1 Nous ne serions trop remercier nos relectrices : Sophie Coeuré et Brigitte Studer, notamment, qui nous a « invité » à prospecter le contexte de formation de Cilly Geisenberg en Allemagne qui rend compte du caractère exceptionnel de ce couple, ainsi que Sylvie Tissot et Catherine Achin. Dans les citations des lettres de Cilly et d’Albert Vassart nous avons respecté l’orthographe qui est d’ailleurs bonne dans la cas d’Albert. Cilly n’écrit pas encore un français parfait ; nous avons parfois complété, entre cochet, un mot pour le rendre intelligible.
2 Les « ego-documents » constituent une part non négligeable des archives personnelles, celles où le clivage privé-public est à la fois utilisé, mis en scène et mis en cause par un individu aux prises avec le travail sur soi. Cf. Ph. Artières, J.-F. Laé, Archives personnelles (Histoire, anthropologie et sociologie), Armand Colin, 2011. Dans le monde communiste, cette transgression a une histoire spécifique résultant notamment du renversement théorique qu’opère Marx rapportant l’être de l’homme à son être social. Cf L’idéologie Allemande.
3 Albert Vassart (1898-1958) fut secrétaire de la Fédération Unitaire des Métaux de 1925 à 1930, membre du comité central de l’Internationale Syndicale Rouge de 1928 à 1930, du Comité central du Parti Communiste Français de 1926 à 1939, du Bureau Politique et secrétaire du Parti de 1929 à 1934, représentant du PCF au Comité Exécutif de l’IC en 1934-1935, Maire de Maisons-Alfort de 1935 à 1939. Fin novembre 1939, il rompt avec le PCF. Arrêté néanmoins le 6 décembre, il affirmera être resté « d’un mutisme absolu pendant ses interrogatoires par la police ». Condamné à 5 ans de prison, il est libéré en septembre 1941. Il adhère début 1942 au POPF de Gitton. Victime d’une première tentative d’assassinat en juin 1942. Une attestation du secrétariat d’État aux Forces Armées (15 mars 1949) d’appartenance aux F.F.C. certifie qu’il a servi en qualité d’Agent P. 1 au réseau N.N.B (Libération Nord ?) du 1/5/44 au 30/9/44. Dans les Archives Tasca consultées par Denis Pechanski, il aurait souligné au juge Perez, durant l’instruction du procès contre le POPF, que sa femme est juive, que plusieurs membres de la famille de celle-ci ont été exterminées dans les camps (dont son frère en 1942) et que sa mère mourut au Ghetto de Varsovie. Ce n’est qu’en avril 1948 que la direction du POPF passa en procès devant la chambre civique. Albert Vassart fut condamné à la dégradation nationale à vie mais immédiatement absout en raison des services rendus à la Résistance (Le Monde, 9 avril 1948). Sollicité notamment par Branko Lazitch, il rédigea ses Mémoires dans les années 1950, mais renoua aussi avec le Groupe Monatte. Une seule recherche lui a été consacrée, celle de Nathalie Topalov, Essai biographique sur Albert Vassart, militant communiste et syndicaliste (1898-1931), Mémoire de Maîtrise d’Histoire, Paris VII, octobre 1991, 105 p + annexes.
4 Cilly Vassart naquit à Sprottau dans une famille juive. Son père possédait à Berlin un petit magasin de cuir qui fit faillite pendant l’inflation de 1923. Sa mère était originaire d’une communauté juive de Prusse de l’ouest. Ses parents, réduits à la misère, vivaient de l’aide des associations caritatives juives. Son père mourut en juillet 1934 et sa mère vécut à Berlin d’une allocation pour pauvreté. Cilly Geisenberg fréquenta une école juive de 6 à 15 ans, comme boursière. Elle fut membre de l’USPD de 1917 à 1921, du KPD de 1922 à 1929 et travailla pour les Éditions du KPD de 1920 à 1922. Mariée avec un responsable du syndicat des enseignants, Ludwig Geisenberg, ancien responsable de l’Internationale des travailleurs de l’enseignement jusqu’en 1928, elle le quitta pour un Suédois, avant de se lier à Moscou, en 1927, avec Albert Vassart qui fut l’amour de sa vie. Ils décidèrent de vivre ensemble. Cilly, qui parlait et écrivait assez bien le français, demanda à être affectée au SRI français. Ses responsables l’envoyèrent à Berlin. Ses relations amoureuses passèrent par une relation épistolaire et quelques rencontres à Berlin ou à Liège. Cilly Vassart avait été exclue du Parti communiste allemand en 1929 pour sympathie pour le groupe Brandler qui s’éloignait de la ligne de l’IC. Pour reprendre contact avec le communisme français, elle reconnut « avoir commis une grave faute », et obtint sa réintégration. Sa signature apparaît dans (L’Ouvrière) en 1932 et à trois reprises dans les (Cahiers du bolchevisme) en 1936, au bas d’articles sur les femmes. Présente à Moscou d’octobre 1934 à mai 1935 avec Vassart, elle travailla pour le secrétariat latin de l’Internationale communiste et pour le secrétariat international des femmes.
