Chapitre II. La culture de la calomnie et de l’honneur
p. 65-79
Texte intégral
« La Réputation est d’autant plus nécessaire aux Princes, que celui duquel on a bonne opinion, fait plus avec son seul Nom, que ceux qui ne sont pas estimés, avec des Armées. »
Cardinal de Richelieu, Testament politique, 1640.
« Un libelle lâché à propos, peut opérer une révolution, changer, maîtriser les esprits, et perdre un homme sans retour, ce qui a de très grands avantages. Nous sommes bien surpris que le fameux Naudé n’en ait rien dit dans son livre sur les coups d’État. »
Simon Nicolas Henri Linguet, Théorie du libelle, ou, l’art de calomnier avec fruit, 1775.
« Être blessé par un discours, c’est souffrir d’une absence de contexte, c’est ne pas savoir où l’on est. […] Ce qui se révèle au moment d’un tel bouleversement, c’est précisément la fugacité de notre place au sein de la communauté des locuteurs ; nous pouvons être « remis à notre place » par un tel discours, mais cette place peut être une absence de place. »
Judith Butler, Le pouvoir des mots. Politique du performatif, 2004.
La signification de la calomnie
1« Il n’est point de plus grand crime que la calomnie. » Ainsi écrivait en 1649, pendant la Fronde, l’auteur du Véritable tableau de la calomnie, exprimant une opinion très répandue dans la France de l’Ancien Régime1. Dans son traité de 1776 sur les discours offensants, le juriste François Dareau déclara : « Tout ce que le crime a de plus bas, se trouve dans la calomnie2. » Le juriste Daniel Jousse avait déjà affirmé en 1771 que « c’est une espèce d’homicide que d’attaquer la réputation et l’honneur de quelqu’un, qui souvent sont plus chers que la vie elle-même3 ». En outre, l’Église croyait la réputation individuelle d’une personne tellement sacrée qu’elle refusait le sacrement de la communion aux calomniateurs de la même façon qu’aux homicides4. En effet, la calomnie était fréquemment assimilée au meurtre et souvent dite plus horrible. L’auteur du Véritable tableau de la calomnie soutint que calomnier constituait « un plus grand crime que d’ôter le pain de la bouche du pauvre et nécessiteux ; car comme l’âme est plus précieuse que le corps, il est indubitable que c’est peu faire d’ôter la nouriture de celle-là, que de la ravire à celuy-cy5 ».
2Les Lumières avaient certes laïcisé la vision que les gens avaient de l’honneur – devenu un bien temporel au lieu d’une « vraie propriété spirituelle » –, mais l’idée que la réputation de quelqu’un était égale, voire supérieure, à son existence demeurait6. L’auteur du Traité sur la calomnie, publié durant la guerre des libelles au sein de la république des lettres en 1769, soulignait que le crime du calomniateur, qui consiste à ruiner l’honneur, « est moins pardonnable que celui du brigand qui ôte la vie, en comparant l’importance des deux biens que l’un et l’autre enlèvent ; il ne mérite par conséquent ni plus de pitié, ni plus d’indulgence7 ». Cette opinion fut reprise à la veille de la Révolution. Dans De la morale naturelle suivie du « Bonheur des sots » (ouvrage faussement attribué à Necker), on peut lire qu’un « trait de calomnie est plus cruel que le poignard d’un assassin8 ». De même, l’auteur d’une brochure réagissant à l’appel du duc d’Orléans pour la liberté de la presse en 1789 soutenait que « déshonorer un citoyen par un écrit scandaleux, c’est le faire mourir civilement9 ».
3Qu’était, précisément, la calomnie pour les contemporains de l’Ancien Régime ? Les définitions variaient. D’après un dictionnaire de jurisprudence du XVIIe siècle, « calomnier selon le droit, est malicieusement et sciemment proposer et soutenir en jugement ce qui est faux, sans preuve, et contraire à la raison, ou c’est accuser quelqu’un et dénoncer de crime qui n’est point advenu10 ». L’auteur du Véritable tableau de la calomnie l’identifiait à la médisance. « Comme il n’est point de crime plus grand que la calomnie, il ne me semble pas juste de taire le vice des médisans, qui par la méchanceté de leur langue s’efforcent de ruiner la réputation de leur prochain11. » Le juriste Dareau, lui, établissait une distinction entre les deux. Alors que la calomnie désignait l’imputation de crime fausse et malveillante, la médisance signifiait contester l’intégrité morale d’autrui. Ces deux types de discours offensants, insistait Dareau, étaient répréhensibles. Bien que la calomnie fût punie plus sévèrement que la médisance, celle-ci pouvait, en réalité, causer plus de tort. La dimension concrète des imputations « calomnieuses » permettait aux victimes de réfuter l’accusation, mais les vagues doutes et soupçons suscités par la médisance étaient beaucoup plus difficiles à démentir12. En tous les cas, des distinctions aussi subtiles étaient absentes des conceptions ordinaires de calomnie, lesquelles avaient tendance à la ranger avec la médisance. Pour citer l’Encyclopédie, « on calomnie quelqu’un, lorsqu’on lui impute des défauts ou des vices qu’il n’a pas13 ».
