L’affaire de Bretagne à travers le Journal du Trésor de Philippe VI
p. 261-269
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Index géographique : France
Texte intégral
« Johannes de Hospitali clericus balistariorum Regis, pro simili, Dominico de Palacio, Januensi, pro residio vadiorum suorum et balistariorum de sua comitiva deservitorum in guerra Britannie, in stabilita de Chasteuceaux, ab ultima Novembris CCCXLI usque ad ultimam Aprilis post, pro 16 l. 16 s. 8 d. t. monete debilissime tunc currentis, 67 s. 4 d. t. fortis valent 53 s. 10 d. ob. p. Et pro simili, eidem Dominico, deservitorum in guerra Regis, ab XI Februarii usque ad XI Aprilis CCCXLIII, ac pro vecturis, pro ducendis et reducendis armis eorum, pro 86 l. t. dicte debilissime monete, 17 l. 4 s. t. fortis valent 13 l. 15 s. 2 d. ob. p.1. »
1Les comptes, eux, ne fabulent pas ! Leur sécheresse en impose, garante d’une vérité sans fioritures : un ordonnateur et le bénéficiaire, leur fonction respective, la raison du versement exprimée avec un maximum de concision, le décaissé en livres tournois (quelquefois même en espèces réelles) puis traduit en livres parisis – par tradition, l’unité de référence du Trésor. C’est tout, et c’est énorme : ces données abruptes font la richesse des séries comptables, « les plus œcuméniques, celles qui peuvent servir de point commun au plus grand nombre de chercheurs, pour la fin du Moyen Âge du moins2 ». Une ressource documentaire universelle dont la Bretagne ne se trouve point dépourvue, tel travail magistral sur ses gens de finances en témoignerait assez… Si les hommes du Trésor du roi ne s’intéressent pas en temps normal à cette principauté, il leur arrive pourtant de devoir solder des dépenses réalisées là en certaines occasions : c’est précisément le cas sous le règne de Philippe VI de Valois en 1349-1350 – le seul registre à nous être parvenu presque complet sur trois termes – et pour quelques fragments antérieurs3.
La guerre de Bretagne
2Faisant suite à la capture de Charles de Blois sous les murs de La Roche-Derrien en juin 1347 et à la Peste noire, l’année 1349-1350 s’inscrit dans une longue phase d’assez faible intensité guerrière. En attendant une hypothétique reprise des opérations, les agents comptables s’emploient à liquider un reliquat de dettes anciennes, remontant parfois à l’année 1341 qui vit le Génois Dominique de Palacio et ses arbalétriers s’établir fin novembre, et pour cinq mois pleins, en Anjou, à Champtoceaux sur la Loire4, dans la suite du petit corps expéditionnaire confié à Jean de Normandie5 afin que l’héritier du trône fît appliquer sur le terrain l’arrêt de Conflans rendu le 7 septembre par le Parlement réuni à la Cour des pairs, déboutant Jean de Montfort de ses prétentions à hériter de son demi-frère le duc trépassé quatre mois plus tôt et formalisant le droit de Charles de Blois à succéder à Jean III, son oncle par alliance. La guerre a commencé précisément à Ancenis et à Champtoceaux, « un très fort chastiel seant hault sus une montagne par-dessus une rivière : si l’appelle on Chastouseal, et est li clés et li entrée de Bretagne », une place assiégée entre le 10 et le 26 octobre 13416. Si le comte de Montfort, pris au piège dans Nantes, se rend sous conditions au fils aîné du roi peu après la Toussaint – son comté de Montfort-l’Amaury, confisqué pour rébellion, est désormais administré par les hommes du roi7 –, le conflit breton ne s’arrête pas avec sa capture puis son transfert à Paris où auraient dû s’engager des négociations sur un juste désintéressement à son endroit. Espoir vite trompé, d’où la perpétuation de la guerre.
