Chapitre I. Un monde informe
p. 37-64
Texte intégral
1D’humble extraction, le genre romanesque est en évolution constante. Son histoire est sujette à débats, aucune institution ne parvient à lui donner de règles, mais le roman s’emploie à donner forme au monde. Dans La Pensée du roman, Thomas Pavel, se fondant sur une critique précise et fructueuse de la Théorie du roman (1920) de György Lukács1, compose un panorama de l’histoire du genre qui montre que du roman hellénistique jusqu’au roman postmoderne, le roman a toujours cherché, dans son rapport intense au réel, alternativement à en proposer une vision idéale, et à en critiquer toute vision idéale.
2Pour ne citer que quelques exemples, Pavel voit dans le picaresque « la conversion des thèmes comiques en objets d’une réflexion morale sérieuse, voire pessimiste2 » : l’idéalisme est ici combattu par les modes de vie et de pensée de la société que traverse le picaro. La perspective est plus optimiste dans le roman de formation du XVIIIe siècle, mais l’idéal de l’accès à la sagesse et à une vie heureuse incarné par la « belle âme » est assez proche de celui sur lequel se construit le roman picaresque3. Quant aux prises de parti que suscite l’avènement du réalisme, Pavel les analyse également comme un débat sur le projet moral dévolu au roman. Le réalisme flaubertien crée selon lui un nouveau type de personnage imparfait : là où le picaro « finissait par comprendre ses propres carences et accédait à la maîtrise des normes morales, [il] découvre, dans les romans de Flaubert, l’imperfection du monde et se résigne à la subir, voire à y contribuer activement4 ». Cependant, le critique démontre par son étude d’œuvres de Walter Scott, Balzac, Tolstoï, George Eliot, des frères Goncourt, Theodor Fontane, Dostoïevski et Henry James, que
dans le dernier tiers du XIXe siècle, le roman parvint à un véritable équilibre. Malgré la diversité des options auxquelles les divers romanciers souscrivaient (idéalisme, anti-idéalisme, synthèse des deux positions), le lecteur ne pouvait pas ne pas être frappé par l’uniformité formelle de leurs œuvres5.
3Mais l’uniformité de la production romanesque, qui aurait causé le déclin et la disparition du genre, est remise en question par le roman moderniste, auquel Thomas Pavel consacre la quatrième et dernière partie de son étude, « L’art du détachement6 ». Au XXe siècle, le héros de roman jouit de son autonomie et ce, dès ses premiers pas dans le monde, alors qu’elle était rarement envisageable dans le roman idéaliste des époques antérieures. C’est donc un tout autre rapport à la société que représente le roman contemporain :
L’accession à la vie sociale devient ainsi une tâche infiniment pénible à accomplir, et, réciproquement, le rejet du monde social et de ses conventions n’est pas représenté comme un geste dramatique fait à la suite de longues délibérations, mais comme une sorte de droit élémentaire de chaque personne7.
4Qu’ils fassent de l’art une religion, qu’ils cherchent à se comprendre eux-mêmes, ou qu’ils y renoncent, les héros des romans de Proust (À la recherche du temps perdu, 1913-1926), Musil (Der Mann ohne Eigenschaften, 1930-1943) ou Joyce (Ulysses, 1922), illustrent « l’abolition des liens entre l’homme et le monde8 ». Nul besoin de chercher une explication à cela dans la « complexité » du monde, comme le fait Milan Kundera quand il écrit dans la première partie de L’Art du roman que « L’esprit du roman est l’esprit de complexité. Chaque roman dit au lecteur : “Les choses sont plus compliquées que tu ne le penses9.” » Car même chez Kafka, tout est très simple. Milan Kundera et Thomas Pavel sont d’ailleurs du même avis sur ce point10. Le désenchantement du monde, trait du roman moderniste, est seulement nuancé chez Franz Kafka par une touche d’irréalité et de fantastique. Il n’en demeure pas moins que les règles qui gouvernent le monde sont chez lui considérées comme absurdes, alors même qu’elles sont vraisemblables. Toutefois, au XXe siècle, le monde du roman, ou plutôt les mondes qu’il représente, enchevêtrés, redondants, inconciliables, surnaturels ou purement réalistes, dressent un tableau informe de la réalité contemporaine, tant physique que morale et intellectuelle.
5On va le voir, les romans étudiés ici renvoient aussi au lecteur l’image d’un monde informe. Or cet état du monde n’est pas une construction poétique, c’est celui que de nombreux auteurs et théoriciens décrivent et conçoivent depuis les années 1960.
Le vide et le plein
6Le monde semble vidé de son référent par des représentations hyperréalistes en surabondance, champ laissé libre à la parodie et à l’invasion du discours par le métadiscours qui caractérisent l’époque postmoderne. Les textes littéraires étudiés ici correspondent et répondent parfois avec énergie à des notions et des concepts mis en avant dans le cadre de cette nouvelle conception du monde où règnent la vacuité, le simulacre et la parodie.
Le trop-plein d’un monde fini
7Au début du XXe siècle s’est imposée une idée séduisante : il n’y a plus dans le monde de zones inconnues, l’époque des grandes découvertes s’est achevée sur la compréhension par les sciences occidentales de l’ensemble du monde. Cette idée est bien entendu un préjugé que les avancées de la recherche et de nombreuses découvertes d’espèces animales et végétales (bientôt éteintes) remettent encore sans cesse en cause. Cependant, elle a deux conséquences : elle crée une nostalgie pour les époques où le vaste monde abritait encore des régions vierges et mystérieuses peuplées d’inconnus, voire de sauvages, et elle permet de concevoir un monde contemporain saturé d’informations et dont toute étrangeté aurait disparu.
8Une formulation adroite de la séduction qu’exercent sur les Occidentaux les zones inexplorées est fournie dans Heart of Darkness, de Joseph Conrad, par le personnage de Marlow lorsqu’il s’apprête à raconter ses aventures africaines à ses trois amis, sur le pont de la Nelly, à l’ancre dans l’estuaire de la Tamise. Évocant d’abord la fascination qu’il éprouvait dans son enfance pour les blancs de la carte, il aborde ensuite le Congo, sans le nommer : une fois exploré, « c’était devenu un lieu de ténèbres11 ». Le passage regorge de termes valorisants qui nimbent la colonisation d’une lueur fastueuse et illustrent l’enthousiasme du jeune Marlow pour les aventures et les explorations.
9Mais depuis cette époque dont les recherches sur l’histoire coloniale et sur les littératures postcoloniales12 ont montré la véritable horreur, il n’y a plus de « taches blanches » sur les mappemondes. Le géographe français Éric Dardel le constatait en 1953 :
La navigation à vapeur a géographiquement « rapproché » l’Amérique de l’Europe, et l’aviation commerciale a mis à la portée de New York ou de Londres toutes les terres habitées. Ce « raccourcissement » du monde a bouleversé toutes les données politiques et économiques, créant une interdépendance planétaire, encore accentuée par le téléphone et la radio13.
10Le développement des moyens des transports a fait disparaître les zones du monde où l’homme ne s’était jamais aventuré, et les voyages sont devenus beaucoup moins coûteux, longs et pénibles.
11Parallèlement à cette « observation impressionniste et très répandue selon laquelle nous occupons un “monde qui rétrécit”14 », comme le rappelle le géographe Neil Smith, on a vu s’imposer au XXe siècle l’idée que tout a déjà été dit sur le monde qui nous entoure. Bertrand Westphal le formule ainsi au troisième chapitre de La Géocritique, après une analyse de la géographie de l’inconnu dans la littérature antique :
À l’encore-vide d’Homère a succédé le trop-plein de la géographie littéraire post-moderne. Aujourd’hui, c’est l’écrivain qui arrive en seconde position : il est toujours précédé par ceux qui ont fixé le référent, qui sont parfois eux-mêmes des écrivains. Comment écrire une ligne sur Lisbonne sans voir poindre les besicles de Pessoa ? Le monde semble plein comme un œuf15.
12Non, La Bruyère ne reprend pas ses lamentations16, Westphal ne déplore pas qu’on publie tant et plus, mais il affirme que l’écrivain qui voudrait laisser son point de vue sur tel ou tel lieu de la surface de la terre courrait le risque d’avoir été précédé par un autre. Le risque de la redite ou de la contradiction est ainsi partout présent : Georges Perec a fait lui aussi remarquer que l’espace a cessé d’être vierge, et ce, depuis bien longtemps. Dans les premières pages d’Espèces d’espace, il énumère :
Décrire l’espace : le nommer, le tracer, comme ces faiseurs de portulans qui saturaient les côtes de noms de ports, de noms de caps, de noms de criques, jusqu’à ce que la terre finisse par ne plus être séparée de la mer que par un ruban continu de texte17.
13Cette évocation des cartes marines du XVIe siècle donne à voir très clairement à quel point le texte a investi la représentation du monde. Les hommes ont mis un nom sur toute chose, et l’inconnu n’est plus de ce monde. Dans le roman qui se développe en France à partir de la fin des années 1950, les énumérations descriptives servent à montrer au lecteur qu’il y a bien quelque chose à voir, mais que cela ne signifie justement pas grand chose. Un exemple parlant des énumérations auxquelles peut aussi renvoyer l’image du « ruban continu de texte » des portulans évoquée par Perec nous est fourni par un passage des Grandes Blondes, à la fois prolepse et résumé (au conditionnel, donc) du séjour de son héroïne à Sidney18 :
Gloire ne verrait là-bas nul kangourou ni koala ni rien. Juste un soir, dans un caniveau d’Exhibition Street, elle apercevrait une dépouille d’opossum gisant entre le pare-chocs avant d’une Holden Commodore et le pare-chocs arrière d’une Holden Apollo19.
14Décevant à l’avance les attentes du lecteur, le narrateur fait la liste les animaux exotiques qu’il aurait pu évoquer, ne les décrit pas, et ne livre finalement à son lecteur que le cadavre d’un ragondin local au nom latin et des modèles d’automobiles australiennes. Gloire n’a rien vu en Australie.
15Ainsi, entièrement parcouru et exploré, le monde n’offrirait plus rien de neuf. De là une perception de la réalité qui met en évidence son apparence répétitive. Tout semble déjà connu, et rares sont les voyages qui persuadent du contraire, même s’il est devenu si facile de passer d’un hémisphère à l’autre.
