Chapitre VII. De la répression locale à la justice extraordinaire. Les limites en action
p. 207-245
Texte intégral
« Le peuple est debout, à la hauteur des circonstances, et prêt à se servir des grands moyens pour venger la majesté nationale outragée. »
Pétition des sections et faubourgs de Paris
à l’Assemblée législative, 20 juin 1792.
Le massacre des prisonniers de lèse-nation à Versailles
1Le 25 août 1792, un peu plus d’une semaine avant que les massacres de prisonniers ne se produisent à Paris, une foule de sans-culottes courroucés quitta la capitale. Les rumeurs concernant leur nombre varièrent, mais lorsqu’ils atteignirent leur destination, à savoir Orléans, ils étaient mille cinq cents1. Recrutés parmi les sections parisiennes et la Garde nationale venue de Marseille, ils se composaient de deux groupes. L’un était conduit par Claude Fournier l’Héritier, ancien colon de Saint-Domingue qui sous l’Ancien Régime avait été proche de la Cour, de Marie-Antoinette et du comte d’Artois notamment. L’autre avait à sa tête Claude François Lazowski, fils d’immigrant polonais et ancien inspecteur royal des manufactures avant que la Révolution ne supprime son poste. Les deux hommes étaient connus pour leur participation aux journées révolutionnaires : Fournier avait failli assassiner La Fayette pendant le massacre sur le Champ-de-Mars en 1791 et Lazowski avait joué un rôle essentiel dans l’invasion du palais des Tuileries en juin 1792 ainsi que dans l’insurrection du 10 août2. À la suite du renversement de la monarchie, les sections parisiennes réclamèrent que les suspects de lèse-nation détenus dans les prisons de la Haute Cour nationale à Orléans fussent transférés à Paris pour les procès et les exécutions3. L’Assemblée nationale, peu enthousiaste, retarda le moment de répondre à ces demandes. Implacables, les sans-culottes prirent les choses en main. Ils ordonnèrent le transfert des prisonniers à Paris et l’envoi de deux contingents de volontaires et de gardes nationaux pour aller les chercher4.
2L’Assemblée nationale ne fit rien pour arrêter l’expédition. Les députés n’apprirent son existence même qu’après le départ des contingents. Dépassés par les événements, ils essayèrent de sauver la face en autorisant la mission. Le 26, ils ordonnèrent que des troupes fussent dépêchées à Orléans afin de « protéger » les prisonniers5. Les contingents arrivèrent le 30, juste à temps pour voir l’exécution de Duléry – le seul prisonnier que la Haute Cour condamnerait. Duléry était accusé d’avoir recruté des soldats français pour combattre avec les troupes étrangères. Son cas était comparable à l’affaire de deux prisonniers acquittés au début du mois6. Mais à cette date, la monarchie existait encore et les sans-culottes désireux de vengeance ne s’étaient pas encore dirigés vers Orléans. Un décret national adopté le 25 simplifiant les procédures judiciaires et l’arrivée imminente des Parisiens décidés à accélérer eux-mêmes les procédures influencèrent sans doute le verdict7.
3Après quelques jours passés à fraterniser avec les clubs locaux et à menacer la Haute Cour, les sans-culottes tirèrent les cinquante-trois prisonniers de leurs cellules, les traînèrent jusqu’à des voitures et les y firent monter avant de partir pour Paris, malgré les consignes de Danton (devenu ministre de la Justice) qui préconisait de les emmener à Saumur (les massacres commençaient dans les prisons de la capitale). On ne sait pas bien si Fournier, maintenant responsable de toute l’opération, dédaigna ces instructions ou si, comme certains historiens l’ont affirmé, Danton donna en secret l’ordre contradictoire de mener les prisonniers à Paris8. Peu importe au bout du compte, car durant ces semaines agitées les dirigeants suivaient les meneurs populaires, et les sans-culottes affichèrent leur position par le slogan : « Paris ou la mort9 ! »
4Lorsqu’ils atteignirent le 8 septembre les faubourgs de la capitale ensanglantée, Fournier reçut l’injonction des autorités parisiennes de conduire les prisonniers à Versailles. Le lendemain, le convoi entrant dans Versailles fut accueilli par le maire et une foule en effervescence, venue de Paris notamment pour continuer d’éliminer les ennemis de la nation. Le convoi réussit à traverser sans encombre une grande partie de la ville, n’essuyant que des sifflets. Alors qu’il tournait vers une enceinte où les prisonniers devaient descendre des voitures, les chefs du convoi passèrent un portail que l’on eut tôt fait de refermer derrière eux, les séparant des prisonniers. La foule cerna les voitures, malgré les efforts des escortes pour la repousser. Une heure quinze plus tard, quarante-quatre prisonniers de lèse-nation (neuf parvinrent à s’échapper) gisaient morts dans la rue de l’Orangerie, non loin du Jeu de paume où le serment avait été prononcé trois ans auparavant. Les assaillants ne méditèrent probablement pas sur cette ironie de l’histoire10. En ayant terminé avec ces suspects, ils se précipitèrent vers la prison versaillaise afin d’y poursuivre le massacre.
5Qui étaient ces prisonniers attendant leur procès à la Haute Cour nationale, et quelles étaient leurs fautes pour mériter l’accusation de lèsenation ? À l’été 1792, la plupart étaient soupçonnés de résistance armée ou de coopération avec des ennemis étrangers11. Mais l’accusation de lèsenation avait été assez souple entre 1789 et 1792 pour englober les propos considérés comme injurieux ou calomnieux envers l’ordre politique. Le 3 mai 1792, l’Assemblée législative accusa de lèse-nation deux célèbres journalistes, le radical Jean-Paul Marat de L’Ami du peuple et le contrerévolutionnaire Thomas-Marie Royou de L’Ami du roi. Tous deux évitèrent l’arrestation. Royou décéda, de mort naturelle semble-t-il12. Quant à Marat, il était devenu habile à se soustraire aux mandats d’arrêt en se cachant et en mobilisant le soutien populaire. Si des dizaines d’accusations de lèsenation frappèrent des individus pour leurs propos ou leurs écrits entre 1789 et 1792, les deux seuls prisonniers de lèse-nation tués à Versailles dont l’arrestation avait un rapport avec l’expression politique furent Jean-Arnaud de Castellane et Étienne de La Rivière. Évêque de Mende, Castellane avait publié des tracts anti-révolutionnaires et organisé la résistance locale à la Constitution civile du clergé. La Rivière avait été juge de paix à Paris, aligné sur les royalistes de la Cour. Paradoxalement, il fut arrêté pour avoir sévi contre des libelles. Bien que l’Assemblée législative eût enjoint le ministre de la Justice d’ordonner aux juges de paix d’agir ainsi, La Rivière avait commis l’erreur fatale, motivée par des luttes intestines, de poursuivre des membres du propre comité de surveillance de l’Assemblée pour complicité dans leur diffusion.
6Après le 10 août, personne ne prit à la légère les accusations de lèsenation, pas même les partisans de Marat. Pour innocenter le journaliste avant sa convocation au comité de surveillance de la commune de Paris le 3 septembre, une députation se présenta en son nom devant l’Assemblée législative, alors que les massacres de prisonniers étaient en cours13. La députation exigea la copie officielle de l’accusation de lèse-nation portée contre lui. Intimidée, l’Assemblée amnistia tous les individus condamnés ou dans l’attente d’un procès pour des crimes d’expression commis depuis le 14 juillet 178914. Pourtant, cette amnistie fut loin de marquer le début d’une plus grande tolérance vis-à-vis de la presse. Au contraire, la répression s’intensifia dans les deux années qui suivirent.
7Ce chapitre examine de quelle manière les révolutionnaires traitèrent ce qui passait pour des abus de la liberté d’expression depuis 1789 jusque sous la Terreur. Nous avons déjà vu que la législation révolutionnaire reflétait de vastes inquiétudes concernant ces abus. Les limites à l’expression qui accompagnaient les demandes de liberté de la presse dans les cahiers de doléances (notamment pour les propos portant atteinte aux bonnes mœurs, à l’honneur et à l’autorité) entrèrent dans les dispositions constitutionnelles et le Code pénal de 1791 et furent réitérées avec force dans la législation de la Terreur. Nous avons vu aussi que, avant même l’adoption d’une telle législation, les tendances punitives avaient commencé à envahir la politique révolutionnaire, diminuant la tolérance et influençant la manière dont les députés punissaient les insultes et la calomnie au sein de l’Assemblée constituante. Mais quelle était l’attitude des autorités et tribunaux locaux face à de tels propos ? Pourquoi la calomnie en vint-elle à être considérée comme un crime politique nécessitant une justice extraordinaire ? Et comment l’action (ou l’inaction) officielle en matière de délits de paroles contribua-t-elle à la radicalisation de la Révolution ?
Le contrôle local (1789-1791)
8La Révolution française abolit de nombreuses fonctions et institutions qui réglaient jusqu’alors le monde de l’imprimé : le lieutenant général de police de Paris, les intendants des provinces, les inspecteurs de la Librairie, les tribunaux locaux et les parlements. Leur autorité fut en grande partie transférée aux municipalités en 1789. Néanmoins, les institutions de l’Ancien Régime ne s’effondrèrent pas sur-le-champ, et leur survivance pendant la première année de la Révolution contribua à radicaliser la politique. Ainsi, quoique l’Assemblée nationale eût ordonné la dissolution des parlements le 3 novembre 1789, les magistrats de Toulouse, Bordeaux, Rennes, Rouen et Metz s’y refusèrent. À Toulouse, les magistrats justifièrent leur désobéissance en soulignant combien les abus de la liberté de la presse menaçaient l’ordre public. Sous ce prétexte, ils se mirent à poursuivre les journalistes révolutionnaires et à diffuser (ou à protéger la diffusion) de la propagande contre-révolutionnaire15. À Paris, le Châtelet ne subit pas une abolition immédiate : l’Assemblée nationale lui confia les affaires de lèsenation à titre temporaire ; puis, au printemps 1791, elle le remplaça par la Haute Cour provisoire. Et jusqu’à leur suppression en 1790, certaines branches de la Librairie continuèrent d’inspecter les cargaisons, même si l’intervention irritante des autorités municipales contrecarrait souvent leurs efforts16.
9Sur quels fondements légaux les municipalités réprimaient-elles les opinions ? Le 10 août 1789, à la suite des vastes troubles engendrés par la Grande Peur qui saisit la France fin juillet et début août, l’Assemblée nationale chargea les municipalités de surveiller et de maintenir la tranquillité publique, leur donnant la permission d’employer la force si nécessaire contre « les perturbateurs du repos public17 ». Des décrets renouvelèrent cette mesure au cours des deux années ultérieures18. En l’absence de lois sur la presse, les municipalités citaient ces décrets afin de justifier la répression de ce qui passait pour des diffamations19. Pourtant, avant même la promulgation de ces textes, la municipalité de Paris commença de contrôler l’imprimé. Dix jours après la prise de la Bastille, son comité provisoire interdit la distribution des œuvres qui dissimulaient le nom de l’imprimeur (24 et 31 juillet20). Les autorités de la ville agirent aussi selon les demandes des districts relatives à la distribution des écrits : durant l’automne, plusieurs ordonnances exigèrent que les colporteurs se fassent enregistrer par la police et limitèrent leur nombre à trois cents, comme le spécifiait le règlement concernant la Librairie de 172321.
10De plus, les autorités municipales essayèrent d’intimider les auteurs et imprimeurs de tracts qu’elles estimaient incendiaires ou séditieux, les sommant de se présenter publiquement devant elles. Ne disposant pas de lois sur la presse, elles espéraient que des réprimandes humiliantes les pousseraient à s’amender. Marat figura parmi les premiers écrivains convoqués devant les dirigeants municipaux en août et en septembre 1789. En août, il fut admonesté pour ses propos excessifs après que les autorités lui eurent refusé la permission de lancer son nouveau journal. Elles ne pouvaient pas encore l’accorder, déclarèrent-elles pour leur défense, puisque les conditions de l’imminente liberté de la presse restaient à préciser. Elles reprochèrent à Marat sa réaction irrespectueuse : « Nous ne pouvons pas nous empêcher de condamner au moins comme indiscrète la prétention d’un citoyen qui entreprendrait de faire prévaloir son opinion et sa volonté contre celle d’une Assemblée que la patrie a spécialement honorée de sa confiance et chargée de veiller à ses intérêts les plus sacrés22. » Donnant à Marat une leçon de morale civique, les autorités lui rappelèrent que « le bonheur public repose sur les bases de la sagesse, toujours modérées, et sur la subordination de tout particulier à la volonté générale23 ». Marat semble avoir assimilé la leçon, mais à sa propre manière. Dès lors, il prétendit parler au nom de la volonté du peuple. Pour autant, il ne put échapper à une nouvelle convocation fin septembre, cette fois-ci pour avoir diffamé le comité des subsistances de la municipalité. Le maire, Jean-Sylvain Bailly, demanda à Marat s’il avait des accusations concrètes à porter. Le journaliste répondit que non, signa une déclaration qui en attestait et fut renvoyé24. Ce face-à-face avec les autorités ne rendit pas Marat inoffensif. Quelques jours plus tard, ses dénonciations devinrent plus virulentes. Comme nous l’avons vu, sa dénonciation du procureur Joly lui valut des poursuites pénales début octobre.
11Les autorités ne se contentaient pas de harceler les colporteurs et d’ordonner aux écrivains et imprimeurs de se présenter devant elles, mais saisissaient aussi les imprimés incendiaires. Les archives du comité des recherches de l’Assemblée nationale et celles de nombreuses communes à travers la France révèlent la fréquence des descentes de police dans les imprimeries. Pour justifier les arrestations et les interdictions qui suivaient souvent celles-ci, les autorités allaient au-delà de l’impératif du maintien de l’ordre public, même si ce fut jusqu’en août 1791 le seul motif reconnu par la loi. Elles soulignaient le danger moral des attaques calomnieuses contre la nation, et ce à plusieurs titres. D’abord, comme nous l’avons vu, le contrôle de l’opinion passait dans la France du XVIIIe siècle pour un véhicule de l’instruction morale. Les actes de répression devaient donc avoir une valeur didactique. Ensuite, la faible légitimité des nouvelles autorités les obligeait à expliquer leurs mobiles au public, dont certaines parties risquaient de les accuser de despotisme. Enfin, en l’absence de lois sur la presse, les interdictions publiques tenaient lieu d’actes de parole révélant où les autorités pensaient que les limites légitimes à l’expression publique se situeraient lorsque l’Assemblée nationale serait parvenue à légiférer dans ce domaine.
12Ces motivations apparaissent dans les mesures répressives prises en 1791 par les autorités marseillaises. Le 16 mars, la police arrêta Antoine Julien Floret, employé d’un commerçant local, pour ses propos pendant la représentation d’une pièce à contenu politique, Le ballet du déserteur. Vers la fin de la représentation, les riches spectateurs installés dans les loges se mirent à crier : « Vive le roi ! » Les patriotes ripostèrent depuis le parterre : « Vive la nation, il n’y a plus de roi ! » Distinguant Floret dans son uniforme de garde national parmi les royalistes des loges, les patriotes le raillèrent. Floret se précipita au parterre, où il commença d’étrangler l’un d’eux25.
