Généalogie du Christ et imaginaire de la parenté à la fin du Moyen Âge
p. 33-50
Texte intégral
1Dans les dernières années du XVe siècle et principalement dans le monde germanique, des images sont produites pour rendre visible le lien généalogique sous la forme d’un arbre au réalisme plus ou moins évident, à l’exemple de l’arbre des Babenberg à Klosterneuburg. Si la nouveauté de ces représentations est bien réelle, elle doit néanmoins se comprendre au regard d’une longue histoire des conceptions et des modes de figuration de la parenté au Moyen Âge. Cette histoire a été écrite il y a quelques années par Christiane Klapisch-Zuber1. Aboutissement d’un long travail sur la famille et la parenté, renouvelé au cours des années 1990 par un courant historiographique fécond sur l’analyse des images, son étude posait clairement la question du choix de l’arbre comme modèle figuratif, un choix qui n’allait pas forcément de soi et qui s’est imposé progressivement. Depuis la parution de cet ouvrage, la poursuite des recherches sur l’imaginaire de la parenté permet de continuer la réflexion sur les mutations à l’œuvre entre le XIVe et le XVIe siècle, et d’observer comment les références médiévales sont alors exploitées et parfois réinventées2.
2Parmi celles-ci, la généalogie du Christ occupe une place privilégiée, d’abord parce qu’elle est abondamment débattue, discutée et mise en images, mais aussi en raison de son statut très particulier – le lignage humain de celui qui est avant tout le Fils de Dieu – permettant de mettre en lumière les ambiguïtés et les paradoxes de la parenté dans le monde chrétien occidental. Si l’arbre de Jessé est loin d’être la seule référence iconographique ayant inspiré les arbres généalogiques modernes, C. Klapisch-Zuber l’avait parfaitement montré, la façon de concevoir et de représenter la parenté du Christ a une influence certaine dans la construction d’une culture généalogique occidentale. Or la présentation du lignage humain du Fils de Dieu a fait elle-même l’objet de bouleversements importants à la fin du Moyen Âge, et parfois même de tensions. De sorte que l’on aurait tort d’opposer un imaginaire chrétien fondé sur un cadre dogmatique dont la stabilité n’est qu’illusoire à des modes de pensée et de représentation laïques. Il faut plutôt concevoir les références chrétiennes comme des éléments incontournables mais malléables, permettant de penser le rapport au temps et le lien social. En ce sens, la généalogie humaine du Christ apparaît, non pas comme un modèle, mais comme un cas par nature unique et exceptionnel, au regard duquel se pense le lien de parenté.
Quelle généalogie pour le Christ ?
3La Bible est un grand réservoir de généalogies. C’est elle qui a inspiré les premières mises en image du lignage, notamment sur les spectaculaires manuscrits espagnols du commentaire de l’Apocalypse par Beatus de Liebana, au cours du Xe siècle. On y trouve d’imposantes traductions graphiques des généalogies bibliques, sous la forme de médaillons circulaires reliés entre eux par des lignes et composant ainsi de vastes constellations à la lecture parfois complexe mais qui auront une grande influence sur la façon de mettre en image la succession des générations3. Peu de temps après, au cours du XIIe siècle, mais à l’autre extrémité de la Chrétienté, apparaissent des premières représentations sous forme d’arbre, ou simplement de diagramme, pour visualiser les grandes lignées germaniques4. Mais l’élan décisif, selon C. Klapisch-Zuber, est donné à la fin du XIIe siècle par le Compendium historiae in genealogia Christi de Pierre de Poitiers, successeur de Pierre le Mangeur à l’école de la cathédrale de Paris. Conçu comme un outil didactique, cet « abrégé » déroule la généalogie du Christ sur un rouleau de parchemin en alternant notices et médaillons autour d’un axe vertical5. Le Compendium rend visible ce qui s’exprime dans les nombreuses histoires universelles écrites entre le XIIe et le XIIIe siècle : un temps de l’histoire ordonné au rythme des générations bibliques et centré sur l’Incarnation.
4C’est aussi le moment où se fixe la Glose ordinaire, qui synthétise autour du texte biblique plusieurs siècles d’exégèse. Or celle-ci s’était très tôt confrontée aux problèmes soulevés par les discordances évangéliques sur la généalogie du Christ. Celle qui ouvre l’Évangile de Matthieu descend d’Abraham à Joseph (Mt 1, 2-16), celle présentée par Luc remonte de Joseph à Adam, « fils de Dieu » (Lc 3, 23-38), mais les deux divergent totalement entre David et Joseph. Celui-ci est « fils d’Heli » chez Luc, alors que Matthieu indique : « Jacob engendra Joseph, l’époux de Marie » (Mt 1, 16). La solution à cette incohérence fut trouvée très tôt, dès le IVe siècle, par Jules l’Africain et diffusée par Eusèbe de Césarée dans son Histoire ecclésiastique6, et c’est elle qui sert de référence tout au long du Moyen Âge, notamment par l’intermédiaire de la Glose ordinaire7. Elle se fonde sur la loi juive dite « du lévirat », selon laquelle un homme est tenu d’épouser la veuve de son frère mort avant d’avoir pu engendrer un fils, afin de lui assurer une descendance légale à titre posthume. Heli et Jacob seraient donc deux frères ayant épousé successivement la mère de Joseph, le premier étant mort sans enfant. Mais comme tous les deux ont également deux pères différents – Matthat pour Heli et Mathan pour Jacob – il faut imaginer qu’ils sont des frères utérins, fils d’une femme s’étant remariée après un veuvage, souvent dénommée Estha dans l’exégèse.

5Cette explication complexe se prête particulièrement bien à une traduction schématique. Dans les manuscrits du Compendium de Pierre de Poitiers, la généalogie de référence est celle de Matthieu, mais un diagramme est inséré pour visualiser la double filiation de Joseph. Composé de cinq médaillons, celui-ci ne fait aucune place à la mère de Joseph, mais est curieusement centré sur Estha, épouse de deux hommes et mère de deux fils (figure 1). Ce schéma à la forme caractéristique d’un rectangle entourant une croix connaît une assez grande diffusion, dans les Histoires universelles ou les bibles glosées, et insiste d’emblée sur un aspect significatif de la parenté du Christ : la place importante des femmes.
6Tous ceux qui, à la fin du Moyen Âge, s’intéressent à la généalogie du Christ connaissent donc cette interprétation, qui n’est plus véritablement discutée8. Elle est devenue un lieu commun du commentaire du livre de Matthieu, et on la retrouve à nouveau dans les Postilles du franciscain Nicolas de Lyre, qui s’ajoutent à la Glose ordinaire dans les grandes bibles glosées, copiées puis imprimées aux XIVe et XVe siècles. Ce dernier insiste sur l’interprétation de cette double généalogie en qualifiant d’« adoptive » la lignée présentée par Luc, symbolisant selon lui le « retour de l’humanité à Dieu par la grâce de l’adoption9 ». À travers les deux généalogies évangéliques s’articulent donc les deux modes de parenté qui fondent le principe de transmission dans le monde chrétien, la parenté charnelle et la parenté spirituelle, les deux aboutissant à la figure de Joseph.