3La fin de 1342 enregistre l’exceptionnelle intervention de Philippe VI venu en personne contrer Édouard d’Angleterre : une campagne vite soldée au demeurant, et sans bataille, par la signature de la trêve de Malestroit le 19 janvier 1343. Outre la valeur d’un cheval crevé durant cet ost de Ploërmel – « in exercitu Ploermelli in Britannia » – remboursée le 17 janvier 1346 pour 25 l. de mauvaise monnaie à un archer monté originaire de la vicomté de Paris en application de la clause de « restor8 », ce sont trois chevaliers et les héritiers du comte d’Harcourt qui reçoivent encore leur dû en 1349-1350 pour avoir accompagné le roi six ans plus tôt. Le Trésor assume les « venues et retours » – « pro ejus aggressu et regressu » –, règle leur solde et celles de leur retenue (sénéchal d’Anjou et conseiller du roi, Robert Mulet commandait à quatre écuyers, Jean de Mailloc à deux seulement, Barthélemy de Mambaison est cité seul)9. Tous ces nobles combattants sont à cette date déjà des permanents de la guerre, familiers des campagnes de Flandre10 ou de Gascogne, facilement mobilisables pour une démonstration hivernale imposée par l’intempestive initiative de l’adversaire d’Angleterre débarqué fort tard cette saison (le 30 octobre 1342, à Brest), et Jean d’Harcourt a depuis trouvé la mort à Crécy. Naturellement, le roi « casse aux gages » ses troupes dès le 20 janvier, au lendemain de la signature de la trêve entre lui et Édouard III11.
4Passée cette bouffée de fièvre de l’hiver 1342-1343, et bien que Jean de Montfort soit décédé le 26 septembre 1345 après son échappée hors de Paris quelques semaines plus tôt, la guerre n’est pas close pour autant puisque le demi-frère de Jean III laisse deux héritiers, dont un fils également prénommé Jean, le futur Jean IV, tous deux entre-temps mis à l’abri outre-Manche. La monarchie aide en conséquence le duc Charles et son épouse Jeanne de Penthièvre, « dux et ducissa Britannie », qui empruntent à la reine 10 000 écus d’or en janvier 134512, et elle règle quelques dépenses, tels les gages de Jacques Germon, un écuyer du comté de Bourgogne, ayant servi « in guerra Britannie » avec neuf autres écuyers sous ses ordres du 8 août 1345 au 17 septembre suivant13.
5Le dernier effort français d’importance remonte à 1347 lorsque les adversaires de Montfort ont tenté de reprendre La Roche-Derrien, dans le diocèse de Tréguier, ce port de mer bien fortifié qui était pourtant tombé par inadvertance aux mains des Anglais. Un siège de grand style fut posé par le duc Charles, finalement surpris et capturé le 20 juin, le corps lardé de 17 blessures. La présence d’un important contingent de soldats royaux aux côtés des partisans de Blois se trouve confirmée par le fait que Amaury de Craon, « chevalier, capitaine pour notre seigneur le roi en Bretagne et lieutenant du duc de Normandie dans cette province » paraphe le 9 juillet 1347 une quittance pour 3 453 l. et 18 s. p. correspondant à ses gages, à ceux de trois autres chevaliers et de 40 hommes d’armes ayant servi dans son détachement « pro defensione dicte patrie » ; le 21 juillet, le même en délivre une autre de 2 016 l. p. pour la solde de 600 archers, puis une autre encore d’un montant de 4 000 l. p. le dimanche après l’Assomption de la Vierge pour ses gages propres, ceux de trois chevaliers bannerets, de 83 chevaliers bacheliers, de 354 écuyers et de 600 archers, un versement répété à l’identique le 31 septembre, puis réduit de plus de moitié, à 1 600 l. p., le 13 octobre 134714. Ainsi financée par le roi, une véritable armée, dépassant le millier d’hommes, était intervenue sur le terrain breton, sans que l’on puisse préciser mieux les étapes de son emploi.
6Depuis lors, le Trésor enregistre quelques avances de soldes15, le versement de 1 224 l. p. à Guillaume, dit Galois de La Heuse, chargé d’abord de mener huit chevaliers et 52 écuyers en Bretagne le 17 février 1350, puis, en substitution (ce chevalier étant mentionné le mois suivant comme capitaine de l’armée de mer16), 2 240 l. p. en écus d’or à Robert d’Odeneham et de Rochefort le 5 avril 1350 pour les distribuer aux gens d’armes ordonnés par le roi d’aller en Bretagne17. Toutefois, ces mises demeurent modestes et cette retenue s’explique puisque la responsabilité de Philippe n’est pas tant d’alimenter la guerre nobiliaire au sein de la province que d’assurer la sécurité du royaume menacé sur plusieurs fronts à la fois18 !