4Il y avait de nombreux moyens de répandre la calomnie dans la France de l’Ancien Régime. Ouvrages imprimés, rumeurs, chansons publiques, correspondance privée constituaient tous de bons véhicules pour ternir et même détruire les réputations. Selon l’auteur du Traité sur la calomnie, la diffamation épistolaire était particulièrement efficace, surtout quand de telles lettres étaient envoyées à des ennemis ou à des protecteurs : elles « peuvent détruire les fortunes les mieux établies, briser les nœuds les plus sacrés ; elles peuvent ôter aux pères de familles, aux chefs d’entreprises intéressantes les appuis qui leur étaient nécessaires14 ». Il soutenait que les auteurs de ces lettres devraient être poursuivis en justice, et proposait d’exiger que tous les plis confiés au service postal portent le nom de l’expéditeur. Hostile aux Lumières, il continuait en exprimant ses doutes sur les philosophes, qu’il accusait de calomnier tel ou tel par leur usage fourbe de la raison : « Sa réputation et son produit sont sacrifiés à la malignité d’un calomniateur qui a presque toujours l’art de faire entrer pour quelques choses dans la critique d’un écrit, le caractère et les mœurs de l’écrivain15. »
5Malgré la turpitude qu’elle constituait à leurs yeux, certains penseurs de la calomnie avaient des sentiments partagés à son égard. L’auteur du Véritable tableau de la calomnie, après des pages à déclamer sur ses méfaits, encourageait les lecteurs à ne pas verser dans une indignation irréfléchie. On pouvait même être reconnaissant aux calomniateurs : puisque nos proches et amis étaient souvent trop polis pour signaler nos défauts, « la langue de nos ennemis nous est extrêmement utile pour nous faire entendre nos défauts, pour nous découvrir des maladies, qui autrement seraient incurables, parce qu’elles demeuraient inconnues16 ». L’article « calomnie » de l’Encyclopédie laisse supposer que ceux qui se prétendent victimes de la calomnie sont souvent eux-mêmes coupables de déformer la vérité. La calomnie y est décrite comme une réalité de la vie et un monde où elle n’existerait pas comme un rêve chimérique. « Transportez-vous en esprit dans quelque monde imaginaire, où vous supposerez que les paroles sont toûjours l’expression fidèle du sentiment et de la pensée […] où l’on vive sans soupçon et sans défiance, à l’abri des impostures, des perfidies, et des délations calomnieuses : quel délicieux commerce, que celui des hommes qui peupleroient cet heureux globe17 ! » Ces idées sur la calomnie (elle révélait les défauts, ses prétendues victimes étaient souvent ses auteurs, un monde sans elle relevait de la fantasmagorie) réapparaissent après 1789 dans les débats sur la liberté de la presse. Même si le désir de punir les calomniateurs prévalait, certains législateurs et journalistes soulignaient les bienfaits de la calomnie, élaborant des conceptions nouvelles, quasi libertaires, de la liberté de parole.
6Dans La philosophie dans le boudoir (1795), le marquis de Sade parodia ces arguments en les poussant à l’extrême. Un pamphlet politique fictif lu par l’un de ses personnages rassemblait les arguments sur les bienfaits de la calomnie dans une véritable apologie républicaine de celle-ci. Selon cet écrit intitulé Français, encore un effort si vous voulez être républicains, la calomnie exagérait parfois les défauts, mais en dernière analyse elle dissuadait les mauvais sujets de commettre le mal en plaçant le caractère de ces individus sous la surveillance du public. Ainsi, la calomnie freinait les mauvais élans. Pour leur part, les gens honnêtes n’avaient rien à redouter d’elle, puisqu’elle leur donnait l’occasion de prouver leur intégrité. Combattre les assertions calomnieuses aiguillonnait les vertueux vers des sommets de vertu plus hauts encore. « Or, je demande maintenant sous quel rapport le calomniateur pourra vous paraître à craindre, dans un gouvernement surtout où il est si essentiel de connaître les méchants, et d’augmenter l’énergie des bons18 ? »
L’honneur
7L’ironie de Sade souligne combien la calomnie était jugée épouvantable dans la France du XVIIIe siècle. Les gens avaient effectivement lieu de s’en inquiéter. Au sein d’une société dans laquelle la promotion et l’influence dépendaient de l’honneur et de la réputation, la calomnie pouvait menacer les intérêts sociaux, économiques et politiques à tous les niveaux. Bien sûr, les enjeux d’honneur étaient importants à la Cour, car les faveurs, les privilèges et l’accès auprès du roi en dépendaient. Les propos injurieux, qu’ils contiennent ou non un fond de vérité, pouvaient transformer les courtisans en parias, disgracier des ministres, voire ébranler l’économie et mettre en péril les coffres du royaume. L’importance économique de l’honneur, ou crédit, s’étendait de la cour de Versailles jusqu’aux campagnes les plus isolées. Malgré l’image donnée par l’École des Annales de paysans besogneux, des recherches récentes sur la campagne française au XVIIe et au XVIIIe siècles ont montré la présence de marchés vigoureux et d’un système de crédit. Même les paysans pauvres et les domestiques avaient souvent accès au crédit. Or pour en bénéficier, il fallait avoir une bonne réputation, et des voisins vindicatifs ou jaloux à langue de vipère pouvaient la salir19.
8Les citadins avaient les mêmes raisons de s’inquiéter des répercussions de la calomnie sur leur honneur. Comme l’observe l’historien David Garrioch dans son étude de la vie de quartier à Paris, les valeurs sur lesquelles reposait une bonne réputation étaient « principalement celles qui étaient nécessaires pour survivre dans le contexte économique et social particulier où se trouvaient les gens ». Garrioch ajoute que les préoccupations relatives à l’honneur venaient plus de la charge symbolique des propos outrageants que de la vérité des affirmations. On ne prenait pas toujours de tels propos au pied de la lettre, mais on y voyait un défi nécessitant une réponse. Les injures « étaient un bannissement symbolique de la victime, des expressions individuelles de rejet et de mépris qui, si elles demeuraient impunies, risquaient d’influencer l’attitude d’autres personnes20 ». L’économie de l’honneur, de l’estime et de la déférence reflétait la rareté – perçue, du moins – des occasions et des ressources dans la société. En effet, les conceptions de l’honneur sous l’Ancien Régime avaient une dimension presque mercantiliste, comme si les gens pensaient qu’il existait dans le monde une quantité fixe d’honneur et que s’en assurer une part devait se faire au détriment d’autrui. En tout cas, l’importance de l’honneur transparaît dans la forte proportion d’affaires ayant trait à des injures dans les registres des tribunaux locaux et des hautes cours d’appel (parlements). Les archives du « Petit Criminel » du Châtelet, la cour prévôtale de Paris, montrent que, après les larcins, les injures étaient l’infraction la plus souvent jugée, représentant environ un tiers des affaires, et même les deux tiers si on inclut les injures accompagnées de violence21. Dans son étude sur les villes et les campagnes du Languedoc, Nicole Castan constate des proportions semblables pour le Parlement de Toulouse22.
