Chapitre IV. Des cahiers de doléances à la Déclaration des droits de l’homme
p. 105-129
Texte intégral
« La liberté individuelle de la pensée doit être encore relative aux mœurs et aux manières de chaque peuple. »
Réponse aux instructions envoyées par S. A. S. monseigneur le duc d’Orléans, à ses chargés de procuration dans ses bailliages, relativement aux États-généraux, 1789.
La liberté de la presse à la veille de la Révolution
1Les circonstances agitées qui, selon Condorcet dans ses Fragments de 1776, justifieraient de restreindre la liberté de la presse, étaient exactement celles qui régnaient en France lorsque cette liberté fut proclamée. Vaines assemblées de notables rebelles, guerre spéculative effrénée accompagnée d’une virulente guerre de libelles, impitoyables campagnes calomnieuses dirigées par des ministres ou menées contre eux, menace de faillite de la royauté et réformes judiciaires contestées ébranlaient en profondeur l’Ancien Régime, paralysaient l’administration et déclenchaient la violence populaire1. Pourtant, au cœur de la tempête, les demandes pour la liberté de la presse émanaient de toutes les tendances politiques, depuis la monarchie, les parlements et le clergé jusqu’aux fractions les plus progressistes de la noblesse et du tiers état. Le désir d’une presse libre était même si répandu en 1789 que l’on a du mal à trouver des signes de franche opposition au principe.
2Mais le diable se cachait dans les détails. On réclamait souvent une liberté de la presse restreinte et réglementée. Nous avons vu que, sous l’Ancien Régime, les philosophes et les administrateurs réformistes étaient rarement naïfs dans leur conceptualisation de cette liberté. Qu’elle fût pour eux un moyen de répandre les lumières ou une solution pragmatique à un irrépressible marché clandestin de l’imprimé, ils envisageaient presque toujours des limites. Mais à la veille de la réunion des États généraux, que pensait-on de la liberté de la presse dans la population française, surtout lorsque que la monarchie s’était enquise des opinions à ce sujet2 ? Comment les avis des particuliers furent-ils transmis – si tant est qu’ils le purent – au cours de cette série de réunions qui commença par des assemblées paroissiales, des assemblées de corporations et des conseils municipaux, se poursuivit par des assemblées primaires où les cahiers de doléances de bailliage furent rédigés, et culmina avec l’Assemblée nationale, laquelle promulgua la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en août 1789 ? Alors que des limites à la liberté de la presse sont souvent demandées dans les cahiers, elles ne sont pas spécifiées dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Que suggère cette évolution au sujet des problèmes rencontrés ultérieurement par les révolutionnaires lorsqu’ils ont voulu mettre en œuvre cette liberté ?
Les cahiers de doléances
3Dans L’Ancien régime et la Révolution française, Alexis de Tocqueville exprimait sa stupeur à la découverte, dans les cahiers de doléances, d’un désir général de renverser l’Ancien Régime. « Je m’aperçois avec une sorte de terreur que ce qu’on réclame est l’abolition simultanée et systématique de toutes les lois et de tous les usages ayant cours dans le pays3. » Tocqueville ajoutait que les rédacteurs auraient dû se rappeler la vieille maxime : « Par requierre de trop grande franchise et libertés chet-on en trop grand servaige4. » Cet adage était sans doute pertinent pour d’autres demandes, mais il ne se justifiait pas en ce qui concerne la liberté de la presse. Les abus de cette liberté étaient précisément ce que bon nombre d’auteurs des cahiers cherchaient à punir, et ils envisageaient même, pour ce faire, de renforcer les lois de l’Ancien Régime.
4Prenons, par exemple, le cahier que rédigea le clergé de Villefranche-de-Rouergue. Il demandait « la liberté indéfinie de la presse » afin de « faciliter le progrès des Lumières ». Mais il exigeait aussi que le nom de l’éditeur et de l’auteur figurât sur les publications, de sorte qu’ils dussent répondre des ouvrages qui portaient atteinte « à la religion dominante, à l’ordre général, à l’honnêteté publique, et à l’honneur des citoyens5 ». Les nobles de Lille s’exprimaient également de cette manière à la fois fortement réformiste et tempérée lorsqu’ils réclamaient « la liberté indéfinie de la presse par la suppression de la censure » et l’assortissaient des mêmes restrictions. En outre, ils souhaitaient des châtiments corporels pour les libraires vendant des œuvres étrangères au contenu répréhensible6. Le tiers état de Châtillon-sur-Seine exigeait une presse libre dont il louait les bienfaits mais associait à sa revendication la demande que les tribunaux punissent les écrivains et les imprimeurs pour les publications « contraires à la religion, aux bonnes mœurs et à la constitution de l’État7 ».
5Certes, les historiens ont noté combien les demandes d’une presse libre étaient fréquentes (elles apparaissent en effet dans plus de 80 % des cahiers de bailliage) ; ils ont néanmoins largement ignoré le désir répandu de limites8. Pourtant, non seulement la vaste majorité des cahiers exprimait ce désir, mais les limites spécifiées venaient tout droit de la législation sur la presse de l’Ancien Régime – précisément la législation que les historiens ont l’habitude de citer pour prouver que la liberté de la presse manquait avant 1789. Ainsi, le code de la Librairie de 1723 menaçait de punir « suivant la rigueur des ordonnances » quiconque se livrait à la production et à la distribution de « libelles contre la religion, le service du roi, le bien de l’État, la pureté des meurs, l’honneur et la réputation des familles et des particuliers9 ». L’ordonnance extrêmement sévère de 1757, qui fit suite à la tentative d’assassinat de Louis XV, imposait la peine capitale pour quiconque rédigeait et distribuait « des écrits tendant à attaquer la religion, à émouvoir les esprits, à donner atteinte à notre autorité, et à troubler l’ordre et la tranquillité de nos États10 ». Quoique absentes de la plupart des brochures du printemps 1789 sur la liberté de la presse, les barrières aux déclarations publiées contestant la religion, les mœurs, l’honneur, l’ordre général et l’autorité de l’État reviennent souvent dans les cahiers.
6Le désir de réglementation et de restrictions s’exprime dans 89 % des cahiers de bailliage qui parlent de la presse. J’ai consulté les cinq cent trente et un cahiers de doléances de bailliage disponibles pour les trois ordres : le clergé (cent soixante-cinq cahiers), la noblesse (cent soixante-cinq) et le tiers état (deux cent un11). Il s’agit des cahiers rédigés par les assemblées primaires, au niveau des circonscriptions12. Ces assemblées désignaient également des députés chargés de porter le cahier de bailliage à la réunion des États généraux à Versailles en mai 1789. J’ai aussi consulté les cahiers initiaux, locaux, de quatre zones densément peuplées : Paris, Rouen, Marseille et Aix-en-Provence13. Ceux-ci furent rédigés par des corporations et des paroisses du tiers état (par des bailliages secondaires dans le cas d’Aix-en-Provence) et donnés aux députés qui se réunirent ensuite en assemblées primaires. Ce qui suit est une analyse du contenu des cahiers de bailliage des trois ordres rédigés par les assemblées primaires et des cahiers locaux, préliminaires, de plusieurs villes ou bailliages densément peuplés. J’ai calculé la fréquence des demandes de liberté de la presse, classé et compté les demandes de réglementation et de restrictions. Souvent, la nature des règles et des restrictions était précisée. Parfois cependant, les cahiers en exprimaient le souhait mais confiaient aux États généraux ou au roi, voire aux deux, la tâche de les déterminer (cf. tableau 2 et graphique 1).
Total |
% |
Clergé |
% |
Noblesse |
% |
Tiers état |
% |
|
Cahiers disponibles |
531 |
165 |
165 |
201 |
||||
Presse mentionnée |
427 |
80,5 % |
128 |
77,5 % |
139 |
84,2 % |
160 |
79,6 % |
Tableau 2. – Fréquence des demandes au sujet de la presse.
Les pourcentages sont fondés sur le nombre de cahiers mentionnant la presse.
Graphique 1. – Types de doléances pour une presse libre.