Étouper la frontière du royaume
7Si en Anjou la forteresse de Champtoceaux est toujours occupée par une garnison royale en décembre 1349, le vrai danger ne gît pas tapi dans ce secteur bien contrôlé par la monarchie19 mais sur les rivages des confins picto-bretons – « in fronteriis Pictavensibus et Britannie ». Dès le début du conflit successoral, fin 1342, les Anglais ont profité des événements pour s’intéresser de près à la baie de Bourgneuf, justifiant en retour l’intervention des Castillans de Louis d’Espagne appelés à garder le port de Beauvoir contre Robert d’Artois20. Ensuite, au pays de Rays les charges militaires deviennent écrasantes, au point que le 16 janvier 1350 Philippe VI gratifie des terres de Châteaumûr et des Deffends son « amé et feal Louis de Machecoul, chevalier, pour consideracion des grandes pertes et dommages que [il] a soustenu pour nos ennemis à cause de nos guerres […] en la garde du chastel de Prugny21 qu’il a gardé et garde en nostre nom à ses despens22 ». Par malheur pour la région, l’un de ses principaux seigneurs, Girard (IV) Chabot, sire de Rays, décède avant le 15 septembre 1344, laissant une épouse enceinte qui donne naissance à un fils quelques mois plus tard. Avec Raoul de Machecoul, doyen puis évêque d’Angers, Foulque de Laval devient le tuteur de Girard (V) dont il se trouve être doublement le grand-oncle par sa sœur Catherine, la grand-mère de l’enfant, et sa femme Jeanne Chabot, sa grand-tante : mais un tuteur, même compétent et actif, ne saurait remplacer en tout un seigneur en pleine possession de ses moyens dans une zone âprement convoitée pour ses ressources salicoles, stratégique par sa situation (« lour villes et forcelettes qe sount droitement sour le fountz de Fraunce et de nostre duchée de Gascoigne23 », écrit le 5 décembre 1342 le roi Édouard à son fils), fragilisée en sus par un drame.
8On sait qu’Olivier (IV) de Clisson, après son échange contre le baron Stafford (selon les chroniqueurs, il avait été capturé quelques semaines plus tôt lors d’une sortie hors de Vannes qu’il tenait pour Charles de Blois24), devient suspect de « plusieurs trahisons et autres crimes perpetrez par lui contre le roy et la corone de France25 », accusation étayée par les apparences d’une libération trop rapide pour ne pas paraître suspecte : arrêté au débotté, le père du futur connétable de France est jugé de façon inique lors d’un procès expéditif dont les actes sont immédiatement détruits sur l’ordre du Valois, condamné à mort et exécuté sans délai aux Champeaux à Paris le 2 août 1343, son cadavre démembré (sa tête sera exposée sur un pieu à une porte de Nantes…). Ses biens sont aussitôt saisis et confisqués, ainsi que ceux de son épouse, Jeanne de Belleville, compromise dans une tentative avortée de corruption de ses geôliers puis défaillante à se présenter devant le Parlement, en conséquence bannie du royaume26. Leurs terres sont transférées pour la forme au futur Jean II, comte de Poitou en titre, mais en fait elles demeurent en la main du souverain comme le prouvent sans ambages les quelque 237 aveux rendus au « roy nostre seigneur » par les fieffés de la terre de Belleville de février à avril 134427 ainsi que le cadeau qu’il fit le 2 février 1347 à Isabelle de Craon d’une rente dotale de 1 000 l. t. à prendre sur le revenu de la châtellenie de Clisson28. Reste à tenir ces domaines saisis par voie de justice, et solidement… puisque Jeanne de Belleville vient de convoler en justes noces avec Walter Bentley, un redoutable capitaine d’outre-Manche, et qu’elle entend dorénavant tout faire afin de venger son honneur bafoué !
