Préface
p. 7-9
Texte intégral
1À l’heure où les Jeux olympiques d’hiver organisés à Sotchi en 2014 font couler beaucoup d’encre en raison du coût exorbitant des travaux destinés à redonner à la Russie tout son lustre d’antan et où la préparation de la coupe du monde de football de 2022 révèle les ravages de l’exploitation éhontée du travail des immigrés par le Qatar, il n’est sans doute pas inutile de s’interroger sur les liens entretenus par les médias avec le sport, même s’il s’agit, dans ce volume, de la seule presse communiste au XXe siècle. Très large dans son spectre puisque, si la France occupe la plus grande partie des contributions, l’Allemagne, l’Italie, l’URSS et plusieurs démocraties populaires dont la RDA, ne sont pas oubliées, l’étude ici proposée vaut davantage encore par le traitement qu’elle accorde à la presse et aux images, aux représentations que celle-ci véhicule. Traitant les journaux sportifs avec le même égard que d’autres reconnaissent aux quotidiens réputés sérieux – Le Temps avant 1940, Le Monde après 1945 – les spécialistes réunis par Évelyne Combeau-Mari et Michaël Attali montrent l’intérêt de relire des périodiques qui affichent l’intention de s’adresser aux masses plutôt qu’aux élites. Qu’il s’agisse de l’Humanité, dont la présence dans la caravane commerciale du Tour de France fut longtemps une attraction recherchée par les spectateurs, de Sports et de Miroir-Sprint, à diffusion nationale, ou de magazines spécialisés tel Nous, les garçons et les filles ou encore régionaux comme Liberté-Sports, et Témoignages, le quotidien du PC réunionnais, voire des revues d’amitié Est-Ouest, la documentation ne manque pas. Nés dans un contexte de défense du socialisme dans un seul pays, avant 1939, de participation au gouvernement en 1945-1947, ou de guerre froide, entre 1947 et le milieu des années 1970, les titres examinés par la vingtaine de chercheurs qui ont participé à ce volume se ressemblent certes tous mais présentent également une réelle originalité qui justifie ce programme de recherches.
2Loin en effet de considérer que la presse communiste aurait été la même toujours et partout, les historiens et les sociologues qui se sont investis dans ce travail ont souhaité reprendre des dossiers que l’actualité semblait avoir condamnés à l’oubli et s’interroger sur le rôle attribué au sport dans le monde communiste qui fleurit en Occident entre 1917 et 1991. Plusieurs articles élargissent encore la perspective en traitant de l’Algérie, du Vietnam et de l’île de la Réunion, ce qui présente l’avantage d’agrandir encore la focale et de scruter l’histoire du PCF sur la question coloniale en sortant des sentiers battus. Couplée avec la volonté de traiter de l’histoire du féminisme sous le prisme du sport, la perspective choisie par les maîtres d’œuvre gagne ainsi en profondeur et évite le caractère trop souvent répétitif qu’entraîne une accumulation de monographies sur des sujets proches. Loin d’avoir l’impression de redites, le lecteur de cette enquête relit l’histoire du communisme sous un angle inhabituel qui autorise une vision renouvelée de la quête d’un homme nouveau qui traverse le projet communiste. Face à la passion des masses ouvrières pour la boxe quand Marcel Cerdan était à l’affiche ou pour le Tour de France quand Louison Bobet et Jacques Anquetil, l’idole de Georges Marchais, portaient le maillot jaune, le Parti ne pouvait demeurer étranger à ces compétitions, quand bien même l’argent n’y était pas étranger. Le cinéma, avec Rocco et ses frères de Visconti en Italie, le roman avec 325 000 francs de Roger Vailland en France permirent d’ailleurs à des artistes compagnons de route de traiter de cet engouement ou de cette fièvre qui pouvait sonner comme un défi face à la volonté de construction d’un homme communiste, tout entier attaché à son idéal.
3Sans ignorer l’importance de cette fabrique de l’homo sovieticus et de ses retombées sur la vie des partis communistes attachés à la IIIe Internationale puis au Kominform, les auteurs des dix-sept articles réunis dans ce livre insistent sur la cohérence du projet du PCF qui, en souhaitant faire de Miroir-Sprint l’équivalent des Lettres françaises dans le milieu sportif, donnait à la vieille notion d’agit-prop une modernité propre aux années de l’immédiat après-guerre. Malgré l’échec infligé par L’Équipe et par Le Parisien libéré qui récupérèrent le Tour de France guigné par les communistes en 1945, leur présence sur le Tour, avec Pif puis Pif gadget au début des années soixante, traduit le refus d’un sectarisme suicidaire, les ouvriers français refusant de suivre avec le même intérêt les étapes de la Course de la Paix ou les Spartakiades, d’ailleurs rayées de la carte après le ralliement de l’URSS aux Jeux olympiques. Ce pragmatisme ou ce réalisme, comme l’on voudra, traverse nombre de ces contributions et on découvrira avec amusement les contorsions de la presse communiste de RDA pour demeurer fidèle à l’amitié avec le grand frère soviétique tout en valorisant les exploits et les médailles des athlètes est-allemands face à leurs rivaux. De même, l’acceptation d’une culture sportive, devenue partie intégrante de la formation du travailleur et du citoyen, si elle s’avère le pendant de l’oubli de la thèse de l’aliénation développée dans les années vingt ou trente, s’inscrit dans une réflexion que le « jaurésisme sportif » n’explique pas à lui seul.
4Formés de militants dont beaucoup avaient puisé dans leur ancienne adhésion aux partis socialistes d’avant 1914 un goût prononcé pour la gymnastique, l’effort physique, la marche ou la compétition cycliste, parfois le naturisme, ici absent, les partis communistes des origines ne pouvaient ignorer cette dimension dans leur projet de création d’une société sans classes. Face à des adversaires cléricaux qui utilisaient le ballon de foot et le projecteur de cinéma comme armes de combat pour enrayer les progrès de la déchristianisation, les adhérents de l’Internationale sportive rouge essayaient de canaliser la passion sportive promue par la presse de masse et le développement du star-system en la faisant servir à leur vision de la révolution à venir. Le succès de l’Humanité, en 1936-1937, et bien davantage encore en 1945-1947, passait par l’ajout aux pages politiques de feuillets consacrés à la culture et au sport, désormais omniprésent dans le quotidien du Comité central du PCF, comme dans Ce Soir, Liberté ou Le Patriote de Nice. Miroir-Sprint fut emblématique de ces adaptations culturelles à une nouvelle donne sociale et politique et c’est ce qui justifie la relecture, un demi-siècle après, de ce journal comme des autres titres de cette presse communiste qui représentait près du tiers du lectorat national en 1947. Moins vaillante par la suite, elle n’en résista pas moins au retour du général de Gaulle au pouvoir en 1958 et connut, avec Pif Gadget dont il eût peut-être fallu analyser le rapport au sport, un apogée qui dit, lui aussi, quelque chose du rapport des partis communistes à la culture ouvrière, ou populaire, un des fils conducteurs de ce livre.
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