13Si cet événement s’était produit dix ans plus tard, il est probable que les autorités, alors mieux affermies, l’auraient présenté comme un simple trouble à l’ordre public. Mais en 1791, les édiles pouvaient difficilement ignorer son potentiel explosif sur le plan politique. Ils infligèrent à Floret une énorme amende (cinq cents livres) et lui ordonnèrent de rester en prison jusqu’à ce qu’il l’ait payée. À la lecture du très long jugement, qui fut placardé dans toute la ville, on perçoit la situation difficile dans laquelle se trouvaient les responsables municipaux. S’écrier « Vive le roi ! » n’était pas un crime, du moins pas en 1791 : la France demeurait une monarchie constitutionnelle. Néanmoins, il était manifeste que cet affrontement au théâtre reflétait l’existence à Marseille de profondes divisions au sujet de la source sacrée de l’autorité. Pour assurer leur maîtrise de la situation tout en maintenant une apparence d’objectivité, les édiles affirmèrent que, outre qu’il avait menacé « le peuple » en descendant au parterre, Floret avait insulté le monarque en s’écriant « Vive le roi ! ». Ils citèrent la proclamation de Louis XVI du 25 mai 1790 déclarant « ennemis du bien public » ceux qui cherchaient « à troubler les travaux importants dont l’Assemblée nationale est occupée, de concert avec nous, pour assurer les droits du peuple et préparer son bonheur ». Louis XVI y demandait aussi que fussent punis tous ceux qui entreprenaient « d’inspirer sur nos intentions des doutes aussi mal fondés qu’injurieux26 ». Selon les responsables municipaux, s’écrier « Vive le roi » pour riposter à « Vive la nation ! » sous-entendait que le roi était opposé à la nation. Les édiles réussirent donc à se ranger du côté des patriotes en invoquant les proclamations du roi sur son engagement envers la Révolution. On appréciera le dilemme qu’ils affrontèrent après la fuite à Varennes trois mois plus tard. Dès lors, il serait plus délicat de citer les proclamations de Louis XVI pour justifier la punition de propos royalistes.
14Fin mai 1790, les autorités de Soissons profitèrent de la saisie d’un libelle distribué dans la région pour indiquer où se situait leur seuil de tolérance. Le libelle, Lettre d’un français à son ami, du 18 mai 1790, fustigeait l’Assemblée nationale pour avoir usurpé la place du roi et du peuple. Les députés, soutenait-il, avaient outrepassé leurs pouvoirs dès l’instant où ils avaient refusé d’honorer leurs mandats impératifs (à savoir les instructions données par les assemblées primaires qui les avaient élus pour les États généraux). Il parlait de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen comme d’un « code barbaresque » et accusait l’Assemblée nationale de répandre l’impiété. Les autorités municipales convoquèrent l’imprimeur, le réprimandèrent et ordonnèrent la lacération publique du pamphlet. Fixant des lignes directrices pour la répression future, elles avertirent que tous les individus participant à la production et à la diffusion d’œuvres « contenant des maximes fausses, séditieuses et attentatoires à la Constitution, à la liberté et à la majesté de la nation » ou « injurieuses à la personne sacrée du roi et à la loyauté du peuple français » seraient considérés comme des traîtres27.
15Si les arrestations, interdictions et dénonciations donnaient l’occasion d’affirmer les valeurs révolutionnaires, il ne faut pas perdre de vue que, dans de nombreux cas, l’ordre public était bel et bien menacé par les mouvements anti-révolutionnaires. Ainsi à Marseille, durant l’automne 1789, les opposants à la Révolution formèrent des cercles qui ratissèrent la ville, saisissant les exemplaires de la Déclaration des droits de l’homme et attaquant ceux qui les distribuaient28. La capacité des édiles à s’occuper des agitateurs (radicaux et anti-révolutionnaires) était souvent compromise par leur faible autorité sur la police et l’armée, elles-mêmes fréquemment désunies. Les producteurs de propagande polémique étaient très conscients des divisions qui parcouraient les forces de l’ordre et cherchaient à les exploiter. En janvier 1790, alarmée par la diffusion d’une telle propagande dans les forces armées, l’Assemblée nationale enjoignit le ministre de la Guerre, Jean-Frédéric de La Tour du Pin Gouvernet, comte de Paulin, à enquêter sur ces affaires et à prendre les mesures appropriées. Dans une longue lettre datée du 24 janvier, le ministre confirma que la situation était déplorable. Malgré les efforts des chefs, les brochures radicales et anti-révolutionnaires circulaient en quantité considérable, exacerbaient les tensions au sein de l’armée et de la Garde nationale. L’animosité entre les officiers aristocrates et bourgeois, d’une part, et les soldats de classe inférieure et les gardes, de l’autre, s’intensifia pendant l’hiver, le printemps et l’été 1790. Plusieurs révoltes furent évitées ou rapidement contenues, mais les tensions s’accrurent29. Le 19 août, le député Michel Louis Étienne Regnaud de Saint-Jean-d’Angély se plaignit de l’effet de telles brochures : « Le commandant de la marine de Toulon a été sur le point d’être assassiné dans une émeute occasionnée par des libelles ; il est temps que les représentants de la Nation s’occupent à mettre un frein à ces désordres. Je demande que les comités de Constitution et de jurisprudence présentent incessamment le projet de décret que l’Assemblée leur a demandé sur la liberté de la presse30. »
16Les tensions finirent par éclater à Nancy en août 1790. Les radicaux des régiments royaux organisèrent une mutinerie qui dura une quinzaine de jours. Des bataillons de la Garde nationale des régions voisines furent appelés pour écraser la révolte. Ils parvinrent à rétablir l’ordre mais il y eut plus de deux cents soldats tués. Reconnus coupables de crime de lèsenation, trente rebelles furent pendus, quarante et un condamnés aux galères et un au supplice de la roue31. De nombreux gardes nationaux partout en France sympathisèrent avec la révolte et s’indignèrent de l’intervention répressive de la Garde. Des affirmations selon lesquelles la Garde nationale s’était déshonorée à Nancy circulèrent dans le pays, exacerbant les tensions parmi les troupes32.
17Certains tracts visaient à déclencher des mutineries : ils encourageaient les soldats des grades les plus bas à déserter leurs postes ou à se révolter contre leurs officiers « aristocrates ». De tels tracts avaient circulé à Nancy peu avant la révolte33. D’autres s’efforçaient d’éveiller l’opposition à la Révolution parmi les officiers. À Grenoble par exemple, le sieur de Rival, ancien garde du corps, rédigea une Lettre écrite sur le tombeau de Bayard adressée à toute l’armée française. Il fut arrêté et interrogé34. Lorsqu’on lui demanda pour quelle raison il avait écrit ce tract, il affirma que le manque de discipline dans la maréchaussée avait suscité son inquiétude et qu’il avait voulu inciter les soldats à obéir aux décrets de l’Assemblée nationale. Peu convaincus, les enquêteurs s’étonnèrent qu’il n’eût pas mentionné ces décrets dans son pamphlet. Éludant la question, Rival évoqua les horreurs des journées d’octobre 1789 (la marche des femmes sur Versailles) durant lesquelles quelques-uns de ses compagnons gardes du corps avaient été tués. Les interrogateurs lui demandèrent pourquoi, dans sa lettre, il plaçait le mot « roi » avant le mot « loi » – sous-entendant qu’ils percevaient dans cet ordre l’instauration d’une hiérarchie séditieuse entre ces principes. Rival apporta de nouveau une réponse alambiquée. Finalement, les autorités locales transmirent l’affaire au comité des recherches de l’Assemblée nationale. Elles expliquèrent : « N’ayant qu’une juridiction de police, nous n’avons pas cru pouvoir juger un délit qui nous a paru un crime de lèse-nation35. » Elles ajoutèrent que le comité des recherches, par sa position nationale, était mieux à même de déterminer s’il s’agissait d’un incident isolé ou d’une conspiration plus vaste.
18Avec des tensions aussi explosives au sein de la force publique en 1790, même les querelles entre soldats avinés alarmaient les autorités. En novembre 1790, Jean Georges Charles Voidel, secrétaire du comité des recherches, ordonna à la municipalité de Quimper d’enquêter et de punir un garde national réactionnaire qui avait insulté l’Assemblée nationale et la Garde36. Dans un débit de boissons fin octobre, le sieur Rosblat avait, présumait-on, ridiculisé un garde âgé qui arborait une médaille rapportée de la fête de la Fédération à Paris en juillet. Rosblat parla des députés de l’Assemblée nationale comme d’un « tas de f. gueux » et fit savoir qu’il respectait l’uniforme de la Garde nationale à peu près autant que ses fesses. La municipalité contacta le commandant de Rosblat, qui répondit qu’il y avait d’autres hommes comme lui et que le mieux serait d’envoyer tout le régiment à Brest ou à Lorient. Le commandant assura aux responsables municipaux que dans ces villes, où la ferveur révolutionnaire était grande, « il sera un séminaire qui lui sera salutaire37 ».
19Rien ne montre que Rival et Rosblat étaient partie prenante dans des complots contre-révolutionnaires à l’échelle nationale, mais il est prouvé qu’il existait des campagnes orchestrées pour répandre une propagande antirévolutionnaire. Les tracts de cette nature envoyés par la poste avec le sceau officiel de l’Assemblée nationale furent très nombreux ; on peut en conclure soit que le système d’envoi de l’Assemblée elle-même était corrompu, soit que les opposants à la Révolution avaient réussi à contrefaire le sceau. Parfois, les administrations locales soutenaient et protégeaient en secret les réseaux qui diffusaient ces opuscules. L’apparition de tels réseaux donna un objectif précis aux clubs patriotiques naissants : surveiller le flot de propagande anti-révolutionnaire (souvent par la prise d’assaut des bureaux de poste) et dénoncer ceux qui la colportaient devint leur mission38. Dans une lettre du 4 décembre 1790 au comité des recherches, le club patriotique d’Hesdin (où, d’ailleurs, une mutinerie avait éclaté en avril au sein de l’armée) accusa les administrateurs locaux d’être de connivence avec l’abbaye de Dommartin voisine pour répandre des rumeurs et des pamphlets annonçant que la vente des biens de l’Église n’aurait pas lieu, contrairement aux décrets en vigueur. Le club affirmait que l’un des pamphlets, Le naviget anticyras, circulait grâce à un réseau complexe d’administrateurs et de postiers (l’opuscule fut largement dénoncé dans tout le pays)39. Selon les membres du club, l’abondance d’une pareille propagande donnait aux édiles l’audace d’empêcher la vente des biens ecclésiastiques, et ils citaient plusieurs exemples dans lesquels des acheteurs potentiels avaient été rejetés. Expliquant pourquoi ils envoyaient leur dénonciation à l’Assemblée nationale, ils observaient l’impossibilité de régler l’affaire au niveau local : les vieux tribunaux étaient défunts et les nouveaux n’étaient pas encore établis.
20La découverte de réseaux secrets de propagande anti-révolutionnaire poussa de nombreuses personnes à croire qu’un complot contre-révolutionnaire à l’échelle nationale se préparait. En juin 1790, un adjudant de chasseurs de Nice informa l’Assemblée nationale de la conduite suspecte d’anciens magistrats parlementaires (qui avaient perdu leur charge vénale) et de l’évêque de La Fare (lequel, comme nous l’avons décrit plus haut, avait prononcé le sermon d’ouverture des États généraux, insistant pour que le catholicisme demeure la religion officielle de la nation40). Des témoins avaient vu ces hommes escortés par le prince de Monaco jusqu’à une imprimerie locale connue pour produire des pamphlets contre-révolutionnaires. À l’automne 1790, on découvrit à Tours des preuves d’une conspiration visant à répandre de la propagande contre-révolutionnaire. Ayant reçu les plaintes du club patriotique de la ville, les édiles arrêtèrent et interrogèrent des individus soupçonnés d’avoir participé à un pamphlet intitulé Avis aux vrais français. Sa couleur royaliste était évidente : « Que le cri de l’honneur se réveille dans toutes les âmes, dans ces temps de serments faisons-en un sacré. Jurons de poursuivre à jamais les auteurs, fauteurs, et moteurs des crimes et des forfaits commis les 5 et 6 octobre. » Le tract appelait aussi à punir ceux qui faisaient circuler « d’infâmes brochures » contre la famille royale41. Dans son interrogatoire, l’imprimeur local, Marie François Légier, expliqua comment il en était venu à imprimer ce texte. Il raconta qu’on l’avait réveillé à deux heures du matin et conduit au domicile de Gosselin Dupré, ci-devant chanoine de la cathédrale. Dupré présenta Légier à un inconnu qui, de toute évidence, avait voyagé. Cet homme lui donna un exemplaire du pamphlet Avis aux vrais français et Dupré demanda à l’imprimeur d’en tirer cinq cents. Légier hésita, mais Dupré le rassura en disant que les idées du pamphlet n’étaient pas différentes de celles exprimées dans le journal royaliste de Royou imprimé à Paris, L’Ami du roi42. En interrogeant l’un des apprentis de Légier, les édiles découvrirent que l’imprimeur avait eu pleinement conscience des risques qu’il prenait en tirant ce tract : en effet, lorsqu’un garde national était venu inspecter les lieux, Légier avait ordonné à l’apprenti de cacher le document43. (Le pamphlet, bien sûr, ne portait pas le nom de l’imprimeur.) Durant son interrogatoire, Dupré déclara que l’inconnu nocturne surgi en pleine nuit n’était autre que le comte de Saint-Cyr, un ancien prévôt (la fonction avait été supprimée en 1789). Saint-Cyr, dit-il, avait garanti que la liberté de la presse donnait le droit de reproduire le pamphlet. Au bout du compte, la municipalité (laquelle avait déjà refusé de s’occuper des nobles et des prêtres locaux qui exprimaient ouvertement leur opposition à la Révolution) se défaussa. Elle conclut qu’il s’agissait d’une affaire de lèse-nation et la transmit à l’Assemblée nationale44.
21Dans certains cas, les députés eux-mêmes répandaient la propagande anti-révolutionnaire. À la demande du comité des recherches et du comité des rapports de l’Assemblée nationale, des édiles de Vitré firent suivre les lettres écrites par leur député Hardy de la Largère. Celui-ci s’était élevé contre la Déclaration des droits de l’homme pendant l’été 1789 et entrait maintenant dans la clandestinité en raison de ses opinions anti-révolutionnaires. Pour ne pas attirer l’attention, il envoya des libelles hostiles à l’Assemblée, avec le sceau officiel de cette dernière pour être sûr qu’ils arriveraient, à un notaire de la région chargé de les confier à l’épouse du député qui, semble-t-il, les distribuerait45. Le notaire s’effaroucha. Estimant que les libelles étaient trop dangereux, il les remit aux responsables du district, qui les expédièrent au comité des rapports de l’Assemblée46.
