Chapitre VII. L’enjeu idéologique de la jeunesse : protection, éducation et contrôle
p. 215-265
Texte intégral
« Aber jetzt Musik: Fanfaren und Pauke von der Saaltür her und unter diesen Klängen Auszug der Fahnen, die stehend begrüßt werden […]. Pimpfe und HJ und Fahnen und Marsch und Hymne: gewiss die Nazis stahlen es von den Bolschewisten. Aber die Erinnerung an die Nazis bleibt doch mehr als peinlich. Und die Kernähnlichkeit des Totalitären bleibt, les extrêmes se touchent. »
Victor Klemperer, le 2 décembre 1949.
1« Deutscher Junge ! Deutsches Mädel ! Du darfst nicht abseits stehen1 ! » Avec ce mot d’ordre, « ne reste pas à l’écart », la FDJ (Freie Deutsche Jugend) cherche à attirer la jeunesse est-allemande et éveiller son intérêt pour la politique du SED au printemps 1946. La loi pour la démocratisation de l’école lance dès mai-juin la réalisation de l’école unique, loin de la tradition allemande de la « triade Volksschule-Mittelschule-Gymnasium ». Dans le même temps, la dénazification du corps enseignant, dont près de 70 % ont été membres du NSDAP, permet de reconstruire l’école sur de nouveaux concepts éducatifs, décidés par l’occupant. L’éducation des enfants et jeunes allemands dans les premières années d’après-guerre concentre d’ailleurs les efforts dans toutes les zones d’occupation, ce n’est pas l’apanage des seuls Soviétiques.
2L’intérêt pour cette génération, qui porte en germe la possibilité d’une Allemagne future « différente », dépasse le simple enjeu d’une reconstruction ou d’une réforme du système éducatif allemand. En SBZ puis en RDA, l’implication du nouvel État est-allemand dans l’éducation de la jeunesse touche également le corps enseignant, l’organisation ainsi que le contenu des études et le temps libre. Les fondements idéologiques sur lesquels le système éducatif est réformé sont nouveaux, mais l’encadrement de la jeunesse souhaité par le régime est-allemand n’est lui pas totalement novateur dans sa forme. Cela pourrait expliquer la pénétration relativement rapide des « grands idéaux socialistes » et de sa rhétorique dans le quotidien de la jeunesse. Cependant, pour la période étudiée dans le cadre de ce travail, la mainmise politique et idéologique doit être relativisée. En effet, nous sommes encore loin à la fin des années 1940 de cette « Sozialistische Erziehungsgesellschaft2 », même si les fondements de la future éducation ont leurs racines dans l’immédiat après-guerre : les espoirs politiques et surtout économiques des nouveaux dirigeants communistes reposent sur les enfants et les jeunes, moins « belastet3 » que leurs aînés.
3La prise en charge idéologique des enfants est dans un premier temps subordonnée aux difficultés de survie des familles et des orphelins. La première réunion du comité « Rettet das Kind4 » le 6 novembre 1945 doit justement permettre une meilleure coordination des administrations centrales pour répondre aux questions liées aux enfants, gravement touchés par la crise de subsistance, et organiser des actions caritatives à l’occasion des fêtes de Noël. Selon le comité, 5 millions d’enfants auraient besoin de rations supplémentaires (le comité envisage notamment des rations d’huiles de foie de morue) pour « améliorer leurs chances de survie5 » et le risque élevé de fausse couche chez les femmes réfugiées enceintes de plus de 4 mois devrait aussi se traduire par des confiscations, en premier lieu de lait écrémé ou de babeurre (« qui sont encore en grande partie utilisés pour l’engraissement des porcs6 »). Au-delà de ces mesures de première nécessité, qui s’attachent à leur seule survie, les enfants de réfugiés font l’objet d’une attention particulière, à la fois médicale, éducative mais aussi politique. Ainsi, le comité « Rettet das Kind » énonce ses priorités :
Des repas chauds pour les enfants à l’école.
De la nourriture supplémentaire pour les femmes enceintes ou qui allaitent.
Une sollicitude particulière pour les enfants de réfugiés7.
4Cette sollicitude se traduit tout d’abord dans les efforts déployés pour retrouver et identifier les enfants de réfugiés qui semblent sans attaches familiales, mais aussi par l’attention portée à leur approvisionnement en nourriture avant de les réinsérer dans un système scolaire en pleine mutation.
5L’action caritative et la rénovation du système scolaire, sont deux aspects intimement liés, car la prise en charge matérielle des Umsiedlerkinder doit se faire en dehors de la cellule familiale, pour pouvoir déboucher sur leur prise en charge éducative voire « rééducative ».
Le cas des enfants : retrouver, identifier, nourrir
La situation particulière des Umsiedlerkinder
Le nombre élevé d’enfants parmi les populations arrivantes
6En 1948, les autorités centrales peuvent travailler avec des statistiques de plus en plus précises. Les premières évaluations en classes d’âge donnent une image fiable de la population réfugiée et permettent d’orienter la politique d’intégration en fonction de leurs besoins spécifiques :
Moins de 6 ans | 12,8 % |
6-14 | 18,3 % |
14-18 | 6,5 % |
18-21 | 1,9 % |
21-25 | 4,9 % |
25-30 | 3,9 % |
30-40 | 12,8 % |
40-50 | 13,1 % |
50-60 | 11,5 % |
60-65 | 4,9 % |
Plus de 65 | 9,4 % |
7Les chiffres présentés ici reflètent les conséquences de la guerre mais aussi de la politique nataliste du IIIe Reich, adossée à une longue tradition des familles nombreuses dans des régions comme la Silésie. Deux catégories d’âge sont surreprésentées. Les personnes âgées de 30 à 60 ans, dont on peut présumer qu’il s’agit majoritairement de femmes et les enfants en bas âge (12,8 %) et ceux âgés de 6 à 14 ans qui représentent plus de 18 % du nombre total de réfugiés. Cette dernière catégorie s’avère cependant très vaste : les besoins ou les retards accumulés quant à l’éducation scolaire par exemple sont difficilement comparables entre un enfant de 6 ans et un de 14 ans, et ils n’ont pas vécu la fuite ou l’expulsion de la même manière.
8Cependant, ces différents âges se retrouvent dans l’appellation « Kinder » qui est la plus utilisée et qui englobe les réfugiés de moins de 14 ans, au-delà de cet âge les autorités parlent plutôt d’adolescents.
