Conclusion générale
p. 273-278
Texte intégral
1Cet ouvrage s’inscrit dans le prolongement des travaux qui croisent l’histoire du sport et celle de la presse écrite et se polarisent sur la nature complexe des relations entre ces deux domaines, faites d’attraction, d’échanges, de partenariats, de compagnonnages, parfois de critiques, liées en définitive par de nombreux intérêts réciproques. L’ambition de cette entreprise collective était de dépouiller et d’analyser une part du corpus de « la presse communiste » pour évaluer la place particulière qu’y occupe le sport et mesurer la diversité des enjeux de pouvoir.
2Sur un plan scientifique, le moment nous semble enfin venu d’aborder plus sereinement les problématiques liées au communisme, à ses satellites, à ses méthodes, à ses réseaux. Cette idéologie a imprégné en Europe plusieurs générations, produisant des discours, des pratiques et des cultures. Prolifiques et animées dans le courant des années soixante-dix, lorsque les politiques communistes gardaient de la vigueur, les recherches sont désormais en berne. Il est temps de renouer avec une thématique incontournable de nos sociétés contemporaines.
3Négligée au sein de l’historiographie malgré la profusion de titres, la presse communiste offre un potentiel important aux chercheurs. Le spectre d’étude est très ouvert : organes de presse, entreprises et rédactions, acteurs, écritures journalistiques, supports de communication, réception et lecteurs… La presse communiste se diffuse à différentes échelles : locale, régionale et ultra-marine, nationale, internationale. Elle est présente dans ses satellites : presse syndicale et affinitaire. Elle cible un lectorat toujours plus segmenté : les jeunes, les femmes, les enfants. Aussi, ce premier ouvrage se limite-t-il à quelques axes de recherche qu’il conviendra d’approfondir. Nous avons souhaité au travers d’études de cas contextualisées répondre à des questions vives et générales. Quel est le positionnement de l’information sportive dans les colonnes de la presse communiste ? À quel moment émerge-t-elle ? Quel sens peut-on conférer à cette présence, notamment à la création d’une presse sportive spécialisée ? Comment, sous quelles formes évolue la prise en compte du sport au cours du XXe siècle ?
4Les contributions révèlent ainsi l’intérêt inédit, puis généralisé des presses communistes pour le fait sportif. Interpelé par le sport comme moyen de propagande de l’idéologie travailliste et soviétique dès 1926, le rédacteur en chef de l’Humanité, Paul Vaillant-Couturier l’intègre pour moderniser et mieux vendre son titre. Encore frileux pendant l’entre-deux-guerres face à une démarche qualifiée de « bourgeoise », les Partis communistes décèlent après la Seconde Guerre mondiale l’attrait du sport comme pratique et comme argument du discours militant. Affichant une forme d’apolitisme, les discours, commentaires, résultats relatifs au sport, chargés de valeurs éducatives et de solidarité passionnent une part croissante des populations, touchées par la dimension émotionnelle de la compétition et les processus d’identification aux champions. Les stratégies éditoriales des presses communistes s’alimentent au succès populaire du sport. Son importance est telle que les rédactions lui dédient des organes spécialisés. Prenant modèle sur les grands journaux sportifs de l’entre-deux-guerres, la presse communiste devient au cours des années cinquante et soixante un acteur majeur du champ sportif lui conférant une dynamique originale, participant à la promotion ou encore à la démocratisation de la pratique.
5Au travers des contributions, s’exprime la périodisation des stratégies éditoriales. Elle s’inscrit dans une temporalité calquée sur les rythmes de l’évolution des partis communistes et de leurs choix politiques. Les discours sportifs de la presse communiste n’échappent pas aux recommandations et consignes en matière éducatives et culturelles décidées depuis Moscou. Cependant, l’objet « sport » affiche une connotation de divertissement. Il tolère un espace d’interprétations, d’ajustements, inconcevable pour l’information politique. Érigé en culture de masse au tournant des années soixante-dix, le sport devient incontournable dans les medias. La pression du contexte culturel explique le mouvement de diversification de la presse communiste avec la déclinaison des hebdomadaires Miroirs qui couvrent l’actualité dans les disciplines les plus vendeuses. Le sport concerne désormais tous les publics d’où la nécessité d’aller à la rencontre des catégories montantes. Il se diffuse à l’échelle de la planète et l’ensemble des partis communistes européens s’en saisissent. C’est aussi cette dynamique de diffusion culturelle qui explique sa place aux confins de l’océan Indien. Avec quelques années de décalage, le quotidien réunionnais Témoignages insère des questionnements relatifs au sport qu’il avait ignoré jusque-là.
