Chapitre XI. La Bretagne perdue et retrouvée
p. 541-571
Texte intégral
« Il n’y a plus de Bretagne, et c’est dommage. »
Lettre de la marquise de Sévigné à sa fille,
30 X 16751.
1Comment en finir avec cette affaire de Bretagne ? Depuis plusieurs mois, l’idée s’est imposée que les états doivent être le grand moment mettant un terme à cet emballement, et même les auteurs du « code paysan » l’ont envisagé. Promise pour être convoquée de manière anticipée par un duc de Chaulnes aux abois, la réunion des états a finalement lieu comme en 1673 à la fin de l’année, sous la présidence d’un gouverneur qui a repris des forces. Mais tout l’art de la sortie de crise est dans la manière de pratiquer le vae victis avec doigté, en gardant à l’esprit qu’il y a des lendemains qu’il ne faut pas insulter. Nul ne sait alors combien de temps durera la guerre, ni si les Bretons ne seront pas tentés par de nouvelles aventures une fois les troupes reparties. Pour l’historien, se pose aussi la question de la limite de l’événement, dont les suites se diluent dans le temps, s’amalgamant avec le quotidien, avec de nouveaux conflits, de nouveaux enjeux. Dossier encore largement ouvert, il apparaîtra largement inachevé en raison du peu d’études consacrées aux années suivants la révolte. Tentons néanmoins de dégager quelques lignes.
Les états de Dinan
Décor et acteurs
2Promise à plusieurs reprises au cours de l’année, la réunion des états a enfin lieu en novembre, c’est-à-dire de façon habituelle, comme un signe que la normalisation est en route. Pourtant, à en croire la marquise de Sévigné, porte-voix de la Haute-Bretagne des châteaux, l’idée a circulé que le temps est venu pour la monarchie de ne plus convoquer cette assemblée2. L’inquiétude est fondée à l’évidence sur l’histoire des assemblées provinciales, dont beaucoup ont disparu au cours du siècle. Peut-être – surtout ? – se souvient-on aussi qu’après les révoltes normandes, les états de cette province ont été suspendus quelques années, comme un prélude à leur disparition définitive, en 16553. La menace sur les états forme alors le pendant du départ du parlement, comme signe d’un dérèglement de l’ordre politique pensé de manière symétrique, les deux institutions étant les piliers sur lesquels reposent les modalités des relations entre le duché et le royaume. Enfin, et ceci est sans doute le plus important, les reports à répétition de la session ont certainement fait douter de la volonté du pouvoir de rassembler les Bretons, d’autant que le précédent de 1673 peut faire craindre que cette session soit le creuset d’un redémarrage de l’agitation. On a vu plus haut combien les arguments sécuritaires ont pesé dans le choix de Dinan comme lieu des états4. Enfin, dernier argument pour expliquer les craintes, l’idée que, depuis le début de toute cette affaire, les états sont présentés comme le moment où tout va être mis sur la table, dans un esprit de conciliation : or, le choix d’un traitement sévère des affaires bretonnes effectué au cœur de l’été peut venir montrer que le roi entend désormais moins négocier qu’imposer. Malgré tout, les états se sont bien réunis et il n’est pas certain que le roi ait eu une autre idée : nous sommes sur ce point mal renseignés et on peut tout à fait envisager que lui-même considérait qu’une telle session, menée après une campagne militaire ayant fait sentir jusqu’au bout de la province qui était le maître, était un excellent moyen de renforcer chez les notables bretons l’esprit de loyauté.
3La date choisie ne l’a sans doute pas été au hasard. Sur la commission ordonnant la réunion de l’assemblée, elle-même datée du 16 septembre, si le nom de Dinan figure bien, tel n’est pas le cas de la date, laissée en blanc. Sur l’exemplaire de la commission adressée aux commissaires du conseil conservé aux Archives des affaires étrangères, c’est la date du 1er octobre qui est indiquée, mais après qu’on ait visiblement songé à septembre5. Sans doute le gouvernement a-t-il laissé ce faisant à Chaulnes le choix d’apprécier quel serait le meilleur moment. La décision finale semble avoir été prise fin octobre, soit au moment des premiers supplices rennais, et non sans lien : désormais, plus rien ne bouge, et l’armée veille6.
4Ouverts le 9 novembre dans le couvent des Jacobins de Dinan7, les états sont présidés par monseigneur du Guémadeuc. Le nombre de nobles – environ 230 – se situe légèrement en retrait par rapport aux sessions précédentes : l’insécurité (réelle ou supposée) des routes, le désir de rester sur ses terres après la tempête peuvent expliquer ce chiffre modéré8. En face, on retrouve parmi les commissaires du roi les principaux protagonistes de la crise : Chaulnes, Lavardin et d’Argouges sont assis côte à côte. Pourtant, les personnages les plus importants sont peut-être surtout les deux commissaires envoyés par le roi : le conseiller d’État Boucherat, et le maître des requêtes de Harlay. Le premier, ancien intendant, habitué des affaires bretonnes en général et des états de Bretagne en particulier, est un personnage déjà prometteur. Sa présence en Bretagne en 1675 est une étape sur un chemin qui le verra bientôt s’occuper de l’affaire des poisons et finir chancelier. Quant au second, par ailleurs gendre du premier, déjà présent aux états de 1673, c’est lui qui est chargé de porter le premier la parole du gouvernement.
5Ce discours de Harlay9, la commission que Boucherat et lui ont reçue10, mais aussi celle qui a été envoyée aux autres représentants du roi11 forment un petit corpus qui permet de saisir assez précisément quelles sont les intentions du roi. Selon une pratique habituelle dans le texte de convocation quoique amplifiée par les circonstances – et qui connaîtra un prolongement fameux avec « l’appel de 1709 » – le roi se fait pédagogue, et met sous les yeux des Bretons combien grands sont les obstacles qu’il doit affronter et combien fort est son désir de paix. C’est là le seul objectif d’un monarque, glose Harlay, dont « l’intention [est] de vous rendre heureux ». Ce cadre posé, se pose la question de la Bretagne dans cette histoire. Celle-ci est présentée sous un double jour : c’est une province très privilégiée, et c’est une province qui s’est malgré cela révoltée, privant le roi d’une somme estimée à 1,2 millions de livres. Ici, la question des ennemis Hollandais n’est pas évoquée. Seule est mise en évidence l’idée que ce manque à gagner aurait pu être dommageable aux armées du roi, ce qui est évidemment exagéré12. L’effet de source joue en grande partie : l’objectif est désormais d’obtenir de l’argent. Le roi, qui revêt évidemment les habits du prince magnanime, souligne que face à cette situation, il aurait pu faire enfermer le trésorier des états, et que s’il ne l’a pas fait, c’est dans l’espoir que les dits états remédient promptement à cette situation. Il indique aussi que la Bretagne aurait mérité « la revocation entiere de tous [ses] privileges et immunitez » s’il n’avait vu que la révolte était moins celle de « toute la province » que celle de peuples « qui se sont laissé persuader de diverses imaginations contraires aux intentions de Sa Majesté ». Tout cela, qui mêle pseudo-discours de vérité sur l’état de la situation, menaces et miséricorde royale aboutit à une conclusion simple : le roi demande aux états un don gratuit de trois millions, comme lors des sessions précédentes13. Le chiffre correspond en gros à ce qui, d’après Colbert, est dépensé annuellement pour protéger militairement le commerce maritime breton14. En outre, le roi entend que les droits de contrôle des exploits, papier timbré et tabac « soient restablis, mais mesme qu’il soient maintenus pour l’advenir ». On le voit : Louis XIV n’est à l’évidence pas du tout dans un esprit de conciliation. Il faut dire que le duché a la réputation d’être prospère et que le roi n’aime pas voir son autorité contestée.
Le pari breton
6La demande de don gratuit est présentée aux états le 11 novembre. Harlay explique, dans sa harangue, que le roi attend des Bretons des « preuves éclatantes » de leur fidélité et les met en garde contre le « cours funeste » des événements « dont les progres vous entraineroient infailliblement dans des precipices ou les gens de bien ne scauroient seulement porter la vue qu’avec horreur ». Chalette et son tableau ne sont pas loin. Le peu que le registre des états nous dit des discours prononcés par Chaulnes et d’Argouges, le jour de l’ouverture, semble indiquer que ces hauts personnages sont allés dans le même sens. Ces harangues, mais aussi les inévitables discussions parallèles aux sessions officielles font rapidement leur effet. Aussitôt, la demande de trois millions formulée (le 11 novembre), c’est à peine si on entend la voix du substitut du procureur syndic des états, le Rennais Bossard du Clos, qui prend la parole pour souligner l’épuisement de la province et la disette financière du fait du passage des troupes, de l’arrêt du commerce et des édits. De son côté, Marie de Sévigné dit croire à une plaisanterie15. Mais la contestation ne prend pas, et personne d’ailleurs ne semble rire. Après une délibération dont on ignore la longueur, les états votent le don gratuit, par acclamation et d’une voix unanime. Voter le don gratuit dès le début de la session est en train de devenir la norme, depuis les états de 1671, mais la hauteur du montant du don accordé – jamais atteint depuis la session de 1661 tenue en présence du roi – joint à l’absence de pugnacité des états rend le fait assez remarquable16. On se souvient en effet qu’en 1673, le don gratuit de 2,6 millions n’a pas été obtenu sans discussion. Rien de tel deux ans plus tard.
7Pour bien marquer cette prodigalité bretonne à l’égard du roi-père assailli par l’Europe presque entière, il est décidé d’envoyer promptement et solennellement une députation en cour. Le choix des trois députés n’est pas sans signification : monseigneur du Guémadeuc pour l’Eglise et le duc de Rohan pour la noblesse incarnent au mieux l’intégration de la Bretagne dans l’État royal17. Le premier ne semble pas avoir eu de rival, alors que le second doit, d’après madame de Sévigné18, écarter un autre candidat, le célèbre Tonquédec, sans doute aussi désireux de faire pleurer le roi sur ses chevaux tués dans la rue Haute que d’expliquer le rôle de son frère dans l’affaire Montgaillard. La marquise s’est gaussée de cet empressement du duc à se précipiter en cour, relevant de surcroît qu’il est sans exemple que le président de l’ordre de la noblesse quitte le théâtre provincial au milieu des états. C’est dire si les temps sont exceptionnels. Mais il faut dire aussi que le duc peut trouver là une occasion de réaffirmer la fidélité de son lignage à la monarchie, un an après la triste fin de la conjuration normande19. Le troisième larron, Charette de la Gascherie, est a priori plus inattendu : le maire de Nantes, on l’a dit20, n’est pas à proprement parler un homme du roi mais sans doute a-t-il bénéficié de son double statut de maire d’une ville peu ou prou loyale – à côté de Rennes – et de membre d’une cour, le présidial, qui n’a pas démérité. Lui-même, de plus, n’était pas encore en fonction au moment des troubles : il n’avait rien à se reprocher. Son statut de maire et de sénéchal de la vice-capitale provinciale en fait le plus digne représentant du Tiers, en ces temps où Rennes apparaît comme en disgrâce. Sans doute joua-t-il aussi un peu des coudes pour faire partie d’un voyage qui lui permettait de faire sa cour.
8Cette députation n’est cependant pas sans arrière-pensées. À l’évidence, le vote rapide du don gratuit doublé d’une députation prestigieuse allant porter ce tribut au pied du trône est sous-tendu par un calcul politique. Le texte du 11 novembre, qui annonce la députation, reste évasif, mais il y est quand même question d’un « succès » escompté. La marquise de Sévigné, à deux reprises, dit d’ailleurs penser que les députés rapporteront « quelques grâces21 ». Dès avant l’ouverture des états, elle avait subodoré que l’assemblée, si elle devait se tenir, aurait pour objet de parvenir à faire payer les Bretons pour le rachat des édits et le retour du parlement22. Son témoignage semble accréditer l’idée que les notables provinciaux espèrent alors qu’il est possible, moyennant paiement, d’obtenir quelque chose du roi. Cormier de la Courneuve, dans son journal, a de son côté listé ce que sont selon lui les trois objectifs de cette députation : « faire agréer le don de trois millions », obtenir le retour du parlement à Rennes et le départ des troupes23. Selon Morel, plus loin des cercles décisionnels, les trois demandes sont le rappel du parlement, le départ des troupes et une amnistie générale24. La noblesse, ajoute la marquise, entend de plus clamer qu’elle n’a eu nulle part à ces débordements, et elle précise qu’il est aussi question de remercier le roi pour avoir envoyé des troupes libérer la province ! Au-delà de ces points précis, on comprend que la manœuvre est globale : cet empressement à satisfaire le monarque est un signe de ce que les notables bretons désirent avant tout éviter que la foudre, tombée jusque là surtout sur les plus modestes et quelques coupables, ne frappe au-delà. Peur des soldats, peur de perdre les états, peur de compromettre l’avancement d’une affaire pendante au conseil, peur de déplaire et d’être disgracié, peur de voir échapper une place désirée, peur d’être associé aux ennemis de l’État, ou encore peur de voir le parlement rester à Vannes : c’est tout cela que semblent avoir voulu éviter les gens de bien de la province par cette politique volontariste, motivés par des textes, des discours, des confidences bien sentis qui, dans la veine des courriers courroucés de Colbert, ont su leur faire valoir ce qu’il en coûterait de ne pas se soumettre avec zèle.