9Pour ce qui est du nombre d’enfants accueillis, la Saxe est dans une situation intermédiaire entre deux extrêmes que sont le Mecklembourg et la Saxe-Anhalt qui accueillent chacune plus de 280 000 enfants, et la Thuringe et le Brandebourg, où ce chiffre n’atteint que 170 000 enfants par région. En Saxe, la majorité des 230 000 enfants recueillis est issue de Pologne, c’est-à-dire de la Silésie voisine :
Tableau 13. – Le nombre d’Umsiedlerkinder dans les Länder9.
| Aus Polen | CSR | Sonstige |
Brandenburg | 122929 | 13392 | 24290 |
Mecklenburg | 222528 | 41390 | 19068 |
Sachsen-Anhalt | 170459 | 92353 | 17588 |
Land Sachsen | 197481 | 27384 | 4180 |
Thüringen | 103071 | 55685 | 12065 |
10Au niveau local, les inégalités sont souvent fortes. Des localités comme Olbernhau, commune située à proximité de la frontière tchécoslovaque, accueillent même plus d’enfants que d’adultes : 5 861 enfants sur les 10 419 personnes accueillies dans ce cas particulier10. À l’inverse, la ville de Leipzig compte parmi les expulsés pris en charge 24,9 % d’hommes, 58,3 % de femmes et « seulement » 16,8 % d’enfants11. En 1949, les autorités centrales se basent sur le chiffre de 27,2 % d’enfants parmi les réfugiés et notent que « la part des enfants correspond à peu près à celle de vieillards12 ». Les efforts politiques et financiers mobilisés autour de la question des Umsiedlerkinder ne sont cependant pas comparables à l’intérêt très modéré des dirigeants pour les personnes âgées.
Des enfants en danger
11Les conditions sanitaires et physiques des enfants de réfugiés font l’objet de nombreux commentaires de la part des personnels des camps, mais aussi de la part des fonctionnaires chargés des aides sociales et du logement. La misère des enfants frappe les esprits, souvent bien plus que celle des adultes. Le discours de la faute allemande et de la rédemption nécessaire face aux crimes du IIIe Reich ne peut être appliqué aux enfants, qui apparaissent souvent comme les « vraies » victimes de l’expulsion. Le personnel des camps de quarantaine et de transit note en premier lieu l’extrême saleté des enfants qui arrivent, « les vêtements des enfants de réfugiés, et pas seulement leur linge, sont à l’intérieur comme à l’extérieur dans un état très sale, voire même de haillons, ce qui a nécessité une grande opération de nettoyage13 » et leur dénuement : « Les enfants sont non seulement arrivés vêtus du strict minimum, mais souvent vêtus uniquement de haillons. La question des chaussures n’était guère plus simple, et je vous avais fait part dans plusieurs de mes courriers de certains enfants pieds nus14. » Les troubles du développement sont largement répandus15, ainsi que des maladies infectieuses plus ou moins bénignes (« poux de tête, poux de corps, gale, impétigo, écrouelles16 ») dont la propagation est favorisée par les conditions de transport et qui provoquent le décès des plus faibles. La sous-nutrition est aussi une conséquence des conditions précaires de vie des Allemands en instance d’être expulsés, vivant souvent dans des camps ou dans la rue après avoir été sommés de quitter leurs logements. En décembre 1945, alors que les températures sont au plus bas, le ministère de la Santé tente de faire réagir le ministère des Transports à ce sujet :
« D’après les rapports que nous recevons ici, les transports de réfugiés durent en moyenne plusieurs jours, car ils doivent souvent attendre des heures dans les gares pour laisser passer d’autres trains. Les trains ne sont pas chauffés, et aucun repas chaud n’est distribué dans les gares. Le grand nombre d’enfants parmi les expulsés, surtout les plus petits et les nourrissons, ainsi que les femmes enceintes sont exposés à des risques importants. Toujours d’après nos informations, un grand nombre d’enfants et de nourrissons ne survit pas au transport, car sans boissons chaudes ils ne peuvent se défendre contre le froid17. »
12À l’arrivée, la priorité est de s’occuper des conditions sanitaires, en enrayant les épidémies, puis en garantissant un accès progressif à de la nourriture plus consistante pour des enfants qui en avaient été privés plus ou moins longtemps. Cela est difficile compte tenu de la rareté de produits comme le lait, mais peut donner des résultats rapides, comme le montre l’exemple donné par un directeur de camps de transit : « La jeune fille de 17 ans qui a aidé aux cuisines, il s’agit de Ursula Schiller, a pris très exactement 2,1 kg pendant son séjour chez nous. Notre statistique de poids montre également que trois enfants ont pris entre 1,6 et 2 kg18. » La prise en charge des besoins particuliers des enfants au sein des camps est largement garantie par la Volkssolidarität et d’autres organisations caritatives ainsi que par des dons en provenance de l’étranger, qui s’adressent souvent spécifiquement aux enfants et sont dans un premier temps tolérés en tant que tels. La situation catastrophique des enfants réfugiés est en effet relayée par la presse internationale, comme le montre cet article du Times publié le 12 novembre 1945 et intitulé « Les péchés des pères19 » :
• Limites et pratiques de la prise en charge des enfants
13Au-delà des risques de maladies ou de sous-nutrition, les autorités est-allemandes cherchent à éviter également un trop grand isolement des enfants de réfugiés ou un repli sur la cellule familiale. En effet, les enfants ont pendant les derniers mois de la guerre et pendant la fuite côtoyé uniquement des adultes, ce que les autorités centrales cherchent dès 1945 à modifier « pour protéger les enfants d’une vie sur la route ou de la mauvaise influence des adultes », pour cela « leur prise en charge pour quelques heures ou même complète dans un foyer pour enfants a été préconisée20 ». Dans un premier temps, il s’agit d’extraire les enfants de leur environnement familial dans les camps, en mettant en place des jardins d’enfants. En septembre 1947, l’administration régionale saxonne chargée des réfugiés dresse la liste des camps ayant mis en place de telles structures dédiées aux enfants. En tout 12 jardins d’enfants (« Bischofswerda, Kleinwelka, Görlitz, Löbau, Niederoderwitz, Hoyerswerda, Leipzig, Pirna21 ») existent alors dans différents camps de la région mais cette pratique souffre de grandes disparités locales : certaines grandes villes comme Dresde ou Riesa n’en ont pas créé. Le manque de personnel qualifié rend impossible la mise en place d’une pédagogie particulière, qui prendrait en compte les problèmes propres aux enfants de réfugiés et notamment leur vécu traumatisant, ce que déplore l’Umsiedleramt saxon22.
