Introduction
p. 17-36
Texte intégral
1Une carte en relief du massif de la Jungfrau modelée dans le ciment, trop grosse pour quitter la pièce où on l’a construite. Le peroxyde d’azote, carburant pour fusées et qu’on emploie d’ordinaire pour se décolorer les cheveux. Une limousine Studebaker dont la carrosserie a la forme d’un oiseau de proie, toutes griffes dehors, mais qui ne circule que sur les routes défoncées d’un canton de montagne. Un renflement situé au centre exact d’une ville, qui contient tout le devenir de celle-ci, et qui grossit au point de repousser en périphérie l’ancien centre et de le remplacer… On rencontre dans ses lectures bien des objets singuliers. Ceux-ci sont mentionnés par Gravity’s Rainbow, de Thomas Pynchon, Les Grandes Blondes de Jean Echenoz, Morbus Kitahara de Christoph Ransmayr et Le città invisibili d’Italo Calvino. Ils ouvrent la fiction à des espaces étranges qui mettent en crise la notion de territoire. Or j’étudie ici la représentation de l’espace géographique dans ces quatre fictions postmodernes.
2La postmodernité désigne l’époque, le système économique, politique, social et culturel (l’adjectif « postmoderne » étant précisément à l’origine de ce substantif), quant au postmodernisme, il s’agit plutôt d’un ensemble, courant de pensée et mouvement esthétique à la fois, contemporain de cette période et conscient de sa signification dans l’histoire. C’est ainsi que selon leur discipline, les spécialistes s’intéressent plutôt au postmodernisme qu’à la postmodernité : David Harvey, géographe, intitule son essai The Condition of Postmodernity (1990), et le théoricien de la littérature Brian McHale étudie dans Postmodernist Fiction (1987) la fiction postmoderne, ou postmoderniste (la distinction est de mise en anglais).
3Le postmodernisme est un mouvement qui, sur la critique des idéaux valorisés par la pensée moderne, élève une riche reconstruction fondée sur le pluralisme. Pour définir simplement le postmodernisme littéraire, il suffirait de dire que c’est une esthétique qui privilégie l’écart et la distorsion. La chronologie est souvent bousculée, des lieux réels côtoient des lieux imaginaires, l’usage du pastiche mélange les genres et les références littéraires convoquées dans des œuvres qui les malmènent, et tout principe unifiant est remis en doute (au risque de la paranoïa, thème important ici).
4Mais cette esthétique refuse en même temps de définir explicitement une théorie sur laquelle elle pourrait se fonder. Cela permet des affiliations, certes pratiques, mais également fragiles. Dans son Apostille au Nom de la rose, Umberto Eco considère le postmodernisme comme un « maniérisme en tant que catégorie méta-historique »1. Identification fructueuse parce qu’elle rend compte avec exactitude d’une des caractéristiques fondamentales du postmodernisme : son goût pour la parodie et l’allusion ironique. Car selon Umberto Eco, l’attitude postmoderne consiste à dépasser l’avant-garde, ses réalisations tout comme ses idéaux, par la citation ironique, ce qui est maniériste car cela correspond au refus d’une attitude naïve.
5Pour autant, le maniérisme des années 1960-1990 que serait le postmodernisme ne se réduit pas à un style ou un courant esthétique. Sa dimension politique l’inscrit dans un contexte historique dont la singularité doit être affirmée. De nombreux artistes et théoriciens que l’on peut considérer comme des postmodernistes se sont ainsi sensiblement impliqués au côté des mouvements d’affirmation des minorités qui partagent les mêmes références théoriques (Foucault, Deleuze, Derrida, pour ne citer que les plus connus), même s’ils récusent la pertinence de la notion de postmodernisme. Et les mouvements d’action en faveur de l’écologie ou contre la mondialisation, comme en témoignent les travaux de Toni Negri ou Hakim Bey, revendiquent les mêmes sources théoriques2. Reconnaissons au moins que « postmoderne », même si ce n’est qu’une étiquette, a le mérite de permettre d’identifier en un mot ce qu’il serait difficile de présenter autrement que par de longues explications. De plus, les auteurs postmodernes ont en commun un certain nombre de refus : la prétention à avoir raison, à édifier des normes ou à s’y soumettre, et plus généralement les discours univoques3.
6Ruggero Campagnoli rappelle en outre que les contradictions apparentes dans la définition du postmodernisme ne sont en fait que deux interprétations opposées de la même notion :
La plus connue est l’interprétation progressiste, anti-totalitaire, anti-élitaire, déconstructionniste et ludique, qui considère le postmodernisme comme un hypermodernisme. Non moins intéressante, toutefois, est l’interprétation conservatrice, qui nous vient avant tout de la tradition hispanique, qui attire l’attention sur un postmodernisme conservateur, réagissant à l’anarchie et à la crise du modernisme, vu comme décadence et dégénérescence culturelle4.
7Exarcerbation, ou rejet du modernisme, le postmodernisme vient en effet après celui-ci, et promeut un relativisme souvent considéré avec condescendance. Mais comme le postmodernisme ne dépasse pas le modernisme, il est perpétuellement en crise. En relativisant sa nouveauté, on peut mieux expliquer ses contradictions, et comprendre que des auteurs aussi difficiles à faire entrer dans la chronologie du postmodernisme que Franz Kafka ou même Lawrence Sterne puissent être appelés ses précurseurs.
8Le postmodernisme littéraire a fait l’objet d’ouvrages qui ont permis de le définir dans toute son ampleur5. Mon travail n’entend pas les dépasser ni les remplacer, parce que seule la fiction m’occupe ici, et aussi parce que je fais porter mon effort de recherche sur la représentation de l’espace et en particulier du territoire. Le terme de fiction, se référant non à un genre, mais à un rapport du texte au réel, permet de ne pas se heurter à la question du genre que les auteurs postmodernes contournent allègrement en valorisant dans leurs œuvres tous les mélanges. Le roman se fait chez eux jeu de cartes, dictionnaire ou édition critique d’un poème6. Les œuvres de mon corpus participent à divers genres, en particulier des genres romanesques, mais introduisent des éléments d’hétérogénéité qui empêchent de les définir comme tenant d’un seul genre en particulier.
9Ce livre consiste donc en une étude de la représentation de l’espace dans quatre exemples caractéristiques de la fiction postmoderne. Le postmodernisme semble un label attribué à des auteurs et à des livres très différents entre eux. Mais en choisissant des œuvres du début des années 1970 et du milieu des années 1990, j’ai fait en sorte de pouvoir délimiter les contours historiques du postmodernisme. Il est vrai que nul ne sait s’il est achevé, ou bien si nous vivons encore dans la postmodernité. Mais cette indécision est elle-même postmoderne, au sens faible du terme, car celui-ci sert couramment à qualifier toute situation d’incertitude que l’on croit pouvoir attribuer à la dévaluation de l’autorité des normes qui régissaient les arts, les sciences et la société dans son ensemble. Au sens fort du terme, l’époque postmoderne est celle de la plus récente remise en question de la valeur des Lumières et de la réalité des progrès qui, selon ses défenseurs, ont caractérisé l’ère moderne.
