Le coton, défi majeur pour les dynamiques locales, face aux menaces internationales
p. 305-316
Texte intégral
1La Convention de Lomé a renforcé les pays africains dans leur rôle de pourvoyeur de matières premières, pour les économies de leurs anciens colonisateurs. Après le discrédit jeté par l’Europe sur l’arachide, à la suite de l’accroissement de leur production d’oléagineux (Tournesol, Soja…), les pays africains dont le climat est propice à la production du coton, ont développé avec l’assistance de leurs anciennes métropoles, cette culture du coton.
2Au fil du temps, et avec l’accroissement des besoins de financement de leurs économies, les pays producteurs de coton en général et particulièrement le Mali, ont renforcé leur capacité de production.
3Le coton a progressivement pris une place prépondérante dans les recettes d’exportation des pays producteurs : les 2/3 des ressources financières des paysans cotonculteurs et près de 50 % des recettes d’exportation du Mali.
4La production cumulée des pays producteurs de coton en Afrique au Sud du Sahara représentait en 2002, 21,7 % de la production mondiale contre 4 % en 1980. Cette évolution montre l’effort que ces pays, qui sont pour la plupart les plus démunis du monde, ont déployé ces deux dernières décennies sur les conseils et l’assistance des Institutions de financement. Il faut noter que cette augmentation de la production est due à l’augmentation des superficies emblavées.
5Le secteur cotonnier s’est avéré être l’un des rares créneaux du marché mondial, où les pays africains ont pu relever le défi de la compétitivité, si cher aux tenants du néolibéralisme.
6L’Accord de l’Organisation Mondiale du Commerce sur l’agriculture, a aggravé les conséquences subies par les pays producteurs de coton et les paysans cotonculteurs, à cause des subventions accordées par les pays du Nord à leurs paysans producteurs de coton. Cela en violation des règles fixées par eux-mêmes. Si le respect des règles de l’OMC s’impose aux pays du Tiers-monde, il en est autrement pour les pays développés
7Cette descente en enfer s’est précipitée à la suite des progrès technologiques qui ont permis aux pays industrialisés de produire des fils et des tissus à des coûts minimes, et au démantèlement des accords préférentiels dans le cadre de l’Uruguay Round. Toute chose qui s’ajoute aux causes de la limitation de leur accès au marché mondial.
8Avant d’analyser les conséquences à la fois sociales, économiques, écologiques et politiques, sur le développement hypothétique des communautés, il faut situer la problématique du coton dans l’histoire économique du Mali.
Historique de l’introduction du coton au Mali
9Après bien des vicissitudes de la période coloniale et des premières heures de l’indépendance, le coton a pris son envol au Mali avec le plan triennal de Redressement économique et financier (1970-1973) et le Plan Quinquennal de développement économique et social (1974-1978).
10Le plan triennal de Redressement économique et financier (1970-1979), « préconisait une baisse des productions vivrières (base 67-68) de 42 % à 29 % en faveur des cultures d’exportation dont le taux de croissance était fixe à 9,2 %. La stratégie agricole ainsi envisagée devait se répercuter favorablement sur la balance commerciale : les exportations devant progresser au taux annuel de 11 %, et les exportations de 3 % seulement » (Kebe Y. G., 1988, p. 34)
11Le Plan Quinquennal (1974-1978) consacre l’avènement des Opérations de Développement Rural (ODR) au Mali. Considérés comme stratégiques, l’Office du Niger, l’Office des Produits Agricoles du Mali (OPAM) et la Compagnie Malienne de Développement des Textiles (CMDT) sont exclus du champ des ODR.
12Créée en 1974, la CMDT est aujourd’hui la première entreprise du Mali avec un capital social de 32,5 milliards de francs CFA, détenus pour 60 % par le Gouvernement du Mali et 40 % par DAGRIS (ex-CFDT). Elle employait jusqu’à la prise de la décision de privatisation de son activité d’égrenage : 2 300 travailleurs permanents et environ 2 800 saisonniers en fonction de ses activités (campagne de commercialisation, égrenage et transport).