14La prise en charge complète des enfants est parfois évoquée, c’est-à-dire leur placement momentané dans des foyers spécialisés jusqu’à la sédentarisation et l’intégration professionnelle de leurs familles. Cette solution est présentée comme un soutien aux mères (« Que faire avec les femmes ? […] Comment aider ? Ne peut-on pas séparer les enfants des femmes et les envoyer ailleurs23 ? »), mais elle ne sera que peu utilisée, en raison du manque de place dans les foyers et du grand nombre d’orphelins. Dans certains cas, comme nous avons pu le voir avec l’exemple d’Anna Lorentz, lorsque la prise en charge des enfants par leurs proches est estimée impossible, l’hébergement en foyer est préconisé voire imposé par les autorités. Cette forme d’hébergement est appliquée à ceux qui proviennent des transports clos, « Kindertransporte », par exemple les enfants de l’Oderbruch24 ou de Kaliningrad, sur lesquels nous reviendrons. Lorsque ces derniers ont des proches, et surtout des parents, qui s’opposent à leur placement dans des camps, la situation provoque de nombreux conflits.
15Cette situation n’est pas comparable avec la politique de placement de jeunes au sein d’institutions spécialisées à partir des années 1960 et qui reste un épisode sombre de l’histoire de la RDA. Cependant, la volonté d’extraire les enfants d’une cellule familiale jugée même parfois dangereuse (« gefährdenden Einfluss Erwachsener25 ») a dès 1945 une dimension idéologique. Dans l’exemple cité précédemment du camp de transit entre la Saxe et la Saxe-Anhalt26, le directeur doit se défendre contre les reproches de parents qui ne semblent pas avoir donné leur accord pour que leurs enfants restent dans un camp. Les enfants, arrivés séparément en SBZ, attendent que leurs parents viennent les chercher : « De manière irrégulière des proches venaient chercher les enfants venus de l’Oderbruch. À chaque fois cela était suivi de drames. Les enfants étaient prétendument considérés comme kidnappés. Lorsque certains enfants étaient emmenés, ceux qui restaient étaient anxieux et ne comprenaient pas pourquoi ils devaient rester dans le foyer. » Si la prise en charge de ces enfants, arrivés seuls, semble ne durer que le temps de retrouver et de réunir les familles, le directeur se défend de vouloir influencer les enfants. Cette défense ressemble en fait à une mise en accusation des enfants :
« Les enfants sont bien entendu libres dans leurs correspondances, faire sortir des lettres en douce était donc totalement inutile. Dans les cas cependant où les enfants écrivent des mensonges, ils y sont confrontés devant tout le monde et encouragés à écrire la vérité. Cela n’a rien à voir avec de la coercition, qui n’existe dans notre foyer que dans une mesure des plus raisonnables. […] Il semblerait qu’on essaye de transformer chaque parole prononcée par les enfants en reproche, et il semble probable que les enfants aient été totalement perturbés (le mot est faible) par la suite27. »
• Volonté de comprendre, volonté d’éduquer
16En 1948, un document du ministère pour l’Éducation (Volksbildung) cherche à évaluer les besoins des Umsiedlerkinder. Il s’agit d’observations issues d’enquêtes menées dans les camps de réfugiés. Une liste est rédigée afin de faciliter le rapport des responsables administratifs ou éducatifs avec cette population et pour pallier à certaines difficultés d’intégration en milieu scolaire et professionnel. Son contenu est divisé en deux catégories : les éléments qui freinent leur intégration et les traits de caractère qu’il s’agit de promouvoir28 :
« Fremdheit gegenüber der menschlichen und räumlichen Umgebung » : sentiment d’être un étranger dans un nouvel environnement humain et un nouvel espace.
« Körperlicher und geistiger Entwicklungsrückstand » : retard dans le développement physique et mental.
« Ausfall von Beschulung und Bildungslücken » : absence de scolarisation et manque de connaissances générales.
Minderwertigkeitsgefühle » : sentiment d’infériorité.
« Bekanntheit zu den Lehrstellen, Dienststellen usw. fehlt « : manque de liens avec les administrations et le personnel enseignant.
« Unterhaltsverpflichtungen gegenüber der Familie » : sentiment de responsabilité quant à la prise en charge matérielle de la famille.
« Fehlen des Elternhauses als Basis » : l’absence de cellule familiale comme fondement.
« Abdrängen in asoziale Verhältnisse (Schwarzmarkt) » : repli vers un environnement asocial/des conditions de vie asociales (marché noir).
« Vorzüge : größere Reife, Zielstrebigkeit, Ernst und Zähigkeit » : qualités : plus grande maturité, détermination, sérieux et ténacité.
17Nous verrons par la suite l’utilisation de ces éléments dans l’intégration scolaire et professionnelle des enfants concernés. Cette liste prouve la volonté de comprendre les problèmes liés à leur parcours d’intégration, mais aussi le souci d’évaluer les conséquences psychologiques de la fuite et de l’expulsion sur les plus jeunes, afin d’éviter toute marginalisation.
18Entre 1945 et 1948, les enfants sont au centre des actions caritatives mais aussi des réflexions politiques et idéologiques sur leur intégration au sein de la nouvelle société socialiste. La volonté des enfants d’aider à la survie matérielle de leurs proches est déjà identifiée comme un frein à leur évolution professionnelle et politique. En février 1946, une circulaire de l’administration régionale à l’attention des maires et des conseils municipaux de Saxe29 résume la dualité de l’après-guerre. D’une part, l’éducation des enfants de réfugiés constitue un enjeu politique pour l’avenir, « nous avons besoin d’enfants sains, d’enfants éduqués à la démocratie. […] Leur situation ne peut qu’être améliorée », mais d’autre part, les difficultés matérielles et financières et le chaos provoqué par l’arrivée massive de réfugiés conduit à un certain pragmatisme : « Lorsque cela n’est pas possible, leur situation ne doit en tout cas pas se détériorer. »
« Umsiedlerkinder » et « anhanglose Umsiedlerkinder30 »
« Wo ist mein Kind31? »
19Le chaos provoqué par la fuite et l’expulsion a séparé de nombreuses familles. Qu’ils aient été perdus lors d’attaques touchant les colonnes de réfugiés, perdus sur des quais de gares bondés, ou que des mères, réquisitionnées par les Soviétiques pour des travaux de déblaiement ou déportées en URSS, aient été forcées de les laisser derrières elles, les enfants prudemment appelés « anhanglose », sans attaches, se comptent en dizaines de milliers en SBZ. L’interdiction de la Croix Rouge allemande par les occupants en raison de son instrumentalisation par le régime nazi mène à la création d’un Suchdienst, un service de recherche, afin de collecter les informations relatives à l’identité des enfants et de les rendre publiques, notamment à travers la presse spécialisée, comme la revue Neue Heimat à l’adresse des réfugiés32 :
20Dans l’immense majorité des cas, les enfants ont été emmenés par d’autres personnes, souvent rencontrées lors de la fuite33, ou sont rassemblés dans des orphelinats à travers les régions d’expulsions (Prusse orientale, Sudètes, Silésie) avant d’être conduit en SBZ par « Kindertransport ». Le terme « anhanglose » renvoie à l’impossibilité pure et simple de déterminer le véritable statut de l’enfant, le terme d’orphelin est lui réservé aux cas où le décès des proches peut être documenté. Aux « anhanglose Umsiedlerkinder » s’ajoutent les autres enfants qui ont perdu leurs proches lors des bombardements ou des combats, qui ont été évacués vers des zones rurales du Reich lors des derniers mois de la guerre et qui se retrouvent séparés de leurs familles par les frontières des zones d’occupation et la rupture des moyens de communication.