16La « compression spatio-temporelle » est en effet ce que le géographe anglais David Harvey identifie comme un des phénomènes caractéristiques de la « condition de la postmodernité20 ». Mais ce n’est pas un hasard si les technologies ont progressé dans le sens d’une augmentation des vitesses de transport. Par une analyse concordant avec les travaux de David Harvey, Neil Smith démontre que par l’accélération des transports se trouve réalisée ce que Karl Marx a nommé dans les Fondements de la critique de l’économie politique (ébauche posthume du Capital) une « destruction de l’espace grâce au temps21 ». Pour que le commerce soit rentable, il faut l’étendre largement et massivement, afin que les coûts de transports soient aussi bas que possible. Mais les distances géographiques sont réduites, voire annulées, par l’accélération des voyages. Neil Smith écrit ainsi : « Ce qu’on appelle le monde qui rétrécit n’est pas uniquement un effet des progrès généralisés de la modernisation, mais la nécessité spécifique du mode de production fondé sur la relation capital-travail22. »
17Or, comme si elles avaient intégré les lois de l’économie déduites par Marx de son analyse du système capitaliste, les œuvres de notre corpus représentent un monde parfois tout à fait exigu et uniforme dont seule la dimension temporelle est perceptible.
18Ainsi, Italo Calvino fait entrer le point de vue d’un représentant de commerce dans deux descriptions de ses « villes invisibles » : « C’était la première fois que je venais à Trude, mais je connaissais déjà l’hôtel où par hasard je descendis ; j’avais déjà entendu et prononcé les mêmes dialogues avec acheteurs et vendeurs de ferraille23. » Trude est la « ville continue » que le monde entier ne cesse de répliquer : « le monde est couvert d’une unique Trude qui ne commence ni ne finit24 ». Il n’y a donc aucun moyen de distinguer les différentes villes qui couvrent le globe, et toute description du monde est alors tautologique. C’est une façon, pour ce voyageur de commerce qui hante les aéroports et semble momentanément avoir pris la place de Marco Polo, d’attester la disparition de l’espace derrière la durée de ses missions. L’annihilation de l’espace par le temps qu’avait conçue Karl Marx et qu’on représente aussi par l’image du commerce à flux tendus semble donc reprise par Calvino. Elle donne lieu à l’existence d’une ville telle que Trude.
19Thomas Pynchon, en revanche, par son ambition encyclopédique25 et son goût pour l’incongru et le spectaculaire, ne semble pas considérer le monde comme un spectacle uniforme et monotone. Néanmoins, dans Gravity’s Rainbow, il présente sous un jour défavorable les grandes firmes multinationales, réelles ou imaginaires, qui exercent leur influence sur tous les continents, profitant de la guerre, de part et d’autre de l’Atlantique. L’une d’elle, IG Farben, joue même un rôle tout particulier dans le roman. Dans un épisode qui met en scène le physicien Hans Pökler et son épouse Leni dans la tourmente inflationniste de la fin des années 1920, des industriels nazis interrogent l’esprit de Walter Rathenau au cours d’une séance de spiritisme. Rathenau, assassiné en 1922 par les nationalistes antisémites de l’organisation Consul, était le ministre des Finances des débuts de la République de Weimar. Héritier de la firme AEG, Rathenau fut « le prophète et l’architecte de l’État des cartels26 », mais sa renommée, bien réelle, convainc dans le roman même ses adversaires les plus haineux, puisqu’il est interrogé au « Herrenklub », à Berlin, par Smaragd, un nazi, le directeur exécutif (fictif) d’IG Farben. Rathenau adresse à ses auditeurs un discours fondé sur une analyse des avancées de la chimie moderne dont les progrès sont dus à la découverte de nouvelles molécules dans des substances autrefois négligées, des matériaux de rebut comme le coaltar. Il ramène tout ce qui fait la diversité du monde et la richesse des industries qui utilisent ces ressources à « la substance même de la mort27 ».
Le mouvement vrai ne va pas de la mort à la résurrection. Il va de la mort à la mort transfigurée. Ce qu’on peut faire de mieux, c’est polymériser quelques molécules mortes […] Vous pensez qu’il vaudrait mieux causer de ce que vous appelez « la vie » : le Kartel en pleine croissance, organique. Ce n’est qu’une autre illusion. Un robot très intelligent. Plus il vous semble dynamique, plus il croît en réalité dans les profondeurs et dans la mort28.
20Ainsi, l’invention des nouveaux matériaux n’est qu’une étape de plus vers le triomphe de la mort. Pynchon le répète en soulignant à de nombreuses reprises l’implication d’IG Farben dans l’exploitation de la main-d’œuvre asservie dans les camps et dans la recherche militaire. L’objet du propos de Rathenau est donc la révélation prophétique de cette réalité dérangeante, pourvue d’une vie autonome : « a growing, organic Kartell » comparé à un robot, et prenant le masque des succès technologiques et commerciaux d’un conglomérat d’entreprises. L’uniformisation du monde est ce qui le menace, chez Pynchon aussi, et cela rejoint un motif qu’il a largement utilisé dans son œuvre : l’entropie29.
21Si les cartels industriels à concentration verticale sont une métaphore de l’uniformisation du monde chez Thomas Pynchon, Jean Echenoz aborde une idée similaire à partir de l’exemple de sociétés de holdings, multinationales et à cheval sur diverses activités. Un passage des Grandes Blondes présente en effet une analyse de ce système économique qui peut être interprétée de cette façon. Gloire Abgrall, l’héroïne du roman de Jean Echenoz, est confrontée au cours de son voyage en Inde à des truands qui ont barre sur elle, et l’utilisent. Son amie Rachel, qui fréquente leur milieu, lui dresse un tableau détaillé du fonctionnement du réseau Moopanar (du nom du financier douteux qui se trouve à sa tête). À la fin de ses deux listes d’activités qui présentent avec humour, sur le ton le plus sérieux, le commerce des « biens » tels qu’« enfants, cigarettes, matériel pornographique30 », et des « services » comme « caisses noires et travail noir, escroqueries à l’investissement, traitement spécial de déchets nocifs31 », le narrateur conclut :
Oui, le monde et la vie regorgent de choses à faire, et pour qui sait s’y prendre ils regorgent d’argent, recueilli par des collecteurs cravatés de clair sur chemise foncée – puis blanchi […] – puis viré sur des comptes inviolables à Bad Ischl, Székesfehérvár ou dans les îles anglo-normandes32.
22Somme toute, le réseau Moopanar, s’affranchissant de quelques règles internationales, ne fait que suivre celles du commerce globalisé et du capitalisme le plus pur. Le ton détaché du narrateur fait bien voir qu’il n’y a rien de particulièrement original à cela. Son attention se focalise sur une apparence vestimentaire dont il fait un style dénotant un véritable métier, et il fait allusion à des paradis fiscaux comme Jersey et Guernesey ou à des lieux de villégiature d’Autriche ou de Hongrie, c’est-à-dire situés au cœur de l’Europe et non aux Caraïbes ou dans des États réputés pour leur corruption ; par là, le lecteur peut inférer que la délinquance financière et l’économie souterraine ne sont pas une gêne à la marche du monde, mais une de ses modalités les plus essentielles, omniprésente et partout identique, et qui mériterait à peine d’être relevée33. La réaction du personnage va parfaitement dans ce sens : « Mais, tout cela, Gloire l’avait déjà plus ou moins lu dans les journaux, elle commençait à se fatiguer de ces explications34. » Ainsi, commentant le point de vue du financier que le narrateur retranscrit plaisamment dans ce passage, le personnage perçoit avec acuité la monotonie d’un monde uniforme.
23À travers le corpus littéraire étudié ici, l’idée que le monde est devenu si étroit qu’il semble uniforme n’est pas partout représentée avec la même force. Dans Morbus Kitahara, de Christoph Ransmayr, le confinement dans lequel vivent les personnages principaux pendant la plus grande partie du roman, dans la région de Moor, contraste avec leur départ inattendu pour le Brésil : l’isolement, la pénurie et le repentir avec cette ouverture soudaine vers des milieux variés et chatoyants. Le monde qui leur était interdit d’accès finit par leur apparaître dans sa grande diversité. Mais il semble que ces auteurs, quand ils s’écartent un instant du lieu décrit et de la situation narrée pour donner au lecteur un aperçu plus global du monde, proposent une version conforme au constat selon lequel l’accélération des transports et la recherche du profit ont fait reculer la part de l’étranger et du divers dans les zones géographiques les plus difficiles d’accès. Mais ce n’est pas tout : ce monde à l’aspect monotone est aussi envahi par des lieux qui remettent en question la notion même de lieu : les non-lieux.
Non-lieux
24L’ethnologue Marc Augé, qui a consacré de nombreux travaux aux modes de vie contemporains en Occident, consacre un ouvrage fondamental à « l’anthropologie de la surmodernité ». Non-lieux est en effet un essai sur le renouveau de l’anthropologie après que la décolonisation, la multiplication des points de vue de référence à laquelle contribue le mouvement postmoderne, et l’idée d’une uniformisation croissante du monde eurent fait disparaître l’autre comme sujet d’études anthropologiques encore pensable. Tout homme est autre, à présent, ou bien aucun ne l’est. Mais pour que soit possible et fondée une anthropologie du proche, comme celle de Pierre Sansot35 ou celle qu’il pratique lui-même, Marc Augé cherche à porter sur cette époque particulière un regard neuf, ou plus naïf.
25Tout d’abord, il définit la surmodernité comme un point de vue positif qui serait porté sur la réalité contemporaine dont la postmodernité serait une vision négative : « le côté face d’une pièce dont la post-modernité ne nous présente que le revers36 ». Ce que les théoriciens de la postmodernité et ses critiques appellent ainsi le « rétrécissement de la planète37 », Augé le considère comme la « surabondance spatiale38 ». Dans le monde contemporain, les voyages sont plus faciles et rapides, ses paysages sont rendus artificiellement familiers par leur diffusion à la télévision : « le Texas, la Californie, Washington, Moscou, l’Élysée, Twickenham, l’Aubisque ou le désert d’Arabie ; même si nous ne les connaissons pas, nous les reconnaissons39 » : le monde n’est donc pas trop exigu, simplement, sa diversité reste sans surprise parce qu’elle est toujours déjà trop familière.