5 C. Pennetier, B. Pudal, « Deux générations de militants communistes français (1931-1951) en proie à des procès d’épurations internes », in J. Gotovitch, A. Morelli (coordonné par), Militantisme, militants, Bruxelles, EVO, 2000, p. 115-133.
6 On connaît mal la vie d’Albert Vassart durant l’Occupation et ensuite. Le fond Vassart (13 boîtes) de l’Institut d’Histoire Sociale (La « Souvarine ») n’offre que peu de documents « Vassart » à l’exception d’une « Note sur les mesures économiques et financières » (15 août 1943, 30 p. manuscrites) rédigées sur le papier à en tête de la Commission syndicale ouvrière et paysanne du POPF. Au libéralisme, d’après Vassart, doit être substituée une société fondée sur des principes communautaires. Il participe aussi à la société du Mont-Dore. Les journées d’études du Mont-Dore (10 au 14 avril 1943 puis en septembre) réunissent les mouvements qui « ont vu le jour depuis 1940 pour donner une armature idéologique et un contenu pratique à « la » Révolution nationale », cf. Antonin Cohen, De Vichy à la Communauté européenne, p. 261 et suiv., PUF, 2012. Après guerre, il intervient dans l’école des cadres de la Confédération des Travailleurs Indépendants, à l’Association française des Amis de la liberté (1954-1956 au moins), au Centre d’Éducation Ouvrière de la CGT-FO.
7 Ce que reconnaît Philippe Robrieux dans son Histoire intérieure du Parti communiste (Fayard, 1984, Tome 4, p. 566-567) : « Les divers papiers et, plus encore, la correspondance qu’il a léguée forment un tout d’une exceptionnelle richesse historique. »
8 Dans les no 3, 4, 5, 6, 8, 9 et 10 ( ?). (1994-1998), Albin Michel, revue semestrielle. Il y a un appareil critique. Une tentative de publication avait été faite par Branko Lazitch en 1968 chez Gallimard, Annie Kriegel était pressentie pour mettre au point cette édition. Ce projet non plus n’a pas abouti. Lettre de Branko Lazitch à Ilse, fille de Cilly, 13 mars 1968, Fond Vassart, IHS, bibliothèque Souvarine. La conservation et le destin de ces mémoires peuvent être rapprochées de celle de celles d’Henri Barbé (Souvenirs de militant et de dirigeant communiste, s. d., inédit.) dont nous avons pu consulter l’original à la Hoovert institut, identique à la copie qui figurait dans les papiers de Jean Maitron.
9 Ilse Elsen, la fille de Cilly, se retrouva dépositaire des archives d’Albert et de Cilly après la mort de sa mère à Paris en 1963. Dans une lettre adressée à Branko Lazitch (8 mars 1968) elle raconte ses déconvenues avec les souvenirs d’Albert Vassart qu’elle a remis à un certain Francis Féraud (ou Férand), journaliste aux {Petites affiches} : « Albert avait en effet aussi noté ses souvenirs de la période 1939-1946, d’une part à la Santé entre les lignes de deux livres et d’autre part dans un cahier très épais – cette dernière partie après la Libération ». Ayant tout confié à Féraud (ou Férand) celui-ci lui rendit des documents incomplets : « un des deux livres manquait et dans le cahier on avait fait plusieurs coupes au rasoir pour enlever certaines pages ». « Ces souvenirs de l’Occupation et des expériences personnelles qu’il avait faites n’avaient pas – au contraire de ses mémoires de l’aprèsguerre au Front populaire – été rédigées ni naturellement été recopiées à la machine. Ils contenaient évidemment certains passages assez controversés ». Fond Vassart, IHS.
