Agrégé et chef scout
p. 37-46
Texte intégral
1Par ces articles d’avant-guerre, lorsqu’il est encore professeur, Louis François se montre très intéressé par les questions pédagogiques. On peut imaginer qu’il en discutait avec Gustave Monod, puisqu’ils étaient tous les deux enseignants à Marseille. Ils se sont en effet liés d’une véritable amitié dès cette époque ; ils ont animé ensemble une « École de la paix », qui « accueille des personnalités politiques et universitaires traitant des grands problèmes internationaux ». Par ailleurs, ils font tous les deux partie du Groupement universitaire pour la Société des Nations : en 1933-1934, Paul Fauconnet en est président d’honneur, Gustave Monod vice-président, et Louis François délégué général.
Les deux articles de 1934
2En 1934, Louis François a déjà à son actif dix-sept ans de vie scoute et six ans de pratique professorale. Il est alors professeur au lycée Carnot, à Paris. Il publie en octobre dans la revue des cadres Éclaireurs Le Chef un article intitulé « Le levain du scoutisme dans la pâte scolaire1 ». Il y explique l’organisation d’une classe d’histoire-géographie divisée en équipes. Cet article est un condensé d’un article intitulé « Propositions Pédagogiques » développé dans le Bulletin de la Société des professeurs d’Histoire et de Géographie de l’Enseignement Public, en novembre 19342. Il y a cependant quelques différences entre les deux articles : le choix de la classe (une classe de quatrième dans Le Chef, une classe de troisième dans le Bulletin), et un choix de personnages historiques différents, puisqu’ils correspondent au programme de la classe choisie.
3Par ailleurs, il précise en introduction de son article dans le Bulletin, qu’il ne met cette méthode en pratique dans ses classes que depuis son arrivée à Paris un an auparavant, c’est-à-dire depuis qu’il enseigne dans des classes « jusqu’à la troisième incluse ». Lorsqu’il était à Marseille, il enseignait « dans les plus hautes classes, où ce système n’est pas valable ». Il précise également qu’il n’a reçu « aucune consécration officielle » pour cette forme d’enseignement, dans la mesure où, au-delà de l’administration qui, selon lui, est « toujours méfiante et trop réglementaire », il n’a pas reçu la visite d’un inspecteur général : « ce haut personnage n’a point paru cette année dans notre lycée ». Dans Le Chef, il écrit :
« Les Chefs d’équipe sont ou bien choisis par le professeur parmi les meilleurs élèves de l’année précédente, ou bien désignés par le vote de leurs camarades. Les résultats sont à peu près identiques. Mais il faut reconnaître que les séances de scrutin passionnent les garçons ; ils ont un goût très vif pour la démocratie dirigée » (dans le Bulletin, il parle de « goût prononcé » pour la démocratie dirigée).
4La présence de l’adulte est donc fort visible ici. Mais François laisse les élèves sous la responsabilité de leur chef d’équipe dès les consignes données. Il institue pour la classe « La Loi du peuple » qu’il a rédigé et la fait copier dans le cahier de chaque élève :
« Article 1. Le peuple de 4° A’ travaille avec courage, camaraderie et bonne humeur.
Article 2. Le peuple de 4° sait qu’il faut être silencieux, attentif, discipliné en toutes choses.
Article 3. Le peuple de 4° est réparti en quatre équipes. Chacun dans l’équipe est responsable pour toute l’équipe.
Article 4. À la fin de chaque quinzaine et après chaque composition, un classement est fait entre les équipes. L’équipe première reçoit tous les privilèges du peuple.
Article 5. Les compositions se feront sous forme collective, par équipe. Le règlement en sera fixé par décret ultérieur.
Article 6. Toute contravention à la Loi sera punie :
1) Par des mauvais points infligés collectivement à l’équipe.
2) En cas de récidives trop nombreuses, par l’exclusion de l’équipe et la mise au ban de la classe.
Article 7. Le peuple de 4° A’ s’engage à reconnaître l’autorité immédiate des Chefs d’équipe au sein de chaque équipe et à reconnaître l’autorité absolue et supérieure de celui qu’on appelle communément le professeur, en réalité le Chef du peuple3. »
5François explique qu’il lui est facile d’appliquer les méthodes scoutes en classe, et que l’élève et le maître y gagnent en intérêt. Il précise que l’idéal pour appliquer cette méthode est une classe de 30 élèves, puisqu’il décide de diviser cette classe en cinq équipes de six élèves. On retrouve ici l’organisation des troupes des Éclaireurs, où chaque troupe est divisée en patrouilles de cinq à huit jeunes.