26Sur la base de ce constat, l’auteur étudie le renouveau que cette situation récente peut provoquer dans la science qu’il pratique. Le lieu qu’il est possible d’étudier en ethnologue, rappelle Augé, est tel parce qu’il relève du concret et qu’il est pourvu d’une signification symbolique précise. Pour le dire avec les mots de l’historien et philosophe Michel de Certeau que Marc Augé cite abondamment dans son essai, le lieu est « l’ordre selon lequel des éléments sont distribués dans des rapports de coexistence40 ». Marc Augé démontre ensuite que les lieux anthropologiques « se veulent (on les veut) identitaires, relationnels et historiques41 » : il évoque rapidement pour cela quelques exemples français et étrangers de configuration des lieux de vie, de pouvoir, de célébration de rites religieux, mémoriels ou politiques. Ce faisant, il relève que les lieux de l’espace où vivent les hommes peuvent être distingués selon que les flux de personnes et d’objets y sont distribués, croisés, ou rassemblés : leur fonction fait d’eux des « itinéraires, carrefours et centres42 », ces trois catégories n’étant pas mutuellement exclusives.
27Cela posé, Marc Augé développe alors la notion qui constitue le cœur de son ouvrage. Il l’introduit par le récit d’un voyage en avion parfaitement ordinaire, mais qui permet de mettre en évidence un étrange paradoxe : il faut se trouver dans l’habitacle confiné d’un long-courrier, parmi une foule de voyageurs, pour se sentir seul, enfin face à soi-même : le monde serait-il devenu si hostile aux humains qu’ils doivent s’en écarter pour retrouver un peu d’intimité ?
28Marc Augé démontre que ces lieux de transits, ces réseaux de transports dont nous empruntons les véhicules, ou ces points de vente où le consommateur est seul devant le produit, sans l’intermédiaire d’un commerçant ou d’un vendeur, font partie des innovations introduites par la surmodernité. Ces lieux qui dépouillent chacun de son histoire, de son identité et le coupent de toute relation à autrui sont des « non-lieux ». L’auteur précise : « Le lieu et le non-lieu sont plutôt des polarités fuyantes : le premier n’est jamais complètement effacé et le second ne s’accomplit jamais totalement – palimpsestes où se réinscrit sans cesse le jeu brouillé de l’identité et de la relation43. » Souvent considérés comme anonymes alors qu’ils sont des lieux de recherche des consommateurs pour les grandes marques, des lieux d’exercice du pouvoir de l’État, ou au contraire des lieux dans lesquels il n’a aucune autorité, ces lieux de solitude sont caractéristiques de notre époque. Augé donne pour exemple de non-lieux les « chaînes d’hôtel et les squats, les clubs de vacances, les camps de réfugiés, les bidonvilles », les « grandes surfaces », les « distributeurs automatiques », « les voies aériennes, ferroviaires, autoroutières et les habitacles mobiles44 ».
29Marc Augé démontre clairement l’intérêt des non-lieux pour l’anthropologie qui étudie le monde contemporain. Mais les non-lieux nous intéressent aussi dans la mesure où leur description au sein d’un récit de fiction suscite aussitôt une impression de familiarité chez le lecteur, et surtout parce qu’ils chargent le cadre spatial du récit d’une expressivité émotive propre à la période contemporaine. Il est facile ainsi d’opposer dans Le città invisibili de Calvino les lieux aux non-lieux. Là où « tu cours après non pas ce qui se trouve au-dehors mais au-dedans de tes yeux, enseveli, effacé : si un portique continue de te paraître plus joli qu’un autre, c’est parce que c’est celui où passait voici trente ans une jeune fille aux manches larges et brodées45 » : cette ville n’a rien de commun avec « des réticules sans commencement ni fin, des villes qui ont la forme de Los Angeles, la forme de Kyoto-Osaka, qui n’ont pas de forme46 ». La première ville évoquée ici, Fillide, appartient à la série « les villes et le regard » : aussi tortueuse soit-elle (elle rappelle Venise par ses ponts et ses canaux), tous les lieux qui la composent ont du sens, parce qu’ils ont une histoire et touchent intimement le voyageur (interpellé ici à la deuxième personne) en lui rappelant des émotions anciennes. Les villes informes auxquelles fait allusion le second passage cité sont mentionnées parmi celles que contient l’« atlas du Grand Khan ». Ce livre contient les plans de villes empruntées à des utopies célèbres, et d’autres, réelles, mais qui existeront bien après le XIIIe siècle qui vit la rencontre entre Khoubilaï Khan et Marco Polo. Ces « villes continues » peuvent illustrer très pertinemment le concept de non-lieu. En effet, elles s’étendent en des conurbations qui abolissent les limites entre les différentes villes qu’elles rassemblent, et sont ainsi pourvues d’une identité floue (quel rapport entre l’ancienne capitale impériale qu’est Kyôto et le port, la ville des plaisirs qu’est toujours Ôsaka ?). De plus ces regroupements se font selon des logiques soumises à l’économie des régions concernées, et non à leur histoire, et elles se réduisent pour la majeure partie de leurs habitants et des gens qui y travaillent à des zones de transit qu’on traverse seul dans la foule des transports en commun. Tout cela fait de ces villes indistinctes et invisibles, car si fréquentes et anodines, de parfaits exemples de non-lieux.
30Les romans de Jean Echenoz fourmillent également d’exemples de non-lieux : la ville polaire de Port-Radium dans Je m’en vais, les hôtels des Landes et du Pays basque où séjourne Delahaye dans le même roman47, ou le « Centre », à la fois clinique, paradis coercitif et camp de vacances, dans Au piano48. Un passage des Grandes Blondes est très clair à cet égard. Alors que Personnettaz et son adjoint Boccara, à la recherche de Gloire Abgrall, rentrent du hameau breton que l’héroïne a définitivement quitté quelques jours plus tôt, un pneu de leur voiture éclate, et les voilà immobilisés au milieu de nulle part :
au bord d’une grand route rapide à six voies – deux fois trois séparées par une médiane ensemencée de plantes comateuses et bordée de garde-fous tuméfiés –, coupés du monde par un grillage entre les mailles duquel voletaient des lambeaux de matière plastique, d’étoffe et de papier souillés, froissés, agglutinés au pied des poteaux. Au-delà de cette frontière, le monde ne se décidait pas entre l’état de friche et celui de chantier. Pas d’être humain en vue à pied49.
31La situation périlleuse où ils se trouvent fait d’eux les seuls piétons dans un environnement hostile et malsain conçu pour des autos, des camions, mais pas pour des êtres humains. L’usage de termes médicaux le souligne, comme la focalisation sur les déchets dont est parsemé ce lieu sans nom, sans issue, et dont l’état est incertain : en voie d’achèvement ou de disparition ?
32Les non-lieux dans Gravity’s Rainbow et Morbus Kitahara revêtent une forme identique, celle des camps de concentration et d’extermination nazis. Marc Augé ne les évoque pas dans son essai où il évoque cependant les « camps de réfugiés50 ». Leur caractère éphémère, l’urgence qui les suscite, leur localisation dans des lieux inhabités mais déterminés par des conditions conjoncturelles (localisation temporaire d’une ligne de front, d’une voie d’issue d’une zone de combat, proximité d’un port ou d’un aéroport), et surtout les règlementations sur lesquelles ils s’appuient permettent de reconnaître dans les camps de réfugiés des non-lieux. Mais le philosophe italien Giorgio Agamben démontre dans son essai sur l’état d’exception, Homo sacer, que les lieux où l’on rassemble des réfugiés, camps de transit ou zones de rétention administrative, sont comparables au Lager51 qui n’est que la généralisation du statut juridique dont les premiers relèvent. Agamben s’intéresse dans son ouvrage au statut juridique mais aussi à la condition du réfugié ou du détenu du Lager, et les rapproche de celles de l’homo sacer, l’homme sacré ou consacré, état limite défini par une très ancienne loi romaine. L’état d’exception52 est en effet ce qui permet de suspendre l’application de lois (en particulier celles qui protègent les droits des individus) sur un territoire et dans une période bien délimités. Lorsque l’état d’exception devient permanent et que des droits défendus pour tous en temps normal ne sont que partiellement concédés aux personnes soumises à cet état d’exception, on se trouve précisément au Lager :
Le camp est un morceau de territoire situé en dehors de l’ordre juridique normal, mais il n’est pas pour autant un simple espace extérieur. […] En tant que l’état d’exception est « voulu », il inaugure un nouveau paradigme juridico-politique dans lequel la norme devient indiscernable de l’exception. Le camp, autrement dit, est la structure dans laquelle l’état d’exception, dont la décision fonde le pouvoir souverain, est réalisé normalement53.
33Ainsi, Giorgio Agamben, en décrivant les fondements juridiques des situations qui entraînent la production des conditions de ce qu’il appelle la « vie nue ou vie sacrée54 », celle de l’homo sacer, qui peut être tué sans qu’il y ait meurtre, mais qui ne peut être sacrifié selon les rites, met en évidence la violence à l’œuvre dans l’état d’exception. Celle violence atteint son paroxysme dans les camps de concentration et d’extermination nazis.