9Il faut donc au roi Philippe pourvoir de capitaines fidèles, de troupes sûres toute une couronne de châteaux ceinturant la terre de Belleville et celle de Clisson. Grande est la responsabilité du gouverneur de cette petite région : c’est d’abord Nicolas de Savoie mentionné en 1345-134629, puis Foulque de Mattaz, seigneur de Royan, un chevalier saintongeais « jadis capitaine et gouverneur de la terre de Belleville avec ses dépendances », au moins du 30 mai 1347 au 1er avril 134830, auquel succède Miles de Th ouars31, tandis que Foulque de Laval, garde des châteaux de Princé, Machecoul et Saint-Étienne-de-Mer-Morte, au minimum depuis le 22 septembre 134632, se présente comme « capitaine souverain du roy […] à la garde des terres de Belleville et de Rays » dans une série de quittances qu’il baille en septembre et novembre 1350, puis en juin 135133. Il dispose de 192 hommes d’armes et de 520 piétons selon une pièce qu’il signe le 17 février 135034.
10Car ce gouvernement n’a rien d’une sinécure ! Les ennemis ont réussi en 1347 à prendre le contrôle de Beauvoir et du château côtier de Prigny où Jean de Sancta Fleuva, chevalier, affirme avoir perdu 600 l. de revenus annuels et dû racheter ses deux frères faits prisonniers : le 22 octobre 1349, le roi l’assure de son soutien pour 500 écus d’or35. Le responsable de ses malheurs est Raoul de Caours, un chevalier de la région de Guérande : il avait d’abord épousé la cause de Jean de Montfort, son seigneur légitime36, auquel Raoul reste longtemps fidèle en dépit d’une première tentative de débauchage fin 1344 (son nom figure parmi les 14 bénéficiaires potentiels d’une lettre de rémission émise par Charles de Blois le 31 décembre et approuvée aussitôt par Philippe VI37) ; après s’être concerté avec Édouard III à Calais début janvier 1347, Caours est promu, le 17 de ce mois, son lieutenant « in Pictavia ac in terra de Rays » avec 100 hommes d’armes et 200 archers montés sous ses ordres, le château de Prigny devenant vite sa principale base d’opérations38. Le 4 juillet 1348, il est encore assez apprécié par le petit-fils de Philippe le Bel pour se voir gratifié de 1 000 l. sterling de rentes assises « tam in terra de Rayes in Britannia quam in Pictavia et partibus circumvicinis ». Mais ce sera le chant du cygne de sa période plantagenêt.
11En effet, il lui a surgi un redoutable concurrent en la personne de Walter Bentley : entre les deux hommes la tension devient telle au printemps 1349 que le 20 juin le roi nomme un médiateur, Richard de Cardoill, qui rend le 20 octobre un compromis tout à l’avantage de Bentley, que le duc Henri de Lancastre, lieutenant en Poitou, reçoit l’ordre de faire appliquer en intimant à Raoul l’obligation de restituer sur le champ à Walter et à Jeanne Beauvoir, Lampant, la Barre-de-Monts, Châteaumur, les îles de Noirmoutier et de Chauvet, la moitié de celle de Bouin39. Dès lors, Caours entame des négociations avec Jean de Beaumanoir, Foulque de Laval et Maurice Mauvinet, les représentants de Philippe VI40 ; on lui promet 10 000 écus pour ses gages et récompenses. Le versement d’un acompte en février 1350 confirme la mise en route du processus41, mais Caours rate à moitié son passage dans l’autre camp : il ne réussit pas à livrer à son nouvel employeur le château de Prigny et il doit abandonner l’exploitation des riches salines de la baie de Bourgneuf, servir au loin (en août, il monte une embuscade près d’Auray où Thomas Dagworth trouve la mort) avant de saisir l’île de Noirmoutier pour s’y faire à son tour cueillir par Maciot de Mareuil, un bourgeois nantais devenu pirate, et disparaître dans des circonstances mal éclaircies, sans doute encore emprisonné, avant juillet 1354.
Les hommes du roi
12L’identité de ses agents payeurs ne réserve aucune surprise depuis les travaux de Philippe Contamine42 : il s’agit de Jean de l’Hôpital, clerc des arbalétriers, et des deux trésoriers des guerres, Jean Chauvel et Barthélemy du Drach. Jean Chauvel apparaît comme ayant été beaucoup plus actif quant à l’Ouest armoricain que son collègue (sur un total de 40 actes à implications militaires, je relève son nom 16 fois, contre 4 seulement pour Barthélemy du Drach), Jean de l’Hôpital ne faisant pas si mauvaise figure après lui – son nom revient 13 fois – mais il s’occupe plutôt de l’entretien des garnisons43, tandis que Jean Chauvel s’intéresse d’abord aux troupes opérant dans le plat pays, sans exclusive cependant44 ; Barthélemy du Drach dispose en 1346 d’un aide en la personne de Jean de Cressonnières, tout comme Pierre David seconde Jean de l’Hôpital trois ans plus tard ; des paiements sont le fait d’officiers locaux, tels le receveur d’Anjou et du Maine ou celui du Poitou45. Le souverain peut enfin ordonner une faveur d’ordre financier pour tel ou tel par une lettre arrêtée en conseil46.