6Il décrit l’organisation de sa classe. Chaque équipe portera le nom d’un personnage illustre du programme de l’année, et un orateur désigné par les membres de l’équipe devra justifier ce choix. Là encore, nous retrouvons l’idée du totem scout, puisque chaque patrouille devait choisir un nom d’animal. Dans Le Chef, il précise que les élèves doivent désigner « un orateur qui montera en chaire à la place du professeur et exposera à ses camarades pour quelles raisons admiratives son équipe a choisi tel personnage pour patron et comment elle s’efforcera, par son travail et sa conduite, de soutenir le nom ». On voit donc bien qu’il souhaite éveiller un sentiment d’appartenance, en laissant les élèves prendre une part active à l’apprentissage des cours.
7Les notes deviennent collectives, avec un classement tous les quinze jours. La meilleure équipe peut choisir son emplacement dans la classe. De plus, il écrit :
« L’équipe première a bien d’autres privilèges : elle monopolise toutes les fonctions publiques de la classe, l’essuyage du tableau, l’approvisionnement en craie, l’ouverture ou la fermeture des fenêtres, la police de la propreté, les transmissions en dehors de la classe. Surtout, elle a la primeur de tous les livres achetés pour la bibliothèque et droit de prise sur tous les objets qu’on peut confisquer dans une classe (couteaux et bonbons principalement). »
8Ici, bien entendu, on peut avoir un aperçu de ce que sera le délégué de classe, tel qu’il sera institué à la Libération, en dehors de deux éléments importants : la police de la propreté d’une part, et le droit de prise sur tous les objets confisqués d’autre part. Dans son article, Louis François ne rentre pas dans le détail de l’organisation de cette police, ni de son rôle supposé ou réel. On ne sait pas non plus les conséquences des remarques faites par cette police : s’agit-il de points retirés aux équipes adverses ? Quels sont les effets de ces remarques sur les autres élèves ?
9Ensuite, le fait d’avoir un « droit de prise sur tous les objets qu’on peut confisquer dans une classe » : cet élément pose un certain nombre de problèmes, comme l’incitation à la délation, ou encore l’inverse d’un esprit de camaraderie. Peut-être est-ce l’esprit scout poussé à l’extrême, avec sa propre patrouille, sa propre équipe, comme seul but ? Cela pose tout de même le problème de l’ambiance de la classe dans les autres matières, même si l’ambiance de classe n’était pas forcément, en 1934, la priorité du corps enseignant... Pourtant, dans ses activités d’Inspecteur Général, Louis François s’intéressera à tout ce qui se passe dans le lycée, en dehors de la classe. Comme le rappellent Dominique Borne et André Zweyacker4 :
« Cette approche plus globale de l’institution s’applique aussi à l’établissement qu’il s’attache à “visiter de fond en comble” pour être informé de l’état de la discipline, de l’existence de clubs, des activités culturelles et sportives, des bibliothèques, de la marche de l’internat, bref, de toute la vie intellectuelle et sociale de cette cité scolaire. »
10Tout au long de sa carrière, Louis François insistera sur l’importance de la vie sociale dans un établissement scolaire.
11Dans la suite de l’article du Chef, Louis François aborde la question des punitions. Il est en désaccord avec les punitions infligées par l’institution :
« Le principal avantage du système est de supprimer toutes les punitions réglementaires, particulièrement les retenues. Les jeudis doivent être consacrés aux arts d’agrément, aux sports ou aux promenades, et non pas à la prison. »
12Il insiste dans le Bulletin :
« Le principal avantage du système est de supprimer toutes les punitions réglementaires, devoirs supplémentaires, retenues, relégation à la permanence, qui semblent à l’ordinaire si nécessaires pour la bonne conduite et le travail soutenu des élèves. Quant à moi j’estime qu’ils ont déjà suffisamment à travailler, si le travail est bien fait, qu’ils viennent assez souvent et assez longtemps au lycée pour ne rien ajouter au régime normal. Le jeudi et le dimanche doivent être consacrés au sport, aux promenades dans la campagne ou aux arts d’agréments. Le chef scout que je suis ne saurait trop y insister. »
13La référence aux activités du jeudi ou du dimanche me fait penser aux principes de l’Éducation Nouvelle dont parle Antoine Savoye :
« Il doit y avoir un rééquilibrage entre les matières enseignées, qui ne doivent pas être qu’intellectuelles. Une place plus grande doit être laissée à la pratique d’activités sportives, au théâtre, aux activités manuelles etc.5. »
14Il n’est pas étonnant donc que Louis François s’investisse autant dans la mise en place des Classes Nouvelles quelques années plus tard, lorsqu’il est Inspecteur Général.
