Serments bretons (8-15 septembre 1427)
p. 123-132
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Texte intégral
1Dans l’Occident de la fin du Moyen Âge, les circonstances firent que très nombreux, voire innombrables, furent ceux qui eurent à prêter des serments d’ordre politique à des pouvoirs réputés supérieurs qui voyaient dans cette démarche, dans ce rite à caractère plus ou moins ouvertement religieux, un moyen, certes parmi d’autres, d’établir ou de consolider leur domination. Tel fut le cas, sur une grande échelle, dans la France des débuts du xve siècle, en raison des divisions et des guerres : conflit entre Armagnacs et Bourguignons1, conflit entre les Valois et les Lancastre. C’est ce dernier litige qu’on voudrait évoquer à travers une péripétie assez bien documentée mettant en scène Jean V, duc de Bretagne, et son entourage, et mettant en jeu la nature des liens censés l’unir au roi de France.
2Une fois conclue à Troyes le 21 mai 1420 la « paix finale et générale » entre les royaumes de France et d’Angleterre par laquelle Henry V, roi d’Angleterre, était proclamé régent du royaume de France au nom de Charles VI, qui devenait en même temps son beau-père, et se voyait promettre à terme la possession du royaume de France pour lui-même et ses héritiers et successeurs, un quadruple objectif s’imposait à lui : faire adhérer au traité ses sujets anglais (tâche somme toute aisée), en faire reconnaître la validité par la communauté internationale (le pape, l’empereur, les autres rois et princes de la chrétienté : c’était déjà plus aléatoire), soumettre les rebelles qui, dans le royaume de France, contestaient par les armes le « honteux » traité de Troyes (l’épithète est du temps), enfin obtenir à l’intérieur du même espace politique l’engagement formel du plus grand nombre possible de régnicoles.
3De fait, selon les termes du traité de Troyes, il était prévu que les grands seigneurs, barons et nobles, les « estas » du royaume, tant spirituels que temporels, les cités et les notables communautés (soit, en théorie, des milliers d’acteurs, voire bien davantage) prêteraient serment d’obéir à Henry V et à ses commandements pour ce qui touchait au gouvernement de la chose publique du royaume, d’obéir aux décisions prises en commun par le roi Charles VI, par la reine Isabeau et par le régent Henry, et, après la mort de Charles VI, en quelque sorte programmée, d’être « feaulz hommes liges » du dit Henry, devenu ipso facto « souverain et vray roy de France ».
4Au moment où se concluait le traité de Troyes, le duc Jean V, suite à l’attentat fomenté par Marguerite de Clisson et ses adhérents, était prisonnier de ces derniers. Sa vie lui semblait en danger. Il ne fut libéré qu’en juillet 1420. Or, Jean V pensait, non sans quelque raison, que son beau-frère le dauphin Charles, « l’autre » régent du royaume de France, autrement dit le futur Charles VII, peut-être circonvenu par son entourage, n’était pas étranger à son incarcération. Du coup, Henry V, en grand réaliste, pouvait estimer possible le ralliement de la Bretagne au traité de Troyes. Le 1er août 1420, alors qu’il assiégeait Melun, le roi d’Angleterre autorisa trois de ses émissaires à négocier dans ce sens avec Jean V2. En janvier 1421 le frère de ce dernier, Arthur de Richemont, prisonnier en Angleterre depuis Azincourt (25 octobre 1415), fut autorisé à regagner la Bretagne. Non sans mal, le régime des trêves, théoriquement en vigueur depuis 1406, fut prolongé entre le duché de Bretagne et ce qu’il est permis d’appeler, par commodité, la France anglaise. Mais Jean V, en fonction des circonstances et sans doute aussi par tempérament, n’hésitait pas à mener double jeu : on le voit à quelques mois d’intervalle se rapprocher du dauphin Charles (traité de Sablé du 8 mai 1421) et autoriser Richemont à prendre la tête d’une troupe destinée à prêter main forte à Henry V alors que celui-ci commençait le siège de Meaux (octobre de la même année)3.
5Poussant plus loin son avantage, le 24 avril 1422 Henry V expédia des lettres de sauf-conduit pour Jean V et une suite de 1 000 personnes afin de lui permettre d’accomplir son devoir d’allégeance. Mais Jean V, qui n’avait nulle envie de sortir des frontières de son duché, même avec une puissante escorte, trouva un substitut : quatre évêques et six barons bretons se rendraient auprès de Henry V, lesquels se porteraient garants de ce que, sans se déplacer, il avait prêté serment de souscrire à la paix de Troyes. Le 26 juin 1422, Jean V autorisa ses ambassadeurs à y adhérer par serment. Tout était donc en place quand l’inattendu se produisit avec la mort de Henry V, survenue au château du Bois-de-Vincennes le 31 août 1422. Dès lors le duc de Bretagne n’était-il pas en mesure de surseoir à toute décision ?