22Six mois plus tard, la police de Lyon découvrit que son député national, Jean-Antoine de Castellas, envoyait des tracts anti-révolutionnaires à l’abbé Boisboissel. Les 23 et 24 mars 1791, elle interrogea Boisboissel et son complice, le sieur Gal, puis arrêta l’abbé. Elle agit selon la loi du 26 décembre 1790 qui permettait aux autorités locales de poursuivre les « perturbateurs de l’ordre public47 ». Au domicile de Gal, la police trouva un sac à linge rempli de pamphlets anti-révolutionnaires et un tiroir fermé à clé qui contenait d’autres exemplaires et de l’argent liquide48. Gal déclara qu’il n’en savait rien et que Boisboissel avait dû les cacher là. Les autorités lyonnaises attendirent un mois avant de déléguer l’affaire au procureur de la ville. Durant ces semaines, elles accumulèrent des paquets d’opuscules adressés à Boisboissel par Castellas depuis Paris. Les envois (marqués du sceau de l’Assemblée, une fois encore) incluaient L’Ami du roi, le bref du pape qui condamnait la Révolution et une ordonnance de l’archevêque réfractaire et comte de Lyon, Yves-Alexandre Marbœuf.
23Les lettres accompagnant les envois de propagande contre-révolutionnaire révélaient le secret au cœur de l’opération. Castellas utilisait des codes pour désigner les individus engagés dans un réseau national complexe s’efforçant d’encourager la résistance à la Constitution civile du clergé49. Castellas informait Boisboissel que l’évêque de Soissons, vigoureux adversaire de la Constitution civile du clergé, ayant émigré, il était encore plus impératif de dissimuler le réseau : « Je sens plus que jamais qu’il vous sera impossible de faire usage des formes ordinaires pour la signification de l’ordonnance50. » Dans une autre lettre, Castellas écrivait qu’il n’osait pas envoyer les tracts directement au bailli local censé les distribuer et exprimait l’espoir que Boisboissel réussirait à le faire. « J’attends le courrier de demain avec bien de l’impatience pour savoir l’effet que cette pièce produira. Ce sera assurément celui de la colère51. »
24Au bout d’un mois à réunir lettres compromettantes et propagande contre-révolutionnaire, les édiles court-circuitèrent le nouveau tribunal du district et envoyèrent directement à l’Assemblée nationale ce qu’ils considéraient comme un cas de lèse-nation. L’Assemblée ne répondant pas, ils le soumirent au tribunal du district. Mais comme il intéressait un député national, les juges estimèrent qu’il ne relevait pas de leur compétence. Ils renvoyèrent donc le dossier à l’Assemblée et signifièrent à Boisboissel de demeurer en prison52. Enfin, en juillet, le tribunal libéra « provisoirement » Boisboissel sur instruction du ministre de la Justice53. Les choses en restèrent là. Quelques mois après, un mandat d’arrêt fut lancé contre Castellas, mais il avait déjà fui en Angleterre54.
25L’affaire Castellas-Boisboissel ne fut pas la seule à se produire à Lyon entre 1790 et 1792. Ces affaires relatives à des discours et à des écrits exacerbèrent les tensions entre la municipalité, le département et les autorités nationales. L’une des plus anciennes concerna un pamphlet de J. Imbert-Colomès. Prévôt temporaire durant l’été 1789 (avant la suppression définitive de cette fonction), Imbert établit un corps de gardes volontaires pour s’occuper des troubles en juillet et en août. La milice bourgeoise traditionnelle était apparemment incapable de régler seule ces problèmes. En créant ce corps, Imbert s’attira la colère de la milice, qui se sentit offensée, tout comme le courroux des patriotes, qui lui reprochèrent d’avoir recruté uniquement, prétendirent-ils, des fils de riches citoyens55. Lorsque février 1790 arriva, la fureur des patriotes contre Imbert déborda. Il fut chassé de sa maison et dut se sauver par les toits56. Il ne tarda pas à s’engager dans la contre-révolution, travaillant comme agent pour le frère émigré du roi, le comte d’Artois57. Malgré ses activités séditieuses, Imbert réussit à entrer dans la nouvelle administration départementale. Lors d’une des réunions préalables en décembre 1790 (les services ne furent officiellement installés qu’au mois de janvier), Imbert commença un discours qui critiquait la Révolution, réclamait la dissolution de l’Assemblée nationale et l’établissement d’une nouvelle assemblée hors de Paris. Ses collègues l’arrêtèrent et le prévinrent que ses opinions étaient trop dangereuses, pour le moment du moins.
26Six mois plus tard, en juin 1791, Imbert fit imprimer et distribuer son discours à Lyon. Dans le pamphlet, il taxait certains députés de corruption et de mauvaise gestion des finances publiques. Il demandait aussi le transfert de l’Assemblée nationale soit à Orléans, soit à Tours58. Scandalisées, les autorités municipales s’empressèrent d’agir : elles saisirent les exemplaires du pamphlet et arrêtèrent Imbert. Fouillant sa maison, elles trouvèrent plusieurs opuscules qui essayaient de susciter une opposition religieuse à la Révolution. Elles découvrirent également le manuscrit du discours, qui différait de la version imprimée. Y figuraient les noms de ses collègues l’ayant félicité, en décembre 1790, pour ses opinions courageuses, tout en le prévenant que s’il les exprimait, il serait « pendu à pure perte59 ». Dans le procès-verbal, les édiles accusèrent Imbert de calomnie pour avoir dit mensongèrement qu’il avait exposé ces opinions à une réunion départementale60. En refusant d’informer ses lecteurs que ses collègues l’avaient, en réalité, stoppé dans son élan, Imbert les impliquait dans ses opinions séditieuses, déclarèrent les autorités. Pour leur part, les administrateurs départementaux nièrent toute complicité, soutenant que le discours n’avait jamais eu lieu61. Le tribunal du district acquitta Imbert en arguant qu’une administration inférieure (la municipalité) ne pouvait pas intenter un procès contre un membre d’une administration supérieure (le département) pour des actions entreprises à titre de fonctionnaire. Ce jugement souleva des doutes sur la neutralité du tribunal, puisqu’il contredisait le fait sur lequel presque tous, sauf Imbert, étaient d’accord : il avait publié le pamphlet en tant que citoyen privé, non en tant que fonctionnaire.
27À l’époque de l’affaire Imbert, les autorités départementales engagèrent des poursuites contre le Journal de Lyon, périodique radical62. Dans un langage incendiaire à la Marat, le journal avait accusé le département de refuser, entre autres, de traiter une dénonciation envoyée par la municipalité d’un libelle anti-révolutionnaire intitulé Franchon. Même si le ministre de la Justice soutint le département dans sa mise en cause du Journal de Lyon, le tribunal du district déclara qu’il s’agissait d’un crime de lèse-nation et expédia le dossier à l’Assemblée nationale. C’était, bien sûr, le moyen le plus simple de se débarrasser d’une affaire très politisée qui dressait l’une contre l’autre deux administrations63. Comme l’Assemblée nationale agissait rarement pour de telles affaires venues des provinces, le public avait tout lieu de penser qu’elle ne ferait rien pour celle-ci. La décision du tribunal de l’envoyer à l’Assemblée suscita donc des soupçons chez les radicaux, qui estimèrent que le département grouillait de royalistes et que les juges du tribunal du district étaient soit des lâches soit de connivence avec le département.
28Au cours de l’hiver et du printemps 1792, les relations entre le département et la municipalité de Lyon se détériorèrent. Le 23 février, un théâtre lyonnais monta une pièce qui provoquait des troubles dans de nombreuses régions, Le club des bonnes gens. Selon le dramaturge, les bonnes gens étaient les catholiques pieux et respectueux des lois, et il faisait du président d’un club patriote une brute ignare64. Nombre de spectateurs, au parterre surtout, interprétèrent la pièce comme une attaque calomnieuse contre les clubs patriotes et la Révolution. Dans une scène, alors qu’un prêtre terminait son aria, des spectateurs chantèrent « Amen, amen » tandis que d’autres s’écriaient : « À bas le prêtre aristocrate65 ! » Les tensions atteignirent un tel sommet que la Garde nationale fut appelée dans le théâtre pour rétablir l’ordre. La municipalité interdit la pièce, citant la loi qui plaçait la police des théâtres dans ses attributions. Les acteurs mécontents se tournèrent vers le département, qui leur était favorable : celui-ci réprimanda la municipalité pour entrave à la liberté d’expression66.
29Pendant ce temps, une autre pièce, La forêt noire, entraînait une nouvelle agitation à Lyon67. Elle décrivait une troupe de brigands causant des ravages dans une forêt jusqu’à ce que les héroïques forces de l’ordre les appréhendent. Dans la première scène, alors que le chef des brigands réveillait ses hommes, un spectateur s’exclama, sarcastique : « Vive la nation ! » À la fin de la pièce, quand les troupes arrivèrent sur la scène avec l’injonction officielle de « détruire les brigands dont la forêt est infestée », un spectateur hurla : « À bas les sans-culottes ! […] À bas la nation ! » La pièce avait pour objectif évident d’attiser le sentiment antirévolutionnaire. Les héroïques forces de l’ordre qu’elle dépeignait étaient les troupes du roi, non la Garde nationale ; ainsi suggérait-elle que seules les forces royales garantissaient l’ordre et la justice.
30Pendant plus d’un mois, la question de savoir s’il fallait autoriser les comédiens à rejouer la première pièce, Le club des bonnes gens, fut sujette à controverse. Le 4 avril, le département enjoignit à la municipalité de lever son interdiction, déclarée « illégale ». La municipalité céda mais déclina toute responsabilité si jamais des violences devaient éclater68. Peu après cette concession, le nouveau ministre de l’Intérieur, le Jacobin Jean-Marie Roland, intervint. Roland était l’allié de plusieurs édiles lyonnais. Il prit leur parti et tança le département. Il informa celui-ci qu’il avait parlé avec le roi, qui était au courant des troubles occasionnés à Lyon par la pièce, et donna l’ordre de respecter l’interdiction initiale69. Les représentants départementaux se tinrent pour offensés, insinuèrent que Roland favorisait ses amis de la municipalité et, se posant en défenseurs de la morale, insistèrent sur le soutien à la liberté d’expression. Ils ne voyaient pas de contradiction, semble-t-il, entre leur défense de la pièce royaliste et leur précédente tentative de poursuite du Journal de Lyon, le périodique patriote70. Ils mirent aussi Roland au pied du mur, lui rappelant que seule une proclamation royale ou un décret de l’Assemblée nationale pouvait infirmer une décision départementale.
31Comme de nombreuses pièces à contenu politique de l’époque, Le club des bonnes gens aggrava les tensions locales, opposa les spectateurs entre eux et eut des répercussions dans la hiérarchie administrative, depuis la municipalité jusqu’aux ministères. De la même manière que la propagande imprimée (radicale et anti-révolutionnaire), ces pièces forçaient les autorités à prendre position sur la liberté d’expression. En l’absence de limites légales à cette liberté, elles couraient sans cesse le risque de passer pour arbitraires. Les édiles déclaraient souvent que des telles affaires étaient des cas de lèse-nation et les envoyaient à l’Assemblée nationale pour éviter la colère de leurs administrés. Mais n’ayant pas de définition légale en matière de lèse-nation, l’Assemblée ne faisait généralement rien de ces dénonciations. Ainsi, entre 1789 et 1792, malgré le consensus sur l’existence des crimes de lèse-nation et la nécessité de les punir, il y eut peu de réelles mesures pour y parvenir. L’incapacité des nouvelles institutions à satisfaire les exigences punitives sapa leur crédibilité. Elle enhardit également les radicaux et les contre-révolutionnaires, et le centre eut de plus en plus de difficultés à se maintenir.
32Certaines affaires arrivèrent bel et bien jusqu’aux registres des tribunaux de lèse-nation. Afin de comprendre pourquoi la plupart y stagnèrent, il est intéressant d’examiner l’objectif politique qu’il y avait à créer cette juridiction spéciale : il s’agissait de prévenir la violence populaire.
L’imputation de lèse-nation : apaiser les fureurs (1789-1791)
33Peu de personnes contestaient la légitimité de la catégorie juridique de lèse-nation. Le problème était de la définir. Pour Boullemer de la Martinière, le procureur de la commune de Paris qui s’occupait de ce type d’infraction, « ce crime n’est autre chose que celui que nous connaissons et que nous avons toujours connu sous la qualification de lèse-majesté71 ». À ses yeux, la jurisprudence de l’Ancien Régime et le républicanisme classique étaient compatibles. Il affirma que si le crime de lèse-majesté était apparu dans le droit français sous Louis XI en 1483, son esprit remontait à la Rome antique, quand « ce titre de majesté appartenait à un peuple libre72 ». De même, dans son ouvrage de l’automne 1789, Réveil des principes des loix et des ordonnances sur le crime de lèze-Majesté royale, de lèze-État ou de lèze-Nation, Charles Pons Borromée Sarot faisait appel à des lois et à des ordonnances du XVIe siècle pour justifier l’imputation révolutionnaire de lèse-nation. Sarot réfutait l’idée qu’elle n’avait pas de fondement légal : « Qu’on ne vienne donc plus s’écrier qu’il est absurde de créer des tribunaux pour le crime de lèze-nation, sous le faux-prétexte qu’aucunes lois n’en déterminent ni la nature, ni le caractère, ni les peines ; les ordonnances ci-dessus s’expliquent clairement, sur les crimes contre l’État ; État qui n’est que le synonyme du mot Nation73. » Cependant, fonder la majesté de la nation sur les notions sacrées de monarchie, de républicanisme, de peuple, d’État et de nation tout à la fois était plus difficile que ces auteurs ne le reconnaissaient. Dans la tourmente de la Révolution, les camps opposés plaçaient certains termes au-dessus d’autres. Il en ressortait des conflits au sujet de la primauté de certains principes, notamment ceux de monarchie et de nation.