7Mais ce point commun des deux généalogies pose un autre problème aux commentateurs : pourquoi présenter le lignage du Christ par celui de Joseph, alors que celui-ci n’est pour rien dans sa conception ? Selon une formule très souvent reprise au cours du Moyen Âge, le Christ n’a qu’un père au ciel, et n’a qu’une mère sur la terre10. Pourquoi dans ce cas les évangiles ne disent-ils rien de la généalogie de Marie ? Pour le justifier, les exégètes se contentent de rappeler que les Hébreux ont coutume de décliner la parenté en ligne masculine, et que l’Évangile de Luc signale tout de même la parenté entre Marie et Élisabeth, elle-même descendante d’Aaron Lc 1, 5 et 36)11. Ils soulignent également que Joseph a dû se marier avec une femme de sa propre tribu, conformément à la coutume hébraïque. Joseph et Marie sont donc présentés comme des « consanguins12 » ce qui peut paraître étonnant au regard des règles matrimoniales extrêmement strictes imposées en la matière par l’Église. Sur ce point comme sur beaucoup d’autres, la parenté du Christ ne peut être présentée comme un modèle à suivre.
8La discrétion évangélique a cependant assez vite été corrigée par les textes apocryphes, et notamment le Protévangile de Jacques, qui introduit l’histoire des parents de Marie, Anne et Joachim13. À partir du IXe siècle, la figure de sainte Anne s’enrichit de l’histoire de son Trinubium, de ses trois maris et de ses trois filles14. Cette parenté élargie du Christ permet notamment de résoudre l’épineux problème des « frères de Jésus » désignés dans l’Évangile (Mc 6, 3) en les identifiant avec ses cousins. Ce thème acquiert une véritable célébrité à partir du XIIIe siècle, grâce aux recueils hagiographiques, comme celui de Jacques de Voragine, qui remettent très largement en valeur les récits apocryphes15.
9Au siècle suivant, le succès des Vies du Christ, qui s’affirment comme un nouveau genre de littérature spirituelle, confirme cet intérêt pour la parenté élargie, et pour les récits d’une vie familiale humanisée et enrichie de multiples anecdotes offertes à la méditation, au détriment du commentaire exégétique des longues généalogies bibliques16. La célèbre Vita Christi de Ludolf de Saxe, par exemple, insiste sur la noblesse des parents terrestres du Christ, sans éprouver le besoin de détailler leur lignage17.
10L’essor de la dévotion mariale rend cependant de plus en plus sensible la tension entre l’exégèse traditionnelle des généalogies évangéliques et les nouveaux développements de la spiritualité. Le thème iconographique de l’arbre de Jessé, qui connaît un succès rapide au cours du XIIe siècle, exprime cette ambiguïté. Il illustre un passage du livre d’Isaïe qui annonce qu’« un rameau sortira de la souche de Jessé, un rejeton jaillira de ses racines » (Is 11, 1). Si l’exégèse y voit depuis longtemps l’annonce prophétique de la naissance du Christ, l’image est aussi étroitement associée à la Vierge, par un jeu de mots sur la virga Iesse, et le parallèle avec une autre prophétie d’Isaïe évoquant une vierge enceinte18. Dès son origine, la mise en images de cette interprétation est donc complexe, polysémique. Comme l’ont bien souligné C. Klapisch-Zuber et, plus récemment, Séverine Lepape, on aurait tort de la réduire à une représentation généalogique à connotation politique, comme sur le fameux vitrail de Saint-Denis du temps de Suger19. Ces images expriment la complexité des conceptions généalogiques chrétiennes, associant à la descendance purement charnelle de Jessé une lignée spirituelle figurée par la Vierge. Celle-ci apparaît donc presque systématiquement dans l’iconographique de la virga Iesse, juste au-dessous de la figure sommitale du Christ dans les représentations des XIIe et XIIIe siècles. Et pourtant, c’est alors l’image de l’arbre de Jessé qui accompagne le plus souvent la généalogie de Matthieu, dans les bibles et les évangéliaires, comme s’il était urgent de corriger l’omniprésence du lignage masculin et charnel.
11Au cours du XIVe siècle, si la production des images de Jessé se ralentit, leur dimension mariale se renforce. Sur les manuscrits du Speculum Humanae Salvationis, très diffusés dans l’espace germanique et qui combinent de manière systématique des images de l’Évangile avec des préfigurations vétérotestamentaires, la verge de Jessé est associée, non pas à la naissance du Christ, mais à celle de la Vierge20. Ludolf de Saxe, qui s’inspire largement de cet ouvrage, reprend exactement le même parallèle : « La nativité de Marie a été figurée par la branche sortie de la racine et de la tige de Jessé, père de David. Cette branche a fait éclore la plus charmante fleur, le Christ, sur lequel le Saint-Esprit s’est reposé avec ses sept dons21. »
Représenter la parenté du Christ : les expériences de la fin du Moyen Âge
12Il semble possible de regrouper en trois grands ensembles les images qui mettent alors en scène le lignage du Christ, trois types de solutions iconographiques héritées des siècles précédents. Le premier exploite le système de médaillons reliés par des lignes droites, directement issu des manuscrits du Beatus et du Compendium de Pierre de Poitiers ; le deuxième développe l’image de l’arbre de Jessé aboutissant au Christ par la Vierge ; le troisième enfin, moins répandu et inspiré sans doute des portails sculptés des cathédrales, présente les ancêtres du Christ en groupe compact, sans référence à la succession chronologique des générations. Chacune de ces solutions donne une vision différente de la généalogie christique. Le premier modèle est descendant et sa visée est clairement didactique : il s’agit de représenter le plus fidèlement possible les généalogies évangéliques en résolvant au mieux leur discordance. Le deuxième, en revanche, est ascendant et exploite toutes les ressources de l’image de l’arbre s’élevant de Jessé au Christ en passant par la Vierge, afin de donner une interprétation spirituelle de la généalogie promise par la prophétie d’Isaïe. Enfin, le troisième modèle est horizontal et présente les ancêtres du Christ comme un groupe homogène, celui des patriarches de l’Ancienne Alliance. Il s’agit de marquer leur appartenance à un monde passé et désormais révolu, souligné notamment par des vêtements à forte connotation hébraïque22.
13Les images de la généalogie du Christ produites à la fin du Moyen Âge héritent de ces modèles, désormais bien en place, mais aussi des hésitations et des tensions qui ont marqué l’interprétation du lignage terrestre du Fils de Dieu. Elles ne bouleversent pas fondamentalement les schémas en place, mais elles les enrichissent et accentuent des dynamiques perceptibles depuis déjà longtemps. Les artistes qui les conçoivent bénéficient pour cela des spectaculaires évolutions formelles qui caractérisent cette période et profitent aussi d’un contexte idéologique et politique différent, marqué par la crise de l’Église et l’affirmation des pouvoirs souverains, favorisant les remises en cause profondes, mais aussi la recherche d’images apaisantes et rassurantes.