6Il n’empêche que le 8 octobre de la même année, Jean V prêta bel et bien le serment demandé, en même temps que les trois états du duché, ce qui fut connu à Paris une semaine plus tard par Jean, duc de Bedford, qui avait succédé à son frère Henry comme régent du royaume de France. La mort de Charles VI, quelques jours plus tard, ne remit pas en cause le processus. En avril 1423 eut lieu à Amiens l’alliance triangulaire entre Philippe le Bon, duc de Bourgogne, Jean, duc de Bedford, et Jean V, duc de Bretagne, assortie du mariage d’Arthur de Richemont avec Marguerite de Bourgogne, sœur du duc Philippe.
7Mais les arrière-pensées ne manquaient pas et, dès 1424, un rapprochement intervint entre Jean V et Charles VII, qui devait aboutir l’année suivante à la prestation d’hommage et au traité de Saumur (7 octobre 1425). À la même époque, une réconciliation entre le roi de France et le duc de Bourgogne était envisagée, sous l’égide de la Savoie (Amédée VIII) et de la Bretagne (Jean V) et avec la bénédiction de la maison d’Anjou (Yolande d’Aragon), tandis que Richemont recevait de Charles VII l’épée de connétable de France (7 mars 1425).
8À cette volte-face, à cette palinodie, Bedford, au nom de Henry [VI], roi de France et d’Angleterre, ne manqua pas de réagir : en janvier 1426 la guerre ouverte (guerra aperta) fut déclarée entre le roi (Henry), son royaume, ses seigneurs et ses sujets, d’une part, le duc de Bretagne, ses seigneurs et ses sujets, de l’autre. Écoutons le Journal d’un bourgeois de Paris :
« Item, en ce temps commença la guerre entre les Angloys et les Bretons et [prindrent] les Angloys la ville de Saint-James de Beuveron et la garnirent de vivres et la fortifierent moult ; et les Bretons les assegerent dedens la ville en mars l’an mil CCCC XXV et la furent jusques aprés Pasques l’an mil IIIIc XXVI, qui traicterent ensemble sans cop ferir ; et disoit on communement que aucuns des grans de Bretaigne, evesques ou autres, en orent de l’argent, dont la commune de Bretaigne [notons la remarque] en fut trop mal comptent, mais ils l’endurerent pour celle foys4. »
9Du coup, à bon droit, Jean V pouvait être à la fois inquiet et déçu. Profitant des mauvais rapports circonstanciels entre Bourgogne et Angleterre, il tint à avertir Philippe le Bon de la perfidie de Bedford et surtout du danger que pouvait représenter pour la Bourgogne une complète victoire des Anglais. Le 28 avril 1427, Bedford crut bon de donner à Jean, comte de Salisbury, tous les fiefs appartenant au duc de Bretagne situés à l’extérieur de son duché, ce qui signifiait, entre autres, que Jean V se voyait dépossédé ipso facto de son comté de Montfort. Le 6 mai 1427, après l’échec d’une tentative de secours, la place de Pontorson se rendit aux Anglais. Jean V devait donc céder pour arrêter coûte que coûte une menace imminente d’incursion, sinon d’invasion : il reprit contact avec Bedford. Le 3 juillet 1427, au nom de Henry, roi de France et d’Angleterre, Bedford délivra à ses ambassadeurs le pouvoir de recevoir en leurs mains le « serement de la paix final » prêté par le duc et le serment de son fils aîné François, de son frère Richard, des « prelats, gens d’Eglise, courts, barons, chevaliers et escuiers, notables cités et bonnes villes » des pays de Bretagne, « en la maniere que les autres de nostre royaume de France […] l’ont fait et juré5 ». Ainsi fut fait : « Le 8 septembre [1427] Jean V accepta les conséquences du traité de juillet, et afin de se ménager les faveurs de Bedford, il souscrivit au traité de Troyes6. »
10Née de la peur et de la menace, la démarche était lourde de conséquences. Alain Bouchart dans ses Grandes croniques de Bretaigne, la présente ainsi : « Le duc Jehan et les prelaz, barons et autres nobles seigneurs du pays en furent moult espoventez et non sans cause car l’armee des Angloys estoit moult fiere et deliberee de tout le pays degaster et la resistence de Bretaigne n’estoit suffisante pour soustenir le faiz et d’autre part le roy de France ne luy eust peu aider. » Suit de la part du même auteur la transcription de la « teneur des lectres du traicté » par lequel le duc jurait par la foi et le serment de son corps et en parole de prince d’observer les « appointemens et traictiez de paix final » entre les deux royaumes de France et d’Angleterre et d’obéir au roi de France et d’Angleterre, et à Jean, duc de Bedford, pour le temps de sa régence « es choses touchans et concernans le fait et gouvernement » du royaume de France, sauf ses droits royaux, libertés et noblesses. Il s’engageait à être perpétuellement l’homme du roi de France et de ses hoirs, à lui faire hommage dans les formes accoutumées (bien sûr, pas question de ligesse), dans les trois mois après qu’il en aurait été requis. Alain Bouchart mentionne également la longue liste des « seigneurs et suppostz des estatz de Bretaigne » qui baillèrent alors leurs lettres, et prend soin de transcrire intégralement la formule – ou plutôt, comme on le verra, l’une des formules – de leurs serments7.