9La culture de l’honneur sous l’Ancien Régime se composait de normes idéales et de pratiques impitoyables. En matière d’idéaux, l’honneur consistait dans la noblesse, le courage, l’intégrité, la civilité, le respect des supérieurs et des valeurs communes sacrées (au premier chef la religion et le patriotisme). Sur le plan pragmatique, il signifiait la capacité à imposer l’estime et la déférence et à venger les attaques envers la réputation personnelle. Honneur et vengeance étaient inséparables, comme le déploraient les auteurs de la rubrique « honneur » dans l’Encyclopédie : « On honore encore aujourd’hui dans certains pays de l’Europe, la plus lâche et la plus odieuse des vengeances, et presque partout, malgré la religion, la raison et la vertu, on honore la vengeance23. » Les auteurs pensaient manifestement que la religion, la raison et la vertu devaient freiner les vengeances au sein de la société. C’était aussi la conviction des révolutionnaires qui, par la régénération morale, s’efforcèrent d’enrayer le processus de vengeance alimentant la Terreur.
10Sous l’Ancien Régime, l’honneur dépendait de données objectives, telles que la naissance, les titres et les privilèges, autant que d’éléments subjectifs, dont l’opinion d’autrui. Entre ces deux ensembles de critères, le chemin était difficile et les dilemmes souvent nombreux. Au cours du XVIIIe siècle, les changements sociaux et politiques compliquèrent encore les choses. Progression de la bureaucratie absolutiste et des charges vénales, développement des armées professionnelles, essor de la commercialisation et du crédit, urbanisation, épanouissement de la civilité et de la sociabilité d’élite, montée de la sphère publique, toutes ces évolutions affectèrent les règles de l’honneur, suscitant des inquiétudes sur le prestige et sur la manière d’affirmer et de défendre son honneur personnel24. L’expansion de la sphère publique était très fâcheuse pour la culture de l’honneur : la calomnie se diffusant parmi un nombre toujours plus grand de personnes, l’enjeu des affaires d’honneur devenait encore plus crucial.
11Si l’on redoutait la calomnie, c’était notamment à cause de la certitude qu’il ne pouvait pas y avoir de réparation complète de l’honneur blessé. Dans l’article « cicatrice » de l’Encyclopédie, le chevalier Jaucourt comparait les cicatrices chirurgicales à celles laissées par la calomnie : « Je réponds que cette marque blanche est ineffaçable, et qu’elle ressemble aux effets de la calomnie, dont après que les plaies qu’elle a faites sont refermées, les cicatrices demeurent toûjours25. » Cette idée correspondait aux conceptions des débuts de l’Europe moderne selon lesquelles les cibles de crimes (qu’il s’agisse d’objets ou d’individus) étaient endommagées ou contaminées d’une manière irrémédiable. Dans De jure praedae (1604), le juriste hollandais Hugo Grotius critiquait les « scrupules superstitieux » de corsaires qui séparaient physiquement les biens saisis par la violence des biens acquis par une opération commerciale, de peur que les premiers ne contaminent les seconds26. On croyait aussi que l’intervention des tribunaux pouvait exacerber l’infamie endurée par les victimes, même quand les jugements leur étaient favorables. Car en arbitrant des scandales, les tribunaux confirmaient l’existence de ces derniers d’une voix solennelle et souveraine, renforçant la honte qui leur était associée27. Dans l’article « infamie » du Dictionnaire des cas de conscience (1740), les théologiens de la Sorbonne observaient : « L’infamie est une tache imprimée à l’honneur et à la réputation d’une personne, et qui ne s’efface jamais ni par l’abolition du crime qui l’a causée, ni par le laps de temps28. » Ils ajoutaient : « Nous dispensons de la peine, dit un Empereur, mais nous n’effaçons pas l’infamie. » Plus loin dans le texte, ils tempéraient cette idée tout en soulignant qu’il était difficile pour les tribunaux de réparer les atteintes portées à l’honneur. Ils établissaient une distinction entre infamie de droit et infamie de fait : la première était plus durable que la seconde, notaient-ils, car une victime dont la flétrissure était prouvée par une décision judiciaire voyait son honneur marqué d’une tache plus indélébile que la victime dont le déshonneur était appréhendé par la seule communauté. « Un homme qui n’a contre lui que l’infamie de fait peut rétablir sa réputation en changeant de conduite et par la conversion de ses mœurs. » En revanche, l’infamie de droit « ne s’efface que très difficilement, puisqu’il faut la grâce du Prince pour en empêcher les effets, ou un jugement solennel qui rétablisse la personne diffamée dans sa première réputation29 ». Pour éviter qu’on ne croie à une référence aux auteurs de crimes, les théologiens donnaient un exemple montrant bien qu’ils pensaient aussi aux victimes. Ils faisaient l’hypothèse d’une fille violée qui obtenait la condamnation de son agresseur. La plaignante avait-elle ainsi réparé son honneur ? À cette question, les théologiens répondaient : « L’infamie de la fille est devenue plus grande et plus certaine depuis la sentence qu’elle n’était auparavant30. »
12Dans un monde où les victimes de la calomnie avaient peu à gagner (voire plus à perdre) d’une action en justice, l’incitation à se venger hors des tribunaux était forte, surtout quand on disposait des ressources nécessaires. Pourtant, au XVIIIe siècle, les tribunaux locaux examinaient très souvent ce type d’affaires ; dès lors, il y a deux interprétations possibles : soit la société rejetait l’idée plus ancienne selon laquelle l’intervention judiciaire ternissait l’honneur de la victime, soit (je penche pour cette hypothèse) de telles infractions étaient si courantes que les comptes rendus n’en représentent qu’une partie.
