Démocratie et développement en Amérique Latine
p. 211-220
Texte intégral
1On a soutenu au cours des dernières années que l’Amérique Latine était en train de vivre un processus de consolidation démocratique. En effet, les dirigeants sont élus au suffrage universel. Cela s’observe au Mexique ainsi qu’au Centre Amérique et dans tous les pays d’Amérique du Sud. Mais les partis au pouvoir ont des positions politiques diverses. Il faut aussi souligner que des partis et des coalitions politiques se réclamant de gauche et de tendance progressiste ont même pu remporter récemment plusieurs élections. Un autre fait encore plus étonnant que le triomphe des partis de gauche mérite d’être mentionné : il s’agit de la défaite dans plusieurs de ces pays des anciens partis traditionnels. Tout ceci a lieu après plusieurs décennies de piètre performance économique.
2L’Amérique latine a une croissance faible et perd de son poids dans l’ensemble de l’économie mondiale ; il y a cependant une transformation significative de l’économie de la région. L’inégalité sociale s’aggrave, la pauvreté et la pauvreté extrême ne reculent pas, la marginalisation liée au sous-emploi, à l’emploi informel et précaire est en augmentation. Dans les réunions internationales et dans divers rapports – Assemblée conjointe BM-FMI, Informe PNUD ou XV Sommet Latino-américain – on relève le mécontentement de la population dans les pays de la région. On souligne au sein des populations, un désenchantement croissant et qui se généralise, vis-àvis de la démocratie. En dépit de cela, un groupe bien fourni d’organisations de chefs d’entreprises, d’institutions financières internationales multilatérales, de porte-paroles et de représentants des cercles financiers de Wall Street et d’autres marchés financiers, voire même certains partis politiques qui se croient de gauche ou progressistes, sont partisans de et réclament la continuité dans la stratégie et la politique économique, dans le processus de réformes et dans la conduite générale de l’économie.
3On veut continuer d’appliquer le Consensus de Washington, fondé sur des théories économiques qui misent sur l’efficacité des économies à partir d’un absolu qui est le fonctionnement du marché. Les agents économiques – affirme-t-on – prennent leurs décisions et c’est à partir de leurs interactions que se produit l’allocation efficace et appropriée des ressources et des moyens. La tâche des gouvernements se limite donc à laisser place à ce processus.
4Les problèmes économiques du passé, les crises du début des années quatre-vingt, les crises du taux de change, les crises monétaires et bancaires qui se sont succédées au cours des années suivantes et la chute du produit et des revenus constatée en quelques années – toujours selon cette conception – sont le résultat d’un excès d’intervention étatique, des dépenses publiques excédant les recettes, de politiques de crédit interne trop flexibles, des limites imposées à la libre circulation des capitaux ; tout cela a été très difficile à éliminer.
5C’est dans ce contexte qu’il est nécessaire de débattre des idées concernant le développement et de la relation fondamentale qui lie développement et démocratie. Dans le texte on fait valoir que le développement n’est pas le résultat de l’action des marchés. L’expérience historique est claire : ce cas ne s’est jamais présenté. Mais il faut aussi dire que le capitalisme est par essence instable et abandonner tout à l’action de l’accumulation c’est permettre que prospère l’inégalité sociale et dans d’une certaine mesure c’est aussi limiter les capacités de croissance économique.
6Reconnaître uniquement les droits liés à l’accumulation de capital, en particulier aux acteurs sociaux qui représentent le capital financier, c’est méconnaître et voire même nier les droits de nombreux autres acteurs sociaux. Il devient impossible de soutenir cette position dans un grand nombre de pays et plus généralement dans un monde où on revendique la démocratie sans limites. Nous sommes tous des citoyens dotés de droits politiques, sociaux et économiques consacrés par l’organisation sociale, par des institutions créées en vue de les défendre. Dans les pays d’Amérique latine et des Caraïbes reconnaître les droits politiques, sociaux et économiques d’un vaste ensemble de divers groupes d’acteurs sociaux implique de s’atteler à la tâche du développement ; on ne peut s’arrêter à la reconnaissance de ces droits parce que cela signifierait que l’on a établi la démocratie. Nous reviendrons sur ces sujets plus avant dans ce texte.
Concentration de la richesse et augmentation de l’hétérogénéité sociale
7Après plus de deux décennies d’application des politiques d’ajustement, l’Amérique latine est une région dans laquelle le sous-développement a avancé. Dans des rapports du PNUD, de la CNUCED, de la CEPAL, de la Banque Mondiale et d’autres organismes internationaux multilatéraux, on insiste sur l’inégalité profonde qui existe dans la zone. C’est la région la plus inégale de la planète, dans laquelle ne diminuent ni la pauvreté ni la pauvreté extrême, et où seulement quelques segments des économies sont articulés positivement avec l’économie internationale.