13Par-delà la régularité formelle des opérations, les écritures du journal de Philippe VI pour 1349-1350 énoncent aussi à leur façon les difficultés financières rencontrées au quotidien par la monarchie en cette première phase de la guerre de Cent Ans. Les remboursements fractionnés, les retards de paiement présentent l’intérêt pour le roi, outre une menée de sa guerre à crédit en quelque sorte, de lui permettre d’éponger partie de ses dettes en monnaie de singe : les plus anciennes, contractées alors que sa monnaie était très affaiblie – « debilis moneta » – sont acquittées après une conversion arbitraire, donc avantageuse, par ses services, ce qui revient couramment à diviser par deux les sommes dues exprimées en unités de compte47, voire par quatre ou cinq pour certaines… « Le vol était manifeste », « une banqueroute partielle soigneusement dissimulée », pour reprendre les appréciations de Philippe Contamine48. En désespoir de cause, le capitaine est parfois aussi contraint de consentir des prêts sur sa cassette personnelle aux troupes qu’il entend commander49.
14Qui sont ces gens d’armes ? Parmi eux figure une minorité d’étrangers au royaume, reconnus pour leur savoir-faire militaire, des arbalétriers génois ou des entrepreneurs de guerre savoyards. En dépit de la destruction de la flotte française à L’Écluse dès 1340, les premiers demeurent au service du Valois, le servant à terre désormais : la présence de Dominique de Palacio dans la suite de Jean de Normandie à l’orée de la guerre bretonne ne surprend donc pas, pas plus que celle de son compatriote Baldo Doria50. De même les Savoyards sont des tout premiers combats de la guerre de Cent Ans : Nicolas de Savoie est capitaine de la terre de Belleville du 11 avril 1345 au 16 mars suivant, responsabilité qu’il retrouve le 17 août 1346 pour presque cinq mois s’il l’avait jamais perdue, et sous ses ordres servent au moins deux de ses compatriotes, Jaquemon Fabre et l’écuyer Jean de La Vérue, ce dernier paraissant devant Calais en 134751.
15La grande majorité des soudoyers est cependant régnicole. Sur les plus humbles, les piétons, aucune indication ne permet de percer les inconnues de leur recrutement : les archers d’Amaury de Craon comme les 520 sergents à pied de Foulque de Laval ne sont pour l’historien qu’un chiffre anonyme52 ! Une discipline minimale est maintenue parmi eux par des huissiers d’armes, comme Jean de Sillens en poste à Clisson, ou Henri Lenfant sur la terre de Belleville, aidés de leurs sergents à masse53. Les nobles combattants, lorsqu’ils sont nommés, ne figurent qu’une fois dans le journal et jamais à titre individuel dans aucune chronique : seuls les chefs de corps s’extraient de cette pénombre en assumant des fonctions de responsabilité en rapport avec leur surface sociale, doublée d’une compétence reconnue d’administrateur acquise sur le terrain. Avec les Machecoul, Craon, Laval, Louis d’Harcourt, vicomte de Châtellerault, Robert de Dreux54, cette aristocratie moyenne constitue bien la colonne vertébrale du royaume en armes.
16Par un paradoxe qui n’est qu’apparent, les gens de guerre bretons demeurent résolument absents de cette conjoncture qui les concernerait pourtant au premier chef ! Mais la comptabilité des gens de guerre de Charles de Blois n’est plus disponible depuis longtemps… et rien ne la supplée du côté de celle du roi !
Notes de bas de page
1 Les journaux du trésor de Philippe VI de Valois, suivis de l’Ordinarium thesauri de 1338-1339, édités par Jules Viard, Paris, 1899 : acte n° 889 [dorénavant Journaux].
2 Jean Kerhervé, « L’historien et les sources financières de la fin du Moyen Âge », Claude Carozzi et Huguette Taviani-Carozzi (dir.), Le médiéviste devant ses sources. Questions et méthodes, Aix-en-Provence, 2004, p. 185-205.