21Dans un premier temps, ces enfants sont rassemblés dans des « Kinderheime », traduisible par « orphelinat » mais aussi par « foyer pour enfants », dont le nombre croît de manière exponentielle. 104 foyers sont officiellement en place en janvier 1947, avec une capacité de 4 524 places34, six mois plus tard, le 30 juin 1947, le nombre de place a doublé avec une capacité d’accueil de 10 212 places réparties entre 178 établissements35. Au 1er août 1947, 211 foyers font officiellement office d’orphelinats pour les enfants dont les proches sont manquants. Cette multiplication de foyers n’est possible que par la réquisition d’espaces inoccupés, par exemple des châteaux dont les propriétaires ont fui ou ont été expulsés et dont 28 servent à l’accueil d’enfants36, ainsi que des Églises et couvents. Dans la majorité des cas, ces lieux ne sont ni adaptés ni équipés pour accueillir des enfants, ce qui est dénoncé par l’administration centrale chargée de la santé (Zentralverwaltung für Gesundheitswesen) en juillet 1947 : « L’équipement est dans de nombreux cas complètement insuffisant, souvent il manque des lits, des chaises et toute autre possibilité de s’asseoir. Les enfants doivent souvent prendre leurs repas debout. Dans certains foyers il n’y a aucun lit sur place37. » Les difficultés sont liées au manque de meubles, de matériel de cuisine, de poêles et de combustible, comme pour le reste de la population d’ailleurs, le manque de personnel qualifié restant l’autre grand problème.
22Le nombre d’enfants pris en charge est difficile à déterminer en raison de cette multitude de foyers ouverts au cours des années 1945-1947, certains établissements ne sont d’ailleurs pas connus des autorités régionales ou centrales lorsqu’il s’agit de structures privées, notamment religieuses. En ce qui concerne les Umsiedlerkinder, les administrations elles-mêmes peinent à déterminer leur nombre, leur identité, leur provenance ainsi que leur localisation. Lorsqu’en février 1947 l’Umsiedleramt de Dresde tente de communiquer à la ZVU le nombre d’enfants d’expulsés présents sans leurs proches en Saxe, toute l’ampleur du problème de leur identification et de leur localisation apparaît. Ainsi, différents rapports locaux sont envoyés à Berlin pour contredire les évaluations régionales. La ville de Chemnitz par exemple a pris connaissance de la présence de certains enfants par la presse locale : « À en croire la Volkstimme de Chemnitz no 16 du 5 février 1947, 200 enfants sont hébergés dans 3 orphelinats de la ville de Chemnitz. Grâce à cet article de journal, nous avons la preuve que des Umsiedlerkinder se trouvent dans beaucoup de petits foyers, privés ou municipaux et ne sont pas connus de l’Umsiedleramt de Dresde38. » L’Umsiedleramt de Dresde ne conteste d’ailleurs sa relative ignorance de la situation précise des orphelins parmi les enfants d’expulsés39. Le chaos est tel que même les enfants présents dans les camps de réfugiés placés sous l’autorité de l’Umsiedleramt de Dresde ne sont pas tous identifiés. Ainsi, en mai 1947, le ministère de l’éducation décide d’envoyer un fonctionnaire au camp de Hoyerswerda afin de contrôler la situation. Ce dernier est chargé d’expliquer la surreprésentation d’enfants dans ce camp, faute d’informations de la part du gouvernement régional. Le questionnaire qui lui est confié explicite l’ampleur des lacunes40 :
« 1. Quelles sont les raisons de la part importante d’enfants dans le camp H. ? (3 000 enfants sur 6 000 personnes 50 %)
2. S’agit-il d’enfants sans attaches ou appartiennent-ils aux Umsiedler présents sur place ?
3. Depuis quand ces enfants se trouvent-ils à Hoyerswerda ?
4. Si des enfants sans attaches (orphelins) sont présents, les services de recherches ont-ils été informés ? »
23Il faut attendre l’année 1948 pour avoir des estimations plus précises du nombre d’Umsiedlerkinder dont les proches n’ont pas été retrouvés : parmi les 38 532 enfants qui seraient présents en SBZ, seuls 3 058 seraient hébergés dans des foyers saxons41. En décembre 1948, le Suchdienst lance une grande campagne, « Kindererfassungsaktion », afin de pousser les personnes qui ne sont pas les parents des enfants qui les accompagnent à se manifester auprès du service de recherche42. L’appel lancé entre autre dans le journal dédié, Suchzeitung, est effectué en coopération avec les services de l’enfance, « Jugendamt », et le ministère de l’Éducation. En réalité, cette action commune qui doit être relayée au niveau local par les maires et les conseils municipaux constitue bien plus qu’un simple appel à la coopération de la population : à partir de décembre 1948, tous les adultes ayant avec eux des enfants qui ne sont pas les leurs d’un point de vue biologique, même s’ils ont été adoptés après 1945, devront se présenter avec des justificatifs (de naissance, de décès des parents, d’adoption) afin de pouvoir les inscrire sur leur carte de rationnement. Autrement dit, seule la présentation de documents officiels auprès des services concernés permet l’octroi de la ration alimentaire pour l’enfant en question.
24Les services chargés de l’enfance sont alors responsables de recenser les enfants présents dans les camps, les foyers, les orphelinats, les familles d’accueil ou qui ont d’ores et déjà été adoptés. La mesure est en premier lieu destinée aux personnes qui ont recueilli des enfants et « qui remplacent les parents biologiques et qui se sont tellement habituées aux enfants qu’ils les considèrent comme les leurs43 », tout en rappelant que « les droits légaux des parents biologiques dépassent sans aucun doute les droits issus de “l’habitude” des parents d’accueil ». La remarque est intéressante, car elle sous-entend que des enfants ont été adoptés légalement depuis 1945, et que les administrations cherchent à faire marche arrière à propos des autorisations accordées dans l’urgence de l’après-guerre.
25Les motivations des parents d’accueil sont variées. Certains ont le désir de prendre en charge des orphelins après avoir perdu leurs propres enfants et ont déclaré des enfants comme les leurs quand les administrations ne demandaient pas de preuves, de peur de les voir envoyés dans des foyers d’accueil ou des orphelinats. Le recours à la menace par le retrait des cartes alimentaires pour les enfants, montre qu’il s’agit là d’une mesure qui dépasse l’aide à la recherche des proches disparus. Officiellement, la tutelle des enfants réfugiés considérés comme orphelins est confiée à un représentant des services de l’enfance qui est en charge de choisir le meilleur placement pour l’enfant et le cas échéant, décider de la légalité d’une adoption44. Rappelons à la marge que le journal Suchzeitung coûte 60 Pfennig. On peut dès lors se poser la question de sa diffusion, s’il n’est pas librement mis à disposition dans les administrations et auprès du public ciblé.