8Les politiques libérales, prônant la déréglementation et les privatisations mises en œuvre au cours des 15 ou 20 dernières années ont permis une augmentation des placements financiers, la multiplication des intermédiaires financiers ainsi qu’une augmentation des investissements étrangers directs et des échanges de marchandises et de services. Ces politiques ont joué un rôle institutionnel fondateur en ce qui concerne la mondialisation du capital, tout en promouvant un régime d’accumulation dont les bénéfices sont dominés par la finance.
9Pour les multinationales, les placements et les opérations d’arbitrage sont des facteurs essentiels de calcul de la rentabilité. Il en va de même de la rentabilité fondée sur la dette et sur la prolifération des actifs financiers qui soutiennent d’autres actifs financiers. Il s’agit d’un processus qui engendre des conditions de croissance valables pour un très petit nombre de pays, avec des bénéfices dont ne jouit qu’un petit groupe d’entreprises transnationales (ETN) et d’investisseurs institutionnels (Chesnais, 2001 : 22).
10De grandes entreprises originaires d’un petit nombre de pays obtiennent leurs bénéfices d’investissements financiers, achats et ventes d’actifs, extraction d’excédents, voire même de droits de propriété sur le patrimoine et les actifs d’autres régions et pays. Le processus de la dette extérieure des pays en développement participe notablement de cette modalité de constitution des bénéfices. Les différentes crises monétaires, bancaires et de devises qui se sont multipliées au cours des 20 dernières années constituent une composante structurelle de ce régime d’accumulation. La croissance du PIB en Amérique latine a été particulièrement faible.
11En Argentine, dans la période de 1980 à 2002, la croissance moyenne s’est faite au taux de 0,6 %. Ce n’est qu’à partir de 2003, quand on a pris des mesures pour promouvoir la croissance à partir du marché interne et avec un décrochement relatif vis-à-vis des marchés financiers internationaux, que la dynamique de la production a évolué positivement. Entre 2002 et 2004 le PIB croît à un taux réel de 8 %.
12Au Brésil la croissance moyenne durant les années 1980 à 2004 est de 2 % ; tandis qu’au Mexique de 1981 à 2004 elle est 2,2 %, chiffres proches du rythme d’augmentation de la population. Le PIB par habitant dans ces trois économies n’enregistre pratiquement pas d’accroissement ou diminue. Mesuré dans des termes de la monnaie nationale respective, le PIB par habitant en Argentine diminue de 0,16 % durant les années qui vont de 1980 à 2004. Le taux de croissance pour les mêmes années dans le cas du Brésil est de 0,4 % et pour le Mexique de 1981 à 2004 la croissance moyenne annuelle est de 0,4 %.
13L’exclusion sociale s’aggrave, on assiste à une fragmentation et à la désarticulation des régions au sein desquelles les écarts sont marqués entre grands et petits pays. On assiste à l’effritement de la cohésion sociale, certains groupes sociaux et petites régions parvenant à s’associer au processus d’articulation avec l’étranger. L’hétérogénéité sociale s’aggrave avec le maintien d’activités économiques reposant sur des techniques élémentaires et l’apparition de nouvelles formes productives de très bas niveau technologique. L’incapacité à créer des emplois formels devient une réalité courante en Amérique latine.
14Le sous-emploi structurel se développe ainsi que de multiples formes de petits boulots créés par les travailleurs eux-mêmes. Au Brésil, jusqu’aux débuts de la décennie en cours, les données statistiques révèlent la permanence du chômage et l’incapacité d’absorber le sous-emploi structurel et ce en dépit de la croissance économique (Burgueño et Rodríguez, 2002). Au Mexique on observe une structure de répartition qui emmène une part la population économiquement active du secteur formel vers le secteur informel.
15Depuis les années quatre-vingt, on assiste, en dépit de la croissance économique, à une diminution des capacités en matière de création d’emplois formels (Vidal, 2004). En Argentine, le bilan des gouvernements Menen et De la Rúa est marqué par un taux de chômage supérieur à 20 %. Ces faits témoignent du maintien de l’hétérogénéité sociale entraînant à son tour l’aggravation de la fragmentation et de la désarticulation des sociétés latino-américaines.
16La progression du travail au noir ne saurait nous surprendre dès lors qu’on constate l’absence de mesures visant à soutenir les PME ou d’initiatives systématiques visant à consolider les marchés intérieurs.
