Introduction
p. 237-239
Texte intégral
1Prévenir, réduire ou empêcher l’ébullition en s’appuyant sur un cadre juridique et réglementaire, en veillant à préserver ou à développer les forces et les cadres liés aux régulations sociales qui fondent le « maintien de l’ordre » au sens large ou, encore, en jouant sur les configurations spatiales de l’espace urbain, tout ceci constitue des préoccupations essentielles pour ceux qui ont la charge de la gestion urbaine.
2Foyers particulièrement sensibles en cas de crise sociale et politique, les villes sont très tôt la cible de législations d’exception visant à contenir et à juguler leurs effervescences et leurs émotions, comme le montre l’exemple français (S. Le Gal). Dès le XVIIIe siècle, il semble difficile de concilier état d’exception et préservation des libertés, les législations d’exception (état de siège, état d’urgence), accordant justement à l’autorité publique la faculté de sortir de ses attributions ordinaires. Il est donc précocement admis que ces dernières doivent être limitées, dans l’espace comme dans le temps. Se pose aussi la question de l’autorité en charge des pouvoirs d’exception : entre villes ouvertes et places de guerre, où le rôle de l’armée est plus important, les situations sont diverses, Paris étant doté dès l’Ancien Régime d’un statut particulier. Avec la disparition de cette distinction, le rôle des forces militaires est progressivement reformulé, particulièrement au XXe siècle, alors que l’État de droit est désormais chose commune. Depuis, inquiétudes et menaces prennent une dimension planétaire et déterrito - rialisée, ce qui rend moins pertinente la notion d’état d’exception urbain mais continue à soulever des interrogations dans le domaine des libertés publiques.
3Les dispositifs réglementaires qui contribuent à juguler les désordres potentiels peuvent être liés à des conjonctures paroxystiques mais, c’est de manière plus régulière et plus structurante, à travers les politiques de fabrication de l’espace citadin et son aménagement que la mise en ordre de la ville et de la société peuvent se déployer conjointement. Le mémoire que l’exempt de la Maréchaussée Guillauté consacre à la Réformation des polices de France (1749) érige en norme de gouvernement, de manière systématique et utopique, le repérage spatial, l’identification des personnes et des flux. S’inscrivant dans une tradition identifiable dès la Renaissance, le mémoire de Guillauté met en relation la police, l’administration et la mise en transparence de l’espace urbain. Il propose toutefois un discours policier autonome consacré à l’espace, lequel tend à s’affirmer alors de plus en plus distinctement dans l’Europe des Lumières (V. Milliot). Lorsqu’il est suivi d’effets ou qu’on en cherche les traductions concrètes à travers les pratiques effectives des acteurs de la police urbaine, ce discours peut avoir d’importantes conséquences en termes de découpage administratif des circonscriptions policières, de visibilité des unités dans l’espace urbain, de type de relations avec les populations. C’est probablement pour cette raison que Michel Foucault l’a commenté comme texte emblématique dans ses cours au Collège de France de 1977-1978 portant sur la gouvernementalité et la disciplinarisation des sociétés.
4Il importe toutefois de ne pas lire de manière univoque les intentions ou les discours qui accompagnent les projets d’aménagements urbains (F. Bourillon). À rebours d’une longue tradition interprétative, la relecture de l’hausmannisation effectuée dans une perspective pluridisciplinaire permet d’insérer l’œuvre accomplie sous le Second Empire dans une perspective de longue durée et de relativiser les préoccupations militaires privilégiant le contrôle de l’espace via de larges artères et un quadrillage strict, en regard d’objectifs généraux portés par une aspiration au bien-être (salubrité) ou à l’aménagement des circulations (rapport Paris/banlieue). Haussmann n’est pas le seul personnage déterminant, pas plus que le Second Empire n’est l’unique matrice dans les transformations que connaît Paris dans la période contemporaine. Ces dernières débutent dans la période antérieure et elles se poursuivent sous la IIIe République.
5Hors de France d’autres traditions liées à la sociologie urbaine ou à la géographie sociale ont discuté des rapports entre sécurité et espace urbain, ainsi aux États Unis au milieu du XXe siècle (M. Dumont). Arrivé en France dans les années 1980, ce débat oppose nettement la droite et la gauche, avant que les différences ne s’estompent au cours des années 2000. Simultanément, le thème de la sécurité urbaine se diffuse et devient une composante essentielle des réflexions et des politiques d’aménagement urbain. Concernant prioritairement les grands ensembles de logements sociaux dans les années 1980, cette réflexion s’étend progressivement aux lotissements sécurisés ainsi qu’à l’ensemble des espaces publics, y compris les centres des villes petites ou moyennes.
6On assiste donc à un processus complexe de dilatation, de fragmentation, d’infusion plus fine et de globalisation, de la part des discours et des pratiques qui visent à sécuriser et à mieux contrôler les espaces urbanisés. Ces changements d’échelle et ces articulations renouvelées ont des conséquences sur le traitement des questions de sécurité, sur la hiérarchie des acteurs et sur la répartition des compétences dans la France des années 1980 (V. Malochet). Classiquement régalienne, la compétence de sécurité entre progressivement dans le champ d’exercice des collectivités territoriales, ce qui induit des formes plurielles de policing, autre facette de la spatialisation évoquée au gré des chapitres précédents. La diversité se remarque dans tous les domaines : effectifs, équipements, organisations administratives, contenu des missions, l’inflation des demandes locales en matière de sécurité transformant le Maire en figure centrale du policing et de la police de proximité. Cette tendance ne surprend guère lorsqu’on se déprend de l’actualité la plus immédiate, le pouvoir municipal ayant souvent eu un rôle déterminant dans la gestion du « vivre ensemble » urbain, dans de nombreux pays et sur le temps long.
7Au point de rencontre de l’aménagement urbain, du souci des pouvoirs soucieux d’imprimer leur marque sur l’espace citadin, d’édifier leurs administrés et de corriger les comportements déviants, on peut situer des institutions « totalisantes » comme la prison dont l’organisation matérielle et les modes de fonctionnement peuvent s’assimiler à la figure métonymique d’une volonté de contrôle disciplinaire appliquée à la ville (C. Cuenod). L’ombre projetée par l’ancienne prison de Genève, une prison panoptique inspirée des principes de Bentham, en service de 1825 à 1862, vise à discipliner les consciences et les comportements dans l’ensemble de la ville. Cette dernière partie, qui comprend un DVD, a la valeur d’un chapitre à part entière alors qu’elle semble délaisser l’approche académique. Mais elle enrichit cette dernière en invitant à aborder les processus de mise en ordre de la ville au moyen du discours cinématographique et documentaire, en contribuant à « rendre compte d’une relation immatérielle, peut-être insaisissable entre les intentions du contrôle social et les sentiments éprouvés par ceux qui (sont) assujettis à ce contrôle ».
8(P. B. V. M.).
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