10 « Quelques documents relatifs à la tactique classe contre classe », Le Mouvement social, no 70 (janv.-mars, 1970), p. 25-29
11 Du nom de Heinrich Brandler, communiste allemand membre du présidium de l’Internationale communiste en 1925-1927 puis opposant aux orientations de l’IC.
12 (21 février 1931), Désireuse de travailler pour aider au financement de l’éducation de sa fille, Albert l’informe qu’en France les choses ne sont pas simples : “Actuellement, le contrôle des étrangers est très sévère par suite du chômage déjà important. Pour nous marier, il faut compter – s’il n’y a pas d’accident – deux mois au moins. C’est après ce délai seulement que tu pourras chercher à travailler. Je ne peux pas dire dans quelle mesure à ce moment là cela sera facile ou difficile. Il y a la crise... » ; « à plusieurs reprises, les camarades m’ont proposé du travail pour toi, lorsque je pensais que tu viendrais d’un jour à l’autre. » Il lui dit qu’il lui faudra apprendre le français et la sténo. Il gagne peu, dit-il : 1 400 francs par mois comme permanent, soit le salaire de base d’un ouvrier métallurgiste parisien. Il n’a pas d’économies pour installer le ménage.
13 Un extrait parmi mille autres : « Mais toutes les raisons qui me font aimer ton corps jusqu’à l’adoration et un peu au-delà des limites de la raison ne constituent pas tout mon amour. Pour d’autres raisons aussi puissantes et aussi émouvantes, j’aime ton âme autant que ton corps. J’aime ton intelligence, tes goûts, ta sensibilité, tes connaissances, toutes les formes de ta vie intellectuelle et morale. » Lettre du 22 août 1929, de Toldmoos (sanatorium) où il séjourne.
14 Brubaker (Roger), « Au-delà de “l’identité” », ARSS, no 139, 2001, p. 66-85.
15 C. Pennetier, B. Pudal, « For intérieur et remise de soi dans l’autobiographie communiste d’institution (1931-1939) : l’étude du cas Paul Esnault », in Le For intérieur, PUF, 1995.
16 E. Bourdieu, Savoir faire (contribution à une théorie dispositionnelle de l’action), Le Seuil, 1998, p. 166.
17 Toute étude d’un cas individuel devrait être proscrite en un certain sens mais le problème que pose nécessairement une correspondance intime que caractérise une grande licence des propos et la description de ses « états d’âme » comme celle qu’entretiennent Albert Vassart et Cilly Geisenberg, c’est précisément qu’elle nous met en contact avec cette complexité de « l’individu » dont Durkheim disait qu’il est un infini...
18 M. Bloch, Apologie pour l’histoire, 1941. Nouvelle édition, Paris, Colin, 1999.
19 C. Pennetier, B. Pudal, (Dir.), Autobiographies, autocritiques, aveux dans le monde communiste, Belin, 2002, 368 p.
20 Certaines autobiographies ainsi collectées fourniront la matière d’un ouvrage russe intitulé La génération léniniste du prolétariat français. D’autres ont pu être consultées dans les archives du RGASPI à Moscou.
21 Macha Tournié a bien voulu traduire l’introduction de Kurella, et nous l’en remercions. Kurella dit avoir sous les yeux les autobiographies de ses auditeurs qui répondent à la question « comment êtes-vous devenu communiste ? » Si l’on en croit Kurella, les autobiographies de cette jeune génération à laquelle appartient Vassart constituent « une merveilleuse anthologie du matérialisme historique qui met en relief le fait que l’existence détermine la conscience et non l’inverse ». L’un des changements qu’il s’agit d’opérer avec cette nouvelle génération concerne les rapports entre la vie privée et la vie publique. Le « moi » du militant doit être totalement absorbé par son « moi » politique, tel est le but recherché : « Celui qui connaît le mouvement communiste ouest-européen issu des tréfonds de la social-démocratie, sait qu’il y est si difficile de lutter contre la routine individuelle même chez les meilleurs camarades. Tant qu’il s’agit du travail du parti, tout va à merveille. Mais introduire le parti dans sa vie privée, la subordonner aux ordres et au contrôle du parti – alors là, non... Il en est tout autrement dans la génération léniniste. Elle vit et meurt pour le parti... »