14Le diagramme schématique issu du Compendium de Pierre de Poitiers et expliquant la double paternité de Joseph se retrouve encore, fidèlement reproduit, dans les manuscrits des Postilles de Nicolas de Lyre23 ou pour accompagner des histoires universelles24. En revanche, les manuscrits illustrés du Breviari d’amor de Maftre Ermengau témoignent de la difficulté à appliquer le schéma généalogique en médaillons à un texte évoquant seulement la parenté de la Vierge, issue de la « semence d’Abraham25 ». Trois manuscrits de ce type, réalisés au cours du XIVe siècle, comportent une miniature généalogique sur un même modèle, sans doute davantage inspiré du Beatus que du Compendium, mais avec des variantes qui témoignent d’une certaine hésitation. Abraham y apparaît dans la partie supérieure droite de la miniature, agenouillé devant le Christ, tous les deux juchés sur une généalogie composée de médaillons reliés par des lignes, chacun comportant une figure, féminine ou masculine. Le Christ désigne de la main le médaillon supérieur, féminin, qui est identifié dans un des manuscrits comme la « semence d’Abraham26 » (figure 2). Il faut en réalité y voir la figure de sainte Anne, reliée à ses trois maris, Salomé, Joachim et Cleophas. La lignée centrale, passant par Joachim, aboutit à Marie puis au Christ, représenté sur un trône. C’est donc bien une lignée matriarcale qui est évoquée ici, la place de Joseph étant hésitante : dans un manuscrit, il est seulement relié par une ligne horizontale à Marie27, dans un autre, il bénéficie semble-t-il d’un rattachement au Christ et à une lignée parallèle28 ; dans le troisième enfin, l’illustrateur a inscrit son nom deux fois, sans doute par erreur, à la place de la Vierge29. En outre, le fait que chaque ligne puisse représenter indifféremment une filiation et une union matrimoniale complique la lecture de l’ensemble qui se veut sans doute davantage une évocation de la parenté du Christ qu’une présentation de sa généalogie.
15Cet exemple confirme la tendance à l’intégration de la Vierge et de son lignage dans la généalogie du Christ, selon une dynamique suscitée par les représentations de l’arbre de Jessé. Or, après un relatif désintérêt au cours du XIVe siècle, ce thème connaît dans la seconde moitié du XVe une nouvelle jeunesse30. Sa forme évolue assez nettement, tout en restant propice aux expérimentations, voire aux hésitations. La virga ressemble de plus en plus à un arbre, aux ramifications parfois complexes, bien loin de l’organisation verticale des premières représentations du XIIe siècle. L’image se nourrit des multiples arbres qui ont poussé à partir du XIIIe siècle, autour de thèmes multiples : arbre des âges du monde de Joachim de Flore, arbres des vices et des vertus, arbres de vie, arbres monastiques31, arbre des batailles d’Honoré Bonet, etc. La figure de l’arbre envahit l’imaginaire, et aide à penser la ressemblance et la hiérarchisation des éléments.
16Mais surtout, la signification mariale de l’arbre de Jessé est clairement accentuée, peut-être en lien avec l’affirmation progressive de l’Immaculée Conception par le biais de débats parfois violents, pendant le Grand Schisme puis lors du concile de Bâle32. Désormais, c’est bien la Vierge, portant l’Enfant Jésus, qui est l’aboutissement du rameau issu du ventre patriarcal. Sa position est souvent centrale et écrase de son importance les figures royales qui l’entourent.
17L’image se montre riche de potentialités picturales et exégétiques, très appréciées dans un contexte d’émulation artistique. Sur la page d’un livre d’heures savoyard du troisième quart du XVe siècle, un peintre anonyme a placé l’arbre de Jessé dans la marge d’une miniature représentant le mariage de Marie et Joseph (figure 3). Jessé apparaît dans la partie inférieure, et plusieurs branches sortent de ses épaules. Les deux principales se déploient en rinceaux dans les marges latérales, soutenant les bustes des rois qui émergent de corolles. Mais deux autres rameaux montent verticalement, traversent les trois lignes du texte liturgique pour aboutir au couple des parents du Christ. Celui qui touche Joseph semble même se prolonger à travers son corps jusqu’à la verge fleurie et surmontée d’une colombe qui l’a désigné comme l’époux de Marie. En une seule image sont rendues visibles la rencontre entre l’exégèse de la virga Iesse et la tradition apocryphe du mariage de la Vierge, exploitant elle-même le thème vétérotestamentaire de la verge fleurie.
18Dans les années 1480, un enlumineur très prolixe mais à l’identité incertaine, le « Maître de Jacques de Besançon33 », réalise deux arbres de Jessé, presque identiques dans leur forme, pour deux manuscrits richement décorés, destinés à de grands aristocrates français : une Légende dorée de Jacques de Voragine traduite par Jean de Vignay (figure 4), et un Lectionnaire grec pour le cardinal de Bourbon (figure 5). Dans les deux miniatures, le patriarche est allongé sur le sol, un tronc assez épais sort de son flanc et s’élève de manière sinueuse à gauche de l’image pour redescendre à droite et s’achever au centre par une corolle blanche portant la Vierge à l’Enfant. La longue branche porte les bustes des rois qui apparaissent derrière elle et se succèdent en une longue cohorte. Si la forme de ces deux images est sensiblement la même, une différence notable apparaît dans le personnage précédant immédiatement la Vierge. Dans le Lectionnaire, où l’image illustre le début de l’Évangile de Matthieu, et donc la généalogie du Christ, c’est Joseph qui est le dernier homme porté par la branche issue de Jessé, juste avant la Vierge, au risque d’apparaître comme son père ; dans la Légende dorée, c’est la vie de la Vierge qui est le sujet principal de la page, et c’est Anne et Joachim, entrelacés, qui constituent l’aboutissement de la succession des patriarches. Ainsi, un même artiste, exploitant le même schéma pictural de l’arbre de Jessé pour deux manuscrits différents, est capable d’adapter son contenu en fonction du cadre textuel, en jouant sur les ambiguïtés de la généalogie du Christ.
19La page enluminée par le Maître de Jacques de Besançon pour la Légende dorée comporte deux autres images, sous la miniature principale de l’arbre de Jessé. Il s’agit à gauche d’une nativité de la Vierge, et à droite d’une image qui connaît un grand succès au cours du XVe siècle, principalement dans la France du Nord et dans l’espace germanique, et que l’on désigne généralement sous le nom de « sainte Parenté ». De la même façon que les images montrant le groupe des ancêtres du Christ, ce thème privilégie une représentation horizontale de la parenté, au détriment de la lignée. Mais le propos est très différent. Généralement centrées sur la figure de sainte Anne, ces images exploitent le schéma familial issu du Trinubium de la mère de la Vierge, largement popularisé depuis le XIIIe siècle, notamment par la Légende dorée.
