Écrire et enseigner la géographie scolaire
p. 47-57
Texte intégral
1Lors de la Rencontre nationale sur la didactique de l’histoire et de la géographie à l’INRP, en 1986, Louis François intervient dans la salle1 et déclare que la culture est la finalité centrale de l’enseignement secondaire, et que les instruments de culture que doivent être les disciplines scolaires ne doivent prélever dans la science historique et la science géographique que ce qui permet de comprendre le présent2.
2Trente ans auparavant, jeune écolier de cours préparatoire dans une école parisienne, puis dans une école de « Seine-et-Oise », j’avais en cours élémentaire c’est certain, et en cours moyen c’est un peu moins certain, ses manuels de géographie. Je le connais donc personnellement beaucoup moins bien que ses collègues Dominique Borne et André Zweyacker3. Plus récemment, ma dernière rencontre avec l’œuvre de Louis François a été la découverte de son article sur le travail en équipe en classe, texte rédigé alors qu’il était professeur au lycée Henri IV4.
Méthodes actives et souffle humaniste
3Il s’agira ici de rappeler les facettes du géographe et du pédagogue en prenant appui sur trois types de sources. Les plus connues sont ses nombreux manuels scolaires de géographie et ses cartes murales publiés chez Hachette : du cours élémentaire à la classe de Terminale en passant par les classes de transition. Ses écrits institutionnels sont aussi largement diffusés : certains sont signés, comme ses propos au Bureau International d’éducation de l’Unesco5, d’autres sont collectifs, comme les instructions générales pour l’enseignement de la géographie de mai 1955 et les instructions complémentaires pour l’enseignement de la géographie de janvier 1957. Moins diffusées sont ses contributions d’avant-guerre aux revues de géographie Les Études Rhodaniennes, L’Information Géographique et L’Information Pédagogique.
4Une logique d’exposé que l’on aurait qualifiée à cette époque de dogmatique consisterait de partir de ces textes programmatiques pour les confronter aux manuels scolaires que Louis François signe, mais l’on optera ici pour une logique inverse : regarder, observer ses contributions à des revues et ses manuels scolaires pour venir ensuite aux textes programmatiques. Cela ressemble aux méthodes actives, celles prônées pour l’enseignement de la géographie6.
Des études rhodaniennes à l’information pédagogique
5Reçu deuxième à l’agrégation d’histoire-géographie en 1927 après Aimé Perpillou, sa carrière de géographe s’illustre en 1928 par une importante monographie régionale sur l’Île Crémieu7. C’est manifestement le fruit d’un travail de terrain, peu de sources bibliographiques citées, mais des photos et des cartes tracées à la main par l’auteur. Comme le veut alors l’épistémologie de la géographie, la première partie s’intitule Description physique et se conclut ainsi :
« L’action des glaciers a donc été considérable ; elle a contribué au façonnement du relief, et ses effets se font sentir de nos jours encore dans la vie humaine de l’Île Crémieu. »
6La seconde partie de l’article s’intitule La vie économique et se termine par ces phrases :
« Ainsi soumise aux conditions physiques locales et aux conditions économiques régionales, la vie de l’Île Crémieu manque d’intensité et d’ampleur. Sa capitale, vieille cité commerciale, est tombée dans la torpeur. L’Île Crémieu est le type de ces régions médiocres qui changent peu, parce qu’elles ont des ressources matérielles et humaines insuffisantes pour provoquer la révolution d’un grand développement agricole et industriel. »
7Aspects physiques et humains sont étroitement liés dans cette enquête monographique, qui est aussi une des pratiques des pédagogues novateurs.