9En attendant le retour de la députation, les états poursuivent leurs travaux. Parmi les affaires traitées, figure la taxe sur les francs-fiefs et celle sur les officiers de justice, question cruciale et apparemment désormais considérée comme réglée, suite à l’accord du 7 juin25. En revanche, la demande de rabais formulée par les fermiers de devoirs, victimes d’un manque à gagner du fait des événements, est très mal reçue, à l’heure où il faut envisager de trouver de l’argent pour financer le don gratuit. De manière cohérente, les états soutiennent les fermiers des devoirs de Nantes dans leur protestation contre les prétentions de l’évêque du lieu, qui conduiraient à réduire le rendement de cette taxe ; ils s’élèvent aussi contre un édit rendu en faveur des cabaretiers rennais. En même temps que les états cherchent à améliorer le rendement de l’impôt provincial, ils ne renoncent pas à l’idée de réduire le poids de l’impôt royal, et demandent rien moins qu’une révocation des taxes sur le tabac, l’étain, les saisies mobilières, le papier timbré ou encore le sucre brut. Une autre question traitée est celle du retour du parlement à Rennes, officiellement demandée à deux reprises. Le caractère très lisse de la source – le registre des états – autant que la suite des événements, ont conduit sans doute les historiens à sous-estimer ce volontarisme des notables bretons, qui, en attendant le retour des députés, posent les bases d’un futur accord, et pensent encore avoir une réelle marge de manœuvre. Jusqu’où ont-ils cru à leur étoile ? Sur toutes ces questions fiscales, le registre ne donne pas l’impression que les choses évoluent beaucoup. Quant à la marquise, elle sourit de voir que les impécunieux états auraient déjà prévu de récompenser financièrement les députés, et s’inquiète pour l’avenir du trésorier d’Harrouys, dont « la perte est comme assurée », certifie-t-elle26. Sans doute sait-elle en effet que ce personnage clef du système fisco-financier breton est depuis quelques temps sous le coup d’un arrêt du conseil en date du 12 novembre qui lui réclame près d’un million de livres pour non paiement par les états des sommes dues au titre du don gratuit, de l’extinction de la chambre du domaine et « autres affaires extraordinaires27 ».
La désillusion
10Cet arrêt du conseil a-t-il été perçu comme le signe avant-coureur que le roi ne désire pas réduire ses ambitions ? Dans les derniers jours de novembre, l’attente prend fin. Le 27, les états s’émeuvent en apprenant que le roi a l’intention d’imposer à la Bretagne des soldats en quartier d’hiver. Aussitôt, on supplie Chaulnes de détourner « l’orage » en faisant valoir qu’une telle perspective ne pourra que ruiner encore un peu plus la province, et en conséquence nuire au prélèvement fiscal sur lequel le roi compte. À sa fille qui lui demande s’il est vrai que la Bretagne est ruinée, la marquise de Sévigné répond
« oui et non : si nous voulions ne point partir d’ici, nous y vivons pour rien, parce que rien ne se vend ; mais il est vrai que pour de l’argent, il n’y en a plus dans cette province28 ».
11On retrouve là le thème de la disette financière déjà croisé au cœur de la crise de l’été, qui, dans un contexte de réunion des états, devient central. Ce que le registre ne permet pas de percevoir de manière franche, et que révèle sans ambiguïté la persiflante marquise, c’est que l’annonce officielle de l’arrivée de troupes en quartier d’hiver signe en réalité l’échec de la députation. La précieuse observatrice note, depuis son château des Rochers où elle est, dit-elle, submergée de nouvelles de Dinan, que le roi a bien accepté les trois millions, mais que du Guémadeuc, Rohan et Charrette reviennent bel et bien bredouilles, « contre l’esperance de toute la province29 ». Même Chaulnes et les autres « grands officiers » de la province sont, dit-elle, surpris d’un tel dénouement, « mortifiés » même30. Quelques jours plus tard, elle dira de la duchesse de Chaulnes qu’elle lui « paroit la mort au cœur de toutes ces troupes31 ». L’échec de la députation à l’évidence parrainée par son époux est aussi son échec. À lire la marquise, les états ont vite désigné un responsable en la personne de Monsieur de Saint-Malo, « mal reçu aux états » et accusé d’avoir quitté trop vite la cour, alors qu’il aurait dû rester pour faire part au roi des protestations bretonnes et entamer une négociation. C’est alors qu’elle lui donne son surnom « linotte mitrée », en raison de son attitude décalée :
« Monsieur de Saint-Malo… a paru aux états transporté et plein de la bonté du roi, et surtout des honnêtetés particulières qu’il a eues pour lui, sans faire nulle attention à la ruine de la province… Il dit que Sa Majesté est contente de la Bretagne et de son présent, qu’il a oublié le passé, et que c’est par confiance qu’il envoie ici huit mille hommes, comme on envoie un équipage chez soi quand on n’en a que faire32. »
12Quant à Rohan, « il est enragé », écrit la marquise, et retarde son retour en Bretagne, avant de reparaître, avec « des manières toutes différentes » du prélat, « et qui ont plus de l’air d’un bon compatriote ». Comme Marie de Sévigné sans doute, le duc, au-delà de l’échec personnel, perçoit que tout cela contrevient à « notre bon mariage avec Charles VIII et Louis XII ». « Chiennes de nouvelles », conclue-t-elle, d’autant que l’on comprend vite, par le silence des sources, que s’envolent aussi les espoirs de retour du parlement ou de révocation d’édits. Même la noblesse en est pour ses frais : la taxe de 250 000 livres qu’elle s’était engagée à payer aux états de 1673 n’ayant rencontré qu’un faible succès, est remise sur la table et les nombreux retardataires sont sommés de payer. Il est d’ailleurs bien possible que ce peu d’empressement à s’exécuter ait pesé dans toutes ces affaires : les cris de loyauté de la noblesse sonnaient sans doute un peu faux aux oreilles de Colbert et du roi. À cela s’ajoutent un peu plus de 647 000 livres à pourvoir pour paiement des étapes de 1674, celles du présent quartier d’hiver et le dédommagement des fermiers du domaine. Pour autant, la Bretagne ne s’embrase pas, et les villes restent calmes ; mieux, le silence des chroniqueurs rennais Morel, Toudoux et Duchemin sur ce chapitre laisse penser que le désarroi est limité à la strate supérieure de la société politique, comme si, depuis l’entrée des troupes à Rennes, on assistait à une forme de dépolitisation, mélange de résignation et d’attentisme, auquel s’ajoutent les effets d’une répression qui n’a pu que calmer les ardeurs et mettre hors-jeu les meneurs.
13Le point remarquable est que, même aux états, le coup de massue n’est suivi d’aucune réaction d’hostilité. La marquise de Sévigné indique que le premier réflexe aurait été de diviser par deux les différentes gratifications que l’assemblée a l’habitude d’accorder aux principaux personnages33. De plus, l’assemblée décide de procéder à un doublement des fouages. Mais le plus original est le recours à l’emprunt. Le 4 décembre, les états demandent à d’Harrouys de lever 1,2 millions de livres pour parvenir au règlement accordé, sous forme de rentes. Il est des plus probables qu’une telle décision a été prise avec l’aval préalable du gouverneur et du gouvernement, voire fortement suggérée par lui34. On remarquera d’ailleurs que c’est exactement le montant du manque à gagner affiché par le gouvernement et selon lui du par les états. Selon James Collins, suivi par Françoise Janier-Dubry, c’est apparemment un procédé nouveau, directement inspiré de ce qui est pratiqué en Languedoc35. Cette solution a tout du compromis. Elle est la reconnaissance de ce que ne cessent de dire les Bretons, à savoir que la province est présentement vide d’argent ; elle permet en outre de réduire le bail des devoirs, dont le montant annuel est ramené à 1,6 million, alors qu’il était monté à 1,9 million à l’issue de la session de 167336. Après plusieurs années de hausse, on revient donc aux montants antérieurs à la guerre de Hollande, alors que celle-ci n’est pas terminée. En attendant que les patientes recherches de Françoise Janier-Dubry nous éclairent sur les arcanes de la politique financière des états, risquons une interprétation. Cette modération a de quoi satisfaire les fermiers, qui demandent un rabais37, et leur donne une plus grande latitude d’action sur le terrain, en fonction des circonstances et du rapport de force. Mais il est évident que l’image du contribuable breton récalcitrant et potentiellement dangereux plane aussi sur cette décision, et c’est pour ce dernier une forme de victoire, au moins temporaire. Mais dans le nouveau système qui semble s’instaurer – nul ne sait encore quelle sera sa pérennité –, ce sont peut-être les notables bretons et les financiers parisiens qui ont potentiellement quelque chose à gagner : l’on sait en effet que le système languedocien de rentes est avantageux aux élites qui ont de l’argent à placer38. Le grand gagnant est cependant l’État, dans la mesure où l’emprunt contracté dépasse la baisse du revenu des devoirs ; un État qui semble avoir compris que trop demander était risqué, mais qui n’a pas pour autant renoncé à faire payer les Bretons. Question de méthode en somme.
14Avant de se séparer, les états sont marqués par plusieurs événements de diverses importances. Le premier est la maladroite initiative de monseigneur du Guémadeuc, connue grâce à l’aimable marquise de Sévigné, visiblement fort agacée par son cousin de prélat. Alors que « M. de Rohan n’osoit dans la tristesse où etoit cette province donner le moindre plaisir », l’évêque de Saint-Malo – âgé de soixante ans croit-elle bon de préciser – organise un bal pour les dames, ainsi qu’un grand souper39. « Scandale public », affaire « ridicule » s’exclame-t-elle, plus bretonne que jamais40. Traduit-elle un sentiment répandu ? La princesse de Tarente se moque de l’acharnement de son amie à accabler l’évêque, mais cette grande dame est-elle plus représentative des sentiments de la noblesse bretonne ? Sans doute pas. L’affaire est cependant significative et il y a fort à parier que nombreux sont ceux qui, comme le duc de Rohan et la marquise de Sévigné, au sommet de la société politique provinciale, vivent mal cette disgrâce bretonne. Pour ceux-là, le bal de l’évêque est d’autant plus consternant qu’il fait suite à la députation dont il semble le seul à ne pas voir – ou feindre de ne pas voir – que c’est un échec, perçu de surcroît comme étant d’abord le sien. Mais qui sait s’il n’a obtenu d’autres assurances en haut lieu, comme le suggère la marquise ? En tout cas, pour les finances personnelles des grands personnages, les états s’achèvent de manière bénéfique, par de substantielles gratifications, dans la continuité des sessions précédentes. Le duc de Chaulnes reçoit ses 100 000 livres, Lavardin 50 000, Molac 25 000, Rohan 22 000, du Guémadeuc 20 000, les Coëtlogon 18 000, et ainsi de suite. Madame de Sévigné en est pour ses frais, elle qui, tendue vers l’idée de montrer une Bretagne souffrante, écrit que les montants des pensions et gratifications ont été divisés par deux41, ce qui n’apparaît pas quand on compare les gratifications attribuées en 1673 et 1675.
15Un autre point important est la rédaction des remontrances des états, inventaire des entorses aux privilèges de la province. Le document atteste de deux choses : la pugnacité des états et la fermeté royale. Le premier point est rarement souligné, les auteurs insistant sur un abaissement des états. Plus long que les documents équivalents dressés après les états de 1671 et 1673, les remontrances de 1675 n’hésitent pas à dire au roi le mécontentement présent.
Tableau 24. – Thèmes des remontrances des états.