11En s’appesantissant sur les prestataires et le contenu des serments, Alain Bouchart se situe en un sens dans la droite ligne de la politique du duc de Bedford qui avait le sentiment d’avoir remporté une nette victoire diplomatique, dont il s’agissait bien sûr de conserver la trace, à toutes fins utiles.
12D’une part, en effet, les originaux, dûment scellés (le duc alla même, pour mieux marquer son engagement, jusqu’à signer de sa main), furent transportés de Bretagne à Paris afin que Bedford en prenne connaissance, d’autre part, il les fit tous aussitôt copier dans un registre des ordonnances enregistrées au Parlement de Paris sous l’intitulé suivant : « S’ensuivent pluseurs lettres contenant les serments et promesses faictes par le duc de Bretagne et pluseurs prelas, chevaliers, escuiers, chapitres, bonnes villes et autres de entretenir la paix finalle faicte entre les roys et royaumes de France et d’Angleterre8. » Un premier ensemble de trente-trois lettres originales fut copié par Jean Neveu (Johannes Nepos), clerc de Gilles de Clamecy, chevalier (et conseiller du roi en sa cour de Parlement), pour être ensuite déposées dans le trésor des chartes le 29 avril 1428, suivi d’un deuxième ensemble de sept lettres, copiées par le même, et déposées dans le dit trésor des chartes le 17 mai de la même année9.
13Les lettres en question, toutes sur parchemin et la plupart encore munies de leurs sceaux, pendant sur simple ou double queue de parchemin, se trouvent toujours dans le trésor des chartes, sous la cote J 244 B. Au verso de ces documents figure une indication, suivie d’une lettre ou d’un chiffre. Ainsi : « Littera procuratoris episcopi macloviensis de pace servanda. VIII » ; « Littera Johannis, domini de Reux et de Rochefort, de pace servanda. H » ; « Littera Egidii, domini de la Hunaudaie. R ».
14Ces lettres mériteraient d’être intégralement éditées et étudiées, ne serait-ce que sous les angles sigillographique et prosopographique, en dépit de leur caractère largement répétitif. On se contentera en l’occurrence de quelques observations, portant à la fois sur la forme et sur le fond.
15Qui a prêté serment, outre le duc lui-même ? Son fils François, futur François Ier, son frère puîné Richard, mais non, et pour cause, son autre frère, Arthur, comte de Richemont, demeuré dans l’obédience de Charles VII (il contribuait alors, de loin plus que de près, à la levée du siège de Montargis) ; soit directement, soit par procureur, les évêques de Nantes, Dol, Saint-Malo, Quimper-Corentin, Vannes, Saint-Brieuc et Tréguier (manquent à l’appel l’évêque de Rennes, Guillaume Brillet, alors pourtant que les états de Bretagne étaient réunis précisément à Rennes, l’évêque de Saint-Brieuc et l’évêque de Saint-Pol, mais dans ce cas Philippe de Coëtquis venait d’être transféré au siège de Tours) ; les chapitres cathédraux de Dol, de Nantes, de Cornouaille, de Léon, de Tréguier et de Saint-Brieuc (quatre absents : les chapitres de Rennes, de Saint-Malo, de Vannes et de Saint-Pol) ; trois villes seulement (Saint-Pol-de-Léon, Quimper et Dol10), et un nombre assez appréciable de barons et autres seigneurs (en tout trente et un, majoritairement sires et chevaliers : parmi ces barons, Alain de Rohan, comte de Porhoët, et Jean, sire de Penhoët, amiral de Bretagne) : là aussi un déficit existe, même s’il est difficile d’en mesurer l’ampleur. Il y eut sans doute ici et là de prudentes abstentions : ainsi, pas de serment des villes de Nantes et de Vannes (mais étaient-elles représentées ?) et surtout silence complet de Rennes (évêque, ville, communauté urbaine). Et surtout Jean V se satisfit-il de ces manques, ou bien les déplora-t-il ? Il n’est pas évident qu’il ait fait l’impossible pour allonger la liste des « jureurs » : l’essentiel pour lui n’était-il pas de calmer Bedford, au moindre prix ?