6Dans cet ensemble de titres, le quotidien national, l’Humanité, lieu d’expression central et privilégié de la galaxie communiste française donne le ton. Il apparaît dès lors évident que l’analyse des discours et de leurs évolutions dans cet organe nous renseigne sur la ligne du Parti, ses inflexions, ses marges de manœuvre. C’est la raison pour laquelle le titre a été examiné à des périodes successives : lors de l’émergence de l’information sportive dans ses colonnes, dans le cadre des manifestations sportives internationales (1924-1928), dans les années cinquante dans le contexte de démocratisation du sport, enfin, lors des premières participations olympiques du bloc de l’Est (1952-1956-1960). Cependant ces coups de projecteurs restent partiels. Ils soulignent le mode argumentaire critique à l’égard du « sport bourgeois » qui vise à mieux promouvoir un « sport travailliste et soviétique émancipateur ». Dans le courant des années cinquante, le dépouillement de l’Humanité livre des informations plus sensibles lorsque l’on s’attache non seulement aux discours mais aux événements de masse tels le cross de l’Humanité ou encore aux actions organisées sur les terrains de sport sous l’impulsion d’acteurs engagés comme Maurice Baquet. La lecture de la presse induit-elle un passage à la pratique ? Il reste que le temps des années soixante demeure propice à la diffusion d’une culture sportive dans des couches de populations encore peu investies, telles les ouvriers, les employés, les petits fonctionnaires séduits par l’idéal communiste… Nous pouvons évidemment regretter ici de n’avoir pas été plus avant dans l’examen de l’Humanité1. Les rapports du quotidien et du sport constitueraient à eux seuls le sujet d’une belle thèse. Il est logique que les arguments décryptés dans la presse des organisations sympathisantes, syndicats ou bien Fédération sportive et gymnique du travail soient plus convenus. Encore faut-il le vérifier. Les auteurs observent les mécanismes d’instrumentalisation de la pratique à des fins de lutte contre le « sport patronal » ou le « sport bourgeois ». L’originalité de la rhétorique communiste réside dans la volonté perpétuellement affichée de favoriser l’émancipation de l’individu et l’éducation de l’homme. Tout se passe comme si, le sport communiste, lui, se trouvait inscrit dans un processus avant-gardiste « d’éducation nouvelle ».
7L’émergence d’une presse sportive communiste spécialisée à la Libération interpelle nécessairement le chercheur quand on sait le poids de L’Auto ou de Miroir des sports dans l’entre-deux-guerres. La première puissance médiatique de France décide dès la fin de l’année 1945 de faire du sport une rampe de promotion de ses feuilles. Nous enregistrons la naissance de Sports en février 1946 devenu quotidien au cours du printemps, puis le 29 mai 1946 de Miroir-Sprint, hebdomadaire multisports. Les contributions observent les jeux de concurrence médiatique et le démarquage des titres. La lutte entre les quotidiens Sports, nouveau-venu encore amateur et le professionnel L’Équipe, ancré dans le sport-spectacle se solde par le renoncement du quotidien communiste le 4 octobre 1948. Seul sur la périodicité hebdomadaire, Miroir-Sprint, résiste grâce à ses manœuvres de camouflage. L’affichage politique, le discours idéologique sont manifestement gommés. Copie conforme de Miroir des sports, l’hebdomadaire doit sa réussite aux vieilles recettes expérimentées par L’Auto, puis par L’Équipe : centration sur quelques activités professionnelles : football, cyclisme, boxe et apologie du champion.