10Mais ce mouvement n’a jamais été défini par un manifeste, il n’a reconnu aucune école, et l’on peut remarquer qu’avant lui, dans l’histoire européenne récente, aucun autre mouvement esthétique ou courant de pensée n’a été à ce point dépourvu de repères. L’expression « nouveau roman » apparaît dans la critique en 1957, au sujet de Tropismes7 de Nathalie Sarraute et de La Jalousie d’Alain Robbe-Grillet, puis celui-ci donne son manifeste au mouvement avec Pour un nouveau roman en 1963. Auparavant, le futurisme avait été proclamé par Filippo Tommaso Marinetti dans une tribune publiée dans Le Figaro en 1909. Quant à la Beat Generation, elle est baptisée ainsi par Jack Kerouac quelques années avant les premières publications de ses auteurs phares8. Bien plus indécise est la naissance du postmodernisme. Ses détracteurs lui reprochent précisément sa définition floue et ses limites incertaines.
11Des créations d’architectes du début des années 1970 sont d’abord appelées « post-modern » par l’historien d’art Christopher Jencks, dans The Language of Post-Modern Architecture (1977). Puis le terme est employé dans le fameux essai du philosophe Jean-François Lyotard, La Condition postmoderne, Rapport sur le savoir (1979). Par la suite, les événements survenus au cours des années 1990 ont démenti les positions défendues par certains intellectuels postmodernistes qui annonçaient à grand fracas la fin de l’histoire et l’avènement d’une nouvelle humanité grâce à la disparition des régimes adversaires du capitalisme libéral9. L’identification d’une nouvelle menace contre l’Occident et ses valeurs depuis les attentats terroristes de 2001, et les récentes guerres d’Afghanistan et d’Irak ont peut-être contribué à tourner la page du postmodernisme, mais la transition est longue, surtout dans les pays qui ont connu les « printemps arabes » de 2011.
12Dans sa dimension esthétique, le postmodernisme semble donc être apparu bien avant qu’on le nomme ainsi, et les critiques de la forme et de la représentation qu’il a permises sont toujours vivaces dans les arts du début du XXIe siècle. En l’opposant au modernisme, on pourra aussi tenter une définition du postmodernisme : là où le modernisme affirme un universel et valorise les oppositions tranchées (particulier/général, un/multiple, centre/périphérie, etc.), le postmodernisme se fonde sur la notion de réseau, affirme que tout est intervalle et qu’il n’y a pas de centre, et prône l’ouverture à l’altérité.
13La notion d’intervalle mérite d’être envisagée dans toute sa richesse, car, dans son sens technique, elle permet de caractériser des grandeurs mesurables aussi bien que des positions. Or ce terme d’intervalle est une image empruntée au départ à la science romaine de la fortification (la poliorcétique), et il désigne l’espace qui s’étend entre deux fossés. Quant à la notion d’intervalle en latin, elle se dit précisément « spatium ». Or l’espace, qui est donc avant tout intervalle, espace intermédiaire, est conçu par le géographe américain Edward Soja comme tiersespace (« thirdspace »), et il représente ce qui distingue mais surtout ce qui sépare l’espace macroscopique du monde et de la carte, et l’espace microscopique de l’individu et de son milieu.
14En effet, les géographes contemporains s’accordent à penser que la période postmoderne a particulièrement favorisé l’attention accordée à l’espace dans les arts et dans la théorie. Ainsi, Jean-Marc Besse affirme avec justesse :
dans le travail important d’Edward Soja, la postmodernité est identifiée, fondamentalement, avec le retour, ou l’affirmation, des problématiques spatiales. L’espace deviendrait (ou serait redevenu) un des éléments caractéristiques des sociétés contemporaines, et c’est cela qui, selon Soja, ferait passer de la modernité caractérisée par la primauté du temps à la postmodernité caractérisée par la primauté de l’espace10.
15Edward Soja est en effet l’auteur de deux ouvrages qui ont marqué le passage en géographie à un usage fécond de la théorie postmoderne11, là où auparavant, les géographes, en particulier David Harvey et Fredric Jameson – Mike Davis constituant un cas particulier – utilisaient la notion comme synonyme et symptôme d’une crise profonde de l’idéologie capitaliste libérale12.
16Mais pour étudier des œuvres littéraires, c’est à la géocritique, et non à la géographie, que nous ferons appel. Cette méthodologie fondée par Bertrand Westphal repose sur une théorie des rapports entre l’espace référentiel et la littérature qui permet de concevoir l’inscription dans le texte d’un référent spatial comme première par rapport à sa description sous la plume du géographe. La géocritique, dans les termes de Bertrand Westphal, « à l’inverse de la plupart des autres approches littéraires de l’espace, […] incline en faveur d’une démarche géocentrée, qui place le lieu au centre des débats13 ». Comme les fictions et les textes théoriques qui s’inscrivent dans le mouvement postmoderne accordent à l’espace toute leur attention, la géocritique s’impose. Multifocalisée, elle permet d’envisager les rapports entre le référent et sa représentation selon des perspectives plurielles qui seront celles des personnages selon leurs différentes appartenances, celle des auteurs, des narrateurs, quand ils sont identifiés par un lieu d’origine, et pourquoi pas celle du lecteur. Polysensorielle, la géocritique est parfaitement adaptée à la représentation littéraire qui fait imaginer au lecteur des sensations visuelles, haptiques, auditives, olfactives et gustatives. Et comme elle propose une « vision stratigraphique14 », la géocritique permet d’étudier dans leur profondeur les quatre dimensions de l’espace et du temps que reconstruit chaque récit de fiction, ainsi que la référence à l’histoire que convoque chaque mention d’un lieu dans un texte littéraire.
17Mais j’entends appliquer la géocritique, axée sur le lieu, à l’étude de l’espace, tel qu’il est représenté dans un corpus récent, ce qui rend nécessaire une révision de la théorie de la représentation littéraire. Le choix d’un corpus postmoderne ne rend pas cette étude plus profonde ni féconde, mais plus diverse dans son champ et plus restreinte dans son application.
18Le postmodernisme, par son insistance à accorder un espace aux différentes identités, a laissé libre cours au développement d’identités locales qui contribuent à définir la notion de territoire.
19En latin, « terra », la terre, précède « territoire ». Mais dans la racine du mot, « Terre et terreur se mêlent et se confondent15 ». En effet, le dérivé « territorium » rappelle certaines formes du verbe « terrere » : épouvanter (participe parfait passif : « territus »). Quand le mot terreur entre dans la langue française, au XIVe siècle, sa prononciation le rapproche de mots plus anciens, dérivés de « terre » et du latin « territorium » au XIIe siècle : terreor, terreoir, terroi, terroier, qui signifient terre, terrain, territoire. D’autres sont aussi employés dans le vocabulaire militaire : terrail, terral et terrier ajoutent aux sens communs aux termes de ce groupe ceux de remblai, rempart. Par le contexte dans lequel ces mots sont employés, et du fait de l’idée banale selon laquelle il faut inspirer de la terreur à nos ennemis pour les empêcher d’entrer sur notre territoire et de s’en emparer, des connotations affectives quelque peu hostiles ont pu se joindre aux sens de « territoire ». Sa définition la plus générale, dans Les Mots de la géographie est : « Espace approprié, avec sentiment ou conscience de son appropriation16 ». L’affect est en effet ce qui distingue dans l’espace la terre que l’on s’approprie et sur laquelle on établit son territoire. En cela, les termes de nation et de patrie sont très proches, par leur sens, de « territoire », et la grande mission de l’État serait donc de garantir l’intégrité et la sécurité du territoire. C’est pourquoi le terme signifie également la partie de l’espace sur laquelle s’étend le pouvoir d’une institution, et en particulier d’une cour de justice. Par extensions successives, « territoire » est ainsi devenu un synonyme de « domaine », ou de « champ », qu’on utilise en sciences sociales. « Territoire » est donc un mot passe-partout, tout comme « espace » dans les lettres et les sciences humaines, et il peut désigner aussi bien le sujet de recherches d’un urbaniste, que celui d’un spécialiste du comportement animal ou d’un psychologue.