16Ce qui frappe en tout cas, c’est que celui-ci, dès le départ, n’ait pas voulu se contenter du serment du duc mais ait tenu à y associer d’autres personnes physiques et morales. Espérait-il un plus grand nombre de « jureurs », fut-il satisfait par la présence de tel ou tel dont il pouvait se demander s’il accepterait, fut-il inquiet de quelques défaillances, notamment urbaines ? Les formules retenues, fruit d’un compromis entre ses propres exigences, les préoccupations du duc et les réactions individuelles, lui donnèrent-elles entière satisfaction, à supposer qu’il ait pris le temps d’une exacte connaissance ? En l’absence d’indice, il est du moins permis de poser la question.
17Quand et où ces serments furent-ils prêtés ? La très grande majorité le furent à Rennes, les 8 et 9 septembre 1427, mais il y eut des retardataires qui jurèrent le 10, puis intervint le serment de François, fils aîné du duc, le 15 septembre, sans qu’on soit en mesure de savoir s’il faut accorder une signification politique à ce délai.
18En majorité, les actes durent être préparés par la chancellerie du duc de Bretagne, quitte à ce qu’y soient ajoutés les noms et qualités des « jureurs » et les modalités du scellement. Toutefois, certains des « jureurs » disposaient de leur propre service d’écriture et firent rédiger l’acte qui les concernait par ses soins. Ainsi pour ce qui est de Jean Mangiennen, licencié en lois, procureur de l’évêque de Saint-Malo, dont l’acte précise : « Donné à Renes soubz le seel de mondit seigneur de Saint Malou apposé à ces presentes11 », alors que pour les autres actes le lieu n’est jamais mentionné.
19La plupart du temps les serments furent scellés des propres sceaux des prestataires mais parfois, quand ils ne disposaient pas du leur, ils se servirent des sceaux d’autres personnes, avec le consentement de ces dernières : c’est ainsi que le sire de Coëtquen prêta son sceau au sire de La Hunaudaie. Il convient ici de noter que les habitants de Saint-Pol-de-Léon se servirent du sceau du vicaire de l’évêque de la cité, que les habitants de Quimper recoururent au sceau d’un certain Pierre Lestanet, en y ajoutant le seing manuel de Jean Guillaume, notaire et juré du dit lieu, et que les habitants de Dol disposèrent des sceaux établis aux contrats des cours de Dol (sans doute la cour ecclésiastique et la cour laie).
20Mais le plus intéressant réside dans la différence des formulations, qu’il convient de mettre en lumière, en hommage à Jean Kerhervé et à son goût ou plutôt à son appétit insatiable pour les documents d’archives.
21Voici d’abord celle adoptée par François de Bretagne :
« François, ainé filz du duc de Bretagne, comte de Montfort, etc., a touz ceulx qui ces presentes verront, salut. Comme nostre tres redoubté seigneur et pere monseigneur le duc en certain acord faisant entre tres hault et tres excellent prince monseigneur le roy de France et d’Angleterre et nostredit tres redoubté seigneur et pere ait juré garder et observer les appoinctements et trectié de paix final fait entre les deux royaulmes de France et d’Angleterre et aussi ait promis faire hommage et recognoissance audit roy de France telz que ses predecesseurs ducs de Bretaigne l’ont acoustumé faire a roy de France en le gardant es honneurs, previlleges, franchises, libertez, usages et preeminences dont les ducs de Bretaigne ses predecesseurs ont acoustumé joir et user, nous avons juré et jurons par les foy et serement de nostre corps tenir et garder lesdits tretié et appointement de paix final fait entre les deux royaulmes ainsi que nostredit seigneur et pere l’a promis et juré tenir et garder sans en aucune maniere venir au contraire et avons renoncé et renonçons a toutes aliances et promesses faictes ou prejudice de ladicte paix final, reservez les droiz, libertez, etc., de nostredit seigneur et pere et de nous. En tesmoin de ce nous avons fait seeller ces presantes de nostre seel, le XVe jour de septembre l’an mil CCCC vingt et sept12. »
22Apparaît ici en pleine lumière – c’est une constante dans toutes les formules – le souci que soient maintenus et garantis les honneurs et privilèges possédés de façon coutumière par les ducs de Bretagne. Il est d’autre part entendu que François, comme d’ailleurs son père, renonce à toute alliance qu’il aurait pu conclure au préjudice de la dite paix finale, c’est-à-dire, en pratique, à toute alliance avec Charles VII et ceux de son camp, et cela dans le contexte bien connu où les alliances entre princes et nobles ou entre nobles étaient censées constituer un lien de toute première importance13. Toutefois, ce faisant, François réserve expressément ses droits et libertés en même temps que ceux de son père. Quant à l’hommage que devra prêter le duc, il exclut par prétérition toute ligesse et est assorti d’une simple reconnaissance n’entraînant apparemment aucune obligation précise, qu’elle soit militaire, financière ou judiciaire.