13Dareau percevait bien les risques que comportait la salle d’audience pour l’honneur individuel ; dans son Traité sur les injures, il minimisait donc l’importance d’une découverte de la vérité qu’auraient pu contenir les calomnies. « Outre qu’il y a un surcroît d’injure d’offrir la preuve de la vérité du mal que l’on dit, […] si cette vérité pouvait servir d’excuse, tous les jours ce prétexte donnerait ouverture à de nouvelles injures, qu’il est toujours prudent d’éviter31. » Dareau pressait les magistrats de s’attacher à préciser d’abord la réalité de la déclaration (avait-elle été faite, et avait-elle été faite par l’accusé ?), ensuite le statut respectif des parties. Le principe qui animait la jurisprudence de l’Ancien Régime en matière d’injures n’était pas la vérité, mais la hiérarchie. Celle-ci déterminait les catégories utilisées pour classer les injures, leur gravité et les châtiments à infliger.
14Dareau commençait son traité en différenciant les injures particulières des injures publiques. Ces dernières incluaient les attaques envers des personnages publics et les valeurs communes et sacrées, avant tout la religion et les bonnes mœurs. Fait surprenant, Dareau avait peu à dire sur les injures publiques : sa définition occupait moins de quarante pages de son livre qui en comptait presque cinq cents. Non que Dareau estimât ces délits insignifiants. Au contraire, comme Jousse, il croyait que les injures contre la religion et l’autorité souveraine constituaient deux des plus grands crimes reconnus par la loi : lèse-majesté divine et lèse-majesté humaine32. Mais chacun d’eux consacrait la majeure partie de son ouvrage à expliquer les subtilités de la hiérarchie sociopolitique. Au sommet de la hiérarchie de Dareau, on trouve Dieu et le roi, suivis par les ecclésiastiques, les gentilshommes, les gens de guerre, les gens de robe, les receveurs et fermiers, et même les gens de lettres (dans la liste de Jousse, Dieu et les saints viennent en premier, puis le roi, le pape, les cardinaux et les évêques, les prêtres, les magistrats et les gens de guerre). En bas de l’échelle figurent les simples bourgeois, les gens du peuple et les femmes33. On devine dans les exhortations de Dareau à prendre ces cas au sérieux le dédain habituel des magistrats pour les affaires concernant les classes modestes. Même si la tâche était fastidieuse, il importait de montrer que l’autorité de la loi vengerait les victimes d’infractions parmi les ordres inférieurs. Sinon, mettait-il en garde, les individus pourraient chercher à se dédommager, menaçant par là l’ordre public34. L’honneur des membres des classes modestes comptait donc, à l’inverse de celui des nécessiteux et des misérables. Jousse le soulignait de façon claire et concise : « À l’égard des personnes viles et infâmes, elles n’ont pas l’action d’injures35. »
15Le statut respectif des intéressés aidait à déterminer le classement des injures. D’après Dareau, celles-ci pouvaient être atroces, graves ou légères (Jousse ne reconnaissait que les injures graves et légères). Alors que pour les troisièmes, on pouvait agir par la voie civile ou par la voie criminelle, les premières et deuxièmes relevaient strictement du criminel. C’est un fait qu’il convient de garder à l’esprit. Il explique en partie pourquoi les révolutionnaires avaient tendance à exagérer les insultes visant l’honneur individuel afin qu’elles deviennent des calomnies contre l’autorité souveraine ou les valeurs communes. Cela justifiait de traiter l’affaire comme un crime majeur. Et même si une condamnation pénale ne pouvait jamais réparer entièrement l’honneur d’une victime, la punition était plus éclatante et plus digne pour la victime, car on ne vengeait pas une simple attaque contre l’honneur individuel, mais une atteinte aux fondements de la communauté.
16Selon Jousse, la principale considération juridique dans ces affaires était la « qualité de la personne qui commet l’injure, et de celle qui la reçoit36 ». Avis que partageait Dareau : « Quoique les injures verbales ou par écrit ne soient pas toujours atroces en elles-mêmes, elles sont néanmoins réputées telles, lorsqu’elles partent d’un homme vil vis-à-vis d’un homme en place37. » Dareau et Jousse soutenaient que, en cas d’étroites relations de pouvoir, la personne subordonnée avait des droits inférieurs, voire nuls. Ainsi, un huissier ne pouvait pas exiger réparation pour les injures venant d’un juge, un fils pour les injures venant de son père, une femme pour les injures venant de son mari, un domestique ou un artisan pour les injures venant de son maître. « Autrement il ne serait jamais possible de remontrer personne », expliquait Dareau ; comme si des réprimandes insultantes étaient indispensables pour obtenir un bon comportement38 ! Une étroite relation de pouvoir entre les deux parties justifiait également d’élever l’injure au rang de crime public, à cause du risque pour l’autorité concernée. Dans la liste de Jousse comprenant seize injures parmi les plus graves, après la lèse-majesté divine et la lèse-majesté humaine, on trouve les injures prononcées par les femmes contre leurs maris, les enfants contre leurs parents (accompagnées de violence, elles pouvaient mériter la mort), les vassaux contre leurs seigneurs et les domestiques contre leurs maîtres39. Dareau illustrait la nature hiérarchique de la jurisprudence : « L’injure d’un Domestique, par exemple, vis-à-vis de son Maître, est une injure grave, tandis souvent que la même injure peut n’être rien de la part du Maître vis-à-vis de son Domestique40. »
17Les sanctions elles-mêmes étaient imprégnées de considérations hiérarchiques. Jousse informait ses lecteurs : « Si l’injure […] est proférée par une personne de basse condition, contre une personne noble ou élevée en dignité, elle se punit plus sévèrement41. » Mais si une personne d’un état distingué calomniait un inférieur, l’injure pouvait ne pas être punie du tout, car « la dignité, ou le rang de celui qui fait l’injure, la rend aussi excusable42 ». Dans les affaires entre particuliers (sans lien avec une autorité politique, corporatiste ou familiale), la loi prévoyait deux catégories de réparations : pécuniaires et symboliques. Les réparations pécuniaires visaient à couvrir les frais judiciaires et les dommages que l’insulte avait pu causer à la victime. Les réparations symboliques pouvaient consister en excuses dans un lieu public, généralement l’endroit où l’injure avait été proférée ou le domicile de l’offensé. Les réparations en personne s’appliquaient seulement à des offenseurs dont le rang social était égal ou inférieur à celui de la victime. « Si au contraire un homme distingué s’oubliait envers quelqu’un au-dessous de lui, il faudrait que l’outrage fût bien indigne, pour qu’il fût obligé de subir une réparation en personne43 », écrivait Dareau. La même logique s’appliquait dans les affaires concernant d’éminents roturiers insultés ou calomniés par des individus de statut inférieur. Cependant, au sein des classes modestes, il fallait éviter les réparations en personne de crainte qu’elles ne fournissent l’occasion de renouveler les hostilités44. Si l’autorité institutionnelle (autorité familiale incluse) était ébranlée, les injures passaient pour un crime public. Dans ces cas-là, les coupables devaient des excuses publiques au roi, à Dieu et à la communauté, et pouvaient être condamnés au bannissement, aux galères, voire à mort45.