20Les recherches que j’ai menées se fondent cependant sur des conceptions récentes de la notion de territoire, qui la mettent en relation avec le visage de l’autre, dans les œuvres de Deleuze et Guattari, et avec le nomos, le territoire du droit, chez Carl Schmitt et Massimo Cacciari. En théorie de la littérature, les travaux sur l’espace de Gaston Bachelard et de Maurice Blanchot, jusqu’à une période récente, semblaient avoir tout dit sur le sujet. Mais L’Espace littéraire17 et La Poétique de l’espace18 étudient dans ce terme une métaphore de la création littéraire et une conception subjective de l’espace. La démarche de Bachelard a permis de faire d’Espèce d’espaces (1974), de Georges Perec, son contrepoint sur le versant intimiste de la littérature contemporaine puisque comme lui, Perec écrit sur la chambre, l’appartement, la rue, le quartier, mais la référence est chez lui nettement autobiographique, alors que Bachelard se fondait sur des œuvres littéraires pour tenir un discours plus général. Mais mon propos envisage l’espace et le territoire comme des relations ouvertes, et non partagées entre le subjectif et l’objectif. La géophilosophie dans laquelle l’étude géocritique menée ici peut s’inscrire est celle de Nietzsche dont s’inspirent Gilles Deleuze et Félix Guattari.
21Dans les œuvres de Friedrich Nietzsche sont décrits de nombreux paysages, et l’auteur compare son travail de philosophe à celui d’un arpenteur, ou à la randonnée d’un voyageur19. Mais la montagne que gravit Zarathoustra ou l’océan qu’il traverse pour rejoindre les Îles des Bienheureux ne sont pas des lieux géographiques, mais des espaces symboliques. Nietzsche les a conçus au cours de ses promenades en France, en Suisse ou en Italie, comme en témoignent certains passages d’Ecce homo (1908), mais Also sprach Zarathustra (1883-1885) n’évoque pas des lieux réels, ni dont la localisation soit déterminante, ni des lieux communs comme le locus amoenus : ce sont des lieux symboliques, au même titre que la « selva oscura » de Dante. L’espace nietzschéen qui dans son écart au référent remet en question la différence entre lieu et espace se rapproche donc de l’espace des récits mythologiques, mais pour proposer un discours philosophique et poétique : l’espace géographique est conçu comme une image du plan d’immanence, la « coupe du chaos20 » à laquelle Deleuze et Guattari le comparent fait du plan d’immanence le lieu de création des concepts et le territoire où un discours philosophique peut prendre racine, ou plutôt faire rhizome.
22Ainsi, en étudiant la représentation de territoires géographiques dans des fictions postmodernes, non seulement j’inscris mon travail dans la tradition des études sur l’espace littéraire, mais je m’inspire également de la démarche de philosophes qui, certes, travaillent dans un tout autre domaine, mais dont les écrits sont nourris de culture littéraire. Pas plus que je ne souhaite me faire philosophe, je ne considère Deleuze, Nietzsche ou Cacciari comme les auteurs d’œuvres littéraires. Mais je mène mon étude en me plaçant parfois dans l’intervalle qui sépare la littérature et la philosophie. Depuis cette position intermédiaire, je cherche à comprendre si les bouleversements théoriques qu’ont suscités les penseurs postmodernistes ont influencé la vision du monde des auteurs de mon corpus.
23De là, dans cet ouvrage, la place prépondérante donnée à l’étude de la représentation. L’œuvre littéraire, de l’Antiquité à l’époque moderne, avait la prétention de représenter le monde, c’est-à-dire de l’envisager comme objet, l’artiste rivalisant alors avec les dieux, mais aussi comme voie d’accès à un « plus haut sens », pour citer Rabelais dans la préface de Gargantua. La représentation fait sens car elle donne au lecteur un moyen d’interpréter le réel, en le faisant figurer dans un artefact à l’étendue limitée, ce qui lui donne une cohérence plus évidente.
24Pour étudier la fiction postmoderne, j’ai préféré des œuvres qui rendent bien sensible la diversité de ce courant esthétique, et qui en sont des exemples typiques. Ces quatre fictions sont des récits qui entretiennent avec d’autres genres que le roman des rapports étroits et représentent des territoires en crise.
25Gravity’s Rainbow (1973), de Thomas Pynchon, que j’ai abordé après avoir étudié Mason & Dixon (1997), a suscité chez moi un vif intérêt, et n’a pas cessé de faire vaciller les certitudes éphémères par lesquelles je crois connaître ses secrets et son sens. Pourtant, beaucoup d’autres fictions sont considérées comme de parfaits exemples du postmodernisme américain. C’est le cas des romans de Don DeLillo, William Gaddis ou William Gass. Mais j’ai préféré une œuvre moins expérimentale, sans choisir pour autant une œuvre facile, car Gravity’s Rainbow (1973) fait se chevaucher des espaces réels et des lieux imaginaires, et se déroule surtout dans la « Zone », dans l’Allemagne de 1945 où s’est imposé un nouveau rapport au temps et à l’espace qui a déterminé l’émergence du postmodernisme.
26Jean Echenoz est l’un des romanciers minimalistes qui représentent en France le courant postmoderne. Ses œuvres ont connu un succès croissant mais leur traitement explicite et insistant des questions liées à l’espace géographique les a désignées à mon attention. Les personnages des romans de Jean Echenoz voyagent beaucoup, en orbite autour de la Terre dans Nous trois (1992), à travers le Pacifique en goélette dans Le Méridien de Greenwich, et plus souvent en voiture, mais aussi en avion, comme dans Les Grandes Blondes (1995). Ce roman est un pastiche alerte de romans d’aventure qui joue avec les stéréotypes du récit de voyage à l’époque où les touristes voyagent d’un continent à l’autre.
27Italo Calvino publie en 1979 Se una notte d’inverno un viaggiatore, roman dont l’intrigue consiste en la lecture par un groupe de personnages des premières pages d’une série de romans fictifs. Ce roman sur le roman, ou méta-roman, est cité en exemple d’expérimentation romanesque postmoderne. Mais Le città invisibili (1972), par sa forme recherchée et sa référence à un ouvrage de la fin du XIIIe siècle qui fonde la représentation moderne de l’Orient en Europe, m’a paru plus en phase avec mon sujet. L’empire tartare que décrivait Marco Polo dans son Livre des merveilles21 a une consistance que l’histoire peut vérifier, même si la fable et le mythe ont une part importante dans cet ouvrage. Mais le recueil d’Italo Calvino semble l’annoter ou l’émailler de fictions plus variées encore. Ce décalage et la part utopique du recueil des Città invisibili permettent qu’on l’envisage comme une œuvre tout à fait adaptée à une étude sur la représentation de l’espace dans une fiction postmoderne.
28Un autre et plus fameux roman de Christoph Ransmayr, Die letzte Welt (1988) pouvait offrir, comme Morbus Kitahara (1995), une incursion dans un temps fictif, anachronique, et lié pourtant à l’histoire, car ce travail sur le temps du roman était couplé cette fois-ci à une réécriture brillante des Métamorphoses d’Ovide. Cependant Morbus Kitahara décrit un territoire en crise. La région de Moor derrière laquelle Christoph Ransmayr dissimule une vision critique de l’Autriche du XXe siècle offre l’occasion de décrire et de mettre au jour des descriptions codées par un brouillage de la géographie de référence.