7Les historiens des cahiers de doléances n’ont pas tous omis la question des limites à la liberté de la presse, mais en général, ils l’ont abordée au passage ou de manière approximative14. Dans Le régime de la presse pendant la Révolution (1901), Alma Söderhjelm a proposé l’examen des limites le plus approfondi à ce jour15. Elle accordait beaucoup d’importance aux différences de tons entre les revendications des trois ordres. Pour elle, le tiers état venait en tête, avec les demandes les plus radicales dans leur formulation ; la noblesse suivait de près, mais montrait un enthousiasme moindre ; quant au clergé, il était divisé sur le problème. Afin d’illustrer l’audace du tiers état, elle soulignait que plusieurs cahiers exigeaient « la liberté illimitée de la presse », affirmant que l’expression apparaissait plus souvent dans les cahiers de la bourgeoisie que dans ceux de la noblesse (ce qui est inexact16). Söderhjelm semble avoir rangé « illimitée » avec d’autres qualificatifs comme « absolue » et « indéfinie », car « illimitée » ne figure que dans quatre documents17. En outre, elle croyait que « illimitée » signifiait l’absence de toute restriction et réglementation, alors que la noblesse et le tiers état employaient ces trois adjectifs (illimitée, indéfinie et absolue) au sens temporel. D’où sa perplexité devant le constat que de telles demandes (présentes, d’après mon calcul, dans soixante et un cahiers) précisaient fréquemment des règles et des restrictions (trente-sept des soixante et un cahiers sont concernés18). Elle attribuait cette (apparente) contradiction au fait que les gens n’avaient guère l’expérience de ce concept : « Beaucoup de personnes n’avaient pas une notion très précise de ce que signifiait la liberté de la presse19. »
8Peut-être, mais il n’empêche que ces mots avaient du sens, qu’une interprétation temporelle des trois qualificatifs rend intelligibles. Étant donné que la monarchie avait suspendu provisoirement la censure en juillet 1788 en vue de la réunion des États généraux, ces termes exprimaient le désir de prolonger la suspension indéfiniment. On peut le présumer à partir du cahier des nobles de Vitry-le-François, réclamant « les punitions les plus sévères contre les réfractaires aux restrictions qui doivent être légalement mises à la liberté indéfinie de la presse20 ». De même, les nobles de Chalon-sur-Saône voulaient « établir la liberté de la presse, indéfinie par la suppression absolue de la censure, à la charge par l’imprimeur d’apposer son nom à tous les ouvrages et de répondre, lui ou l’auteur, de tout ce que les écrits pourraient contenir de contraire à la religion dominante, à l’ordre général, à l’honneur public et à celui de tous les citoyens21 ».
9Les auteurs de nombreux cahiers pensaient que la liberté de la presse existait déjà et qu’il s’agissait de la réglementer22. Les nobles de Châtillon-sur-Seine, par exemple, demandaient dans leur cahier l’abolition de toute loi sur la censure. « Cette loi, aussi inutile qu’elle est souvent impossible à exécuter, est nécessairement tombée dans une désuétude absolue23 », observaient-ils. Le clergé de Clermont-Ferrand suppliait le roi de renouveler la vieille réglementation sur la presse plutôt que « d’autoriser par une loi la liberté de la presse qui n’existe que trop par le fait et dégénère en licence24 ». Pareillement, le clergé de Dôle semblait considérer cette liberté comme une triste réalité lorsqu’il manifestait son vif espoir que, en la matière, « la police veillera avec plus de circonspection25 ».
10Des trois ordres, comme l’a noté Söderhjelm, le clergé était le moins enthousiaste (cf. tableau 3). Ses membres pestaient contre le « nombre prodigieux d’ouvrages scandaleux, fruits malheureux de l’amour de l’indépendance26 ». Ils déploraient ce marché clandestin qui, à leurs yeux, « altère tous les principes religieux et politiques » et « a porté les atteintes les plus mortelles à la foi et aux mœurs27 ». Certains se plaignaient que les mauvais livres empoisonnaient les campagnes : « Ce sont ces livres pervers qui corrompent les mœurs, sèment la discorde dans les familles, troublent les différents états de la société, et occasionnent ces divorces multipliés28. »
Les pourcentages de la partie supérieure du tableau sont basés sur le nombre de cahiers mentionnant la presse. Les pourcentages de la partie inférieure sont basés sur le nombre de cahiers mentionnant la liberté de la presse.
Tableau 3. – Dispositions relatives à la liberté de la presse.
11Pourtant, malgré l’inquiétude des ecclésiastiques quant à la liberté de la presse, seuls dix-sept de leurs cahiers s’y opposaient explicitement (cf. tableau 2). Vingt-six cahiers du clergé la réclamaient, chantant parfois ses louanges29. Seuls dix cahiers – à savoir huit cahiers du clergé, un cahier de la noblesse et un cahier du tiers état – insistaient sur la censure30. Et même eux envisageaient des réformes importantes. Par exemple, le clergé d’Amiens demandait la création d’un comité de trois censeurs formé d’un magistrat honnête, d’un homme de lettres incorruptible et d’un théologien rigoureux. Le clergé de Mantes plaidait pour une censure postérieure à la publication conduite par des représentants de l’Église, habilités à inspecter des imprimeries au hasard, chargés de lire toutes les nouvelles publications et de dénoncer les mauvaises au ministère public, lequel aurait pour tâche de porter l’affaire devant les tribunaux. Dans le seul cahier du tiers état réclamant la censure, la bourgeoisie de Libourne présumait que les États Provinciaux assumeraient la responsabilité d’autoriser les publications. Seuls trois des dix cahiers de bailliage favorables à la censure ne proposaient pas d’aménagements significatifs du vieux système31. On voit bien là que, pour les pré-révolutionnaires, la censure de l’Ancien Régime était moribonde.
12Parmi les quatre cent vingt-sept cahiers de bailliage mentionnant la presse, il y en a deux qui, malgré leur longueur exceptionnelle, illustrent la façon dont l’optimisme des Lumières sur la liberté de la presse pouvait s’allier à des exigences de réglementation et de restrictions. Ces cahiers développent, je crois, des idées très répandues à propos des limites légitimes. Personne n’alla aussi loin que les nobles de Châtillon-sur-Seine. Au début de leur cahier, ils louaient la presse d’avoir diffusé un esprit de réflexion critique et des idées éclairées sur la justice32. Ils soulignaient que la presse contribuait à informer et à guider les administrateurs dans l’exercice de leurs fonctions mais croyaient que la censure décourageait beaucoup de gens ayant des connaissances utiles de les publier. Les administrateurs, argumentaient-ils, recevaient souvent cette information (s’ils la recevaient…) seulement lorsqu’il devenait impératif de l’obtenir. En abolissant une fois pour toutes la censure préalable et en facilitant la circulation de l’information, insistaient ces nobles, la liberté de la presse améliorerait le fonctionnement du gouvernement.
13Les nobles de Châtillon-sur-Seine donnaient ensuite un aperçu de la réglementation et des restrictions qu’ils appelaient de leurs vœux. Ils recommandaient que les écrivains fassent enregistrer leurs manuscrits auprès des notaires locaux des lieux où ils avaient l’intention de publier leurs œuvres (idée qui figure dans trois autres cahiers de la noblesse33). Les imprimeurs des ouvrages enregistrés n’auraient pas à répondre d’un contenu criminel (plusieurs autres cahiers expriment le même avis), l’auteur seul serait tenu responsable. La mesure aurait satisfait et Voltaire, qui croyait que les auteurs devaient être libres de faire paraître leurs œuvres à leurs propres risques et profits, et Malesherbes, comme nous l’avons vu. Néanmoins, dans le cas où l’imprimeur choisirait de publier un ouvrage non enregistré, lui et l’auteur auraient une responsabilité conjointe. Enfin, après l’impression du texte, l’auteur et l’imprimeur devaient signer une déclaration assurant que la version imprimée était conforme au manuscrit original.
14C’étaient déjà là des règles élaborées. Mais il y avait davantage. Les nobles de Châtillon-sur-Seine voulaient que tout écrivain dont on constatait qu’il avait insulté la religion, la loi, le roi ou la nation, ou dont les œuvres provoquaient des divisions dans la population, fût puni « selon la rigueur des lois déjà existantes, et qui seront renouvelées, modifiées, ou étendues, ou même totalement formées par les États Généraux ». Ainsi, ce cahier ne se contentait pas de préconiser le maintien de la sévère jurisprudence sur les injures ; il autorisait les États généraux à la rendre plus sévère encore s’ils le souhaitaient.
15Le cahier du tiers état de Vézelise rejoignait aussi l’optimisme des Lumières et les restrictions de l’Ancien Régime, avec moins d’insistance toutefois sur les punitions. La liberté de la presse, affirmaient ses rédacteurs, était nécessaire pour qu’un peuple fût réellement libre34. Les intérêts du roi et du peuple, croyaient-ils, bénéficieraient de la vérité qu’une presse libre révélerait. Les auteurs consacraient plusieurs paragraphes laudateurs aux vertus de la liberté de la presse, puis se mettaient à couvrir de boue les ministres du roi, déclarant que la vérité ne pouvait nuire qu’aux hommes qui accumulaient des fortunes personnelles sur les ruines de l’État. La dignité de l’homme, insistaient-ils, demandait qu’il fût libre d’agir contre la corruption ministérielle35. Après avoir étrillé les ministres, la bourgeoisie de Vézelise s’intéressait aux libelles. Elle soutenait qu’il convenait « d’opposer une digue à ce torrent d’écrits scandaleux qui insinuent hautement le goût du libertinage […] et qui osent mettre en doute les devoirs mêmes de l’homme et du citoyen ». En cela, elle rappelait beaucoup le clergé. Elle rappelait également les nombreux philosophes du milieu du siècle, qui croyaient que les bonnes mœurs étaient le sine qua non des sociétés stables et florissantes. Une fois les mœurs corrompues, pensaient-ils, seule la force étatique pouvait empêcher la société de sombrer dans l’anarchie36.