1671 |
1673 |
1675 |
|
1 |
Bénéfices ecclésiastiques |
Bénéfices ecclésiastiques |
Retour du parlement à Rennes |
2 |
Révocation des nouveaux édits |
Suppression de la chambre du domaine et révocation des nouveaux édits |
Bénéfices ecclésiastiques |
3 |
Edit du contrôle |
Édit du contrôle |
Marque de l’étain |
4 |
Edit des affirmations |
Édit des affirmations |
Taxe sur le tabac |
5 |
Amendes de fol appel |
Amendes de fol appel |
Liens entre états et parlement |
6 |
Droit de sceau |
Droit de sceau |
Edit du contrôle |
7 |
Révocation des édits |
Constitution du papier terrier |
Edit des affirmations |
8 |
Constitution papier terrier |
Eaux et forêts |
Amendes de fol appel |
9 |
Eaux et forêts |
Héritages |
Droit de sceau |
10 |
Héritages |
Rapts et enlèvements |
Constitution du papier terrier |
11 |
Rapts |
Passage des gens de guerre |
Eaux et forêts |
12 |
Passage des gens de guerre |
Rétablissement de la liberté de commerce |
Héritages |
13 |
Rétablissement de la liberté de commerce |
Droit de billot |
Rapts et enlèvements |
14 |
Impôts et billots |
Greffes |
Passage des gens de guerre |
15 |
Greffes |
Droit de sceau |
Rétablissement de la liberté de commerce |
16 |
- |
- |
Droit de billot |
17 |
- |
- |
Greffes |
16Signe de l’influence du milieu parlementaire sur une assemblée dans laquelle les gentilshommes magistrats ne siègent pourtant pas42, la demande de retour du parlement à Rennes est placée en tête des demandes. Rennes, ville loyale entre toutes, ne mérite pas la ruine. Plus loin, la taxe sur l’étain et le monopole sur le tabac sont dénoncés, en tentant de mettre sous les yeux du roi – et de Colbert –, que ces mesures nuisent au commerce. C’est dans ce texte que les états évoquent la misère des peuples et leur attachement au tabac, plus important pour eux que le pain. À propos de l’édit du contrôle, les états parlent, comme en 1673, des « vexations que la rigueur des greffiers, la malice des sergens qui abusent de la voye desd. controlles pour couvrir leur mauvaise foy suprimer leurs exploits ou les antidater ». Et on ne s’étonnera pas de lire aussi quelques plaintes relatives aux problèmes générés par le passage des troupes. Comment mieux dire au roi que ses décisions créent du désordre ? Dans ce document, où alternent protestations enlevées et contestations techniques, le papier timbré est le grand absent. Sans doute faut-il voir là l’effet de la claire conscience de l’importance accordée en haut lieu à cette taxe, qui a fait l’objet, au cours de l’année, de nombreux textes gouvernementaux visant à son maintien ou à son rétablissement, et ce encore récemment à Rennes en particulier. Plus subtilement, il n’est pas à exclure qu’en omettant de parler de cette taxe, les états, et à travers eux les élites politiques bretonnes, aient cherché à ne pas prêter le flanc aux accusations de collusion avec les brouillons qui ont attaqué le bureau du timbre en juillet, d’autant qu’on se souvient que plane sur cette affaire, fort trouble, quelques soupçons de complots. Laisser le papier timbré de côté est de bonne politique.
17Avant de se séparer, les états désignent les députés chargés de porter les remontrances au roi. Si l’inénarrable du Guémadeuc est encore du voyage, tel n’est pas le cas de Rohan, qui laisse sa place au marquis de la Coste pour représenter la noblesse. Choix judicieux en vérité, car le marquis est un symbole absolu de la loyauté du second ordre breton à la monarchie, jusque dans son corps : lieutenant général pour la Basse-Bretagne, il fut un des appuis de Chaulnes aux états de 167343, avant de devenir le bourreau des brouillons à Guingamp puis la victime de ceux de Châteaulin quelques jours plus tard. Le dernier député est l’alloué de Rennes, Beschart. Sans doute ce choix est-il lié à la demande de retour du parlement à Rennes, ce point étant, pour le Rennais Cormier de la Courneuve, l’objectif premier de la députation. Peine perdue. Le récit que Cormier fait de l’année du papier timbré s’achève en indiquant que, sachant par avance ce que les députés bretons viennent demander, on leur intime l’ordre de n’en point parler, ce qu’ils font.
18On ne sait au juste si l’anecdote est véridique, mais ce qu’on sait en revanche, c’est que les réponses faites par le roi aux remontrances des états sont sans concession. La chose n’est ni nouvelle, ni surprenante au sujet des requêtes de nature financière : le roi a trop besoin d’argent pour céder et il est en position de force. C’est donc la question du retour du parlement qui est la plus révélatrice, car touchant en premier lieu au symbolique – les arguments économiques et fiscaux pour son retour avancés par les états étant assez faibles ; or, sur ce point, Louis XIV refuse également, tout en laissant un espoir pour un avenir non daté : « Sa Majesté fera consideration sur cet article quand le bien de son service le permettra. »
19Un détour par les arrêts du conseil rendus en marge des états permet peut-être de comprendre l’attitude du roi44. Ainsi, nous éloignant un instant de la Bretagne, y remarque-t-on qu’Amiens et Gien obtiennent une diminution du montant qu’elles ont à payer pour la taxe sur les arts et métiers ; en proie à des difficultés financières, Saint-Denis-en-France bénéficie d’une surséance de ses prélèvements pour la durée de la guerre ; au vu de ses malheurs, Abbeville est gratifiée d’une modération de l’impôt. Les plaintes de la généralité de Montauban et même de Bordeaux, victimes de la grêle, leur permettent d’obtenir une diminution de leur paiement de la taille. Quant aux Berruyers, il obtiennent satisfaction au sujet de sommes indûment perçues par l’armée au titre des quartiers d’hiver. Certes, les requêtes des Artésiens et des Dunkerquois sont transférées aux intendants afin qu’ils rendent un avis, preuve que le pouvoir n’agit pas de façon aveugle ; certes, les Bourguignons et Normands récalcitrants sont sommés de se servir du papier timbré, mais ceci ne corrige pas vraiment l’impression que le pouvoir cherche à ménager le royaume, non sans lien certainement avec les impopulaires quartiers d’hiver qui s’annoncent. Et si tout recommençait ? Une certaine prudence émerge donc, sans doctrine claire, au cas par cas. Et n’en va-t-il pas au fond de même pour la Bretagne ? Si les historiens insistent sur le fait que les états de Dinan signent la mort définitive de la politique de collaboration déjà mal en point, comment ne pas voir aussi que n’est pas renouvelé le vote d’une somme aussi extravagante qu’en 167345, et qu’on inaugure la recherche de voies nouvelles ? Parallèlement, les différents fermiers qui, en marge de la session, s’empressent d’expédier des requêtes au conseil pour obtenir des dédommagements suite aux troubles en sont presque pour leurs frais : le roi (et Colbert, systématiquement rapporteur), demande certes à l’assemblée provinciale de pourvoir au paiement, mais sans entrer dans le détail d’un règlement confié aux commissaires aux états46. Bref, si le gouvernement entend bien faire payer les Bretons à la mesure de leur crime avéré et de leur richesse supposée – d’où le don gratuit de 3 millions –, un certain pragmatisme prévaut en matière financière, qui éclaire en retour l’intransigeance constatée sur les dossiers plus symboliques et surtout plus visibles que sont le logement des gens de guerre et le transfert du parlement. Au milieu de ce bricolage, cette dernière mesure, par sa visibilité et par sa possible pérennité, est l’équivalent pour les élites politiques de ce que sont les clochers arasés pour les paysans : un signal fort, destiné tant à dire la force qu’à masquer les limites du pouvoir royal. Car s’il faut bien punir, montrer qui est le maître, que sa puissance est grande, il le faut d’autant plus que le front financier est incertain. Tous ceux qui suivent les affaires financières savent les retards de paiement, et peuvent sans peine pressentir combien, en période de guerre, cela risque de ne pas s’arranger, comme la suite le montrera d’ailleurs : en 1680, nous dit James Collins, le budget des états fera apparaître un non-paiement de deux millions47. De là sans doute l’idée de multiplier les sources de financement, si incertaines soient-elles48 : revenir sur le papier timbré, le contrôle, le tabac ou l’étain aurait été une reculade politiquement dommageable pour qui cherche en même temps à affermir l’autorité de l’État, mais aussi une erreur d’un point de vue financier. Symbole peut-être d’une politique royale qui cherche une voie moyenne entre affirmation de l’autorité et réalisme, en juillet 1676, constatant que le prélèvement de la taxe sur l’étain est contourné par de multiples fraudes impossibles à juguler, celle-ci est remplacée par une taxe sur l’étain entrant dans le royaume49. On devine que Colbert a fait un choix non seulement fiscal, mais aussi économique, mais on remarque surtout que cette souplesse connaît une limite : le système mis en place en 1674 est maintenu en Bretagne, comme une manière de maintenir sur cette province réputée prospère une pression à la fois fiscale et politique, comme une tentative d’en tirer le plus possible et le maintien d’une forme de disgrâce.
Sortie de crise
Des soldats par milliers
20Outre le non-retour du parlement, la retombée la plus visible des états est l’envoi de soldats en quartiers d’hiver sous l’autorité du commissaire, monsieur de Pomereu50. Dans la lettre de commission donnée à Pomereu, en date du 30 novembre, le roi dit être obligé d’envoyer des troupes, tant son armée est immense, mais que, reconnaissant à la Bretagne du don gratuit voté, il entend soulager cette province en encadrant la présence militaire par un commissaire51. Maigre consolation, qui dit, en creux, que la Bretagne est bel et bien punie, n’étant pas habituée à recevoir tant de troupes. Les estimations du nombre d’hommes varient sous le plume de la marquise de Sévigné : insistant sur l’idée d’une submersion soudaine (« [ils] nous arrivent de tous côtés52 »), elle parle de 8 000 hommes, puis de 10 000 hommes, et même 12 000 – reflet du réel, de sa perception du réel ou procédé littéraire ? –, puis revient au chiffre de 10 000 hommes, ce que personne ne confirme ni n’infirme53. Tout près de son château des Rochers, ce sont, dit-elle, 800 cavaliers qui prennent leurs quartiers à Vitré, au grand dam de la maîtresse des lieux, la princesse de Tarente, qui avait bon espoir de faire bénéficier d’une exemption à sa ville54, qui n’avait pourtant rien à se reprocher. Non loin de là, la paroisse rurale d’Izé doit débourser la coquette somme de 695 livres pour aider à l’entretient des soldats stationnés à Vitré, « sur peine de logement de gens de guerre »55. Si le chiffre de 800 hommes pour Vitré est exact, il contraste avec les 76 cavaliers que Landerneau, ville qui a connu des troubles, doit de son côté accueillir56. Faut-il voir là l’effet de l’action protectrice des Rohan, qui auraient été plus efficaces que les La Trémoille pour Vitré, ceci ne pouvant qu’accroître dès lors leur ressentiment dans un contexte de perpétuelle rivalité entre les deux lignages ? À moins que la marquise n’exagère, ce qui n’est pas impossible, pour des raisons qui ne sont pas toutes dues à son goût pour le spectaculaire : Vitré, porte d’entrée dans la Bretagne, a pu voir passer bien des troupes, ce qui a pu accroître la perception d’un raz-de-marée. Quant à Nantes, elle accueille 34 compagnies du régiment des vaisseaux, soit environ 1 700 hommes57.
21Comme à Rennes, émergent des archives des plaintes liées aux désordres attribués aux troupes. À Guingamp, le bourgeois Hamon parle de pillages, qui s’ajoutent au logement à payer et aux taxes à assurer, d’autant plus fortes dans son cas qu’il accuse le maire de l’avoir injustement chargé58. À Landerneau, Jehan Bazin signale de son côté « une multitude de vexations, exactions, pillages », occasionnant des plaintes59. À Piré, au sud-est de Rennes, sont évoqués « des exactions et maltraitements », en plus des paiements60 ; à Gourin, en pleine zone insurgée, les paroissiens doivent payer les soldats pour récupérer leur missel ; en revanche dans le Trégor, à Ploubezre, il n’est question « que » de payer61. Le départ prématuré des troupes – décidé pour des raisons stratégiques qui n’ont rien à voir avec la Bretagne – ne donne de surcroît même pas lieu à un soulagement immédiat puisque le roi demande aux Bretons de payer l’ustensile comme si les unités étaient restées, en leur faisant valoir qu’ainsi elles achètent une exemption62. Soit 200 000 livres63. Pour Vannes, une des seules villes documentées, cela se traduit par une taxe de 3 300 livres, payable pour l’essentiel par une contribution des habitants64.