26En 1950, à la suite de cette « Kindererfassungsaktion », le ministère de l’Intérieur saxon avance alors des chiffres un peu plus élevés : il y aurait 5 838 « anhanglose Umsiedlerkinder » dont 1 444 pris en charge au sein de 166 foyers, l’immense majorité reste placée dans des structures privées ou des familles d’accueil45.
Les enfants dans les camps saxons : le cas polémique des « 3 000 de Kaliningrad »
27Dans le cadre de ce travail, la plupart des informations proviennent du suivi plus intense de certains camps de réfugiés spécialisés dans l’accueil d’enfants sans attaches, dont les Kinderlager Bischofswerda et Wilden, ainsi que le camp d’Hoyerswerda cité précédemment. Au début de l’année 1947, ces deux Kinderlager accueillent respectivement 273 et 159 enfants46. Ils ne sont pas destinés à rester dans ces camps, la majorité d’entre eux attend un transfert vers un orphelinat ou une famille d’accueil, voire même un retour des parents, tandis que d’autres sont en attente d’une autorisation pour rejoindre les autres zones d’occupation, pour permettre une reconstitution des familles. Ces différents camps nous offrent des informations sur la vie quotidienne des enfants qui y vivent.
28Un premier constat concerne l’état physique et psychologique des enfants : seuls ceux qui présentent des troubles ou des handicaps ne sont pas redirigés vers des placements privés. Ainsi, une partie des 159 enfants placés sous l’autorité du camp de Wilden ne réside plus sur place, (« le reste soit les 78 enfants normaux ont été placés dans des foyers privés47 »), alors qu’à Bischofswerda 103 des 273 enfants semblent présenter des troubles du comportement ou des handicaps physiques. Les statistiques mises en place par les camps regroupent les différentes pathologies de la manière suivante :
« Kinderlager Bischofswerda : 273 enfants
25 Geisteskranke/malades mentaux
38 Hilfsschüler/élèves en difficulté
5 Körperbehinderte/handicapés physiques
25 Bettnässer/touchés d’ énurésie nocturne
9 Schwererziehbare/“difficiles à éduquer”
1 blindes Kind/enfant aveugle
Kinderheim Wilden : 159 enfants
63 für die englische Zone/pour la zone d’ occupation britannique
12 Geisteskranke/malades mentaux
4 Bettnässer/touchés d’ énurésie nocturne
1 Schwererziehbares/“difficile à éduquer”
1 Psychopath/psychopathe48. »
29Il est difficile de définir précisément aujourd’hui le contenu médical de ces catégories (psychopathe ?). Toutefois, leur présence dans ces camps montre le manque d’alternative plus adaptée. Il s’agit en effet plutôt de « Sichtungslager », c’est-à-dire de camps d’observation des enfants qui doivent permettre de les sortir des camps pour adultes, jugés dangereux, et de les transférer selon leurs capacités physiques et mentales : soit dans une famille d’accueil, soit vers un orphelinat ou vers des foyers spéciaux lorsque cela s’avère nécessaire.
30L’arrivée des « 3 000 enfants » de Kaliningrad entre l’automne 1947 et le début 1948 est révélateur du secret et de la propagande qui entourent l’arrivée des enfants de réfugiés. Cela est certainement dû aux terribles conditions de vie de ces enfants dans ce territoire occupé par les Soviétiques depuis la capitulation allemande de l’enclave le 9 avril 1945 après des combats acharnés autour de la « forteresse de Königsberg », capitale de la Prusse orientale. En effet, entre la fin des combats et les transports d’enfants vers la zone d’occupation soviétique, les Allemands qui n’ont pas réussi à fuir sont expulsés de la ville et tentent de survivre. Ils errent dans les alentours de la ville ou s’installent dans des bâtiments détruits par les bombardements alliés, tiraillés par la faim et par la peur de la déportation vers l’URSS ou du travail forcé dans les entreprises et les exploitations encore intactes.
31En quelques mois, il ne reste que 20 000 des 150 000 habitants de la ville, avant l’ordre donné par Staline en octobre 1947 d’évacuer la population vers la zone d’occupation soviétique. Parmi eux, on compte 3 000 enfants qui, après avoir été rassemblés au sein d’orphelinats, sont embarqués dans des trains spéciaux. L’annonce de leur arrivée est souvent repoussée et provoque dès les mois de juin-juillet la création de places supplémentaires dans des camps réservés aux enfants.
32Il est d’abord prévu de les envoyer tous vers le camp de Pasewalk dans le Mecklembourg, avant de les répartir entre les 5 régions de la SBZ. 600 enfants doivent ainsi transiter dans chacun des 5 camps de quarantaine (Wiek, Eggesin, Gadebusch, Kosarow, Selz)49. Ce chiffre s’avère en définitive inexact, puisque ce sont en réalité 3 796 enfants qui arrivent en SBZ entre novembre et décembre 1947, dont 1 372 sont finalement hébergés dans des camps saxons50. Ils représentent alors presque 45 % des « anhanglose Umsiedlerkinder » pris en charge par les institutions publiques sur le territoire régional.
33Le rassemblement des enfants au sein du camp de Pasewalk puis leur passage dans des camps de quarantaine spéciaux répond à différentes préoccupations de l’occupant et des autorités est-allemandes. Tout d’abord, certains enfants ont des proches en SBZ ou dans les zones d’occupation occidentales. La procédure est alors la même que pour les autres enfants qui arrivent sans leurs proches : le projet des autorités est de permettre à l’organisme chargé de la recherche de personnes disparues, le « Suchdienst », de recouper les informations et de s’assurer des identités de chacun, lorsque c’est possible, avant de prévenir les parents. Officiellement, il s’agit de ne pas faire naître d’espoirs. Comme il s’agit des premiers transports depuis le territoire de Kaliningrad, les inquiétudes des réfugiés sur le sort de leurs familles sont immenses ainsi que leurs attentes.