18Pour Dareau et Jousse, protéger l’autorité et la hiérarchie sociale était plus important que déterminer s’il y avait un fond de vérité dans la calomnie. On s’étonnera que ni l’un ni l’autre n’expliquent comment les juges étaient censés s’y prendre pour évaluer la vérité des imputations calomnieuses. Jousse soulevait le problème au passage, reconnaissait que c’était une « grande question », mais l’écartait très vite, concluant que même si l’injure était vraie, « la vérité […] n’excuse jamais celui qui en est l’auteur46 ». Manifestement, ce qui comptait dans de telles affaires était les atteintes à l’honneur subies par les élites.
19Alors que l’on s’attachait tant à préserver la hiérarchie sociopolitique, qu’arriverait-il quand la Révolution introduirait les principes de la liberté d’expression et de l’égalité civile ? Comment les élites, habituées à leur statut privilégié dans l’économie de l’estime et de la déférence caractéristique de l’Ancien Régime, réagiraient-elles à la calomnie après 1789 ? Dans quelle mesure même le plus tolérant des dirigeants révolutionnaires pourrait-il supporter que les insultes et la calomnie demeurent impunies sans que son autorité soit compromise ? La Révolution ne contesta pas seulement la base idéologique de l’absolutisme ; elle ébranla aussi les fondements sociologiques de la légitimité sociale et politique.
Défendre son honneur dans un monde hiérarchique
20Sous l’Ancien Régime, il y avait plusieurs moyens de riposter à la calomnie en dehors des tribunaux. Rendre la pareille était fréquent, comme le montrent les guerres de libelles qui s’intensifièrent au long du XVIIIe siècle. S’ils étaient de la même condition sociale, les adversaires pouvaient choisir le duel ou la rixe. Pour les élites ayant les bonnes relations, les lettres de cachet étaient susceptibles d’entraîner l’emprisonnement d’un prétendu calomniateur sans le scandale qui accompagnait un procès ; la Bastille, parmi d’autres prisons, abrita beaucoup de ces détenus au cours du siècle47.
21La carrière de Voltaire illustre quelques-unes des tactiques qu’employaient les particuliers pour essayer de défendre leur honneur. Selon Frantz Funck-Brentano, la première lettre de cachet reçue par Voltaire en 1717 ne vint pas, comme on le croit souvent, en réponse à la parution de J’ai vu, pamphlet qui attaquait le gouvernement. Cette erreur renforce l’image mythique du philosophe, pourfendeur héroïque d’un gouvernement arbitraire. En réalité, Voltaire fut arrêté pour de vulgaires insinuations d’inceste entre le régent et sa fille dans Puero regnante, couplet chanté dans les rues de Paris48. Il passa près d’un an à la Bastille. Son incarcération suivante eut lieu neuf ans plus tard. Il était alors devenu l’invité régulier des nobles parisiens, qu’il amusait par son esprit mordant. Lorsqu’il se mit à ridiculiser le chevalier de Rohan, l’aristocrate se vengea en envoyant des brutes à sa solde, qui rossèrent Voltaire dans la rue sous le regard de ses hôtes. D’après l’historien Peter Gay, les hôtes de l’écrivain « le trouvèrent encore plus amusant dans le rôle de la victime que dans celui du compagnon de table49 ». Si le duel pouvait permettre de venger les atteintes à l’honneur, cette forme rituelle de combat devait se dérouler entre des personnes de condition égale. Voltaire réclama un duel contre le chevalier, mais le cousin de ce dernier, qui n’était autre que le cardinal de Rohan, réussit à obtenir une lettre de cachet contre lui50. À la suite de cette affaire, les amis aristocrates de Voltaire lui tournèrent le dos. Comme le conclut Gay, il ne fallait pas « briser les barrières de classe en répliquant à un noble », car dans « les conflits entre le rang et la justice, c’était la justice, et non pas le rang, qui cédait51 ». Notons néanmoins qu’il n’y avait nul conflit entre le rang et la justice. Sous l’Ancien Régime, le rang était juste, et le chevalier et les amis aristocrates de Voltaire pensaient sans aucun doute que battre un bourgeois pour des injures contre un noble était dans l’ordre naturel des choses.
22Outre les lettres de cachet et les duels, les tribunaux constituaient un recours possible. Voltaire choisit cette voie en 1746. Nommé historiographe du roi l’année précédente, il avait l’ambition de devenir gentilhomme de la chambre et membre de l’Académie française. Ses adversaires tentaient de s’opposer à son avancement en diffusant des libelles contre lui. Conscient qu’il ne pouvait pas rester passif sans sacrifier sa réputation, Voltaire demanda l’ouverture d’une enquête. Des poursuites furent engagées contre Louis Travenol, violoniste à la Cour, et son père. Transférée du Châtelet au Parlement de Paris, l’affaire s’éternisa. Finalement, le verdict n’apporta satisfaction à personne, car il imposa un compromis. Voltaire ne recourut plus jamais aux tribunaux. Il trouva une autre manière de livrer bataille pour son honneur : l’écriture. Dans les décennies qui suivirent, il attaqua ses ennemis par la correspondance et les livres, en sécurité dans sa maison de Ferney, à un jet de pierre de la frontière suisse.