3 Références dans Raymond Cazelles, Catalogue des comptes royaux des règnes de Philippe VI et de Jean II (1328-1364), Paris, 1984, p. 25-27. Les p. 1 à 35 de la publication de J. Viard citée n. 1 renferment les termes de Saint-Jean et de Noël 1328 et 1329, puis les p. 36 à 75 ceux de 1345 et 1346 ; enfin, les p. 76 à 853 correspondent à l’édition de ce que l’on conserve du journal du mercredi 4 mars 1349 au samedi 24 avril 1350 compris, soit les termes de Saint-Jean 1349 (amputé du début), de Noël 1349 et de Saint-Jean 1350, ce dernier incomplet de la fin.
4 Journaux, n° 889, rapporté en chapeau à cette étude. Cette place a un statut ambigu : en juin 1293 déjà Olivier (II) de Clisson reconnaissait devoir le service d’ost en tant que vassal du duc de Bretagne, seigneur de Champtoceaux et Montfaucon (Jean-Pierre Brunterc’h, « Les origines de la seigneurie de Clisson, xie-xiiie siècle », MSHAB, LXXXII, 2004, p. 5-58, voir p. 32).
5 Un certain Baudouin de Luillyaco, écuyer, huissier d’armes du prince, sert en Anjou puis en Bretagne du 14 octobre 1341 au 20 janvier 1342 (ibid., n° 4723). Raoul, comte d’Eu, connétable de France, était également présent en Bretagne (R. Cazelles, Catalogue…, op. cit., n° 287, p. 107 – compte des gens d’armes de l’hôtel du connétable en octobre-novembre 1341).
6 Les Chroniques de Jean Froissart, livre I, § 147, édition Siméon Luce, t. II, Paris, 1870, p. 108. La résistance des défenseurs nécessita l’emploi d’un « beffroi », une tour d’assaut à trois étages, déplacée grâce à douze roues (ibid., p. 309). Michael Jones, « Ancenis. Froissart et le début de la guerre de Succession de Bretagne (1341) », Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, LXXVII, 1999, p. 91-102.
7 Journaux, n° 574 et 3387.
8 Ibid., n° 152 : le bénéficiaire est un certain Robin Doucete. Depuis le début du xive siècle 25 l. t. représentent le tarif forfaitaire du restor (Philippe Contamine, Guerre, État et société à la fin du Moyen Âge. Études sur les armées des rois de France, 1337-1494, Paris, 1972, p. 105).
9 Journaux, n° 1350, 1354, 1790, 3871. Le connétable, était également présent : R. Cazelles, Catalogue…, op. cit., n° 290, p. 108 (la plupart des gens d’armes pour cet ost de Bretagne ont été retenus à Angers à partir des 14 et 22 décembre) ; n° 291, p. 108 (retenues à Rennes et Ploërmel pour l’ost de Ploërmel du 14 décembre au 20 janvier) ; n° 292, p. 108 (compte des gens d’armes de l’hôtel et de la bataille du comte d’Eu pour l’ost de Bretagne avec le duc de Normandie).
10 Robert Mulet, après avoir participé à l’ost de Bouvines en 1340, sert en Bretagne du 28 octobre au 6 novembre 1341 (Journaux, n° 1791), puis y accompagne Philippe VI l’an d’après. On le retrouve devant Calais, avec deux écuyers, du 8 juillet 1348 au 7 août suivant (ibid., n° 1793).
11 Un lot de fournitures se trouve également liquidé (ibid., n° 2714). Philippe Cassine, jadis pourvoyeur des garnisons pour la guerre de Bretagne, obtient le remboursement des 1 000 mines de froment et des 19 muids d’avoine qu’il leur avait fournis le samedi avant la fête de saint Vincent martyr en 1342.
12 Ibid., n° 159 : « Cepimus super Regem sic : Dux et ducissa Britannie, dominus Karolus et domina Johanna, pro mutuo sibi facto per dominam Reginam, de summa 10 000 scut. auri, etc. »
13 Ibid., n° 278. R. Cazelles, Catalogue…, op. cit., signale p. 172-173 sous le n° 469 le compte de Jean Hardi, receveur dans les sénéchaussées de Toulouse et d’Albi du subside levé en juillet 1345 contre les ennemis qui se rassemblent en grand nombre en Aquitaine, Bretagne et Flandre.