23La formule adoptée par et pour les barons est presque identique, comme le montre l’exemple suivant :
« A touz ceulx qui ces presentes verront, Geffroy, sire de Combour et de Derval, etc., salut. Comme nostre prince et seigneur le duc de Bretaigne en certain acort faisant entre tres hault, tres excellent et tres puissant prince le roy de France et d’Angleterre et nostre dit seigneur, iceluy nostre seigneur ait juré garder et observer les appointements et traictié fait entre les deux royaumes de France et d’Angleterre et aussi ait promis faire hommage et recognoissance audit roy de France telz que ses predecesseurs ducs de Bretaigne l’ont acoustumé faire a roy de France en le gardant es honneurs, previlleges, franchises, libertez, usages et preeminences dont les ducs de Bretaigne ses predecesseurs ont acoustumé joir et user, nous avons juré et jurons par la foy et serment de nostre corps tenir et garder ledit traictié et appointement de paix final fait entre les deux royaumes ainsi que nostredit seigneur et prince l’a promis et juré tenir et garder, sans en aucune maniere venir au contraire, et avons renoncé et renonçons a toutes aliances et promesses faictes a l’encontre de ladicte paix final, reservé les feaulté et obbeissance que nous devons a nostredit seigneur et prince. En tesmoin de ce nous avons fait seeller ces presentes de nostre selle le VIIIe jour de septembre l’an mil CCCC vingt et sept14. »
24On notera simplement l’introduction du mot prince pour désigner le duc de Bretagne, le titre de « très puissant » attribué, avec d’autres, au roi de France et d’Angleterre, et la mention de la féauté et obéissance que le sire de Combourg doit au duc de Bretagne.
25Dès lors que l’évêque, le chapitre et les habitants de Dol ont tous prêté serment, en des formules à la fois spécifiques et convergentes, il a paru intéressant de les confronter.
26Et d’abord la formule de l’évêque Étienne Coeuvret.
« A tous ceulx qui ces presentes lettres verront, Estienne, par la grace de Dieu evesque de Dol, salut. Comme le duc nostre prince et seigneur ait fait appointement de paix et acord entre le roy de France et d’Angleterre et le duc de Bethfort regent le royaume par quoy nostre dit seigneur et prince ait juré et acordé la paix faicte entre les deux royaumes de France et d’Angleterre et soit tenu faire hommage et recognoessance tieulx comme ses predecessours ducs de Bretaigne l’ont acoustumé faire aux roys de France, parmy ce que lesdiz roy, ses hoirs et regent sont tenuz luy et ses hoirs maintenir et garder en ses droiz, libertez, possessions, franchises, usages, preeminences et noblesces, nous nous consentons audit appointement fait par nostre dit seigneur et prince et promectons le garder et tenir sans riens faire au contraire. En tesmoing de ce nous avons fait mettre nostre sceell a ces presentes le dixme jour de septembre l’an mil quatre cens vingt et sept15. »
27Ici, le roi de France et d’Angleterre n’a droit à aucun qualificatif d’honneur, le duc de Bedford devient partie prenante, le terme de « noblesses » s’ajoute à ceux qui définissent les privilèges des ducs de Bretagne, il n’est pas question d’un renoncement à d’éventuelles alliances ou promesses (tel est d’ailleurs le cas pour les autres prélats) et c’est un sec consentement qui est seulement accordé. Tout cela n’exprime-t-il pas une sensible réserve ?