34Il faut également tenir les enfants de Kaliningrad à l’écart de l’attention des médias. En effet, ce qu’ils ont vécu entre 1945 et 1947 pourrait ternir encore plus l’image de l’occupant soviétique : la mortalité, la faim et les conditions sanitaires désastreuses dans lesquelles ils ont vécu ne sont pas destinés à être connues de la population est-allemande. Lorsque les enfants arrivent en Saxe après leurs 14 jours de quarantaine à Eggesin, dans le Mecklembourg, leur état sanitaire et les conditions dans lesquelles ils ont été acheminés amènent même le ministère saxon du Travail et des Affaires sociales à rédiger une plainte auprès de la ZVU51. Contre les avis du responsable du transport, des médecins accompagnateurs et du conducteur de train, 400 enfants supplémentaires ont été entassés (« hineingestopft ») dans les wagons. Tout ravitaillement et tout soin médical a alors été rendu impossible pour des enfants allongés par terre ou recroquevillés dans les espaces réservés aux bagages, ce qui ne permet pas aux accompagnateurs de circuler dans le train. La nourriture pour le transport avait été directement confiée aux enfants trois jours avant le départ, et ceci même aux plus jeunes. La conséquence s’est révélée désastreuse. Ils ont tout mangé rapidement et ne disposent plus d’alimentation pour la durée du transport, et ces enfants, en stade avancé de sous-nutrition, sont tombés malades en raison de la quantité mais aussi de la nature des aliments : à la fois riches et gras, du babeurre par exemple. Des directives précédentes avaient conseillé de très peu nourrir ces enfants à leur arrivée en SBZ, leur organisme n’étant plus habitué à certains aliments. Les enfants qui arrivent en Saxe sont dans un état pitoyable, ils sont sales et sont pour la plupart atteints de diarrhée. Leur grand nombre empêche même alors tout examen médical rapide.
35Le camp d’Eggesin est au centre des polémiques. Le personnel du service de recherche, « Suchdienst », de passage pour répertorier les enfants en avril 1948 présente un rapport alarmiste sur l’état des 418 jeunes orphelins52 :
« Le transport est composé d’environ 60 enfants difficiles à éduquer (“schwererziebar”), qui étaient dans un foyer spécialisé à Kaliningrad, 120 enfants sont issus d’un orphelinat, le reste est composé d’enfants vagabonds, qui ont été appréhendés ça et là afin de les ramener en Allemagne.
L’état physique et moral des enfants est en conséquence. Un avis défavorable est à émettre concernant les enfants vagabonds et le fait qu’ils aient échangé leurs nouveaux vêtements contre du schnaps et des cigarettes dès leur arrivée. Des enfants de 8 à 10 ans étaient ivres. »
36Au vu de la situation, le président du Suchdienst Herr Engel propose de garder les enfants en observation avant de rendre public leurs noms53.
37Les enfants vagabonds mentionnés ici sont depuis la chute de Königsberg mieux connus sous le nom de « Wolfskinder », enfants-loups, par le grand public allemand. Les recherches menées depuis 1996 par la journaliste Ruth Leiserowitz en Lituanie, concernant les enfants allemands de la région de Kaliningrad depuis 194554 n’ont pu être possible qu’après l’indépendance de la Lituanie, pays où se trouvent encore aujourd’hui certains de ces enfants. En effet, même si les Soviétiques avaient formellement interdit de nourrir ces « petits fascistes », un grand nombre d’orphelins a survécu à l’après-guerre grâce au pays voisin, en mendiant et en volant dans les fermes. Un grand nombre d’enfants s’y est d’ailleurs installé et a travaillé en tant que journalier avant d’être adopté par des paysans. Pour échapper aux contrôles, ils devaient se défaire totalement de leur identité allemande, ce qui pour les plus jeunes a pour conséquence un oubli de la langue et de leur passé.
38À la campagne, les grands départs vers l’Allemagne en 1947-1948 et en 1951 n’étaient pas connus, seuls les enfants emmenés vers des orphelinats ou interceptés par des patrouilles soviétiques ont pu en faire partie. Les enfants vagabonds décrits par le président du Suchdienst reproduisent alors des comportements liés à leur vie sur la route55, et font naitre des réflexions sur la nécessité de garder les enfants plus longtemps que la simple quarantaine avant de rechercher des proches ou de permettre leur adoption.
39Les polémiques naissantes autour des enfants de Kaliningrad provoquent une médiatisation contrôlée de leur sort. Ainsi, le cadre de vie offert par les foyers est-allemands à ces enfants fait l’objet d’une véritable propagande.
40L’article publié par la Neue Heimat répond aux articles de presse publiés dans les autres zones d’occupation. Le journal « Der Sozialdemokrat », organe du SPD dans la zone britannique de Berlin, avait déjà émis des reproches quant aux conditions de vie et de transport des enfants de Kaliningrad dans un article intitulé « 168 heures dans des wagons froids. Des enfants avec des œdèmes de carence – les parents sont morts “de la nutrition”56 », il est étudié par les autorités est-allemandes57. Le reportage, en forme de réquisitoire à charge, revient sur des cas particulièrement touchants, comme celui de la jeune Gerda, 9 ans, dont les parents, le grand frère et la petite sœur sont morts de faim, et qui a été rapatriée dans un train non chauffé et sans nourriture. L’article conclut sur un appel aux responsables (soviétiques et communistes) : « Le troisième transport d’orphelins de Kaliningrad arrivera courant janvier. Ce long voyage sera-t-il une nouvelle fois effectué à bord de wagons à marchandise ? »
41Ce genre de critiques ne sert ni les intérêts soviétiques, ni ceux du SED, et une pression s’exerce sur ceux qui font circuler des informations sur les enfants de Kaliningrad. Même le rapport transmis par le président du Suchdienst fait l’objet d’une rapide rectification. Dès le 27 avril les conclusions transmises à propos du camp d’Eggesin sont niées par de nouvelles inspections59 : « Les informations transmises par le président du Suchdienst Engel de la part de sa représentante doivent être qualifiées d’erronées. » La faute alors à quelques fauteurs de trouble ?
42Si le représentant du ministère de l’Intérieur chargé des réfugiés veut bien admettre que « quelques adolescents masculins difficiles à traiter faisaient partie du transport, cela ne permet pas selon lui « de conclure sur un état exceptionnellement difficile du transport ». Non seulement les représentants du ministère préfèrent qualifier l’état physique de satisfai60, et ils expliquent l’état des vêtements des enfants par le fait que « les chemises et vestes ont pu finir en loques lors de jeux un peu rudes ». C’est cette version qui est transmise aux camps de transit et aux foyers spécialisés avant l’arrivée des enfants afin de les préparer à leur aspect déguenillé (« abgerissen »). La communication est rapidement maîtrisée, même au sein des institutions est-allemandes, ce que dénonce le SPD berlinois dans son article cité précédemment : « Pour les enfants du premier transport vers Berlin – les moins sous-alimentés avaient été choisis pour les montrer à la presse – les meilleurs vêtements leur ont été alors donnés. » La photo publiée en première page de la Neue Heimat illustre cette propagande qui vise la population allemande mais aussi les autres zones d’occupation et l’opinion publique internationale dans son ensemble.