22Si le poids financier de la présence militaire peut être appréhendé peu ou prou, il est plus difficile de se prononcer sur les débordements, aussi classiques que le sont leurs dénonciations. Peut-être une patiente enquête de terrain, dans les papiers des cours de justice et, plus sûrement, des communautés de ville, apporterait des précisions utiles, comme le suggèrent les propos suggestifs de J. Bazin au sujet de Landerneau. La principale, pour ne pas dire la seule affaire un tant soit peu connue concerne le régiment de la Reine, coupable de pillages de nombreuses maisons entre Rennes et Guingamp, sans qu’on en sache beaucoup plus65. L’affaire, transmise par Chaulnes à Louvois, permet peut-être au premier de manifester sa mauvaise humeur à l’endroit de la présence militaire ; elle lui donne également l’occasion d’empiéter sur les prérogatives de Pomereu, et de s’enquérir de la marche à suivre concernant la présence des troupes, faute de quoi, note-t-il « cette province sera traitée comme le pays ennemi », ce qui sous-entend qu’elle ne l’est pas. Mais ce que Chaulnes omet de signaler, et que rapporte Pomereu, c’est que les Bretons savent le cas échéant se défendre : à Redon et à Hennebont, un commissaire des guerres est apparemment malmené66. En revanche, aucune action de représailles vis-à-vis des soldats n’émerge. Pourtant, on sait qu’en la matière les Bretons n’avaient pas grand-chose à envier aux « chenapans » de l’espace germanique, à ceci près que les occasions de s’affronter étaient bien moins fréquentes67.
23Comme toujours, il est difficile d’apprécier la véracité de ces accusations, en faveur desquelles plaident les exécutions mentionnées à Rennes. À cet égard, et il faut sans doute à nouveau y insister, si des violences ont eu lieu, elles n’entrent nullement dans le cadre d’un plan voulu par le pouvoir. Pomereu a clairement pour mission de faire régner « l’ordre et la discipline militaire », pour reprendre une expression qui se trouve dans la commission qu’il a reçue. Louvois est d’ailleurs extrêmement clair sur cette question dans la lettre qu’il envoie début janvier68, même s’il considère qu’il est bien normal que les officiers trouvent « de petits avantages » pendant les quartiers d’hiver69. Même la marquise de Sévigné, qui dit que les troupes « vivent, ma foi, comme dans un pays de conquête », glisse, ailleurs, que Pomereu « punit et empêche le désordre : c’est beaucoup », et sans doute a-t-elle à chaque fois un peu raison70.
24Par ailleurs, un point doit nous alerter, jamais mis en avant, et qui la question du poids de la présence militaire sur la province. Il est certes très dommage que nous n’ayons ici que des estimations dues à la marquise de Sévigné. Mais si on accepte l’idée qu’elle donne un chiffre haut, le résultat n’en est pas moins spectaculaire : si le roi a décidé d’envoyer 12 000 hommes en Bretagne, cela ne représente que 4 à 5 % de l’armée71, alors que les Bretons constituent environ 10 % de la population totale du royaume. On est loin d’une submersion totale, pour des raisons qui peuvent tenir tant à un choix politique de ne pas aller trop loin sur cette voie, qu’à un choix militaire de ne pas envoyer les hommes trop loin du front où il leur faudra retourner. Mais comme le note l’intarissable marquise, le mal n’en est pas moins grand, car de « cette sorte d’affliction… [les Bretons] ne sont point accoutumés72 ».
Amnistiés, réservés et pauvres enfermés
25Dès l’été, Chaulnes a en main une amnistie promise à ceux qui acceptent de se soumettre, et aux moins compromis73. D’après les minutes des secrétaires d’État, une deuxième « abolition pour les séditieux de la province de Bretagne » est expédiée courant octobre74. Par la suite, il apparaît, selon certains échos, que le roi aurait accordé son pardon à la Bretagne en remerciement du don gratuit perçu comme signe d’une parfaite loyauté envers lui. L’idée, qui aurait été défendue par du Guémadeuc devant les états, à en croire une allusion de la marquise de Sévigné (le roi « a oublié le passé75 »), est reprise par la Gazette de France dans une dépêche du 29 novembre qui rend compte en ces termes de la députation bretonne : « les députez… ont obtenu du Roy l’oubly des troubles76 ». Toutefois, le journal note que c’est Pomereu qui est chargé de porter en Bretagne ce qui est dit être une « amnistie », directement liée au don de trois millions. Quelques jours plus tard, la marquise évoque cette fois précisément le fait que Chaulnes a en main « une amnistie generale », qu’il met en balance avec les troupes77. Pour l’heure cependant, le seul personnage qui bénéficie d’une mesure de grâce est l’homme qui a été la première victime politique de l’année en Bretagne : le marquis de Molac, autorisé à retourner dans son gouvernement de Nantes. Mais à part lui, rien ne semble se dessiner de plus que ce qui a été décrété en août, le second texte semblant être resté lettre morte, comme une arme de pacification dont Chaulnes n’aurait finalement pas fait usage.
26Finalement, le texte définitif de l’amnistie est signé par le roi le 5 février 1676 et enregistré au parlement le 2 mars suivant78. Notons tout d’abord que la date n’a sans doute pas été choisie totalement au hasard : elle correspond au moment du départ des troupes, comme pour marquer la fin d’un cycle. Cette amnistie-ci s’adresse à une catégorie de gens réputés plus engagés que ceux visés par le texte estival, mais pas à tous. En effet, le texte stipule – en vertu d’un principe dont on connaît des exemples79 –, que le roi doit « à l’État et à la Justice » de ne pas tout recouvrir du voile de l’oubli. Aussi en annexe du texte figure une liste de personnes exclues de la dite amnistie, classées soigneusement par paroisses. Quelques personnages sont sans nom : « le clerc de Le Mur », « celuy qui sera convaincu d’avoir blessé le sieur marquis de la Coste » et le curé de Saint-Hernin. Il est difficile de chiffrer précisément le nombre de personnes car des membres d’une même famille sont parfois indiqués indifféremment (par exemple : « les Coquiers, bouchers »). De plus, la liste est ouverte puisqu’elle s’achève en indiquant que les coupables du pillage du château de Kergoët sont collectivement exclus de l’amnistie. Selon Duchemin – et lui seul, curieusement et malheureusement – le 31 octobre suivant « tous les reservés… ont eu sentence définitive », ce qui ne veut pas dire que les quelques 150 individus concernés ont tous été condamnés, comme on va le voir80.
27Cette liste, dont les historiens – nous compris – ont fait grand usage pour approcher la cartographie et la sociologie de la révolte, doit être d’abord considérée pour ce qu’elle est : une pièce dans un processus punitif. Elle est moins le reflet de la révolte que de la répression, alors qu’elle est toujours présentée de manière hémiplégique comme le spectrogramme de l’embrasement seul. La liste, il faut y insister, est celle de gens qui, dans la plupart des cas, restent à ce jour des inconnus pour nous, soit que nous n’ayons aucun indice sur leur éventuelle participation aux troubles, soit que nous ignorions leur sort final.
28Parmi la minorité (dix-huit) pour lesquels on parvient à savoir, au moins approximativement, le sort que leur a réservé la justice, les statuts sont différents81. Certains, comme Pierre Manach, de Landerneau, sont déjà en prison au moment où le texte est promulgué. Trois autres, condamnés aux galères à Quimper, sont déjà partis vers Marseille au moment de l’envoi de l’amnistie. Ces hommes-là perdent donc tout espoir de grâce. Par ailleurs, et de manière assez inouïe, l’un des réservés est dit être déjà « exécuté ». Faut-il penser que l’on a in extremis rajouté cette mention ? Ou qu’il s’agit d’une exécution en effigie ? D’autres voient leur cas traité au moment où la liste est dressée, tel le Rennais Le Prestre, « chargé » fin février et exécuté mi-mars. Il semble néanmoins que la liste est d’abord celle de gens cachés ou en fuite. D’ailleurs, Chaulnes s’agace quelques mois plus tard, dans une lettre au procureur du roi de Carhaix écrite à l’occasion de l’arrestation du « grand Moign », de « l’insolence de ceux qui sont exceptez de l’amnistie » qui est « trop grande de paroistre publiquement pour n’estre jamais punis »82. La liste est donc à l’évidence celle de gens sur lesquels les autorités ne sont pas parvenues à mettre la main. Cela signifie-t-il que tous sont de dangereux ex-rebelles ? On peut en douter. Certes, on trouve sur la liste plusieurs futurs galériens et prisonniers de longue durée à Brest, ce qui laisse supposer que la justice a pu les considérer comme dangereux. Nuançons cependant. D’une part on sait qu’il peut s’agir de gens qui ont déjà eu affaire avec la justice et qui sont poursuivis au nom d’une présomption de double culpabilité ; d’autre part, dans trois cas, les réservés, finalement arrêtés, finissent par être relâchés. Outre les trois Rennais qui sont dans cette situation83, signalons le cas remarquable de Jean Coant, arrêté chez lui à Motreffen septembre 1676 par la maréchaussée, et libéré quelques jours plus tard, après avoir été interrogé, et sans qu’aucune charge ne soit retenue contre lui84. De son côté, l’abbé Dollo est absent de la liste des réservés et, pourtant, ne bénéficie pas de l’amnistie : signalé en prison à Carhaix en janvier 1676, il part aux galères en juillet suivant85. Mais peut-être a-t-il été convaincu, lui, d’avoir participé au pillage de Kergoët (comme chef ?), ou à d’autres méfaits.
29À première vue, l’organisation de la liste des réservés est peu cohérente. Les individus y sont classés par villes et paroisses rurales mais plusieurs logiques se chevauchent. Les communautés fournissant les plus gros contingents de réservés sont plutôt citées en tête, mais il y a aussi des regroupements géographiques évidents, qui laissent penser qu’on a pu coller bout à bout des listes venues des communautés sollicitées par Chaulnes entre août et septembre. L’ordre de présentation, au moins au début, raconte déjà à sa manière la révolte. La liste s’ouvre ainsi par une cinquantaine de noms de gens de Rennes – auxquels on a adjoint quelques individus des alentours – qui forment un contraste quantitatif avec les quatre Nantais qui les suivent. Rennes est indéniablement la capitale de la Bretagne révoltée, et ce chiffre extraordinaire s’explique par plusieurs facteurs : importance des faits constatés, certes, mais aussi volonté de Chaulnes de punir de manière exemplaire la ville qui est jugée avoir donné le mauvais exemple. L’importance rennaise s’explique aussi par la force des relais locaux, institutionnels en particulier, capables de produire de l’information judiciaire, quitte à relâcher ensuite les personnes recherchées. Outre Rennes et Nantes, seules quelques petites villes de Basse-Bretagne sont mentionnées : Châteaulin, Landerneau, Lannion, et Saint-Pol-de-Léon (cité épiscopale quand même). Mais Saint-Malo et Guingamp, où l’on sait que des troubles ont eu lieu, disparaissent à ce stade du paysage : les faits constatés dans la première sont bien mineurs et la répression a déjà frappé dans la seconde.
Figure 9. – Les réservés de l’amnistie en Basse-Bretagne.
Tableau 25. – Répression judiciaire par zone à partir de la liste des réservés de l’amnistie.
Zone |
Nb de communautés comptant au moins un réservé |
Nb de réservés |
Mentions des villages et lieux dits |
1 Quimperlé |
5 |
7 |
|
2 Combrit |
7 |
18 |
dans 4 paroisses |
3 Briec-Châteaulin |
17 |
Au moins 40a |
dans 2 paroisses |
4 Carhaix |
7 |
13 |
dans 1 paroisse |
5 Landerneau |
5 ou 6 |
7 ou 8 |
|
6 Saint-Pol-de-Léon |
3 ou 4 |
4 ou 5 |
|
7 Lannion |
4 |
5 |
|
8 Callac |
3 |
4 |
|
9 Pontivy |
2 |
2 |
a. A Plomodiern sont signalés « les Hernault » : combien sont-ils ?
30Après Nantes, arrive Combrit, « capitale » de la Basse-Bretagne en révolte, puis sa voisine Tréméoc86. On remarque ici que les sept premières communautés citées présentent la particularité d’exposer les noms des coupables, suivis de localisations plus précises de villages87. Ce détail renvoie bien à l’idée qu’en certains endroits, la justice a pu mener l’enquête de manière suffisamment approfondie pour obtenir non seulement des noms, mais aussi des adresses, meilleur moyen d’éviter les risques d’homonymie. Or, quatre de ces paroisses sont situées dans le pays bigouden, dans ce que l’on peut appeler la zone de Combrit. C’est d’ailleurs là qu’on trouve le plus grand nombre de réservés par communauté88. Ici, la répression s’est abattue avec force car la révolte a été féroce, c’est entendu, mais aussi car la répression l’a été, ou a voulu l’être. C’est là qu’on a tenté un blocus côtier et surtout arasé des clochers. On remarquera aussi que sur les quelques cas de réservés finalement condamnés, cinq viennent de la zone de Combrit, et qu’aucune autre zone rurale ne présente les mêmes caractéristiques. La proximité de Quimper comme tour de surveillance a pu jouer, comme a pu jouer un meilleur contrôle des populations par la noblesse du fait de la milice garde-côte. A pu jouer également la collaboration de populations dans cette partie de la Cornouaille relativement bien intégrée à l’État royal, et partant la plus susceptible de verser dans un certain légalisme, comme le montrent aussi les « codes paysans ». La peur, dans cette partie de la province où l’on s’est révolté avec éclat, a pu enfin achever de motiver à livrer les noms de coupables ou supposés tels.