8On ne sent pas dans cette conclusion une motivation pouvant orienter l’auteur vers un travail de thèse, néanmoins, Louis François poursuit une activité importante de géographe. Nommé professeur à Marseille, il contribue de 1929 à 1932 aux Études rhodaniennes par des notes appuyées de statistiques8. On pourrait croire que les volets physiques de la géographie le mobilisent fortement puisqu’ils donnent lieu à un important travail sur l’Évolution des côtes de Camargue, présenté dans un premier temps en conférence en septembre 1933 et republié ensuite en 19379. Mais cet intérêt pour la géographie physique se combine avec une forte préoccupation des aménagements possibles10 et c’est surtout un lyrisme humaniste que l’on entend dans son introduction :
« Il est peu de paysages au monde qui évoquent aussi bien que ceux de Camargue des impressions de vastitude, d’illimité, d’infini, et qui fassent mieux comprendre la force possible de l’homme dans un monde où il n’est qu’à la marge de toutes choses. »
9À Marseille il avait fondé avec Gustave Monod la section du Groupement universitaire pour la SDN11. Nommé professeur à Paris, il cesse sauf exception12 ses contributions aux Études rhodaniennes mais publie de 1936 à 1939 des articles dans des revues fortement associées à l’éducation nouvelle et aux réformes de Jean Zay, tournées vers les méthodes actives au travers des activités dirigées13. Dans L’Information pédagogique, dont Monod est un des membres du comité de rédaction, il témoigne de ses pratiques d’enseignant innovant. Nous retiendrons le début de la conclusion de son article dans lequel il décrit l’émulation introduite par la compétition d’équipes d’élèves dans une classe d’histoire et de géographie de lycée de garçons :
« On pourrait épiloguer longuement sur les avantages et les inconvénients moraux d’un tel système. Je crois pourtant que les avantages (éducation démocratique, sentiment des responsabilités, avantage personnel trouvé dans l’avantage de tous, etc.), l’emportent de loin sur les inconvénients (bons élèves parfois désavantagés au profit des mauvais)14. »
10Quelque temps après il montre dans un autre article la convergence entre la pratique de l’enquête géographique et les activités dirigées15.
11À la même époque, il contribue à une autre nouvelle revue, L’Information géographique, plus orientée spécifiquement vers l’enseignement de la géographie où il signe dans son premier numéro un article destiné aux enseignants du primaire16, puis publie une série de mises au point scientifiques tournées vers la géographie économique, la plus originale étant celle sur l’économie italienne17. Quand la revue reparait à la Libération, alors qu’il est devenu inspecteur général, il y rédige de brefs comptes-rendus d’ouvrages sur l’énergie nucléaire et une prise de position commune avec André Meynier, le fondateur de la revue, en faveur du maintien des termes ères primaire, secondaire... pour désigner les ères géologiques18. Géographie économique et préoccupations pédagogiques apparaissent comme les traits d’ensemble de ces articles.
Manuels pour le primaire
12Enseignant innovant, Louis François a envie de contribuer à diffuser ses idées en contribuant à des manuels scolaires. Il convient alors de souligner le fort contraste entre ses livres conçus pour le primaire et ceux rédigés pour l’enseignement secondaire : des manuels à observer pour le primaire, des livres à lire pour le secondaire. Pratiquement tous ses ouvrages sont édités chez Hachette, excepté quelques livrets de travaux dirigés publiés chez Baillère19 quand Hachette arrête la collection Demangeon.
13La collection de livres pour le primaire est déclinée par Louis François et Marcel Villin pour tous les niveaux de classes (CE, CE1, CE2, CE-CM, CM, CM1, CM2, CM-CS, fin d’études, 3e de cours complémentaire, classe de transition...). Marcel Villin est inspecteur du primaire, sa circonscription est à Chartres et dans ses conférences pédagogiques auprès des instituteurs et des normaliens il valorise le rôle de l’Unesco et de l’enseignement de la géographie pour la compréhension entre les peuples, thèmes d’interventions qu’il a aussi évoqués lors du stage UNESCO à Montréal en 195020. C’est donc un proche de Louis François.
14Les couvertures et l’iconographie se renouvellent au fil du temps : la paire de bœufs qui côtoie en couverture un tracteur sur les premières éditions du livre de CM laisse place au fil des éditions à la seule image d’une moissonneuse. Les illustrations sont des dessins de Henri de Renaucourt pour les petites classes et surtout des photographies pour les plus grands élèves, mais la maquette de ces livres est au cours des années extrêmement stable.
15Au CE1 chaque page est une unité complète, dominée par une large iconographie et rythmée en trois activités à faire en classe : « regardez », « lecture » de la leçon, « exercices », suivies d’un résumé à apprendre, le soir21. Chaque chapitre, compte tenu de la réduction des horaires de géographie depuis 1945, correspond à 20 minutes de leçon guidée sur le livre et à 10 minutes d’exercices. Les auteurs rappellent dans leur préface que les instructions officielles, celles de 1923, disent que l’observation est la « seule démarche à la portée des enfants » et que « l’apprentissage de la géographie ne peut se concevoir que lié aux méthodes actives ».