16Tout cela figurait en préambule aux demandes concrètes, dont la première était typique : « Que la presse soit libre, mais que les libelles et les obscénités resteront sous la juridiction des lois. » Les articles suivants, eux, s’écartaient des normes des cahiers : ils proposaient la création de comités provinciaux chargés de surveiller tous les livres traitant des mœurs, d’histoire, de philosophie, d’éthique, et l’ensemble des œuvres de fiction. Il faudrait récompenser les auteurs de bons ouvrages et déclarer « mauvais citoyens » les auteurs de mauvais livres. La proposition avait un air de censure, mais il ne s’agissait pas d’une censure préalable. Elle correspondait aux recommandations de Thiébault, ainsi qu’à la censure civile décrite par Montesquieu et Rousseau. Néanmoins, contrairement aux nobles de Châtillon-sur-Seine, les bourgeois de Vézelise souhaitaient une punition légère en cas d’abus. Dans l’esprit de la Lettre à d’Alembert de Rousseau, ils demandaient que les mauvais auteurs fussent humiliés en public au lieu de subir l’exil, la prison ou la mort.
17Loin d’envisager des sanctions légères pour les crimes d’expression, la plupart des cahiers insistaient à l’inverse sur des peines rigoureuses. On trouve un vocabulaire punitif dans soixante-six cahiers (15,5 % des cahiers mentionnant la presse), soit un nombre légèrement supérieur aux cahiers qui contiennent des arguments éclairés sur les bienfaits d’une presse libre (11 %37). Le tiers état d’Orléans, par exemple, exhortait les États généraux à établir « une loi solennelle qui défende sous les peines les plus rigoureuses de porter dans aucuns écrits atteinte à la religion, aux mœurs, au respect dû à la personne sacrée du Roi et à l’honneur des citoyens38 ». Le clergé de Nancy affichait la tiédeur caractéristique de nombreux cahiers du clergé : s’ils décidaient que la liberté de la presse était une mesure nécessaire pour la liberté politique, les États généraux devraient alors s’assurer « qu’il soit pris des précautions sévères pour en prévenir l’abus, en soumettant à des peines graves39 ». Particulièrement durs, le tiers état de Montreuil-sur-Mer et la noblesse de Lille exigeaient des châtiments corporels40. Néanmoins, la majorité des cahiers se bornaient à réclamer « la punition due », sans en indiquer la nature.
18Quels abus préoccupaient le plus les rédacteurs des cahiers ? Les mœurs figuraient le plus fréquemment, et ce dans les trois ordres (cf. graphique 2). La religion arrivait au deuxième rang des préoccupations du clergé ainsi que du tiers état, alors qu’elle se classait au troisième rang chez les nobles, qui se souciaient davantage des attaques envers l’honneur individuel. De telles attaques venaient en troisième place dans le tiers état. Les cahiers du clergé, eux, mentionnaient à peine l’honneur. Après les mœurs et la religion, les ecclésiastiques s’inquiétaient surtout des libelles contre le gouvernement et la Constitution – ou, de manière plus large, l’autorité politique. Cette préoccupation apparaît dans 40 % de leurs cahiers évoquant la presse. L’autorité politique était beaucoup moins présente parmi les inquiétudes de la noblesse (8 %) et du tiers état (11 %), ce qui suggère que, pour ces deux ordres, la liberté de la presse pouvait servir à contester le pouvoir (cf. tableau 4 et graphique 2 pour les fréquences respectives des restrictions citées dans chacun des ordres).
Les pourcentages sont basés sur le nombre de cahiers mentionnant la presse dans chacun des ordres.
Tableau 4. – Règles et restrictions.
19Les seules restrictions nouvelles à apparaître dans les cahiers étaient « les droits d’autrui », qui figuraient dans trois cahiers du tiers état, et « le respect de la nation », qui figurait aussi dans trois cahiers, un de la noblesse et deux du tiers état. Quatre de ces six cahiers associaient ces catégories à des restrictions de l’Ancien Régime. Sur les deux cahiers contenant uniquement ces restrictions inédites, l’un fut écrit par Condorcet et se trouve fréquemment cité dans les analyses. De toute évidence, il n’est pourtant pas représentatif de l’esprit des cahiers de bailliage41.
20Pourquoi les historiens ont-ils si souvent ignoré le désir de limiter la liberté de la presse à la veille de la Révolution ? Peut-être parce que ces limites n’apparaissent presque jamais dans les cahiers qu’ils ont l’habitude de citer, à savoir ceux du tiers état des bailliages les plus densément peuplés : Paris, Marseille, Rouen, Lyon (ville), Bordeaux et Aix-en-Provence. On pourrait croire que, vu l’importance de la presse dans ces zones, le public était accoutumé aux abus et ne s’en inquiétait pas. Un examen méticuleux des cahiers initiaux préalables, rédigés par les paroisses et les corporations de ces villes, montre qu’il en allait autrement.
Graphique 2. – Proportions des restrictions précisées dans les doléances concernant la presse.
21Prenons l’exemple de Rouen. La cinquième plus grande ville de France avait une bourgeoisie particulièrement active au printemps 178942. Sur les soixante-deux corporations qui rédigèrent des cahiers, seules douze, dont cinq formées de gens de loi, réclamèrent une presse libre43. Si les procureurs au Parlement demandèrent simplement « la liberté de la presse », les notaires ajoutèrent des restrictions pour protéger l’honneur des citoyens et l’ordre public. Cinq des trente-huit corporations d’artisans (cartiers, épiciers, fabricants de bas, merciers et miroitiers) revendiquèrent la liberté de la presse. Chose étonnante, leurs souhaits étaient souvent plus élaborés que ceux des gens de loi. Aucune corporation juridique ne formula une demande aussi développée que les cartiers. « Les entraves sur les imprimeries nous rendent tributaires des étrangers. Les sommes que l’opulence curieuse sacrifie à se procurer les choses prohibées, auraient une application honorable à la récompense des actes de vertu, aux encouragements des manufactures, etc. Les mœurs ne gagnent rien à ces prohibitions plus ou moins éclatantes. La nation est donc gratuitement privée des lumières que répandrait la liberté de la presse sur les parties de son administration, et notamment sur les vertus de chacun de ses membres, à qui elles sont confiées44. » Pour leur part, les fabricants de bas firent preuve d’une volonté plus punitive, exigeant des poursuites rigoureuses contre les écrivains, imprimeurs et libraires qui abusaient de la liberté de la presse. Ils proposèrent aussi une censure ecclésiastique sur les textes relatifs à la religion45.
22Dans les paroisses à la périphérie de Rouen, les demandes de presse libre étaient beaucoup moins fréquentes ; elles figurent dans quatre des cent cinquante-trois cahiers. Ces textes expriment pourtant plus d’originalité et de franchise que les cahiers rédigés par des assemblées supérieures. Le petit village agricole de Duclair écrivit au sujet de la liberté de la presse : « On n’en fait plus un problème, malgré ses inconvénients. On peut en abuser il est vrai, mais la prohibition n’a pas empêché de mauvais ouvrages de circuler, elle en a empêché d’excellents d’éclore46. » Les trois autres cahiers étaient explicites sur les restrictions, notamment pour les œuvres qui menaçaient l’ordre public. Le cahier de Saint-Paul, localité de deux cent soixante et onze habitants, réclamait la liberté de la presse mais prévenait que l’accorder sans réserves pourrait être imprudent ; ses auteurs citaient à l’appui l’atmosphère d’alors : « L’effervescence de la révolution actuelle en est une preuve évidente47. » Au printemps 1789, donc, les paysans se voyaient déjà entraînés dans les excès d’une révolution ! Ce cahier confirme aussi ce que le clergé déplorait – la progression de la philosophie dans les campagnes.
23Comment toutes ces formulations furent-elles synthétisées dans le cahier de bailliage de Rouen ? Et la ville (qui reçut exceptionnellement le statut de bailliage) et le bailliage de Rouen prônèrent « la liberté de communiquer sa pensée, faisant partie de la liberté personnelle. Il est permis à tout citoyen de faire imprimer, sans censure ni gêne, sous les réserves et modifications qui pourront être faites par les États généraux48 ». Ainsi, les règles et restrictions concrètes qui étaient spécifiées dans les cahiers rédigés à un niveau inférieur furent omises et la tâche de les définir abandonnée aux États généraux.