43Dans son ouvrage retraçant le parcours de différents « Wolfskinder », Ruth Leiserowitz retrace à l’aide de témoignages l’arrivée et la vie des enfants à Eggesin. La reproduction par les enfants de certaines stratégies de survie des enfants vagabonds y est souvent évoquée, ainsi que les efforts du personnel pour enrayer un comportement qualifié d’« asocial » : « Quelques éléments fâcheux ne peuvent cesser de chaparder malgré leur alimentation riche et suffisante. D’autres ont créé des systèmes de troc avec la population locale à travers le grillage. Des mesures strictes ont d’ores et déjà été mises en place. […] Les vérifications ont révélé qu’il s’agissait en général d’enfants laissés à l’abandon et qui sont arrivés tardivement dans des foyers61. » Au-delà de ces comportements qualifiés de « unerfreulich », fâcheux, dans ce rapport établi début 1947, la question de l’avenir de ses jeunes se pose, surtout des adolescents. Que faire en effet des enfants trop marqués par les événements à Kaliningrad et en Lituanie ? Qui doit les prendre en charge ? Est-il possible de les « rééduquer » ?
44Après les premières mesures d’urgence concernant l’alimentation, la santé et les vêtements, la question de la prise en charge à long terme doit être assumée par les autorités soviétiques et par le nouvel État est-allemand. À court terme, les vols et le système de marché noir établi par certains des jeunes issus de Kaliningrad dans les camps de quarantaine reflètent aussi tout simplement des besoins liés à l’après-guerre. Les enfants, certes logés et nourris, font face aux mêmes difficultés d’approvisionnement que la population locale, l’alimentation dans les foyers est régulière mais ni très riche ni très variée, ils s’« organisent des extras » quand ils le peuvent62. La confiance dans la régularité de l’approvisionnement doit encore renaître dans l’esprit de certains, trop habitués à vivre au jour le jour en espérant trouver, voler ou mendier de la nourriture pour eux et leurs frères et sœurs.
L’encadrement des enfants : camps, foyers et « Kinderdörfer »
45La concurrence entre les forces d’occupation conduit à l’instrumentalisation des transports de personnes, notamment pour les enfants dont les procédures d’autorisation de transferts par les Soviétiques sont difficiles et lentes. Dans ce contexte politique de début de guerre froide, les enfants sont un sujet privilégié de discorde entre les occupants. Ils sont utilisés pour monter la population allemande contre les principes pédagogiques, et du même fait idéologiques, de l’adversaire. Ainsi, l’organe de presse de l’administration militaire américaine, « Die Neue Zeitung », publie un article très critique à propos des foyers pour enfants saxons, « Kinderlager in Sachsen », dans lequel les conditions sanitaires sont dénoncées, mais aussi et surtout la question de l’avenir des enfants orphelins est posée. L’article, retrouvé dans les archives est-allemandes, est soigneusement étudié par les autorités de la SBZ :
« Kinderlager in Sachsen », Die Neue Zeitung, 19 janvier 194863
« À Bischofswerda près de Dresde, il existe depuis quelque temps ce qu’on appelle un camp pour enfants, qui sert à l’accueil d’enfants allemands réfugiés issus des régions orientales, et surtout des orphelinats de Königsberg/Prusse orientale. Les pères des enfants sont considérés comme disparus, les mères ont été envoyées vers la Russie pour y travailler suite à l’occupation de ce territoire par l’armée soviétique. Lors de chaque transport, les enfants et les éducateurs sont arrivés en Saxe trop peu vêtus et nourris. Presque chaque enfant montre des signes de faiblesse et souffre de maladies liées à la faim.
Le gouvernement régional saxon de son côté semble avoir l’intention de garder les enfants apatrides et orphelins dans des camps de manière permanente ou de les transférer et les rassembler le cas échéant dans des soi-disant villages pour enfants – sur le modèle soviétique. Seuls les enfants orphelins de leurs deux parents peuvent quitter les camps et être accueillis par des parents nourriciers. Comme le statut d’orphelin ne peut être accordé avec certitude qu’à une minorité d’enfants, la plupart ne vont pas pouvoir quitter la vie dans les camps à court terme.
Depuis le milieu de l’année dernière, la possibilité existait pour 80 des enfants du camp de Bischofswerda d’être accueillis en Allemagne de l’Ouest. En décembre seulement, 4 de ces 80 enfants ont obtenu l’autorisation de départ délivrée par l’administration régionale saxonne. »
46L’article réprouve les conditions de vie de ces « anhanglose Umsiedlerkinder » et questionne leur avenir dans la zone soviétique. La question de leur départ vers l’Ouest, vers l’espace sous occupation britannique, provoque de nombreux conflits entre les administrations militaires. La lenteur administrative est une réalité, son intentionnalité sous-entendue dans l’article doit être relativisée, comme la prolongation de la vie dans les camps stigmatisée ici. Les difficultés d’identifier les enfants et de préciser leur statut d’orphelin expliquent la lenteur des prises de décision régionales. En effet, alors que la mortalité est très élevée à Kaliningrad, aucun document officiel n’a été émis en cas de décès. Difficile dans ce cas d’émettre a posteriori des certificats de décès. De même, comme nous pouvons le voir dans les appels à témoins pour identifier les enfants, certains d’entre eux sont trop jeunes pour se rappeler ce qui est advenu à leurs parents, ou simplement pour connaître leur nom. À une période où les pères n’ont pas encore tous été libérés, comment autoriser le départ d’un enfant vers l’Ouest ou son adoption ?
47Le camp de Bischofswerda fait partie des camps régulièrement inspectés à la fois par la ZVU, le gouvernement régional et des envoyés de la SMAD, et certains problèmes évoqués par l’article y sont aussi largement discutés. Début septembre 1947, la visite réclamée par le Major Saisew de la SMAD (Berlin-Karlshorst) souligne le grand nombre de cas difficiles au sein du camp64. À cette date, 300 personnes vivent au sein de ce camp pour enfants, placées selon leur âge et leur sexe dans 17 baraques. Parmi elles, 40 garçons et 32 filles apparaissent dans les statistiques en tant qu’« adultes », c’est-à-dire qu’ils ont alors plus de 14 ans. Leur présence est justifiée par le directeur du camp par leur statut d’orphelin, ou par la présence de frères et de sœurs plus jeunes dont ils ne veulent pas être séparés. Quant au nombre exact d’enfants qui ont des proches à l’Ouest, il est difficile à vérifier. Une évaluation du Suchdienst à propos de 400 enfants de passage dans le camp de Naumburg en Saxe-Anhalt conclut : les proches d’une centaine d’enfants ont pu être identifiés et prévenus, 30 % des enfants déclarent être originaires des zones occidentales (« nach Ihrer Aussage65 ») et entre 80 et 90 % ont d’après les recherches menées perdu au moins leur mère66.