22 J. Peneff, op. cit.
23 Sa correspondance témoigne aussi de ce « besoin » de théorie. Dans sa lettre du 21 novembre 1928, il écrit : « J’ai commencé la lecture de toute la littérature qui a été publiée récemment dans la nouvelle collection marxiste. Il y a dans cette collection un livre de Boukharine très intéressant sur le matérialisme, la dialectique, etc. C’est très simplement écrit mais en même temps très précis et souvent je le lis étant couché ; il me faut quelquefois beaucoup de volonté pour que les lignes ne dansent pas devant mes yeux et pour que ta figure bien aimée ne vienne pas s’interposer entre le texte et mon regard... » Il s’agit de La Bibliothèque marxiste, aux ESI, qui venait de faire paraître de D. Riazanov un « Marx et Engels », de G. Plekhanov, « Les questions fondamentales du marxisme » et de N. Boukharine, le livre que mentionne Vassart, « La théorie du matérialisme historique ».
24 Il bénéficie des anticipations dont il fait l’objet ne serait-ce qu’en obtenant très tôt dans sa carrière militante la prise en charge par les soviétiques d’un séjour en sanatorium en Crimée, en 1927. Comme il l’écrit à Cilly, il vit ce séjour comme un immense privilège.
25 F. de Singly, Sociologie de la famille contemporaine, Paris, Nathan, 1993, p. 59-60.
26 « Tu sais pourtant bien, Cilly, que je peux comprendre, que je peux accepter tout ce qui se rapporte à ton bonheur, à ta tranquillité. Tu sais bien aussi que tu es toujours entièrement maîtresse de ton attitude envers moi, que tu ne dois te sentir liée par aucune promesse, ni aucun engagement. Mais si tu sais tout cela, il faut cependant que tu comprennes aussi que tu dois toujours me dire ce qui se passe en toi, non parce que j’ai un “droit” quelconque sur toi, mais parce que j’ai aussi besoin de savoir ce que je dois faire. Il ne faut pas laisser de coins obscurs entre nous, ma Cilly, parce que c’est un trop grand motif de souffrance » (12 janvier 1931).
27 Dès mars-avril 1927, le gouvernement passe à l’offensive politique et judiciaire contre le communisme. L’affaire Cremet, une affaire d’espionnage dans les usines métallurgiques au profit de l’URSS, – un ami de Vassart – est révélée en avril 1927. à l’été 1927, une bonne partie du collectif dirigeant est en prison. L’idée insurrectionnelle se diffuse notamment chez les plus jeunes militants parisiens. Le VIo Congrès de l’IC (juillet-septembre 28) accélère le nouveau cours politique et accentue les logiques de rupture. Vassart prévient Cilly : « C’est une véritable croisade qui se prépare contre ta conception ma pauvre camarade. Tu n’as pas un peu peur ? » (31 juillet 1928). En France, s’il ne s’agit pas de prendre le pouvoir, se met en place une atmosphère de conspiration. à l’été 1929, le préfet de police fait arrêter 94 dirigeants auxquels s’ajouteront 14 autres inculpés de complot. Le nombre d’inculpés de complot, 101 personnes, « fait du complot communiste du 1er août 1929 la plus importante opération de répression politique jamais engagée par la IIIe République depuis sa création en 1875 » (p. 220), Frédéric Monnier, Le complot dans la république, La Découverte, 1998. Vassart, relativement épargné grâce à son séjour en sanatorium, s’il est inculpé, n’est pas incarcéré bien qu’il s’y attende tôt au tard. La désorganisation de la direction du PCF qui résulte de cette situation lui confère alors un rôle dirigeant notable. Il se sent lié d’autre part, même s’il doute de cette politique, à ses camarades. Ça n’est pas le moment de déserter... Dès le début de 1930, la haute magistrature s’oppose une fois de plus au pouvoir exécutif. En mai 1930, tous les détenus ont été relâchés.
