifs aux normes de la représentation du roi. L’invention du portrait en majesté (le « portrait d’État ») manifeste par exemple une forme de compromis entre la figure du roi et la sacralité impersonnelle de la Souveraineté.
26 Cette anecdote ressortirait-elle alors d’une « rhétorique de la transgression » pour reprendre le titre du colloque organisé en mai 2014 par la Société canadienne pour l’étude de la rhétorique à Brock University ?
27 Zuber R., Les Émerveillements de la raison, Paris, Klincksieck, 1997, chap. I.
28 Cité par Brémond H., Histoire littéraire du sentiment religieux en France. Depuis la fin des guerres de religion jusqu’à nos jours, t. I, L’humanisme dévot (1580-1660), Paris, Librairie Bloud et Gay, 1924, p. 28.
29 Goyet F., Les Audaces de la prudence. Littérature et politique aux XVIe et XVIIe siècles, Paris, Éditions Classique Garnier, 2009.
30 Contre la rhétorique, démocratique et passionnée, « l’antirhétorique est devenue, dans les Temps modernes, l’une des plus importantes figures destinées à prendre sur soi la responsabilité des duretés du réalisme, qui promet d’être la seule voie à la hauteur de la gravité de la situation humaine » (Blumenberg H., à propos du De Cive de Hobbes, cité par Monod J.-C., Hans Blumenberg, Paris, Belin, 2007, p. 156).
31 Couturas C., « Exemple-exemplarité », dans Desan P. (dir.), Dictionnaire de Michel de Montaigne, Paris, Honoré Champion, 2004, p. 368-372 ; Peytavin S., « Non parce que Socrates l’a dict. Mais qu’en verité c’est mon humeur. Socrate, un exemple pour Montaigne ? », dans Gontier T. et Mayer S. (éd.), Le Socratisme de Montaigne, Paris, Éditions Classiques Garnier, 2010, p. 157-171.
32 Moss A., Les Recueils de lieux communs. Apprendre à penser à la Renaissance, Genève, Droz, 2002 (1996) ; Fumaroli M., L’Âge de l’éloquence. Rhétorique et « res literaria » de la Renaissance au seuil de l’époque classique, Genève, Droz, 2002 (1980) ; Goyet F., Le Sublime du « lieu commun ». L’invention rhétorique dans l’Antiquité et à la Renaissance, Paris, Honoré Champion, 1996.
33 Abiven K., « Quelle exemplarité du récit chez Sévigné ? Version de travail », dans Rhétorique et épistolaire : l’écriture Sévigné, Christine Noille, site web RARE – Rhétorique de l’antiquité à la Révolution (mise en ligne le 16 janvier 2013), URL : [http://w3.u-grenoble3.fr/rare/spip/spip.php?art330] ; Duché V. et Jeay M. (dir.), Le Récit exemplaire, 1200-1800, Paris, Classiques Garnier, 2011.
34 La Charité C., « Henri III ou le paradoxe d’un roi éloquent incapable de persuasion », communication présentée le 15 mai 2010 lors du colloque « Éloquence et action au temps de la Renaissance », organisé par Florence Malhomme à l’université Paris-Sorbonne.
35 Goyet F., Le Sublime du lieu commun…, op. cit., p. 715-716.
36 De Franceschi S. H., « Le principe de souveraineté à l’épreuve. Raison du prince et hostilité catholique à la Compagnie de Jésus en France de l’assassinat d’Henri IV aux États-généraux de 1614-1615 », Europa Moderna, no 2, 2011, p. 33-47, p. 40.
37 Bourdieu P., Langage et pouvoir symbolique, Paris, Le Seuil, 2001, p. 161 et p. 175. Cottret B., 1598. L’Édit de Nantes…, op. cit., p. 206.
38 Merlin-Kajman H., « Les guerres de religion et l’interdit de la mort sur scène », dans Berchtold J. et Fragonard M.-M. (éd.), La Mémoire des guerres de religion. La concurrence des genres historiques XVIe-XVIIIe siècles, Genève, Droz, 2007, p. 235-250.
39 Journal de L’Estoile…, t. I, op. cit., p. 556 (je souligne). À l’idéal socratique, relayé par Plutarque et Apulée, se joint ici la matière du souverain angélique, tradition biblique fondée sur le IIe livre des Rois (XIV, 20) ; voir également Koering J., « Entre ciel et terre : Federico II Gonzaga et le décor peint de la sala dello Zodiaco au Castello San Giorgio », dans Morel P. (dir.), L’Art de la Renaissance entre science et magie, Paris-Rome, Somogy éditions d’art-Académie de France à Rome, 2006, p. 165-186, p. 175-177. Cette question de l’ange gardien ou du daimōn du roi, dans cette fin du XVIe siècle qui marque l’achèvement de cette « ère faste » ouverte par Marcile Ficin pour la redécouverte néo-platonicienne des esprits familiers, reste à préciser – sur ce sujet, Boudet J.-P. et alii (dir.), De Socrate à Tintin. Anges gardiens et démons familiers de l’Antiquité à nos jours, Rennes, PUR, 2011 (notamment « Introduction », p. 9-19, p. 15-16).
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