34Les Jacobins et les radicaux résistaient aux définitions étroites du crime de lèse-nation. Pour eux, il était identifiable par l’indignation viscérale qu’il suscitait, et sa monstruosité imposait que l’on fasse appel aux préceptes moraux de la loi naturelle et non aux subtilités de la loi positive. Ce point de vue transparaît dans une lettre envoyée à l’Assemblée nationale dénonçant Bayard de la Vingtrie, maire de Bellême et ancien subdélégué de l’intendant d’Alençon74. Écrivant au nom de citoyens furieux, un avocat de cette ville accusait Vingtrie de détourner l’argent public, d’ordonner aux troupes de tirer sur le peuple et de calomnier l’Assemblée nationale. En qualifiant ces crimes de « lèse-peuple » ou « lèse-nation » (il considérait les deux expressions comme synonymes), il réfléchissait à la nature de cette nouvelle accusation. « Si nos législateurs, en multipliant à l’infini les crimes de lèse-majesté dans la personne du prince, ont gardé le plus profond silence sur les crimes de lèse-nation, ce crime n’est pas pour cela un de ceux dont le châtiment demande des lois préexistantes : cette maxime, vraie à l’égard du droit positif, n’a point d’application, en matière de droit naturel. […] Antérieurement à toutes les institutions sociales, il est une loi vivante dans tous les cœurs, qui nous crie qu’un subdélégué est criminel de faire fusiller militairement, et sur sa simple réquisition, des citoyens honnêtes et tranquilles. » L’avocat avertissait les députés que, s’ils n’agissaient pas, les habitants se feraient sans doute justice eux-mêmes. « Si le crime de l’intendant d’Alençon, et si principalement le crime du subdélégué de Bellême, n’étaient pas jugés crimes de lèse-nation, il n’en existerait donc pas, et ce serait déclarer au peuple qu’on lui laisse le soin de sa vengeance75. »
35Plusieurs députés et journalistes de gauche partageaient ces conceptions. Pendant le débat sur l’établissement d’un nouveau tribunal de lèse-nation en octobre 1790, Robespierre distingua entre crimes ordinaires et crimes d’exception : alors que la loi positive suffisait pour traiter les violations ordinaires des droits individuels, les atteintes aux droits de la nation constituaient des crimes de lèse-nation et requéraient une procédure particulière. Selon lui, seules la violence et des actions physiques pouvaient heurter les droits des individus. En revanche, dans la mesure où les droits de la nation reposaient sur des forces morales comme les lois, les droits, la justice, leur violation équivalait à un acte de trahison. « Celui qui attente à la liberté du peuple, c’est-à-dire, aux lois constitutionnelles qui lui assurent l’exercice et la conservation de ses droits, est coupable de parricide envers la nation76. »
36Pour l’abbé Maury, de telles idées étaient dangereusement vagues. Établir un tribunal pour les crimes de lèse-nation sans définir ceux-ci, insistait-il, mènerait à l’arbitraire et au despotisme.
37Il existait des révolutionnaires qui défendaient sur le sujet des positions plus radicales encore que celles de Robespierre. Dans un numéro de Révolutions de Paris paru le même mois, Louis Prudhomme alla jusqu’à argumenter contre une définition (quelle qu’elle fût) du crime de lèsenation. Ce partisan quasi libertaire de la liberté de la presse écrivit : « À quels périls ne serait pas exposé le corps social, si pour punir un crime de lèse-nation, il devait être spécifié par une loi ? » Il expliquait : « N’est-il pas absolument impraticable de classer toutes les manières de blesser le corps politique ? N’est-il pas d’ailleurs impossible de donner une définition juste et satisfaisante du crime de lèse-nation ? Et s’il fallait attendre cette définition, que deviendrait le salut du peuple ? » Prudhomme accusait les « aristocrates » de militer pour une définition légale afin de manœuvrer autour d’elle. « Ils sentent bien tous, que si elle existait, ils conspireraient sans crainte, et qu’ils échapperaient à la vengeance des tribunaux, aussi facilement qu’à la surveillance des comités de recherches77. »
38C’étaient principalement les modérés, les conservateurs et les réactionnaires qui déploraient l’absence de définition du crime de lèse-nation. Par exemple, l’auteur anonyme de Mémoires pour les criminels de lèse-nation croyait que l’acte d’écrire était plus dangereux depuis 1789. Sous l’Ancien Régime, les écrivains savaient au moins si leurs œuvres seraient considérées comme criminelles en les soumettant aux censeurs avant publication. Désormais, les écrivains étaient tenus responsables selon des critères indéterminés, car les législateurs n’avaient défini ni les abus en matière de liberté d’expression, comme annoncé dans la Déclaration des droits de l’homme, ni le crime de lèse-nation. Sans clarification légale, le nouveau régime risquait de devenir plus arbitraire et despotique que le précédent.
« Alors, l’Assemblée craint que cette liberté, utile lorsqu’elle était employée à soutenir les nouveaux principes, ne lui devienne nuisible en servant à démontrer leur fausseté. Devenue despote, elle sent le besoin de restreindre la liberté de la presse, cependant elle n’ose ou ne peut déterminer les cas que la loi doit prévoir. Elle ne fait point de loi, mais les nouvelles municipalités, les clubs, les associations patriotiques sauraient faire exécuter ses désirs. […] Ces municipalités, ces clubs chercheront, dénonceront les coupables qui seront accusés d’un crime dont personne ne connaîtra ni les bornes ni la peine78. »
Figure 8. – Exécution de la sentence rendû par la milice-Bourgeoise de Sivrai [Poitou] en réparation de l’injure faite à la Nation et au Roi par le C… de…, qui avait attaché la Cocarde Nationale à la queue de son chien, dont il fut condamné de baiser 3 fois le derrière. Avec l’aimable autorisation de la Bibliothèque nationale de France, cabinet d’estampes.
39Puisque la loi n’avait jamais défini convenablement le crime de lèsemajesté, l’auteur soutenait que l’Assemblée nationale n’aurait jamais dû reconnaître celui de lèse-nation79. Révélant son attachement à la hiérarchie sociale de l’Ancien Régime, il affirmait que les accusations de lèse-nation étaient exploitées pour encourager la lutte des classes, en servant de prétexte pour attaquer « ceux que leur naissance, leur fortune, et surtout les emplois publics ont placé aux premiers rangs80 ».
40Les radicaux croyaient eux aussi que les affaires de lèse-nation étaient exploitées pour encourager la lutte des classes, mais de manière inverse. Ils dépeignaient le Châtelet comme un bastion de l’aristocratie. S’adressant à l’Assemblée nationale au printemps 1790, le district des Cordeliers cita des exemples dans lesquels le Châtelet avait acquitté des aristocrates et puni des ouvriers et des paysans innocents81. Le district réclamait la suppression du Châtelet mais ne demandait pas la suppression de l’imputation de lèse-nation, que ses membres conceptualisaient en termes très abstraits. « Qu’est-ce qu’un crime de lèse-nation ? C’est méconnaître, par la volonté et par le fait, les droits imprescriptibles de la nation82. » Ils pensaient que, même si la notion de lèse-nation s’enracinait dans la vieille doctrine de lèse-majesté, le délit était « nouveau », et qu’il fallait « des âmes neuves, en qui le saint amour de la liberté ne soit pas équivoque83 ». L’imputation de lèse-nation avait ainsi un usage coercitif et pédagogique. Elle décrivait une sédition punissable provenant des défauts moraux de « ceux qui forment chacun en soi, un chaînon de la longue et tortueuse chaîne du despotisme84 ».
41Début 1791, tandis que l’Assemblée constituante préparait l’établissement d’une Haute Cour nationale pour les crimes de lèse-nation, les députés de droite Nicolas Bergasse et Pierre Victor Malouet signalèrent les dangers de l’imprécision légale qui régnait alors85. Selon Bergasse, « le juge, dépourvu ainsi de règle fixe, sans loi positive pour se diriger, n’ayant d’autre guide souvent que des terreurs populaires, se verrait plus d’une fois exposé à punir ce que, dans des moments moins orageux, il eût facilement excusé86 ». Malouet prévint que, sans définitions légales claires, les démagogues tireraient parti des élans prohibitifs au nom du « salut du peuple » afin d’étendre le pouvoir répressif de l’État87. Laisser le crime de lèse-nation indéfini « fera plus de victimes que des conquêtes », craignait-il88. Le comité de constitution de l’Assemblée présenta une longue liste de crimes de lèsenation, mais Bergasse et Malouet insistèrent pour qu’elle fût courte : elle devait inclure uniquement les complots contre l’État, les abus de pouvoir des hommes publics, les attaques physiques envers le roi, les agents publics ou les représentants du peuple, la violence séditieuse. Dans aucune des listes proposées n’apparaissaient les abus de la liberté d’expression. Pour Malouet, les insultes contre le roi, les hommes publics ou les représentants nationaux devaient être considérées comme des crimes de lèse-majesté et jugées par les tribunaux ordinaires selon la loi positive89.
42Certaines des réflexions les plus incisives sur le crime de lèse-nation vinrent de François de Pange. Celui-ci était parmi les rares à rejeter la notion même de lèse-nation. Il pensait qu’elle serait exploitée à des fins aussi tyranniques que celles auxquelles la notion de lèse-majesté avait servi sous l’Ancien Régime. En ce temps-là, expliqua-t-il, on distinguait entre les crimes de lèse-majesté et les crimes qui menaçaient l’intérêt général de la société, lesquels relevaient de la loi et des tribunaux ordinaires. Puisque les citoyens étaient désormais égaux devant la loi, l’idée de « lèse » quelque chose n’avait pas de sens. Toutes les violations de la loi, soutenait-il, constituaient des attaques contre les intérêts de la société ; il fallait donc les soumettre aux tribunaux ordinaires selon la législation ordinaire90. Pange sonnait l’alarme : le concept de lèse-nation, contribuant à « répandre dans les esprits une fermentation qui peut en imposer aux juges et altérer leur décision », amènerait les passions populaires à peser sur ce qui devrait être une décision judiciaire rationnelle91.
43Pange reconnut la raison pour laquelle l’Assemblée nationale avait créé l’imputation de lèse-nation en 1789, et son analyse est révélatrice quant à la nature de la crise révolutionnaire. Confrontés à une agitation chronique, les députés avaient voulu empêcher les « patriotes égarés » de venger eux-mêmes la nation. En donnant au Châtelet la compétence exclusive sur les affaires de lèse-nation, l’Assemblée avait allégé le fardeau des juges locaux que la population et les factions locales chargeaient de ces dossiers92. C’étaient les circonstances qui avaient dicté de telles mesures, concédait Pange, mais le moment était venu de trancher les liens entre les passions populaires et la justice rationnelle. Il fallait supprimer la qualification de lèse-nation.
44L’Assemblée nationale n’en précisa jamais la définition. La Constitution de 1791 demanda l’établissement d’une haute cour pour les affaires relatives au salut public mais ne dit rien de la lèse-nation en soi. Certains historiens ont vu là le signe que, malgré les pressions populaires punitives, l’Assemblée constituante tenait vraiment à l’autorité de la loi et s’efforçait au maximum d’éviter qu’une justice politique extraordinaire devînt un élément permanent de l’ordre nouveau93. Il est néanmoins plus probable que l’absence de toute mention de lèse-nation résultait de l’incapacité des députés à s’entendre sur sa définition. Le Code pénal de 1791, lui, spécifia les crimes contre « la chose publique94 ». Plus important, les députés continuèrent d’invoquer la lèse-nation après septembre 1791, renforçant l’idée que la haute cour prononcerait des condamnations. Elle n’en fit rien, ce qui entama sa crédibilité. Pendant ce temps, la volonté de punir s’intensifiait chez les royalistes et les radicaux.
Les affaires de lèse-nation et la radicalisation
45Si l’agitation populaire causa l’entrée du concept de lèse-nation dans la politique révolutionnaire, les autorités contribuèrent beaucoup à étendre son application au domaine du discours. Durant la première année de la Révolution, l’accusation fut portée contre des partisans et des opposants de la Révolution. Malgré les reproches de partialité adressés au Châtelet, les archives montrent que, dans les affaires de discours, il y eut à peu près autant de poursuites visant des radicaux que des réactionnaires95. En termes sociaux, pourtant, il est à noter que la majorité des suspects appartenaient aux classes moyennes ou aisées, cultivées, de la société.
46Quels genres de délits de paroles arrivèrent jusqu’au Châtelet ? Des insultes envers d’éminents personnages de stature nationale et des déclarations qui cherchaient à saper la confiance dans les autorités constituaient la plupart de ces affaires. En mars 1790, par exemple, les magistrats du Châtelet reconnurent Pierre Curé coupable de propos séditieux et d’insultes à la reine. Curé avait été arrêté à Bourg-en-Bresse en novembre 1789 pour avoir essayé d’entraîner des habitants du Jura à incendier des châteaux avec lui. Étranger à la région, il prétendit que le duc d’Orléans l’avait envoyé de Paris. Le comité des recherches ordonna aux autorités bourguignonnes d’enquêter96. Alors même qu’elles ne découvrirent aucune preuve de la connivence du duc, l’affaire arriva au Châtelet. Curé fut condamné à s’excuser publiquement, à porter un collier de fer pendant trois jours, à être marqué au fer rouge sur l’épaule, battu et fouetté en public et à passer le restant de ses jours aux galères. Si le Châtelet avait déclaré Curé coupable seulement d’avoir menacé de brûler des châteaux, la presse patriote n’y aurait sans doute guère prêté attention. Mais comme le jugement insistait sur les « insultes criminelles » contre la reine, les radicaux saisirent l’occasion de reprocher au Châtelet de violer la liberté d’expression en imposant des punitions cruelles et excessives97. Dans Révolutions de France et de Brabant, Camille Desmoulins blâma les magistrats pour avoir osé « condamner l’ignorant villageois aux galères perpétuelles » en raison de « discours contre la femme du Roi, crime qui lui est commun avec toute la France, avec toute l’Europe ». Desmoulins critiqua l’hypocrisie du Châtelet : ce dernier venait de libérer le journaliste réactionnaire François Suleau, lequel comptait parmi ceux qui « s’efforcent tous les jours, par des brochures criminelles, de soulever les provinces98 ».
47D’autres affaires de lèse-nation concernaient des attaques à la majesté de l’Assemblée nationale. En mars 1790, le maire de Paris, Jean-Sylvain Bailly, informa l’Assemblée qu’il avait empêché le tirage de certains numéros de Sottises de la semaine contenant « quelques obscénités dégoûtantes, des injures atroces contre plusieurs des membres de l’Assemblée nationale, un appel des Parlements à l’insurrection99 ». L’affaire fut transmise au Châtelet le 17 mars. Interrogeant la fille de l’imprimeur deux jours plus tard, les autorités apprirent que les auteurs étaient Antoine Jean Mathieu Séguier, ancien avocat au Parlement de Paris, son fils Armand Louis Maurice et André Rolland100. Le temps que le Châtelet entreprenne des poursuites, deux d’entre eux avaient fui en Italie tandis que le troisième avait trouvé une cachette à Paris. Le tribunal ne poussa pas l’affaire plus loin, mais ne relaxa pas les prévenus101.
48Le Châtelet ne mena pas la plupart de ces affaires à leur terme. Bloqué par de nombreux obstacles politiques et pratiques, le tribunal ne refermait pourtant pas les dossiers et laissait les suspects dans les limbes judiciaires, ni acquittés ni condamnés. Aussi ces derniers avaient-ils le temps de mobiliser le public en leur faveur. Les magistrats, conscients que les jours du Châtelet étaient comptés, agissaient souvent avec timidité ou ne faisaient rien, surtout si les suspects se révélaient être des journalistes ou des hommes publics importants. Ce fut le cas de l’action intentée contre Stanislas Fréron, représentant de la commune de Paris et journaliste secret de L’Orateur du peuple. L’affaire commença lorsque la commune s’indigna d’une déclaration publiée dans le numéro du 1er juin : « Je vous l’ai dit : l’aristocratie amasse sur vos têtes des trésors de vengeances. » Le journal annonçait également que le « comité autrichien » de la Cour préparait la fuite du roi hors de France102.