23Lorsqu’il relata l’affaire Voltaire-Travenol trente ans plus tard, Dareau loua Voltaire d’avoir préféré le litige à la plume venimeuse. Le juriste déplorait le fait que trop d’écrivains n’agissaient pas de même (il ne sut pas reconnaître que Voltaire, en réalité, diffama bel et bien ses ennemis par écrit ultérieurement). « Si […] un grand maître tel que M. de Voltaire, à qui le génie et le talent auraient fourni des armes supérieures, s’il n’avait été question que de repousser la malignité par des injures, n’a pas dédaigné de recourir à l’autorité de la Justice pour se garantir de tous ces misérables écrits qui le poursuivaient, à plus forte raison pourquoi d’autres Écrivains offensés, en suivant son exemple, rougiraient-ils de prendre la même voie52 ? » Alarmé par la prolifération des libelles à l’époque où il rédigeait son traité, c’est-à-dire les années 1770, Dareau proposait qu’un tribunal spécial fût créé. Comme nous le verrons, les révolutionnaires aussi proposeront, en 1793, d’établir des cours spéciales – les tribunaux de censure civile – pour s’occuper de la calomnie.
24Tandis que les élites se tournaient vers les duels, les lettres de cachet et les libelles, les humbles, en particulier les jeunes gens, résolvaient les questions d’honneur dans la rue. Que Dareau ait exhorté les magistrats à ne pas négliger ces affaires laisse supposer qu’elles étaient fréquentes, et les archives du Châtelet contiennent en effet une grande proportion de cas où les injures s’accompagnèrent de violence53. Le journal de Jacques-Louis Ménétra, maître vitrier, revenant sur sa jeunesse errante dans les années 1770, fournit de nombreux exemples d’affaires d’honneur réglées à coups de poing, à l’épée (malgré un usage réservé aux nobles), voire avec des manches à balais54. Lorsque la Révolution éclata, Ménétra était installé comme maître vitrier à Paris. Mais la culture de la calomnie et de l’honneur qui avait structuré et animé la vie de quartier dans l’Ancien Régime pénétra la politique révolutionnaire locale. Nous le constaterons dans les prochains chapitres.
La calomnie, l’honneur et la Révolution
25Il est peu étonnant que le Traité des injures de Dareau soit paru en 1775. À cette date, la culture de la calomnie et de l’honneur, contrariée et amplifiée par une sphère publique en expansion, s’était répandue dans la totalité de la vie publique. Les batailles au sein de la république des lettres, la résistance au coup de Maupeou (1771-1774), l’indignation suscitée par la libéralisation du commerce des grains et l’abolition des corporations (1774-1776), les guerres spéculatives, la crise fiscale et les scandales de corruption (dans les années 1780) contribuèrent tous à une surabondance de calomnies55. La culture de la calomnie était si omniprésente qu’elle servit de leitmotiv dans Le barbier de Séville, la pièce à grand succès de Pierre Augustin Caron de Beaumarchais, montée l’année même où, d’ailleurs, le traité de Dareau fut publié. La controverse qui entoura la première de La folle journée ou le mariage de Figaro (1784), le succès suivant de Beaumarchais, fut elle-même nourrie par la calomnie. Quant au dramaturge, il devint pour le reste de la décennie un personnage central dans les affaires de calomnie, à la fois victime et auteur56. Comme l’a montré Robert Darnton, dès le début des années 1780, de puissants hommes politiques et financiers employaient des écrivains à produire quantité de propagande et de libelles afin de convaincre l’opinion ; Beaumarchais travaillait pour Calonne. Et à mesure que la sphère publique se développa dans les dernières décennies de l’Ancien Régime, la calomnie s’intensifia.
26La culture de la calomnie et les libelles en particulier provoquèrent-ils la chute de l’Ancien Régime ? Les historiens en débattent57. Une certitude demeure néanmoins : lorsqu’ils proclamèrent la liberté d’expression dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en 1789, les révolutionnaires restaient imprégnés de cette culture58. Ils persistaient à exprimer la contestation par la calomnie de même qu’ils persistaient à la considérer comme un grave crime, voire une trahison quand elle attaquait l’autorité souveraine ou les valeurs morales sacrées. Et malgré le large consensus sur l’abolition de la censure préalable obligatoire, ils étaient loin d’avoir assimilé – juridiquement ou psychologiquement – les conséquences de la liberté de parole pour leur réputation, encore moins pour l’économie de l’estime et de la déférence sur laquelle reposait la hiérarchie sociale et politique.
27Borner la liberté d’expression par la loi serait une question urgente et polémique dans les premières années de la Révolution. Bien sûr, garantir l’estime et la déférence représentait un immense enjeu. Dans leurs tentatives pour différencier la liberté de la licence, la critique de la calomnie, les contemporains n’étaient pas guidés uniquement par le souci de leur honneur. Ils étaient aussi influencés par l’héritage des Lumières sur les limites légitimes à la liberté d’expression.
Notes de bas de page
1 Le véritable tableau de la calomnie et le portraict des médisans, exposez en public, par la vertu triomphante du vice ; avec un discours moral sur le mesme sujet, Paris, 1649, p. 3.
2 François Dareau, Traité des injures dans l’ordre judiciaire : Ouvrage qui renferme particulièrement la jurisprudence du petit-criminel, Paris, Nyon, 1775, p. 5.
3 Daniel Jousse, Traité de la justice criminelle de France, Paris, Debure père, 1771, tome 3, p. 651.
4 Encyclopédie, tome 2, p. 563-564. L’auteur cite Blaise Pascal.
5 Le véritable tableau de la calomnie, p. 4.
6 Pour l’idée que l’honneur était une sorte de propriété spirituelle, voir Laurent Bouchel, La Bibliothèque ou Trésor du droit français où sont traitées les matières civiles, criminelles et bénéficiales, augmentée en cette nouvelle édition par Maistre Jean Bechefer, Paris, Chez Jean Girin et Barthélemy Rivière, 1671 [original 1615], tome 2, p. 541.