29Ainsi, Le città invisibili, Gravity’s Rainbow, Les Grandes Blondes et Morbus Kitahara constituent un corpus qui encadre, de 1972 à 1995, le développement d’un mouvement diversement défini et dont les œuvres représentatives sont très différentes entre elles. Surtout, ces quatre fictions ont chacune un rapport particulier à l’espace géographique : elles permettent de l’étudier dans un ensemble très contrasté. L’atlas que l’on pourrait constituer en compilant tous les toponymes cités dans ces quatre livres couvrirait tous les continents, du Labrador à l’île Maurice et du détroit de Tsushima (qui s’étend entre la Corée et le Japon) à la baie de Janeiro. Mais il comprendrait aussi des lieux qui n’existent pas et qu’on serait parfois bien en peine de situer. La mythique Thulé, évoquée aussi par Thomas Pynchon, trouverait sa place dans l’océan glacial arctique, mais les villes que décrit Marco Polo au Grand Khan dans Le città invisibili ne sont pas localisables sur la mappemonde. En revanche, certaines d’entre elles se trouvent répertoriées dans le Dictionnaire des lieux imaginaires d’Alberto Manguel et Gianni Guadalupi. Ils ont en effet repris (en les réduisant) les descriptions de dix-neuf « villes invisibles22 » pour les faire figurer aux côtés du château de la Belle au bois dormant, Oz, Locus Solus et autres inventions géographiques. Dans une démarche assez proche, une artiste italienne, Rebecca Agnes (née en 1978), a réalisé en 2002 une œuvre graphique intitulée Mappa qui est un planisphère représentant le monde, évidé des lieux où elle n’est jamais allée, et donc « presque entièrement constitué de mer23 », mais enrichi de « tous les lieux de [s] on imaginaire personnel24 ». Parmi ceux-ci, on trouve notamment, sur un archipel aux contours étranges, les cinquante-cinq « villes invisibles » d’Italo Calvino25. Cependant, la remarquable variété des tonalités qui caractérisent chacune des fictions du corpus conduit à considérer le réalisme de ces représentations de l’espace géographique, très variable, avec un certain détachement. La gravité a sa place dans chacune des quatre fictions, mais l’ironie se taille la part du lion dans Les Grandes Blondes, l’humour et le burlesque sont très représentés chez Thomas Pynchon, le lyrisme est fréquent dans Morbus Kitahara, et la rêverie onirique, parfois mélancolique, est omniprésente dans Le città invisibili. Ces tonalités du texte littéraire jouent diversement sur la confiance que le lecteur accorde au narrateur et sur la facilité avec laquelle il se laisse mener par le récit. Qu’un élément discordant apparaisse dans le cadre géographique réaliste de l’histoire, et le décalage rend plus sensible la frontière qui sépare la réalité de la fiction. Cesse alors brusquement la « suspension volontaire de l’incrédulité26 » qui, selon l’hypothèse de Samuel Taylor Coleridge sur l’illusion poétique, permet qu’une fiction émeuve et suscite l’adhésion.
30On le voit, mon ambition d’embrasser l’essentiel de la période postmoderne a influencé le choix d’œuvres distantes de plus de vingt ans, appartenant à différents genres du roman ou s’en démarquant largement comme Le città invisibili. Mais des critères subjectifs sont également entrés en jeu.
31Italo Calvino publie Le città invisibili au cœur de sa période parisienne (1967-1980) qui le voit devenir membre de l’OuLiPo en 1973. La structure de ce recueil est remarquable puisque les cinq descriptions que compte chacune des onze séries de villes n’apparaissent pas ensemble, mais en s’égrenant régulièrement, de la cinquième à la première, dans les neuf sections du recueil. Les onze séries conçues par l’auteur recouvrent un champ de réflexion sur l’urbanisme particulièrement large, et sont surtout caractérisées par leur force d’évocation poétique : les villes et la mémoire, le désir, les signes, les villes effilées, les villes et les échanges, le regard, le nom, les morts, le ciel, les villes continues et les villes cachées27. De plus, les neuf sections du recueil sont encadrées par des passages en italiques que le critique Mario Barenghi nomme des « micro-cadres28 » qui explicitent le dispositif narratif plutôt discret dans lequel sont enchâssées les descriptions. En effet, les microcadres sont le plus souvent des dialogues entre le marchand vénitien Marco Polo et l’empereur Kublai Khan.
32Commentant l’architecture des Città invisibili et sa construction narrative, Guido Bonsaver relève leur complexité. En effet, l’identité des narrateurs du cadre narratif (les neuf paires de micro-cadres) et des cinquante-cinq descriptions de villes, n’est pas certaine, et semble même varier : on a parfois affaire à un narrateur homodiégétique, mais il est parfois tout à fait extérieur à l’histoire. Et dans le volet ouvrant du cadre de la septième section, Kublai et Marco Polo imaginent, dans ce qui est une allusion de l’auteur à l’apologue de Tchouang-tseu auquel Raymond Queneau fait référence dans Les Fleurs bleues29, qu’ils n’existent que dans le rêve de « deux misérables surnommés Kublai Khan et Marco Polo, occupés à fouiller une décharge d’ordures30 ». La chronologie aussi est ambiguë, car le récit est tantôt au passé, tantôt au présent. Guido Bonsaver conclut ainsi que « l’œuvre qui représente le plus nettement Calvino comme auteur expérimental est sans aucun doute les Città31 ». « Moment magique de l’œuvre d’Italo Calvino32 », selon Peter Kuon, Le città invisibili procure les plaisirs des évocations intertextuelles de l’Orient des contes et des récits de voyages, mais elle propose aussi une réflexion sur la ville, y compris sur les villes contemporaines et ses développements utopiques. L’espace géographique comprend donc ici un ailleurs lointain aussi bien que les lieux dans lesquels vivent la majeure partie des hommes.
33« Mes romans sont en général assez voyageurs et géographiques33 » dit Jean Echenoz, mais dans le cas des Grandes Blondes34, cette affirmation est une véritable litote. Ici, le personnage principal, Gloire Abgrall, une chanteuse vite oubliée après un passage en prison entraîne des détectives à sa suite en Australie puis en Inde. Longs voyages dont l’exotisme est exagéré par le narrateur, et où les personnages ne parviennent pas à se libérer de leur mal de vivre. L’organisation du roman autour de deux pôles géographiques, l’un proche (Paris), l’autre lointain, peut rappeler L’Équipée malaise (1986), dont l’histoire suit le même mouvement d’oscillation.
34L’empathie de l’auteur envers ses personnages est sensible, et semble opposer un démenti aux lecteurs qui, comme Christine Jérusalem, retiennent avant tout de ses œuvres « la dérive des personnages », « la vacuité du paysage » ou « les trajets circulaires » et « le piétinement35 ». Car Jean Echenoz pose sur ses contemporains un regard tendre et amusé, et l’ironie chez lui est plus affectueuse que sarcastique.