34Dans Gravity’s Rainbow, Thomas Pynchon crée le personnage fictif de Franz Pökler, un physicien qui travaille dans l’équipe de Wernher von Braun (l’ingénieur qui développa les technologies qui ont permis aux Américains de remporter la course à l’espace contre les Soviétiques). En 1944, Pökler est conduit à travailler sur le site de production des fusées V-2 de Nordhausen. Rapidement, il comprend que la main-d’œuvre des ateliers souterrains est formée des déportés du camp de Dora : « Il avait entendu parler de Nordhausen et du camp de Dora : il pouvait voir – les corps affamés, les yeux des prisonniers étrangers qu’on envoyait travailler au pas à quatre heures du matin, dans le froid glacial et l’obscurité, les milliers d’autres traînant des pieds dans leurs uniformes rayés55. » Mais ce n’est pas avant avril 1945, en pleine défaite du régime nazi, que Pökler réalise qu’il est complice de ces crimes effroyables :
Les odeurs de merde, de mort, de sueur, de maladie, de moisissure, de pisse, la respiration de Dora, l’enveloppèrent comme il entrait en rampant, les yeux fixés sur les corps nus qu’on emportait maintenant que l’Amérique était si proche, pour être entassés devant les crématoires, les pénis des hommes pendant, leurs orteils groupés en rangs, ronds et blancs comme des perles… chaque visage si parfait, si individuel, les lèvres retroussées en un rictus de mort, tout un public silencieux pris au moment de la chute de la plaisanterie… et les vivants, entassés à dix par paillasse, les perdants qui pleuraient faiblement, qui toussaient… Tous ses vides, ses labyrinthes avaient été l’autre face de cela. Pendant qu’il vivait et traçait des marques sur le papier, ce royaume invisible avait persisté, dehors, dans l’obscurité… tout ce temps56…
35Par ces énumérations qui détaillent des notations sensorielles très sombres (et corroborrées par les travaux d’historiens et les témoignages des survivants), le narrateur montre son personnage face à sa position ambiguë : enfermé jusque-là dans le « labyrinthe » de ses recherches et le déni de leurs conditions inhumaines, il voit éclater sous ses yeux la vérité triviale de ces évocations du Lager, d’autant plus violente qu’elle est traversée par un humour incongru. On peut comprendre ainsi la comparaison grotesque des monceaux de cadavres grimaçants avec une assemblée de spectateurs crevant de rire au moment où ils sont pris en photo.
36Ransmayr se montre plus grave lorsqu’il fait entrer la réalité du Lager dans Morbus Kitahara. Moor est en effet le site d’un camp de concentration et d’extermination d’abord présenté dans le roman à travers les trains qui le desservent.
Les trains aveugles n’atteignaient jamais cette gare. Aveugle, cela voulait dire : sans fenêtres, cela voulait dire : un train sans plaques d’identification indiquant sa provenance et sa destination. Les convois fermés de wagons de marchandises et de bestiaux, c’étaient ça, les trains aveugles. Il n’y avait que sur les plates-formes, dans les cabines de freinage et, parfois, sur les toits noirs de suie, que l’on voyait des hommes, des gardes, des soldats. À l’approche de tels trains, l’aiguillage glissait en couinant à gauche. Et le train plongeait également dans une descente, en direction d’une rive poussiéreuse qui s’étalait au loin, indistincte. La rive de la carrière57.
37La carrière de Moor est le Lager dont un des principaux personnages du roman, Ambras, est un survivant. Si le régime nazi, pas plus que les États qui l’ont soutenu ne sont jamais nommés explicitement dans le roman, Ransmayr emploie tous les termes qui permettent de l’identifier. Cette présentation de son personnage le prouve aisément : « Dans les premiers jours d’août, cet été-là, neuf ans après avoir été libéré du camp de baraquements jouxtant l’atelier de broyage, le photographe Ambras, ex-travailleur forcé affecté à la carrière sous le matricule 4273, s’en revint au lac de Moor58. » Plus loin sont évoquées les circonstances de son retour à la vie et à la liberté : « cette figure de misère réduite par la faim à l’état de squelette », « le long de la clôture électrique éventrée », vêtu de « sa tenue zébrée59 » : ces motifs, parmi d’autres qui parsèment le roman (le numéro matricule tatoué sur l’avant-bras, les récits de tortures, l’appel, le crématoire60) désignent clairement le Lager.
38Comme Pynchon, Ransmayr met à distance la description des atrocités nazies, non par le biais de l’humour noir, mais par le refus de situer clairement son histoire dans le référent réel. Cependant, dans l’un et l’autre cas, le récit situe son espace référentiel dans un non-lieu, qu’il soit nommément un non-lieu attesté dans l’histoire, comme le camp de Dora et son extension souterraine, les Mittelwerke, à Nordhausen, ou qu’il soit la reconfiguration dans un lieu de fiction d’un Lager qui ne dit pas son nom.
39Ainsi, on peut dire que les œuvres du corpus, malgré leurs différences en termes de genre comme de projet, renvoient une image du monde conforme aux théories élaborées au cours du XXe siècle : elles ont dénoncé son image uniforme et l’abondance des non-lieux dans lesquels la vie est remise en cause en tant que valeur. Mais on va voir aussi que d’autres penseurs, qui s’intéressent à l’esthétique de la seconde moitié de ce siècle, ont créé des concepts auxquels les œuvres étudiées ici offrent des réponses tout à fait pertinentes.
Simulacre et parodie
40La scène d’ouverture de To Be Or Not To Be (1942), une comédie d’Ernst Lubitsch, présente l’intérêt de mettre en relation deux notions appartenant au champ de l’esthétique à partir d’un dispositif dramatique extrêmement simple. Adolf Hitler en grand uniforme, l’air sombre, fait les cent pas sans prononcer un mot sur un trottoir du centre-ville de Varsovie. Mirabile uisu, car comme l’explique un narrateur en voix-off, on se trouve en août 1939, peu avant l’invasion de la Pologne par les nazis : peut-on imaginer piéton plus improbable ? La solution de cette énigme intrigante est rapidement présentée : on monte au théâtre un drame sur le péril nazi. Mais comme Dobosh, l’auteur de la pièce ne trouve pas l’acteur principal, Bronsky, très ressemblant au Führer qu’il est pourtant censé incarner, celui-ci, piqué au vif, sort faire les cent pas sur le trottoir, espérant susciter l’émotion des passants. Il y a ici à la fois simulacre, puisque les passants vont découvrir que ce n’est pas Hitler qui se pavane devant eux, mais le comédien Bronsky, à qui une petite fille demande finalement un autographe, et parodie, puisque cet Adolf Hitler aussi vrai que nature rejoint le Hinkel du Dictateur61 dans la série des imitations ridicules du Führer que décline le cinéma américain de propagande des années 1940.
41Ces procédés de représentation du monde par l’art se sont intensifiés au cours du XXe siècle, et pas seulement dans le domaine artistique, au point de masquer totalement la réalité. Les conséquences les plus notables de cette évolution sont une fictionnalisation du monde.
La carte et le territoire
42Comme l’affirme une fameuse formule, « la carte n’est pas le territoire62 ». Cependant, depuis la fin du XIXe siècle, la fantaisie cartographique tire de ce constat de l’écart entre la représentation et son référent des conclusions qui dénoncent le caractère arbitraire et le non-sens de cette relation : la carte n’a vraiment rien à voir avec le territoire qu’elle représente. Ainsi, Lewis Carroll fait figurer dans The Hunting of the Snark63 une carte de l’océan qui représente le vide inhabité par le blanc de la page. Un autre amateur de mappemondes, Jorge Luis Borges, imagine dans un texte qu’il attribue à un auteur fictif du XVIe siècle espagnol, Suarez Miranda : « De la rigueur de la science », une carte de l’empire à l’échelle 1/1, double exact, de même dimension, mais plan, de l’espace représenté. Cette carte est trop grande pour être manipulée, et elle dissimule le territoire cartographié en le recouvrant complètement. Finalement, « Dans les Déserts de l’Ouest, subsistent des Ruines en lambeaux de la Carte, habitées par des Animaux et des Mendiants. Dans tout le Pays, il n’y a plus d’autres reliquats des Disciplines Géographiques64. » Le sociologue Jean Baudrillard, citant cette carte, en fait un symbole de notre rapport au réel :
Le territoire ne précède plus la carte, ni ne lui survit. C’est désormais la carte qui précède le territoire – précession des simulacres –, c’est elle qui engendre le territoire et s’il fallait reprendre la fable, c’est aujourd’hui le territoire dont les lambeaux pourrissent lentement sur l’étendue de la carte. C’est le réel, et non la carte, dont les vestiges subsistent çà et là, dans les déserts qui ne sont plus ceux de l’Empire, mais le nôtre. Le désert du réel lui-même65.
43Les travaux de Jean Baudrillard portent sur la société de consommation au XXe siècle et l’environnement dans lequel nous vivons. Selon lui, la surabondance des représentations du réel créées pour la publicité, la propagande politique et le divertissement ont abouti à une véritable déréalisation du réel. Cette déréalisation contribue à une véritable déconnexion de la carte par rapport au territoire, l’une devenant comme hostile à l’autre, au point de l’annuler. Baudrillard conçoit ce conflit, qui se résout dans la destruction du modèle par sa reproduction, à l’aide d’une image empruntée à l’astronomie, celle de la précession des équinoxes. Quand la représentation passe devant le référent réel, celui-ci se disloque : du réel ne reste qu’un vide ontologique et phénoménologique que l’image du désert représente de manière adéquate et frappante.
44Ce désert peut être celui de la « Zone », qui dans Gravity’s Rainbow, est le territoire du Reich vaincu qu’occupent les vainqueurs, et que traversent des convois de prisonniers, de rescapés et de réfugiés. Parmi eux, Enzian, à la tête du Schwarzkommando, une troupe de Héréros, indigènes de l’ancienne colonie allemande Südwestafrika (Namibie), qui construisent en secret une dernière fusée V-2. Ils cherchent à retourner aux origines mythiques de leur peuple par une auto-destruction qui les ramène au néant. Mais au cours du périple qui les conduit des ruines d’une usine secrète aux sites de lancements bombardés, le réel se défait sous leurs pas :
Ce n’est pas exactement l’aube, non, mais ce qui envahit, comme la lumière que tu crains de voir poindre une nuit à une heure trop profonde pour qu’on l’explique – ce qui submerge Enzian, c’est ce qui lui semble une révélation. […] oui, et maintenant, si nous étions, très bien, disons que nous sommes censés être les Kabbalistes par ici, disons que c’est notre véritable Destinée : être les érudits-magiciens de la Zone, avec quelque part un Texte à dépiauter, annoter, expliquer, masturber jusqu’à ce qu’il soit complètement mou et qu’il ait rendu sa dernière goutte… bien, nous avons admis– natürlich !–que ce Texte sacré devait être la Fusée, orururumo orunene la haute, l’ascendante, la morte, l’éblouissante, la grande (« orunene » que les enfants des Héréros de la Zone sont déjà en train de modifier en « omunene », le frère aîné)… notre Torah. Quoi d’autre ? Ses symétries, ses latences, sa délicatesse nous enchantaient et nous séduisaient tandis que le vrai Texte persistait, ailleurs, quelque part, dans son obscurité, notre obscurité… même à une telle distance du Südwest on ne va pas nous épargner l’ancienne tragédie des messages perdus, une malédiction qui ne nous lâchera jamais66…
45Pynchon propose ici la vision hallucinée d’un réel dont l’unité se révèle à Enzian et à ses compagnons sous la forme d’un texte sacré pourvu d’une signification occulte. Ce réel, la Zone, disparaît donc derrière cette tentative d’interprétation illusoire, car produite sous l’influence des amphétamines : « […] oui, depuis quelque temps Enzian se bourre de Pervitin nazie, comme si c’était du pop-corn au cinéma67 ». La citation des équivalents en héréro des épithètes de « notre Torah » accentue l’étrangeté de ce réel mis à distance par la perception paranoïaque qu’Enzian a de lui. La prise à partie du lecteur (contemporain de la grande peur de l’apocalypse nucléaire qui pourrait survenir, « some night ») et la crudité de la métaphore sexuelle tiennent du même procédé. Ainsi, le désert bien réel de l’Allemagne en ruines est masqué par un autre désert, celui des fantasmes d’Enzian.