28Le serment du chapitre de Dol emprunte la formule suivante :
« A touz ceulz qui ces presentes verront humble chappitre de Dol salut. Comme nostre prince et seigneur le duc de Bretaigne en certain acord faisant entre treshault, tres puissant et tresexellant prince le roy de France et d’Angleterre et nostre dit seigneur, iceluy nostre seigneur ait juré garder et observer les apointemans et traictié de paix final fait entre les deux royaumes de France et d’Anglaiterre et aussy ait promis faire homage et reconoessance audit roy de France telz comme ses predecesseurs ducs de Bretaigne l’ont acoustumé fayre a roy de France en le gardant es honneurs, previleges, franchises, libertés, usages et preeminences dont les ducs de Bretaigne ses predecesseurs ont acoustumé joir et user, nous avons promys et promectons tenir et garder ledit traictié et appointement de paix final fait entre lesdits deux royaumes ainssy que nostredit seigneur et prince l’a promyst et juré tenir et garder, sans aucune maniere venir au contraire. Donné soubz nostre seau en nostre chappitre de Dol le Xe jour de septembre l’an mil IIIIc vingt et sept16. »
29Là encore une certaine réticence n’est pas exclue. De plus, on doit relever la date du 10 septembre (la même que pour le serment de l’évêque) et la mention « en nostre chappitre », qui amène à penser que l’acte a été rédigé non pas à Rennes mais à Dol, situé à 56 km de distance, ce qui permettait à l’évêque comme au chapitre de disposer d’un certain espace de liberté. Relevons aussi les particularités de l’orthographe par rapport aux autres documents. Tout se passe comme si une formule modèle avait été transmise aux intéressés par la chancellerie ducale et que cette formule avait subi une certaine adaptation.
30On trouve confirmation de cette hypothèse dans la formule retenue par les habitants de Dol :
« Comme le duc nostre prince et seigneur ait fait appoinctement de paix et acord avec le roy de France et d’Engleterre et le duc de Bethfort regent le royaume par quoy nostre dit seigneur et prince ait juré et acordé la paix faicte entre les deux royaulmes de France et d’Engleterre et soit tenu faire hommaige et recognoessance tieulx comme ses predecesseurs ducs de Bretaigne le ont acoustumé a faire aux roys de France, parmy ce que lesdiz roy, ses hoirs et regent ont promis et sont tenuz nostredit seigneur et prince et ses hoirs maintenir et garder en ses droiz, libertez, possessions, franchises, preeminences et noblesces, nous les cyteyens, bourgeois et habitans des ville et forbourgs de Dol savoir faisons que nous nous suymes consentiz et acordez, consentons et acordons a ladicte paix et appointement de paix finalle et promettons et jurons les garder et tenir sans jamais faire ne venir à l’encontre. Donné tesmoing les seaulx establiz aux contratz des cours de Dol cy mis a noz prieres et requestes le dixme jour du mois de septembre l’an mil IIIIc vingt et sept17. »
31Ainsi la date est là encore celle, relativement tardive, du 10 septembre, l’acte a dû être fait à Dol (c’est pourquoi les habitants n’ont pas eu à désigner de procureurs pour les représenter aux états de Rennes), le roi de France et d’Angleterre n’est ni excellent ni puissant, les termes « consentons et acordons » manquent de chaleur, et surtout le roi de France est censé avoir promis, en expresse contrepartie, de maintenir le duc de Bretagne en ses libertés, prééminences et noblesses. Le contraste est net avec l’engagement des habitants de Quimper, où l’on trouve le passage suivant :
« Nous avons juré et jurons par la foy et serement de nostre corps tenir et garder ledit traicté et appointement de paix final entre les diz deux royaumes ainsin que nostre dit seingneur et prince l’a promis et juré tenir et garder sans en auchune maniere venir au contraire, et avons renoncé et renonçons a toutes aliances et promesses faictes au prejudice de ladicte paix final, reservé les feaulté et oboissance que nous debvons a nostredit seigneur et prince18. »
32Relevons encore que Richard, « filz du duc de Bretaigne » (aucun titre féodal nelui est reconnu, et notamment pas le comté d’Étampes qu’il revendiquait pourtant), n’exprime aucun renoncement à d’éventuelles alliances, alors qu’il avait autrefois servi en armes le dauphin Charles19. Peut-être lui non plus n’envisageait-il pas d’un œil enthousiaste le ralliement à Bedford : un moindre mal à ses yeux ?
33Réticence aussi, mais sans doute plus ecclésiastique que politique, de la part de l’évêque de Tréguier : « Nous avons promis et promectons en tout ce que nous est et puet estre licite selon nostre ordre et dignité tenir et garder20. »
34Relevons pour finir que ces réactions, certes discrètement exprimées, rejoignent sur le mode mineur des protestations formelles, connues de longue date21.