35Cependant, Jean Echenoz ne cache pas que les enjeux liés à la mobilité des hommes sur la surface de la Terre le préoccupent. Dans un passage des Grandes Blondes, un Africain qui, à Paris cherche à bénéficier du regroupement familial, « se fait remballer vite fait36 » et dans Je m’en vais, une ouverture de chapitre place le lecteur face aux règles injustes définissant l’espace européen selon les accords de Schengen, « qui autorisent les riches à se promener chez les riches, confortablement entre soi, s’ouvrant plus grand les bras pour mieux les fermer aux pauvres qui, supérieurement bougnoulisés, n’en comprennent que mieux leur douleur37 ». Ces scènes fortes prouvent que l’auteur n’hésite pas à prendre parti sur des questions politiques et sociales de grande actualité38. Il n’est en aucune manière un artiste détaché de la réalité du terrain, relativiste et moqueur, ce qu’on reproche couramment aux postmodernistes. Mais Jean Echenoz ne reconnaît pas la pertinence de ce label, du moins en littérature39.
36Les Grandes Blondes relève bien de l’attachement de l’auteur à des thèmes et des motifs récurrents dans son œuvre : le déplacement et la géographie, et ils sont abordés à la faveur d’un récit enlevé, mené sur un rythme presque trépidant. Il en ressort l’image d’un monde scindé en territoires étanches, parfois impénétrables à l’étranger de passage, mais lui réservant souvent des découvertes inattendues.
37Plus de quarante ans après sa parution, Gravity’s Rainbow reste un jalon essentiel dans l’œuvre de Thomas Pynchon, qui vient de publier son huitième opus, Bleeding Edge (2013). Son statut de parangon du roman postmoderne, le fait qu’il situe son intrigue dans une période à laquelle Christoph Ransmayr fait référence dans Morbus Kitahara, qu’une écrivaine autrichienne de grand renom, Elfriede Jelinek ait contribué à sa traduction en allemand, que Ransmayr en cite un passage en exergue dans son premier recueil de poèmes (Strahlender Untergang, 1982), et surtout la conception dans Gravity’s Rainbow d’une forme de l’espace qui joue un rôle capital dans l’œuvre de son auteur et dans la théorie postmoderne de la représentation m’ont décidé à le choisir de préférence aux autres. J’y ai été encouragé par l’existence d’un vade-mecum40 qui explicite les références parfois obscures que contient ce roman, mais aussi par la variété et l’abondance de la critique consacrée à Gravity’s Rainbow.
38Pour autant, résumer ce roman représente une gageure. Depuis sa parution, la critique considère Gravity’s Rainbow comme un « roman encyclopédique41 » ; il a aussi été conçu comme un « roman de la multiplicité des informations42 », ce qui donne une idée de la richesse ou de l’intrication de son contenu. Le personnage principal du roman, Tyrone Slothrop, est un jeune lieutenant de l’armée américaine, en poste à Londres à la fin de l’année 1944, chargé d’enquêter sur les fusées V-243 qui sont, pour Pierre-Yves Pétillon, le personnage principal du roman44. Mais Slothrop croit avoir été manipulé dans sa petite enfance par des scientifiques de la firme IG Farben, poursuit ses recherches pour son compte et s’évanouit dans l’Allemagne tout juste défaite, la Zone, parcourue par des réfugiés de toutes provenances, mus par des espoirs divers, ainsi que par des personnages menacés comme lui par la paranoïa. Le roman s’achève en Californie après un bond de vingt-cinq ans en avant : la chute d’un missile sur un cinéma (où s’interrompt la projection d’un film qui pourrait être Gravity’s Rainbow) est imminente. Est-ce le prélude à l’anéantissement total, au grand bombardement nucléaire ?
39La possession, voire le contrôle ou l’exploitation de l’autre sont des enjeux importants dans ce récit où des États rivaux se disputent la maîtrise de territoires qu’ils prennent par la force. La guerre, l’amour et l’économie de marché sont des thèmes importants du roman, et ils partagent le même réseau métaphorique. C’est pourquoi l’espace de la Zone, disputé mais aux frontières provisoirement incertaines dans la période qui précède les accords de Potsdam, est aussi le lieu où prennent forme des projets de toutes sortes : une république anarchiste de gauchos, les orgies des profiteurs de guerre, ou l’utopie de fraternité et de vie en harmonie avec la nature que Slothrop emprunte à son aïeul hérétique, l’un des premiers colons de la Nouvelle-Angleterre selon qui les « preterites » : les « oubliés », les exclus, ou les pécheurs pourraient rencontrer la grâce divine. En 1974, la décision du jury du prix Pulitzer (dans la catégorie « Letters, Drama and Music : Fiction »), unanime en faveur du roman, fut cassée par les membres du conseil consultatif, qui considéraient qu’il était « illisible, boursouflé, surécrit, et obscène45 ». Aujourd’hui encore, ces remarques témoignent du choc qu’a représenté ce roman en son temps. Gravity’s Rainbow, remarque Pierre-Yves Pétillon,
surplombe de sa vaste stature toute la fiction américaine depuis l’après-guerre […] mais son vrai mouvement est dans le maelström qui emporte toute cette galaxie d’écritures et de réminiscences, l’attire, la happe vers le bas dans un tourbillon en spirale – puis, peu à peu, la disperse en fragments et l’efface. Reste, au cœur du livre, une puissante pulsation lyrique, qui naît de la fascination pour le « moment du risque », où, dans le calcul infinitésimal (qui, de Newton à Leibniz, puis à Thom, est à certains égards son vrai sujet), on approche dans une courbe la « discontinuité », le seuil abrupt, sur la ligne de crête, « où il va se passer quelque chose » et que, à ce seuil, le vaste roman se contracte sur le « suspens » de cette attente46.
40Ce roman semble tout englober, et en focalisant mon étude sur la représentation de l’espace qu’il propose, je suis bien conscient de réduire sa portée. Mais il procure, outre le plaisir de lecture, des réponses claires et décisives à la question du traitement de l’espace dans la fiction postmoderne.
41Morbus Kitahara peut être défini comme une uchronie47. J’emploie le terme dans le sens que lui donne le philosophe Charles Renouvier (1815-1903) dans l’essai du même titre, celui d’histoire alternative48. Elisabeth Wesseling le développe ainsi : « La fantaisie uchronique situe l’utopie dans l’histoire en imaginant un cours apocryphe des événements qui n’ont évidemment pas eu lieu dans la réalité, mais qui pourraient avoir eu lieu49. » Elle en étudie quelques exemples dans Der Butt (1977) de Günter Grass, Mumbo Jumbo (1972) d’Ishmael Reed, et dans Gravity’s Rainbow. Le cadre temporel de référence de Morbus Kitahara entre dans la chronologie réelle, et semble embrasser les années 1945 à 1970, mais l’auteur ne cite jamais aucune date, et cette reconstruction chronologique est purement hypothétique. En revanche, le moment de bifurcation de l’intrigue avec l’histoire réelle semble clairement identifiable : au sortir d’une guerre qui a vu en Europe les juifs, les Tsiganes ou les communistes assassinés en masse dans des camps, la coalition des vainqueurs poursuit les combats pendant vingt ans à travers le monde entier.