28 « Que les correspondances soient célèbres ou anonymes, qu’elles soient soumises à des usages documentaires ou biographiques, elles sont tenues pour le plus sûr moyen de pénétrer, comme par effraction, dans les coulisses du privé. Toute lettre ou toute correspondance a le pouvoir d’intriguer, d’éveiller la curiosité, d’embarrasser autant que de saisir ou de capter ce qu’elle porte de mystère et d’implicite. Là réside, sans doute, la part de séduction exercée par les lettres sur le lecteur, mais aussi la résistance qu’elles opposent à un usage immédiat. La trace porte en elle l’idée de sens caché à déchiffrer, une sorte d’esthétique du caché. Ouvrir une correspondance, c’est déjà participer de l’idée ou de l’illusion que le caché est plus instructif que le visible ou l’apparent ». Cécile Dauphin, « Les correspondances comme objet historique », Sociétés et Représentations, 2002/1, no 13, p. 43-50.
29 Ce qu’avait fort bien perçu Jean Maitron : « Il y a là, je crois, notait-il, un document unique pour l’étude de la psychologie du militant, d’un militant plus exactement, un militant du sommet de l’appareil. Il n’est pas certain que les archives livreront un jour un autre document de ce genre. à la réflexion, je pense que tout devrait être publié : le politique... et ce qui ne l’est pas. » Dans les notes prises en lisant les lettres d’A et C, il avoue sa gêne « pour publier la partie intime de la correspondance » mais décide finalement de tout publier ou « presque » : il s’interroge sur l’utilité du passage qui montre un Jacques Duclos « Don Juan » (lettre du 4 décembre 1928) ou celle dans laquelle Vassart avoue son « aventure » avec la camarade Rab. (Maria Rabaté sans doute) (lettre du 20 Juillet 1930) [les personnes concernées étaient en vie]. Toute la correspondance n’a pas été conservée sans qu’on en sache toujours les raisons. Un lot de lettres a été brûlé par Willy, mari de Cilly (notamment celles du 29 août et 4 septembre 1928). Cilly écrit en français, un français encore imparfait mais suffisant pour tenir un régime épistolaire soutenu.
30 À partir de 1927, l’IC définit une ligne stratégique, concrétisée par le mot d’ordre « classe contre classe », découlant d’une analyse nouvelle de la crise générale du capitalisme (mai 1927, VIIIe Plenum ; février 1928, IXe Plenum ; juillet-août 1928, VIe Congrès). L’époque serait à une « Troisième période » qui fait suite à celle de la stabilisation du capitalisme. Marquée par l’accentuation des contradictions du capitalisme sur le plan national (intensification des antagonismes de classe, « radicalisation des masses ») et international « aggravation de la menace de guerre contre l’URSS). Deux thèmes deviennent prioritaires : lutte contre la guerre impérialiste et préparatifs de guerre de la bourgeoisie et passage de la social-démocratie au social-impérialisme et au social-fascisme. Toujours le front unique mais le centre de gravité se déplace vers le bas. Les « masses » se radicaliseraient tandis que les « chefs » s’embourgeoiseraient.
31 En témoigne cette « caractérisation » par Maurice Thorez, le 24 décembre 1939 à Moscou : « Vassart. Métallurgiste, venu de l’anarcho-syndicalisme, venu au PC vers 1923-1924. Fut fréquemment en désaccord (de droite) avec la ligne du Parti (1927 – classe contre classe ; 1929-1930 ; 1933-1934). On dut lui retirer le travail d’organisation ; le mettre hors du B. P. ; placé à l’Union des Municipalités n’a pas donné satisfaction. Fut arrêté et relâché en octobre puis de nouveau arrêté ». RGASPI., 495 270 952.