17Aussi bien au Mexique qu’au Brésil, la croissance économique au cours des années récentes s’accompagne d’une augmentation du nombre de personnes travaillant dans le secteur informel dans des conditions de faible ou très faible productivité. Ce processus productif n’exigeant qu’un niveau de qualification minime, la capacité des travailleurs diminue également en raison du fait même qu’ils exercent ce type de métiers. Ils ne représentent pas une force positive pour le renforcement de ces consommations qui permettent la reproduction des capacités de production et qui est l’une des conditions importantes de l’élargissement des marchés intérieurs et de la création de conditions favorables au développement.
18Avec les progrès de l’accumulation du capital, l’hétérogénéité sociale se maintient et les processus de concentration économique se font plus vigoureux. Il y a une tendance à exclure la majorité de la population des bénéfices de l’accumulation et du progrès technique (Furtado, 1974).
19La technologie n’étant pas diffusée dans l’ensemble du tissu social, on ne constate aucune augmentation notable des niveaux de productivité des économies. Finalement, concentration des revenus et maintien de l’hétérogénéité sociale constituent des données indiquant une tendance à l’enlisement économique (Cronemberger Mendes et Teixeira, 2004 : 11).
20Dans le processus de concentration économique, on remarquera le rôle joué par un petit groupe d’Entreprises « TransNationales » (ETN) basées dans quelques pays développés, en particulier aux États-Unis. L’histoire du capitalisme nous a pourtant enseigné que la conduite des processus économiques et sociaux en fonction des intérêts d’un minuscule groupe d’entrepreneurs et de financiers n’était pas sans conséquences.
21Plusieurs rapports de la CNUCED affirment que la concentration assise sur les fusions et les acquisitions s’aggrave et que le poids des ETN dans le commerce mondial est en constante augmentation, ces entreprises étant le moteur des activités de R & D au niveau mondial (CNUCED, 2000, 2002 et 2005). L’expansion des marchés internationaux du crédit et la dynamique qui prévaut au sein des centres boursiers sont clairement liées à cette concentration. Plusieurs des agents financiers les plus actifs, avec des placements sur différents marchés de la planète, participent à ce processus. Il existe un groupe de ETN ayant pénétré les marchés latino-américains à la poursuite de forts rendements mais n’ayant pas nécessairement effectué d’investissements importants. La plupart des exportateurs ne sont pas nécessairement en rapport avec les producteurs locaux. D’autres sociétés cherchent à s’approprier le marché représenté par un petit groupe de consommateurs concentrant en ses mains une importante fraction des revenus. Les multinationales les plus actives dans ce processus sont basées aux États-Unis et en Europe de l’Ouest (plus particulièrement dans l’Union européenne).
22Le poids croissant de ces multinationales en Amérique latine aggrave le problème de la fragmentation des modèles de consommation qui caractérise les sociétés de la région. On assiste à un écart croissant entre les niveaux de vie d’une petite minorité et celui de la majorité. Le modèle de consommation constitue un autre obstacle pour parvenir au développement et se trouve renforcé par cette distribution outrageusement concentrée des revenus.
23Dans les conditions actuelles, le fait de laisser progresser les tendances à l’accumulation telles qu’elles se présentent ne peut que déboucher sur une hétérogénéité sociale encore plus marquée. L’organisation de la société, la création d’institutions favorisant l’accès général aux biens culturels ainsi que la mise en place de politiques favorables à la consommation productive des hommes et des femmes sont des mesures nécessaires pour que l’accumulation dans le secteur du capital soit à nouveau compatible avec l’accumulation dans le secteur des biens de consommation ; ces mesures permettraient également de rétablir un climat adéquat pour que les entreprises fonctionnent sur la base de leurs bénéfices futurs et non à partir de rentes financières. Mieux encore, l’innovation comprend une dimension technique, mais aussi une dimension esthétique. Ces deux aspects progressent chacun suivant son propre rythme, mais ils se rejoignent au niveau économique. Furtado ajoute : « les valeurs esthétiques, allant de pair avec les valeurs éthiques, traduisent le génie humain sous sa forme la plus noble et exigent une protection que seules des politiques publiques intégrées à un projet de développement social sont en mesure d’assurer. Sans cette vision d’ensemble, la dimension technique s’impose d’elle-même et entraîne un processus de déstructuration culturelle » (Furtado, 2000 : 9).