31La zone de Briec-Châteaulin présente un profil proche – à ceci près qu’on ne connaît aucun individu finalement condamné. On s’est ici beaucoup révolté, et la longue liste de noms peut être reliée à des facteurs comparables à ceux évoqués ci-dessus. On se souvient d’ailleurs que c’est ici qu’a sévi le marquis de Nevet, qui est parvenu à faire arrêter et exécuter des individus au cœur de l’été, c’est à dire avec au moins l’accord tacite d’un nombre significatif d’habitants. Nevet n’est sûrement pas le seul responsable de la situation, puisque les juges de Châteaulin ne semblent pas avoir voulu faiblir, comme pourrait en attester le fait qu’ils font des difficultés pour accepter l’amnistie89. L’affaire, particulièrement singulière, mérite d’ailleurs qu’on s’y arrête un instant, même si elle paraît unique en son genre. Les raisons qu’ont les juges de refuser l’amnistie ne sont connues que par le témoignage du procureur du roi près de cette cour. Celui-ci, dans un premier temps, explique que le refus est motivé par un spécieux argument de procédure : le texte ne leur aurait pas été présenté dans les formes, ce qui, selon le représentant du parquet, n’est qu’un prétexte. La vraie cause semble dévoilée quelques mois plus tard par une remontrance du procureur général : les juges de Châteaulin veulent garder en prison des gens pourtant amnistiés, par « avarice » et « desir de s’enrichir ». Mais est-ce là une explication crédible ? Ne faut-il pas voir, dans ce lieu qui a été un des premiers épicentres de la révolte cornouaillaise, un désir de revanche des juges, ou encore une crainte de laisser circuler des gens qu’on est satisfait de savoir dans les geôles ? Ces hommes ont certainement gardé le souvenir cuisant d’une foule manifestant sa colère en pleine audience et maltraitant quelques uns des robins du lieu90. Ne peut-on donc penser qu’une dureté judiciaire ait pu se faire jour en conséquence, qui se traduirait aussi par le grand nombre de personnes exclues de l’amnistie ?
32Si le dossier des longues suites judicaires de la révolte est encore très lacunaire, d’autres indices de sévérité existent. Ainsi voit-on le parlement de Bretagne – que l’on découvre au passage rapidement réintégré dans ses prérogatives antérieures91 –, envoyer l’abbé Maillard aux galères, alors que la cour de Quimperlé l’a élargi en première instance92. Le parlement a-t-il jugé en conscience ou bien a-t-il voulu laver son honneur sali par Chaulnes, voire faire oublier sa prudence passée ? Un autre indice de sévérité judiciaire est perceptible enfin à Quimper, puisque le présidial de cette ville, on s’en souvient, est parvenu à faire prendre et exécuter dès le mois d’août 1675 le meunier Le Quéau, qui a sans doute commis l’erreur de ne pas fuir.
33Le sursis que son compère « le grand Moing » a connu – il n’a été exécuté qu’à l’automne suivant – est en effet probablement lié au fait que cet individu, qui avait des choses à se reprocher de longue date, a fui, et qu’il l’a fait vers la région de Carhaix. Or, cette zone où on s’est révolté avec éclat est un peu sous-représentée dans la liste des réservés. Ce léger écart entre la cartographie des exactions connues et celle des réservés peut dire deux choses antinomiques : soit il y a peu de réservés autour de Carhaix car beaucoup de coupables ont été déjà envoyés qui aux galères, qui à la potence ; soit il y a peu de réservés autour de Carhaix car les autorités n’ont pas pu ou voulu s’associer à la repression avec vigueur. Juges timides et communautés taiseuses expliqueraient cette situation. Plusieurs indices vont dans le sens de cette dernière interprétation. Ainsi, l’incapacité à mettre des noms sur les supposés coupables du pillage de Kergoët, ou sur « le curé de Saint-Hernin » constitue un indice d’une certaine timidité judiciaire93. Va dans le même sens ce que l’on pourrait presque appeler le cas déjà évoqué de Jean Coant, ou encore l’affaire Nédellec. Ce dernier, paroissien de Trébrivan, non loin de Carhaix, est en conflit avec son recteur, qui, en 1678, dénonce dans une plainte ses mauvais agissements, non sans avoir pris soin de préciser, d’emblée, que l’homme a été le chef local des séditieux de 167594. Le recteur est certes homme habile, qui sait que sa plainte a d’autant plus de chance d’être entendue que le mauvais paroissien sera peint sous les traits du plus noir sujet, mais il n’en demeure pas moins un fait intéressant : Nédellec ne figure pas sur la liste des réservés de l’amnistie, alors qu’on peut supposer – sans certitude évidemment – qu’il a joué un rôle dans la révolte. De manière peut-être moins évidente, signalons les déboires de Sauvan, sous-fermier des devoirs à Carhaix, dont la maison a été pillée en juillet. La plainte qu’il dépose en 1677 le conduit à dénoncer nommément environ 200 personnes, signalées avec leur paroisse d’origine et leur état95. Ce remarquable travail n’a pu être fait que suite à une enquête et, de fait, le dit Sauvan reconnaît que plusieurs particuliers qu’il dénonce ont été décrétés de prise de corps, mais « comme le roy a eu la bonté de les pardonner », il ne peut espérer les poursuivre qu’au civil. Doit-on penser que, le jour de la publication de l’amnistie, les portes des prisons bretonnes se sont soudainement ouvertes à nombre de prévenus jugés insuffisamment coupables pour avoir vu leur nom sur la liste des réservés ? C’est très possible, même si ce ne fut pas le cas pour tous. Ainsi, par exemple, Charles Lencot est quant à lui maintenu, bien qu’il ne figure pas sur la liste des réservés96. Beaucoup de pièces manquent au puzzle, mais il se dégage néanmoins le fait que les juges de Carhaix, au-delà de quelques rudes condamnations comme l’envoi aux galères de l’abbé Dollo et la mise à la roue de Le Moign – un quasi horsain d’ailleurs – ont pu jouer la carte de l’apaisement, et qu’il l’ont fait d’autant plus qu’ils ne trouvaient peut-être pas ici autant de relais qu’ailleurs à leur autorité, en particulier au sein même des communautés. Loin des principales villes sièges du pouvoir royal, plus isolée face à des populations moins disposées à collaborer avec un État royal plus lointain, la justice aurait ici moins qu’ailleurs su sévir. L’analyse pourrait d’ailleurs être transposée pour le secteur de Callac, encore plus isolé, et où apparaît de manière encore plus accusée l’écart entre un nombre d’exactions notables et un nombre réduit d’invidus exclus de l’amnistie.
34L’« affaire » Nédellec n’est pas sans en évoquer une autre, qui, là aussi, renvoie aux relations conflictuelles entre clergé et paysans, mais qui a cette fois pour cadre le secteur d’Hennebont, à un jet de pierre de la citadelle de Port-Louis et à deux du parlement, désormais à Vannes97. En 1677, un monitoire est publié suite à une plainte des recteurs de Riantec et de Kervignac, au sujet d’un verger coupé et de blé renversé ; or, les coupables auraient été les chefs de la révolte de 1675, et seraient des réservés de l’amnistie, qui seraient donc toujours en liberté98. La suite est aussi instructive. En effet, seules deux femmes se déplacent pour donner des noms. Or, ceux-ci ne sont pas ceux des réservés, ce qui tend à montrer que ces derniers ne sont peut-être pas si présents ni visibles que cela dans leur paroisse. Ceci tend également à montrer que – dans l’hypothèse où ces brouillons de 1677 seraient bien d’anciens rebelles de 1675 – la liste des réservés a été ici aussi faite avec complaisance, ou aveuglement. Enfin, pour ajouter à la complexité du dossier, indiquons que les troubles n’ont pas disparu. En mars 1676, à Gouarec, un commis des devoirs est pris à partie par plusieurs personnes, dont un boucher qui s’écrie : « Par la mort Dieu, il faut tuer ces bougres de maltotiers… il ne faut plus les souffrir en Bretagne, et les exterminer99. » Une scène comparable se déroule le même mois à Quimperlé100. En septembre, un attroupement empêche l’établissement du bureau des séquestres à Châteauneuf-du-Faou101. Le meneur identifié par le parlement est le sénéchal du lieu : faut-il voir en lui un nouveau Le Balp ou bien un notable désireux d’éviter une nouveauté susceptible de provoquer une reprise des troubles ? À l’évidence, le secteur est encore agité. D’une certaine façon, ces affaires, du fait de leur caractère cloisonné, semblent indiquer que nous entrons dès à présent dans le XVIIIe siècle rébellionnaire tel que décrit par Jean Nicolas, fait d’une multitude de micro-contestations isolées102.
35Ces conflits locaux et la liste des exclus de l’amnistie sont au fond comme les deux faces d’une même réalité : l’impuissance des autorités, et ce qui semble être son corollaire : la sévérité ponctuelle. Cette impuissance est variable d’un endroit à l’autre, mais on remarque que même dans la zone de Briec-Châteaulin, les choses sont visiblement bien compliquées. Le procureur du roi de Châteaulin le dit au procureur général du parlement Huchet au moment de la promulgation de l’amnistie :
« L’on est ici a present fort sage, l’on veut cependant persuader que si le paisan etoit armé, on auroit de la peine a le retenir dans le devoir, il parle encore dit on de gabelle lors qu’il voit publier quelques edits ou arrests a l’audiance, ce sont des bruits sourds dont on ne peut trouvé de preuve contre aucun particulier, quoisque j’aie taché d’en avoir. Les monitoires font ici si peu d’effet que je n’en ai pas fait publier. Je le ferai si vous en etes d’avis. On est ici partagé sur ce sujet103. »
36Sentiment d’impuissance, inefficacité des monitoires, appréciations divergentes des magistrats, crainte d’un nouvel embrasement : la victoire de l’autorité n’est pas plus totale ici qu’elle ne l’est à Trébrivan, Kervignac ou Riantec. Et si le procureur du roi de Châteaulin semble bien impuissant, Chaulnes lui-même ne donne pas le sentiment de contrôler le pays : en 1676, il s’oppose au transfert de Le Moign de la cour de Carhaix au présidial de Quimper de peur qu’il ne soit enlevé sur la route104. Signe qu’il ne fallait pas perdre la moindre proie ? Il faut dire que dès le 17 octobre 1675, les troupes à peine parties, le juge de Carhaix apprend, lorsqu’il vient enquêter à Spézet au sujet de l’affaire du pillage subi par un greffier, que celui-ci a été enlevé par une troupe de sept à huit personnes emmenées par le comte de la Roche105, nouveau témoignage, soit dit en passant, du rôle joué par la noblesse au moment de la répression. Tout cela dit bien la grande faiblesse de la justice du roi, qu’elle soit extraordinaire ou ordinaire. Pire encore, en 1679, Callac, à quelques encablures de Vannes, se permet de rétablir ses cloches, au grand dam du duc de Chaulnes, qui avait instamment ordonné leur dépose en 1675106. L’acte est apparemment isolé dans sa nature, mais relié aux autres incidents ci-dessus évoqués, il montre bien la difficulté de l’autorité à se faire respecter. En fait, la vie reprend tout simplement son cours, et ceci implique de remonter les cloches, comme on le voit aussi sur les marges du cœur de la zone séditieuse. Scrutant à la loupe les archives des Barbier de Lescoët, Louis Le Guennec constate en effet que les paroisses léonardes qui ont dû descendre leurs cloches en vertu du principe de précaution, sont autorisées à les réinstaller dès la fin de l’année 1675, et que les paysans peuvent dès 1676 retrouver leurs armes confisquées quelques mois plus tôt107. Il est vrai qu’on est près des côtes, de Brest et qu’on s’est relativement peu révolté dans ce secteur. C’est sans doute en voyant cela que d’autres paroisses veulent faire de même, ne se considérant peut-être pas plus rebelles que cela.