49Excédé par ces abus de la liberté de la presse, le procureur de Paris jura de les poursuivre, s’en prenant d’abord à L’Orateur du peuple103. Après avoir interrogé les imprimeurs du journal le 9 juin, il ordonna l’arrestation de Marcel Enfantin, le supposé journaliste signant « Martel ». Enfantin avoua qu’il était le prête-nom de Fréron104. Tandis que d’autres témoignages corroboraient cet aveu, le district des Cordeliers intervint pour dénoncer le despotisme de la commune. L’affaire risquait désormais de se transformer en bourbier politique. Le procureur s’en débarrassa : il la transmit au Châtelet comme cas de lèse-nation. Enhardi par le soutien du public et l’hésitation des autorités, Fréron reconnut sa participation à L’Orateur du peuple dans une déclaration publique où il fustigeait aussi le Châtelet, l’accusant de réprimer les journalistes patriotes et de ne pas respecter la liberté de la presse105. Déjà impopulaire à cause d’autres affaires de lèsenation, le Châtelet décida de relâcher Enfantin et les imprimeurs, mais ne referma pas le dossier, pas plus qu’il n’arrêta Fréron.
50Plusieurs affaires eurent trait à la question des subsistances. Louis-Joseph Noël, James Rutledge et Julien Poulain-Delaunay furent tous trois accusés d’exploiter ce problème pour calomnier les autorités. Noël fut arrêté le 26 octobre 1789 car il avait lu à haute voix des pamphlets incendiaires dans des cafés, en particulier Le patriote véridique ou vous n’aurez pas de pain (les émeutes liées à la disette s’étaient produites peu auparavant). Comme les témoignages avaient été recueillis de manière secrète, en violation de la nouvelle procédure judiciaire, le dossier fut déclaré irrecevable puis rouvert à la mi-novembre. Toujours en prison début décembre, Noël demanda sa libération pour raisons de santé. Il finit par être relâché, et l’affaire en resta là. Noël ne fut pas acquitté, et son dossier figura parmi ceux transférés à la Haute Cour provisoire au printemps 1791.
51Le Châtelet finit également par relâcher le chevalier James Rutledge. D’origine irlandaise, Rutledge était avocat et pamphlétaire à Paris au début de la Révolution. Il fut lui aussi accusé exploiter la crise des subsistances pour diffamer des officiels, et son affaire suscita une vaste controverse dans la capitale. Rutledge affirma que le maître des requêtes de Necker, Antoine Nicolas Valdec de Lessart, lui avait demandé d’offrir aux boulangers parisiens des subventions venant de l’administration, afin d’abaisser le prix du pain. Au même moment, la commune de Paris proposait des prêts aux boulangers. Les subventions étant plus intéressantes que les prêts, Rutledge encourageait les boulangers à accepter l’offre de Necker et à refuser la proposition de la commune. Celle-ci s’indigna que la monarchie s’immisce dans les affaires locales, mais Necker nia l’allégation106. Évidemment, Rutledge se mit à dénigrer Necker. La commune dénonça le pamphlétaire au Châtelet, qui l’accusa à son tour d’avoir gêné l’approvisionnement en pain de la capitale et tenu des propos incendiaires. Le district des Cordeliers et le journaliste Camille Desmoulins prirent sa défense. (Ils avaient déjà des comptes personnels à régler avec Necker.) L’affaire traîna pendant des mois, ce qui fournit des arguments aux patriotes. Enhardi par un tel soutien, Rutledge persévéra dans sa campagne contre Necker une bonne partie de l’année 1790, le dénonçant à l’Assemblée nationale107. Il lança un journal radical, Le Creuset, en 1791, et publia quantité de pamphlets incendiaires et obscènes. Il fut arrêté avec les hébertistes en 1794 et mourut en prison.
52Pendant que l’affaire Rutledge semait la division dans la vie politique de la capitale, Julien Poulain-Delaunay provoquait des remous à Rennes. Les édiles municipaux accusèrent ce prêtre d’avoir déformé le souhait des corporations locales dans une adresse à l’Assemblée nationale qui fit l’objet d’une publication. Pierre Charles Girard, le complice de Delaunay, persuada les chefs de plusieurs guildes de signer la déclaration sans leur révéler son contenu complet, incendiaire – c’est du moins ce que certains d’entre eux déclarèrent dans leurs dépositions. Croyant qu’il s’agissait d’une simple invitation à s’occuper du problème des subsistances, les chefs de guildes furent très étonnés d’apprendre que le texte accusait les administrateurs locaux d’accaparement des grains et dénonçait la politique économique libérale de l’Assemblée nationale. Dans la déclaration, Delaunay affirmait que, même s’il était difficile de se procurer des vivres avant la Révolution, l’Église s’était au moins montrée capable d’aider les pauvres. Avec la libéralisation du commerce des grains et la saisie des biens du clergé, les pauvres ne recevaient plus cette aide. La dernière partie du texte scandalisa particulièrement les autorités, laquelle déclarait que les corporations « vous protestent que si vous ne vous en occupez pas au plus vite, vous verrez des ruisseaux de sang couler de tous côtés et serez peut-être vous-mêmes les premières victimes des fléaux dont vous nous avez trop longtemps accablés108 ». Comme le souligna Delaunay pendant son interrogatoire, la phrase pouvait passer pour une mise en garde sincère, non pour une menace. Néanmoins, le ton comminatoire incita plusieurs chefs de guildes à retirer leurs signatures. Les autorités tinrent Girard, Delaunay et l’imprimeur pour responsables. Girard et l’imprimeur finirent par être libérés, mais Delaunay fut accusé de lèse-nation : les édiles concédèrent que tous les citoyens avaient le droit d’exprimer leurs demandes et de rechercher l’aide des autorités, mais qu’ils avaient tort s’ils pensaient « y trouver un titre pour justifier des délations secrètes, pour imputer sans preuve aux dépositaires de la confiance publique, des faits capables d’aliéner d’eux le cœur et l’estime et l’affection de leurs concitoyens, et de les priver de la considération publique dont ils ont besoin pour exercer leurs fonctions avec succès109 ».
53L’affaire Delaunay traîna pendant presque deux mois avant que les édiles municipaux la transmettent au Châtelet. Lors d’une audience publique à Paris en mars, Delaunay saisit l’occasion de démentir la rumeur d’un lien de parenté avec l’ancien gouverneur de la Bastille, dont il partageait le nom110. Il craignait que la rumeur n’influence le jugement du tribunal. Sans aucun doute, il craignait aussi de connaître le même sort que le gouverneur, dont la tête avait fini au bout d’une pique le 14 juillet. Il sollicita ensuite la permission de lire un poème patriote qu’il avait écrit en 1788 contre le despotisme du gouvernement et les horreurs de la Bastille. Ayant accordé à Delaunay cet étalage de références patriotiques, les magistrats entreprirent l’interrogatoire du prêtre. Ils lui demandèrent pourquoi il avait écrit une brochure qui dénaturait les sentiments des corporations et jetait le soupçon sur l’intégrité des édiles municipaux. Delaunay répondit qu’il s’était borné à transcrire les plaintes que lui avait rapportées Girard, que les remarques contenues dans l’adresse étaient souvent faites par le public et qu’il avait seulement critiqué le refus des édiles d’enquêter sur les réserves sans les accuser d’accaparement eux-mêmes. Lorsque les juges le tancèrent de diffuser des opinions nuisibles à la paix publique, Delaunay rétorqua que la liberté d’expression n’avait pas de sens si les citoyens ne pouvaient pas se plaindre de leur condition. L’affaire se prolongea par les interrogatoires de Girard début mai, mais le Châtelet l’abandonna peu après111. Néanmoins, Delaunay ne fut pas acquitté.
54L’affaire de lèse-nation qui contribua le plus à opposer le public au Châtelet concernait Marat et Danton. Ayant reçu plusieurs dénonciations relatives à Marat durant l’automne et l’hiver 1789-1790, le Châtelet essaya, sans succès, d’arrêter celui-ci la nuit du 9 au 10 janvier (Marat regarda les bataillons de la Garde nationale arriver pour l’appréhender depuis la fenêtre d’une demeure voisine et raconta l’épisode dans le numéro suivant de sa feuille)112. Les jours suivants, de nouvelles dénonciations contre le journaliste affluèrent113. Le 15 janvier, un magistrat du Châtelet, André-Jean Boucher d’Argis, se présenta devant la commune et, dans un discours long de deux heures, détailla les calomnies de Marat. La commune lança un nouveau mandat contre le journaliste, arguant d’une compatibilité totale entre ses actions et le principe de la liberté de la presse : son arrêté expliquait que « la liberté salutaire de la presse n’est pas le droit dangereux de calomnier impunément ; que, chez le peuple jusqu’à présent le plus libre de l’Europe, en Angleterre, les auteurs ou les imprimeurs sont responsables des ouvrages qu’ils répandent dans le public ; que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, décrétée par l’Assemblée Nationale, est bien loin d’autoriser les écrits qui ne respirent que la sédition, la révolte et la calomnie114 ».
55Le district des Cordeliers, où habitait Marat, contrecarra les efforts de la municipalité pour arrêter le journaliste. Danton, président du district, déclara que les mandats étaient invalides car ils spécifiaient contre Marat des accusations antérieures au 8 octobre 1789, date à laquelle l’Assemblée nationale avait décrété qu’elle allait modifier la jurisprudence criminelle, annulant toutes les affaires plus anciennes115. Les Cordeliers prirent un arrêté qui exigeait que tous les ordres d’arrestation concernant des citoyens du district fussent approuvés avant exécution par le visa de « commissaires conservateurs de la liberté116 ». Ils envoyèrent aussi une délégation à l’Assemblée nationale pour protester contre les mesures adoptées par le Châtelet et la commune, mais les députés refusèrent de la recevoir et déclarèrent que l’arrêté du district au sujet du visa était illégal117. Enfin, lorsque Danton menaça le bailli lors d’une réunion du district, le Châtelet affirma qu’il s’agissait d’une entrave à la justice et accusa également Danton.
56Comme la plupart des affaires de lèse-nation que devait traiter le Châtelet, celles de Marat et de Danton demeurèrent en attente. Pour des raisons obscures, le mandat d’arrêt contre Danton fut cependant réactivé en mars118. Les Cordeliers lancèrent aussitôt une campagne de protestation contre le Châtelet, diffusant une adresse et une pétition auprès des autres districts parisiens. La majorité d’entre eux apportèrent leur soutien : ils estimèrent aussi scandaleux qu’illégal de poursuivre quelqu’un pour des propos tenus lors d’une assemblée politique (la loi l’interdisait bel et bien)119. Mais certains se gardèrent de prendre position tant qu’ils n’en sauraient pas davantage. Le district de Sainte-Marguerite fut l’un des rares à se ranger au côté du Châtelet. Ses membres rappelèrent aux Cordeliers que le Châtelet avait une double compétence. Par conséquent, même si la loi positive ne l’autorisait pas à arrêter Danton pour des déclarations faites pendant une séance de l’assemblée, la compétence du tribunal en matière de lèse-nation supplantait ces restrictions120.
57L’affaire Danton mina le peu de légitimité qu’avait encore le Châtelet. La loi Malouet sur la presse du 31 juillet 1790 fut abrogée début août ; dès lors, le tribunal cessa de traiter les affaires de lèse-nation relatives à des paroles. Il perdit sa compétence en octobre, mais les affaires restèrent inscrites à son registre. En avril 1791, alors que la nouvelle Haute Cour provisoire s’installait à Orléans, son procureur écrivit au ministre de l’Intérieur, de Lessart, pour demander des instructions sur le statut de ces affaires et une définition rudimentaire de la lèse-nation121. « Il ne m’appartient point de vous donner la définition exacte des crimes de lèze-nation : c’est à l’Assemblée nationale seule à en déterminer les espèces122 », répondit le ministre. Dans une lettre ultérieure, il affirma que « si l’Assemblée nationale eut pu s’occuper de cet objet, le Châtelet se fut trouvé dans des circonstances moins difficiles et moins embarrassantes123 ». Presque au même moment, de Lessart présenta à l’Assemblée un rapport sur le statut des vingt-trois cas de lèse-nation non résolus. Un grand nombre d’affaires étaient de nature verbale, et il conseillait à l’Assemblée de les abandonner. « Je craindrais, je l’avoue, que ces poursuites devant la Haute Cour provisoire pour des délits qui ne ressemblent pas à des crimes de lèze-nation, ne contribuassent à diminuer l’horreur que ce crime doit inspirer124. »
58L’Assemblée nationale fut d’accord. Toutes les affaires furent classées, à l’exception d’une. Le dossier qui resta ouvert concernait Trouard de Riolle.
59Le 13 juillet 1790, Trouard avait été appréhendé près de Lyon, en route vers l’Italie, chargé de tracts anti-révolutionnaires et de rapports de surveillance sur l’opinion publique125. Ceux-ci contenaient des codes secrets renvoyant à des personnages de la Cour royale et de l’Assemblée nationale. En septembre, l’affaire fut confiée au Châtelet. Le procureur estima qu’un complot contre-révolutionnaire se préparait assurément126. Il sembla que le comte de Mirabeau allait être compromis, car quand on arrêta Trouard, on saisit sur lui une lettre attribuée à Mirabeau. Mais on saisit aussi une deuxième pièce, « trouvée, dit le rapporteur, dans l’endroit où on aurait dû le moins la chercher », dans laquelle Trouard écrivait que « Mirabeau l’aîné est un scélérat prêt à se vendre à tous les partis127 ». Mirabeau s’en servit pour prouver qu’il n’était pas impliqué dans le complot.
60Les pièces réunies dans cette affaire nous instruisent peu sur la surveillance secrète et les réseaux de propagande contre-révolutionnaires. Néanmoins, dans son Histoire de la Révolution publiée dix ans plus tard, le contre-révolutionnaire (et fier de l’être) Bertrand de Molleville, ministre de la Marine en 1792, décrivit cette affaire – ou une autre qui lui ressemblait – avec force détails. Il affirma que de Lessart et Alexandre de Lameth étaient très impliqués128. Il est plausible que Trouard faisait à l’origine partie de ce réseau, s’était brouillé avec ses supérieurs et avait commencé à travailler pour les contre-révolutionnaires français actifs à Turin. Quoi qu’il en soit, personne ne se présenta pour le défendre.
61Livré à lui-même, Trouard, ainsi que sa famille, écrivit maintes fois à l’Assemblée nationale en demandant sa libération. Les lettres révèlent les diverses stratégies que les accusés de lèse-nation adoptaient quand ils essayaient de convaincre les autorités de les relâcher. Dans certains courriers, il se lamentait de sa santé fragile et se dépeignait comme un père vertueux qui devait s’occuper des siens129. Dans d’autres, il affirmait, plus audacieusement, que la Déclaration des droits de l’homme l’autorisait à diffuser les opinions qui lui plaisaient130. Aucune des deux argumentations n’ébranla les autorités131.
62À cause des retards dans l’installation de la Haute Cour provisoire, Trouard demeura des mois en prison. En mai 1791, son fils se plaignit à l’Assemblée nationale que son père était injustement détenu sans procès depuis presque un an132. Au mois d’août, la Haute Cour l’acquitta. La Gazette des nouveaux tribunaux fêta la décision, rapporta que les gens l’avaient applaudie, mais sans expliquer la raison d’une telle joie133. Les radicaux étaient furieux car le jugement fut rendu pendant la « petite terreur », quand la presse patriote était assiégée, comme nous l’avons vu. Dans Le Patriote français, Brissot souligna l’hypocrisie qui régnait : tandis que la Haute Cour provisoire relâchait un homme surpris en possession de très nombreux pamphlets contre-révolutionnaires, on arrêtait des écrivains patriotes134. Fin août, lorsqu’il refit surface à la fin de la « petite terreur », Desmoulins critiqua le jugement avec encore plus de fermeté. Il affirma que la libération de Trouard représentait « mille fois l’avilissement de tous les pouvoirs constituants et constitués135 ».