16Au CE2 et au CM, le système de la double page est généralisé, avec les documents iconographiques en premier (page de gauche ou haut de page)22. Tous les documents sont iconographiques ; appelés « figures », ce sont photos, cartes, schémas et graphiques. Le texte de la leçon y renvoie systématiquement, y compris avec des expressions comme « regardez la figure », « voyez sur la figure... », « notez sur la carte... », « montrez sur la carte... », « observez la carte... », « nommez sur la carte... ».
17Les paragraphes sont numérotés, y compris ceux de certains résumés qui peuvent donc éventuellement être vus en plusieurs fois. Chaque leçon se termine par une série de questions ou d’invites à des enquêtes ou à des sorties sur le terrain. Dans la préface du livre, les auteurs font référence à plusieurs impératifs pédagogiques dont l’usage des méthodes actives, mais aussi à l’exercice de la mémoire :
« Il est nécessaire que toute leçon, si active soit-elle, aboutisse à un petit nombre de notions, soulignées dans le texte, rassemblées dans le résumé, que les élèves devront connaître parfaitement. »
Collection Demangeon pour le lycée
18C’est avant-guerre qu’Albert Demangeon entreprend chez Hachette une collection de manuels de géographie pour les lycées. Bien qu’il décède en juillet 1940, la collection garde le nom de son éminent fondateur23. Les livres du secondaire à cette époque diffèrent de ceux de la filière primaire où le format in-4° est la référence. Ce sont des livres à lire, au format in-16 et de plus de 200 pages, Pour les lycées, André Meynier a en charge les livres de sixième et troisième, Aimé Perpillou ceux de cinquième et seconde, Louis François les classes de quatrième et troisième dont les premières éditions paraissent en 1938. Celui de troisième intitulé France et empire, devient ensuite France et Union française24. Après le décès de Demangeon, Louis François traite de la métropole25. Dans celui pour les classes terminales où il rédige les chapitres 22 à 31, il traite des puissances de l’Amérique du Nord et de l’hémisphère sud.
19Même les livres de géographie de la collection Demangeon pour les cours complémentaires adoptent le format des livres de l’enseignement secondaire d’alors, celui de troisième sur la France et l’Outremer, publié de 1949 à 1956 est de Louis François.
20Le manuel de Première est divisé en 32 chapitres, c’est dire qu’un chapitre correspond implicitement à une semaine d’enseignement. Prenons l’exemple du chapitre VI : « La France de l’ouest. Massif armoricain : Bretagne et Vendée26 » (p. 64-81). Le découpage spatial à caractère géologique ne correspond que partiellement à la province de Bretagne et à son voisinage vendéen et rend compte de la difficulté à organiser le découpage d’un livre en fonction des régions « naturelles » au programme. La leçon commence par les caractères physiques, principalement géologiques et morphologiques, avant de passer en revue des sous-régions : Vendée, Arcoat...
« 47. Le Massif Armoricain. Caractères physiques. On y emploie l’expression de relief appalachien (carte du relief en figure).
48. Le relief du Massif Armoricain. On évoque à cette occasion le Cotentin et la Suisse Normande (hors du cadre des deux provinces citées en titre).
49. Le Massif Armoricain, région maritime. Le mot région est employé pour la première fois dans ce chapitre. C’est l’occasion d’évoquer rapidement le climat.
50. Le Massif Armoricain, région pauvre de lande et de bocage, région de vie côtière intense. Photo en noir et blanc du bocage en figure ; cette partie traite aussi du partage entre plusieurs provinces historiques du Massif Armoricain, “malgré son évidente unité physique humaine et économique”.
51. L’Armorique du Sud-Est – La Vendée.
52. La province de Bretagne, photographie en noir et blanc d’un hameau breton.
53. La Bretagne intérieure ou Arcoat.
54. La Bretagne maritime ou Armor, photographie en noir et blanc de la Pointe du Grouin.
55. La zone côtière de la Manche. Photographie de brûleurs de goémon, carte de la pêche sur les côtes bretonnes, il s’agit uniquement de la côte bretonne pas de celle du Cotentin.
56. La zone côtière de l’Atlantique. Il s’agit uniquement de la côte bretonne pas de celle de la Vendée traitée dans un paragraphe spécifique.