37Oubli ad vitam aeternam pour les uns et répression à durée indéterminée pour les autres ne forment cependant pas les deux seules faces du dispositif mis en place qui, bientôt, s’enrichit d’un aspect préventif. La politique d’enfermement des pauvres est en effet relancée dans les mois qui suivent la révolte108. On aura cependant garde d’oublier que la tentative de reprise de la politique d’enfermement des pauvres dans des hôpitaux généraux, concerne en réalité tout le royaume. Après l’échec de la précédente tentative, en 1673, la suivante, en 1676, se veut plus pragmatique, avec l’expédition d’une lettre incitative aux évêques et aux intendants, suivie de l’envoi d’une escouade de Jésuites auxquels on attribue la fondation de 104 établissements en quelques années. Peu nous importe que ces maisons ne perdurent souvent guère au-delà de l’élan initial, car ce que l’on peut relever ici, c’est que le roi a voulu la relance d’une politique vigoureuse vis-à-vis des populations jugées dangereuses dans les mois qui ont suivi la fin du grand cycle émeutier de 1675 : est-ce vraiment par hasard109 ? Ce qui est frappant, c’est que, dans ce mouvement, la Bretagne – avec le Languedoc où l’on a eu seulement peur d’un embrasement – est en pointe. Il est fort possible qu’il faille y voir le fruit de l’activisme de Chaulnes, à relier à son intense désir de ne plus jamais voir de telles catastrophes, désir qui se mêle sans doute à un fond de dévotion, au désir de patronage et peut-être à quelques regrets110. Mais Chaulnes n’explique pas tout, et on pourrait tout aussi bien invoquer l’influence des dévots, à commencer par le célèbre Calloët de Kerbrat, institué « avocat général des pauvres » vers 1680, et actif sur le sujet depuis plusieurs années. Mais au-delà de ces noms, il y a fort à parier que si les élites bretonnes ont suivi, au moins au début, c’était en vertu d’un mélange de dévotion et de peur des révoltes. Ainsi le parlement joue-t-il un rôle dans un dossier qu’il a déjà entendu traiter à la veille des événements, en mars 1675. Il en profite d’ailleurs pour réaffirmer sa vision des causes de l’insécurité, fruit selon lui des vagabonds étrangers à la province. N’était-ce pas au fond une ultime tentative pour accréditer la thèse initiale de l’innocence des bons habitants ?
Les indemnisations ou le rêve du retour en arrière
38Avec le vote du don gratuit, le départ des troupes et l’amnistie, la question des indemnisations est l’autre aspect important de la sortie de crise, essentielle même pour les victimes directes ou indirectes des rebelles. Loin de s’inscrire en contradiction avec le principe d’amnistie pour la grande majorité des ci-devant séditieux, le principe de l’indemnisation participe bien de la même logique : celle du désir de retour à l’ordre antérieur, impliquant oubli et réparation. Nuançons cependant : pretium doloris oblige, les victimes sont en général disposées à demander plus que ce qui a été perdu, avec une dose de bonne ou de mauvaise foi en général difficile à estimer.
39Le processus commence très tôt, alors que Chaulnes et Marillac sont encore sur le terrain bas-breton. Dès le 4 septembre, quatre paroisses jugées coupables d’avoir attaqué la maison de La Pierre à Pontivy sont condamnées par le duc lui-même à payer 10 000 livres, l’essentiel étant pour rembourser le financier111. À Landerneau, le fermier victime des révoltés a droit lui aussi à un remboursement, décidé là-encore sous la houlette du duc : la victime réclame 7 000 livres, et on est quitte pour 4 000112. Parmi les autres victimes des « Bonnets rouges » qui se manifestent rapidement, on trouve un notaire et le recteur de Duault, le fermier des devoirs de Carhaix et le contrôleur des exploits de Spézet. Quant au sieur de Launay, contraint de signer un acte peu avantageux sous la pression, il fait rapidement valoir que celui-ci est nul n’ayant pas été signé dans les règles113. D’autres semblent lancer la procédure plus tard, comme cette veuve Hamon qui attend le mois de février 1676 pour engager la justice à agir contre les paysans qui ont obligé son notaire à signer un acte à leur avantage en juillet114. Il est vrai que, dans son cas, nul pillage n’a été commis, et qu’il s’agît de faire annuler un acte notarié. Mais qui sait si la dame Hamon ne se manifeste pas après avoir constaté que ses vassaux lui opposaient un acte qu’elle estimait pour sa part sans valeur.
40On ne sait trop au juste combien de plaintes et d’arrangements eurent lieu, et là encore, les archives judiciaires civiles pourraient ne pas avoir livré tous leurs secrets. Parmi les dossiers les mieux documentés figurent les demandes déposées par les du Haffond dans le pays bigouden et par les Trévigny près de Carhaix. Dans le premier cas, le duc de Chaulnes organise les modalités du dédommagement que la paroisse de Treffiagat s’engage à payer au seigneur victime du pillage de sa maison115. Visiblement, les habitants s’inspirent de leurs voisins de Plomeur qui ont déjà entamé des démarches comparables dès le mois d’août. En fait, les paysans indiquent, fort habilement, que la somme ne sera payée que par ceux qui ont commis le pillage. Les Trévigny aussi entament une négociation et l’on sent là aussi que les populations sont ouvertes à l’idée d’un arrangement. Les meubles du château de Kergoët qu’admirait tant Lavardin sont rendus et entreposés à Carhaix dès la fin de septembre 1675, chez un « sieur de », dans le couvent des Ursulines et dans celui des Carmes, qui pourraient bien avoir joué un rôle pacificateur. C’était, ici comme ailleurs, sans doute le prix à payer, pensait-on, pour limiter l’ire royale… d’autant que tapisseries de l’histoire d’Alexandre ou même un vinaigrier en argent n’étaient peut-être pas des plus simples à dissimuler. Mais c’était aussi le signe d’un désir de ne pas passer pour des voleurs et, à l’instar des Parisiens de 1648, il faut peut-être voir une manifestion d’une forme « d’économie morale116 ».
41Rendre les meubles ne suffit cependant pas pour les Trévigny, qui font remonter leurs plaintes jusqu’au sommet de l’État. Ils sollicitent un arrêt du conseil et des lettres patentes « du grand sceau » en leur faveur, au grand étonnement du roi qui, par la voix de Pomponne, renvoie l’affaire au marquis de la Coste pour que soit trouvé un accommodement117. Le ton employé par le ministre doit être relevé, quand il évoque « les paroisses qu’elle prétend rendre responsable de l’incendie de son château » ou bien quand il indique, à propos des paroisses récalcitrantes, que le roi « estime qu’il y a d’autant plus de raison de les laisser dans cette liberté qu’il y en a quelques unes qui se plaignent que l’on a voulu exiger d’elles des consentements forcés », car le roi veut que tout se règle « a la satisfaction de toutes les parties ». On est bien loin l’image du monarque absolu désireux d’écraser les Bretons pour leur insolence, mais il est vrai aussi qu’en la matière, il ne s’agissait pas de l’argent du roi118. Les accusations de dureté lancées durant l’été à l’encontre de la noblesse bretonne par Chaulnes et Lavardin, les « codes paysans » expédiés à Colbert, voire les remarques peu aimables formulées dix ans plus tôt par Colbert de Croissy à l’égard des seigneurs bretons n’ont visiblement pas été oublié. Quelques mois plus tard, un accord intervient, obtenu par l’entremise de l’évêque de Quimper : les pertes causées, estimées à 64 800 livres, sont ramenées à 49 800 sur la promesse faite par les habitants des vingt communautés visées qu’ils rendraient les meubles, ce qui pourtant semble avoir été fait depuis quelque temps119. On ne sait si la somme fut finalement versée, mais ce que l’on sait, c’est que, de leur côté, les du Haffond attendaient toujours en 1692 de voir l’argent promis sous le coup de la peur de la soldatesque, et dont le montant avait pourtant été sensiblement modéré dès 1676. Les populations, décidemment, savaient se débrouiller, et user du temps qui passe.
42Du côté des financiers, on sait que le fermier des devoirs carhaisien Sauvan – qui pourtant dès 1675 a réclamé des réparations – attend toujours en 1677 d’obtenir gain de cause120. Mais le dossier le mieux connu concerne Landerneau121. La municipalité, sommée de rembourser au financier Bugeaud les réparations exigées par Chaulnes, mais aussi de dédommager le fermier des octrois, qui se plaint d’un manque à gagner, finit par se retourner vers la population, avec l’aide de la justice. En février et mars 1676, des monitoires sont fulminés pour découvrir les vrais auteurs du pillage ; en mai, le sénéchal de la cour de Lesneven vient interroger près de 200 personnes ce qui permet de dresser une liste de 88 suspects. Ce succès citadin est contrebalancé par l’échec de l’enquête dans les paroisses voisines de Ploudaniel et Plouédern. Cette dernière, mais aussi la paroisse de la Roche-Maurice est néanmoins mise à contribution, la première à hauteur de 1 000 livres, la deuxième de 500 livres. Mais l’essentiel de l’effort est fourni par les Landernéens qui sont taxés à hauteur de 10 000 livres, et sont pour cela répartis en deux catégories. La première est celle de gens convaincus d’avoir participé aux désordres : ils sont 130, condamnés à payer de 3 à 300 livres, nous dit Jehan Bazin. Les autres, soit plus de 800 personnes, contribuent de 3 sols à 20 livres. Magnifique travail d’enquête en vérité, qui n’est pas sans évoquer celui réalisé par Sauvan à Carhaix. Mais à cette date, rien n’est encore payé. Nous sommes alors à l’été 1677, et personne n’étant disposé à se charger de cette tâche, le syndic doit s’en acquitter, sans conviction. Selon Jehan Bazin, de nombreux habitants font des difficultés, mais 8 000 livres finissent par être rassemblées. Derrière ce succès, il y a la pression mise par Chaulnes, lors de son passage à l’été 1677, et celle, éventuellement, des Rohan. Le succès landernéen, mis en regard de ce qui semble – sous réserve de recherches plus approfondies – être un échec à Carhaix témoigne peut-être des différences du rapport à l’État et à l’autorité entre le secteur peu ou prou côtier déjà pris dans les rets de l’État, et le Poher plus loin de la Marine, de l’Arsenal et des villes relais actifs de l’autorité, celles qui, comme Brest ou Morlaix, n’ont pas été submergées par la déferlante rebellionnaire surgie des campagnes. Par ailleurs, en regard des arrangements et louvoiements dont sont capables les ruraux du Poher comme du pays bigouden, le dossier citadin de Landerneau dit aussi peut-être quelque chose des différences dans le rapport à l’autorité dans les villes. Tout ceci serait à préciser, à creuser, à nuancer en repartant des archives, afin de dessiner les frontières intérieures de l’État monarchique.
43Un dernier dossier nous est parvenu sur ce thème : celui de la reconstruction du temple de Rennes. Quelques jours après l’entrée de l’armée dans Rennes, les huguenots locaux adressent une requête en ce sens à Marillac, et non à la communauté de ville122. Il leur faut cependant attendre juillet 1676 pour voir Chaulnes ordonner à la municipalité de payer, conformément aux volontés royales123. La communauté s’exécute alors lentement, et emprunte pour cela 2 800 livres, remboursables deux mois plus tard124. C’était la dernière fois qu’on reconstruisait le temple de Cleunay. À sa manière, le monde protestant formait une autre frontière intérieure du royaume.
L’offensive fiscale : le petit dossier des devoirs rennais
44Le retour à l’ordre passe aussi par la remise en ordre fiscal sur le terrain, en lien avec les décisions prises aux états. Le dossier est sans doute immense, et nous ne pouvons en donner qu’un simple aperçu nourri de quelques actes notariés rennais, où l’on peut voir l’action des fermiers des devoirs.
45L’offensive fiscale commence avant l’arrivée des troupes à Rennes. Le 26 septembre, les fermiers déclarent devant notaires que les fraudes « sont si continuelles qu’elles passent pour habituelles », et rappellent qu’ils ont obtenu deux arrêts du parlement les autorisant à établir des bureaux aux portes de la ville125. Or, on se souvient que ces bureaux ont été mis à mal dès le mois d’avril, et n’ont sans doute pas été rétablis depuis : l’acte notarié est comme le signe avant-coureur que leur rétablissement est éminent, alors que chacun sait, ou au moins pressent que l’armée de Chaulnes ne va pas tarder à venir. Puis, après qu’on sut que les soldats allaient bel et bien arriver, le 9 octobre, les commis non seulement dressent une liste de fraudeurs potentiels, mais aussi commencent les perquisitions126, provoquant quelques réactions hostiles. Le 11, à la veille de l’arrivée des troupes, et dans un climat que l’on devine tendu, les commis sont ainsi menacés pour être entrés sans permission chez un particulier127, indice qu’ils sentent que la force est avec eux. Le 12, un autre particulier réagit lui aussi brutalement à leurs menées128. Ces éclats sont cependant peu nombreux, et restent isolés : l’heure n’est pas à la rébellion. Une fois que Chaulnes et ses hommes ont pris leurs quartiers, ce type de réaction disparaît.
