Avant-propos
p. 7-8
Texte intégral
1Il n’est pas surprenant de constater que la Fondation Jean-Jaurès et l’Institut François Mitterrand aient attribué (séparément) leur prix de master à l’excellente étude de Judith Bonnin sur les voyages accomplis par François Mitterrand comme premier secrétaire du parti socialiste de 1971 à 1981. Pour les deux institutions qui entendent encourager les recherches scientifiques concernant l’histoire du socialisme avec, pour l’Institut François Mitterrand, un tropisme plus spécialement orienté vers la période au cours de laquelle l’ancien président de la République a déployé son activité politique, ce travail original était particulièrement propre à retenir leur attention. Car ce que Judith Bonnin met en évidence dans son ouvrage, c’est tout simplement le rôle que jouent ces voyages à l’étranger dans la construction de la stature présidentielle d’un homme d’État, ancien et, nul n’en doute, futur candidat à la présidence de la République, s’évadant d’une position strictement politicienne et hexagonale pour acquérir une audience mondiale, préfigurant le rôle qu’il entend jouer dans l’avenir.
2On comprend mieux, dès lors, le soin extrême mis par François Mitterrand et les responsables socialistes des relations internationales à préparer, mettre en œuvre, voire mettre en scène ces voyages que l’étude précise et intelligente des archives utilisées par Judith Bonnin lui permet de décrire avec précision. Au fil des pages, celle-ci analyse de manière vivante la nature et l’objet des différents déplacements effectués à l’étranger, depuis la participation aux congrès de l’Internationale socialiste, les visites rendues aux partis-frères jusqu’aux voyages de découverte où tourisme et politique se mêlent de manière indissociable. Dans l’organisation, on retrouve le même souci de connaissance concrète du monde et de volonté d’instrumentalisation politique de chaque échappée au-delà de l’hexagone, qu’il s’agisse de la composition des délégations figurant l’entourage d’un chef d’État potentiel, du financement de l’opération et des aspects matériels du séjour à l’étranger. Car, il s’agit de mettre en évidence le fait que, dirigeant d’un parti d’opposition, sans statut officiel, François Mitterrand est néanmoins reçu à l’étranger comme un possible futur chef d’État et, par conséquent, il importe de souligner la qualité de ses interlocuteurs, hommes politiques d’importance, parfois anciens ou futurs dirigeants avec lesquels il s’entretient d’égal à égal. L’opération n’est féconde que pour autant qu’une couverture médiatique suffisante rende compte de ces conversations. Aussi le dirigeant socialiste apprécie-t-il les conférences de presse ou les interviews qui conduisent la presse des pays qu’il visite à rendre largement compte de ses faits et gestes, à rapporter ses propos, à souligner son rôle. Avec un double avantage, celui de le faire connaître à l’étranger, mais aussi de faire savoir en France qu’il possède une audience internationale, consacrant ainsi son image présidentielle. Non d’ailleurs sans quelque réaction négative de la part du pouvoir politique qui s’offusque de voir le dirigeant socialiste conduire une forme de diplomatie parallèle et acquérir une notoriété qui le fait apparaître comme porteur d’une forme de contre-pouvoir.
3Or Judith Bonnin montre que cette longue préparation d’une décennie à l’exercice réel du pouvoir en matière internationale n’a rien d’une vue de l’esprit, mais qu’elle préfigure assez largement la vision du monde qui sera celle du président François Mitterrand après 1981, fixant du même coup la géographie de prédilection du parti socialiste français. Une géographie qu’elle étudie de manière approfondie, mais dont on peut tirer la conclusion que, s’il existe assez peu de rejets catégoriques, elle se marque par des attitudes réservées vis-à-vis des deux grandes puissances du monde au début des années 1980, les États-Unis et l’Union soviétique, par un intérêt majeur pour l’Europe dans sa globalité, et spécifiquement pour la construction européenne et par une sympathie instinctive mais réelle pour le Tiers Monde.
4Au total, le prisme des voyages à l’étranger choisi par Judith Bonnin pour saisir la mutation entre 1971 et 1981 du premier secrétaire du parti socialiste en candidat crédible à l’élection présidentielle de 1981, autrement dit pour suivre la transformation d’un homme politique en homme d’État, se révèle fécond. L’ouvrage montre que cette évolution ne doit rien au hasard, mais résulte d’un projet mûrement réfléchi et mis en œuvre, non seulement par l’homme qui apparaît comme le bénéficiaire de l’opération, mais par un appareil partisan convaincu et efficace. Comme tel le travail de Judith Bonnin constitue un apport important à la connaissance de l’histoire politique. Souhaitons à cette jeune et brillante historienne de poursuivre sur cette lancée prometteuse.
Auteurs
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