20La plupart d’entre elles se caractérisent par l’importance accordée aux femmes. Focalisées sur sainte Anne et ses trois filles, elles marginalisent leurs époux respectifs, parfois totalement absents de la scène comme sur la miniature du Maître de Jacques de Besançon, parfois relégués à l’arrière-plan ou sur les côtés. La féminisation est même accentuée dans certains cas par la présence d’Hesmérie, sœur d’Anne et mère d’Élizabeth. Cette présentation matrilinéaire de la famille du Christ est encore plus claire dans les images de « sainte Anne trinitaire », elles aussi très nombreuses tout au long du XVe siècle, et qui montrent Marie assise sur les genoux de sa mère et tenant elle-même l’Enfant Jésus. À la fin du siècle, on assiste même à une rencontre entre le thème iconographique de la sainte Parenté et celui de l’arbre de Jessé, sur des images qui construisent un « arbre de sainte Anne ». Sur un tableau de Gérard David réalisé vers 1500 et inspiré d’une gravure34, l’arbre prend naissance derrière un trône où siège une sainte Anne trinitaire. Ses branches supportent, dans un ordre un peu confus, les époux successifs d’Anne, ses filles, ses gendres et ses petits-fils. Il s’achève par une Vierge à l’Enfant, qui apparaît donc deux fois dans le tableau, encadrée par les deux pères du Christ, Dieu à gauche et Joseph à droite.
21Diverses interprétations ont été avancées pour comprendre cette féminisation très accentuée de la parenté christique. Faut-il y voir avec Jean Wirth une volonté de creuser l’écart avec les réalités vécues de la famille humaine, pour mieux souligner le caractère exceptionnel de la parenté de Jésus35 ? Est-ce une façon de compenser la trop grande masculinité des lignées généalogiques bibliques, ou simplement un désir de « répondre aux contradictions textuelles accumulées au fil des siècles36 » ?
22Il faut sans doute conserver une lecture polysémique, voire ambivalente de ce type d’images, susceptibles dès le XVe siècle d’interprétations diverses. Jean Wirth a bien montré par exemple que certaines images de sainte Anne, à la fin du XVe et au début du XVIe siècle, pouvaient aussi intégrer des stéréotypes de la vieille femme, proche de la sorcière37. Au début du XVe siècle, dans le contexte de lutte entre la France et l’Angleterre, une telle insistance sur le lignage maternel du Christ a même pu nourrir le débat sur la transmission du pouvoir par les femmes. Jean Gerson en donne un témoignage très clair :
« Si dient aucuns docteurs que le royaume des Juifs appartennoit a Nostre Dame par prochaine succession et heritage, a cause de Joachin son pere, et de sainte Anne sa mere ; et a ceste cause dient que Jhesucrist fu vray roy des Juifs par droit a cause de sa mere Nostre Dame ; laquelle chose ont voulu les Anglois alleguer aucune fois pour eulz, en disant que femme povoit bien succeder au royaume de France, selond la response de Dieu en l’ancien testament des filles38. »
23Vers 1424, le régent anglais du royaume de France, le duc de Bedford, commande pour son épouse Anne un livre d’heures qui comporte une très belle page insistant justement sur le lignage maternel39 : la duchesse est agenouillée devant une sainte Anne trinitaire – avec Marie coiffée d’une couronne – alors que Joseph apparaît timidement à droite, à l’arrière-plan, et que les autres hommes de la lignée se contentent des marges, celle de gauche pour les trois époux de sainte Anne et la partie inférieure pour ses deux autres filles accompagnées de leur époux. Au regard des efforts de propagande menés par le duc de Bedford en France pour justifier les droits anglais à la couronne de France40, la portée politique d’une telle image semble évidente. Elle est encore plus nette en 1432, à l’occasion de l’entrée à Londres du roi Henry VI : deux arbres généalogiques sont dressés sur une estrade, le premier montrant le lignage royal passant par Saint Louis, le second reproduisant l’arbre de Jessé41. On peut aisément supposer que la Vierge tenait une place éminente sur ce dernier42.
La chair ou l’esprit ? Les dilemmes de la parenté chrétienne
24La présence de plus en plus insistante de la Vierge et de sa famille dans les images de la parenté du Christ, dans un contexte humaniste propice aux remises en cause d’interprétations anciennes, incitait sans nul doute à revisiter l’exégèse traditionnelle des généalogies bibliques. C’est à cette entreprise que s’attelle à la fin du siècle le dominicain Giovanni Nanni, dit aussi Annius de Viterbe, professeur à Viterbe, Florence et Gênes, puis théologien attaché à la curie romaine à partir de 1499, célèbre pour ses capacités à produire de faux textes antiques43. Dans son œuvre principale, parue en 1498 et rééditée dès 1515, il exploite un soi-disant texte de Philon d’Alexandrie pour proposer une lecture nouvelle de la généalogie du Christ présente chez Luc44. Sa solution est finalement assez simple, même si elle se fonde sur une étymologie un peu hasardeuse qui lui permet d’identifier Heli, le père de Joseph selon l’évangéliste Luc (Lc 3, 23), avec Joachim, le père de Marie45. Il explique ensuite qu’en tant que gendre de Joachim, Joseph peut parfaitement être appelé son fils, en vertu de la définition indifférenciée de la parenté entre consanguinité et affinité, qui s’est peu à peu imposée dans le monde occidental : « On dit que Jean est le fils naturel de Pierre, et il est aussi mon fils légal car il a ma fille comme épouse. Comme ma fille ou ma petite-fille est ma consanguine, son époux est pleinement mon affin. C’est pourquoi j’appelle l’époux de ma petite-fille mon petit-fils46. » La généalogie de Luc serait donc celle des beaux-parents de Joseph, et par conséquent celle de Marie.