24Le cahier de bailliage de Marseille passa aussi les limites sous silence. Huit des cinquante et une corporations de la ville avaient réclamé la liberté de la presse avec une grande variété de ton et précisé des restrictions. Mais le cahier de bailliage s’en tint à demander « la liberté de la presse, sauf les réserves qui peuvent être faites par les États-Généraux49 ». À Paris, les cahiers de nombreux districts voulaient une presse libre50. Les formulations étaient très diverses, une fois encore, allant du consentement tiède à l’insistance audacieuse. Exception curieuse et radicale, le district des Théatins affirma que la liberté de la presse serait menacée si les imprimeurs devaient répondre du contenu et les auteurs déclarer leurs noms. « Il existe assez de moyens de poursuivre et de punir les libellistes51 », y assurait-on. De toute manière, comme pour les cahiers de bailliage de Rouen et de Marseille, les restrictions spécifiques furent écartées du cahier de bailliage de Paris (intra muros), qui insista seulement sur le fait que les auteurs et les imprimeurs « seront responsables des suites de la publication52 ». Les cahiers de bailliage de Bordeaux, de Lyon (ville) et Nantes se gardèrent eux aussi de détailler des règles et des restrictions dans leurs demandes53.
25Il apparaît donc que dans les lieux densément peuplés où les demandes passèrent par une série de débats en assemblées avant d’être inscrites dans un cahier de bailliage final, les limites furent laissées de côté. Pourquoi ? On pourrait supposer que les brochures publiées par myriades à l’époque (notamment les innombrables instructions, notes et cahiers modèles) avaient influencé les assemblées primaires des zones très peuplées. Ces brochures indiquaient rarement des limites dans leurs revendications d’une presse libre, et même quand elles en parlaient, leurs auteurs (des nobles, surtout) se souciaient plus souvent de protéger l’honneur que la religion ou les mœurs. Au printemps 1789, les écrivains sentaient que s’ouvrait un monde où ils seraient susceptibles d’exercer une influence politique. Ils ne s’intéressaient donc guère aux limites. Pourquoi exiger des restrictions que des adversaires ou les autorités pourraient utiliser contre eux ?
26Telle fut la mésaventure d’Alexandre de Lauzières de Thémines, évêque de Blois. En demandant qu’on limitât la liberté de la presse, il se mit dans la situation difficile que la plupart des écrivains évitaient. Son cahier modèle, Instructions et cahier du hameau du Madon, traitait notamment des réformes fiscales. C’était avant tout un réquisitoire accablant contre le ministère Calonne. Thémines en profita aussi pour exposer ses idées sur la liberté de la presse. Il soutint qu’il ne fallait pas confondre liberté de penser et liberté de publier. « Si tout individu est maître de son opinion, il n’est point pour cela chargé de l’instruction et de la police publique. » Il proposa une analogie : « Si un étranger, en arrivant en France, voit autant de systèmes, de religion et de politique que de personnes ; s’il trouve partout et jusque sur l’escalier de Versailles les brochures et les libelles du jour, auxquels un lecteur laborieux ne pourrait pas suffire ; s’il va dans le lieu où on diffame le plus de gens, parce que sous le noble prétexte de défendre la partie, on appelle tout l’univers en cause ; s’il finit enfin par être diffamé lui-même contre les droits de l’honneur et de l’hospitalité ; et s’il entend solliciter encore la liberté de la presse, il aura peine à comprendre ce qu’on entend par là […] Les biens, la vie, l’honneur des citoyens, doivent être sous la sauvegarde des lois […] Dans toutes les nations policées, il doit y avoir un code respecté, et dont le premier article soit, que toute production clandestine est un délit punissable54. » Il suggéra d’établir un système de surveillance au sein du ministère public, assez comparable aux systèmes proposés par Rousseau et Thiébault. Cet aréopage inspecterait les publications et signalerait les œuvres dangereuses, afin que des poursuites judiciaires fussent engagées. Les personnes calomniées ne se ruineraient pas en frais de justice car le ministère public se chargerait des procès en diffamation.
27Or ce fut précisément la diffamation que Calonne, ancien ministre disgracié de Louis XVI, accusa Thémines de répandre. Dans sa réponse, qui fut publiée, Calonne retourna les principes de l’évêque de Blois contre lui : « Soyez jugé, Monsieur, par vos propres maximes. Que diriez-vous si vous étiez cité devant cet Aréopage, que vous voulez établir pour la punition des auteurs de productions diffamatoires ? Que répondriez-vous à ce Ministère public, destiné par vous-même à venger l’honneur des citoyens55 ? » La majorité des écrivains se montrèrent plus prudents que Thémines. Ils demeurèrent vagues quant aux limites à la liberté de la presse. Les tensions étant si fortes et le pouvoir incertain (l’évêque croyait peut-être posséder encore une autorité incontestée), exiger une réglementation et des restrictions n’était pas judicieux.
28L’absence marquée de demandes de limitation dans la plupart des brochures explique-t-elle l’absence notable de telles demandes dans les cahiers de bailliage des zones urbaines densément peuplées ? Difficile de le savoir, mais en lisant des centaines de cahiers et une bonne quarantaine de brochures jugées importantes pour le printemps 1789, j’ai parfois découvert de fortes ressemblances textuelles laissant supposer que les auteurs des cahiers habitant des bailliages éloignés les uns des autres furent inspirés par les mêmes brochures. Ainsi, les nobles de Poitiers, d’Armagnac et de Chalon-sur-Saône, comme le tiers état de Metz et de Villers-Cotterêts, utilisèrent tous une syntaxe et un lexique identiques pour réclamer « la liberté indéfinie de la presse, indéfinie par la suppression absolue de la censure56 » (il est rare de trouver une mention expresse de l’abolition de la censure dans les cahiers). Tous voulaient que le nom de l’imprimeur soit indiqué sur les ouvrages et tenaient l’auteur et l’imprimeur conjointement responsables du contenu. Quatre sur les cinq indiquaient des restrictions dans les mêmes termes et selon le même ordre, souhaitant la répression de tout écrit « contraire à la religion dominante, à l’ordre général, à l’honnêteté publique et à l’honneur des citoyens » (les cahiers citaient souvent « la religion dominante » et « l’ordre général » parmi les restrictions, mais d’habitude la formulation n’était pas celle-ci).
29Malgré leurs ressemblances textuelles, de subtiles différences parmi ces cahiers suggèrent que leurs auteurs, quand ils empruntèrent à une même brochure, ne s’en montrèrent pas moins sélectifs. Sur les cinq cahiers analogues évoqués plus haut, celui de Poitiers ajoutait deux restrictions qui ne figuraient nulle part ailleurs, relatives aux écrits sapant « la constitution et les lois du royaume » et le « respect au roi ». En outre, un cahier affirmait que la liberté de la presse s’enracinait dans la liberté individuelle, assertion incluse dans les instructions circulant au nom du duc d’Orléans ; les quatre autres cahiers du groupe n’en parlaient pas57. J’ai aussi constaté des ressemblances lexicales entre une brochure largement diffusée et le cahier du clergé d’Autun. Tous deux réclamaient la liberté de la presse pour des discussions touchant à l’administration : « Chacun dira et écrira tout ce qu’il voudra sur les affaires de l’État, parce qu’elles sont les affaires de chacun58. » Différence notable cependant, le cahier ajoutait des restrictions, c’est-à-dire « hors les cas où la religion, les mœurs et les droits d’autrui seraient blessés ».
30À l’évidence, les auteurs de la plupart des cahiers de bailliage résistèrent aux formulations plus libérales de la liberté de la presse présentes dans les brochures. Ils voulaient et attendaient des limites. Mais alors pourquoi les cahiers de certains bailliages densément peuplés, tels que Rouen, Paris et Marseille, s’abstinrent-ils de spécifier des limites ? Il est impossible d’avoir des certitudes, mais si ce qui se passa cet été-là au sein de l’Assemblée nationale durant les débats sur la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen peut éclairer la question, la raison pourrait avoir un rapport avec l’incapacité des députés dans les assemblées primaires, surtout les grandes, à tomber d’accord sur les limites qu’il fallait imposer. Plus les enjeux politiques étaient importants et les députés assemblés nombreux, moins il était probable d’arriver à un consensus sur la limitation de la liberté de la presse.
La Déclaration des droits de l’homme
31Entre mai et août 1789, la liberté de la presse cessa d’être un point à l’ordre du jour des réformes administratives pour devenir un droit inaliénable et universel du citoyen. Cherchant à asseoir sa propre légitimité et à déterminer les principes directeurs d’une nouvelle Constitution, l’Assemblée nationale décida de rédiger une déclaration des droits59. Les débats sur la formulation définitive des articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, relatifs à la liberté religieuse et à la liberté d’expression, révèlent combien il fut difficile de parvenir à un compromis. D’une rhétorique osée et monumentale, ces articles montrent que les députés cherchèrent néanmoins à se protéger, tempérant des principes audacieux par des clauses préventives. Celles-ci étaient pourtant vagues, car les députés ne réussirent pas à s’entendre sur la manière de concilier la liberté d’expression et la protection d’autres valeurs essentielles, en particulier la religion et les mœurs.