13Sa zone d’intervention couvre une superficie totale de 151 050 km2 soit un peu plus que 1/3 de la superficie totale de la France et concerne environ 2,81 millions d’habitants dont 96 % sont des producteurs. Elle encadre 170 690 exploitations situées dans 5 400 villages et hameaux. Cette zone d’intervention comprend la totalité de la 3e Région administrative (Sikasso) et une partie des 4e (Ségou), 2e (Koulikoro) et 1re (Kayes) régions administratives du Mali, depuis le 12 janvier 1995. Elle dispose de 17 usines d’égrenage.
1490 % de la production sont destinés à l’exportation, tandis que 10 % sont transformés sur place (COMATEX, BATEXI-SA, FITINA et artisanat).
15Par ailleurs la CMDT était l’actionnaire majoritaire de l’Huilerie Cotonnière du Mali (HUICOMA) jusqu’en 2004, date à laquelle sa cession au secteur privé est intervenue, et actionnaire à la SMECMA-SA (atelier de construction d’équipements agricoles : charrues, multiculteurs, herses, semoirs, charrettes, etc.), liquidé depuis l’année 2000.
16Ces chiffres à eux seuls suffisent, pour se faire une idée de l’importance de la CMDT et du coton dans la vie économique du Mali, mais aussi de son poids social et politique.
17Aujourd’hui ce géant de l’agro-industrie est malade et se trouve en voie de privatisation. Cette privatisation, qui est présentée comme le remède miracle devant résoudre les difficultés actuellement rencontrées par le secteur coton, sera effective en 2008.
Le coton dans l’économie du Mali
18Le secteur coton joue un rôle stratégique dans la politique de développement économique et social du Mali. Son importance est percevable à travers les principaux objectifs qui lui sont assignés (lutte contre la pauvreté, amélioration des conditions de vie des populations, autosuffisance alimentaire, contribution à la croissance économique, contribution au budget national, préservation de la nature)
19Le coton c’est :
- 83 à 123 milliards de FCFA par an de revenus bruts pour le monde rural ;
- 160 à 200 milliards de FCFA par an de recettes d’exportation : soit 30 à 50 % du total selon les années ;
- 60 % des exportations agricoles ;
- 10 milliards par an de taxes pour l’État ;
- 8 % du Produit Intérieur Brut ;
- la stimulation de la production céréalière qui bénéficie des arrières effets de la culture du coton ;
- la contribution à la politique sociosanitaire à travers la construction d’écoles, de centres d’alphabétisation et de centres de santé, le désenclavement des zones avec la construction des pistes rurales, l’approvisionnement en eau potable, l’accès des populations aux biens de consommation et d’équipements courants, l’allégement du travail des femmes et leur émancipation.
20Les ressources tirées du coton par l’État servent, en grande partie, à faire face à ses engagements internationaux. Le coton, assure aux coton-culteurs et à leurs communautés, les ressources nécessaires pour couvrir leurs besoins élémentaires : nourriture, éducation, santé, eau potable, etc.
21À travers la CMDT, des missions de service public de l’État sont assurées dans ses zones d’intervention. Ses interventions (Hydraulique villageoise, construction et entretien des pistes rurales, construction d’écoles et de centres de santé), procuraient à cette population une certaine qualité de vie.
22Depuis l’apparition des difficultés dans le secteur coton, on assiste avec amertume à la dégradation du niveau de vie dans les zones cotonnières, qui jadis étaient des zones de prospérité. La pauvreté s’y est installée avec acuité, l’analphabétisme, la malnutrition, sont devenus le lot quotidien de ces populations. Depuis la campagne 1999-2000, les revenus des producteurs accusent une baisse continuelle de campagne en campagne par rapport au niveau de 1988-1999 (96,5 milliards de FCFA). Ils étaient de 69 milliards de FCFA en 1999-2000, et 41,3 milliards de FCFA en 2000-2001.
23L’embellie que procurait le coton jadis s’est très vite envolée. La gestion décentralisée préconisée par les Institutions de Brettons Wood, et présentée comme la solution miracle à l’éradication de la pauvreté, se révèle être un mirage. Non seulement le développement tant désiré par les populations, développement synonyme de bien-être moral, et matériel, s’éloigne, chaque jour un peu plus, mais aussi, l’Afrique se détourne des vraies questions de développement. Présentée comme une panacée rédemptrice, la décentralisation s’avère être une vaine profession de foi.