46Pour autant, la chasse aux contrevenants se poursuit à un rythme élevé dans les mois qui suivent129. Le 31 octobre, trois commis font constater que depuis le début des troubles, la ville est devenue le théâtre de fraudes sans précédent. La rue du Champ-Dolent, celle des bouchers de la basse-ville, se distingue d’après eux particulièrement130. Il est clair que la fraude n’est pas une nouveauté, des actes notariés antérieurs aux troubles le montrent131, mais il est évident que ces derniers ont permis au phénomène de s’accroître, d’autant que dès avril, les bureaux d’octrois ont été la cible d’émeutiers. Mais les temps changent et les commis déclarent qu’ils peuvent enfin commencer des perquisitions dans cette rue du Champ-Dolent chez des gens suspectés de faire commerce illégal de cidre. À partir de la fin octobre, les minutes de maître Le Barbier sont pleines d’actes qui attestent d’une offensive fiscale sur le front des boissons qui s’étend jusqu’à la paroisse rurale de Saint-Gilles, qui se confirme comme ayant été touchée par des troubles concernant les devoirs132. Ces opérations rencontrent des difficultés parfois liées à d’autres aspects de la reprise en main de la ville : ainsi tel tixier de la rue Haute est-il aussi suspecté qu’introuvable, ayant déménagé suite à l’arrêt d’expulsion133. Plus tard, on découvre que des soldats peuvent être impliqués dans ces trafics, en lien d’ailleurs avec la population134.
47Fin mars, une série d’actes vient montrer que la ferme des devoirs a repris le dessus, ou en tout cas, que le temps du contrôle des flux de boissons est revenu : sept chambres sont louées aux différentes entrées de la ville pour y loger des commis135. On comprend donc que les barrières d’octroi malmenées en avril et probablement abandonnées dans les semaines qui ont suivi, sont désormais réactivées. À l’heure où les soldats quittent la ville et où l’amnistie est publiée, l’espace urbain est reconquis.
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48Comme un père, le roi a donc pardonné la Bretagne. Mais l’amnistie, d’ailleurs limitée, ne compense pas la venue des soldats et le maintien du parlement à Vannes. La Bretagne doit entendre tout le mal qu’il y a à se révolter et il n’est pas impossible de plus que l’existence de mystérieux députés repérés à la Haye ait contribué à une certaine sévérité136. Dans ces conditions, le vote immédiat et inédit des trois millions demandés, voulu pour être la base d’un échange honorable avec le roi s’est transformé en une humiliation. Certains pourront même faire remarquer que les états sont désormais une simple chambre d’enregistrement des desiderata du pouvoir toujours plus gourmand. Ce n’est certes pas faux, mais il faut tâcher d’aller au-delà. Car la crainte de la marquise de Sévigné – et d’autres qu’elle sans doute – de voir les états disparaître n’a pas eu d’accomplissement, pour des raisons que l’on peut deviner et qui tiennent à une forme d’alliance avec les élites provinciales. Le roi sait très bien qu’une telle institution présente de multiples avantages pour les plus puissants du duché, Chaulnes en tête, qui obtiennent sur le théâtre provincial de substantielles gratifications. De plus, l’entrée dans le monde de la rente peut être aussi vue comme un cadeau fait aux plus riches, avec l’espoir de retirer des dividendes du système fiscal. Bref, en orientant la Bretagne vers le modèle languedocien, se dégage, comme en d’autres lieux137, l’image d’un roi pragmatique, qui, derrière les manifestations visibles de son autorité, conforte les notables provinciaux, noblesse en tête. Pour celle-ci, le simple fait de pouvoir paraître sur le théâtre des états ès qualité est déjà en soi une forme de rétribution symbolique jugée extrêmement importante, tandis que les devoirs ne la concernent pas vraiment138. De plus, la Bretagne ne reçoit pas d’intendant alors que Colbert a, à plusieurs reprises, souligné cette singularité, même parmi les pays d’états139. Il ne faut pourtant pas, comme y invite Albert Hamsher lui-même, « pousser le pendule du révisionnisme » trop loin140. Les élites provinciales sont en effet invitées à payer la taxe sur les offices, celle sur les francs-fiefs, celle sur la noblesse, et le parlement est maintenu à Vannes. Au niveau des peuples, la modération des devoirs peut bien être un trompe-l’œil : l’examen du dossier rennais tend en effet à montrer que les fermiers cherchent à regagner le terrain perdu. Sans doute faudrait-il cependant ici aussi poursuivre l’enquête. C’est finalement le dossier des quartiers d’hiver imposés à la Bretagne qui est peut-être le plus symbolique de cette politique. Entorse réelle aux privilèges de la Bretagne141, mais pas complètement inédite quand même142, imposée dans des conditions humiliantes suite au vote du don gratuit, la mesure reste finalement modérée et sans lendemain, puisqu’il faut attendre les années 1690 et la guerre de la Ligue d’Augsbourg pour voir l’inflexion définitive143. La Bretagne aura alors un intendant, un commandant un chef, sera totalement intégrée au dispositif militaire français – symbolisé par la présence de Vauban comme bâtisseur et comme soldat –, participera à la milice, tandis que le parlement sera de nouveau à Rennes. Manière de dire que si la Bretagne est passée d’un monde à l’autre, c’est peut-être moins en 1675 qu’en 1689. Et s’il est sans doute tentant de dire que cette « révolution de 89 » là est déjà présente quatorze plus tôt, que 1689 n’est que l’accomplissement de 1675, l’idée sonne un peu comme une injure à ces quatorze années de vie politique qui auraient pu déboucher sur toute autre chose, et dont l’histoire reste à écrire144.
Notes de bas de page
1 Lettres, ed. Gerard Gailly ed., Paris, Gallimard, 1953, t. I, p. 896.
2 Ibid., p. 873, 885, 896, 920 : « Nous ne savons plus quand on tiendra nos états » (9 X 1675) ; « On ne croit pas que nous ayons d’états » (20 X 1675) ; « On ne comprend pas… ce qu’on demandera aux états, s’il y en a » (30 X 1675) ; « Je vous parlois des états, dans la crainte qu’on ne les supprimât pour nous punir » (20 XI 1675).
3 Roland Mousnier, Les institutions de la France sous la monarchie absolue, Paris, PUF, 1974, t. I, p. 473.
4 BNF, MC 171 bis, fol. 772, lettre de Chaulnes à Colbert, 30 VI 1675 ; sur la question du lieu des états et du parlement : supra, chapitre IX.
5 Arch. aff. étr., mémoires et documents, 1511, fol. 229.
6 Si on croit la nomination des députés rennais (Arch. mun. Rennes, BB 561, reg. délib., 31 X 1675). Il est toutefois possible que la décision ait été annoncée plus tôt, les communautés de Châteaubriant et du Croisic choisissant leur député début octobre (Arch. dép. Loire-Atlantique, [en ligne]).
7 La principale source est ici le procès-verbal de la tenue : Arch. dép. Ille-et-Vilaine, C 2658.
8 L’assemblée étant ouverte à tous les gentilshommes, le nombre de personnes siégeant dans le second ordre constitue un baromètre acceptable pour tenter d’apprécier l’intérêt porté à une session et au-delà aux enjeux politiques du moment.
9 Arch. nat., U* 985.
10 Arch. aff. étr., mémoires et documents, 1511, fol. 229.
11 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, C 2658.
12 Le revenu net de l’État en 1675 s’élève à 78 millions de livres (Alain Guéry, « Les finances de la monarchie française sous l’Ancien Régime », Annales ESC, 1978, 33/2, p. 216-239).
13 Armand Rébillon, Les États de Bretagne, 1661-1732, Paris-Rennes, Picard-Plihon, 1932, p. 234.
14 Pierre Clément, Lettres, mémoires et instructions de Colbert, Paris, Imprimerie impériale, 1868, t. II, p. 306.
15 Lettres, op. cit., p. 915, lettre du 17 XI 1675. La marquise dit alors être tenue informée du déroulement des états par des courriers de Boucherat, Lavardin et d’Harrouys, le trésorier.
16 Armand Rébillon, op. cit., p. 230 sq.
17 James B. Collins, La Bretagne dans l’État royal, Rennes, PUR, 2006, p. 245-246.
18 Lettres, op. cit., p. 915, lettre, 17 XI 1675.
19 Et alors que pouvaient circuler des rumeurs sur la participation d’un des siens aux plans hispano-hollandais (cf. sur ce point supra, chapitre VII).
20 Supra, chapitre V.
21 Lettres, op. cit., p. 915 et 917, lettres du 17 XI et du 20 XI 1675.
22 Ibid., p. 885, lettre du 20 X 1675.
23 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 F 1637.
24 Gauthier Aubert et Marie-Laure Flahaut, « Rennes de la révolte du Papier timbré à la veille de la Révolution à travers deux chroniques inédites », BMSAHIV, 2009, t. CXIII, p. 146. La mention à l’amnistie est problématique et pourrait être l’effet d’un écriture a posteriori.
25 Supra, chapitre VI.
26 Lettres, op. cit., p. 917, lettre du 20 XI 1675.
27 Arch. nat., E*490a, arrêt du 12 XI 1675.
28 Lettres, op. cit., p. 920, lettre du 24 XI 1675.
29 Ibid., p. 921-922, lettre du 27 XI 1675.
30 Ibid., p. 926, lettre du 4 XII 1675.
31 Ibid., p. 948, lettre du 22 XII 1675.
32 Ibid., p. 930, lettre du 8 XII 1675.
33 Ibid., p. 922, lettre du 27 XI 1675.
34 Il serait peut-être à voir si (et si oui, comment) ces innovations se connectent avec les choix opérés à la faveur de la guerre de Hollande par Colbert au sujet des rentes sur l’hôtel de ville (Katia Béguin, Financer la guerre au XVIIe siècle. La dette publique et les rentiers de l’absolutisme, Seyssel, Champ Vallon, 2012, p. 237 sq.).
35 James B. Collins, op. cit., p. 243 ; Françoise Janier-Dubry, Des rapports entre l’État royal et les états de Bretagne : le système fisco-fiancier breton entre intermédiation, compromis et réseaux des années 1670 à 1720, master, 2011, p. 275.
36 Françoise Janier-Dubry, op. cit., p. 216 et 337 sq.
37 Sur ce point : ibid., p. 244-245.
38 William Beik, Absolutism and society in Seventeenth century France: State Power and Provincial Aristocracy in Languedoc, Cambridge, Cambridge UP, 1985.
39 Lettres, op. cit., p. 939, lettre du 15 XII 1675.
40 Ibid., p. 948 et 949, lettres du 22 et du 25 XII 1675.
41 Ibid., p. 939, lettre du 15 XII 1675.
42 À l’exception de ceux qui sont nommés comme commissaires du roi.
43 Georges-Bernard Depping, Correspondance administrative sous le règne de Louis XIV, Paris, Imprimerie nationale, Paris, 1852, t. I, p. 539 lettre de Chaulnes au roi, 13 XII 1673.
44 Arch. nat., E*488a, 488b et 490a, arrêts du 14 IX, 21 IX, 3 X, 5 et 19 XI 1675.
45 D’après James B. Collins, le montant réel du versement au titre du don et du rachat s’est alors élevé à 6,3 millions de livres (op. cit., p. 242).
46 Arch. nat., E*488b et E*490a, arrêts du 3 X et 21 XI 1675.
47 James B. Collins, op. cit., p. 252.
48 Les années 1675 et 1676 semblent marquées par une baisse spectaculaire des recettes des fermes particulières, notamment celles des domaines et des formules (papier timbré) (Richard et Margaret Bonney, Jean-Roland Malet, premier historien des fiances de la monarchie française, Paris, CHEFF, 1993, p. 186 sq.).
49 Arch. nat., E*1784, arrêt du 11 VII 1676.
50 Supra, chapitre X.
51 Séverin Canal, « Essai sur Auguste-Robert de Pomereu, intendant d’armée de Bretagne (1675-1676) », AB, 1909, p. 513-514.
52 Lettres, op. cit., p. 926, lettre du 4 XII 1675.
53 Ibid., p. 930, 933, 942 et 944, lettres du 8, 11, 15 et 20 XII 1675.
54 Ibid., p. 930 et 954, lettres du 8 et 29 XII 1675.
55 Didier Gaine, « Éblouir les pauvres gens de campagne. » Histoire de la vie paroissiale à Izé, 1675-1788, maîtrise, Rennes 2, 1991, p. 64-66.
56 Jehan Bazin, « La révolte du papier timbré à Landerneau », BSAF, t. 93, 1967, p. 53.
57 Arch. mun. Nantes, BB 48, reg. délib., 16 I 1676.
58 Hervé Le Goff, Les riches heures de Guingamp des origines à nos jours, Guingamp, Éditions de la Plomèe, 2004, p. 260.
59 Jehan Bazin, art. cit., p. 54.
60 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 2 Er 239.