15Quelques lignes plus bas, l’auteur reprend dans Le Chef :
« Qu’un élève fasse tomber la moyenne de l’équipe, les camarades se chargeront de la sanction, bien plus efficace, morale d’abord, et physique au besoin. »
16Ainsi, on peut noter ce que L. François pense de la « sanction physique » opérée par les camarades. D’ailleurs, dans le Bulletin, il précise :
« Et je ne m’oppose pas à une petite râclée (râclée justifiée parmi tant d’autres dans les cours de lycée) administrée par ses camarades à l’élève qui a valu un zéro ou quelques mauvais points à l’équipe Henri IV. »
17Nous ne lisons dans aucun article de Louis François postérieur à ceux-ci une référence à la sanction physique. Sur cette sanction, il précise dans Le Chef :
« Avant que l’élève récidiviste ne soit complètement assommé, le professeur intervient pour le reléguer à un banc spécial, au fond de la classe ; désormais, le garçon travaillera seul ; mis hors la loi de la classe, il retombe dans la loi commune : devoirs supplémentaires, retenues peuvent lui être infligés. »
18Dans le Bulletin, il va encore plus loin :
« Avant que l’élève récidiviste ne soit complètement assommé le professeur a toujours la possibilité de le chasser de l’équipe. Mais ce n’est point pour en faire le triste cadeau à une autre équipe. L’élève est mis au ban de la classe, c’est-à-dire, sans jeu de mot excessif, relégué à un banc mal commode tout spécialement désigné. Désormais il travaille seul ; mis hors la loi de la classe, il retombe dans la loi commune ; devoirs supplémentaires, retenues peuvent lui être infligés. »
19Nous pouvons donc lire avec soulagement un peu plus bas dans le Bulletin que « des arguments moins frappants ou de moindres châtiments interviennent le plus souvent... grâce au chef d’équipe. Presque autant que le professeur, voilà bien le personnage essentiel de la classe ». Il revient sur la présence discrète de l’adulte, puisqu’il précise :
« Le chef d’équipe est non seulement celui qui montre l’exemple dans l’équipe par son travail et sa conduite, mais aussi celui qui dirige et conseille ses camarades. À lui de rappeler la carte qu’il faut dessiner ou la leçon qu’il faut apprendre pour la classe prochaine ; à lui de se rendre compte si le travail est bien fait et au besoin d’exiger qu’on le refasse ; à lui de diriger les révisions au moment de la composition ; à lui d’intervenir pour faire cesser le bavardage ou l’inconduite dans l’équipe. Il sait que les premières réprimandes comme les premières félicitations seront pour lui. Il se considère comme l’intermédiaire entre le professeur et les élèves, moins que le professeur et plus que les autres élèves. »
20Cet élément important, à savoir que le chef d’équipe est obligatoirement un bon élève, n’apparaît pas dans la revue Le Chef, puisque cette revue ne s’adresse pas à des enseignants. Or, comme le rappelle Étienne Père dans Le scoutisme comme vecteur d’éducation morale, au sujet d’un ouvrage publié à l’occasion du centième anniversaire du scoutisme :
« On met en exergue certains aspects de la pensée du fondateur du scoutisme : l’éducation qui exprime, opposée à l’instruction qui imprime, l’impératif de partir des jeunes et de leurs dynamiques spontanées. Ce qui retient l’attention, c’est l’expérience de la construction progressive du collectif, à travers des projets vécus ensemble. L’éducateur accompagne la république d’enfants en gestation et permet de faire émerger, de nommer les découvertes et acquis essentiels, entre autres dans le domaine de l’éducation morale6. »
21Ici donc, pas question de bons élèves ni de résultats brillants. On oppose éducation à instruction. En revanche, dans le Bulletin, dans lequel l’article s’apparente à un exemple à reprendre, à un mode opératoire, les lecteurs sont des enseignants d’histoire et géographie. L’auteur se montre donc très explicite sur la mise en place de ce fonctionnement. Il ajoute par ailleurs, à l’attention de ces enseignants, que lors de réunions après la classe avec les chefs d’équipe, au moment où le professeur écoute chacun, il se rend compte que :
« Le chef d’équipe révèle le travail patient et secret de tel élève qui ne veut pas faire baisser l’équipe ; explique le médiocre travail d’un autre par des raisons de caractère ; demande au professeur d’intervenir de certaine façon auprès d’un camarade trop peu soucieux des intérêts de l’équipe. Et chaque fois le professeur s’émerveille de la psychologie dont font preuve ces garçons de 14 ans et s’étonne lui-même de si mal connaître ses élèves. »
22Puis, Louis François explique ce qu’il appelle « La marche de la classe » : pour lui, « le cours prend le plus souvent la forme socratique » (Le Chef et le Bulletin). Ainsi, par le dialogue, on fait avancer l’élève. Il n’y a plus de cours dicté, mais du jeu et de l’émulation. Dans Le Chef, quelques lignes suffisent pour expliquer cette marche, sous forme de concours, que ce soit en histoire ou en géographie.