63Entre octobre 1791, date à laquelle la Haute Cour provisoire cessa de fonctionner, et mi-mai 1792, lorsque fut établie à titre permanent la nouvelle Haute Cour nationale, l’Assemblée législative continua d’exercer son autorité de mise en cause, encombrant les prisons d’Orléans de détenus soupçonnés de crime de lèse-nation. En avril, elle accusa un groupe de contre-révolutionnaires lozériens d’avoir « violé le respect dû aux lois et aux autorités constituées ; insulté ouvertement la Nation, et conjuré contre la Constitution136 ». Jean-Arnaud Castellane, évêque de Mende, figurait parmi eux. Il fut arrêté pour avoir distribué des lettres pastorales incendiaires et orchestré la résistance locale à la Constitution civile du clergé. Un mois plus tard, les députés furent avisés de la mutinerie contre le général Dillon dans le Nord : dans l’affolement des manœuvres de retraite devant l’envahisseur autrichien, des cris de trahison s’étaient propagés au sein des troupes et Dillon fut assassiné. Comme nous l’avons vu, l’Assemblée législative poursuivit Marat et Royou pour crime de lèse-nation, leur reprochant d’avoir mis en péril l’unité des troupes par leurs messages respectivement radicaux et contre-révolutionnaires.
64Toujours en mai, l’Assemblée législative incrimina de lèse-nation Étienne de la Rivière, juge de paix à Paris, car il avait convoqué des membres du comité de surveillance pour les interroger. La Rivière soupçonnait le comité d’orchestrer une campagne de diffamation secrète contre la monarchie. Il commença son enquête en interrogeant le journaliste Jean-Louis Carra qui, dans un récent numéro des Annales patriotiques, avait accusé les ministres de la Marine et des Affaires étrangères de conspirer avec le « comité autrichien » à la Cour. Carra avoua que ses informations venaient de membres du comité de surveillance. Assignés pour interrogatoire par La Rivière, ceux-ci refusèrent de comparaître, affirmant qu’il ne respectait pas leur immunité parlementaire. La Rivière répliqua qu’il n’avait pas lancé de mandat d’arrestation, mais notifié une simple assignation pour interrogatoire, qui n’était pas couverte par l’immunité. Protégeant ses collègues du comité, Marguerite Élie Guadet convainquit les députés de combattre cette offense faite à leur inviolabilité. Fait étonnant, il reconnut que le comité s’était servi du journal de Carra pour répandre des accusations sans preuves contre les ministres royaux ; tactique nécessaire, prétendit-il, pour démasquer les vrais contre-révolutionnaires. Même si la conduite du comité constituait un crime (et il ne le pensait pas), seule l’Assemblée législative avait le droit d’accuser et d’arrêter des députés. En assignant les membres du comité pour interrogatoire, La Rivière avait violé la Constitution, qui criminalisait les atteintes à une autorité constituée, insista Guadet. Le 2 juin, l’Assemblée législative accusa La Rivière de lèse-nation. Il rejoignit bientôt les dizaines de prisonniers attendant leur procès à Orléans. Castellane et La Rivière furent parmi les détenus massacrés à Versailles en septembre.
65Dans les mois précédant le 10 août 1792, la monarchie constitutionnelle se désagrégea. Le système de contrepoids entre les pouvoirs législatif et exécutif, établi par la Constitution de 1791, avait dégénéré en un duel de justice politique opposant républicains et royalistes.
La Terreur
66Lorsque septembre 1792 arriva et que la Première République fut fondée, la majorité des forces conduisant la France vers la Terreur était en place. Les crimes de paroles avaient reçu une définition légale et le principe d’une justice extraordinaire était confirmé. Bien que la Haute Cour nationale eût été abolie en même temps que la monarchie, la Convention nationale était habilitée à juger les crimes politiques, compétence qu’elle exerça au cours du procès de Louis XVI avant de la conférer aux tribunaux révolutionnaires le 10 mars 1793. Enfin, la vengeance populaire s’était introduite dans la politique révolutionnaire, où elle s’alliait avec la justice. Les massacres de septembre à Paris, à Versailles et dans d’autres villes mirent les autorités dans l’obligation de choisir : il leur fallait soit excuser la vengeance populaire (au risque de l’encourager), soit la condamner (au risque de s’exposer à elle). Ce dilemme divisa les factions modérées et radicales du club des Jacobins, menant à l’exclusion de certains modérés, dont Roland et Brissot. Lorsqu’il institua le tribunal révolutionnaire au mois de mars 1793, Danton en résuma la logique pour les autres députés de la Convention nationale : « Soyons terribles pour dispenser le peuple de l’être137. »
67La machine légale et judiciaire de la Terreur fut établie durant le printemps, l’été et le début de l’automne 1793. Au cours de l’année suivante, des milliers de personnes furent arrêtées pour crimes de paroles à travers la France. Selon l’étude statistique de Donald Greer, neuf cent quatre-vingt-huit des deux mille six cent trente-neuf mises en accusation (37,5 %) prononcées par le tribunal révolutionnaire du département de la Seine (Paris) avaient trait à des discours et opinions138. La proportion de mises en accusation pour des crimes de paroles et d’opinion était presque aussi élevée dans les villes situées près des frontières du pays (37 %). Ailleurs, la proportion était plus basse, même si dans certains endroits où la guerre civile avait éclaté, comme la Vendée contre-révolutionnaire et les régions ravagées par les révoltes fédéralistes, les mises en accusation s’appuyaient sur les lois relatives à la sédition et à la trahison. Quoi qu’il en soit, ce fut à Paris, capitale et source bouillonnante du radicalisme, que la Terreur frappa le plus durement les discours. Comme le conclut Greer, « à Paris […], foyer du Jacobinisme le plus pur, on était sans pitié pour l’hérésie politique139 ».
68Mais le fanatisme idéologique suffit-il à expliquer les forces qui concoururent au traitement brutal des discours sous la Terreur ? Certaines poursuites pour des délits de paroles semblent bel et bien n’avoir été inspirées que par une volonté fanatique d’imposer l’orthodoxie jacobine. Prenons par exemple le cas du malheureux Gaspard Magnin. En juin 1794, des témoins l’entendirent tenir des « propos contre-révolutionnaires et injurieux à l’être suprême » pendant une fête en l’honneur de celui-ci. Se moquant des inscriptions placées autour de l’autel de la patrie, au lieu des mots « Il préside à notre bonheur », Magnin s’était permis de dire : « Il préside à notre perte140. » L’homme eut de la chance : Robespierre tomba avant son procès. Néanmoins, il resta en prison jusqu’à son acquittement par le tribunal révolutionnaire au mois de novembre.
69La majorité des affaires était plus complexe. Celle de Rémi Martin, vigneron près de Beauvais, montre comment les lois sur les crimes de paroles servaient de prétextes pour régler des comptes sans lien avec le dossier. Martin fut arrêté le 7 avril 1793 pour « propos contre-révolutionnaires », mais l’affaire remontait à la fin de l’été 1792. Des individus « sans aucune propriété riveraine » accusèrent Martin de s’arroger une terre appartenant à la commune141. Le litige fut porté devant les tribunaux, et il semblait probable que Martin aurait gain de cause, puisque la commune ne pouvait pas prouver qu’il s’agissait d’un terrain communal et qu’un jugement plus ancien, énoncé par un juge de paix, avait tranché en faveur du vigneron. Mais, renforçant leur argumentation, les adversaires de Martin lui prêtèrent des propos contrerévolutionnaires. Il aurait dit qu’il « torchait son derrière du District et des Municipalités et des écharpes et de la Convention nationale et que c’étaient tous coquins142 ». Les administrateurs du district estimèrent que ces propos étaient « des plus séditieux et attentatoires à la sûreté des représentants du peuple et des autorités constituées ». L’un des défenseurs de Martin écrivit aux magistrats départementaux dans l’espoir de les convaincre d’annuler les accusations « calomnieuses » du district : « L’honnête homme peut se mettre à l’abri de la médisance, mais il ne peut, quelle que soit sa conduite, se mettre à couvert de l’imposture et de la calomnie, surtout lorsque la vengeance en distille les poisons143. » Même le comité de salut public du district considéra que l’affaire était montée en épingle. Dans une lettre au procureur, le comité soutint que « les propos pour lesquels il a été dénoncés sont insignifiants […] et ne paraissent point faire suite d’une conversation suivie qui aurait eu pour objet de séduire et d’amener ses concitoyens à son opinion, mais ils paraissent plutôt avoir été proférés dans un moment de colère144 ». Le procureur resta pourtant inébranlable. Dans la marge de la lettre du comité, il réfuta l’argument : « Quoique les propos tenus par des malveillants n’ayent pas atteint le but auquel ils tendaient, ils n’en sont pas moins coupables et c’est le cas de leur appliquer toute la sévérité de la Loi. »
70L’affaire fut transmise au tribunal révolutionnaire en juillet et Martin condamné fin octobre, à peu près au moment de l’exécution des Girondins. Le tribunal n’eut pas besoin de la récente Loi des suspects, votée en septembre, pour justifier la condamnation. Le Code pénal de 1791 y suffisait, tout particulièrement la section figurant sous le titre « Crimes et attentats contre la chose publique145 ». La section traitait surtout de l’intelligence avec les puissances ennemies, mais elle englobait les actions tendant « à ébranler la fidélité des officiers, soldats, et des autres citoyens envers la nation française ». Le tribunal cita aussi les dispositions Thouret incluses dans la Constitution de 1791 et la loi du 4 décembre 1792, relative aux propositions pour rétablir la royauté. Selon le jugement publié, Martin fut condamné pour « propos tendant à provoquer l’avilissement et la dissolution de la représentation nationale, l’avilissement des autorités constituées et qui annoncent le désir qu’a ledit Martin de voir renaître l’ancien régime ».
71Martin semble avoir été victime de conflits locaux sur des questions de propriété. Un retour à la monarchie ne lui aurait sans doute pas déplu, mais rien ne prouve qu’il conspira activement dans ce sens. Aux yeux du tribunal, ses intentions (son désir de « voir renaître l’ancien régime ») constituaient un motif de condamnation suffisant. Néanmoins, les intentions avaient un caractère ambivalent en justice. Elles pouvaient également être citées pour justifier un acquittement. L’évaluation par le tribunal des intentions de Lathélise et d’Amaury, auteur et imprimeur de pamphlets virulents contre Marat et Robespierre, sauva les deux hommes, accusés de « calomnier dans toutes les occasions et la révolution et ses défenseurs » et « d’insulter à la représentation nationale par les propos les plus injurieux146 ». Le tribunal les considéra bel et bien coupables d’avoir produit et distribué des écrits « tendant à l’avilissement de la représentation nationale et des autorités constituées ». Les preuves étaient incontestables. Mais Lathélise et Amaury avaient-ils agi « sciemment et avec des intentions criminelles et contrerévolutionnaires » ? Le tribunal conclut que « non147 ». Grâce à la chance (et peut-être à des relations influentes), ils furent libérés en février 1794.
72Beaucoup d’individus soupçonnés de crimes de paroles étaient de simples mécontents privés de leur poste, de leurs titres ou de leurs biens par la Révolution. Pierre Claude Janson, soldat de l’armée républicaine, fut « prévenu de propos contre-révolutionnaires, d’avilissement de la représentation nationale et des autorités constituées, et de provocation au rétablissement de la royauté148 ». On l’accusa d’avoir dit, dans la période de l’exécution de Marie-Antoinette, « que la Convention était un tas de gueux et la Reine une brave femme ». Il se plaignit que la République, ayant détruit le théâtre de ses parents lors des brutales représailles contre la ville fédéraliste de Lyon, « s’était emparée de sa fortune ». Quand l’un de ses camarades soldats, désapprobateur, lui opposa qu’on « était assez riche quand on se battait pour la défense de la patrie », Janson rétorqua que la République « s’emparait de tout et ne rendait rien ». La République s’empara de sa vie le 4 brumaire an II.
73Comme Janson, Gabriel Charles Doyen fut bouleversé par la mise à mort de la reine, et ce pour de bonnes raisons : il avait été son cuisinier personnel et se trouvait désormais sans emploi. Pendant quelque temps après l’abolition de la monarchie, la Convention nationale maintint les pensions des serviteurs de la Cour. Au printemps 1794, après plusieurs mois passés sans indemnités, Doyen annonça qu’il irait voir Robespierre et Saint-Just afin d’exiger son rappel de salaire, puis rejoindrait les émigrés. Il fut exécuté début juin pour « des propos tendant à l’avilissement des autorités constituées, à l’anéantissement de la république et au rétablissement du despotisme149 ».
74Les questions d’insultes, de calomnie et d’honneur étaient souvent présentes dans les affaires durant la Terreur. Ainsi, fin janvier 1794, Claude Valentin Millin de La Brosse fut arrêté pour propos contre-révolutionnaires. Tout commença dans un café près de la Seine. La Brosse demanda à un autre client, Jacques Germain Joly Braquehaye (employé de l’administration départementale), s’il pouvait lui emprunter le Moniteur pour lire un article sur Constantinople150. Apprenant que les Ottomans soutenaient la France révolutionnaire, il exprima sa consternation. Joly fit remarquer que La Brosse devait être un « mauvais citoyen » pour s’affliger que la France eût un allié. Il y eut échange d’insultes, et un policier en civil de la section avertit La Brosse que ses paroles risquaient de lui causer des ennuis. Furieux, La Brosse provoqua Joly en duel. Plus tard, les enquêteurs conclurent que Joly avait repoussé le défi, mais La Brosse affirma qu’il l’avait au contraire relevé et lui avait indiqué son adresse. Quoi qu’il en soit, La Brosse se présenta chez Joly le lendemain matin à huit heures et lui donna rendez-vous à onze heures au Luxembourg pour le duel. Joly accepta. À peine La Brosse s’en alla-t-il que la police l’appréhenda.