46L’une des « villes invisibles » d’Italo Calvino dénonce sur un ton joyeux et avec humour le vide que recouvrent les ornements éphémères de la cité. Sofronia « se compose de deux moitiés de ville68 », l’une « fixe », l’autre « provisoire69 ». Mais de la ville « en pierre, en marbre et en ciment, avec la banque, les usines, les palais, l’abattoir, l’école et tout le reste70 » et celle « des tirs à la cible et des manèges, avec le cri suspendu dans la nacelle du huit volant la tête à l’envers71 », c’est la partie foraine qui reste à demeure. La moitié traditionnellement jugée indispensable, la ville économique et administrative, est celle que l’on démonte un jour et qui repart sur les routes, jusqu’à son prochain retour. Par le renversement du préjugé faisant de la foire un divertissement ponctuel et inessentiel, Calvino subvertit la doxa et critique implicitement la vanité inhérente à toute organisation de la vie humaine dans les grands centres urbains. « Les manœuvres enlèvent les frontons de marbre, descendent les murs de pierre, les pylônes de ciment, démontent le ministère, le monument, les docks, la raffinerie de pétrole, l’hôpital, les chargent sur des remorques72 » et l’espace qu’ils couvraient reste vide, comme un champ de foire à la morte-saison.
47Ainsi, le réel du sociologue comme celui des écrivains du corpus semblent tous deux désertés : le réel est détruit par les représentations qui en sont faites, et ce qu’exhibe alors le discours contemporain, c’est la facticité des images sous lesquelles on veut dissimuler ce vide angoissant.
La parodie du réel
48L’idée d’une interprétation unique et cohérente du réel qui repose sur sa négation en tant que réalité peut être rapprochée de la dénégation, au sens psychanalytique. Mais l’attitude de refus de la réalité par le recours à la fiction n’a rien d’un nihilisme.
49Tout d’abord, il est intéressant de relever que l’idée de « désert du réel » a connu grâce à un film assez remarqué une popularité très paradoxale. Il s’agit d’une réplique que cite le philosophe Slavoj Žižek dans un article, mais sans noter qu’elle est un hommage à Baudrillard. En effet, ce film, The Matrix, d’Andy et Larry Wachowski (1999), est un thriller dans lequel la réalité est un masque illusoire créé par des machines qui ont pris le pouvoir sur terre. Neo, un informaticien surdoué qui cache des substances illicites dans un exemplaire évidé de Simulacra & Simulations – citation de l’ouvrage de Jean Baudrillard73, est convaincu par la résistance de quitter la réalité virtuelle créée par « la Matrice » afin de prendre part au combat contre les machines :
lorsque le héros (interprété par Keanu Reeves) se réveille dans la « vraie réalité », il ne voit plus qu’un paysage dévasté et recouvert de ruines calcinées : les restes de Chicago après une guerre planétaire. Morpheus, le chef de la résistance, lui réserve alors une salutation ironique : « Bienvenue dans le désert du réel74. »
50Ici, Žižek insère une réplique à la place d’une autre (« Bienvenue dans le monde réel »), mais toutes les deux sont dites à Neo par Morpheus en guise d’introduction à ses révélations. Ces citations de Jean Baudrillard ont donné aux écrits de ce philosophe une visibilité médiatique plus diffuse, mais ils font dans ce film l’objet d’un malentendu. Le « désert du réel » serait plutôt le paravent illusoire de la réalité virtuelle créé par « la Matrice » que le monde qu’il dissimule, couvert de ruines et dénué de toute trace de vie. Žižek compare néanmoins la stupéfaction du héros à la nôtre, quand nous fûmes témoins des attentats de 2001 contre le World Trade Center, rivés à nos écrans de télévision :
Quelque chose du même ordre n’a-t-il pas eu lieu à New York le 11 septembre ? Ses habitants ont été confrontés au « désert du réel ». Et, corrompus que nous sommes par Hollywood, le paysage et les images des tours qui s’effondraient ne pouvaient pas ne pas nous rappeler les scènes les plus haletantes des superproductions catastrophe75.
51En faisant le lien entre une interprétation contemporaine, mais fausse, des concepts de Baudrillard et la hantise de la destruction de New York dont témoigne le cinéma américain76, Slavoj Žižek met en évidence le fait que les simulacres qui constituent la réalité quotidienne ont une telle emprise sur notre imaginaire que lorsqu’apparaît ce qu’ils dissimulent, on croit voir entrer la fiction dans le domaine du réel.
Bien au contraire, c’est avant que le World Trade Center ne s’effondre que nous vivions dans une réalité sociale où nous ne percevions pas les horreurs du tiers-monde comme partie intégrante de la réalité (la nôtre) mais uniquement sous forme d’apparitions spectrales télévisées. Ce qui a eu lieu le 11 septembre, c’est l’entrée de cet écran fantasmatique dans notre réalité77.
52Par cette citation d’un film et ce rappel d’un événement historique, Slavoj Žižek peut engager une discussion sur les interprétations psychanalytiques de ce type de révélation d’une réalité tellement impensable qu’elle semble d’abord faire partie de la fiction.
53Mais cette étude de la « passion du réel78 » concerne moins directement notre approche de la fiction littéraire et de son rapport à un réel contemporain qui semble dénué de forme et de consistance. Les analyses du philosophe slovène sur le cinéma récent mettent d’abord en évidence l’enchevêtrement de diverses sortes de simulacres dans une réalité qui oscille sans cesse entre plusieurs degrés et styles de fiction. Et par cette continuation des travaux de Jean Baudrillard, Slavoj Žižek radicalise le propos de ce dernier. Alors que son concept de précession des simulacres le conduisait à une posture de scepticisme inquiet, la position de Žižek semble plus optimiste. Selon le premier, comme le simulacre précède, c’est-à-dire passe devant la réalité et masque la société qui le produit, nous sommes entrés dans « l’ère des simulacres et de la simulation, où il n’y a plus de Dieu pour reconnaître les siens, plus de Jugement Dernier pour séparer le faux du vrai, le réel de sa résurrection artificielle, car tout est déjà mort et ressuscité d’avance79 ». Affirmant aussi qu’« il ne s’agit plus d’imitation, ni de redoublement, ni même de parodie. Il s’agit d’une substitution au réel des signes du réel80 », Jean Baudrillard écarte d’un revers de main la notion de parodie qui définit, sinon un genre, au moins une tonalité littéraire.
54Car le second critique sur lequel je fonde mon analyse, Slavoj Žižek, s’intéresse d’abord à des exemples de confusion entre le référent réel et sa représentation fictive dans des œuvres de cinéma. Or si la confusion est possible, il y a bien une relation mimétique entre le fictionnel et le réel, et la confusion se ramène à la question de savoir qui imite qui. En sous-estimant cela, Jean Baudrillard est victime de la situation qu’il dénonce et il est lui aussi englouti par les simulacres. Les réserves qu’exprime à son sujet le géographe américain Edward Soja dans Thirdspace me semblent parfaitement justes : « Quant à savoir si Baudrillard lui-même croit que nous sommes entrés dans ce nouvel âge holistique, ou s’il nous teste stratégiquement en nous faisant voir des signes exagérés du risque que ce dernier absorbe tout, la question reste posée81. » Or, stratégie ou pas, Baudrillard s’engage trop avant dans sa théorie, au point de refuser l’évidence.
55Il y a parodie en effet parce que ces paroles écrites pour être chantées sur un air connu (παρα- : à côté, contre, ᾤδη : chant) entrent immédiatement en concurrence avec leur modèle. La gravité du propos de Jean Baudrillard n’est pas incompatible avec la parodie, dans la mesure où Gérard Genette distingue dans Palimpseste, son essai sur la transtextualité, trois régimes de transformation textuelle, dont la parodie correspond au régime ludique mais se trouve sur le même plan que la transposition, considérée comme sérieuse82. Cette catégorie est contestée83, mais elle permet de rendre compte des reprises hypertextuelles de grands corpus mythiques dont la visée n’est globalement ni satirique ni comique. On peut citer Mikhaïl Bakhtine à l’appui de Gérard Genette lorsque, analysant dans la seconde étude d’Esthétique et théorie du roman un cas particulier de dialogisme romanesque, celui des romans grecs antiques, il reconnaît : « Sans doute existe-t-il dans la littérature mondiale beaucoup d’œuvres dont nous ne soupçonnons même pas le caractère parodique84. » Ainsi, la parodie peut ne pas être drôle, en raison de sa visée propre : il s’agit alors d’une transposition sérieuse, mais aussi en raison de la relative méconnaissance qu’a le lecteur de son contexte. Ce qui distingue alors la parodie du pastiche, souvent confondus, est leur rapport à l’hypotexte, ainsi que le rappelle Maxime Abolgassemi dans une mise au point très éclairante : la parodie et le pastiche ont en commun la visée satirique mais si l’on met sur le même plan le pastiche de Jean-Henri Fabre par Paul Reboux et la parodie de l’Énéide que réalise Scarron dans le Virgile travesti, « la charge (imitation) et le travestissement (transformation) sont alors abusivement confondus85 ».