57. Nantes et la Basse-Loire. »
21Le chapitre se termine par une bibliographie comportant des lectures géographiques (R. Musset, M. Le Lannou, J. Yole, D. Faucher), des lectures littéraires (Chateaubriand, Balzac, Loti...) que François et Mangin justifient dans leur préface par un souci de culture générale, et un tableau statistique portant sur la population des principales villes et sur l’activité des ports de Nantes et Saint-Nazaire. Sur le plan scientifique on voit le poids évident des « régions naturelles », avant tout ici la géologie, et la difficulté de les cadrer avec des découpages politiques, cependant que l’étude des villes reportée en fin de chapitre, leur donne de fait un rôle second dans l’organisation de l’espace. En ce sens cette présentation est conforme au programme alors en vigueur.
« Étude de la France, par grandes régions naturelles : géographie physique et géographie humaine (population, vie économique). La géographie régionale devra être étudiée en se bornant aux onze grandes régions reconnues de manière incontestable : Nord, Est, Bassin parisien, Ouest, Massif central, Sud-Ouest, Pyrénées, région méditerranéenne, Alpes, Jura, Saône et Rhône. Il conviendra de laisser de laisser de côté toute autre division, telle celle des provinces ainsi que des considérations purement géologiques. »
22Ce manuel de première dans l’édition de 1961 comprend en insert des cartes en couleur. Ce n’est pas une nouveauté, en 1905 il en était de même dans le manuel de Schrader et Gallouédec chez le même éditeur. Il s’agit ici de la reproduction, en taille réduite, de dix cartes murales de la collection dirigée par Louis François27. Ces reproductions de cartes murales ont en commun des figurés ponctuels représentant les activités industrielles et extractives, mais elles différent par la thématique de la carte principale : relief pour le Massif central, la région des Alpes et la région de l’Est ; agriculture pour Bassin parisien, Bassin aquitain – Pyrénées, Bourgogne-Jura ; occupation du sol pour la région parisienne, et densités cantonales de population pour la région du Nord, le Midi méditerranéen et la région de l’Ouest. La carte murale choisie met ainsi l’accent sur une unité humaine de l’Ouest français, plus moderne que l’entrée géologique du chapitre VI du manuel : Massif armoricain. Il s’agit d’un choix, car chacune des cartes murales présente un recto physique, le relief, et un verso économique.
23Le contraste didactique avec les manuels du primaire est manifeste, il renvoie à une pratique d’enseignement différente. Ici pas de résumé définissant un bagage de savoirs minimum, peu d’iconographie, peu de recours à la couleur, pas de question sur les rares documents, pas d’exercices. En fait il ne s’agit pas d’un livre à utiliser en classe, c’est un complément au cours professé par l’enseignant. Dans leur préface François et Mangin précisent leur dispositif.
« Le professeur de géographie, soucieux de faire connaître à des jeunes gens de seize à dix-sept ans les innombrables richesses de notre pays, se demande sans cesse comment il parviendra au bout du programme. Il ne le peut que si les élèves possèdent un manuel assez riche. Il développera les aspects les plus importants ou les plus originaux d’une question ; pour le surplus il demandera à ses élèves de se reporter au manuel. À quoi bon faire acheter un livre s’il n’est pas, avec le cours, la base de l’enseignement ? »
24Il y a certes, complémentarité du livre et de la parole magistrale, mais sans que le manuel ne soit conçu pour être utilisé en classe.