75La Brosse passa plusieurs mois en prison, où il semble s’être aliéné les autres détenus, attaquant l’un d’eux. Comme de nombreux suspects arrêtés fin 1793 et début 1794, il dut attendre son procès jusqu’en juin 1794. Pendant l’interrogatoire, il expliqua qu’il avait provoqué Joly en duel seulement après que ce dernier lui avait lancé « des F[outre] des B[ougre] et quantité d’autres expressions injurieuses151 » (il reconnut avoir lui-même proféré un « foutre », mais pas de « bougre »). Les interrogateurs rappelèrent à La Brosse que des insultes ne justifiaient pas de mettre en péril la vie d’un patriote ; et s’il croyait que Joly n’était pas un vrai patriote, il aurait dû le dénoncer. La Brosse s’appuya sur l’honneur avec une certaine éloquence : il affirma, rapporte le procès-verbal, « que les Lois de l’honneur auxquelles il ne tient pas avec fanatisme, mais qu’il connaît cependant en sa qualité d’ancien militaire ne sont pas encore détruites dans l’opinion des hommes ». Les interrogateurs soulignèrent le danger qui existait à répandre du sang patriote à une période où le pays en avait besoin pour sa défense. La Brosse répliqua : « S’il est important que les patriotes ménagent mutuellement leur sang, il ne l’est pas moins aussi qu’ils n’abandonnent pas légèrement leur honneur. » De toute évidence, La Brosse pensait à l’honneur noble, individuel. Or le tribunal révolutionnaire plaçait l’honneur de la nation au-dessus. Citant la loi du 4 décembre 1792, il conclut que La Brosse avait « méchamment et à dessein tenu des propos et discours tendant à provoquer la dissolution et l’anéantissement du gouvernement républicain et le rétablissement de la royauté en menaçant, insultant, outrageant et voulant attenter par le duel ou à coups de couteau à la vie des patriotes152 ».
76Les luttes d’honneur empoisonnèrent la politique de l’an II. Elles occupent de nombreuses pages dans les mémoires de Jacques Ménétra, le maître verrier parisien et sans-culotte actif que nous avons rencontré dans un précédent chapitre. Son Journal de ma vie désormais publié ne contient que des éléments sommaires sur cette période de la Révolution ; ses différents écrits non publiés offrent, quant à eux, un tableau plus complet. Les titres qu’il donna aux passages consacrés à la Terreur révèlent son obsession de la calomnie et de l’honneur : « Ma réponse contre les invectives faites par l’homme le plus inepte et le plus intolérant Le plus méprisable de tous les hommes L’intriguant Duplessis grand cabaleur fort dénonciateur et vil jongleur et le plus plat des êtres Je méprise la médisance et abhorre la calomnie » (il n’y a pas de ponctuation dans ses textes153). L’intitulé de la partie suivante dénote la tendance, déjà soulignée dans la présente étude, à unir honneur individuel et honneur de la collectivité afin de justifier la vengeance : « Ma réponse faite à mes dénonciateurs L’homme probe n’a point de venin il oublie la calomnie et fait le bien Mes ennemis furent ceux de la République et les faits que je vais tracer feront voir jusqu’à l’évidence la médisance de mes vils calomniateurs154. »
77Le journal de Ménétra révèle comment des jalousies mesquines et des offenses à l’honneur pouvaient dégénérer en vengeances politisées pendant la Terreur. Au cours de ces années, cet artisan occupa divers postes à responsabilité dans sa section. Un jour, il fut chargé de rassembler des gardes pour protéger du pillage les greniers voisins. Quand les gardes placés sous ses ordres se plaignirent de l’absence de l’un de ses amis, Duplessis, Ménétra partit à sa recherche. Il le trouva dans un café, mais l’homme refusa de l’aider et se mit à l’insulter. Ménétra l’entraîna de force hors du café. Sans qu’il le sût, les autres gardes l’avaient suivi et avaient assisté à l’incident. Humilié, Duplessis commença à conspirer la mort de Ménétra. Avec le concours de l’écrivain Isidore Langlois en particulier, il répandit des « sarcasmes » et de « mauvais propos » contre Ménétra et tâcha de le faire arrêter comme suspect155. Langlois le diffama dans l’une de ses publications. Ménétra affirme que cette campagne calomnieuse faillit lui coûter la vie. Robespierriste, il eut de bonnes raisons de s’inquiéter après la chute de « l’Incorruptible », quand ses ennemis Duplessis et Langlois prirent le dessus dans la politique locale (ils seraient pourchassés à leur tour après l’écrasement du mouvement réactionnaire à l’automne 1795). Ménétra échappa néanmoins à ce danger et put apporter son témoignage.
78À la lecture du récit de Ménétra, on sent que les luttes politiques locales pendant la Terreur relevaient moins d’engagements idéologiques que d’une culture de l’honneur et de la calomnie tombée dans l’outrance. Le terme « calomnie » apparaît sans cesse, de même que des mots tels que « indignités », « insolence », « mépris » et « vengeance156 ». Rien dans ces passages ne concerne des principes politiques abstraits, excepté l’honneur de la nation et de la République. Même les ennemis de Ménétra qui devinrent réactionnaires après Thermidor semblent avoir agi de cette manière pour des raisons tactiques plutôt qu’idéologiques.
79Toutefois, les idées pouvaient avoir de l’importance dans les affaires concernant les élites, au premier chef les écrivains, comme le découvrit François Alexandre Suremain. Il fut condamné pour son manuscrit intitulé « Réflexions sur la nouvelle constitution donnée à la France par la Convention nationale », qui réfutait, article par article, la nouvelle Déclaration des droits de l’homme et du citoyen157. À l’origine, Suremain fut cependant arrêté pour des motifs tout autres. Comme de nombreuses affaires de discours durant la Terreur, la sienne résulta de jalousies locales. Suremain était un ancien noble et un édile municipal. Au cours d’une campagne électorale, un adversaire, le sieur Descamps, essaya de remettre en cause sa crédibilité en insistant sur les liens de sa famille avec les émigrés. Plusieurs parents de Suremain, dont son frère, avaient effectivement quitté la France, ce qui compromettait certaines propriétés de la famille, ciblées par la loi autorisant la confiscation des biens des émigrés. Suremain remporta néanmoins l’élection et Descamps se retrouva dans l’administration départementale, où il semble avoir comploté la ruine de Suremain. Lorsque le représentant de la Convention nationale arriva en mission dans la région, le département l’informa des relations royalistes de Suremain. Il n’y eut pas de mandat d’arrêt immédiat, mais les rumeurs sur l’arrestation qui le menaçait poussèrent la municipalité effrayée à lui ôter ses fonctions. Suremain fut d’abord mis en prison, puis assigné à résidence chez lui après qu’un médecin eut certifié sa mauvaise santé. L’affaire stagna pendant des mois, durant lesquels les partisans de Suremain, y compris d’autres responsables municipaux, écrivirent en son nom. Lorsque la Loi des suspects fut votée en septembre, le département relança l’affaire. Suremain retourna en prison et ses papiers furent saisis. Parmi eux, la police découvrit son opuscule sur l’Acte constitutionnel de 1793. Même s’il ne l’avait pas publié, Suremain ne nia pas qu’il avait eu l’intention de le faire paraître.
80L’affaire ne fut présentée devant le tribunal révolutionnaire qu’au mois de mai 1794, au plus fort de la Terreur. Dans son jugement long de plusieurs pages, le tribunal réfuta ligne par ligne l’opuscule de Suremain158. Les magistrats déclarèrent que ses assertions étaient « un tissu de calomnies » contre la Constitution et les autorités. Ils insistèrent sur les passages où Suremain critiquait l’objectif de la Constitution consistant à apporter « le bonheur commun » et « l’égalité ». L’ancien noble avait soutenu que le gouvernement devait s’en tenir à protéger la recherche du seul bonheur individuel, et il rejetait catégoriquement l’idée d’égalité et la redistribution des richesses. « Penser que l’inégalité des fortunes soit un désordre et proposer de la détruire ne pouvait rentrer dans le sophisme que j’ai déjà combattu de l’égalité des hommes par la nature. » Par ailleurs, le fait que la quasi-totalité des puissances européennes étaient en guerre contre la France prouvait, selon lui, la folie des révolutionnaires. « Pouvez-vous penser que le salut du peuple soit le but des opérations monstrueuses qui vous ont attiré tant de calamités ? »
81Le tribunal révolutionnaire conclut que Suremain s’était, dans son opuscule, proposé le but « d’inspirer au lecteur des sentiments de haine pour le gouvernement républicain en critiquant tous les travaux de la Convention et en calomniant les plus zélés défenseurs des droits du peuple ». Ainsi, une affaire née de rivalités personnelles et de la question des biens des émigrés donna au tribunal révolutionnaire, grâce au manuscrit de Suremain, l’occasion d’affirmer les principes de la Révolution et la nécessité de mettre en place des limites à la liberté d’expression.
82Il y a un point sur lequel Suremain et les révolutionnaires étaient d’accord. Vers le début de son manuscrit, il spéculait : « Ce système n’eut sans doute pas prévalu si la Convention nationale avant de travailler à l’Acte constitutionnel, s’occupant de l’instruction publique, eut disposé les Français à jouir du bonheur qu’elle prétendait leur préparer en établissant des principes de morale pour bases de sa politique159. » Beaucoup de dirigeants partageaient ce souci de l’instruction morale. Ils reconnaissaient la nature désastreuse des forces punitives qui dévoraient la politique révolutionnaire, et quand ils n’exploitaient pas ces forces (souvent de façon préventive) ou ne les canalisaient dans des institutions judiciaires (pour affirmer que l’État avait l’exclusivité de la violence punitive), ils cherchaient à les atténuer par des campagnes « d’esprit public ». Ils espéraient qu’une meilleure morale civique les dispenserait de punir les délits de paroles en empêchant ceux-ci de se produire. Pour eux, la régénération était l’antidote à la terreur.
Notes de bas de page
1 AN C 170, no 419 ; AN BB3, carton 19, « Arrêté du conseil du département du Loiret ».
2 Paul Huot, Les massacres à Versailles en 1792 : Éclaircissements historiques et documents nouveaux, Paris, Challamel aîné, 1869, p. 12-13. Voir aussi l’introduction de Claude Fournier l’Héritier, Mémoires secrets de Fournier l’Américain, publiés pour la première fois d’après le manuscrit des Archives nationales, avec introduction et notes, par F.-A. Aulard, Paris, Société de l’histoire de la Révolution française, 1890.
3 Moniteur, tome 13, no 238, 25 août 1792, p. 518, et 26 août 1792, p. 527. [Louis] Mortimer-Ternaux, Histoire de la Terreur, Paris, Lévy Frères, 1869, tome 3, p. 360-400.
4 AN BB3, carton 19 (5), « Loi du 25 août 1792 ».
5 Huot, Les massacres à Versailles en 1792, p. 13 ; J.-B. Duvergier (éd.), Collection complète des lois, décrets, ordonnances, règlements, Paris, Guyot et Scribe, 1834-1949, tome 4, p. 362.
6 M. Roussel, « La Haute Cour nationale à Orléans, 1791-1792 », dans Le Droit : Journal des tribunaux, 13 novembre 1901, p. 1017-1018.
7 À l’origine, le décret fut proposé par Armand Gensonné, Moniteur, tome 13, no 240, 27 août 1792, p. 533.
8 Mortimer-Ternaux, Histoire de la Terreur, tome 3, p. 358-360.
9 Huot, Les Massacres à Versailles en 1792, p. 15. Pour des preuves à l’appui, voir AN BB3, carton 19 (5), Rapport de Léonard Bourdon et Prosper Dubail, commissaires envoyés par le pouvoir exécutif auprès de la Haute Cour nationale à Orléans, Paris, Imprimerie nationale exécutive du Louvre, [10 septembre] 1792, en particulier p. 13.
10 Huot, Les Massacres à Versailles en 1792, p. 29.
11 Mortimer-Ternaux, Histoire de la terreur, tome 3, p. 360-361 ; Huot, Les Massacres à Versailles en 1792, p. 7-11.
12 Albert Soboul (éd.), Dictionnaire historique de la Révolution française, Paris, Presses universitaires de France, 1989, p. 943.
13 Société des Jacobins, tome 4, p. 255.
14 AP, tome 49, p. 277.
15 Henri Carré, La fin des parlements (1788-1790), Paris, Hachette, 1912, en particulier p. 165-199; Hugh Gough, The Newspaper Press in the French Revolution, Chicago, Dorsey Press, 1988, p. 49.
16 Pour des exemples, voir AN D XXIXbis, carton 3, dossier 38, document 9, « Adresse des libraires et imprimeurs de Nantes protestant, au nom de la liberté d’écrire, contre une ordonnance du siège de police de cette ville qui les soumet à sa juridiction », et carton 11, dossier 115, document 2, « Lettre du garde des Sceaux réclamant une réponse du comité des recherches au sujet de la saisie d’un ballot contenant des exemplaires d’une brochure hostile à l’Assemblée nationale ».
17 PV, tome 2, no 46.
18 Moniteur, tome 4, no 155, 4 juin 1790. Le décret fut pris le 2 juin. Voir aussi le décret du 16 août 1790, Duvergier, Collection complète des lois, tome 1, p. 327-333.
19 Pour un exemple de la manière dont les autorités locales citaient ces décrets, voir AN D XXIXbis, carton 7, dossier 101, document 14, « Délibérations de la municipalité d’Alais dénonçant les manœuvres des contre-révolutionnaires dans la ville », 25 et 28 avril 1790.
20 ACP, 1re série, tome 1, p. 82.
21 Lise Andries, « Les imprimeurs-libraires parisiens et la liberté de la presse (1789-1795) », Dix-huitième siècle, no 21, 1989, p. 251.
22 ACP, 1re série, tome 1, p. 206.
23 Ibid.
24 Ibid., 1re série, tome 2, p. 103-104.
25 AMM I 1, carton 550, Police des théâtres, « Procès-verbal de la municipalité de Marseille », 16 mars 1791.
26 Ibid., jugement du 17 mars 1791.
27 AN D XXIXbis, carton 6, dossier 89, document 2, « Délibération et lettre de la municipalité de Soissons dénonçant un imprimé contre-révolutionnaire intitulé : Lettre d’un français à son ami, du 18 mai 1790 », 31 mai et 2 juin 1790.
28 AN D XXIXbis, carton 1, dossier 4, document 3.
29 Le ministre cita Avis aux troupes, Mémoire des difficultés pour établir dans les Provinces belgiques différents décrets de l’Assemblée nationale, et Réponse à l’avis aux troupes, ibid., carton 3, dossier 38, document 5.
30 AP, tome 18, p. 168.
31 Georges Carrot, Révolution et maintien de l’ordre, Paris, S. P. M. et Kronos, 1995, p. 130-135 ; Capitaine H. Choppin, Insurrections militaires en 1790, Paris, Lucien Laveur, 1903, p. 95-150.
32 Pour des exemples, voir AN D XXIXbis, carton 12, dossier 135, document 11 et carton 13, dossier 148, document 26.
33 Choppin, Insurrections militaires en 1790, p. 99.
34 AN D XXIXbis, carton 15, dossier 164, document 9.
35 Ibid.
36 AN D XXIXbis, carton 15, dossier 167, document 7.
37 Ibid.
38 Eugène Vaillé, Le Cabinet noir, Paris, Presses universitaires de France, 1950, p. 219-220.
39 AN D XXIXbis, carton 15, dossier 169, document 3, lettre de la Société des amis de la Constitution d’Hesdin à l’Assemblée nationale. Pour d’autres dénonciations, carton 12, dossier 132, documents 1-2 ; carton 12, dossier 135, documents 6-7 ; carton 12, dossier 136, documents 5-6 ; carton 13, dossier 140, document 3 ; carton 13, dossier 141, document 10 ; carton 13, dossier 146, documents 8-10.