La gestion de la Compagnie Malienne de Développement des Textiles (CMDT)
La responsabilité des différents gouvernements du Mali
24La crise du coton au Mali a des origines multiples et variées. Une des principales causes de cette crise réside, avant tout, dans la mauvaise gestion de la CMDT et dans l’incapacité des pouvoirs publics à enrayer la corruption endémique et structurelle, qui tel un cancer ronge la CMDT. Du temps des régimes autoritaires (CMLN et UDPM), la CMDT était pour certains acteurs de l’État, une vache laitière intarissable. Aujourd’hui, malgré l’avènement de la démocratie, les pouvoirs publics sont toujours impuissants à la restructurer tant elle attire les convoitises électorales, devenant ainsi un enjeu politique majeur. La récente valse des PDG à sa tête ne saurait se comprendre sans décrypter les jeux politiques souterrains d’allégeance plus ou moins déclarée et de copinage, sur fond patrimonial de l’État.
La responsabilité de la CFDT (DAGRIS)
25Cette mauvaise gestion a été cautionnée par l’Ex-CFDT (DAGRIS), le deuxième actionnaire de la CMDT (40 % du capital) parce qu’il profitait grassement de cette situation. Dans les périodes fastes du coton, si la CMDT était une vache laitière pour les acteurs de l’État Malien, il n’en était pas moins une également pour DAGRIS, qui était gratifié, sur les bénéfices réalisés sur la filière, de la somme d’un milliard de FCFA, en dehors de toute rémunération de son apport.
26Cependant, une mobilisation des acteurs majeurs que sont les paysans et leur alliance avec les éléments conscients de la société civile peuvent conduire à une grande transparence devant mettre un terme aux dérapages de gestion et sortir la CMDT du jeu partisan.
27La plus grosse menace qui pèse sur la CMDT et l’ensemble de la filière cotonnière est d’origine externe. Elle est multiforme et la conséquence directe du non-respect des droits humains des peuples du Tiers-monde, par les tenants du capital. Elle revêt plusieurs aspects dont certains sont très anciens et d’autres plus récents.
Le coton et le marché international
28Deux des anciennes menaces qui pèsent sur les cultures spéculatives du Tiers-monde en général et particulièrement sur le coton, sont structurelles et liées à un commerce international inégal.
29Une troisième menace, et la plus meurtrière, est liée à une violation des règles du marché, codifiées par les possesseurs de capitaux des pays du Nord, cautionnés par leurs pouvoirs publics : les règles de l’OMC.
Les menaces anciennes
30La première anomalie du commerce international entre les pays développés du Nord et les pays exportateurs de produits primaires du Sud est la fixation de ces prix. Les prix des produits du Sud sont fixés par les acheteurs du Nord à travers les Bourses de matières premières ! Or un principe élémentaire de tout commerce veut que ce soit le vendeur qui fixe le prix de sa marchandise. Ainsi quand Ford, GMC, Renault ou Peugeot vendent des voitures aux Maliens, le prix est fixé par Ford, GMC, Renault ou Peugeot.
31Mais quand le cotonculteur de Koutalia vend son coton à un acheteur du Nord, c’est celui-ci qui fixe le prix du coton.
32Sans même tenir compte des spéculateurs du Nord, à ce jeu, le Sud part perdant.
33Une autre menace est la détérioration des termes de l’échange. Le Sud continue à payer plus cher les produits manufacturés du Nord, malgré les règles de l’OMC qui, théoriquement, devraient instaurer des relations commerciales équitables entre tous les acteurs du marché. Les difficultés rencontrées dans les négociations en cours sur le NAMA (Non Agricultural Market Access) démontrent l’injustice perpétrée par le Nord dans les échanges commerciaux.
34Face à la détérioration des termes de l’échange, le paysan du Sud peut-il s’équiper en matériels et intrants agricoles ? Avec les conditions actuelles du marché, il ne le pourra jamais.
35À titre d’exemples, voilà ce que Youssouf Gaye Kébé, nous dit à propos de la détérioration des termes de l’échange « pendant la décennie 1967-1977, les prix des équipements agricoles ont connu un accroissement annuel moyen de 30,96 % alors que les produits agricoles pour la même période ont évolué de 0,2 % seulement. Voyons plus concrètement comment les termes de l’échange du producteur agricole se sont comportés durant la décennie. Cela peut être illustré à partir d’exemples précis, dans l’hypothèse où le paysan produit exclusivement l’une des spéculations sous indiquées pour acquérir les biens d’équipement dont il a besoin » (Kébé, 1988, p. 58).