Textes programmatiques
25Au début des années 1950 Louis François est le secrétaire général de la Commission française pour l’Unesco28, il impulse le développement des Clubs Unesco en France pour l’éducation et la compréhension entre les peuples. En 1949 il représente la France à la douzième conférence internationale de l’instruction publique. Il y rappelle que la géographie est l’instrument (ce mot est repris en 1986 lors de la conférence à l’INRP) efficace d’une meilleure compréhension entre les peuples29. Il fait ensuite référence à l’Institut International de Coopération Intellectuelle (1925-1946) qui au temps de la SDN a préfiguré l’Unesco. François prend ainsi le relais du géographe Fernand Maurette qui représentait diplomatiquement la France auprès du Bureau International du Travail et d’autres instances internationales sises à Genève dans les années 1930. Maurette écrivait :
« Longtemps la géographie n’a été qu’une sèche nomenclature en même temps qu’une description pittoresque de la terre. Depuis une trentaine d’années la conception a été profondément modifiée et la géographie est aujourd’hui la localisation, la description, l’explication et la comparaison des paysages et des activités humaines à la surface du globe. Ainsi comprise, il n’est point nécessaire de solliciter, d’incliner la géographie dans un certain sens, pour qu’elle contribue à une meilleure compréhension mutuelle entre les peuples. Ce but est atteint tout naturellement si la géographie est enseignée de façon complète, intelligente et honnête. Pour former l’esprit géographique dont devrait être imprégnée de plus en plus la jeunesse de notre époque, il importe que les professeurs de géographie emploient des méthodes actives, qu’ils donnent un enseignement vivant, concret et actuel, qu’ils mettent à profit les moyens audio-visuels les plus modernes... L’enseignement de la géographie intéresse autant les yeux et l’habileté manuelle que la mémoire et le jugement... Il est souhaitable que la géographie tienne une place plus large dans les programmes scolaires, que les classes soient aménagées et pourvues du matériel pédagogique nécessaire, que l’information et la documentation des maîtres soient assurées30. »
26Par la suite, dans les années 1960, Philippe Pinchemel représentera la géographie française auprès de l’Unesco31, rôle tenu par Louis François dans les années 1950. La continuité dans la conception de l’enseignement de la géographie est manifeste entre Maurette, François et Pinchemel. Un enseignement de la géographie où l’on présente l’effort humain, la variété humaine et la solidarité entre les hommes, une géographie scolaire qui contribue donc à la paix. Cette conception se voit dans la formulation des programmes scolaires.
27Alors que Louis François est inspecteur général, des instructions pour l’enseignement de la géographie sont publiées en mai 1955. Elles commencent par science géographique et enseignement de la géographie, nous dirions aujourd’hui transposition/transformation didactique entre science éponyme et discipline scolaire. Mais en fait le contenu porte sur les valeurs de la discipline à l’école. On retrouve ensuite des expressions utilisées en 1949 devant l’Unesco : « Localiser, décrire, expliquer, comparer les paysages et les genres de la vie à la surface de la Terre », cette dernière notion étant ajoutée.
« L’enseignement de la géographie est honnête dans la mesure où il est complet, où il établit des rapports véridiques entre les faits, où il s’efforce d’être objectif et soucieux de vérité, où il se méfie du sensationnel et répudie toute forme de propagande. »
28Viennent ensuite les intertitres suivants : adaptation de la géographie aux différents âges ; simplification de la géographie ; science et pédagogie ; coordination des enseignements. Puis utilisation des documents qui donne lieu à un long développement équivalent en longueur à toutes les sous-parties précédentes :
« Et tout d’abord celle de la carte... Bien entendu la photographie doit être largement utilisée dans un cours de géographie... On a vu qu’elles étaient abondantes dans les manuels du primaire, mais relativement rares dans ceux du secondaire... et du cinéma... Enfin, la nature et les œuvres des hommes sont là, qui adressent une invitation permanente aux professeurs de géographie. Grâce aux heures consacrées à l’étude du milieu, grâce aux crédits affectés aux activités dirigées, ils ont les moyens de faire sortir les élèves de la classe. »
29Ici encore ces consignes sont plus en harmonie avec les manuels du primaire qu’avec ceux du secondaire.
30Une partie intitulée Emplois des méthodes actives conclut ces instructions. Trois méthodes sont distinguées : les méthodes actives, quand le professeur ne montre pas mais fait découvrir, sont largement exposées (43 lignes). La méthode dogmatique est expédiée en une phrase : « La méthode dogmatique ne peut donc être exclue de l’enseignement géographique. » La méthode historique, celle qui décrit l’histoire de la mise en place du relief, du peuplement, de l’industrie, est à réserver aux grandes classes (8 lignes).
31Viennent ensuite des développements sur l’enseignement géographique et les phénomènes d’actualité, puis sur l’enseignement géographique et l’éducation civique : « la géographie a besoin de l’instruction civique pour pénétrer dans les milieux vivants, devenir concrète, plus attachante et aussi plus culturelle », dimension culturelle de l’enseignement de l’histoire et de la géographie, terme qui sera repris dans son intervention de 1986 à l’INRP.