25La démonstration est audacieuse, mais elle ne fait finalement que sanctionner une longue évolution qui a peu à peu rapproché Marie de la généalogie évangélique. L’idée de lire chez Luc la généalogie mariale avait déjà été esquissée à plusieurs reprises, sans parvenir à s’imposer. Dès l’époque patristique, cette explication est mentionnée par Chromace d’Aquilée († 409) comme une solution possible à la discordance évangélique, aux côtés de celle faisant appel à la loi du lévirat, déjà mentionnée comme la plus répandue, et d’une troisième distinguant la « lignée royale » présentée par Matthieu de la « lignée sacerdotale » énoncée par Luc47. Plus tard, en ouverture des commentaires sur l’Apocalypse de Beatus de Liebana, des tables généalogiques bibliques présentaient clairement les deux lignées comme aboutissant à Joseph et à Marie48. Ces premières tentatives ont ensuite été oubliées au profit de l’exégèse de Julien l’Africain, mais on a vu comment, entre le XIIIe et le XVe siècle, la place de plus en plus importante de Marie et de ses parents dans la parenté christique préparait le retour de cette autre explication. Dans la Légende dorée de Jacques de Voragine, comme dans la Vita Christi de Ludolf de Saxe49, Marie est déclarée descendre de la lignée de Nathan, deuxième fils de David, celui-là même qui est mentionné dans la généalogie de Luc. Dans les manuscrits du Breviari d’amor, on l’a vu, c’est bien la généalogie de Marie qui est évoquée et mise en image. Et d’une certaine manière, l’arbre de Jessé peint par le Maître de Jacques de Besançon pour la Légende dorée, au début des années 1480, et qui aboutit à Anne et Joachim, prépare la démonstration d’Annius de Viterbe.
26Il est cependant probable que cette nouvelle exégèse se nourrit également des débats qui se durcissent à l’aube de la Réforme. Paradoxalement, il n’est pas certain qu’elle favorise la croyance en l’Immaculée Conception, l’ordre dominicain dont fait partie Annius de Viterbe y étant depuis longtemps hostile. Insérer la Vierge dans une généalogie humaine bien définie, c’est peut-être rappeler qu’elle partage la condition humaine universelle, incluant le péché originel. Il est possible aussi qu’Annius de Viterbe réagisse contre une mise en valeur du personnage de saint Joseph, stimulée à son époque par les Franciscains après l’avoir été par Gerson. Quelques années avant la publication des travaux d’Annius, le pape franciscain Sixte IV a autorisé la célébration de sa fête le 19 mars, pour toute l’Église. Peu à peu, les images s’intéressent de près à la vie quotidienne des parents du Christ, rapprochant de plus en plus le père terrestre de son enfant et de son épouse vierge, lui donnant une place bien plus importante que celle qu’il occupe dans les saintes Parentés. Bien avant que la « sainte Famille » ne devienne un véritable objet de dévotion, au cours du XVIIe siècle, le thème s’impose déjà dans l’iconographie et dans la littérature spirituelle issue des Vies du Christ. Il insère l’Enfant Jésus dans le schéma d’une famille nucléaire, très éloigné de la matrilinéarité qui s’exprime autour de sainte Anne. Celle-ci connaît néanmoins une promotion très importante dans les dernières années du XVe siècle : c’est aussi le pape Sixte IV qui, en 1481, a fixé la fête de sainte Anne le 26 juillet, et l’abbé Trithème publie, en 1494, un grand traité en l’honneur de la mère de la Vierge50. Si l’on peut percevoir parfois une certaine concurrence, dans l’image et la dévotion, entre le père terrestre et la grand-mère du Christ, la solution généalogique promue par Annius de Viterbe les marginalise tous les deux en privilégiant une lignée masculine aboutissant à la Vierge.
27La démarche du dominicain de Viterbe se veut en rupture avec une exégèse médiévale qui jouait sur l’ambiguïté des Évangiles pour souligner le caractère exceptionnel et avant tout spirituel de la généalogie du Christ. Son interprétation n’est ni allégorique ni anagogique, mais simplement littérale : la parenté du Christ est semblable à celle de n’importe quel aristocrate, issu de deux lignées prestigieuses, et il n’y a donc aucune discordance entre les Évangiles. Au cours de sa démonstration, il fait référence à plusieurs reprises aux mises en garde de l’apôtre Paul à Timothée et à Tite contre les « vaines recherches », concernant notamment la généalogie51. Au terme de son propos, il peut affirmer clairement que l’avertissement de Paul ne concernait pas la généalogie du Christ puisque celle-ci est « achevée, révélée et claire ». Loin d’être « inutile et vaine », elle est « éminemment nécessaire, car si le Christ n’était pas de la lignée de David, il ne serait pas le Messie52 ».
28En dépit des critiques adressées à Annius sur ses méthodes de travail et son peu de rigueur philologique, son interprétation se diffuse rapidement et finit par prendre le pas sur l’ancienne exégèse53. Ce succès est le signe d’une valorisation nouvelle de la parenté charnelle, longtemps dénigrée par la pensée chrétienne au profit de la parenté spirituelle. Les seules généalogies abondamment commentées et illustrées étaient celles de l’Ancien Testament, du temps de l’Ancienne Alliance, lorsque Dieu incitait les hommes à se multiplier.
29Ce temps, expliquaient les commentateurs, est révolu. La généalogie du Christ a pour particularité d’être achevée, terminata, comme le souligne Annius de Viterbe. Les lignées qui se déploient dans les manuscrits du Compendium de Pierre de Poitiers s’achèvent sur des hommes, le Christ et ses apôtres, qui n’ont aucune descendance charnelle. On a même débattu, aux XIIe et XIIIe siècles, sur la capacité qu’aurait eu le Christ à engendrer54.
30Mais tous les exégètes expliquent que l’Évangile a transformé en fécondité spirituelle les promesses lignagères faites à Abraham ou à Jessé. Sur la très belle série généalogique de la Bible de Pampelune, dans les dernières années du XIIe siècle, la rupture est sensible : après la succession des pères accompagnés de leur enfant, surgit une page montrant une mère avec sa fille, Anne et Marie55. La même tension se retrouve bien plus tard, sur les fresques de la chapelle Sixtine, où Michel-Ange place les ancêtres du Christ dans les cintres de la voûte, comme pour mieux souligner une parenté à la fois « revendiquée et refusée », selon l’analyse récente de Giovanni Careri56.
31Lorsque le discours clérical s’intéressait aux lignages des laïcs – l’ordo conjugatorum, comme les désignait avec un brin de mépris la littérature patristique – c’était pour s’immiscer dans les logiques matrimoniales et promouvoir une exogamie extrêmement exigeante. C’est ainsi que les nombreux « arbres de consanguinité » qui se multiplient à partir du XIIe siècle dans les manuscrits de droit canon dessinent une parenté de sang au sein de laquelle l’alliance est exclue. Centrés sur un individu – Ego –, ils se présentent sous la forme d’une pyramide, dont chaque ligne correspond à un degré de parenté, et qui permet de visualiser à la fois la verticalité du lignage et l’horizontalité de la parenté. Si les étonnantes exigences cléricales, tentant d’imposer avant 1215 un interdit matrimonial jusqu’au septième degré canonique, ont pu favoriser la recherche généalogique, leur objectif était avant tout de lutter contre le renfermement lignager et d’imposer le contrôle de l’Église sur les stratégies matrimoniales de l’aristocratie. Celle-ci a d’ailleurs su tirer profit de ces règles complexes pour obtenir des annulations de mariage pour cause de consanguinité. Il fallait pour cela que les généalogies soient connues mais relativement cachées, de manière à pouvoir masquer ou dévoiler les liens de parenté en fonction des politiques matrimoniales.