No | Termes de l’échange | Détérioration de 1967 à 1977 |
01 | Mil-sorgho/charrue | 41,2 % |
02 | Paddy/charrue | 43,8 % |
03 | Coton/charrue | 54,3 % |
04 | Arachides/charrue | 60,0 % |
05 | Mil-sorgho/multiculteur | 56,9 % |
06 | Paddy/multiculteur | 58,9 % |
07 | Coton/multiculteur | 66,5 % |
08 | Arachides/multiculteur | 70,7 % |
09 | Mil-sorgho/semoir | 42,4 % |
10 | Paddy/semoir | 45 % |
11 | Coton/semoir | 55,2 % |
12 | Arachides/semoir | 60,8 % |
13 | Mil-sorgho/charrette | 30,1 % |
14 | Paddy/charrette | 33,2 % |
15 | Coton/charrette | 45,6 % |
16 | Arachides/charrette | 52,4 % |
36Il est moins question d’établir une égalité quelconque entre producteurs de produits manufacturés du Nord et producteurs de produits agricoles du Sud, que d’instaurer une certaine équité en payant aux producteurs du Sud, le juste prix de leurs produits. Déjà des organisations de la société civile, au Nord comme au Sud, s’y emploient. Nous saluons leurs initiatives et souhaitons que leur combat aboutisse !
Le coton et L’OMC
37Les règles de l’accord de l’OMC sur le commerce des produits agricoles préconisent entre autres la suppression de toutes formes de subventions sur les produits agricoles. La suppression des subventions agricoles a été imposée par les institutions de Brettons Wood aux pays en développement par le truchement des Politiques d’Ajustement Structurel. À la signature des accords de l’OMC à Marrakech, le 14 avril 1994, les pays sous ajustement structurel comme le Mali, avaient déjà souscrit à cet engagement.
38En examinant les conditions techniques (mécanisation et motorisation, contributions de la science, etc.) et l’environnement économique (crédits bancaires, assurances, etc.) de la production agricole, entre producteurs du Nord et du Sud, cela nous renvoie à David et Goliath. Au combat du pot de fer contre le pot de terre ! En effet, entre le paysan de Koutiala, dont le rêve le plus fou est de pouvoir louer les services d’un tracteur pour ses travaux de labour et qui met cinq, parfois dix ans à acquérir une charrette et le Gentleman Farmer du Sud des États-Unis, le combat est à tous les points de vue inégal. Si en plus de cela, le « Farmer » doit disposer de subventions payées avec l’argent du contribuable, l’on est en droit de se poser beaucoup de questions. Surtout si ces subventions sont le fait et sont soutenues par des tenants du dogme néo-libéral !
39En effet, les néo-libéraux réclament et veulent imposer au monde entier un commerce, sans aucune entrave, sans autre règle que le déterminisme du marché. Si cela est valable pour les autres, pourquoi ne le serait-il pas pour eux-mêmes ? Il est vrai qu’il est plus facile d’en imposer au Gouvernement du Mali que de s’en prendre à l’Empire étasunien ! C’est pourquoi nous sommes de ceux qui pensent que les relations internationales ne sauraient être basées sur la loi de la jungle et le règne de l’arbitraire où la raison du plus fort est la règle d’or.
40Il est à se demander quel monde voulons-nous construire, un monde à deux vitesses ? Au nom de quels principes et de quelles valeurs ? Certainement pas un monde de justice avec le double standard qui consiste à protéger Dupont et à dépouiller et écraser Kalifa. Si le Farmer de Floride a besoin de subventions, en plus, de tous les moyens dont il dispose pour faire du coton, que dire du paysan de Koutalia avec sa houe et qui rêve d’une charrette ? À la récolte, lorsque notre cotonculteur de Koutalia aura fini de régler ses crédits d’intrants, il lui reste à peine de quoi faire face aux dépenses courantes de sa famille. Sans l’aide du cousin de Sikasso, ses enfants n’iront pas à l’école. Et si par malheur, un membre de sa famille arrivait à tomber malade, il lui faut faire appel à son frère parti à l’aventure, et cela à quel prix et au bout de quelles souffrances (en Côte d’Ivoire ou au Gabon ou en France ou encore aux États-Unis) pour faire face aux ordonnances. C’est dire que le malade a tout le temps de rendre l’âme. Car le paysan malien, contrairement à son homologue de France ou d’ailleurs, ne bénéficie d’aucune protection sociale : pas d’assurance-maladie et encore moins de retraite ! En cas d’accident du travail, si la solidarité familiale ne joue pas, personne d’autre et surtout pas l’État (dont c’est le cadet des soucis) ne lève le petit doigt.