56La parodie transforme donc son modèle, alors que le pastiche se veut fidèle à son hypotexte. C’est donc bien à une forme de parodie sérieuse que peut être assimilée l’impression de familiarité dérangeante qui nous saisit lorsqu’on ne sait plus très bien si c’est Hollywood qui imite la réalité ou l’inverse. Jean Baudrillard l’a décrite dans la notion de simulation ou d’invasion du réel par les simulacres, et Slavoj Žižek l’analyse, se référant à Jacques Lacan, comme la « traversée du fantasme86 ».
57Mais les auteurs de mon corpus ont aussi recours à la parodie, doublant leur discours fictionnel mimétique d’un discours métamorphique, qui transforme un hypotexte qui leur sert de modèle et ouvre par là une voie pour le commentaire de la réalité référentielle, de l’imitation dont ils sont les auteurs, et du rapport entre cette fiction et son référent. En faisant usage du métalangage au sein de leur propre discours et en entretenant un rapport volontiers irrespectueux avec leurs modèles, Echenoz, Calvino, Ransmayr et Pynchon correspondent à la plupart des définitions du postmodernisme en littérature, notamment à l’une des premières, due à Ihab Hassan, qui énumère dans un passage de l’introduction du Postmodern Turn : « […] indétermination et immanence, ubiquité des simulacres, […] une approche en patchwork ou ludique, transgressive ou déconstructive du savoir et de l’autorité, une conscience du moment ironique, parodique, réflexive et fantastique87 ».
58En effet, les textes qui se retrouvent transformés dans ces œuvres sont nombreux et variés, mais alors que certaines parodies sont très visibles, d’autres ne se laissent pas découvrir aisément. Ainsi, il est aisé de voir que Calvino procède dans Le città invisibili par augmentation de certaines scènes à peine décrites dans le Milione de Marco Polo. C’est le cas des ambassades et des messagers, motifs essentiels du livre de Calvino, puisqu’ils apparaissent au début et à la fin de presque chaque chapitre. Voici comment le texte du XIIIe siècle présente les coutumes à la cour de Khoubilaï : « Soyez aussi sûrs et certains que le seigneur envoie aussi ses émissaires par toute sa terre, ses royaumes et provinces pour savoir si ses gens ont fait de mauvaises récoltes à cause du temps, de la tempête ou de tel ou tel fléau88. » On trouve une version plus détaillée de cette scène dans le micro-cadre qui clôt le chapitre I du recueil : « Chargés d’inspecter les provinces reculées, les envoyés et les percepteurs du Grand Khan faisaient ponctuellement retour au palais de Kemenfu et aux jardins de magnolias à l’ombre desquels Kublai se promenait en écoutant leurs longues relations89. » Mais il parodie plus nettement son modèle, par la discordance des tonalités, lorsqu’il décrit les colères du Grand Khan contre son ambassadeur vénitien, là où le récit de voyage originel est un éloge constant de l’empereur mongol90.
59Dans Les Grandes Blondes, Jean Echenoz prend quelquefois pour hypotexte des scènes célèbres de films de Hitchcock. La référence est parfois explicite, comme lorsque Gloire Abgrall, après avoir assassiné Jean-Claude Kastner qui l’avait retrouvée par hasard, entreprend de se débarrasser de sa voiture en la jetant dans la mer du haut d’une falaise :
[elle] s’était calmé pendant qu’elle regardait couler le véhicule. Comme sous anesthésie, comme si la chute des corps lui procurait quelque apaisement, comme Anthony Perkins considérant le même spectacle en 1960 – sauf que l’auto de Kastner est une petite Renault beigeasse immatriculée dans le 94, et qui s’immerge docilement sans faire d’histoires, alors que celle de Janet Leigh était une grosse Ford blanche récalcitrante, plaque minéralogique NFB 41891.
60Le modèle dont s’inspire Jean Echenoz est Psychose d’Alfred Hitchcock, désigné par l’année de sa sortie sur les écrans et les noms de ses deux principaux acteurs. Mais la transformation fait de la grande blonde la meurtrière et non plus la victime, et l’industrie automobile française des années 1990 n’a rien à voir avec la production américaine des années 1960. Cette parodie permet à l’auteur de porter explicitement un regard désabusé sur son époque, et de montrer à quel point la fiction semble parfois influencer la réalité, du moins pour un observateur qui aurait le sens du détail.
61Gravity’s Rainbow, le plus long des quatre livres de notre corpus, est aussi celui qui présente le plus grand nombre de références parodiées. Thomas Pynchon ne laisse que l’embarras du choix, même si McHoul et Wills, deux critiques dont l’ouvrage a fait date, affirment que « ni la parodie, ni la satire, ni l’analogie ne suffisent à décrire les relations textuelles dans Gravity’s Rainbow, alors que le lecteur trouvera certainement des exemples de chaque92 ». Ainsi, Tyrone Slothrop, au cours de sa traversée de la Zone à la recherche de mystérieuses pièces de la fusée V-2, est parfois un peu découragé. Perdant sa quête de vue, il cherche à se motiver, mais c’est sur un air de chanson de comédie musicale qu’il retrouve toute son énergie :
Ouais ! ouais, ce qui est arrivé à Imipolex G, tout ce Jamf et ce S-Gerät, censé être un privé, moi, un dur à cuire, là, j’vais y aller tout seul et m’en sortir, venger l’ami qu’Ils m’ont tué, retrouver mes papiers et mettre la main sur ce mystérieux bout de ferraille, mais là, AUTANT ÊTRE …
À LA R’CHERCHE D’UNE AIGUILLE DANS UNE MEUUULE DE FOIN !
J’ccccherche quèque chose au clair de lune,
(Quèque chose) j’vais t’chopeeeer
Les pieds qui bruissent dans le chiendent et les herbes de la prairie, il fredonne exactement à la manière de Fred Astaire, à bout de souffle, levant le menton, pesant ses chances de jamais rencontrer encore Ginger Rogers de ce côté-ci de leur gracieuse mortalité …
Alors, claquant des doigts – non non, attends, t’es censé réfléchir froidement, mesurer tes choix, déterminer tes objectifs à ce tournant critique de ton …
Ya – ta-ta, À LA R’CHERCHE D’UNE AIGUILLE DANS UNE –
Non non non, allez mon vieux, arrête de déconner, tu dois te concentrer93…
62Le caractère parodique de la scène est explicitement assumé par le personnage qui, en imitant l’acteur et danseur vedette des musical films des années 1940, pense à sa fameuse partenaire. Mais l’inanité des paroles de sa chanson improvisée et l’intonation transcrite par diverses onomatopées contrastent avec le traitement réservé à la plupart des autres chansons du roman, dont l’accompagnement musical (« Just a daredevil Desox-yephedrine Daddy94 … »), la répartition des voix (« The Penis He Thought Was His Own95 ») et même la mise en scène (« Loonies on Leave !96 »), sont parfois notés en marge. Et surtout leurs textes reprennent de nombreux clichés de la chanson populaire pour traiter des motifs grotesques et originaux (« My Doper’s Cadenza97 », ou encore « Bright Days for the Black Market98 »).
63On voit bien ici et dans les autres exemples convoqués, que la mise en fiction d’un réel qui semble manquer d’unité, de forme et de sens, passe notamment par sa parodie ou par la parodie d’autres textes (littéraires, documentaires ou cinématographiques) qui le représentent à un premier niveau.
64Ce premier chapitre a permis de mettre en correspondance des conceptions récentes du monde et de la société avec leur représentation fictionnelle. Notre monde ploie sous le trop-plein référentiel et l’espace social est envahi par des simulacres illusoires, ou par des non-lieux privant de consistance toute notion d’un corps social.
65Mais il faut retenir que, dans les textes du corpus, la représentation d’événements historiques, de l’espace, ou de l’humain, témoigne d’une prise de distance critique vis-à-vis du monde. Dans cet intervalle ménagé entre le monde et l’auteur se déploie un commentaire qui multiplie les niveaux de lecture possibles des œuvres du corpus. En proposant un point de vue très distancié sur le réel de référence, elles entrent ainsi dans un régime postmoderne, mais avant de le voir plus en détail, il faut étudier de plus près leur rapport à l’espace géographique.
Notes de bas de page
1 Thomas Pavel, La Pensée du roman, Paris, Gallimard, « NRF Essais », 2003, p 38-40.
2 Ibid., p 100.
3 Ibid., p 302-307.
4 Ibid., p 286.
5 Ibid., p 352.
6 Ibid., p 357-401.
7 Ibid., p 358.
8 Ibid., p 376.
9 Milan Kundera, L’Art du roman, Paris, Gallimard, « NRF », 1986, p. 34.
10 Cf. Milan Kundera, L’Art du roman, op. cit., p. 123-145 et Thomas Pavel, La Pensée du roman, op. cit., p. 388-391.
11 Joseph Conrad, Heart of Darkness (1902), Au cœur des ténèbres, trad. Jean Deurbergue, Paris, Gallimard, « Folio bilingue », 1996, p. 41. « It had become a place of darkness. » Ibid., p. 42.
12 Voir notamment Hannah Arendt, L’Impérialisme (1951, 1973), trad. Martine Leiris et Hélène Frappat, Paris, Seuil, « Points Essais », 2006, Edward W. Said, L’Orientalisme, L’Orient créé par l’Occident (1978, 2003), trad. Catherine Malamoud, Paris, Le Seuil, « La Couleur des idées », 2005, Jean-Marc Moura, L’Europe littéraire et l’ailleurs, Paris, Puf, « Littératures européennes », 1998.
13 Éric Dardel, L’Homme et la terre, Nature de la réalité géographique (1952), éd. par Philippe Pinchemel et Jean-Marc Besse, Paris, CTHS, « Format 6 », 1990, p. 13-14.
14 « [P] opular impressionistic observation that we occupy ‘ a shrinking world’« , Neil Smith, Uneven Development: Nature, Capital and the Production of Space (1990), Oxford, Blackwell, « Ideas », 1991, p. 93.