14 Journaux, n° 2228. Amaury de Craon était secondé par Jean de Insula qui sera nommé lieutenant du roi en Limousin, Poitou et Touraine le 11 janvier 1348.
15 Ibid., n° 2002 : 99 l. p. versées à Jean de Friguans, chevalier, « super vadia deservienda in presenti guerra, in partibus Britannie ».
16 Ibid., n° 4102 et 4647.
17 Ibid., n° 4850. En 1352 Jean Chauvel rend son compte du paiement des gens d’armes en poste en Normandie et sur les frontières de Bretagne sous le maréchal d’Audrehem (R. Cazelles, Catalogue…, op. cit., n° 255, p. 96).
18 Au total, sur les 40 actes à implications militaires directes, une majorité concerne le Bas-Poitou et la terre de Rays adjacente ; concernant le duché au nord de la Loire, sont liquidées en 1349 quatre créances résultant de l’intervention de Jean de Normandie fin 1341 (Journaux, n° 889, 1791, 3871 et 4723), quatre l’ost de Ploërmel l’an d’après (n° 1350, 1354, 1790 et 2714) en sus de celle soldée en 1345 (n° 152), cinq autres la guerre de Bretagne depuis lors (n° 278, 2002, 2228, 4102 et 4850).
19 Ibid., n° 3325 : son châtelain, Philippe de Juys, reçoit une gratification spéciale de 100 l. t. sur les 500 à lui promises le 1er de ce mois par lettre royale « pro certis causis, de gracia speciali ». Le même était déjà présent en avril puis en octobre 1347 (n° 2224). Les châteaux d’Angers, des Ponts-de-Cé, de Saumur et de Rochefort-sur-Loire (Dieux Aye) sont également dotés d’une garnison.
20 René Blanchard, « Le pays de Rays et ses seigneurs pendant la guerre de Cent Ans (1341-1372) », Bulletin de la Société historique de Nantes et de la Loire Inférieure, 1897, p. 87-110, mentionne p. 88-89, d’après la Chronique de Flandre et Froissart, la présence assurée des Castillans dans le port de Beauvoir avant le 7 novembre 1342.
21 Prigny, commune des Moutiers-en-Retz, Loire-Atlantique.
22 R. Blanchard, « Le pays de Rays… », art. cit., p. 91. Le sire de Machecoul est en fait seigneur de la Benate, du Loroux-Bottereau et de Bourgneuf.
23 Lettre reproduite dans Robert de Avesbury, De gestis mirabilibus Edwardi III, Edwards Maunde Th ompson (éd.), Londres, 1889, p. 340.
24 Dans la lettre citée à la note précédente, Édouard III mentionne que les sires de Clisson, de Rays et de Machecoul « sont renduz à nostre pèes, quele chose homme tient un graunt esploit à notre guerre », ce qui laisse planer un doute sur leur fidélité maintenue à la couronne de France.
25 Monique Langlois et Yvonne Lanhers, Confessions et jugements de criminels au Parlement de Paris, Paris, 1971, p. 151. Cette affaire est mentionnée par les principales sources contemporaines : Jean Le Bel, Chronique, § LXVIII et LXIX, J. Viard et Eugène Déprez (éd.), t. II, Paris, 1905, p. 22-29 ; Les Chroniques de J. Froissart, livre I, § 202, éd. S. Luce, t. III, Paris, 1872, p. 35-36 ; Chronographia Regum Francorum, éd. Henri Moranvillé, Paris, 1891, p. 205 ; Les Grandes Chroniques de France, éd. J. Viard, t. IX, Paris, 1937, p. 241-243, 245-247 et 249-251. Une approche historique récente : Frédéric Morvan, « Les seigneurs de Clisson (xiiie-xive siècle) », Mémoires de la Société historique et archéologique de Bretagne, LXXXII, 2004, p. 59-79, spécialement p. 71-75.
26 Les Grandes Chroniques…, op. cit., p. 242. Simon H. Cuttler, The Law and Treason Trials in Later Medieval France, Cambridge, 1981, p. 147-148. Cette dame représente par elle-même un fort beau parti : son foncier sera évalué à 30 000 l. de rentes lors de la préparation du traité de Calais en 1360 !