32L’ambivalence manifestée en août par les députés sur la limitation de la liberté de la presse venait après des mois d’ambivalence de la part de la monarchie. Depuis le printemps, la couronne donnait des indications contradictoires sur son seuil de tolérance. En avril, elle renouvela toutes les lois et ordonnances antérieures régissant la presse60. Un mois plus tard, le Conseil d’État du roi ordonna la suppression des journaux non autorisés de Brissot et de Mirabeau et renforça la surveillance policière. La liberté de la presse demeura néanmoins à l’ordre du jour et, le 19 mai, le garde des Sceaux, cédant à la pression publique, autorisa les journalistes à suivre la réunion des États généraux, pourvu qu’ils s’abstiennent de commentaires61. Le 23 juin, quelques jours seulement après la transformation des États généraux en Assemblée nationale, les députés rappelèrent au roi, pendant sa séance avec eux, que le problème de la liberté de la presse restait à résoudre62.
33En juillet et août, le problème se trouva inclus dans la question plus vaste d’une déclaration des droits. Le 11 juillet, Gilbert du Motier, marquis de La Fayette, présenta le premier projet de déclaration à l’Assemblée nationale. S’inspirant des constitutions de certains États des États-Unis, La Fayette évita de mentionner des restrictions63. Il affirma l’inaliénabilité de droits tels que la liberté d’opinion et de communication « par tous les moyens possibles64 ». Au cours des semaines suivantes, des dizaines d’autres propositions arrivèrent à l’Assemblée nationale, qui organisa plusieurs comités pour les examiner et rédiger des déclarations modèles, lesquelles seraient soumises au débat puis au vote de l’ensemble des députés.
34Comment ces textes envisageaient-ils la liberté de la presse ? De même que les cahiers, ils se distinguaient par des formulations variées. Sur les trente-deux projets réunis dans leur ouvrage par Antoine de Baecque, Wolfgang Schmale et Michel Vovelle, quatorze mentionnaient des restrictions de l’Ancien Régime : cinq évoquaient la religion, quatre les mœurs, sept l’ordre et la tranquillité publics, six l’honneur des citoyens et trois le respect de l’autorité politique. Mais, alors que seuls trois cahiers de bailliage (sur la France entière) avaient mentionné « les droits d’autrui », seize déclarations modèles en parlaient. Voilà qui marquait un changement notable dans la conception des limites : au lieu d’exprimer ces dernières selon des valeurs traditionnelles collectives comme la morale et la religion, « les droits d’autrui » correspondaient à une démarche plus libérale, centrée sur l’individu. Bien qu’inédit et résolument moderne, le concept de « droits d’autrui » n’entrerait dans une déclaration des droits qu’en juin 179365.
35Au total, vingt et un des trente-deux projets spécifiaient des règles et restrictions. Six ne disaient rien de la presse, dont, paradoxalement, celui du futur journaliste radical Jean-Paul Marat. Trois autres projets faisaient allusion à des limites mais chargeaient la Constitution de les définir66. Hormis la proposition de La Fayette, restait un projet anonyme demandant simplement que le nom de l’auteur figurât sur les œuvres publiées.
36La place faite aux limites dans le document d’ensemble constitue une différence importante entre les cahiers de doléances et les projets de déclarations. Si de nombreux projets paraissaient exposer la liberté de la presse de manière plus permissive que les cahiers, les restrictions se glissaient souvent dans des articles voisins. Par exemple, l’article 13 du projet de Jérôme Pétion de Villeneuve semble sans ambiguïté : « Chacun peut écrire ses pensées et les rendre publiques ; on ne doit pas plus gêner le développement des facultés intellectuelles, que le développement des facultés physiques. » Toutefois, dans un article précédent, il affirmait que la liberté individuelle pouvait être limitée par la loi et, en effet, réclamait des lois pour réprimer les opinions religieuses troublant « la tranquillité publique67 ».
37Étienne François Sallé de Choux (qui, comme Pétion, siégera finalement à gauche sur les bancs de l’Assemblée nationale) invoquait seulement « les droits d’autrui » dans son article sur la liberté de la presse. Mais dans un article antérieur, il exigeait que la loi spécifiât des devoirs ainsi que des droits. « Le choc des passions, l’opposition des divers intérêts particuliers pouvant à chaque instant troubler la société, même la renverser, il a fallu des lois qui, fixant les droits et les devoirs de tous les associés, missent un frein à ceux qui refuseraient de les respecter68. » Il mettait en garde contre les transgressions secrètes qui pourraient échapper à la loi et insistait sur le besoin de la religion en la matière, car « elle seule en effet peut les réprimer en commandant aux cœurs ». De même, dans la rubrique « les droits des citoyens », le futur député de gauche Arnaud Raymond Gouges-Cartou demandait la liberté des idées et de leur communication, l’unique restriction étant les attaques contre « les droits d’autrui ». Plus loin pourtant, sous l’intitulé « les droits des sociétés », il évoquait les « délits secrets » sur le plan moral que seules la religion et l’instruction morale pouvaient empêcher69. Certes, de telles réserves ne revenaient pas à restreindre légalement la liberté d’expression, mais ces députés semblaient attendre des institutions religieuses et morales qu’elles surveillent les pensées et les discours. À leur yeux, telle était la condition première à une jouissance responsable de la liberté.
38Plusieurs autres projets considéraient les bonnes mœurs et la religion comme antérieures à la loi positive, dont celui de J. M. A. Servan70. Ce futur Girondin soulignait l’importance de la religion pour former l’opinion. Il s’employait à donner de la religion une définition large, caractérisée par une neutralité confessionnelle.
« Les lois religieuses sont conformes à la liberté civile, lorsque, prescrivant dans la morale des actions utiles à tous, elles ne gênent la liberté des hommes, par le dogme et par le culte, qu’autant que ce dogme et ce culte sont nécessaires pour affermir les principes de la morale. […] Les lois, surtout de l’opinion, maintiennent la liberté civile, lorsque, dans les actions où les lois positives n’ont rien voulu prescrire, chacun se dirige vers le public par la loi seule de l’opinion, qui châtie par la honte et récompense par l’estime71. »
39Comme de nombreux philosophes du milieu du siècle soucieux de la morale civique, Servan pensait que la religion incitait les gens à prendre en compte le bien général. Au côté de la religion figurait une seconde source de morale : l’opinion publique. Mine d’où les autorités tireraient des lignes de conduite, elle était aussi une force morale régulatrice. Les idées de Servan révèlent les tensions qui surgissaient quand on essayait, d’une part, de préserver les mœurs civiques à travers la religion et, d’autre part, d’accorder la liberté religieuse.
40Le 4 août, date de l’abolition des privilèges, l’Assemblée nationale vota contre une déclaration des devoirs. Jusque-là, les restrictions à la liberté de parole entraient souvent dans la colonne « devoirs » des projets ; elles se trouvaient désormais incluses dans des articles sur le droit à la liberté d’opinion et d’expression. Le 19 août, le comte de Mirabeau présenta une ébauche au nom du Comité des cinq. Elle réclamait des limites pour les discours violant « les droits d’autrui72 ». L’Assemblée nationale la rejeta. Selon Marcel Gauchet, les députés lui reprochèrent de ne pas protéger la religion : elle ne demandait pas l’établissement d’un culte public, n’affirmait pas que la religion était garante des mœurs et ne reconnaissait pas en Dieu l’inspirateur des principes de la déclaration73. À court de nouveau modèle, les députés choisirent un texte obscur rédigé plus tôt dans le mois par l’un des trente bureaux de l’Assemblée, le sixième. Contrairement à l’ébauche du Comité des cinq, ce texte-ci était imprégné de religion.
41Le débat sur la liberté d’opinion et la liberté religieuse commença le samedi 22 août ; il devint vite houleux74. Malgré les exhortations au calme du président de l’Assemblée en début de séance, les députés se querellèrent, et le président menaça par deux fois de se retirer. La journée s’acheva sans que l’on parvînt à un accord. Le 23, le comte de Castellane soumit un article plus libéral et concis que ceux discutés la veille : « Nul homme ne doit être inquiété pour ses opinions religieuses, ni troublé dans l’exercice de son culte75. » La proposition suscita une levée de boucliers, et la clause de « l’ordre public » revint sur le tapis. Mirabeau s’y opposa. Il assura que les cultes religieux ne devaient pas être affaire de police, même si, ajouta-t-il cinglant, Néron et Domitien en avaient usé pour réprimer le christianisme naissant. Le trait d’ironie de Mirabeau reçut le renfort d’arguments plus sobres : Jean-Paul Rabaut Saint-Étienne, s’exprimant au nom de ses nombreux électeurs protestants nîmois, demanda la liberté absolue d’exprimer toute opinion religieuse. Mais la majorité voulut garder la clause de « l’ordre public », ce qui impliquait évidemment le maintien de l’orthodoxie catholique76. Beaucoup craignaient que l’extension de l’égalité civile aux protestants ne provoquât des affrontements interconfessionnels, signalant que le spectre des guerres de religion du XVIe siècle hantait encore les imaginations77.
