1 Pour reprendre une expression de Daniel Bougnoux, dans La communication par la bande, Paris, La découverte, 1991.
2 Que certaines marques d’agressivité apparaissent dans l’interaction des agents de pompes funèbres avec les « clients » endeuillés ne signifie pas que la haine soit un sentiment régulier, fondateur de la relation pompes funèbres/endeuillés ; au contraire, elle est l’exception, et cela montre d’autant mieux que la régularité en matière d’affect des familles est plutôt l’abattement, la tristesse, la rancœur ou la colère, mais aussi que la haine est une forme extrême d’affect.
3 Sur la notion de « travail émotionnel », voir notamment Arlie Hochschild, « Travail émotionnel, règles de sentiments et structure sociale », dans Travailler, « Les émotions au travail », n° 9, 2002, p. 19-51.
4 Les « dirty works », selon le sociologue Everett Hughes, correspondent à des types de tâches [pas toutes] associées à des métiers [certains plus que d’autres], qui font l’objet d’une désignation, interne ou externe, comme « infra dignitate ». Ces tâches « sont physiquement dégoûtantes ou elles symbolisent quelque chose de dégradant ou d’humiliant ». Hughes prend l’exemple des concierges d’immeubles « qui font le sale boulot des autres » et pour qui « sortir les poubelles » est la tâche la plus dégoûtante. Everett Hughes, « L’étude du travail et des métiers », dans Le regard sociologique, Paris, Ehess, 1996, [1951] p. 81.
5 Pour reprendre une notion de Pierre Livet dans Émotions et rationalité morale, Paris, PUF, coll. « Sociologies », 2002.
6 L’ambivalence représentationnelle du cadavre, à la fois « objet » et « sujet », se retrouve d’ailleurs dans cette appréciation du travail des pompes funèbres : ils manipulent à la fois « quelque chose » et « quelqu’un ».
7 On voit sur ces forums une alternance de messages écrits, souvent initiés par une question d’un(e) internaute.
8 Bernard Conein, « Nommer les groupes, appartenance et cognition sociale », dans Nicole Ramognino & Pierre Vergès (dir.), Sociologie et cognition sociale, Aix, PUP, 2005.
9 Bernard Conein, « Nommer les groupes… », p. 85. Selon cet auteur, ce n’est pas tant le terme en soi qui est agissant, mais la reconstruction cognitive de sa représentation, c’est-à-dire la supposition de sa connotation, le jugement de son degré d’intensité, et l’importance qu’on y accorde. Cette désignation externe en appelle à une médiation cognitive (interne). Ce qu’il en ressort forme un rapport identitaire au travail.
10 Charles Horton Cooley, Human nature and social order, New York, Schoken Press, 1968, p. 121, cité par David Le Breton, dans L’interactionnisme symbolique, Paris, PUF, coll. « Quadridge », 2004, p. 16.
11 Il s’agit d’un des effets de ce que les interactionnistes appellent « autrui généralisé ». Pour rappel, la « négociation » individuelle entre identité pour soi et pour autrui nécessite une représentation des représentations des autres. Le sociologue Cooley (dans David Le Breton, Ibidem.) évoque ce « looking glass self » comme un problème central de la sociologie : « Les imaginations que les gens ont les uns des autres sont des faits sociaux solides, les observer et les interpréter est la tâche première de la sociologie. » Cela indique que la recherche, savante ou profane, d’une quelconque « représentation de l’identité » suppose de s’appuyer sur une sociologie de la cognition employée à cette tâche.
12 Le rôle de la honte sur la dépréciation de l’estime de soi est globalement admis. Certains estiment que la honte est causée par le mépris d’autrui, réel ou imaginé. D’autres rappellent l’importance des normes personnelles. Dans les deux cas, la honte, mais aussi le sentiment de culpabilité, comme leur anticipation, nous conduisent à respecter les normes sociales.
13 Un directeur d’agence de pompes funèbres, interviewé par une équipe de télévision sur un tout autre sujet, s’est par exemple présenté comme un simple « directeur d’entreprises ».
14 Cadre, cité par Pascale Trompette dans Ethnographie des échanges économiques. Le marché des pompes funèbres – xviiie-xxe siècle, Mémoire d’habilitation à diriger des recherches, IEP Paris, 2006.
15 Clark Candace, « Émotions and Micropolitics in Everyday Life : Some Patterns and Paradoxes of “Place”, dans Theodore Kemper, Research Agendas in Sociology of Émotions, New York, Albany, 1990, p. 305-333.
16 Les opérateurs funéraires ont un ascendant clair sur cette interaction. L’entretien funéraire illustre la notion de « drame social du travail », situation dans laquelle le décalage entre le professionnel et le profane oblige le professionnel à se mettre à la portée du profane et le profane à faire confiance au professionnel pour résoudre le problème dont il est censé détenir la réponse. On doit cette notion à Everett Hughes, op. cit.
17 On peut faire l’hypothèse que la haine des croque-morts trouve aussi son origine dans le déni de la mort. Il arrive que les enfants, par exemple, ne comprennent pas pourquoi ces hommes en noir enlèvent leur grand-père ou leur grand-mère. Chez les adultes, des cas de déni visiblement pathologiques ont pu être constatés sur le terrain.
18 Ruwen Ogien, « La haine », dans Patricia Paperman & Ruwen Ogien (dir.), Raisons pratiques – 6 – La couleur des pensées. Sentiments, émotions, intentions, Paris, EHESS, 1995, p. 259-274.
19 La causalité psychique de la haine y est ainsi peut-être partiellement remise en cause puisque celle-ci est elle-même le résultat d’une définition de la haine toujours négociée dans les relations sociales.