23Dans le Bulletin en revanche, l’auteur s’attarde sur le déroulement de ces concours au sein de la classe. Il précise par exemple que « les conciliabules devront avoir lieu à voix basse ». De plus, il explique l’intérêt de la participation orale des élèves, puisque :
« Dans nos lycées, [...] on n’apprend guère l’usage de la parole, pourtant si utile dans la vie. Quelle humiliation [...] que les exposés confiés aux élèves dans les classes de première et de philosophie ! Quand de jeunes étrangers, indochinois particulièrement, peuvent librement s’exprimer en notre langue, alors que leurs camarades français bafouillent ou se plongent dans la lecture monotone d’un papier. »
24De plus, toujours dans le Bulletin, il décrit une séance de cours particulièrement active, dans laquelle on peut voir à l’œuvre le fonctionnement de l’éducation nouvelle. Il écrit :
« On obtient des résultats étonnants en cédant parfois la chaire à de jeunes garçons de 14 ans. Organisez les procès d’Étienne Marcel, de Jeanne d’Arc, de Jacques Cœur ou du Connétable de Bourbon, en demandant aux équipes de vous fournir les accusateurs et les avocats. Mettez au concours entre vos équipes la description des avantages ou des inconvénients de l’Angleterre ou de l’Espagne. Pour le triomphe de l’équipe de jeunes orateurs se révéleront. Certaines parties austères du programme prendront un attrait singulier si tout la classe entre dans le jeu et se passionne pour un classement. »
25Louis François pousse d’ailleurs cette expérience de groupe et d’équipe jusqu’au bout, puisque même les compositions se travaillent en commun : dans Le Chef, il explique :
« Le sujet d’histoire donné, l’équipe a dix minutes pour se concerter et recevoir les directives du Chef d’équipe ; puis, durant les cinquante autres minutes, chacun rédige une copie individuelle. »
26Il précise dans le Bulletin :
« Ainsi est bannie l’hypocrisie habituelle des compositions ; la tendance au copiage, mauvais instinct malheureusement développé en cette occasion, est légalisée, élevée même au rang d’une vertu : le sentiment d’entraide pour un travail commun. »
27Il fait ici la différence entre le sujet d’histoire et de géographie :
« L’épreuve de géographie a lieu sous forme plus nettement collective. Chaque équipe de six est partagée en deux sous-équipes de trois. Chaque sous-équipe fait une seule copie composée d’un texte écrit et d’une carte. La sous-équipe travaille comme elle l’entend, soit en faisant en commun tout le travail, soit en le divisant : un inspirateur général, un rédacteur de texte, un dessinateur de carte. »
28L’auteur donne une description détaillée du calcul des notes dans le Bulletin, ce qui n’est bien entendu pas nécessaire dans Le Chef, où il ne décrit que les prix remis : 1er prix, 2e prix, 1er Accessit, et ainsi de suite. Mais dans le Bulletin, en supplément de ce calcul de notes, il explique comment justifier les ex-aequo auprès de l’administration du lycée, qui s’en inquiétera lors de la remise de prix. Louis François propose alors une nouvelle élection au sein des équipes pour désigner l’élève qui recevra le prix. Là, le professeur peut « orienter les votes et se réserver d’intervenir dans les élections avec un nombre de voix égal au tiers de celui de la classe ».