32Des Instructions complémentaires pour l’enseignement de la géographie sont publiées en janvier 1957. Après avoir rappelé plusieurs théories explicatives scientifiques en climatologie, géomorphologie, géographie rurale, ces compléments proposent une démarche pédagogique qui ne part pas de l’exposition de ces modèles explicatifs mais de documents soumis aux élèves. Les documents suggérés sont des collections : guides locaux, grands albums, pochettes de la Documentation française... Le document est donc le plus souvent hors manuel. Dans l’enseignement secondaire le manuel semble alors hors champ des méthodes actives et le discours en faveur des méthodes actives manque alors quelque peu de supports.
Pédagogue engagé
33En tant que géographe Louis François est un homme de son temps, participant de la communauté qui unit alors géographes universitaires et enseignants. La modernité de Louis François s’exprime principalement sur le plan pédagogique, c’est paradoxalement pour cet inspecteur général de l’enseignement secondaire plus dans ses livres pour le primaire que dans ceux pour le secondaire qu’elle peut s’exprimer et incarner dans la démarche scolaire les ambitions éthiques qu’il n’a cessé d’affirmer. Cette modernité pédagogique et disciplinaire est avant tout soutenue par des valeurs politiques. Dans les instructions officielles, l’engagement du professeur des années 1930 et le souffle humaniste du discours à l’Unesco de 1949 sont toujours présents avec parfois une pointe de doute, mais aucun renoncement.
« On nous permettra néanmoins de souligner, une fois encore, que pour la formation des hommes de demain que sont les adolescents d’aujourd’hui – et cela est valable, bien entendu pour les deux sexes – rien ne saurait remplacer la Géographie. Devenue la sœur et l’égale de l’Histoire, après en avoir été la servante ; comme elle, école de raisonnement et de réflexion et non plus seulement – ainsi que le croient encore trop d’esprits superficiels ou attardés – matière de mémoire, elle concourt, avec elle, et peut-être plus qu’elle, à aider les hommes à mieux connaître et leur pays et l’ensemble de la planète – ce qui a bien sûr son prix, certes – mais aussi à, mieux se connaître entre eux, donc, peut-être, à mieux se comprendre : n’est-ce pas là, à notre époque tourmentée, une tâche – nous sommes tentés d’écrire : une mission – digne de la plus haute estime32 ? »
Notes de bas de page
1 INRP, Rencontre Nationale, sur la Didactique de l’Histoire et de la Géographie. Paris 21 et 22 janvier 1986, Actes du Colloque, Paris, INRP, 1987, p. 65-66.
2 Dans les annexes il est indiqué avec son adresse personnelle à Quincy-Voisin en Seine-et-Marne.
3 Borne D., Zweyacker A., 2002, « Louis François (1904-2002) », Rioux J-P (dir.), Deux cents ans’Inspection générale, 1802-2002, Paris, Fayard, 2002.
4 François L., « Expérience de travail en équipe dans une classe d’histoire et de géographie »,’Information pédagogique, janvier, 1937, p. 62-64.
5 L’Enseignement de la géographie et la compréhension internationale, rapport présenté par Louis François, délégué de la France, Unesco/BIE/124, 4 p. dactylographiées.
6 Instructions générales pour l’enseignement de la géographie, mai 1955.
7 François L., « L’Île Crémieu ou plateau de Crémieu », Les Études rhodaniennes, vol. 4, 1928. p. 47-98.
8 François L., « L’aéroport de Marseille-Marignane », Les Études rhodaniennes, vol. 5, 1929. p. 163-165. « Les Annexes du port de Marseille : Port de Bouc-Caronte, Les Études rhodaniennes, vol. 5, no 2, 1929, p. 245-272. « Port Saint-Louis du Rhône », Les Études rhodaniennes, vol. 4, 1931, p. 221-240. « Les Ports Annexes de Marseille en 1932 » Les Études rhodaniennes, vol. 9, no 2, 1933, p. 256-261.
9 François L., « Étude sur l’évolution actuelle des côtes de Camargue (22 fig. et cartes) », Les Études rhodaniennes, vol. 13, 1937. p. 71-126.
10 François L., « L’aménagement de la Camargue », Les Études rhodaniennes, vol. 9, 19, 1932, p. 263-365.
11 Lecoq T., Lederle A., Gustave Monod, une certaine idée de l’école, Sèvres, CIEP, 2009.
12 François L., « Géographie et instruction civique, séance du vendredi 14 janvier 1955 », Revue de géographie de Lyon, vol. 30, no 3, p. 288-289.