32Ces réticences expliquent sans doute la lenteur et les hésitations avec lesquelles se mettent en place les images généalogiques des grandes familles aristocratiques. La figure de l’arbre, qui s’impose à partir du XVe siècle, permet par sa complexité d’exprimer à la fois la communauté d’une famille et la filiation, tout en évoquant le temps qui passe, l’héritage et les promesses d’une postérité autant spirituelle que charnelle. Ce choix ne s’est pourtant pas fait sans difficultés. La rencontre entre les schémas des généalogies bibliques et historiques, ceux des arbres de consanguinité et le thème de l’arbre de Jessé posait plusieurs problèmes, et notamment celui du sens généalogique : dans les deux premiers cas, la lecture est descendante, des ancêtres au Christ ou à Ego, à l’opposé de l’idée d’un arbre qui s’élève depuis ses racines. Le problème est sensible dans les manuscrits de l’Arbre de la généalogie des rois de France, composé par Bernard Gui vers 1310-1330 : les médaillons des rois se succèdent de haut en bas, conformément au modèle du Compendium de Pierre de Poitiers, mais ils s’insèrent cette fois dans un arbre qui s’élève depuis le bas de la page, ce qui brouille la logique visuelle de l’ensemble57. Certaines images choisissent de résoudre ce problème en faisant remonter le tronc jusqu’à l’ancêtre commun, depuis lequel descendent les branches portant les héritiers58. La cohérence ne sera retrouvée, dans les arbres du XVIe siècle, qu’en reprenant le modèle ascendant de l’arbre de Jessé et en plaçant l’ancêtre au niveau des racines. Mais ce sont alors les branches, les rinceaux qui prennent de l’importance, au détriment de la verticalité du tronc. Si le réalisme de l’arbre et la lisibilité des générations en pâtissent, à l’exemple du vaste panorama de Klosterneuburg, c’est sans doute que l’objectif principal de ces images est de rendre visible la cohérence d’un lignage, l’identité d’une famille. La figure de l’arbre atténue le propos didactique qui était celui des lignées de médaillons illustrant les généalogies du Christ.
33Il est frappant de constater que ce succès grandissant des arbres généalogiques, à partir du XVIe siècle, s’accompagne peu à peu d’une désaffection du thème ancien de l’arbre de Jessé, et d’un abandon plus précoce encore des images féminines des saintes Parentés. Jean Wirth remarque à leur sujet que les représentations tardives de ce thème, produites autour de 1500, accordent une place bien plus significative qu’auparavant aux hommes, et notamment aux oncles du Christ, Alphée et Zébédée. Peu après, à partir de 1517, des critiques très vives sont formulées par certains humanistes contre la légende du Trinubium de sainte Anne. Il existe à ce moment, conclut-il, une « volonté de réduire autant que possible la parenté du Christ à une pieuse normalité59 ». La nouvelle exégèse d’Annius de Viterbe poursuivait sensiblement le même objectif.
*
34On peut déduire de ces indices multiples la tendance à une revalorisation du lignage charnel, tant dans les discours que dans les images, un lignage devenu source de légitimité pour les pouvoirs souverains en construction. Le phénomène est peut-être particulièrement sensible en milieu protestant, où la nouvelle lecture généalogique d’Annius rencontre un franc succès60 et où le rejet des longues constructions cléricales en faveur de la parenté spirituelle est évident. Mais il se perçoit également dans les pays catholiques, ne serait-ce que par l’essor de la dévotion à saint Joseph et à la sainte Famille. C’est ainsi qu’après avoir été très longtemps réticente aux logiques laïques de reproduction, l’Église s’est peu à peu affirmée en défenseur d’un cadre familial inscrit dans la continuité des générations.
Notes de bas de page
1 C. Klapisch-Zuber, L’ombre des ancêtres. Essai sur l’imaginaire médiéval de la parenté, Paris, Fayard, 2000, complété, notamment pour l’iconographie, par un ouvrage destiné à un plus vaste public, Id., L’arbre des familles, Paris, Éditions de La Martinière, 2003.
2 Outre l’ouvrage fondateur de Jérôme Baschet sur l’image d’Abraham (J. Baschet, Le sein du père. Abraham et la paternité dans l’Occident médiéval, Paris, Gallimard, 2000), et ma propre étude sur l’image de Joseph (P. Payan, Joseph, une image de la paternité dans l’Occident médiéval, Paris, Aubier, 2006), on peut citer deux thèses récentes, encore en attente de publication, toutes deux dirigées par J.-C. Schmitt à l’EHESS : S. Lepape, Représenter la parenté du Christ et de la Vierge au Moyen Âge. L’iconographie de l’arbre de Jessé en France et en Angleterre, du XIIIe au XVIIe siècle, ms., 2007 ; C. Maillet, La parenté hagiographique d’après Jacques de Voragine et les manuscrits enluminés de la Légende dorée (c. 1260-1490), ms., 2010. Voir aussi C. Maillet (dir.), Images Re-vues, no 9, Parenté en images, 2011, disponible sur imagesrevues.revues.org/1597 (consulté en février 2014).
3 C. Klapisch-Zuber, L’ombre des ancêtres…, op. cit., p. 61-68.
4 L’arbre des Welfes, réalisé vers 1185, est une des toutes premières représentations généalogiques à utiliser l’image d’un arbre, très stylisé. Ibid., p. 112-117.
5 Des dizaines de manuscrits de cette œuvre sont conservés, mais leur recension est encore fragmentaire. Ibid., p. 121-137 et p. 365-366, notes 4 et 5.
6 Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, t. I, liv. VII, 2-16, éd. G. Bardy, Paris, Cerf (coll. « Sources chrétiennes », 31), 1952, p. 25-29. Voir C. Guignard, La lettre de Julius Africanus à Aristide sur la généalogie du Christ. Analyse de la tradition textuelle, édition, traduction et étude critique, Berlin-Boston, De Gruyter, 2011.
7 Biblia latina cum glossa ordinaria, éd. Adolf Rusch, Strasbourg, 1480-1481, f° 921v°.
8 Par exemple, lorsque Jean Gerson, vers 1413, écrit ses Considérations sur saint Joseph, il passe rapidement sur cette exégèse bien connue : « Et ot Joseph ce lignage royal de double ligne, selond la description de sa double genealogie ; car aussi il ot deux peres, l’un legal, l’autre charnel ou naturel ; et la declaration de ce, je laisse aux theologiens et aux gloses des sains. » (Jean Gerson, Considérations sur saint Joseph. Œuvres complètes, éd. P. Glorieux, vol. VII, Paris-Tournai-Rome, Desclée, 1966, no 300, p. 69).
9 « Lucas autem per Nathan filium adoptiuum quare describit reductionem nostram in Deum que fit per gratiam adoptionis. » (Biblia latina cum glossa ordinaria et cum postillis ac moralitatibus Nicolai de Lyra, éd. Johannes Froben et Johannes Petri, Bâle, 1498, Pars V, In Matth. cap. 1, non folioté.)