7 Traité sur la calomnie en forme de lettre à M. le Chevalier de C***, Paris, Lesclapart, 1769, p. 163.
8 Jacques Necker [Jacques-Henri Meister ?], De la morale naturelle suivie du « Bonheur des sots », Paris, 1788, p. 102-103.
9 Réponse aux instructions envoyées par S. A. S. monseigneur le duc d’Orléans, à ses chargés de procuration dans ses bailliages, relativement aux États-généraux, 1789, p. 15.
10 Bouchel, La Bibliothèque ou Trésor du droit français, tome 1, p. 409.
11 Le véritable tableau de la calomnie, tome 3.
12 Dareau, Traité des injures, p. 19. Jousse affirmait lui aussi que de vagues imputations devaient être punies, moins sévèrement toutefois que la calomnie, Traité de la justice criminelle, tome 3, p. 583.
13 Encyclopédie, tome 2, p. 563.
14 Traité sur la calomnie, p. 152.
15 Ibid., p. 136-137.
16 Le véritable tableau de la calomnie, p. 23.
17 Encyclopédie, tome 2, p. 563.
18 Marquis de Sade, La philosophie dans le boudoir, Londres [Paris], 1795, tome 2, p. 104. Ces passages furent sans doute inspirés par le débat qui eut lieu en 1795 à la Convention au sujet de la calomnie et des nouvelles lois sur la presse ; voir la conclusion ci-dessous.
19 Philip T. Hoffman, Growth in a Traditional Society: The French Countryside, 1450-1815, Princeton, Princeton University Press, 1996, en particulier p. 69-80. John Markoff souligne aussi l’importance de l’honneur dans la vie rurale à la fin du XVIIe siècle dans The Abolition of Feudalism: Peasants, Lords, and Legislators in the French Revolution, University Park, Penn State University Press, 1996, passim. Pour l’importance du crédit parmi les élites : Clare Haru Crowston, Crédit, Fashion, Sex : Economies of Regard in Old Regime France, Durham N.C., Duke University Press, 2013.
20 David Garrioch, Neighborhood and Community in Paris, 1740-1790, Cambridge, Cambridge University Press, 1986, p. 40.
21 A. Mericskay, Le Châtelet et la répression de la criminalité à Paris en 1770, thèse de doctorat, université de Paris-Sorbonne, 1984. L’auteur montre que 23 % des dossiers avaient trait à des injures (sans violence) et 6 % à des écrits diffamatoires, soit un total de 29 % – presque un tiers. Si l’on ajoute les cas dans lesquels les injures étaient accompagnées de violence, soit 32 % des dossiers, on obtient un total supérieur à 60 %.
22 Nicole Castan, Les criminels de Languedoc : Les exigences d’ordre et les voies du ressentiment dans une société pré-révolutionnaire (1750-1790), Toulouse, Association des Publications de l’université de Toulouse Le Mirail, 1980, en particulier p. 159-192, p. 326.
23 Encyclopédie, tome 8, p. 288.
24 De nombreux travaux sur l’Ancien Régime ont abordé la question de l’honneur, mais une synthèse historique reste à écrire. Pour une passionnante analyse de l’honneur dans l’Angleterre des Tudor et des Stuart, voir Mervyn James, Society, Politics and Culture : Studies in Early Modern England, Cambridge, Cambridge University Press, 1986, p. 308-415. Sur les dimensions politiques de l’honneur sous l’Ancien Régime, outre les titres déjà mentionnés, voir William Beik, Urban Protest in Seventeenth-Century France: The Culture of Retribution, Cambridge, Cambridge University Press, 1997; James R. Farr, « The Death of a Judge: Performance, Honor, and Legitimacy in Seventeenth-Century France », Journal of Modern History 75, no 1, mars 2003, p. 1-22; Kristen Neuschel, Word of Honor: Interpreting Noble Culture in Sixteenth-Century France, Ithaca, Cornell University Press, 1989; Orest Ranum, « Courtesy, Absolutism, and the Rise of the French State, 1630-1660 », Journal of Modern History 52, no 3, septembre 1980, p. 426-451. Sur les aspects sociaux de l’honneur dans les classes populaires, voir Yves Castan, Honnêteté et relations sociales en Languedoc (1715-1780), Paris, Plon, 1974 ; David Garrioch, « Verbal Insults in Eighteenth-Century France », dans The Social History of Language, 2e édition, Peter Burke et Roy Porter (éd.), Cambridge, Cambridge University Press, 1988, p. 104-119 ; Steven Laurence Kaplan, The Bakers of Paris and the Bread Question, 1770-1775, Durham, N.C., Duke University Press, 1996, p. 423-436 ; Robert Muchembled, L’invention de l’homme moderne : Sensibilités, mœurs et comportements collectifs sous l’Ancien Régime, Paris, Fayard, 1988, passim, en particulier p. 65-67, p. 218-222, p. 304-310. Sur l’honneur dans la république des lettres, voir Gregory S. Brown, A Field of Honor : Writers, Court Culture, and Public Theater in French Literary Life from Racine to the Revolution, New York, Columbia University Press, 2002 ; Pascal Brioist, Hervé Drévillon et Pierre Serna, Croiser le fer : Violence et culture de l’épée dans la France moderne (XVIe -XVIIIe siècle), Seyssel, Champ Vallon, 2002, p. 239-478. Sur l’honneur dans le commerce, voir John Shovlin, « Toward a Reinterpretation of Revolutionary Antinobilism: The Political Economy of Honor in the Old Regime », Journal of Modern History 72, no 1, mars 2000, p. 35-66.
25 Encyclopédie, tome 3, p. 440.
26 Hugo Grotius, De Iure Praedae Commentarius, Commentary on the Law of Prize and Booty, traduit par Gwladys L. Williams, Oxford, Clarendon Press, 1950, tome 1, p. 362.