27 Jean-Luc Sarrazin, « La noblesse de la terre de Belleville en 1344 d’après les aveux rendus au roi de France », Jacques Paviot et Jacques Verger (dir.), Guerre, pouvoir et noblesse au Moyen Âge (Mélanges P. Contamine), Paris, 2000, p. 619-628. Les prestations d’hommage s’effectuent de février à avril 1344. Au plan financier, la recette de Belleville est adjointe a celle du Poitou (Journaux, n° 3296)
28 Ibid., n° 4685.
29 Ibid., n° 4886 : il reçoit ses gages pour la période du 11 avril 1345 au 16 mars suivant.
30 Ibid., n° 77, 1247, 2067, 2225 et 3197.
31 Ibid., n° 2067.
32 Ibid., n° 2115, 2297, 2826, 2923 et 4138. D’autres paiements sont mentionnés n. 40 p. 10 de M. Jones, « Raoul de Caours », Bulletin de la Société d’études et de recherches historiques du pays de Retz, 1987, n° 2, p. 5-10.
33 R. Blanchard, « Le pays de Rays… », art. cit., p. 92 et 100-101.
34 Journaux, n° 4100.
35 Ibid., n° 2912.
36 Rappelons que la seigneurie de Guérande avait été concédée par Jean III à son demi-frère, dont elle constituait au demeurant l’unique patrimoine en Bretagne.
37 S. Luce, Histoire de Bertrand du Guesclin. La jeunesse de Bertrand, Paris, 1887, p. 89.
38 M. Jones, « Raoul de Caours », art. cit., résume parfaitement la carrière de ce personnage après Paul Guérin, Archives historiques du Poitou, t. XVII, Poitiers, 1862, p. 26-32.
39 Ibid., p. 6 et n. 29, p. 9.
40 S. Luce, Histoire de Bertrand…, op. cit., pièce justificative n° 2, p. 512-515.
41 Journaux, n° 3959 et 4018. Le premier enregistre le transfert de 300 écus d’or, sur une somme de 10 000 promise à Caours, à Maurice Chamaillard et Briand de Machecoul, tous deux conseillers du roi et maîtres des requêtes de son hôtel, par le biais d’Étienne Melliart selon les instructions d’une lettre du roi datée du 27 janvier. Le second régularise le remboursement des frais de Bertrand de Bardilliac, chevalier, maître des eaux et forêts, envoyé en mission à Beauvoir et ailleurs dans ses environs « pour certaines missions dont le roi l’avait chargé ».
42 P. Contamine, Guerre, État…, op. cit., spécialement p. 107-118 sur les organismes payeurs et les conditions du paiement.
43 Outre le français latinisé « garnisio », on trouve une fois le latin « stabilita » : « in stabilita de Palluau », Journaux, n° 2049.
44 Ibid., n° 278 et 685.
45 Ibid., n° 2224, 2228 et 2067.
46 Ibid., n° 2912, 3325 et 4685.
47 Ibid., n° 685, 1247, 2049, 2065, 2115, 2269, 2271, 2297, 2826, etc.
48 P. Contamine, Guerre, État…, op. cit., p. 114.
49 Journaux, n° 1248.
50 Ibid., n° 889 pour Dominique de Palacio cité en chapeau de cette étude, et n° 1248 pour « Baldo Doire, armigero Januensi et pluribus aliis ».
51 Ibid., n° 4886 (pour cette presque année de service avec sa troupe il reçoit 2 287 l. en mauvaise monnaie, l’équivalent de 1 143 l. t. en bonne), n° 2065, à compléter pour Jean de La Vérue par le n° 3862.
52 Ibid., n° 2228 et 4100. Après avoir gardé la terre de Belleville en 1346 (n° 685), l’écuyer Symon Torcol apparaît dans le journal à la date du 16 avril 1349 quand il reçoit le restant des gages dus à Nicolas Facinel et à ses 52 « brigands » en service sur la frontière de Flandre du 9 août 1347 au dernier jour de septembre suivant (n° 894).
53 Ibid., n° 2928, 2269 et 2271. Outre le roi, le prince Jean disposait d’un huissier d’armes (n° 4723) lors de son incursion en Bretagne.
54 Ibid., n° 2916 pour Louis d’Harcourt et n° 2930 pour Robert de Dreux.
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