42Mais ces événements ont lieu en arrière-plan de l’intrigue du roman. Elle se déroule dans un village bordant un lac de montage, Moor, qui se trouve presque totalement à l’écart du monde extérieur. Ambras, un rescapé de la carrière où sont morts des milliers de travailleurs forcés, en devient l’administrateur grâce à la protection des Américains. Il prend à son service le jeune forgeron Bering pour en faire son garde du corps50. Une jeune femme, Lily, accompagne ensuite les deux hommes au Brésil : dans le dernier tiers du roman, les habitants de Moor sont expulsés de leur village qui devient une zone de manœuvres militaires, et la carrière est démontée pour être installée de l’autre côté de l’Atlantique. Mais Bering, personnage principal du roman qui retrace son histoire de sa naissance à sa mort, incapable de comprendre l’histoire d’Ambras et d’accéder à une pleine conscience du monde qui l’entoure se montre définitivement incapable de sortir du cycle de violences qui ont d’abord accablé ses parents avant de le marquer à son tour. La maladie dont le nom fournit son titre au roman, « Morbus Kitahara », en latin médical, est une affection de la rétine qui obscurcit momentanément la vue. Bering en est atteint, ce qui désigne aussi, symboliquement, son aveuglement et l’incompréhension qu’il manifeste devant sa propre violence.
43Cependant Morbus Kitahara ne se limite pas à la triste chronique d’un village isolé en montagne. C’est aussi, comme les œuvres de Thomas Bernhard et d’Elfriede Jelinek, une critique de l’Autriche contemporaine, qui s’est souvent présentée comme la première victime du nazisme avec l’annexion de 1938. La relation parfois conflictuelle de Ransmayr à son pays explique que Morbus Kitahara ait été pour lui une façon de marquer son opposition avec des attitudes révisionnistes ou négligentes vis-à-vis du passé de l’Autriche, par l’intermédiaire d’une fiction symbolique et prudente, dont la valeur littéraire a été largement reconnue51.
44Morbus Kitahara contient en effet des descriptions lyriques, caractéristiques du style de Ransmayr. Mais elles n’effacent pas la noirceur de la référence aux plus sombres moments de l’histoire de l’Europe au XXe siècle. Aveuglé par les allusions explicites à la Shoah, dans une publication de 2006, j’ai cru, à la faveur d’une confusion regrettable entre un camp (Mauthausen) et son satellite, que Ransmayr minimisait le nombre des prisonniers morts dans la carrière d’Ebensee dont celle de Moor est une représentation fictionnelle. Mais je me trompais52.
45Morbus Kitahara est donc une œuvre grave, qui contraste avec les autres livres du corpus. La forte présence de l’histoire et les paysages alpins magnifiés par la langue de Christoph Ransmayr introduisent une façon très élaborée de représenter l’espace géographique, les références s’ajoutant les unes aux autres en formant une stratification dont l’étude est très fructueuse.
46Les œuvres étudiées ici sont des fictions, et en tant que telles, elles entretiennent avec le réel référentiel une relation mimétique. Si le Nouveau Roman a accéléré la mort du personnage et l’atténuation de l’intrigue, la fiction postmoderne n’a pas renoncé à la représentation. Bien au contraire, le réel s’impose au lecteur et parasite parfois le récit. Ainsi les descriptions des lieux et des personnages, leur mise en scène dans des environnements dont l’importance est soulignée, les énumérations, les index ou autres répertoires alphabétiques viennent saturer de réel le récit de fiction. Les paroles des personnages, des narrateurs, et les voix que transmettent les médias s’entremêlent, et dans cette prolifération de discours et d’images que John Barth célèbre dans un article fameux comme un « renouvellement53 » de la fiction, le péril qui menace est celui du brouillage et d’une indistinction qui viendrait masquer tout propos intelligible.
47Dans le contexte postmoderne de perte générale des repères et d’affirmation de toutes les diversités, la fiction postmoderne donne-t-elle encore un sens à la notion de territoire ? Si oui, y a-t-il une représentation littéraire du territoire qui soit caractéristique de la fiction postmoderne ? et sinon, comment l’appropriation de l’espace est-elle envisagée ?
48Un premier état des lieux permettra de concevoir le monde comme un ensemble dépourvu de forme et sans cohérence apparente. Le roman postmoderne cultive la parodie, et remplit d’objets inattendus, ou faisant allusion à d’autres œuvres, d’autres genres et d’autres époques, le cadre vide d’une représentation du monde presque abandonnée par l’auteur. Devenu trop petit, le monde est en outre recouvert de non-lieux, symboles de la condition humaine postmoderne.
49On verra ensuite que les fictions du corpus ne renoncent pourtant pas à écrire l’espace, donnant aux techniques et aux notions qu’emploie la géographie une importance prépondérante. La toponymie des fictions d’Italo Calvino et de Christoph Ransmayr est particulièrement riche, qu’elle soit entièrement fictionnelle, qu’elle renvoie à des lieux réels, ou qu’elle soit le fruit d’une création nouvelle sur la base d’allusions culturelles et historiques. Nous verrons aussi comment est employée la cartographie dans les deux romans de Jean Echenoz et de Thomas Pynchon.
50Les territoires dans lesquels se déroulent les intrigues du corpus pourront alors être envisagés comme des espaces-temps. En effet, la fiction postmoderne croise les dimensions de l’espace et du temps, ce qui donne lieu à une expressivité particulière (et nostalgique) des textes étudiés ici. Mais l’espace référentiel, revenu au cœur de la théorie postmoderne, permet une redéfinition des buts assignés à la fiction, qui s’ouvre à tous les possibles. Les lignes de fuite qui entraînent ces fictions nomades vers des lieux autres mettront en évidence la force du tournant spatial qu’a théorisé la critique postmoderne.
51La question de la représentation sera alors abordée et l’on verra combien les œuvres postmodernes se posent à la fois en héritières de la tradition et la brisent par la caricature des morceaux de bravoure attendus. L’étude des mises en abîme et des ekphrasis que proposent les œuvres du corpus permettra d’entrer au cœur de la crise de la représentation. Nous distinguerons aussi mimèsis et réalisme des descriptions, ce qui permettra de détailler la crise du territoire que révèlent Le città invisibili, Les Grandes Blondes, Gravity’s Rainbow et Morbus Kitahara.
52Nous pourrons alors proposer une autre territorialité fondée sur les notions de milieu et de flux. Les œuvres du corpus comprennent de nombreuses images symboliques qui réorganisent le territoire en crise. Ainsi, le labyrinthe et le mandala imposent un ordre au monde et lui donnent forme. En outre, on verra que la géologie des lieux décrits montre en quoi le territoire résulte de forces telluriques qui permettent de replacer la géocritique menée ici dans la continuité de la géophilosophie de Deleuze et Guattari. Les territoires de la fiction seront donc envisagés comme milieux. De là, nous verrons que le réseau dans lequel circulent les informations que l’histoire transmet au lecteur constitue un tissu. Mais ce tissu est une interface entre le texte et le monde, et c’est en cela que la crise du territoire concerne le référent aussi bien que sa représentation fictionnelle.
Notes de bas de page
1 Umberto Eco, Apostille au Nom de la rose (1983), tr. Myriem Bouzaher, Paris, LGF, « Le Livre de poche – biblio/Essais », 1990, p. 75.
2 Cf. Hakim Bey, TAZ, Zone autonome temporaire (1991), trad. Christine Tréguier, Peter Lamia et Aude Latarget, Paris, L’Éclat, « Lyber », 1997 et Michael Hardt et Antonio Negri, Empire (2000), trad. Denis-Armand Canal, Paris, 10/18, « Fait et cause », 2000.
3 Cela a permis de définir le posmodernisme comme une « pensée faible », Gianni Vattimo et Pier Aldo Rovatti (dir.), Il pensiero debole (1983), Milan, Feltrinelli, 1997.
4 Ruggero Campagnoli, « Postmodernisme de l’Oulipo », Francis Claudon, Sophie Élias, Sylvie Jouanny et al. (dir.), La Modernité mode d’emploi, Paris, Kimé, 2006, p. 149.