24Si l’objectif de nos sociétés est de parvenir à un fort taux de croissance économique durable, fondé sur la résorption du chômage et la déconcentration des revenus, il nous faut comprendre que la dynamique de l’économie ne doit pas s’établir sur la base des intérêts des grands financiers. S’il est indispensable de démanteler les processus du régime d’accumulation sous domination de la finance et de remettre en question la prédominance des déterminants financiers du profit, il nous faut aussi « … reconnaître que l’orientation des investissements ne saurait être subordonnée à la rationalité des entreprises transnationales. Nous devons partir du concept de rentabilité sociale pour que puisent être prises en compte les valeurs fondamentales dans lesquelles s’incarnent les intérêts de la collectivité dans son ensemble » (Furtado, 2000 : 9-10).
Le développement, condition nécessaire à l’avènement de la démocratie
25À Athènes, berceau de la démocratie, la cohorte des électeurs comprenait seulement une minorité de citoyens lorsque les décisions gouvernementales se discutaient et s’arrêtaient sur la place publique. Or il se trouve que d’Athènes à aujourd’hui le monde des gouvernés n’est plus le même, il a changé. Depuis la Grèce antique et jusqu’à nos jours, le monde des gouvernés a subi bien des changements : il inclut les non-propriétaires, les dépossédés, ceux qui n’ont d’autre bien que leurs bras et les petits paysans. Aussi bien au sein de l’Union européenne qu’en Amérique latine, les personnes ne sont pas exclues au motif de leur sexe, de leur condition ou de leurs idées. Les seuls à ne pas jouir momentanément de tous leurs droits sont les mineurs qui finiront par rejoindre le monde de ceux qui exercent le pouvoir. Tous les citoyens vont devenir des électeurs.
26À la différence des Grecs de l’antiquité dans les démocraties représentatives – consolidées au cours du XXe siècle – les citoyens délèguent le pouvoir de décision à certains élus. C’est pour cette raison que le pouvoir doit exister en public. Le citoyen doit savoir ou disposer tout au moins de moyens de savoir (Bobbio, 2003 : 424). Les décisions du pouvoir public ne sauraient être prises en privé, le citoyen ayant le droit de connaître les motifs, les arguments et les contenus de telle ou telle décision. Aucune exception à cette règle ne saurait être défendue.
27La démocratie est définie aujourd’hui de façon précise et dans un sens universel comme « le pouvoir en public » (Bobbio, 2003 : 418). Les tâches des gouvernants sont connues et les gouvernés ont le pouvoir de les évaluer et de vérifier que leurs intérêts ont été défendus et dans quelle mesure ils l’ont été. Bobbio affirme : « j’utilise cette expression synthétique pour décrire tous les mécanismes institutionnels qui obligent les gouvernants à prendre leurs décisions en pleine lumière et aux gouvernés de voir où et comment ces décisions sont prises » (Bobbio, 2003 : 418).
28À partir de cette définition, l’histoire de la démocratie est dans un certain sens celle des gouvernés. Bobbio nous rappelle que « lorsque seuls les propriétaires avaient le droit de vote, il était naturel qu’ils exigeassent du pouvoir l’exercice d’une seule fonction fondamentale, à savoir la protection de la propriété privée. C’est de là qu’est née la doctrine de l’État réduit… ou encore, comme on l’appelle aujourd’hui, l’État minimum et la configuration de l’État comme une association de propriétaires vouée à défendre le droit naturel suprême qui pour Locke était justement le Droit à la Propriété » (Bobbio, 1986 : 27).
29Toutefois, depuis bien longtemps, le monde des gouvernés s’est élargi pour accueillir ceux « du bas », les travailleurs. Ces acteurs sociaux exigent que leurs intérêts soient pris en compte par le pouvoir « … la protection contre le chômage, et progressivement, la sécurité sociale contre les maladies, la vieillesse, les congés de maternité, l’accès au logement bon marché, etc. C’est ainsi que s’est constitué l’État Providence, l’État social, qui joue un rôle dans le contenu économique de la démocratie. L’établissement et le maintien de l’État providence a été et reste, que ça plaise ou non, la réponse à une revendication provenant du bas, à une attente, au plein sens du terme, démocratique » (Bobbio, 1986 : 28). Le pouvoir en public doit tenir compte de ces attentes par ailleurs pleinement légitimes. Le droit à la propriété privée est un aspect des choses tout comme le sont les contenus de l’État social. Le fonctionnement de l’économie doit être lié à ces deux aspects.