42Au soir du 23 août, l’Assemblée nationale se mit d’accord pour déclarer la liberté d’opinion religieuse mais sans aller jusqu’à approuver la liberté de culte public. L’article 10 affirmait : « Nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi78. » En définitive, l’article n’améliorait guère plus la cause des minorités religieuses que l’édit de 1787 reconnaissant les droits de mariage et de propriété des protestants. Pas plus que l’édit, l’article n’accordait de véritable statut civique aux protestants ni le droit de détenir des fonctions administratives ou des postes d’enseignant79. De nombreux députés n’étaient pas satisfaits de ce texte ; la presse le critiqua également80.
43Toutefois, sa formulation ultime était bien plus tolérante que la proposition originale du sixième bureau. Celui-ci s’était montré assez réformateur sur la liberté de la presse, demandant des limites pour la seule violation des « droits d’autrui », mais il avait traité la liberté religieuse avec moins de brio, la restreignant dans trois articles, dont aucun ne respirait la tolérance religieuse. Le premier article soulignait la nécessité de la religion pour foudroyer les « délits secrets » qui se produisaient dans la conscience morale de chacun, hors d’atteinte de la loi et donc susceptibles de miner le « bon ordre » de la société. Le deuxième déclarait que le catholicisme était le culte national officiel. Le troisième protégeait de la répression les autres opinions religieuses, pourvu qu’elles ne troublent pas l’ordre public. L’Assemblée nationale n’approuva finalement que ce troisième article.
44Pour les défenseurs de la liberté religieuse, il était bien sûr évident que la clause de « l’ordre public » avait un caractère suffisamment vague pour être mise au service de l’hégémonie catholique, surtout si les législateurs devaient ensuite proclamer le catholicisme religion officielle du pays81. Le lendemain, 24 août, un député essaya de renverser la situation en proposant de substituer « les droits d’autrui » à « l’ordre public », mais amender les articles déjà adoptés était interdit. On en vint à l’article 11 – la liberté d’expression. Le texte du sixième bureau constitua une nouvelle fois la base de la discussion : « La libre communication des pensées étant un droit du citoyen, elle ne doit être restreinte qu’autant qu’elle nuit aux droits d’autrui82. » Cette limitation, rejetée la veille pour l’article sur la liberté d’opinion religieuse, servait maintenant de point de départ au débat sur la liberté d’expression. Elle serait pareillement rejetée.
45L’Assemblée nationale accepta la première partie de l’article, relative à la liberté de communiquer ses idées. La seconde partie, concernant les limites, déclencha un débat acharné. François Alexandre Frédéric, duc de la Rochefoucauld-Liancourt, suggéra de la modifier en ces termes : « sauf à répondre des abus de cette liberté, dans les cas prévus par la loi ». Rabaut Saint-Étienne objecta que la disposition était trop floue, qu’elle conduirait à des interrogatoires et à la censure. Il tenta de réintroduire la clause des « droits d’autrui ». Un autre député prôna la mention de l’ensemble, mais la majorité poussa les hauts cris. Quelques députés se demandèrent même si des restrictions avaient leur place dans une déclaration des droits. Robespierre pensait que seule la Constitution devait préciser des limites. « Toute modification doit être renvoyée dans la Constitution83. » Cette suggestion divisa encore plus l’Assemblée. Mirabeau intervint alors et recadra le débat. Au lieu de discuter de leur bien-fondé dans la déclaration des droits, il se demanda s’il fallait considérer les limites comme des restrictions (ce qui, mit-il en garde, entraînerait de nouvelles formes de censure) ou, plutôt, comme des mesures de répression, appliquée après la publication en cas de contenu répréhensible.
46Comme d’autres réformateurs de l’époque, Mirabeau jugeait la liberté de la presse compatible avec une punition a posteriori. « On vous laisse un escritoire pour écrire une lettre calomnieuse, une presse pour un libelle ; il faut que vous soyez puni quand le délit est consommé : or, ceci est répression et non restriction ; c’est le délit que l’on punit, et l’on ne doit pas gêner la liberté des hommes, sous prétexte qu’ils veulent commettre des délits84. » Les députés se dirigèrent dès lors vers le consensus. Malgré deux dernières tentatives pour tirer l’article dans un sens plus restrictif puis plus libéral, Mirabeau l’emporta. L’article sur la liberté d’expression fut voté dans ces termes : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la Loi85. »
47Finalement, l’Assemblée nationale choisit donc d’autoriser la punition des discours abusifs, délictueux. Mais elle remit à plus tard la définition de ce qui constituait un abus. Les abus se borneraient-ils aux attaques contre les droits d’autrui ? Ou comprendraient-ils les attaques contre les valeurs morales et religieuses collectives, comme tant de cahiers l’avaient préconisé et un bon nombre de députés le souhaitaient ?
La primauté de la religion et des mœurs
48Dans son livre de 1788, De l’importance des opinions religieuses, Jacques Necker, protestant, directeur général des finances de Louis XVI, définit les buts de la législation : « Le souverain et les lois interprètes de sa sagesse doivent se proposer deux grands buts : le maintien de l’ordre public, et l’accroissement du bonheur des particuliers ; mais pour atteindre à cette double fin, le secours de la religion est absolument nécessaire86. » Pour Necker, le christianisme précédait la loi positive et était même plus important que l’autorité de l’opinion publique, qu’il s’était pourtant appliqué à promouvoir au cours des années précédentes87. Contrairement aux lois ou à l’opinion publique, la religion, soutenait-il désormais, avait l’avantage de pouvoir « entrer dans le secret de nos cœurs88 ». Les opinions religieuses, poursuivait-il, « par leur influence sur les mœurs particulières, produisirent un nombre infini de belles actions89 ». Necker n’était pas le seul à le penser. Comme nous l’avons vu, cet avis était très répandu au XVIIIe siècle, même parmi les philosophes éclairés.
49L’évêque de Nancy, Anne Louis Henri de La Fare, exposa des idées comparables, quoique moins souples sur le plan confessionnel. Dans son sermon au cours de la messe d’ouverture des États généraux, le 4 mai 1789, La Fare souligna que la religion était la base du bonheur et insista pour qu’elle demeure le fondement sacré de l’État réformé (La Fare dirigera le sixième bureau, qui proposera de faire du catholicisme le culte national exclusif, et deviendra par la suite un contre-révolutionnaire actif). Les idées de La Fare reçurent, semble-t-il, un accueil enthousiaste de la part de la monarchie, du clergé, du tiers état et des journaux (les nobles eurent des réactions diverses, quant à eux90). Comme le suggère la place prépondérante de la religion et des mœurs dans les demandes de liberté de la presse émises par les cahiers de doléances, l’importance que Necker et La Fare donnaient à la religion correspondait au sentiment général.
50Durant l’été 1789, plusieurs députés de l’Assemblée nationale présentèrent des projets de déclarations qui incluaient des restrictions à la liberté d’expression afin de protéger la religion et l’ordre général. Signe du caractère très répandu de telles préoccupations, trois des quatre projets soulignant le grand rôle de la religion dans le modelage des valeurs civiques furent rédigés par des députés qui siégeraient plus tard à gauche (Servan, Gouges-Cartou et Sallé de Choux, le quatrième étant anonyme). La conviction que les mœurs et la religion constituaient les deux piliers jumeaux, se renforçant l’un l’autre, d’un ordre stable subit sa première mise en cause sérieuse lors des discussions sur la déclaration des droits, alors même que des factions commençaient à naître au sein de l’Assemblée. La division fut perceptible dans le débat sur l’article 10. Certes, les partisans de l’orthodoxie religieuse ne réussirent pas à faire inscrire leurs idées dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, mais la clause de « l’ordre public » dans les articles 10 et 11 laissait entière la possibilité que « l’ordre public » fût ultérieurement défini comme un ordre moral catholique. Au cours de l’année suivante, il y eut bel et bien des tentatives pour déclarer le catholicisme culte national. Les défenseurs de la liberté religieuse s’inquiétèrent, non sans raison, que l’hégémonie catholique sur la morale publique favorisât les forces qui cherchaient à renverser la Révolution. Néanmoins, comme leurs adversaires, ils croyaient que les bonnes mœurs requéraient une tutelle. Le problème était qu’ils ne disposaient ni de paradigme moral autre que le catholicisme ni d’institution hormis l’Église catholique sur lesquels se reposer.
51Le rapport entre la religion et les mœurs était donc un point névralgique de la politique révolutionnaire. Si les Jacobins auraient plus tard l’obsession de régénérer moralement la société à travers de nouveaux principes laïcs, il était évident dès le début que beaucoup voulaient maintenir la société sous l’influence morale de l’Église catholique. Et il y avait de puissantes raisons de la maintenir ainsi, surtout au moment où les privilèges étaient abolis et où les documents féodaux, sans parler des châteaux, partaient en fumée. Mais que se passerait-il au cours des deux années suivantes, lorsque les ecclésiastiques exploiteront la religion pour dresser l’opinion populaire contre la Révolution – contre une politique qui étendrait la citoyenneté aux non-catholiques, priverait l’Église de son immense richesse et empêcherait la création d’une religion nationale officielle ? Comme nous le verrons, les révolutionnaires finiraient par dissocier les bonnes mœurs de la religion et par leur chercher un nouvel ancrage laïc. Ils invoqueraient l’esprit public, la loi, jusqu’à la Révolution elle-même, comme bases de leur nouvelle religion civile. Combattant le feu par le feu, ils propageraient ces valeurs avec un zèle apostolique et les citeraient à l’appui de leurs efforts pour consolider l’autorité punitive au sein de l’État. Mais comme l’indiquent les cahiers de doléances de 1789, la majorité de la société française estimait déjà légitime et nécessaire la répression des mauvaises mœurs.