15 Bertrand Westphal, La Géocritique, Réel, fiction, espace, Paris, Éditions de Minuit, « Paradoxe », 2007, p. 139.
16 « Tout est dit, et l’on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu’il y a des hommes, et qui pensent », La Bruyère, Les Caractères (1673), Paris, Imprimerie nationale, « La Salamandre », 1998, p. 133.
17 Georges Perec, Espèces d’espaces (1974), Paris, Galilée, 1997, p. 21.
18 Ce « futur-dans-le-passé » est étudié par Michel Volkovitch qui relève sa forte fréquence dans Les Grandes Blondes : « une fois toutes les quinze pages ». Il qualifie ce temps verbal de « petite merveille d’ambiguïté », car il « permet de jeter sur l’action à venir l’ombre d’un doute, un léger voile d’irréalité dont la fiction se trouve comme nimbée ». On peut y voir aussi l’expression d’un détachement remarquable. Michel Volkovitch, « Les temps verbaux chez Jean Echenoz », Christine Jérusalem et Jean-Bernard Vray (éd.), Jean Echenoz : « une tentative modeste de description du monde », Saint-Étienne, Publications de l’université de Saint-Étienne, 2006, p. 272.
19 Jean Echenoz, Les Grandes Blondes, Paris, Éditions de Minuit, 1995, p. 93.
20 « Time-Space compression » est une expression récurrente dans la troisième partie de David Harvey, The Condition of Postmodernity : An Enquiry into the Origins of Cultural Change, Oxford – Cambridge (Mass.), Blackwell, 1990, p. 201-325. L’auteur détaille notamment les causes et les conditions du « rétrécissement du globe » ou « shrinking globe » dont il étudie une image popularisée par la publicité : une série de mappemondes de taille décroissante symbolisant l’accélération des transports et des communications entre 1500 et les années 1960. Voir ibid., p. 241-242.
21 Karl Marx, Fondements de la critique de l’économie politique (« Grundrisse ») 3, Chapitre du Capital (suite) (1953), trad. Roger Dandeville, Paris, UGE, « 10/18 », 1968, p. 59.
22 « The so-called shrinking world is not merely an effect of generalized progress of modernization but the specific necessity of the mode of production based on the relation between labour and capital. », Neil Smith, Uneven Development: Nature, Capital and the Production of Space, op. cit., p. 94.
23 Italo Calvino, Les Villes invisibles, trad. Jean Thibaudeau, Paris, Le Seuil, « Points », 1996, p. 149. « Era la prima volta che venivo a Trude, ma conoscevo già l’albergo in cui mi capitò di scendere ; avevo già sentito e detto i miei dialoghi con compratori e venditori di ferraglia », Le città invisibili (1972), Milan, Mondadori, « Oscar », 1993, p. 129.
24 Italo Calvino, Les Villes invisibles, op. cit., p. 149. « Il mondo è ricoperto da un’unica Trude che non comincia e non finisce », Le città invisibili, op. cit., p. 129.
25 Voir Edward Mendelson, « Gravity’s Encyclopedia », Georges Levine and David Leverenz (dir.), Mindful Pleasures: Essays on Thomas Pynchon, Boston, Little, 1976, p. 161-196.
26 Thomas Pynchon, L’Arc-en-ciel de la gravité (1988), trad. Michel Doury, Paris, Le Seuil, « Fiction & Cie », 2007, p. 169: « Prophet and architect of the cartelized state », Gravity’s Rainbow (1973), New York, Penguin Books, « Great Books of the Twentieth Century », 2000, p. 167.
27 Ibid., p. 170. « The very substance of death », Gravity’s Rainbow, op. cit., p. 169.
28 « The real movement is not from death to any rebirth. It is from death to death-transfigured. The best you can do is to polymerize a few dead molecules. […] You think you’d rather hear about what you call ‘life’: the growing, organic Kartell. But it’s only another illusion. A very clever robot. The more dynamic it seems to you, the more deep and dead, in reality, it grows. » Ibid.
29 Une de ses nouvelles de jeunesse porte ce titre et l’auteur développe sans le dire explicitement, dans un passage du chapitre V de The Crying of Lot 49, un commentaire des travaux de Claude Shannon et Warren Weaver qui ont contribué, peu après Alan Turing, à définir la notion d’entropie dans les théories de l’information. Cf. Thomas Pynchon, Entropy, Slow Learner, Boston, Little, Brown & Company, 1984, p. 79-98, et The Crying of Lot 49 (1966), Londres, Vintage, 1996, p. 72-75.
30 Jean Echenoz, Les Grandes Blondes, op. cit., p. 179.
31 Ibid., p. 180.
32 Ibid.
33 Ce genre d’hypothèse est plus sérieusement démontré dans une fameuse étude romancée sur la criminalité organisée en Campanie : Roberto Saviano, Gomorra, Dans l’empire de la camorra (2006), trad. Vincent Raynaud, Paris, Gallimard, 2007.
34 Jean Echenoz, Les Grandes Blondes, op. cit., p. 180.
35 Voir notamment ses ouvrages Poétique de la ville (1971), Paris, Payot & Rivages, « Petite Bibliothèque Payot », 2004, Les Gens de peu (1991), Paris, Puf, « Quadrige », 2002, Le Goût de la conversation, Paris, Desclée de Brouwer, 2003.
36 Marc Augé, Non-Lieux, Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Paris, Le Seuil, « La Librairie du XXe siècle », 1992, p. 43.
37 Ibid., p. 44.
38 Ibid., p. 46. Dans le premier chapitre de cet essai, Marc Augé identifie les « trois figures de l’excès » qui caractérisent la surmodernité : « la surabondance événementielle, la surabondance spatiale et l’individualisation des références », ibid., p. 55.
39 Ibid., p. 45.
40 Michel de Certeau, L’Invention du quotidien, 1. Arts de faire, Paris, Gallimard, « Folio Essais », 1990, p. 173.
41 Marc Augé, Non-Lieux, op. cit., p. 69.
42 Ibid., p. 74.
43 Ibid., p. 101.
44 Ibid., p. 100-101.
45 Italo Calvino, Les Villes invisibles, op. cit., p. 109. « I tuoi passi rincorrono ciò che non si trova fuori degli occhi ma dentro, sepolto e cancellato : se tra due portici uno continua a sembrarti più gaio è perché è quello in cui passava trent’anni fa una ragazza dalle larghe maniche ricamate. » Le città invisibili, op. cit., p. 92.
46 Ibid., p. 161. « […] reticoli senza principio né fine, città a forma di Los Angeles, a forma di Kyoto-Osaka, senza forma », Le città invisibili, op. cit., p. 140.
47 Jean Echenoz, Je m’en vais (1999), Paris, Éditions de Minuit, « Double », 2001, p. 86-91 et p. 153-156.
48 Jean Echenoz, Au piano, Paris, Éditions de Minuit, 2003, p. 111-144.
49 Jean Echenoz, Les Grandes Blondes, op. cit., p. 101.
50 Marc Augé, Non-Lieux, op. cit., p. 100.
51 J’emprunte cette brachylogie à Primo Levi, Si c’est un homme (1947), Paris, Pocket, 2003.
52 Agamben développe une argumentation qui dérange parce qu’elle fait correspondre des rites anciens, comme la deuotio (sacrifice volontaire d’un soldat au cours du combat, qui s’offre aux puissances infernales) à des événements récents. Il accorde au Lager une extension frappante : « On appellera donc camp aussi bien le stade de Bari où, en 1991, la police italienne entassa provisoirement les immigrés albanais clandestins avant de les renvoyer dans leur pays, que le Vélodrome d’Hiver où les autorités de Vichy rassemblèrent les juifs avant de les remettre aux Allemands. » Giorgio Agamben, Homo Sacer, I. Le Pouvoir souverain et la vie nue (1995), trad. Marilène Raiola, Paris, Le Seuil, « L’Ordre philosophique », 1997, p. 187.
53 Ibid., p. 183.
54 Ibid., p. 92.
55 Thomas Pynchon, L’Arc-en-ciel de la gravité, op. cit., p. 423. « He knew about Nordhausen, and the Dora camp: he could see — the starved bodies, the eyes of the foreign prisoners being marched to work at four in the moring in the freezing cold and darkness, the shuffling thousands in their striped uniforms. » Gravity’s Rainbow, op. cit., p. 435.
56 Thomas Pynchon, L’Arc-en-ciel de la gravité, op. cit., p. 427-428. « The odors of shit, death, sweat, sickness, mildew, piss, the breathing of Dora, wrapped him as he crept in staring at the naked corpses being carried out now that America was so close, to be stacked in front of the crematoriums, the men’s penises hanging, their toes clustering white and round as pearls… each face so perfect, so individual, the lips stretched back into death-grins, a whole silent audience caught at the punch line of the joke… and the living, stacked ten to a straw mattress, the weakly crying, coughing, losers… All his vacuums, his labyrinths, had been the other side of this. While he lived, and drew marks on paper, this invisible kingdom had kept on, in the darkness outside… all this time… » Gravity’s Rainbow, op. cit., p. 439-440.
57 Christoph Ransmayr, Le Syndrome de Kitahara, trad. Bernard Kreiss, Paris, Albin Michel, « Les Grandes Traductions », 1997, p. 33. « Blinde Züge erreichten diesen Banhof nie. Blind, das bedeutete : ohne Fenster, bedeutete : ein Zug ohne Beschilderung und Hinweis auf Herkunft und Ziel. Blind, das waren die geschlossenen Güter-und Viehwaggons der Gefangenenzüge. Allein auf den Plattformen, in den Bremserhäuschen und manchmal auf den rußigen Dächern waren Menschen zu sehen, Aufseher, Soldaten. Vor solchen Zügen klirrte die Weiche nach links. Dann rollten auch sie abwärts, an ein Staubbedecktes Ufer, das undeutlich in der Ferne lag. An das Ufer des Steinbruchs. » Morbus Kitahara (1995), Francfort-sur-le-Main, Siegfried Fischer, « Fischer Taschenbuch », 1997, p. 31.