8Que seraient ces parutions sans les personnalités, directeurs, rédacteurs, journalistes qui donnent corps et sens à l’écriture journalistique ? Il faut évoquer la recherche sur les acteurs et les structures de la presse communiste. Une seule contribution se centre sur le parcours d’un journaliste, ayant joué un rôle prépondérant au sein de l’espace du journalisme sportif d’après-guerre, Maurice Vidal. Considéré comme le « leader de la presse sportive de gauche », sa biographie participe à la compréhension de l’argumentaire communiste sur les questions sportives. Sur ce champ, la circulation des journalistes d’un titre à l’autre, au-delà des clivages idéologiques, constitue une invitation à investir ce groupe pour identifier les hommes et les réseaux.
9Au travers de quelques exemples significatifs, l’ouvrage distingue les capacités d’adaptation des stratégies éditoriales communistes en fonction des publics, notamment en direction des jeunesses, catégories de population visées au sortir de la guerre, dès 1944. Ainsi, malgré des accents communs, la tonalité est bien différente entre les contenus de Jeune combattant, hebdomadaire des forces unies de la jeunesse patriotique, paru en septembre 1944, les revues des associations dites « d’amitié Est-Ouest » lancées après 1945, ou encore dans Nous, les garçons et les filles, dont le premier numéro sort en décembre 1962 au sein d’un paysage médiatique en pleine ébullition, stimulé par le succès du magazine, Salut les copains. Dans la perspective de la Libération de la France et de la reconstruction du pays, la création d’un hebdomadaire destiné à la jeunesse combattante s’inscrit bien comme son sous-titre le rappelle dans une ambition de rassemblement visant à structurer derrière des valeurs de solidarité patriotique des jeunes désorientés. Le journal devient une tribune de revendication pour leur attribuer toute la place politique dans le cadre du Gouvernement provisoire de la République française. À compter de novembre 1945, le journal se détourne de l’information liée à la guerre pour s’orienter plus précisément vers la vie sportive. Il devient Le jeune combattant magazine, J et propose une version modernisée. Dans ce contexte, le sport incarne la vie, le souffle, le progrès et l’avenir. Il vise à mobiliser et fédérer les lecteurs jeunes.
10Sur la période allant de 1945 et 1959 l’étude de quatre revues « d’amitié Est-Ouest » : France-URSS, Paris-Bucarest, France-Hongrie et Peuples amis (France-Pologne), montre que la rubrique sport, bien loin d’être uniquement un élément divertissant ou attractif conçu pour les jeunes, vise un projet global destiné à mettre en avant un homme nouveau. L’acte sportif se voit intrinsèquement rattaché à la rhétorique globale de la guerre froide, caractérisée par l’exaltation de la puissance du monde soviétique et de sa supériorité.
11Dès mai 1963, Nous, les garçons et les filles (NGF), devient le mensuel de la jeunesse communiste de France. Il remplace, de façon transitoire, l’organe historique, l’Avant-Garde et tente de reprendre en main un public étudiant enclin à l’émancipation. En recourant à ce type de presse, le PCF désire promouvoir ses idées au-delà des seuls communistes et s’adresser à un public plus large. C’est ce que précise sans détour le rédacteur en chef, Claude Lecomte, en 1967 : « La lecture des journaux par des milliers de jeunes est effectivement nécessaire au développement de nos combats. Elle est un moyen, et non des moindres, de combattre l’idéologie bourgeoise défendue dans ses publications. » Malgré sa similitude de forme avec une presse magazine commerciale, NGF ne déroge pas à la ligne politique. Durant les soixante-neuf numéros, le sport se lit comme un outil politique au service des passions partisanes. La pratique sportive, inspirée du modèle soviétique a vocation à participer aux transformations sociales du pays.
12Ce livre met l’accent sur la place accordée aux sportives dans les colonnes de la presse communiste. La conception de la pratique à destination des jeunes-filles et des femmes est analysée au sein de l’hebdomadaire Miroir-Sprint à la fin des années 1960 dans le contexte précis des revendications féministes. Dans un paysage journalistique essentiellement masculin pour un lectorat composé quasi exclusivement d’hommes, quels sont les discours et les représentations qui accompagnent les mises en scène de la championne ? Alors même que les femmes se confrontent plus nombreuses dans l’arène sportive, le militantisme féminin, associé à la « bourgeoisie » a été condamné par la direction du PCF. Les articles de presse valorisent particulièrement l’esthétique et la grâce, valeurs féminines cardinales. Les sportives sont placées à leur tour au cœur d’un argumentaire au service d’une rénovation du sport français, fondée sur sa démocratisation qui s’intègre dans un projet plus global de mutation de la société.