29Louis François, dans la conclusion de ses deux articles, s’attend à une objection à ce système d’enseignement : « Il désavantage les bons élèves, qui auront tendance à se décourager, au profit des mauvais qui travailleront encore moins. » Ce à quoi il répond, dans le Bulletin : « Je fais confiance au professeur... Un bon professeur obtient naturellement des miracles même sans un pareil système d’enseignement. » Et il ajoute dans Le Chef : « Cependant, le meilleur professeur est encore celui qui, animé de l’esprit scout, applique dans la vie scolaire les méthodes scoutes. »
30En 1937 et 1939, il publie deux articles dans une revue du mouvement de l’éducation nouvelle : L’Information Pédagogique. À propos de cette revue, nous pouvons noter que Gustave Monod fait partie du Comité de Rédaction dès le premier numéro (janvier 1937), et que lors de la parution du second article de Louis François dans cette revue (janvier-février 1939), Gustave Monod en est le Directeur. Par ailleurs, André Weiler, secrétaire de la revue, est professeur d’histoire-géographie au lycée Henri IV en même temps que Louis François au moment de la parution de l’article de 1939.
L’Information pédagogique (1937-1939)
31Dans cette revue, son article « Le système d’équipe dans une classe d’histoire et géographie de lycée de garçons7 » débute par paragraphe intitulé « Pourquoi j’organise mes classes en équipes ». Il rappelle les idées déjà énoncées dans ses articles précédents, l’importance du jeu et de la compétition dans l’apprentissage. Mais c’est la première fois qu’il remet en cause les capacités du maître : si l’élève apprend mal, ça n’est peut-être pas de sa faute : « L’élève surmené n’est peut-être que la victime du professeur ennuyeux. »
32C’est également la première fois qu’il fait référence à une psychologie adolescente (en dehors d’une indication en 1934 qui ressemblait davantage à un certain sens de l’observation de la part des chefs d’équipe qu’à une capacité d’analyse psychologique) :
« De plus, les élèves de 4e et de 3e, âgés de 13 à 14 ans, traversent la période redoutable et merveilleuse de l’adolescence, la période où s’ouvrent pour l’être humain des possibilités illimitées, la période des pires instincts, amis aussi des grands élans de cœur, d’une étonnante vivacité d’esprit. »
33Dans cet article encore, il fait une fois de plus référence au scoutisme :
« Entré dans le scoutisme à l’âge de douze ans, j’y reste à l’âge d’homme ; et j’ai suffisamment éprouvé, soit comme garçon, soit comme chef, la valeur éducative de ses méthodes, créatrices de travail et de joie, pour ne pas les avoir aussitôt introduites dans mon enseignement. »
34L’auteur nous parle « d’enseignement vivant, concret, amusant », puisque son but est « d’intéresser davantage les élèves au travail de la classe, de leur faire prendre à ce travail une part plus personnelle, d’éviter les devoirs supplémentaires et les retenues. » Nous sommes ici, bien entendu, au cœur des idées de l’éducation nouvelle.
35Sur le vote des chefs d’équipe, Louis François rappelle que « les séances de scrutin passionnent les garçons ; ils ont un goût très prononcé pour les institutions démocratiques ». Nous passons donc de la démocratie dirigée de 1934 aux institutions démocratiques.
36Le système de notation est le même, et les avantages de l’équipe gagnante ne changent pas. Plus question cependant de « petite râclée » qui serait administrée par les pairs, ni de mise au ban de la classe.
37La méthode utilisée reste l’enseignement sous la forme socratique, et les compositions se déroulent de la même façon qu’en 1934. Le changement n’apparaît que dans les votes de fin d’année au moment de la remise de prix : en 1937, « les chefs d’équipe disposent de deux voix et le professeur du quart du nombre total de voix », là où en 1934, le professeur pouvait « se réserver d’intervenir dans les élections avec un nombre de voix égal au tiers de celui de la classe ».
38Il donne ensuite deux exemples d’application du travail en équipe : l’un en géographie (à peine ébauchée en 1934), l’autre en histoire. Pour la géographie, l’auteur prend l’exemple d’un travail autour d’une diapositive représentant la ville de Zagreb, en Croatie. Le professeur demande aux élèves, devenus policiers pour l’occasion, de trouver de quelle ville il s’agit, puisque les voleurs qu’ils recherchent y sont cachés.
39Lors d’une activité suivante, il s’agit pour les élèves de jouer aux journalistes, la salle de classe se transformant alors en salle de rédaction d’un grand journal. Le professeur demande aux jeunes journalistes de faire des reportages sur tel ou tel sujet. Ici, les élèves sont vivement encouragés à sortir du lycée afin de pouvoir obtenir toutes les informations nécessaires à leur reportage. Nous sommes ainsi à nouveau très proches des idées de l’Éducation Nouvelle. Louis François précise que ce fonctionnement permet aux élèves de rapporter, sur des sujets a priori rébarbatifs, des « récits descriptifs, géographiques et vivants ». Le public ici est plus âgé que les élèves de Roger Cousinet, mais nous voyons clairement un fonctionnement proche du travail libre par groupes, pour ne citer que Cousinet.