30Les intérêts et les attentes de ceux du bas sont des éléments constitutifs des rapports économiques. Ils participent de la reproduction des capacités de production des travailleurs. Ils varient selon les époques, font partie des demandes et en tant que tels, ils sont une donnée révélatrice du niveau d’une économique et de son rythme de croissance. C’est de ce point de vue qu’on peut dire qu’une société capable de garantir la reproduction des conditions de production de ses habitants est une société développée et démocratique.
31Par développement, nous comprendrons « le passage d’une structure de productivité per capita relativement fragile à une productivité per capita relativement plus élevée » (De Bernis, 1996 : 93). Une économie fonctionnant à partir de cette structure de productivité per capita relativement élevée entraîne un ensemble de conditions et de besoins sociaux qui sont le produit du niveau moyen de la technique l’ayant rendue possible. Ainsi donc, il existe des besoins sociaux résultant directement de la structure de productivité per capita en place qui n’auront jamais un caractère statique.
32Une économie qui fonctionne par la reproduction et l’augmentation du travail au noir et favorise par là même des mouvements d’émigration à grande échelle et réduit les éléments matériels du bien-être social à leur plus simple expression est une économie qui favorise le maintien et l’aggravation de l’hétérogénéité sociale. Mais c’est aussi une économie qui ne tient pas compte, au niveau du pouvoir, des intérêts et des droits d’un vaste groupe d’acteurs sociaux. Il s’agit là d’une économie et d’une société qui restent à l’écart non seulement du développement mais aussi du pouvoir exercé en public.
33On invoque des raisons techniques, on introduit les notions d’homo oeconomicus, d’efficacité des marchés et d’application rationnelle des biens rares à partir des décisions informées prises par chacun des individus agissant y compris en qualité de consommateurs. Toutefois, le capitalisme n’est pas en soi capable d’exploiter pleinement et de façon automatique les capacités de production. La prédominance absolue des tendances de l’accumulation entraîne la concentration et la centralisation du capital et des revenus et favorise l’accroissement des inégalités sociales. Elle crée aussi du sous-développement. Le recours aux prétextes de la rationalité économique ne saurait être reconnu comme un argument valable. À travers cette rationalité, c’est la raison d’État qu’on exerce, cette raison qui exclut les intérêts de différents secteurs et qui implique un exercice du pouvoir non-public. Ainsi, la démocratie inclut l’économie comprise comme l’espace au sein duquel les acteurs sociaux créent et produisent les moyens matériels de leur existence, ce qui en aucune manière ne saurait être réduit à la simple question économique.
34Les besoins sociaux doivent être satisfaits car ils permettent la reproduction des capacités de production des hommes et des femmes. La prise en compte de leurs intérêts dans les décisions du pouvoir implique la prise en compte desdits besoins sociaux. En Amérique latine, ces besoins comprennent la transformation des conditions de production et des conditions de vie des producteurs ruraux, l’intégration de ceux qui travaillent au noir dans des formes de production dotées des progrès techniques, la généralisation de l’éducation au-delà de l’école primaire, la protection de la santé et la diffusion, au sein de toutes les activités productives, des progrès techniques. C’est à partir de cette conception que l’on peut marier démocratie et développement.
35Alimentation, amélioration des conditions de santé et d’éducation – les intérêts de ceux du bas, revendication démocratique au plein sens du terme – sont des biens de consommation du développement. « Un bien de consommation qui permet de produire dans une population un changement mental et social visant à établir des conditions de croissance cumulée et durable… permet ou est une étape transitoire permettant de passer d’une structure de productivité per capita relativement faible à une productivité relativement élevée… » (Correa & Vidal, 1998 : 96.) Selon les conditions de production en place, il s’agit de biens de consommation qui potentialisent la capacité productrice d’un pays. La satisfaction des revendications de ceux du bas est une donnée à prendre en compte tant au niveau de la création de développement que de l’exercice de la démocratie.
36À l’heure actuelle, l’Amérique latine n’en est plus à la prédominance de la doctrine de l’austérité et de l’ajustement. Le temps est à la croissance, en tenant compte de ses propres ressources et des besoins de l’ensemble de la population ; le temps est à la consolidation de la démocratie. Il en ressort donc que le maintien des éléments stratégiques du Consensus de Washington est incompatible avec l’exercice de la démocratie. Aussi les propositions des secteurs progressistes et de gauche en Amérique Latine doivent penser à la fois à consolider le procès démocratique et à établir une dynamique de développement. On ne peut en fait renforcer la démocratie en maintenant intact le système d’inégalités sociales, car le pouvoir ne peut parvenir à tenir compte des intérêts de ceux d’en bas, c’est-à-dire de la majorité de la population, s’il ne met pas en marche un certain développement.
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