58 Ibid., p. 76. « In den ersten Augusttagen dieses Sommers, neun Jahre nach seiner Befreiung aus dem Barackenlager am Schotterwerk, kehrte der als Häftling Nr. 4273 zur Arbeit im Steinbruch greprügelte Fotograf Ambras an den See von Moor zurück. » Morbus Kitahara, op. cit., p. 73.
59 Ibid., p. 77. « [J] ene zum Skelett abgemagerte Elendsgestalt », « entlang des zerrissenen elektrischen Zauns », « seine Zebrakleider », Morbus Kitahara, op. cit., p. 73.
60 Dans l’édition allemande, voir en particulier : « einer dort eintätowierten Häftlingsnummer » (ibid., p. 69), « Schaukeln […] » (ibid., p. 173-175), « auf einem winterlichen Appellplatz […] » (ibid., p. 116), « einen Leichenstapel in einem weiß gekachelten Raum, einen Krematoriumsofen […] » (ibid., p. 145). Dans la traduction française : « le matricule de détenu tatoué à cet endroit » (Christoph Ransmayr, Le Syndrome de Kitahara, op. cit., p. 73), « la balançoire […] » (ibid., p. 180), « sur une place d’appel hivernale […] » (ibid., p. 121), « des cadavres entassés dans une salle carrelée, un four crématoire […] » (ibid., p. 152).
61 Charles Chaplin, The Great Dictator, United Artists, 1940.
62 Alfred Korzybski, fondateur de la « sémantique générale », emploie l’image des rapports entre carte et territoire pour présenter (dans un article d’encyclopédie) « les prémisses du système non-aristotélicien : 1) Une carte n’est pas le territoire. 2) Une carte ne représente pas tout le territoire. 3) Une carte est auto-réflexive, en ce sens qu’une carte “idéale” devrait inclure une carte de la carte, etc., indéfiniment », Alfred Korzybski, « La sémantique générale » (1949), Une carte n’est pas le territoire, Paris, L’Éclat, 2001, p. 112.
63 Lewis Carroll, The Hunting of the Snark: An Agony in Eight Fits, Londres, Macmillan, 1876. Cette carte est citée par Georges Perec en exergue d’Espèces d’espaces, op. cit., p. 10.
64 Jorge Luis Borges, « De la rigueur de la science » (1946), L’Auteur (1960), Œuvres complètes, t. II, éd. par Jean Pierre Bernès, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1999, p. 57.
65 Jean Baudrillard, Simulacres et simulation, Paris, Galilée, 1981, p. 10.
66 « There doesn’t exactly dawn, no but there breaks, as that light you’re afraid will break some night at too deep an hour to explain away—there floods on Enzian what seems to him an extraordinary understanding. […] yes and now what if we—all right, say we are supposed to be the Kabbalists out here, say that’s our real Destiny, to be the scholar-magicians of the Zone, with somewhere in it a Text, to be picked to pieces, annotated, explicated, and masturbated till it’s all squeezed limp of its last drop… well we assumed—natürlich!—that this holy Text had to be the Rocket, orururumo orunene the high, rising, dead, the blazing, the great one (“orunene” is already being modified by the Zone-Herero children to “omunene,” the eldest brother)… our Torah. What else? Its symmetries, its latencies, the cuteness of it enchanted and seduced us while the real Text persisted, somewhere else, in its darkness, our darkness… even this far from Südwest we are not to be spared the ancient tragedy of lost messages, a curse that will never leave us … » Thomas Pynchon, Gravity’s Rainbow, op. cit., p. 529.
67 Thomas Pynchon, L’Arc-en-ciel de la gravité, op. cit., p. 516. « […] yes Enzian’s been stuffing down Nazi surplus Pervitins these days like popcorn at the movies », Gravity’s Rainbow, op. cit., p. 530.
68 Italo Calvino, Les Villes invisibles, op. cit., p. 77. « Sofronia si compone di due mezze città. » Le città invisibili, op. cit., p. 63.
69 Ibid. « Una delle mezze città è fissa, l’altra è provvisoria. » Le città invisibili, ibid.
70 Ibid. « Di pietra e marmo e cemento, con la banca, gli opifici, i palazzi, il mattatoio, la scuola e tutto il resto. » Le città invisibili, ibid.
71 Ibid., p. 77-78. « Dei tirassegni e delle giostre, con il grido sospeso dalla navicella dell’ottovolante a capofitto. » Le città invisibili, ibid.
72 Ibid., p. 77. « I manovali staccano i frontoni di marmo, calano i muri di pietra, i piloni di cemento, smontano il ministero, il monumento, i docks, la raffineria di petrolio, l’ospedale, li caricano sui rimorchi. » Le città invisibili, ibid.
73 La seconde traduction en anglais (par Sheila Faria Glaser) de Simulacres et simulation porte en effet ce titre. Elle est éditée à Ann Arbor (Mich.), par University of Michigan Press, 1994.
74 Slavoj Žižek, Bienvenue dans le désert du réel (2002), trad. François Théron, Paris, Flammarion, « Champs », 2007, p. 37.
75 Ibid.
76 Depuis La Planète des singes (Franklin J. Schaffner, The Planet of the Apes, 20th Century Fox, 1968) jusqu’à Je suis une légende (Francis Lawrence, I Am Legend, Warner Bros., 2007), en passant par New York 1997 (John Carpenter, Escape from New York, AVCO Embassy Pictures, 1981), de nombreux films ont en effet dépeint les ruines de New York. Voir aussi Bertrand Westphal, La Géocritique, Réel, fiction, espace, op. cit., p. 179-180.
77 Slavoj Žižek, Bienvenue dans le désert du réel, op. cit., p. 38-39.
78 Ibid., p. 41-60.
79 Jean Baudrillard, Simulacres et simulation, op. cit., p. 17.
80 Ibid., p. 11.
81 « But whether Baudrillard himself believes we have irresistibly entered this holistic new age or is instead strategically challenging us with exaggerated signals of its impending total absorption is still open to question. » Edward W. Soja, Thirdspace: Journeys to Los Angeles and Other Real-and-Imagined Places, Oxford, Blackwell, 1996, p. 244.
82 Voir Gérard Genette, Palimpsestes, La Littérature au second degré (1982), Paris, Le Seuil, « Points Essais », 1983, p. 45. Les deux autres régimes de transformation textuelle sont le régime ludique et le régime satirique. Mais leur démarche est commune : il s’agit de reprendre un texte identifié pour le transformer. La transformation s’oppose à la démarche mimétique à laquelle ressortit le pastiche dont Genette affirme clairement l’imperméabilité à toute sorte de travestissement.
83 Voir Daniel Sangsue, La Relation parodique, Paris, José Corti, 2007.
84 Mikhaïl Bakhtine, Esthétique et théorie du roman (1975), trad. Daria Olivier, Paris, Gallimard, « Tel », 1978, p. 189-190.
85 Maxime Abolgassemi, « Parodie et pastiche : un brouillage persistant », Fabula : La Recherche en littérature, Atelier de théorie littéraire,, 2008, § 2, [en ligne] <http://www.fabula.org/atelier.php?Parodie_et_pastiche%3A_un_brouillage_persistant>.
86 Slavoj Žižek, Bienvenue dans le désert du réel, op. cit., p. 40.
87 « Indeterminacy and immanence; ubiquitous simulacra, […] a patchwork or ludic, transgressive, or deconstructive, approach to knowledge and authority; an ironic, parodic, reflexive, fantastic awareness of the moment », Ihab Hassan, The Postmodern Turn: Essays in Postmodern Theory and Culture, Colombus, Ohio State University Press, 1987, p. xvi.
88 Marco Polo, La Description du monde, éd. et trad. de la rédaction française due à Thibaut de Cepoy par Pierre-Yves Badel, Paris, LGF, « Le Livre de poche – Lettres gothiques », 1998, p. 251.
89 Italo Calvino, Les Villes invisibles, op. cit., p. 29. « Inviati a ispezionare le remote province, i messi e gli esattori del Gran Kan facevano ritorno puntualmente alla reggia di Kemenfù e ai giardini di magnolie alla cui ombra Kublai passeggiava ascoltando le loro lunghe relazioni », Le città invisibili, op. cit., p. 21.
90 Selon Sylvie Bazin-Tachella, Le Devisement du monde relève d’« une mise en œuvre littéraire particulièrement retorse et mythifiante de l’empire mongol dans un ouvrage à la paternité incertaine », Sylvie Bazin-Tachella, « Les Mongols dans les récits de voyage de la seconde moitié du XIIIe siècle : démythification et utopie », Claude Thomasset et Danièle James-Raoul (éd.), En quête d’Utopies, Paris, Presses de l’université Paris-Sorbonne, « Cultures et civilisations médiévales », 2005, p. 255.
91 Jean Echenoz, Les Grandes Blondes, op. cit., p. 51.
92 « Neither parody, satire, nor analogy is sufficient to describe textual relations in Gravity’s Rainbow, though the reader will certainly find examples of each », Alec McHoul and David Wills, Writing Pynchon: Strategies in Fictional Analysis, Basinstoke, Macmillan, 1990, p. 57.
93 « Yeah ! yeah what happened to Imipolex G, all that Jamf a-and that S-Gerät, s’posed to be a hardboiled private eye here, gonna go out all alone and beat the odds, avenge my friend that They killed, get my ID back and find that piece of mystery hardware but now aw it’s JUST LIKE —/LOOK-IN’FAWR A NEEDLE IN A HAAAAY-STACK !/Sssss — searchinfrasomethin’ fulla moon-beams,/(Something) got ta have yoooou !/Feet whispering through weeds and meadow grass, humming along exactly the breathless, chin-up way Fred Astaire did, reflecting on his chances of ever finding Ginger Rogers again this side of their graceful mortality…/Then, snapping back — no no, wait, you’re supposed to be planning soberly now, weighing your options, determining your goals at this critical turning point in your…/Ya — ta-ta, LOOKIN’F’R A NEEDLE IN A —/Nonono come on, Jackson, quit fooling, you got to concentrate … » Thomas Pynchon, Gravity’s Rainbow, op. cit., p. 571.
94 Ibid., p. 531.
95 Ibid., p. 219.
96 Ibid., p. 262.
97 Ibid., p. 699.
98 Ibid., p. 504 et p. 595.
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