35L’on sait par les archives anciennes du château de Blain qu’Alain VIII, vicomte de Rohan, fit enregistrer par un notaire apostolique une protestation en latin, en date du 3 septembre 1427 :
« Le magnifique et puissant baron le seigneur Alain, vicomte de Rohan et comte de Léon, a dit et affirmé qu’il était venu à sa connaissance quelques jours auparavant qu’Alain, comte de Porhoët, son fils unique, se trouvant toujours sous la puissance paternelle, avait promis, juré et consenti, sans son autorité, licence et consentement mais seulement en raison des terribles persuasions de l’actuel duc de Bretagne, certains traités de paix entre le roi de France et d’Angleterre et le régent du royaume de France d’une part et le dit seigneur duc d’autre part […], sous certaines modalités, paroles et formes dommageables à la vraie couronne de France, comme le pensait le dit vicomte, et ignominieuses, et également en dérogation sur plusieurs choses à l’état et à l’honneur du dit vicomte et des siens […]. C’est pourquoi le dit vicomte a révoqué et cassé toutes les promesses, consentements et prestations de serments faits par son dit fils dans les dits traités22. »
36Bien mieux : le 10 septembre, dans le manoir épiscopal de Rennes (peut-être un foyer d’opposition à la pusillanimité ducale), intervint la protestation du dit Alain de Rohan, qui pourtant avait prêté serment la veille : il avait été « contraint et forcé » par le duc, sur son ordre exprès, par la force et par la crainte, car on lui avait présenté qu’il fallait éviter à tout prix la « destruction et la destitution » du duché de Bretagne « à cause des terribles et horribles incursions des Anglais » tant dans le royaume de France qu’en Bretagne. À l’évidence, selon tous les droits, un semblable serment prêté sous la menace au roi d’Angleterre (et non de France) et au régent, ne valait rien. Il demandait à en être relevé et entendait, le moment venu, pouvoir servir sans être réputé parjure le roi de France « contre les Anglais et les autres ennemis du royaume de France ». À la requête d’Alain de Rohan, Jean Apavon, clerc et notaire, en fit un instrument public, en présence de deux témoins, « noble homme » Pierre Loret et Jean Lameur. On peut imaginer que Jean V fut tenu au courant et qu’à sa manière, dans des circonstances critiques, il laissa faire : l’essentiel à ses yeux n’était-il pas de gagner du temps et d’apaiser Bedford, tout en maintenant avec rigueur la position des ducs de Bretagne telle qu’elle s’était fixée au xive siècle et surtout depuis 1366 relativement à la forme d’hommage qu’ils ne pouvaient refuser aux rois de France23 ?
Notes de bas de page
1 Bernard Guenée, Un meurtre, une société. L’assassinat du duc d’Orléans, 23 novembre 1407, Paris, 1992, p. 114-118 : l’auteur est légitimement sceptique quant à la portée de ces serments à répétition ; du moins on ne pouvait, on n’osait pas s’en passer. C’était un élément parmi d’autres pouvant servir à fonder des actions judiciaires. Jean Gerson voyait dans le serment l’un des principaux fondements de l’ordre social, au sens large.
2 George A. Knowlson, Jean V, duc de Bretagne et l’Angleterre (1399-1442), Cambridge/Rennes, 1964, p. 119.
3 Émile Cosneau, Le connétable Arthur de Richemont (Artur de Bretagne) (1393-1458), Paris, 1886, p. 64.
4 Journal d’un bourgeois de Paris 1405-1449, éd. Alexandre Tuetey, Paris, 1881, p. 207-208. Guillaume Gruel, Chronique d’Arthur de Richemont, éd. Achille Le Vavasseur, Paris, 1890, p. 43-45, fait porter le soupçon sur le chancelier du duc de Bretagne, lequel avait à cette occasion fait « assembler ban et arriere ban et toutes gens qui en guerre povoient servir » (Alain Bouchart, Grandes Croniques de Bretaigne, éd. Marie-Louise Auger et Gustave Jeanneau, t. II, Paris, 1986, p. 289).
5 Dom Hyacinthe Morice, Mémoires pour servir de preuves à l’histoire civile et ecclésiastique de Bretagne, t. II, Paris, 1744, col. 1198-1199.