5 Ihab Hassan, The Postmodern Turn: Essays in Postmodern Theory and Culture, Colombus, Ohio State University Press, 1987; Brian McHale, Constructing Postmodernism, Londres, New York, Routledge, 1992; Gerhard Hoffmann, From Modernism to Postmodernism, Concepts and Strategies of Postmodern American Fiction, Amsterdam – New York, Rodopi, « Postmodern Studies », 2005.
6 Il castello dei destini incrociati (1973) d’Italo Calvino reconstitue tous les récits du monde à partir de cartes étendues sur la table d’un château, puis d’une taverne ; Le Dictionnaire khazar (1988), de Milorad Pavić est un « roman-lexique », Pale Fire (1962), de Vladimir Nabokov, se présente comme une œuvre poétique fictive accompagnée de notes. Ce ne sont que quelques exemples.
7 En 1957, les Éditions de Minuit publient la deuxième édition de Tropismes, paru pour la première fois en 1939.
8 La Beat Generation prend forme à partir des publications de Gregory Corso, The Vestal Lady on Brattle and Other Poems (1955), Allen Ginsberg, Howl (1956), Jack Kerouac, On the Road (1957), et William Burroughs, Naked Lunch (1959).
9 Francis Fukuyama, La Fin de l’histoire et le dernier homme (1992), trad. Denis-Armand Canal, Paris, Flammarion, 1992.
10 Jean-Marc Besse, « Le postmodernisme et la géographie. Éléments pour un débat », L’Espace géographique, no 2004-1, janvier-mars 2004, p. 3-4.
11 Edward W. Soja, Postmodern Geographies: The Reassertion of Space in Critical Social Theory (1989), Londres, Verso, 1995; Thirdspace: Journeys to Los Angeles and Other Real-and-Imagined Places, Oxford, Blackwell, 1996.
12 David Harvey, The Condition of Postmodernity: An Enquiry into the Origins of Cultural Change, Oxford, Blackwell, 1990 et Fredric Jameson, Le Postmodernisme, ou La Logique culturelle du capitalisme tardif (1991), trad. Florence Nevoltry, Paris, Beaux-Arts de Paris, « D’Art en questions », 2007. Les travaux de Mike Davis, inaugurés avec son essai sur l’urbanisme, l’histoire et les représentations artistiques de Los Angeles, ont permis un véritable aggiornamento, sensible depuis dans les études culturelles. Voir Mike Davis, City of Quartz, Los Angeles capitale du futur (1991), Paris, La Découverte, 1997.
13 Bertrand Westphal, La Géocritique, Réel, fiction, espace, Paris, Éditions de Minuit, « Paradoxe », 2007, p. 185.
14 Ibid., p. 222 sq.
15 « Territorio […] è una parola nella cui radice Terra e terrore si mescolano e confondono. » Franco Farinelli, Geografia, Un’introduzione ai modelli del mondo, Turin, Einaudi, « Piccola biblioteca Einaudi », 2003, p. 37. Quand la note ne mentionne pas la source de la traduction citée, j’en suis l’auteur.
16 Hervé Théry et Roger Brunet, « Territoire », Roger Brunet (dir.), Les Mots de la géographie, Dictionnaire critique (1992), Montpellier, GIP Reclus, La Documentation française, 1993, p. 480.
17 Maurice Blanchot, L’Espace littéraire (1955), Paris, Gallimard, « Folio Essais », 1988.
18 Gaston Bachelard, La Poétique de l’espace (1957), Paris, Puf, « Quadrige – Grands textes », 2004.
19 Voir sur ce point mon article, « Nietzsche arpenteur : la géophilosophie et l’Europe », Tania Collani et Éric Lysøe (dir.), Entre tensions et passions : Construction/déconstruction de l’espace européen, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, « Europes littéraires », 2010, p. 227-240.
20 Gilles Deleuze et Félix Guattari, Qu’est-ce que la philosophie ?, Paris, Éditions de Minuit, « Critique », 1991, p. 44.
21 Je le cite ici dans une édition récente qui lui donne un titre plus exact : La Description du monde, éd. et trad. de la rédaction française due à Thibaut de Cepoy par Pierre-Yves Badel, Paris, LGF, « Le Livre de poche – Lettres gothiques », 1998. En italien, il est intitulé Milione, aphérèse du surnom des Polo, « Emilione », originaires de l’Emilia. C’était aussi une allusion aux trésors (aux « merveilles ») que le récit du voyageur décrit en abondance : Marco Polo, Milione, Versione toscana del Trecento (1975), éd. par Valeria Bertolucci Pizzorusso, index : Giorgio R. Cardona, Milan, Adelphi, 2003, p. ix-xv.
22 La première à apparaître dans cet ouvrage, Aglaurée, est dite « ville non localisée ». Quatre autres (Anastasia, Eudoxie, Moriane et Valdrade) sont situées en Asie, ce qui est conforme à l’ancrage des Città invisibili dans l’histoire de la Chine du XIIIe siècle, mais Italo Calvino ne donne jamais aucune indication permettant de localiser les « villes invisibles » alors même que certaines semblent aussi européennes que d’autres sont manifestement asiatiques. Voir aussi Alberto Manguel et Gianni Guadalupi, Dictionnaire des lieux imaginaires (1980), trad. Patrick Reumaux, Michel-Claude Touchard et Olivier Touchard, Arles, Actes Sud, « Babel », 2001, s. v. Argia, Baucis, Bersabée, Despina, Ersilie, Eusapie, Isaura, Léonie, Octavie, Périntie, Phyllide, Tecla, Zemrude et Zénobie.
23 « Un mondo quasi interamente costituito dal mare », Rebecca Agnes, « I luoghi immaginari di Rebecca Agnes », entretien avec Emmanuele Catellani, Artkey Magazine, 19/3/2006. Mappa a été présentée à la Galerie des enfants du Centre Georges-Pompidou à Paris lors de l’exposition « L’Invention du monde », octobre 2003-juin 2004.
24 « Tutti i luoghi del mio immaginario personale », ibid.
25 Avant Rebecca Agnes, Fausto Melotti (1901-1986) a créé plusieurs de ses sculptures en s’inspirant des œuvres d’Italo Calvino, qui reconnaissait lui devoir ses « villes effilées ». Des photographies de ces assemblages élancés de matériaux légers, disposés avec minutie sur des trépieds filiformes, arborescences métalliques, sont reproduites en couverture des éditions de poche des œuvres de Calvino (collection Oscar des éditions Mondadori à Milan).
26 « The willing suspension of disbelief », Samuel Taylor Coleridge, Biographia Literaria (1817), The Collected Works, Princeton, Princeton University Press, 1983, t. VII, vol. 2, p. 6.
27 Les séries sont citées ici dans leur ordre d’apparition dans le texte, et non dans l’ordre donné par l’index : le città e la memoria, le città e il desiderio, le città e i segni, le città sottili, le città e gli scambi, le città e gli occhi, le città e il nome, le città e i morti, le città e il cielo, le città continue, e le città nascoste.
28 « Microcornici », Mario Barenghi, Italo Calvino, Città invisibili [Notice], Romanzi e raconti (1992), éd. Claudio Milanini, avec la collab. de Mario Barenghi et Bruno Falcetto, Milan, Mondadori, « I Meridiani », 2005, t. II, p. 1359.