40Puis l’auteur nous décrit le déroulement de séances d’histoire : « Certaines parties austères du programme d’histoire prennent un attrait singulier si toute la classe entre dans le jeu. » Il parle ici du jeu théâtral, les élèves et le professeur mimant des personnages historiques figurant au programme. Jean Sirinelli devenu professeur émérite à la Sorbonne, témoigne : « Les élèves de première, dont j’étais, eurent la primeur d’une véritable révolution pédagogique. C’était justement elle, celle de 1789, qui était au programme. Nous ne l’apprîmes pas, nous la mimâmes. De sa voix retentissante, il nous lisait les discours de Mirabeau, de Danton, de Robespierre, de Saint-Just. Et nous comprenions pourquoi les bataillons s’ébranlaient, les trônes chancelaient, les têtes tombaient. Je ne suis pas sûr que nous terminâmes le programme. Je suis même sûr du contraire, mais cela n’avait plus d’importance. Nous savions lire l’histoire, ou plutôt nous savions quelle réalité vivante se cachait derrière ces pages. Il n’était que temps8 ! » Ainsi, la leçon vivante, vécue, mimée, s’adresse également à des jeunes gens plus âgés, même s’il n’est pas question ici d’équipe ou de concours. Louis François explique dans son article que « le tout est d’être inventif, vivant, débrouillard ». Son expérience est directement issue du scoutisme :
« On pourrait épiloguer longtemps sur les avantages ou les inconvénients moraux d’un tel système. Je crois cependant que les avantages (éducation démocratique, sentiment des responsabilités, avantage personnel trouvé dans l’avantage de tous, etc.) l’emportent de loin sur les inconvénients. »
41Puis il termine son article en décrivant le cas d’un élève signalé en début d’année comme « un pauvre garçon », qui réussit, grâce à ce système, à trouver sa place dans le groupe, et à connaître de vrais succès.
42En 1939, son article « Les enquêtes géographiques9 », nettement plus court, renvoie le lecteur à son article de 1937 afin de comprendre l’enseignement par le jeu. François donne encore des exemples de concours géographiques, les élèves jouant une fois encore le rôle de journalistes. Et une fois encore, les élèves sont encouragés à quitter les locaux du lycée pour pouvoir mener leurs enquêtes de la façon la plus complète possible. Dans cet article, l’auteur nous indique que ses élèves lui ont ainsi rendu de véritables livres de 100 à 150 pages, contenant tous les documents qu’ils avaient reliés. Il nous dit que les élèves sont demandeurs de ce genre de fonctionnement.
43Ce qui est plus surprenant, c’est que dans sa conclusion, il nous rappelle exactement la même expérience que celle déjà relatée deux ans plus tôt, à ceci près qu’un personnage vient s’ajouter à la séance : un jeune normalien, qui n’est pas capable de répondre de façon aussi pertinente à la question du professeur que les élèves eux-mêmes.
Notes de bas de page
1 François L., « Le levain du scoutisme dans la pâte scolaire », Le Chef. Revue mensuelle du Scoutisme et d’Éducation générale. Organe officiel des Chefs Éclaireurs de France no 146, octobre 1934, p. 334-337.
2 François L., « Propositions Pédagogiques », Bulletin de la Société des Professeurs d’Histoire et de Géographie no 81, novembre 1934, p. 52-57.
3 François L., « Le levain... Appendice », op. cit., p. 337.
4 Borne D., Zweyacker A., « Louis François – 1904-2002 », Rioux, J.-P. (dir.), Deux cents ans d’Inspection générale, 1802-2002 : mélanges historiques, Paris, Fayard, 2002, p. 267-285.
5 Savoye A., « Histoire de l’Éducation Nouvelle, dans et hors l’école (1900-1980) », séminaire de master 2, université Paris 8, 1er semestre 2012.
6 Père É., « Le scoutisme comme vecteur d’éducation morale », Revue d’éthique et de théologie morale no 4, 2008, p. 97.
7 François, L. « Le système d’équipe dans une classe d’histoire et géographie de lycée de garçons », L’Information Pédagogique, avril 1937, p. 62-64.
8 Borne D., et Zweyacker A., op. cit. p. 268.
9 François L. « Les enquêtes géographiques », L’information Pédagogique, février 1939, p. 11-12.
Auteur
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