41La question des subventions agricoles des pays du Nord dépasse de loin la seule question du coton et déborde du cadre commercial pour être au centre du développement rural dans les pays du Sud. La question qu’on est en droit de se poser aujourd’hui est que les pays du Sahel ont-ils fait le bon choix en choisissant de faire de l’agriculture, la locomotive de leur développement économique et social ?
42Face à un milieu naturel peu coopératif (sols tropicaux fragiles), aux aléas climatiques (pluviométrie faible et irrégulière), aux calamités naturelles (criquets), à la faiblesse des moyens techniques et aux distorsions du commerce international, le chemin qui conduit à l’autosuffisance alimentaire et aux recettes d’exportation en un mot au Développement, est un chemin étroit ! D’autant plus que les progrès de la médecine ont dopé une démographie qui « galope ».
43Cependant, la générosité et la solidarité des femmes et des hommes de bonne volonté permettent d’espérer, sinon sur un avenir radieux du moins sur des lendemains meilleurs. Le chemin est certes long et parsemé d’embûches mais il faut se battre ! Et Cancún 2003 a constitué un jalon important dans la bonne direction.
Les institutions de Brettons Wood contre le coton africain
44La menace que constitue l’OMC est venue s’ajouter à une autre non moins importante, celle des Institutions Financières Internationales (Banque Mondiale et Fonds Monétaire International). Elle se traduit par un interventionnisme musclé et confus, frisant le chantage. Dans un contexte de manque permanent de ressources financières et de convoitises des ressources naturelles des pays du Sud, les Institutions de Brettons Wood se sont glissées de façon insidieuse dans la gestion desdits pays, pour ensuite les subjuguer et les dominer.
45Dans le cas du Mali, les premières interventions de ces institutions datent de 1963. Les pouvoirs publics maliens leur ont fait appel de bonne foi et en toute confiance. Et elles ont su se montrer discrètes. Mais depuis 1982, date des premiers Programmes d’Ajustement Structurel, le ton et le discours ont changé. Tout se passe comme si le Mali était cogéré par les autorités légales et légitimes du pays et les institutions financières internationales, qui n’ont reçu aucun mandat du peuple malien pour ce faire ! Le drame dans cette cogestion réside dans la volonté affirmée desdites institutions de ne se reconnaître aucune responsabilité d’aucune sorte.
46Ainsi dans le cas du coton, la restructuration de la CMDT et de la filière cotonnière a été conjointement effectuée par le Gouvernement du Mali, la Banque mondiale et le FMI, à travers le PASA (Programme d’Ajustement Structurel du Secteur Agricole) : exécutée, certes, par le Gouvernement du Mali, mais suivie, pas à pas, par des missions de la Banque et du FMI et les représentants résidents ! À la fin du PASA, aucun bilan public, aucun constat public. Mais surtout aucun débat. Ce sont les Cadres des deux institutions qui ont fait savoir au Gouvernement du Mali que leurs institutions n’étaient pas satisfaites des résultats obtenus ! À quels niveaux se situent les responsabilités de l’échec ? Et pourtant les fonds d’ajustement octroyés au Mali ne sont remboursés que par les contribuables maliens !
47Aujourd’hui, Banque mondiale et FMI exigent la privatisation pure et simple de la CMDT alors que Gouvernement du Mali et producteurs de coton pensent qu’une amélioration de la gestion de la CMDT ferait leur affaire. Il n’en est pas question. Ce sera la privation ou rien. Et la Banque avait fixé un délai, avant fin 2004, mais il fut reporté en 2008 sur la demande du Gouvernement malien.