29 Queneau cite le fameux apologue sur la quatrième de couverture (« Tchouang-tseu rêve qu’il est un papillon, mais n’est-ce point le papillon qui rêve qu’il est Tchouang-tseu ? »), et les interférences entre rêve et réalité fondent toute l’organisation de l’intrigue dans Les Fleurs bleues (1965). Italo Calvino est l’auteur de sa traduction italienne : I fiori blu, Turin, Einaudi, 1967.
30 Italo Calvino, Les Villes invisibles, trad. Jean Thibaudeau, Paris, Le Seuil, « Points », 1996, p. 122 : « due straccioni soprannominati Kublai Kan e Marco Polo, che stanno rovistando in uno scarico di spazzatura », Le città invisibili (1972), Milan, Mondadori, « Oscar », 1993, p. 103-104.
31 « L’opera che più rappresenta il Calvino “sperimentale” è senza dubbio le Città », Guido Bonsaver, Il mondo scritto, Forme e ideologia nella narrativa di Italo Calvino, Turin, Tirrenia Stampatori, « L’Avventura Letteraria », 1995, p. 163.
32 « Momento magico nell’opera di Calvino », Peter Kuon, « Critica e progetto dell’utopia : Le città invisibili di Italo Calvino », Mario Barenghi, Gianni Canova et Bruno Falcetto (dir.), La visione dell’invisibile. Saggi e materiali su Le città invisibili di Italo Calvino, Milan, Mondadori, « I luoghi e la storia », 2002, p. 41.
33 Jean Echenoz, « Dans l’atelier de l’écrivain », [entretien avec Geneviève Winter, Pascaline Griton et Emmanuel Barthélemy], Je m’en vais, Éditions de Minuit, « Double », 2001, p. 231.
34 Jean Echenoz, Les Grandes Blondes, Paris, Éditions de Minuit, 1995, p. 96.
35 Christine Jérusalem, « Géographies de Jean Echenoz », Remue. net, [en ligne] <http://remue.net/cont/echenozChrisJer.html>.
36 Jean Echenoz, Les Grandes Blondes, op. cit., p. 205.
37 Jean Echenoz, Je m’en vais, op. cit., p. 181.
38 La première scène a lieu dans un commissariat de police. Et dans la seconde, l’usage du terme insultant « bougnoule », transformé en forme verbale à la voix passive, signale la violence des rapports sociaux dans l’Union européenne.
39 « J’ai toujours eu du mal à voir la pertinence de l’idée de postmodernité en littérature, alors que je peux la comprendre en architecture », Jean Echenoz, « L’image du roman comme moteur de la fiction », [entretien avec Jean-Claude Lebrun], L’Humanité, 11/10/1996, Remue. net, [en ligne] <http://remue.net/cont/echenozjcl.html>.
40 L’ouvrage de Steven Weisenburger, A Gravity’s Rainbow Companion : Sources and Contexts for Pynchon’s Novel, Athens (Ga.), University of Georgia Press, a été publié pour la première fois en 1988, et la seconde édition en 2006. Mais ce livre est paru après la traduction française du roman qui n’a pu en bénéficier. Je la cite de temps en temps.
41 « Encyclopedic novel », Edward Mendelson, « Gravity’s Encyclopedia » (1976), Harold Bloom (dir.), Thomas Pynchon’s Gravity’s Rainbow, New York, Chelsea House, « Modern Critical Interpretations », 1986, p. 29-52.
42 « Novels of information multiplicity », John Johnston, Information Multiplicity: American Fiction in the Age of Media Saturation, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1998, p. 58.
43 Ces missiles, nommés « Vergeltungswaffen 2 », « armes de représailles-2 », furent lancés dans les derniers mois de la guerre principalement sur Londres et Anvers. Ces armes nouvelles ont suscité la convoitise des Alliés avant même la capitulation nazie. L’opération Paperclip permit d’exfiltrer vers les laboratoires de recherche américains les scientifiques qui les avaient développées, au premier rang desquels Wernher von Braun.
44 « Gravity’s Rainbow est au V-2 ce que Moby Dick est à la baleine blanche », Pierre-Yves Pétillon, « 1973 : Gravity’s Rainbow, Thomas Pynchon », Histoire de la littérature américaine : Notre demi-siècle, 1939-1989, Paris, Fayard, 1992, p. 520.
45 Pour plus de détail, voir Sascha Pöhlmann, « Gravity’s Rainbow », The Literary Encyclopedia, 24/10/2006, [en ligne] <http://0-www-litencyc-com.catalogue.libraries.london.ac.uk/php/sworks.php?rec=true&UID=4900>.
46 Pierre-Yves Pétillon, « 1973 : Gravity’s Rainbow, Thomas Pynchon », art. cit., p. 518-521.
47 La première étude récente de ce genre littéraire est l’ouvrage de Hinrich Hudde et Peter Kuon (dir.), De l’utopie à l’uchronie, Formes, significations, fonctions, Tübingen, Gunter Narr, « Études littéraires françaises », 1988.
48 Charles Renouvier, Uchronie (l’utopie dans l’histoire), Esquisse historique apocryphe du développement de la civilisation européenne tel qu’il n’a pas été, tel qu’il aurait pu être, Paris, Bureau de la Critique philosophique, 1876, ouvrage consulté sur Gallica, la bibliothèque numérique de la Bnf, <http://gallica2.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k833574.image.r=renouvier.f1.langFR>.
49 « Uchronian fantasy locates utopia in history, by imagining an apocryphal course of events, which clearly did not really take place, but which might have taken place », Elisabeth Wesseling, « Historical Fiction: Utopia in History », Hans Bertens and Douwe Fokkema (dir.), International Postmodernism: Theory and Literary Practice, Amsterdam, John Benjamins, « A Comparative History of Literatures in European Languages », 1997, p. 204.
50 Les noms des deux personnages principaux du roman sont des toponymes. Vitus Bering (1681-1741) était le navigateur qui découvrit le détroit qui porte son nom, et Ambras est le nom d’un château du Tyrol.
51 Christoph Ransmayr a reçu le Prix Franz Kafka pour Morbus Kitahara en 1995, et en 1996, le Prix Aristeion, prix européen qui fut conjointement décerné à Salman Rushdie pour The Moor’s Last Sigh. Seule une voix dans la presse autrichienne s’opposa au concert de louanges décernées à l’auteur : Franz Joseph Czernin, « Es muss der Lärm der Welt sein. Zur Sprache von Christoph Ransmayr und anderen Literaturproduzenten », Der Standard (9/1/1998).
52 Dans cet article, je tentais maladroitement de justifier ce qui, dans ma lecture hâtive, était des choix discutables de l’auteur. Je prenais Moor pour Mauthausen, où les nazis ont assassiné plus de 100 000 personnes, alors qu’il est question d’Ebensee, où l’on a compté environ 12 000 morts. Voir « Pynchon et Ransmayr inventent un autre mai 1945 en Europe : une expérience littéraire », Cédric Groulier, Clément Lévy et Gian Maria Tore (dir.), Regards croisés sur l’expérience en Sciences de l’homme et de la société, Limoges, Pulim, « Constellations », 2006, p. 231-240.
53 John Barth, « La littérature du renouvellement, La fiction postmoderniste », trad. Cynthia Liebow et Jean-Benoît Puech, Poétique 48, novembre 1981, p. 395-405.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Comparer l’étranger
Enjeux du comparatisme en littérature
Émilienne Baneth-Nouailhetas et Claire Joubert (dir.)
2007
Lignes et lignages dans la littérature arthurienne
Christine Ferlampin-Acher et Denis Hüe (dir.)
2007