13Nous avions constaté avec surprise et regret lors de l’appel à communications, dans le cadre de l’organisation des journées d’étude, le peu de propositions relatives à la presse communiste régionale. Étonnement, car la presse communiste a misé sur la proximité et quadrillé les régions ouvrières françaises avec souvent des implantations très fortes. La popularité et le succès de vente de Liberté-Sports en constituent un bon exemple. La presse communiste du Nord a tenté à sa manière de donner un sens politique à la culture sportive, moins par le biais du sport proprement militant, que par la légitimation du supportérisme ouvrier et plus largement par la mise en œuvre d’une certaine représentation du football, érigé en vecteur des valeurs de solidarité, courage, virilité qui font la dignité et la spécificité des mineurs. L’analyse systématique de ces titres de presses influents pourrait ouvrir de nouvelles perspectives et éclairer sur l’impact du discours comme sur les initiatives menées dans les territoires.
14Au regard de l’abondance des titres, nous avons conscience d’avoir effleuré la richesse des problématiques relatives à la presse communiste internationale. Trois articles de cet ouvrage abordent ces questions dans des périodes et des pays très différents. Dans les années vingt, en Allemagne, dans un contexte tendu entre le Parti social-démocrate allemand (SPD) et le Parti communiste allemand (KPD), la caricature est utilisée comme arme de propagande dans la lutte pour l’hégémonie politique au sein du mouvement ouvrier. Les dessins proposent tour à tour une victimisation, puis une héroïsation des sportifs rouges, jouant sur l’amalgame pour se démarquer idéologiquement de la social-démocratie, identifiée comme l’alliée de la bourgeoisie et du national-socialisme. Attribut du fascisme, le sport devient dans le contexte de l’après Seconde Guerre mondiale digne d’intérêt pour les communistes italiens, tant sur le plan de l’organisation que sur celui du journalisme. Sa dimension populaire ne peut les laisser indifférents. Les colonnes de l’Unità relayent les mécanismes d’instrumentalisation des événements et des pratiques sportives. L’analyse du Deutsches Sportecho, organe central de la presse sportive est-allemande, entre 1947 et 1990, plonge dans la rhétorique de la presse du bloc de l’Est. Le sport incarne après 1964 pour la République démocratique allemande un levier d’affirmation identitaire et d’autonomie face aux exigences du modèle soviétique. Les auteurs révèlent les contraintes du « journalisme socialiste », tenu de préserver l’amitié germano-soviétique. Ils soulignent sous la plume des journalistes ce double mouvement qui vise à distinguer les succès nationaux tout en ménageant l’URSS. Très clairement, la lecture internationale de la presse sportive communiste à des périodes significatives et dans des aires bien délimitées permettrait d’engager des réflexions comparatistes et des mises en perspective. Il s’agit là d’un chantier très vaste que nous encourageons pour l’avenir. À l’heure des projections et des prolongements, nous ne pouvons qu’inviter les collègues à nous rejoindre autour d’un programme stimulant dont la première étape pourrait se concentrer sur la presse communiste régionale du fait de l’accessibilité des sources. Ces nouvelles investigations pourraient s’articuler à d’autres formes d’expression populaires (bandes dessinées, etc.) développées par la presse communiste afin de mieux saisir les retombées sociales de sujets apparemment futiles, ou considérés comme secondaires. Nombre de recherches restent en effet à mener, susceptibles de démontrer combien loin de s’être isolés dans leur forteresse idéologique, les médias communistes et leurs acteurs participent à la construction de discours, de représentations et d’une culture des pratiques sportives qui ont profondément façonné nos sociétés contemporaines.
Notes de bas de page
1 Cette remarque vaut également pour le quotidien Ce soir.
Auteurs
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