32 13 novembre 1929, « Depuis quelques jours, je suis responsable du secrétariat du PC. Ma “nomination” a donc lieu au bon moment et vraiment je t’avoue que je suis très préoccupé actuellement. »
33 Paul Boulland a raison d’insister sur la « métamorphose » qu’implique la professionnalisation des militants ouvriers et donc sur les refus de rôle qu’on peut parfois repérer, mais, une fois opérée cette métamorphose, il faut aussi souligner l’effet de cliquet qu’elle représente. Les dispositions ouvrières, mêmes métabolisées en dispositions ouvriéristes, se sont émoussées (capital physique, discipline de travail, etc.) et « le retour à la production » comme le dit la langue de Parti, suppose une revitalisation de ces dispositions « fatiguées » (cf. Emmanuel Bourdieu), souvent coûteuse voire impossible. Vassart, en observant ceux qui ont dû se résoudre à ce « retour », s’emploie à contrôler ce devenir qui l’angoisse.
34 Non sans fondement comme en témoigne cet extrait de sa lettre : « Je me demande en ce moment si je dois devenir le “chef” d’un mouvement d’opposition dans le Parti ou si il n’est pas préférable de laisser les crabes dans leur panier. »(lettre du 8 avril 1930).
35 Cilly et Albert Vassart, « The Moscow origines of the French Popular front », in The Comintern: Historical Highlights, édités par M. Drachkovitch et B. Lazitch, 1966. Des papiers de Vassart, dont le manuscrit de cet article, ont pu être consultés à la bibliothèque de l’université de Standford.
36 27 mars 1931 : « J’ai un désir vraiment fou, ma chérie, d’être près de toi, de t’embrasser réellement, de t’aimer réellement. Je ne suis attiré par aucune autre femme que par toi... Et pourtant je ne peux pas attendre “chastement” notre union tant de fois reculée mais si mes rêveries ont des conséquences physiques artificielles, je sens que cela me cause une véritable dégradation physique et “morale”... » Est-ce propre au masculin se demande-t-il. Le désir d’une autre femme existe même s’il n’y pense pas sans répulsion et tous deux semblent y avoir succombé au moins une fois, elle en juillet 1929, lui en juillet 1930.
37 Sur ces questions cf. le chapitre que Brigitte Studer a consacré à « La femme nouvelle » dans Le Siècle des communismes, Le Seuil, 2004, p. 565-581.
38 Ibid, p. 573.
39 Laurent Frajerman, qui a consacré un mémoire à l’ITE perd sa trace après 1928 et le tournant sectaire de l’IC et de l’ITE. Le Biographishes Handbuch zur Geschichte der Kommunistischen Interntionale répertorie Ludwig Geisenberg, né en 1896, soit un an après Cilly. Un autre militant allemand se nomme Leo Geisenberg. Ce prénom se retrouve à plusieurs reprises dans la correspondance de Cilly et il dispose d’un dossier de requête dans les Archives de la Ligue des droits de l’Homme (BDIC, dossier 245/1649). Est-ce un frère de Ludwig ou un parent ?
40 A. Grossmann, « German Communism and New Women » (Dilemmas and Contradictions), in Women and Socialism. Socialism and Women, Edited by H. Gruber and P. Graves, New York/Oxford, 1998, p. 135-168.