52Quoi qu’il en fût, la guerre concernant les bases sacrées du nouvel ordre n’éclaterait pas avant le printemps 1790. Pour l’heure, en ce mois d’août 1789, les révolutionnaires parvinrent à un compromis sur la liberté d’expression. Ils abolirent ce qui passait communément pour un régime de la presse inefficace, arbitraire et surtout périmé. Mais au moment même où ils clouaient le cercueil de la censure préalable, ils tempérèrent leur élan vers la liberté – et en dernière analyse, le sapèrent – en exigeant la répression d’abus qu’ils ne surent pas définir.
Notes de bas de page
1 Jean Egret, La Pré-révolution française, 1787-1788, Paris, Presses universitaires de France, 1962. Sur les tensions financières, voir Robert Darnton, Gens de lettres, gens du livre, traduit par Marie-Alyx Revellat, Paris, Odile Jacob, 1992, p. 85-98. Sur les tensions ministérielles, voir John Hardman, French Politics, 1774-1789: From the Accession of Louis XVI to the Fall of the Bastille, Harlow, Longman, 1995.
2 AP, tome 1, p. 496.
3 Alexis de Tocqueville, L’Ancien régime et la Révolution française, Paris, Gallimard, 1967, livre III, chap. 1, p. 236.
4 Ibid.
5 Mémoires de la société des Lettres, Sciences et Arts de l’Aveyron 17, 1906-1911, p. 253-281.
6 AP, tome 3, p. 528.
7 AP, tome 2, p. 711.
8 Dans son étude des cahiers, Roger Chartier cite Sasha Weitman, qui montre que la demande de liberté de la presse figurait dans 74 % des cahiers de bailliage ; Sasha Weitman, « Bureaucracy, Democracy, and the French Revolution », thèse de doctorat, université de Washington, 1968. Mes propres sources font apparaître une fréquence supérieure (voir plus loin). Roger Chartier, « Cultures, Lumières, doléances : les cahiers de 1789 », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 28, janvier-mars 1981, p. 89.
9 Jourdan, Isambert, Decrusy, Taillandier (éd.), Recueil général des anciennes lois françaises, Paris, Plon Frères, 1821-1833, tome 21, p. 244.
10 Ibid., tome 22, p. 273.
11 Pour un examen plus approfondi des méthodes, voir mon propre travail, « Policing Public Opinion in the French Revolution », thèse de doctorat, université de Princeton, 2003, appendices A-D, p. 453-513.
12 Dans un souci de concision, j’emploie le terme bailliage pour évoquer toute circonscription autorisée à envoyer des députés aux États généraux : bailliages, sénéchaussées, sièges royaux, colonies royales ou îles, intendances, juridictions royales, gouvernances, pays, prévôtés et vicomtés, principautés, ainsi que villes et villes impériales dans des cas exceptionnels.
13 Aix-en-Provence avait cent treize bailliages secondaires, inférieurs au bailliage principal.
14 L’analyse la plus complète des cahiers de doléances est proposée par Gilbert Shapiro et John Markoff (éd.), Revolutionary Demands : A Content Analysis of the Cahiers de doléances of 1789, Stanford, Stanford University Press, 1998. Leur codage des restrictions apportées aux revendications en faveur de la liberté de la presse n’était pas assez détaillé pour ce que je me proposais à faire. De plus, ils n’ont pas consulté les cahiers du clergé. Mais je voudrais les remercier d’avoir partagé leurs données avec moi ; leur démarche a inspiré la mienne.
15 Alma Söderhjelm, Le régime de la presse pendant la Révolution, Genève, Slatkine Reprints, 1971. Elle a consulté quatre cent soixante-quatre cahiers de bailliage.
16 Ibid., p. 54.
17 L’expression « liberté illimitée de la presse » apparaît dans les cahiers des clergés d’Abbeville, de Belfort, de Huningue et de Lyon, dans le cahier du tiers état de Briey, mais elle est évoquée comme dangereuse et nécessitant une réglementation. Les termes « absolue », « indéfinie » et « entière » figurent dans soixante et un des quatre cent vingt-sept cahiers qui mentionnent la presse.
18 Si l’on ajoute à ces trente-sept cahiers ceux qui s’en remettent à une autorité supérieure pour définir une réglementation et des restrictions, on passe à cinquante-six sur un total de soixante et un.
19 Söderhjelm, Le régime de la presse, p. 59.
20 AP, tome 6, p. 715 (c’est moi qui souligne).
21 AP, tome 2, p. 605.
22 De la liberté de la presse, 5 juillet 1789, p. 27 ; Contre la multiplicité et le danger des brochures, 1789, p. 12.
23 AP, tome 2, p 708.
24 AP, tome 2, p 759.
25 AP, tome 3, p 152. Les cahiers des clergés de Forcalquier et de Dieuze exprimaient aussi l’idée que la liberté de la presse existait déjà.
26 AP, tome 2, p. 91, le clergé d’Auch.
27 Ibid.
28 Les clergés de Bourges, Chartres, Châteauneuf-en-Thymerais, Étain, Laon, Semur-en-Auxois, Sens et Sisteron. La citation est tirée du cahier de Bourges, AP, tome 6, p. 509. Le divorce ne fut légalisé qu’en 1792. Le clergé devait donc parler de la séparation de corps, légalement reconnue par l’Église avant cette date. Rares, les séparations de corps pouvaient être accordées en cas de conflit et d’abus conjugal. Voir Roderick Phillips, Family Breakdown in Late Eighteenth-Century France, Oxford, Clarendon Press, 1980, et Suzanne Desan, Family on Trial in Revolutionary France, Berkeley, University of California Press, 2004, en particulier p. 33.
29 Le clergé de Villefranche-de-Rouergue insistait : « Tout ce qui peut étendre et faciliter le progrès des lumières devant être l’objet particulier de la sollicitude d’un corps dont le principal titre à l’estime publique est l’instruction, le clergé de la sénéchaussée de Villefranche demande la promulgation d’une loi qui établisse la liberté indéfinie de la presse. » Mémoires de la société des Lettres, Sciences et Arts de l’Aveyron, 17, 1906-1911, p. 253-281.
30 Les clergés d’Amiens et Ham, d’Angers, de Carcassonne, de Clermont-Ferrand, de Dax, de Mantes, de Metz, de Paris (extra muros), la noblesse de Bourges et le tiers état de Libourne.
31 Les clergés de Clermont-Ferrand, de Metz et de Paris extra muros.
32 AP, tome 2, p. 708-709.
33 Les cahiers de la noblesse de Périgueux, de Trévoux et de Villefranche-de-Rouergue. En outre, la proposition est sous-entendue par le tiers état des dix villes impériales d’Alsace.
34 Charles Étienne (éd.), Cahiers de doléances du bailliage de Vézelise, dans le tome 3 des Cahiers de doléances des bailliages des généralités de Metz et de Nancy, Nancy, Berger-Levrault, 1930 [séries 1907-1946], p. 458.
35 Ibid., p. 396.
36 Ibid.
37 La catégorie « punir » apparaît dans 23 % des cahiers du clergé, 12 % des cahiers de la noblesse et 13 % des cahiers du tiers état. Le vocabulaire punitif est plus fréquent que le langage des Lumières chez le clergé et la noblesse. C’est le contraire chez le tiers état, qui formulait des arguments éclairés dans 17 % de ses cahiers. Ces pourcentages sont basés sur le nombre total de cahiers mentionnant la presse pour chaque ordre.
38 Camille Bloch, Cahiers de doléances du bailliage d’Orléans pour les États-généraux de 1789, Orléans, Imprimerie Orléanaise, 1907, tome 2, p. 287.
39 Léon Jérôme, Les élections et cahiers du clergé lorrain aux États-généraux de 1789, Paris-Nancy, 1899, p. 62.
40 AP, tome 4, p. 70 (le tiers état de Montreuil-sur-Mer) ; AP, tome 3, p. 528 (la noblesse de Lille).
41 La catégorie « les droits d’autrui » apparaît dans le cahier des nobles de Mantes, rédigé par Condorcet ; voir Lucien Jaume, Les Déclarations des droits de l’homme : 1789, 1793, 1848, 1946, Paris, Flammarion, 1989, p. 89. Le tiers état de Paris extra-muros employa aussi ces termes dans un cahier qui contenait un projet de déclaration des droits. Le clergé d’Autun invoquait « les droits d’autrui » dans sa demande de liberté de la presse ; voir A. de Charmasse (éd.), Cahiers des paroisses et communautés du bailliage d’Autun, Autun, Dejussieux, 1985, p. 357. Comme nous le verrons dans le chapitre 8, le clergé d’Autun serait très divisé sur la question de la religion nationale.