27 Arlette Farge, « Familles. L’honneur et le secret » dans Roger Chartier (éd.) Histoire de la Vie Privée, tome III, De la Renaissance aux Lumières, Paris, Le Seuil, 1986, p. 598.
28 De Lamet et Fromageau (docteurs de la Maison et Société de la Sorbonne), Le Dictionnaire des cas de conscience, décidés suivant les principes de la morale, les usages de la discipline ecclésiastique, l’autorité des conciles et des canonistes, et la jurisprudence du royaume, Paris, Aux dépens de la Compagnie, 1740, tome 1, p. 1230.
29 Ibid., p. 1231-1232.
30 Ibid., p. 1230.
31 Dareau, Traité des injures, p. 19-20.
32 Même si les injures envers la religion étaient plus répréhensibles que celles envers le souverain, Dareau expliquait que Dieu seul pouvait se venger dignement des crimes de lèse-majesté divine. Il observait que la calomnie contre le souverain était punie avec plus de rigueur car elle menaçait l’ordre politique et donc la tranquillité publique, Traité des injures, p. 122-123, p. 126-127.
33 De manière intéressante, alors qu’elles apparaissaient en bas de la hiérarchie sociale, Dareau et Jousse consacraient de nombreuses pages aux femmes. Les deux juristes soulignaient que les injures envers elles se punissaient au double. Dareau, Traité des injures, p. 294-395, p. 296 ; Jousse, Traité de la justice criminelle, tome 3, p. 574.
34 Dareau, Traité des injures, p. 291.
35 Jousse, Traité de la justice criminelle, tome 3, p. 622. Le terme « vil » se rapporte à l’individu considéré « bas, abject, méprisable, soit par la bassesse de la naissance, soit par celle des sentimens ». L’individu infâme est celui « qui est diffamé, noté, flétri par les Lois, par l’opinion publique ». Voir les articles sur ces deux termes dans le Dictionnaire de l’Académie française, Paris, Veuve de Bernard Brunet, 1762, tome 2, p. 938 et tome 1, p. 927.
36 Jousse, Traité de la justice criminelle, tome 3, p. 574.
37 Dareau, Traité des injures, p. 389.
38 Ibid., p. 20.
39 Jousse, Traité de la justice criminelle, tome 3, p. 608-612.
40 Dareau, Traité des injures, p. 391.
41 Jousse, Traité de la justice criminelle, tome 3, p. 576.
42 Ibid., tome 3, p. 623.
43 Dareau, Traité des injures, p. 288.
44 Ibid., p. 292.
45 Ibid., p. 475-476.
46 Jousse, Traité de la justice criminelle, tome 3, p. 621.
47 Frantz Funck-Brentano, Les lettres de cachet à Paris, étude suivie d’une liste des prisonniers de la Bastille (1659-1789), Paris, Imprimerie nationale, 1903.
48 Funck-Brentano, Lettres de cachet à Paris, article 2379.
49 Peter Gay, Voltaire’s Politics: The Poet as Realist, New Haven, Yale University Press, 1988, p. 36.
50 Funck-Brentano, Lettres de cachet à Paris, article n ° 2940.
51 Gay, Voltaire’s Politics, p. 36.
52 Dareau, Traité des injures, p. 280-281.
53 L’étude de Mericskay sur le Châtelet en 1770 montre que 32 % des affaires traitées par le Petit Criminel étaient relatives à des injures accompagnées de violence. « Le Châtelet et la répression de la criminalité à Paris en 1770 », tableau 4.
54 Jacques-Louis Ménétra, Journal de ma vie, présenté par Daniel Roche, Paris, Montalba, 1982.
55 Sur les luttes au sein de la république des lettres, voir Dena Goodman, The Republic of Letters: A Cultural History of the French Enlightenment, Ithaca, Cornell University Press, 1994, en particulier p. 183-232; sur les tensions entre philosophes et antiphilosophes, voir Darrin M. McMahon, Enemies of the Enlightenment: The French Counter-Enlightenment and the Making of Modernity, New York, Oxford University Press, 2001; sur la guerre des pamphlets pendant le coup de Maupeou, David A. Bell, Lawyers and Citizens: The Making of a Political Elite in Old Regime France, New York, Oxford University Press, 1994; Durand Echeverria, The Maupeou Revolution: A Study in the History of Libertarianism, France 1770-1774, Baton Rouge, Louisiana State University Press, 1985, p. 22-24; David Hudson, « In Defense of Reform: French Government Propaganda during the Maupeou Crisis », French Historical Studies 8, no 1, 1973, p. 51-76; Shanti Singham, « “A Conspiracy of Twenty Million Frenchmen”: Public Opinion, Patriotism, and the Assault on Absolutism During the Maupeou Years, 1770-1775 », thèse de doctorat, université de Princeton, 1991; sur les guerres spéculatives, voir Robert Darnton, Gens de lettres, gens du livre, Paris, Odile Jacob, 1992, p. 85-98. Sur la guerre de propagande relative aux scandales politiques des années 1780, outre les travaux publiés de Robert Darnton, voir « Trends in Radical Propaganda on the Eve of the French Revolution (1782-1788) », thèse de doctorat, université d’Oxford, 1964.
56 Brown, A Field of Honor, p. 287-321; Sarah Maza, Private Lives and Public Affairs: The Causes Célèbres of Prerevolutionary France, Berkeley, University of California Press, 1993, p. 133-140, p. 295-310.
57 Robert Darnton soutient cette idée dans The Forbidden Bestsellers of Pre-Revolutionary France, New York, W. W. Norton, 1995, même si l’argument apparaît aussi dans la plupart de ses travaux antérieurs. Roger Chartier remet en question la thèse de Darnton dans Les origines culturelles de la Révolution française, Paris, Le Seuil, 1990, p. 86-115.
58 Récemment, Robert Darnton a prolongé son analyse de la calomnie au XVIIIe siècle jusqu’à la Révolution et au-delà : Le diable dans un bénitier : l’art de la calomnie en France, 1650-1850, traduit par Jean-François Sené, Paris, Gallimard, 2010.
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