41 Article. cité, p. 142.
42 Article cité, p. 145.
43 La séparation avec Willy Geisenberg passe par un divorce mais fait aussi l’objet d’une « instruction » interne au PCA. « Vendredi je t’écrivais de l’arbitrage devant le parti. Je n’aime pas raconter les évènements de ce soir-là. C’était tellement dégoûtant de voir « découvert » devant les juges du parti, 3 camarades de la région berlinoise, toute ma vie de femme par un type comme Geisenberg qui faisait un long discours pour faire la preuve devant les camarades que je suis une femme immorale. Je ne peux plus me souvenir de ce vendredi soir sans être dégoûtée. Tout notre amour sali et ces braves camarades, pères de familles et d’ailleurs allemands ne comprenai[ent] pas comme[nt] une femme, ayant un mari peut aimer un autre. On a ajourné le jugement et je ne sais pas comme on va juger, mais je sentais que ces hommes ne pouvaient pas cacher leur solidarité avec G [eisenberg]. qui était aussi un homme. »
44 Hoernlé Edwin, L’éducation bourgeoise et l’éducation prolétarienne, ESI, paris, 1933 (préface de Masson alias Victor Fay). Edwin Hoernlé, dans son ouvrage, généralise à la famille cette fonction insidieusement mutilante de la relation pédagogique « traditionnelle ». La famille est « un allié invisible de la bourgeoisie », affirme-t-il, les relations les plus fréquentes relèvent de l’autoritarisme : « Le commandement se substitue automatiquement à la parole convaincante, la correction à la persuasion amicale, la querelle nerveuse à la direction patiente. Bref la contrainte remplace la camaraderie. »
45 Le 2 octobre 1929, Cilly met les choses au point sur Freud : « Quant à Freud, tu te trompes mon Albert. Je ne suis pas trop adhérente de la psychanalyse – au moins pas sans réserves. Il y a dans cette doctrine beaucoup de juste, mais Freud est un savant bourgeois et il ne connaît pas ou ne sait pas baser sa doctrine sur le matérialisme historique. Il y a quelques mois que le chef de notre groupe Thalheilmer [Auguste Thalheimer] a prouvé cela dans un article excellent qui à cet époque là encore paraissait dans Rothe Fahne. Cela ne m’empêche pas de reconnaître que sur quelques questions essentielles de la vie sentimentale et intérieure des êtres humains Freud a eu des idées très justes. Mais on ne peut pas seulement expliquer la mentalité d’après la psychanalyse sans prendre égard au milieu et à l’ambiance sociale. Mais tu as raison de lire ces choses, il faut les connaître. Écris-moi encore une fois sur ce sujet et dis-moi si tu es d’accord avec moi ou si j’ai tort ».
46 Cilly est ainsi en état de proposer une sorte de panorama de l’évolution de la littérature allemande à la demande de Vassart, ce qui implique, on s’en doute, une familiarité certaine avec celle-ci.
47 Pierre Benoît est un écrivain de droite, auteur de romans d’aventure comportant un certain érotisme. Ses héroïnes, qualifiées de « bacchante » ou d’« amazone » conduisaient les hommes à leur perte.
48 1929.
49 Il s’agit bien sûr de Panaït Istrati, encore en cour dans le monde communiste, juste avant qu’il ne publie Vers l’autre flamme (3 vol. , 15 octobre, 1er novembre et 15 novembre 1929) à la NRF (le deuxième volume est en réalité de Victor Serge et le troisième de Souvarine).
50 Il s’agit de Jérôme, 60 latitude Nord, de Maurice Bedel, Prix Goncourt 1927. Axelle et l’Atlantide sont de Pierre Benoit. Le Dieu des corps dont il parle un peu plus loin dans la correspondance est de Jules Romains.
51 Dans le questionnaire biographique qu’elle remplit à Moscou en 1934 alors qu’elle accompagne Albert Vassart et qu’elle est correspondante du magazine Regards, Cilly déclare deux enfants de son mariage avec Willy (Ludwig) Geisenberg et se dit comptable de profession. Ses parents sont, dit-elle, des « petit-bourgeois et elle est de nationalité “Juive” et de citoyenneté “Française”. Elle dit avoir achevé des études secondaires en Allemagne et parler le français, l’allemand et l’anglais, “imparfaitement”. Embauchée le 15 novembre 1934, elle sera débauchée le 1er mai 1935. Elle s’explique longuement dans une lettre au CC du Parti Communiste Allemand datée du 25 mars 1932 où elle demande sa réintégration au PC sur son opposition. Tout en reconnaissant une « grave faute et que les suppositions avec lesquelles j’ai adhéré au groupe Brandler étaient absolument fausses », elle détaille ses positions sur différentes questions en litige (la question syndicale, celle du Front unique, la question de l’appréciation de la social-démocratie, celle du danger de guerre, etc). Elle obtient sa réintégration en janvier 1933 et, grâce à Vassart, accéde à un poste de collaboratrice au bulletin de la Caisse des syndicats de France.
52 Les responsables des cadres ne sont pas exemptés de l’exercice autobiographique et souligner son goût pour les « belles biographies », celles qui se livrent, qui explicitent, qui donnent à penser.
53 Ce n’est pas un cas unique. D’autres Autobiographies de Parti sont antidatées, des faits présentés dans la notice étant postérieurs à la date. Nous n’avons trouvé aucune explication convainquante de cette constatation.
54 Sans date, 426 pages. On dispose de plusieurs versions à la dactylographie différente mais au contenu identique.