48Et pourtant Banque mondiale et FMI savent qu’aucun privé malien n’a la surface financière suffisante pour reprendre la CMDT ! Va pour un repreneur étranger ! Au terme d’une braderie de plus, une entreprise étrangère viendra s’accaparer de ce qui fut jadis le géant de l’économie malienne, mais surtout disposera de milliers d’hectares, en toute propriété. Le tout pour des clous. Quel sera le sort des 2,8 millions de personnes dont la vie dépend du coton ? Cela relève de la responsabilité de l’État malien qui est un État souverain. Un État souverain qui obéit aux injonctions d’un obscur agent d’une institution, fût-elle Banque mondiale ou FMI, est-il encore souverain ?
49S’agissant de la question des subventions aux producteurs de coton des États-Unis, Banque mondiale et FMI sont sourds, muets et aveugles. Avec un cynisme obscène, certains iront jusqu’à dire qu’il appartient au Gouvernement du Mali de faire comme celui des États-Unis ! Ce qui établirait l’équilibre entre farmers américains et paysans maliens. Une telle sécheresse de cœur donne envie de ne croire en rien.
50Car, c’est au regard de la reconstruction de l’Europe d’après guerre que les Maliens ont fait appel à la BIRD pour se tirer d’affaire. Mais nous nous rendons compte aujourd’hui que lorsque nous parlons de développement, les institutions de Brettons Wood parlent de remboursement de la dette. La menace la plus immédiate qui nous vient du Nord est cette nouvelle forme de colonisation, sans nom et sans visage et où les proconsuls sont assurés de l’irresponsabilité et de l’impunité ! Si le Sénat, à Rome, limitait les pouvoirs de César, dans les provinces, le pouvoir des proconsuls ne connaissait aucune borne. Faut-il être endetté et ne plus être fier ? Faut-il être endetté pour ne plus aspirer à la vie ?
Le coton africain après Cancún
51Après l’échec de la Conférence Ministérielle de Cancún en septembre 2003, les Pays du Nord, avec à leur tête les USA, ont entrepris une offensive contre le coton africain.
52Pour passer sous silence la violation des règles de l’OMC, en accordant des subventions à leurs producteurs, les pays du Nord, ont trouvé un bouc émissaire aux difficultés rencontrées par le coton africain : la faiblesse de sa productivité. Au cours d’une série de rencontres, le Département de l’Agriculture Américain en concertation avec l’Union Européenne, a fait admettre aux Ministres chargés de l’Agriculture des pays de l’Initiative Coton, que les difficultés rencontrées dans la commercialisation du coton sont surtout dues à la faiblesse de sa productivité en Afrique, qu’avec l’augmentation de la productivité toutes les difficultés du coton africain seront résolues. Pour se faire, la solution réside dans l’introduction du coton BT. Avec le coton BT, les pays producteurs occuperont la place qui leur revient sur le marché mondial. Sous le diktat des Institutions Financières Internationales, et avec la complicité de leurs chercheurs, les gouvernements des pays producteurs de coton ont donné leur accord pour l’introduction du coton BT dans l’espace CEDEAO. Cela, malgré les appréhensions et observations formulées par la Société Civile par rapport aux conséquences éventuelles de cette nouvelle semence, sur la production cotonnière, l’environnement et la santé des populations.
53À l’approche de la 6e Conférence Ministérielle de Hong-Kong, prévu en décembre 2005, aucune résolution n’a été prise par l’OMC pour réparer les dégâts causés par les subventions des pays du Nord à leurs producteurs de coton, aux économies des pays producteurs de coton en général et particulièrement de ceux de l’Initiative Coton et aucune mesure n’a été arrêtée contre l’accord des subventions.
Quelques pistes de réflexion pour sortir de l’impasse
54Pour faire de la lutte contre la pauvreté une réalité, les pays du Nord se doivent de respecter les règles du commerce international, fixés par eux-mêmes. Pour se faire, l’arrêt immédiat des subventions quelle que soit leur catégorie doit être imposé par l’OMC. Parallèlement, les dégâts causés aux économies et aux producteurs de coton des pays de l’Initiative Coton doivent être réparés ;
55Il est impensable d’envisager un retrait des cotonculteurs de la spéculation, mais il faut nécessairement promouvoir la transformation artisanale du coton, en vue d’absorber une quantité importante de la production, et de procurer à ce produit une valeur ajoutée ;
56Il faut envisager dans un proche avenir, une gestion concertée de l’offre au niveau mondial, afin que le coton puisse jouer le rôle qui lui revient dans le développement des pays de l’Initiative Coton ;
57Il faut former les paysans en vue d’une diversification de leur production, capable de leur assurer une souveraineté alimentaire et un revenu monétaire conséquent ;
58Il faut permettre aux pays africains de faire des investissements dans les infrastructures, en vue d’attirer les capitaux étrangers et envisager la transformation locale ou sous régionale du coton.
