Introduction
p. 23-25
Texte intégral
1Étudier les mobilités à travers le prisme du politique conduit inévitablement à interroger les pratiques et formes concrètes du gouvernement des déplacements. Un dialogue s’ouvre alors avec l’analyse des politiques publiques et, plus particulièrement, avec la socio-histoire de l’action publique1. De nombreux programmes ou dispositifs d’action publique sont en effet venus historiquement encadrer, contrôler, développer ou freiner la mobilité des hommes et des choses. L’examen de leurs genèses et effets invite à poser une série de questions qui nourrissent la posture externaliste suggérée par les coordinateurs de l’ouvrage. Parmi ces dernières : comment la question de la mobilité devient-elle un problème public appelant l’intervention des autorités politiques ? Quels processus participent à définir et redéfinir les types de déplacements ou modes de transports susceptibles de recevoir le soutien des pouvoirs publics ? Comment se forment et se transforment les « groupes impliqués » dans le gouvernement de la mobilité2 ? Comment évoluent le profil et les caractéristiques sociales des acteurs qui participent concrètement aux processus de décision relatifs à la mobilité ? Comment se modifient les représentations qui viennent structurer les images du « bon » gouvernement de la mobilité ? Quels sont les arrangements et formes institutionnels qui s’imposent comme pertinents pour gérer les déplacements des populations et des marchandises ? Comment s’articulent les différents niveaux de gouvernement des mobilités ? Enfin dans quelle mesure les transformations de la politique (entendue au sens de politics, i. e. de la compétition pour le pouvoir) transforment-elles les politiques (au sens de policy, i. e. des programmes et dispositifs d’action publique) ?
2Les contributions réunies ici apportent des réponses à une ou plusieurs de ces questions. Elles montrent toutes combien l’observatoire de la mobilité constitue un formidable analyseur des transformations politiques et sociales qui agitent la société.
3Le texte de Vincent Denis révèle bien le rôle joué par les acteurs et dispositifs étatiques dans l’invention du concept de mobilité et, plus largement, dans ce que l’on pourrait appeler le processus de gouvernementalisation des déplacements de la population3. La notion abstraite de mobilité trouve son origine dans des pratiques administratives et policières. Ces dernières visent d’abord à contrôler des groupes mobiles (mendiants, militaires, malades,...) avant que ne s’affirme une conception globale de la mobilité avec l’unification administrative et juridique du territoire dans la période 1789-1815. Le passeport, dont l’usage se généralise après 1792, apparaît ici comme un instrument clef du gouvernement de la mobilité.
4Deux contributions portent, elles, le regard sur l’action publique locale. Sébastien Gardon étudie la réaction de la municipalité lyonnaise et, plus largement, des villes françaises, confrontées au développement de la circulation automobile dans les sept premières décennies du XXe siècle. C’est un véritable système de « gouvernement par commission » qui se met alors en place pour tenter de résoudre les problèmes liés à l’arrivée et au développement de l’automobile en ville. L’analyse proposée met bien en évidence l’historicité des montages institutionnels (considérés comme) légitimes pour gouverner la mobilité. Si la commission apparaît aujourd’hui comme une solution périmée avec le développement d’autres types de forums de négociation, il n’en demeure pas moins que l’étude du fonctionnement de ces arènes ouvre le regard sur un mode original d’articulation entre intérêts public et privés, entre acteurs locaux et centraux, entre le registre de l’expertise et celui de la délibération.
5Arnaud Passalacqua et Maxime Huré ouvrent notre regard sur un acteur trop souvent oublié dans les travaux de sociologie de l’action publique et d’histoire de la mobilité : l’entreprise privée. Ils étudient le processus d’institutionnalisation progressive de JCDecaux dans l’agglomération lyonnaise depuis les années 1960 et montrent comment une entreprise devient un acteur clef de l’intégration d’une action publique urbaine fragmentée. Les innovations proposées par l’entreprise (de l’abribus au système de vélos en libre-service baptisé Vélo’v), à chaque fois adaptées aux transformations du contexte culturel, économique et institutionnel, viennent répondre aux attentes des acteurs publics locaux. Elles instaurent progressivement un système d’interdépendance – ou plutôt de dépendance – complexe entre un acteur privé et les autorités publiques locales.
6Une dernière contribution ouvre une discussion stimulante sur les échelles et espaces pertinents de la régulation des mobilités. Elle nourrit dès lors le débat sur les enjeux du gouvernement démocratique des transports. Xavier Desjardins, à travers une revue critique des projets réformateurs formulés depuis quarante ans, examine les ressorts de la (non) coopération interinstitutionnelle et les enjeux de la coordination entre les différentes politiques sectorielles (ou modales). L’auteur repère les multiples freins au développement de la « co-administration ». Au final, ce regard croisé sur le gouvernement de la mobilité et les réformes territoriales permet à l’auteur de pointer du doigt la faiblesse du débat démocratique sur les finalités de l’action publique en matière de mobilité.
Notes de bas de page
1 L’analyse des politiques publiques est souvent considérée aujourd’hui comme une spécialité disciplinaire de la science politique. Les travaux récents invitent à affirmer davantage son ancrage dans une perspective de sciences sociales et à développer une « sociologie de l’action publique ». Voir notamment Hassenteufel P., Sociologie politique : l’action publique, Paris, A. Colin, 2008. Sur la socio-histoire de l’action publique, qui incite les chercheurs à une mise en perspective historique et sociologique de l’action publique, voir notamment Payre R. et Pollet G., Socio-histoire de l’action publique, Paris, La découverte, 2013. Soulignons qu’une approche centrée sur les programmes d’action publique peut s’avérer très fructueuse pour penser les mutations du gouvernement démocratique. Si l’on suit Fritz Scharpf, la démocratie n’est pas uniquement un régime fondé sur la souveraineté populaire et appuyée sur une légitimité par les inputs (l’élection). La démocratie est également un système social et politique qui régule les tensions sociales, produits des biens collectifs et s’appuie (aussi) sur une légitimité par les ouputs (fondée sur l’appréciation par les citoyens de l’efficacité des gouvernants à résoudre les problèmes publics). Scharpf F., Gouverner l’Europe, Paris, Presses de Sciences Po, 2000.
2 Il s’agit de l’une des interrogations majeures de l’ANR Resendem Réseaux techniques en démocratie : innovation, usages et groupes impliqués dans la longue durée (France et Europe, de la fin du XIXe au début du XXIe siècle) (09-SSOC-036).
3 Sur le processus de « gouvernementalisation », terme inspiré des travaux de Michel Foucault sur la « gouvernementalité », voir Laborier P., Lascoumes P., « L’action publique comprise comme gouvernementalisation de l’État », S. Meyet, M.-C. Naves, Th. Ribemont (dir.), Travailler avec Foucault. Retours sur le politique, Paris, L’Harmattan, 2005, p. 37-60.
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