10 La formule est inspirée d’Isidore de Séville : « Pater eum genuit sine matre in aeternitate, mater sine Patre in tempore », dans Etymologiae, liv. VII, 2, PL 82, col. 265.
11 Voir par exemple le commentaire de saint Jérôme, abondamment repris au cours du Moyen Âge : « Quaerat diligens lector et dicat : Cum Ioseph non sit pater Domini Saluatoris, quid pertinet ad Dominum generationis ordo deductus usque ad Ioseph ? Cui respondebimus primum non esse consuetudinis scripturarum ut mulierum in generationibus ordo texatur, deinde ex una tribu fuisse Ioseph et Mariam, unde ex lege eam accipere cogebatur ut propinquam, et quod simul censentur in Bethleem ut de una uidelicet stirpe generati. » (Saint Jérôme, Commentaire sur saint Matthieu, éd. E. Bonnard, Paris, Cerf (coll. « Sources chrétiennes », 242), 1977, p. 76.)
12 Le terme est employé au début du XVe siècle par Pierre d’Ailly à propos de Joseph : « Non solum matris Dei, sed etiam Filii Dei verus consanguineus appellatur. […] In quo Christus, Maria et Ioseph vera consanguinitate conjungutur. » (Pierre d’Ailly, De duodecim honoribus sancti Iosephi, éd. R. Gauthier, Cahiers de joséphologie, t. I, 1953, p. 153). Son élève Jean Gerson imagine même la sociabilité du lignage avant le mariage de Marie : « Or est bien a croire que saint Joseph qui estoit de lignage royal de David et il le savoit bien, ne oublioit pas visiter la pucelle Marie qui estoit au temple et estoit de ce meismez lignage. » (Jean Gerson, Considérations sur saint Joseph…, op. cit., p. 79.)
13 Ce texte grec très précoce (fin du IIe siècle) est inconnu de l’Occident médiéval, mais son contenu est repris dans le Pseudo-Matthieu (VIe-VIIe siècle), puis complété dans Le livre de la nativité de Marie (IXe-Xe siècle). Voir Le Protévangile de Jacques et ses remaniements latins, éd. et trad. fr. E. Amann, Paris, Letouzey et Ané, 1910 ; Voir aussi l’introduction et la traduction de A. Frey dans F. Bovon et P. Geoltrain (dir.), Écrits apocryphes chrétiens, t. I, Paris, La Pléiade, 1997, p. 71-104.
14 Ce récit apparaît pour la première fois au IXe siècle, chez Haymon de Halberstadt. Voir C. Klapisch - Zuber, L’ombre des ancêtres…, op. cit., p. 101 ; J. Wirth, L’image à la fin du Moyen Âge, Paris, Cerf, 2011, p. 183.
15 Jacques de Voragine, La Légende dorée, éd. A. Boureau et al., Paris, Gallimard, 2004.
16 Voir M. Lamy, « Les apocryphes dans les premiers chapitres des deux plus célèbres “Vies du Christ” de la fin du Moyen Âge (Les Meditationes vitae Christi du Pseudo-Bonaventure et la Vita Christi de Ludolfe le Chartreux) », Apocrypha, no 20, 2009, p. 29-82.
17 « Cette glorieuse Vierge, dans le sein de laquelle le Fils de Dieu s’est incarné, était issue de la tribu de Juda et de la race de David ; car, selon la remarque de saint Augustin (lib. 2, de Consensu Evang., c. 12) : il fallait et il convenait, pour la plus grande harmonie du mystère céleste, que celle qui devait être la mère de Dieu selon la chair, descendît également d’une famille royale et d’une famille sacerdotale ; parce que le Fils de Dieu, qui a pris d’elle un corps humain, est Roi et Prêtre pour l’éternité. » (Ludolphe le Chartreux, La grande vie de Jésus-Christ, trad. fr. Dom F. Broquin, Paris, Carré, 1891, vol. I, p. 23.)
18 « C’est pourquoi le Seigneur lui-même vous donnera un signe : Voici, la vierge est enceinte, elle va enfanter un fils et elle lui donnera le nom d’Emmanuel » (Is 7, 14).
19 Voir C. Klapisch-Zuber, L’ombre des ancêtres…, op. cit., p. 53-54 ; S. Lepape, Étude iconographique de l’Arbre de Jessé en France du Nord du XIVe siècle au XVIIe siècle, thèse de l’École nationale des chartes, ms., 2004 (et aussi Id., Représenter la parenté du Christ et de la Vierge au Moyen Âge, op. cit.). Voir aussi A. Guerreau-Jalabert, « L’Arbre de Jessé et l’ordre chrétien de la parenté », dans D. Iogna-Prat et al. (dir.), Marie. Le culte de la Vierge dans la société médiévale, Paris, Beauchesne, 1996, p. 137-170.
20 Sur cette œuvre, composée peut-être en Alsace au début du XIVe siècle et très largement diffusée (380 manuscrits conservés), le travail de référence reste celui de P. Perdrizet, Étude sur le Speculum Humanae Salvationis, Paris, Champion, 1908.
21 Ludolphe le Chartreux, La grande vie de Jésus-Christ, op. cit., p. 28. Aussi p. 40 : « Salut, tige florissante et fructifiante de Jessé, Marie Vierge bienheureuse. »
22 On observe par exemple cette disposition sur des miniatures de la Bible historiale de Guyart des Moulins (Paris, BnF, fr. 8, f° 367, vers 1320-1330 ; Paris, Bibliothèque Sainte-Geneviève, ms. 21, f° 145v°, vers 1320-1337 ; Paris, BnF, fr. 4, f° 157v°, début du XVe siècle).
23 Paris, Bibliothèque Mazarine, ms. 159, f° 3v° (seconde moitié XIVe siècle) ; ms. 167, f° 5 (fin XIVe siècle) ; ms. 171, f° 4 (XIVe siècle).
24 Paris, BnF, fr. 61, f° 16v° (fin XVe siècle).
25 Le Breviari d’amor, composé à la fin du XIIIe siècle par le franciscain languedocien Matfre Ermengaud, est une vaste somme théologique et morale présentée sous la forme originale d’un long poème en occitan (Le Breviari d’amor de Matfre Ermengaud, éd. P. T. Ricketts, Association Internationale d’Études Occitanes, Université de Londres, t. I, 1976, t. II, 1989, t. III, 1998, t. IV, 2004). Le passage qui nous intéresse ici évoque rapidement les parents de la Vierge, Anne et Joachim, et son lignage issu d’Abraham et de David (« De quals pairos fo nostra Dona, e del seu parentate de la sua naichensa », v. 12026-12060, ibid., t. III, 1998, p. 190). Il évoque aussi la sanctification de Marie dans le ventre de sa mère, une idée récente, particulièrement défendue par les franciscains.