61 Arch. dép. Morbihan, G 995 et Arch. dép. Côtes d’Armor, 20 G 901 (documents aimablement communiqués par Georges Provost et Christian Kermoal).
62 SHD, A 1 470, fol. 515, lettre de Louvois à Pomereu, 30 I 1676.
63 SHD, A 1 486, fol. 515, lettre de Chaulnes à Louvois, 9 II 1676.
64 Jean Lemoine, CXXXVI.
65 SHD, A 1 486, fol. 515, lettre de Chaulnes à Louvois, 9 II 1676.
66 SHD, A 1 486, fol. 415, lettre de Pomereu à Louvois, 3 II 1676.
67 Hervé Tigier, La Bretagne de bon aloi, Rennes, Association Parchemin, 1987, p. 266, 307, 395, 397, 425 : violences contre des soldats repérées en 1627, 1637, 1640, 1670 donnant lieu à chaque fois à un arrêt de règlement du parlement.
68 SHD, A 1 470, fol. 30, lettre de Louvois à Pomereu, 2 I 1676.
69 SHD, A 1 470, fol. 515, lettre de Louvois à Pomereu, 30 I 1676.
70 Lettres, op. cit., p. 930 et 944, lettres du 8 et 22 XII 1675.
71 L’armée française comptait environ 230 000 hommes en 1674 (André Corvisier (dir.), Histoire militaire de la France, Paris, PUF, 1997, t. I, p. 389).
72 Lettres, op. cit., p. 933, lettre du 11 XII 1675.
73 Supra, chapitre IX.
74 Arch. aff. étr., mémoires et documents, vol. 940, fol. 386.
75 Lettres, op. cit., p. 930, lettre, 8 XII 1675.
76 Jean Lemoine, CLXIII.
77 Lettres, op. cit., p. 933, lettre du 11 XII 1675.
78 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bh 14.
79 Boris Porchnev, Les soulèvements populaires en France au XVIIe siècle, Paris, Flammarion, 1972, p. 167, 202 ; Yves-Marie Bercé, Histoire des Croquants. Etude des soulèvements populaires au XVIIe siècle, Genève-Paris, Droz, 1974, p. 446 sq. ; en amont : voir Nicolas Offenstadt, Faire la paix au Moyen Âge, Paris, Odile Jacob, 2007, p. 50-56.
80 Bruno Isbled, Moi, Claude Bordeaux… Journal d’un bourgeois de Rennes au XVIIe siècle Rennes, Apogée, 1992, p. 186.
81 Les dix-huit réservés dont on connaît le sort se répartissent de la manière suivante : 8 sont de Rennes (trois libérés, un exilé, trois envoyés aux galères et un exécuté) ; 3 sont de Landerneau (maintenus en prison), 3 sont de Combrit (envoyés aux galères), 2 de Tréméoc (envoyés aux galères) et un de Motreff (relaché). Un autre est de Paule, et meurt dans les prisons de Carhaix en 1677 (Jean Lemoine, CLX). Jean Lemoine signale par ailleurs le cas d’un réservé des environs de Carhaix accusé d’avoir participé au pillage de Kergoët, interrogé en septembre 1676 (Jean Lemoine, « Documents inédits », art. cit.). Signalons aussi le cas problématique de « Jean Diquair », séditieux de Basse-Bretagne interrogé à Rennes en mars 1676 (Arch. dép. Loire-Atlantique, B 2620) et qui est peut-être le « Jean Le Diguer » réservé de la paroisse de Plouvien… ou encore le « Jean Le Diquer », un des capitaines actif dans l’affaire de Kergoët… ou un autre encore.
82 Cité par Jean Lemoine, « Documents inédits relatifs à la révolte du papier timbré », BSAF, 1896, p. 148.
83 Martinet de Bablouze, le clerc Le Page et le notaire Bretel.
84 Arch. dép. Finistère, 2 B 734. Vincent Prudor évoque aussi de son côté le cas de Jacques Lencot (Duault), reservé de l’amnistie, mais qui meurt dans son lit en 1679 (Structure et organisation de la propriété foncière de la paroisse de Duault d’après la réformation du terrier royal de Bretagne [1678-1685], mémoire de master, Tours, 2013, p. 210).
85 Cas comparable de Yves Rivoual, évoqué supra chapitre IX.
86 Briec, première paroisse à s’être révoltée, est citée plus loin, et ne paraît donc pas aussi coupable que Combrit.
87 Le village correspond au hameau, par opposition au bourg, centre de la paroisse.
88 Cf. tableau 24 ci-dessous.
89 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bf 849.
90 BNF, Clairambault 796, fol. 165, lettre de Vallier à Colbert, 25 VI 1675.
91 D’après le registre des galères de Marseille, le parlement aurait aussi condamné aux galères un ancien révolté dès la fin novembre 1675 (SHD Toulon, 1 O 97, no 2681). Selon l’État des prisonniers détenus à Rennes, ce serait en fait le procureur du roi au présidial qui aurait ordonné sa mise en détention quelques semaines plus tôt (Arch. dép. Loire-Atlantique, B 2620). Faut-il penser que l’affaire est allée en appel au parlement à Vannes ?
92 Jo. Le Nigen, « Alain Maillard : un meneur des Bonnets rouges », BSAF, 2013, t. cxli, p. 412-435.
93 En revanche, le faible nombre de condamnés recensés avant amnistie n’est pas en soi un indice suffisant, car, on l’a vu, dans les autres zones, on n’a guère fait mieux en matière de condamnation.
94 Alain Croix, « Jarnifloch’ ! À propos des succès de la Réforme catholique en Basse-Bretagne », dans Yann Celton, Daniel Tanguy, Yvon Tranvouez (dir.), Chrétientés de Basse-Bretagne et d’ailleurs. Mélanges offerts au chanoine Jean-Louis Le Floc’h, Quimper, SAF, 1998, p. 303-304.
95 Jean Lemoine, CL.
96 Jean Lemoine, CLIX. Sauf à considérer qu’il y a eu une confusion dans les prénoms, et qu’il s’agit en fait de Jacques Lancot, un des meneurs de l’affaire de Duault et « réservé ».
97 François Jegou, Histoire de la fondation de Lorient, Lorient, 1870, p. xxiii sq.
98 De fait, deux paroissiens de Kervignac sont des réservés de l’amnistie.
99 Arch. dép. Finistère, 2 B 734.
100 Arch. dép. Finistère, 9 B 211.
101 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bf 849.
102 Jean Nicolas, La rébellion française. Mouvements populaires et conscience sociale, 1661-1789, Paris, Le Seuil, 2002.
103 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bf 849, lettre du procureur du roi à Châteaulin à Huchet, 16 IV 1676.
104 Jean Lemoine, « Documents inédit », art. cit., p. 148.
105 Arch. dép. Finistère, 2 B 656.
106 Cité par Yvon Garlan et Claude Nières, Les révoltes bretonnes de 1675, Paris, Editions sociales, 1975, p. 184-185.
107 Louis Le Guennec, Notice sur la paroisse de Plougonven, Morlaix, 1922, p. 101 et Une famille de la noblesse bretonne. Les Barbier de Lescoët, Quimper, les Amis de Louis Le Guennec, 1991, p. 297.
108 Sur cette question : Jean-Luc Bruzulier, La société, les pouvoirs et la pauvreté : les hôpitaux généraux de Bretagne (1676-1724), thèse, Rennes 2, 1996, t. I, p. 105-127, à compléter en particulier par Jean-Pierre Gutton, La société et les pauvres. L’exemple de la généralité de Lyon, Paris, Les Belles Lettres, 1970 et Jean Imbert, Le droit hospitalier de l’Ancien régime, Paris, PUF, 1993.
109 Jean-Pierre Gutton remarque que c’est de 1675 que date la première d’une série de brochures en faveur des hôpitaux généraux (op. cit., p. 395).
110 Quand, en 1860, on détruisit l’autel de la Vierge dans la chapelle de l’hôpital Saint-Yves de Rennes, on découvrit une boîte de plomb contenant le cœur de Chaulnes, qui pourtant n’était plus au moment de sa mort gouverneur de Bretagne (Journal de Rennes, 27 I 1860), symbole de l’attachement du duc à cette institution, et peut-être ultime témoignage de son désir de voir les pauvres de Rennes suivre un autre chemin que celui des fureurs rébellionaires.
111 Yvon Garlan et Claude Nières, op. cit., p. 159-160.
112 Jehan Bazin, art. cit., p. 51.
113 Arch. dép. Loire-Atlantique, B 2620 ; Jean Lemoine, CL et CLVI ; Michel Nassiet, « 11 juillet 1675. Un document inédit sur la révolte des Bonnets rouges », dans Philippe Haudrère (dir.), Pour une histoire sociale des villes. Mélanges offerts à Jacques Maillard, Rennes, PUR, 2006, p. 251-265 ; François-Marie Luzel, « Documents inédits sur le mouvement populaire connu sous le nom de « la révolte du papier timbré » en Basse-Bretagne, 1675 », BSAF, 1887, p. 35-67 ; D. Tempier, « La révolte du papier timbré en Bretagne. Nouveaux documents », Mémoires de la Société Archéologiques des Côtes-du-Nord, 1885-1886, p. 123-151.
114 Jean Lemoine, CLIII.
115 Daniel Bernard, « La révolte du papier timbré au pays Bigouden », MSHAB, 1962, t. 42, p. 59-67.
116 Orest Ranum, La Fronde, Paris, Seuil, 1995, p. 183.
117 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 F 1127, lettres de Pomponne à La Coste, 11 XII 1677 et 12 I 1678.
118 Ceci dit, Vincent Prudor, étudiant la paroisse voisine de Duault, estime probable que « de leur propre initiative ou sur instructions, les commissaires [chargés de la réformation du domaine ont] décidé de ne pas accabler les paysans de la paroisse juste quelques années après la révolte des Bonnets rouges » (Structure et organisation de la propriété foncière de la paroisse de Duault d’après la réformation du terrier royal de Bretagne (1678-1685), mémoire de master, Tours, 2013, p. 173).
119 François-Marie Luzel, art. cit.
120 Jean Lemoine, CL.
121 Jehan Bazin, art. cit.
122 Arch. mun. Rennes, GG 345.
123 Arch. mun. Rennes, BB 562, reg. délib., 3 VII 1676.
124 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 E 195, 13 IX 1676 ; sur les travaux, voir également : 4 E 742, 20 IX 1676.
125 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 E 854.
126 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 E 855.
127 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 E 855.
128 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 E 855.
129 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 E 856. Une étude sur les débits de boisson montrerait si c’est là un rythme normal qui reprend, ou bien, et c’est ce qui semble plus probable, si on est face à une intensification momentanée.
130 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 E 855, 31 X 1675.
131 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 26 IX 1674 par exemple.
132 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 8 XI 1675.
133 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 26 X 1675.
134 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 2 XI 1675.
135 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 26 au 30 III 1676.
136 Voir les propos adressés à ce sujet à Louvois aux Bordelais (infra, chapitre XII), qui ne trouvent cependant pas d’équivalent pour la Bretagne, ce qui peut laisser penser que l’idée d’un complot armoricain a été considérée comme moins préoccupante que celle d’un complot bordelais, peut-être en raison du précédent constitué par la Fronde.
137 Olivier Chaline, Le règne de Louis XIV, Paris, Flammarion, 2005, p. 580 sq.
138 Armand Rébillon, op. cit., p. 630 ; Françoise Janier-Dubry, op. cit., p. 211.
139 Pierre Clément, op. cit., t. II, p. 307, 310.
140 Albert Hamscher, « Une contestation évitée : la prétendue lettre du parlement de Paris, 1667 », dans Bernard Barbiche, Jean-Pierre Poussou, Alain Tallon (dir.), Pouvoirs, contestations et comportements dans l’Europe moderne. Mélanges en l’honneur du professeur Yves-Marie Bercé, Paris, PUPS, 2005, p. 663.
141 Armand Rébillon, op. cit., p. 238.
142 Voir par exemple Alain Croix, La Bretagne aux XVIe et XVIIe siècles. La vie, la mort, la foi, Paris, Maloine, 1980, t. I, p. 303.
143 Stéphane Pérréon, L’Armée en Bretagne au XVIIIe siècle. Institution militaire et société civile au temps de l’intendance et des états, Rennes, PUR, 2005.
144 Sur cette période, voir cependant l’étude stimulante de Philippe Jarnoux, « Un exil intérieur : le parlement de Bretagne à Vannes, 1675-1690 », dans Gauthier Aubert, Olivier Chaline (dir.), Les parlements de Louis XIV. Opposition, coopération, autonomisation ?, Rennes, PUR, 2010, p. 95-116.
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