13 Condette J-F., « Les loisirs dirigés dans les collèges et les lycées (1937-1939), Stimuler l’innovation pédagogique locale en attendant la réforme éducative », Histoire de l’éducation, no 12, 2011/1, p. 5-38.
14 François L., « Le système d’équipe dans une classe d’histoire et géographie de lycée de garçons », L’Information pédagogique, no 2, 1937, p. 62-64.
15 François L., « Les enquêtes géographiques », L’information pédagogique, 1939, no 1, cité par Éric Passavant, « Réformer les lycées français de l’extérieur », Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs, no 9, 2010, p. 179-195.
16 François L., « Comment faire comprendre... un fleuve », L’Information géographique, vol. 1, 1936, p. 34.
17 François L., « L’économie italienne », L’Information géographique, vol. 1, no 3, 1936, p. 97-109. « Le marché des métaux non ferreux », L’Information géographique, vol. 2, no 3, 1937, p. 112-115. « Les industries du cuir en France », L’Information géographique, vol. 3, no 5, 1939, p. 208-213.
18 François L., L’Information géographique, vol. 19, no 5, 1955, p. 212-213. Meynier A., vol. 22, no 4, 1958, p. 175.
19 Travaux pratiques classe de 3e (édit. 1965) et travaux pratiques classes de Terminale (édit. 1960, édit. 1964).
20 Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture, Bulletin à l’intention des anciens participants aux stages d’étude consacrés par l’Unesco à l’éducation pour la compréhension internationale, Paris le 30 juillet 1951, dactylographié, cote WS/061.3, p. 12, p. 24.
21 Par exemple : François L., Villin M., Géographie, Premier livre, cours élémentaire première année, Hachette, 1956.
22 Par exemple François L., Villin M., Géographie, Cours élémentaire, Hachette, 1959. Villin M., Géographie, Cours Moyen, Première année, Hachette, 1961.
23 Wolff D., Albert Demangeon (1872-1940). De l’école communale à la chaire en Sorbonne, l’itinéraire d’un géographe moderne, thèse Paris 1, 2005.
24 Demangeon A., François L., L’Union Française (France et Outre-mer), Cours Demangeon, (1re édit. 1941), Hachette, 1959.
25 François L., Mangin R., La Communauté. France et Outre-mer, Cours Demangeon (1re édit. 1943), Hachette, 1961. Meynier A., Perpillou A., François L., Mangin R., Les principales puissances et la vie économique du monde, Cours Demangeon, (édit. 1948), Hachette, 1955.
26 François L., Mangin R., 1961, Ibidem, p. 64-81.
27 Cartes de la collection Louis François chez Hachette (liste partielle) : Le Bassin parisien, La région parisienne, La région du Nord, no 15 La région de l’Ouest, la région de l’Est, La région des Alpes, Bourgogne-Jura, no 2 France climats, no 16 Massif central, no 17 Bassin aquitain – Pyrénées, no 18 Le Midi méditerranéen, no 21 Afrique du Nord et Sahara, no 22 Tunisie.
28 Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture, Compte-rendu sommaire de la réunion des animateurs de la campagne d’entraide internationale en France, 1er et 2 mars 1954, 4 p. dactylographiées, réf : WS/044.25, dactylographié, 4 p.
29 Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture/Bureau International d’éducation, Douzième conférence internationale de l’instruction publique. L’enseignement de la géographie et la compréhension internationale. Rapport présenté par M. Louis François, délégué de la France, réf : Unesco/BIE/124, dactylographié, 3 p.
30 Maurette F., « Conférence faite à l’Université de Genève à l’occasion de la Semaine de la Paix », Recueil Pédagogique de la Société des Nations, décembre 1933), cité par René Ozouf, 1937, Vade-Mecum pour l’enseignement de la géographie, p. 11.
31 Brouillette B., Brown T.J., Graves N.J., Hanaire A., Pinchemel P., Sporck J.-A., Tulippe O., L’enseignement de la géographie, collection Unesco : programmes et méthodes d’enseignement, Unesco-Ipam. 1966.
32 Instructions de janvier 1957.
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Éric Roulet
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2008