6 G. A. Knowlson, Jean V…, op. cit., p. 137.
7 Alain Bouchart, Grandes Croniques…, op. cit., t. II, p. 293-297.
8 Arch. nat. France, X1a 8605, f° 1. Henri Stein, Archives nationales. Inventaire analytique des ordonnances enregistrées au Parlement de Paris jusqu’à la mort de Louis XII, Paris, 1908, p. 38.
9 Sur Gilles de Clamecy, voir Françoise Autrand, Naissance d’un grand corps de l’État. Les gens du Parlement de Paris, 1345-1354, Paris, 1981, à l’index. Le choix de Clamecy, pilier et champion de l’union des deux couronnes, ne doit rien au hasard. Un document contemporain le dit « principalis consiliarius sub […] domino regente » (J. Stevenson, Letters and papers illustrative of the Wars of the English in France during the reign of Henry the Sixth King of England, t. II, deuxième partie, Londres, 1864, p. 530-531).
10 Sur les villes bretonnes à cette époque, voir Jean-Pierre Leguay, Un réseau urbain au Moyen Âge : les villes du duché de Bretagne aux xive et xve siècles, Paris, 1981.
11 Arch. nat. France, J 244 B, n° 99, 17.
12 Ibid., n° 99, 5. Au verso : « Littera Francisci, primogeniti Johannis, ducis Britannie, de pace servanda. B. »
13 Peter S. Lewis, « Of Breton Alliances and Other Matters », Christopher T. Allmand (éd.), War, Literature and Politics in the Late Middle Ages. Essays in Honour of G. W. Coopland, Liverpool, 1976, p. 122-143.
14 Arch. nat. France, J 244 B, n° 99, 3. Au verso : « Littera Gaufridi, dominus de Combour et de Derval, de pace servanda. V. » C’est, au nom près, la formule reproduite par Alain Bouchart, Grandes Croniques…, op. cit., p. 296-297.
15 Arch. nat. France, J 244 B, n° 99, 1. Au verso : « Littera episcopi dolensis de pace servanda. V. »
16 Ibid., n° 99, 32. Au verso : « Littera capituli dolensis de pace servanda. XV. »
17 Ibid., n° 99, 37. Au verso : « Littera habitantium civitatis dolensis de pace servanda. XLI. »
18 Ibid., n° 99, 31.
19 Ibid., n° 99, 6. Au verso : « Littera Ricardi, filii ducis Britanie de pace servanda et frater ducis presentis. C. » Toutefois, dans Arch. nat. France, X1a 8605, f° 6 v°, il est intitulé « Richard, filz du duc de Bretaigne, conte d’Estampes, seigneur de Cliçon, de Paluau et des Essars ». Sur Richard de Bretagne au service de Charles VII, voir E. Cosneau, Le connétable Arthur…, op. cit., p. 61.
20 Ibid., n° 99, n° 29. Au verso : « Littera episcopi trecorensis de pace servanda. VI. »
21 « Honneur à eux » écrit à ce propos Arthur Le Moyne de La Borderie dans Histoire de Bretagne, t. IV (1364-1515), Rennes, 1906, p. 225. Selon l’éminent historien, « l’immense majorité des Bretons étaient pour la France contre l’Angleterre », en dépit de la méfiance envers Charles VII.
22 Dom Morice, Mémoires pour servir de preuves…, op. cit., t. II, col. 1202. Le fait est qu’Alain de Rohan, n’ayant pas de sceau à sa disposition, eut recours à celui de son oncle Charles de Rohan, seigneur de Guéméné-Guingamp (Arch. nat. France, J 244 B, n° 99, 7). Dans des instructions données par Charles VII à ses ambassadeurs envoyés en juin 1428 auprès du roi de Castille, il est dit que le duc de Bretagne, « par le moien et pourchas » de certains membres de son entourage, s’est soustrait à l’obéissance du roi, a fait serment aux Anglais, et a contraint plusieurs de ses nobles à l’imiter ; toutefois plusieurs grands seigneurs bretons lui ont désobéi pour garder leur loyauté envers le roi, tels la dame et les enfants de Laval, le sire de Rais, le vicomte de Rohan et l’évêque de Saint-Malo (E. Cosneau, op. cit., p. 531).
23 Sur la question de l’hommage, voir l’étude fondamentale de Paul Jeulin, « L’hommage de la Bretagne », Annales de Bretagne, 41, 1934, p. 380-473. On peut également consulter l’article de Philippe Contamine, « Bretagne et France à la fin du Moyen Âge : le temps de Jean V, de Charles VII et de Jeanne d’Arc », Bulletin de la Société archéologique et historique de Nantes et de Loire-Atlantique, 127, 1991, p. 71-86.
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