40 Ibid., carton 6, dossier 93, document 10. L’auteur de la lettre se plaignait aussi que les chefs de la milice locale interdisaient la cocarde tricolore et en imposaient une noire.
41 AN D XXIXbis, carton 14, dossier 154, documents 6-22.
42 Ibid., document 20.
43 Ibid., document 14.
44 Ibid., document 21.
45 Ibid., carton 32 (b), dossier 336, document 12.
46 Ibid., carton 15, dossier 168, document 6.
47 ADR 26 L, carton 53, interrogatoire daté du 23 mars 1791.
48 Ibid., carton 53, « Procès verbal de perquisition chez le Sr Gal », daté du 23 mars 1791.
49 Ibid., carton 53, voir au milieu de celui-ci la liasse consacrée à cette affaire, du sixième au onzième document.
50 Ibid., carton 53, septième document de la liasse, 25 mars 1791.
51 Ibid., carton 53, huitième document de la liasse consacrée à l’affaire, lettre datée du 26 mars 1791.
52 Ibid., carton 53, douzième document, 3 mai 1791.
53 Ibid., carton 53, treizième document, daté du 1rer juillet 1791.
54 Edna Hindie Lemay, Dictionnaire des constituants, 1789-1791, Paris, Universitas, 1991, tome 1, p. 175.
55 W. D. Edmonds, Jacobinism and the Revolt in Lyon, 1789-1793, Oxford, Clarendon Press, 1990, p. 45-46.
56 Ibid., p. 50.
57 Louis Trenard, La Révolution française dans la région Rhône-Alpes, Paris, Perrin, 1992, p. 226-231.
58 AN D XXIXbis, carton 8, dossier 105 B2 IA, document 3, Imbert, Opinion de M. Imbert de Montbrison, prononcée à la session générale du Département de Rhône et Loire, le 11 décembre 1790.
59 Ibid., carton 8, dossier 105 B2 IA, documents 2, 10, « Arrêté de la municipalité de Lyon », 10 juin 1791.
60 ADR 26 L, carton 54, « Procès-verbal de la municipalité de Lyon », 24 juillet 1791.
61 AN D XXIXbis, carton 8, dossier 105 B2 IA, documents 2, 4, Extrait du registre des délibérations du directoire du département de Rhône et Loire, Lyon, Imprimerie Bruyset, fils aîné, 10 juin 1791 ; et document 7, « Extrait du registre des délibérations du directoire du département de Rhône et Loire », 13 juin 1791.
62 ADR 1 L, carton 459, Arrêté du directoire du département de Rhône et Loire, Lyon, Imprimerie de Bruyset, 1791.
63 Ibid., « Extrait du registre des rapports du comité contentieux », 25 novembre 1791.
64 AN D XXIXbis, carton 9, dossier 105B7, XXV, document 6, « Arrêté de la municipalité de Lyon », 6 mars 1792. Le dramaturge était L.-A. Beffroy de Reigny.
65 Ibid., document 20, rapport des édiles municipaux chargés de la surveillance des théâtres à Lyon, 23 février 1792.
66 Ibid., document 5, 8 (les démarches des acteurs sont décrites dans une lettre des responsables départementaux et dans un « arrêté du Directoire du district de la ville de Lyon », respectivement datés du 4 et du 12 mars 1792).
67 Ibid., document 7, rapport des édiles municipaux chargés de la surveillance des théâtres à Lyon, 11 mars 1792.
68 Ibid., document 11, « Délibération de la municipalité de Lyon », 19 avril 1792.
69 Ibid., document 13. La copie de la lettre de Roland est datée du 24 avril 1792.
70 Ibid., document 15, lettre datée du 28 avril 1792.
71 Boullemer de la Martinière, Compte rendu à l’assemblée des représentants de la commune, le 11 mai 1790, par le procureur-syndic de la commune, des travaux du parquet depuis le mois d’octobre 1789, Paris, Imprimerie de Lottin, 1790, p. 3-4.
72 Ibid., p. 4.
73 Sarot, Réveil des principes des loix et des ordonnances sur le crime de lèze-majesté royale, de lèze-état ou de lèze-nation, Paris, J. Grand, p. 3.
74 AN D XXIXbis, carton 2, dossier 15, document 3.
75 AP, tome 10, p. 513.
76 Ibid., tome 20, p. 25. Pour une définition similaire, mais limitant le crime aux actions des fonctionnaires et des puissants personnages de la société, voir Louis-François Jauffret (éd.), Gazette des nouveaux tribunaux, Paris, Desaint [C.-F. Perlet and L.-P. Couret], 1791, tome 2, p. 269.
77 Révolutions de Paris, no 68, 23-30 octobre 1790, p. 124-125.
78 Mémoire pour les criminels de lèse-nation, p. 5-6.
79 Ibid., p. 21.
80 Ibid., p. 20.
81 AP, tome 15, p. 251-255.
82 Ibid., p. 253.
83 Ibid., p. 254.
84 Ibid., p. 253.
85 La Haute Cour fut créée le 5 mars 1791 par un décret de l’Assemblée.
86 Nicolas Bergasse, Discours sur les crimes et les tribunaux de haute trahison, par M. Bergasse, pour servir de suite à son discours sur l’organisation du pouvoir judiciaire, non publié, non daté, p. 5.
87 Pierre-Victor Malouet, Opinion de M. Malouet sur les crimes de lèse-nation, sur la responsabilité des ministres et autres agents du pouvoir exécutif, non publié, 1791, p. 5.
88 Ibid., p. 6.
89 Ibid., p. 7.
90 François de Pange, Observations sur le crime de lèse-nation, Paris, Barrois, 1790, p. 9.
91 Ibid.
92 Ibid., p. 7.
93 Voir Patrice Gueniffey, La politique de la Terreur : Essai sur la violence révolutionnaire, Paris, Fayard, 2000, p. 93-98 ; Roberto Martucci, « Qu’est-ce que la lèse-nation ? À propos du problème de l’infraction politique sous la Constituante (1789-1791) », Déviance et société 14, no 4, 1990, p. 392-393.
94 Carla Hesse, « The Law of the Terror », Modern Language Notes 114, no 4, septembre 1999, p. 708.
95 Sur les dix-neuf affaires de lèse-nation de nature verbale alors inscrites au registre du Châtelet, huit concernaient des propos réactionnaires ou ultra-royalistes, onze des discours radicaux ; voir ma thèse de doctorat, « Policing Public Opinion in the French Revolution », université de Princeton, 2003, appendice E, p. 497-502.
96 AN D XXIXbis, carton 2, dossier 25, documents 25-26, documents d’enquête de Durand, lieutenant de la maréchaussée de Bourgogne, 22 novembre-22 décembre 1789.
97 Jugement en dernier ressort, rendu publiquement à l’audience du parc civil du Châtelet de Paris, [Paris], Veuve Desaint, non daté, p. 1. Il fut condamné « pour avoir proféré publiquement des propos incendiaires et séditieux ; comme aussi d’avoir proféré contre la Reine des propos criminels attentatoires au respect dû à Sa Majesté ».
98 Desmoulins, Révolutions de France et de Brabant, no 18, p. 114-115. Pour l’affaire Suleau, voir Edmond Seligman, La justice en France pendant la Révolution (1789-1792), Paris, Plon-Nourrit et Cie., 1901-1913, tome 1, p. 236 ; AN D XXIXbis, carton 3, dossier 29, document 3, et carton 12, dossier 138, document 8. Suleau fut tué pendant l’insurrection qui fit s’écrouler la monarchie le 10 août 1792.
99 AN Y 10506, affaire concernant « Les auteurs, imprimeurs et distributeurs d’un journal intitulé Les sottises de la semaine ».
100 AN Y 13320, interrogatoire du 19 mars 1790.
101 AN Y 10506, affaire « Les sottises de la semaine ». Pour la déposition du greffier Denonvilliers d’après laquelle les Séguier étaient partis en Italie et Rolland avait disparu, voir le document daté du 5 juillet 1790 ; Alexandre Tuetey mentionne l’affaire dans son Répertoire général des sources manuscrites de l’histoire de Paris pendant la Révolution française, Paris, Imprimerie nouvelle, 1890-1914, mais place par erreur les documents sous la référence AN Y 10504 ; plusieurs de ses références en la matière sont inexactes.
102 De telles rumeurs étaient fréquentes. Barry Shapiro, Revolutionary Justice in Paris (1789-1790), Cambridge, Cambridge University Press, 1993, p. 124-147.
103 AN Y 10508, affaire « Enfantin », lettre du procureur-syndic de la commune de Paris au maire Bailly et aux conseillers municipaux, 12 juin 1790.
104 Ibid., affaire « Enfantin », interrogatoire du 12 juin 1790.
105 Ibid., affaire « Enfantin », Fréron, Adresse aux amis de la liberté : Au sujet des vexations exercées contre le sieur Martel, L’Orateur du peuple.
106 AN Y 10506, affaire « Routledge ».
107 AN D XXIXbis, carton 12, dossier 130, document 1, demande faite par Rutledge aux comités des recherches et des rapports pour arrêter la prétendue fuite de Necker hors de France.
108 AN Y 10504, affaire « Julien Poulain-Delaunay », Adresse de plusieurs corporations et métiers de la ville de Rennes à Messieurs les députés de la sénéchaussée de Rennes à l’Assemblée nationale.
109 Ibid., affaire « Delaunay », « Minutes du greffe criminel de la sénéchaussée de Rennes », 14 décembre 1789.
110 Ibid., affaire « Delaunay », interrogatoire du 9 mars 1790.
111 Ibid., affaire « Delaunay », interrogatoire du 10 mai 1790.
112 ACP, 1re série, tome 3, p. 521.
113 Ibid., p. 521-525.
114 Ibid., p. 458-459. Le 19 janvier, la commune autorisa un nouveau mandat d’arrêt, ibid., tome 3, p. 524.
115 Pièces justificatives, exposé de la conduite et des motifs du district des Cordeliers, concernant le décret de prise de corps prononcé par le Châtelet contre le sieur Marat le 8 octobre, et mis à exécution le 22 janvier 1790, [Paris], Momoro, [1790].
116 ACP, 1re série, tome 3, p. 524-525.
117 AN D XXIX, comité des rapports, carton 63, Journal des débats et des décrets, Paris, Baudouin, 1789 [sic], 22 janvier 1790.
118 Shapiro, Revolutionary Justice in Paris, p. 190.
119 AN D XXIX 63 ; voir en particulier la lettre du district des Petits-Pères, 19 mars 1790.
120 Ibid., « Extrait des registres des délibérations de l’Assemblée générale du district de Sainte-Marguerite », 21 mars 1790.
121 AN BB3, carton 19, document 2274 (les documents de cette série ne sont pas tous numérotés).
122 Ibid., document non numéroté, sans date.
123 Ibid., lettre du 19 avril 1792.
124 Ibid., lettre écrite par de Lessart au président de l’Assemblée nationale, 21 avril 1790.
125 Opérations du tribunal de la Haute Cour nationale provisoire, établi à Orléans pour juger les crimes de lèze-nation, Paris, L. P. Couret, 1791, no 4.
126 Ibid., p. 112-113.
127 Seligman, La justice en France pendant la Révolution, tome 1, p. 275.
128 A.-F. Bertrand de Molleville, Histoire de la Révolution de France, Paris, Guiget et Michaud, 1801-1803, tome 7, p. 220-223.
129 AN D XXIXbis, carton 13, dossier 146, document 14, lettre à Charles Voidel, secrétaire du comité des recherches, 25 septembre 1790.
130 Ibid., document 13, lettre de Trouard à Voidel, 29 août 1790.
131 Insister sur le droit à la liberté de la presse était rarement un moyen de défense efficace dans les affaires de lèse-nation. L’Alsacien Zipp le découvrit en 1791 : Opérations du tribunal de la Haute Cour nationale provisoire, établi à Orléans pour juger les crimes de lèze-nation, no 3, 1791, p. 82-83.
132 AN D XXIXbis, carton 28, dossier 278, document 21, lettre du 29 mai 1791.
133 Jauffret, Gazette des nouveaux tribunaux 2, no 34, 26 août 1791, p. 122.
134 Le Patriote français, no 738, 17 août 1791.
135 Desmoulins, Révolutions de France et de Brabant, no 91, p. 6.
136 Décret de l’Assemblée nationale du 10 avril 1792, réimprimé dans Journal de la Haute Cour nationale, Orléans et Paris, chez Jacob aîné et chez Cussac et Mme Lesclapart, 1792, tome 2, p. 302-303.
137 Moniteur, no 72, 13 mars 1793, p. 683.
138 Donald Greer, The Incidence of the Terror during the French Revolution: A Statistical Interpretation, Cambridge, Harvard University Press, 1935, p. 152.
139 Ibid., p. 85.
140 AN W, carton 480, dossier 354, « Jugement du tribunal révolutionnaire, 15 brumaire an III ».
141 Ibid., carton 292, dossier 196, « Aux citoyens président et membres du district du directoire du département de Versailles ».
142 Ibid., carton 292, dossier 196, « Extrait du registre des dénonciations et déclaration tenu par la municipalité de Champcueil en exécution de la loi du 26 mars 1793 ».
143 Ibid., carton 292, dossier 196, « Aux citoyens président et membres du district du directoire du département de Versailles ».
144 Ibid., carton 292, dossier 196, « Rapport de comité du Salut public du district de Corbeil ».
145 Ibid., carton 292, dossier 196, « Jugement du tribunal révolutionnaire ».
146 148. Ibid., carton 323, dossier 510, « Acte d’accusation du 23 pluviôse an II ».
147 Ibid., carton 323, dossier 510, liste de questions, sans titre, sans date.
148 Ibid., carton 292, dossier 197, « Jugement qui condamne Claude Janson à la peine de mort ».
149 Ibid., carton 369, dossier 823, « Jugement du 1rer prairial an II ».
150 Ibid., carton 323, dossier 504, « Acte d’accusation ».
151 Ibid., carton 323, dossier 504, « Interrogatoire du département de la police de la commune de Paris, 29 nivôse an II ».
152 Ibid., carton 323, dossier 504, « Jugement du 23 pluviôse an II ».
153 BHVP, manuscrit 678, 2e partie, écrits divers, folio 79. Je voudrais remercier Daniel Roche d’avoir partagé avec moi la transcription qu’il a faite de ces précieux documents.
154 Ibid., folio 83 (c’est moi qui souligne).
155 Ménétra avait été arrêté comme modéré au cours de l’été 1792, mais il semble que son arrestation ait eu lieu avant son conflit avec Duplessis, Langlois et leur faction. Jacques Ménétra, Journal de ma vie, Daniel Roche (éd.), préface de Robert Darnton, Paris, Albin Michel, 1998, p. 265, note 282.
156 BHVP, manuscrit 678, 2e partie, écrits divers, folios 79-93.
157 AN W, carton 369, dossier 823, « Réflexions sur la nouvelle constitution donnée à la France par la Convention nationale ».
158 Ibid., « Jugement qui condamne à la peine de mort la veuve Lesclapart, Webert, Suremain, la fille Deblaire, 1rer prairial an II ».
159 Ibid., carton 369, dossier 823, « Réflexions sur la nouvelle constitution donnée à la France par la Convention nationale ».
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