26 Paris, BnF, fr. 9219, f° 89.
27 Paris, BnF, fr. 857, f° 98v°.
28 Paris, BnF, fr. 858, f° 89.
29 Paris, BnF, fr. 9219, f° 89.
30 Voir S. Lepape, « L’arbre de Jessé, une image de l’Immaculée Conception ? », Médiévales, no 57, automne 2009, p. 113-136.
31 Voir D. Donadieu-Rigaut, Penser en images les ordres religieux (XIIe-XVe siècle), Paris, Arguments, 2005.
32 Voir M. Lamy, L’Immaculée Conception. Étapes et enjeux d’une controverse au Moyen Âge (XIIe -XVe siècles), Paris, Institut d’études augustiniennes, 2000 ; E. Fournié et S. Berlier-Lepape (dir.), L’Atelier du Centre de recherches historiques, no 10, L’Immaculée Conception : une croyance avant d’être un dogme, un enjeu social pour la Chrétienté, 2012, disponible sur acrh.revues.org/4244 (consulté en février 2014).
33 F. Avril et N. Raynaud, Les Manuscrits à peintures en France, 1440-1520, Paris, Flammarion-Bibliothèque nationale, 1993, p. 256-259.
34 Lyon, Musée des Beaux-Arts. Voir C. Klapisch-Zuber, L’ombre des ancêtres…, op. cit., p. 314-315.
35 J. Wirth, L’image médiévale. Naissance et développements (VIe-XVe siècles), Paris, Méridiens Klincksieck, 1989, p. 313. L’auteur adopte une position plus nuancée dans sa plus récente synthèse (Id., L’image à la fin du Moyen Âge, op. cit, p. 183-191).
36 C. Klapisch-Zuber, L’ombre des ancêtres…, op. cit., p. 311, 313.
37 J. Wirth, « Sainte Anne est une sorcière », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, no 40, 1978, p. 449-480, repris dans Id., Sainte Anne est une sorcière et autres essais, Genève, Droz, 2003, p. 69-112.
38 Jean Gerson, Considérations sur saint Joseph…, op. cit., p. 70.
39 Londres, British Library, Add. ms. 18850, f° 257v°.
40 C. Klapisch-Zuber, L’ombre des ancêtres…, op. cit., p. 257-258.
41 Ibid., p. 259.
42 Sur l’usage politique des généalogies en Angleterre, très intense sous le règne d’Henry VI, voir par exemple L. Coote, « Prophecy, Genealogy, and History in Medieval English Political Discourse », dans R. L. Radulescu et E. D. Kennedy (dir.), Broken Lines : Genealogical Literature in Late-Medieval Britain and France, Turnhout, Brepols, 2008, p. 27-44, notamment p. 40-41.
43 R. Bizzocchi, Généalogies fabuleuses. Inventer et faire croire dans l’Europe moderne, Paris, Éditions Rue d’Ulm, 2010, p. 29-30 (1re éd. Bologne, 1995).
44 Ibid., p. 145-147. Giovanni Nanni, Antiquitatum variarum volumina XVII, Badio, 1515.
45 « Ut Philo illustris Hebraeus scribit : neque aduertunt alterum euangelistarum viri alterum ipsius virginis genealogiam texere : et corrupta orthographia scribere Eli quod est deus meus. Nam Elyh Lucas scribsit, quod apud Syros est deus fortis aut refurgens, idem apud Hebreos Ioakin. Is est pater Mariae virginis » (Giovanni Nanni, ibid., f° 94v°).
46 « Si dicatur Ioannes est filius Petri naturalis, et est filius meus legalis, quia habet filiam meam uxorem. Quoto enim gradu mihi est consanguinea filia mea vel neptis, toto est mihi affinis vir earum. Vnde et neptis meae virum, voco nepotem meum » (Giovanni Nanni, ibid., f° 102v°).
47 Chromace d’Aquilée, Opera, éd. R. Etaix et J. Lemarié, Brepols, 1974 (Corpus Christianorum Series Latina 9A), p. 172-193. Voir C. Guignard, La lettre de Julius Africanus…, op. cit., p. 108-109. La théorie de la « lignée sacerdotale » est également présentée par Ambroise de Milan, Traité sur l’Évangile de saint Luc, éd. G. Tissot, Paris, Cerf (coll. « Sources chrétiennes », 45bis), 1971, p. 125.
48 C. Klapisch-Zuber, L’ombre des ancêtres…, op. cit., p. 65.
49 Jacques de Voragine, La Légende dorée, op. cit., p. 729 ; Ludolphe le Chartreux, La grande vie de Jésus-Christ, op. cit., p. 33.
50 J. Wirth, Sainte Anne est une sorcière…, op. cit., p. 73, 79.
51 « Mais les recherches vaines, les généalogies, les disputes, les controverses relatives à la loi, évite-les : elles sont inutiles et vaines. » (Tite 3, 9). Voir aussi 1 Tim 1, 3-4 : « Demeure à Ephèse pour enjoindre à certains de ne pas enseigner une autre doctrine, et de ne pas s’attacher à des légendes et à des généalogies sans fin. »
52 « Et ideo non loquit de genealogia Christi que erat terminata manifesta et clara. […] Neque erat fabulosa sed vera ; neque vana et inutilis, sed supreme necessaria, qua si Christus non fuit de cognatione Devid, utique nec Messias » (Giovanni Nanni, op. cit., f° 102v°).
53 R. Bizzocchi, Généalogies fabuleuses…, op. cit., p. 148-153.
54 J. Wirth, L’image à la fin du Moyen Âge, op. cit., p. 159-165.
55 Amiens, Bibliothèque municipale, ms. 108, f° 166v°. J. Baschet, Le sein du père…, op. cit., p. 321-323.
56 G. Careri, « Les ancêtres du Christ. Chrétiens et Juifs dans la Chapelle Sixtine », Images Re-vues, no 9, Parenté en images, 2011, disponible sur imagesrevues.revues.org/1601 (consulté en février 2014).
57 Un exemple parmi plusieurs manuscrits conservés : Paris, BnF, nouv. acqu. lat. 779. L’œuvre de Bernard Gui est la première qui associe aussi clairement, dans son titre, l’arbre à la généalogie. Voir C. Klapisch-Zuber, L’ombre des ancêtres…, op. cit., p. 174-176.
58 C’est le cas pour l’arbre des Médicis dédié à Léon X, attribué à Pier Cattacci (Florence, Biblioteca Medicea Laurenziana, Mediceo Palat. 225). Sur cette image du début du XVIe siècle, voir ici même la contribution d’Olivier Rouchon.
59 J. Wirth, L’image à la fin du Moyen Âge, op. cit., p. 191 ; Id., Sainte Anne est une sorcière…, op. cit., p. 79-80.
60 Voir R. Bizzocchi, Généalogies fabuleuses…, op. cit., p. 150.
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