59Étant donné l’extraordinaire biodiversité des écosystèmes de l’Afrique, l’introduction du coton BT est-elle indispensable ? Une telle entreprise ne risque-t-elle pas de compromettre le développement durable de ces zones.
Conclusion
60Aujourd’hui, le spectre d’un conflit armé mondial semble appartenir à un douloureux et lointain passé. Le prodigieux essor des sciences, des techniques et de la technologie a fait de notre planète « un village global ». Le citoyen du XXIe siècle jouit d’un confort de vie jamais égalé auparavant et la terre regorge de richesses. Toutes choses qui devraient assurer un bienêtre physique et moral à tous les habitants du « village ». Ce qui est loin d’être le cas. Face aux nantis du Nord de la planète, des dizaines, voire des centaines de millions d’êtres humains semblent laissés pour compte. Ne disposant pas d’eau potable, ils n’ont pas accès aux soins de santé primaires, ni à l’éducation. Parfois exposés à des conflits armés aussi absurdes que cruels, leur horizon se rétrécit de jour en jour. Ils sont la proie de toutes les maladies et de toutes les tares sociales. Leur lot quotidien : la souffrance et la mort. Sans descendre aussi bas, des hommes et des femmes du Nord sont aussi touchés par la pauvreté. C’est dire combien les richesses du globe sont inégalement réparties, s’agit-il d’une fatalité ? Il semble que non. Car une telle situation résulte des choix de certains hommes et de modèles de développement qui conduisent à des gaspillages inadmissibles, à un tarissement rapide des ressources communes et à une destruction programmée de la terre elle-même. La « liberté sans entraves » des chantres du néo-libéralisme dépèce le plus pauvre au profit du plus riche, faisant de l’homme un loup pour son frère. Or, comme l’a si bien dit le Mahatma, « tous les hommes sont frères » !
61C’est pourquoi, il n’est plus admissible de regarder et de laisser faire. Il importe que les éléments les plus lucides de notre temps, se réveillent et accomplissent leurs devoirs de génération. Comme d’autres l’ont fait avant eux. Pour remettre l’économie au service de l’homme, pour le bien-être de chacun et de tous. Et nous ne serons jamais trop nombreux pour sauver notre bien commun : la terre. Unis et solidaires, cela devient possible : un autre monde que celui qui nous est servi actuellement par les tenants du néo-libéralisme, un monde de fraternité, d’amour, de justice et d’espérance.
Bibliographie
Bibliographie
Kébé Y. G. (1988), « L’agriculture malienne, le paysan, sa terre et l’État », in Mali, le paysan et l’État, Paris, L’Harmattan.
Auteur
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Le développement solidaire des territoires
Expériences en Pays de la Loire
Emmanuel Bioteau et Karine Féniès-Dupont (dir.)
2015
Aide à domicile et services à la personne
Les associations dans la tourmente
Francesca Petrella (dir.)
2012
L'économie sociale entre informel et formel
Paradoxes et innovations
Annie Dussuet et Jean-Marc Lauzanas (dir.)
2007
L'économie sociale et solidaire
Nouvelles pratiques et dynamiques territoriales
Erika Flahault, Henri Noguès et Nathalie Shieb-Bienfait (dir.)
2011
L'entreprise en restructuration
Dynamiques institutionnelles et mobilisations collectives
Claude Didry et Annette Jobert (dir.)
2010
Épargnants solidaires
Une analyse économique de la finance solidaire en France et en Europe
Pascal Glémain
2008
Institutions et développement
La fabrique institutionnelle et politique des trajectoires de développement
Éric Mulot, Elsa Lafaye de Micheaux et Pepita Ould-Ahmed (dir.)
2007