42 Marc Bouloiseau, Cahiers de doléances du tiers état du bailliage de Rouen pour les États-généraux de 1789, 2e éd., ministère de l’Éducation nationale, [1989], tome 1, p. lxiii.
43 Ibid.
44 Ibid., tome 1, p. 105.
45 Ibid., tome 1, p. 89.
46 Ibid., tome 2, p. 71.
47 Ibid., tome 2, p. 41.
48 Ibid., tome 1, p. 230.
49 Joseph Fournier, Cahiers de doléances de la sénéchaussée de Marseille pour les États-généraux de 1789, Marseille, Imprimerie Nouvelle, 1908, p. 1-224 ; la version finale pour la ville figure en page 224.
50 De nombreux cahiers des districts de Paris ayant brûlé en 1871, il est impossible de vérifier la formulation des demandes de liberté de la presse dans la totalité des cas. Selon une étude anonyme de 1867, quarante des soixante districts parisiens réclamèrent cette liberté. Voir Les principes de 1789 et la liberté de la presse. Extraits des cahiers de doléances des trois ordres de toutes les provinces de France, Paris, Lemerre, 1867. Pour les cahiers de certains districts, on peut faire des recoupements avec l’analyse postérieure à la Commune, très appréciée, de Charles-Louis Chassin, Les élections et les cahiers de Paris en 1789, Paris, Jouaust et Sigaux, 1888.
51 Chassin, Les élections et les cahiers de Paris en 1789, tome 2, p. 437.
52 AP, tome 5, p. 282.
53 AP, tome 2, p. 397; AP, tome 3, p. 616; AP, tome 4, p. 94.
54 [Thémines, M. de l’Évêque de Blois], Instructions et cahier du hameau de Madon, Blois, J.-J. Masson, 1789, p. 68-69. Paradoxalement, le nom de l’évêque n’apparaît pas sur la brochure !
55 Lettre de M. de Calonne… à M. de Thémines, évêque de Blois, sur son ouvrage intitulé : « Instructions et cahier du hameau de Madon », Londres, T. Spilsbury, 1789, p. 4.
56 AP, tome 2, p. 70; AP, tome 5, p. 326; AP, tome 2, p. 605; AP, tome 3, p. 766; AP, tome 6, p. 191, respectivement.
57 Instructions envoyées par M. le duc d’Orléans pour les personnes chargées de sa procuration aux assemblées des bailliages, relatives aux États-généraux, suivie de délibérations à prendre dans les assemblées, 1789, p. 6. Il existe plusieurs éditions de cette brochure et la pagination varie. J’ai consulté l’édition de la BNF portant la référence 8-Z LE SENNE 13396 (7).
58 Louis de La Révellière-Lépeaux, Plaintes et désirs des communes tant de ville que de campagne, Angers, 1789. Le cahier du clergé d’Autun figure dans Charmasse, Cahiers des paroisses et communautés du bailliage d’Autun, p. 357.
59 Marcel Gauchet, La Révolution des droits de l’homme, Paris, Gallimard, 1989, p. 45.
60 Carla Hesse, Publishing and Cultural Politics in Revolutionary, Paris, 1789-1810, Berkeley, University of California Press, 1991, p. 21.
61 Raymond Manevy, La Révolution et la liberté de la presse, Paris, Éditions Estiennes, 1964, p. 13-14. Voir aussi Pierre Rétat et Claude Labrosse, Naissance du journal révolutionnaire, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1989, p. 9-12. Le 8 mai, les électeurs du tiers état de Paris émirent un arrêté protestant contre la suppression officielle des journaux de Brissot et de Mirabeau.
62 Gustave Le Poittevin, La Liberté de la presse depuis la Révolution (1789-1815), Genève, Slatkine, 1975, p. 13.
63 Tous les « Américains », comme on surnomma les députés français s’inspirant des déclarations étatsuniennes, ne présentèrent pas des projets sans restrictions, et les Constitutions de certains États en comprenaient bel et bien. Ayant défendu la nécessité de la religion et des bonnes mœurs pour préserver l’ordre social, le député du Quercy Gouges-Cartou proposa de restreindre la liberté de la presse en cas de discours hostiles au culte officiel (gallicanisme). Voir Gauchet, La Révolution des droits de l’homme, p. 52.
64 Antoine de Baecque, Wolfgang Schmale, Michel Vovelle (éd.), L’An I des droits de l’homme, Paris, Presses du CNRS, 1988, p. 66. Cinq propositions interdisaient explicitement les attaques contre la religion (projets 5, 17, 19 et 30). Quatre autres notaient l’importance de la religion pour garantir la morale et l’ordre social général (projets 3, 19, 21 et 24).
65 Voir les articles 5, 6 et 7 de la déclaration des droits d’avril et mai 1793, ainsi que les articles 6 et 7 de l’acte constitutionnel du 24 juin 1793. L’article 2 de la déclaration des droits préfaçant la Constitution de l’an III fait référence aux « droits d’autrui » mais ne mentionne pas la liberté de la presse (voir ma conclusion). Ces documents figurent dans Jaume, Les déclarations des droits de l’homme.
66 Par exemple, le duc de Lévis affirma que « tout homme a le droit de publier ses pensées, de la manière qu’il le juge convenable, et sous les conditions que la loi juge nécessaires pour le bonheur de tous », Projet de Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, dans Baecque et al., L’An I des Droits de l’homme, p. 235.
67 Articles 11, 12 et 13 de la Déclaration des droits de l’homme remise dans les bureaux de l’Assemblée nationale, par M. Peytion [sic, Pétion] de Villeneuve, député de Chartres, dans Ibid., p. 275.
68 M. Sallé de Choux, député du Berry, Projet de déclaration des droits de l’homme en société, ibid., p. 280.
69 M. Gouges-Cartou, Projet de déclaration des droits, dans Ibid., p. 266-267.
70 Voir projets 19, 21 et 24, dans Ibid., p. 266-267, p. 270-271.
71 Projet de déclaration des droits de l’homme et du citoyen, par M. Servan, avocat au Parlement de Grenoble, ibid., p. 79-80.
72 Ibid., p. 129.
73 Gauchet, La Révolution des droits de l’homme, p. 138.
74 Le Hoday, Logographe, n ° 3, p. 78-79, dans Baecque et al., L’An I des Droits de l’homme, p. 171-172. Raymond Birn analyse aussi les débats sur la liberté religieuse et la liberté d’expression à l’Assemblée constituante dans « Religious Toleration and Freedom of Expression », dans The French Idea of Freedom: The Old Regime and the Declaration of the Rights of 1789, Dale Van Kley (éd.), Stanford, Stanford University Press, 1994, p. 267-274.
75 Baecque et al., L’An I des Droits de l’homme, p. 171.
76 Ibid., p. 172-181, p. 182-183.
77 Birn, « Religious Toleration and Freedom of Expression », p. 271; Michael P. Fitzsimmons, The Night the Old Regime Ended: August 4, 1789, and the French Revolution, University Park, Pa., Penn State University Press, 2003, p. 61-63. Au même moment, les spectateurs de la Comédie-Française réclamaient à cor et à cri que fût jouée une pièce interdite (très politique) de Marie-Joseph de Chénier, Charles IX ou la Saint-Barthélemy ; voir mon article « Charles IX and the French Revolution : Law, Vengeance, and the Revolutionary Uses of History », European Review of History 4, no 2, 1997, p. 127-146.
78 Baecque et al., L’An I des Droits de l’homme, p. 181.
79 Birn, « Religious Tolerance and Freedom of Expression », p. 265.
80 Gauchet, La Révolution des droits de l’homme, p. 168.
81 Yann Fauchois, « La difficulté d’être libre : Les droits de l’homme, l’Église catholique et l’Assemblée constituante, 1789-1791 », Revue d’histoire moderne et contemporaine 48, no 1, 2001, p. 74.
82 Baecque et al., L’An I des Droits de l’homme, p. 182.
83 Ibid., p. 185.
84 Ibid., p. 186.
85 Ibid.
86 Jacques Necker, De l’importance des opinions religieuses, Paris, Hôtel de Thou, 1788, p. 9-10.
87 Keith Michael Baker, « Politics and Public Opinion under the Old Regime: Some Reflections », dans Press and Politics in Pre-Revolutionary France, Jack Censer et Jeremy Popkin (éd.), Berkeley, University of California Press, 1987, p. 204-246.
88 Necker, De l’importance des opinions religieuses, p. 79.
89 Ibid., p. 30.
90 Bernard de Brye, « Liberté de la presse et avatars d’un sermon. Recherches sur le sermon prononcé par Mgr de la Fare, évêque de Nancy, lors de la messe d’ouverture des états généraux, le 4 mai 1789 », Annales de l’est 32, no 4, 1980, p. 291.
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