• Les « villages pour enfants »
48L’accusation des autorités américaines selon laquelle il y aurait des créations de villages d’enfants à l’Est sur le modèle soviétique doit être écartée. Lors de la publication de l’article en janvier 1948, il n’est pas question de créer des villages d’enfants « sur le modèle soviétique » en zone d’occupation soviétique. La situation est plus complexe. Certes, la construction d’espaces spécialisés dans l’accueil de jeunes réfugiés orphelins ou plus globalement d’adolescents jugés « difficiles » à éduquer fait partie des projets sociétaux des Soviétiques et des communistes pour la future société est-allemande, mais rien n’est envisagé dans l’immédiat.
49Certes, le 11 avril 1949, soit plus d’un an après la publication de cet article, l’un de ces villages pour enfants et pour jeunes, « Kinder-und Jugenddorf », ouvre ses portes à Kyritz au nord-ouest du Brandebourg67. Il a pour vocation d’héberger les enfants issus de Kaliningrad. Son ouverture tardive est liée à la difficulté de trouver un espace libre assez grand pour accueillir 260 orphelins, alors que tous les espaces sont réquisitionnés pour l’accueil des expulsés, des prisonniers de guerre, des travailleurs spécialisés au repos ou des « Schwerstarbeiter ». Durant sa première année, l’institution fonctionne sur un modèle très familial : la plupart des enseignants, des éducateurs, des puéricultrices mais aussi du personnel administratif et des artisans qui y sont employés accueillent de grandes fratries au sein de leurs propres familles, parfois jusqu’à une dizaine d’enfants. L’idée est de recréer des entités familiales pour répondre au besoin de stabilité d’enfants particulièrement éprouvés par la guerre, en dehors des cadres jugés insuffisants des orphelinats, selon le principe que « chaque enfant a besoin d’un accompagnement personnel et de la chaleur du foyer familial au sein d’un petit groupe d’enfants rassemblés autour d’une mère ou d’un couple parental. Ce groupe est composé de différentes classes d’âge, qui vivent ensemble dans un même foyer comme une famille68 ».
50Le rôle du personnel administratif et des éducateurs dépasse alors largement le cadre professionnel, pour former de véritables familles avec les orphelins. Au sein de la structure de Kyritz, les enfants participent activement à la construction d’un village de 30 ha, d’une petite exploitation agricole qui leur permet d’obtenir un peu d’argent de poche, d’une école ainsi que d’un espace dédié au sport. Cette collaboration participe du principe d’auto-organisation, elle est aussi la conséquence du manque de personnel et permet aux enfants de retrouver des repères stables, faits de responsabilité et d’autonomie. L’arrière-plan idéologique est explicite, il faut que « dès son plus jeune âge, chaque enfant fournisse sa contribution bénéfique à la société dans son ensemble69 ». Tout cela est d’ailleurs célébré dans la chanson officielle du village : « Wir wollen uns selbst verwalten, mit allen Freundschaft halten. Wir wollen nie wieder Krieg ; Pioniere, Freundschaft siegt70 ! » Les principes d’amitié et de paix concordent avec le discours politique de la FDJ et ont bien entendu une résonance particulière pour des enfants qui ont vécu la guerre et ses conséquences. La « réconciliation » prônée ici peut donc avoir une signification très personnelle pour ces derniers, même si elle participe d’un enjeu social et politique qui les dépasse.
51Un an après sa création, le modèle des villages pour enfants est interdit et qualifié de modèle capitaliste. Les familles qui se sont créées à Kyritz sont séparées, le nouveau système éducatif prôné est celui de l’« éducation collective » d’après les principes de l’écrivain et pédagogue soviétique Anton Makarenko71. Le village d’enfants de Kyritz devient le « Kinderheim Ernst Thälmann ». Après la réunification allemande, les critiques sur les méthodes d’éducation au sein des orphelinats mais surtout des foyers d’accueil fermés pour jeunes délinquants se sont concentrées autour des concepts appliqués par Margot Honecker, ministre de l’Éducation à partir de 1963. Parmi les points les plus controversés de sa politique figurent l’introduction d’un entraînement militaire à l’école et les adoptions forcées des enfants de parents « inaptes » : souvent jugés ainsi en raison de leur opposition au régime. Le symbole de la politique de répression vis-à-vis de la jeunesse est-allemande reste aujourd’hui encore l’existence de camps de redressement souvent empreints de violence créés en RDA.
52Les années 1945-1955, étudiées ici, se situent bien en amont de la naissance d’une véritable éducation socialiste appliquée uniformément et inscrite dans la législation. Les villages d’enfants stigmatisés par l’administration militaire américaine sont non seulement un phénomène de courte durée mais aussi résultent également d’influences autres que le seul modèle soviétique. Le concept de village d’enfants, c’est-à-dire la création de lieux d’accueil et de vie pour jeunes orphelins en tant qu’entité sociale indépendante, est né en Suisse à la fin de la Seconde Guerre mondiale, pour offrir aux orphelins une alternative à l’orphelinat. Il est issu d’une réflexion sur les besoins des réfugiés de guerre, problème auquel la Suisse a répondu dès 1940 par la création d’un « Zentralleitung der Lager und Heime für Flüchtlinge » sous la tutelle du département de la Justice helvète72. Il est très intéressant de noter la présence du rapport de cette institution suisse au sein des archives du ministère du Travail et de l’Éducation est-allemand en décembre 1947. On y trouve aussi la directive publiée par les autorités suisses à l’adresse des directeurs de camps et de foyers pour personnes déplacées et réfugiés de guerre datant d’avril 194573. Dans cette dernière, le chef de la direction centrale des camps explique au personnel des institutions l’importance de leur attitude avec des populations marquées par l’exode : « pour le réfugié, tu es le représentant du peuple suisse. Ton attitude et ton comportement sont pour lui l’attitude et le comportement de tous les Suisses à l’égard du réfugié ». La création d’un service psychothérapeutique, « Psychotherapeutischer Dienst », est largement documentée dans les archives du ministère est-allemand. Sa création en 1944 en Suisse est la conséquence de l’observation des réfugiés dans les centres d’accueil et de la difficulté de la prise en charge de phénomènes psychologiques récurrents : déséquilibres psychiques, hypersensibilité, dépressions réactionnelles, syndromes/névroses des camps (« Lagerneurose »), psychoses liées à l’internement74.
53Après une année d’expertises, de dialogues et d’évaluations psychologiques au sein des camps de réfugiés, le rapport sur « La psychologie du réfugié » est présenté du 21 au 23 avril 1945 à Lugano75. L’objectif de cette étude est d’analyser la réaction psychologique des individus face à un événement traumatique, dans le cas présent l’exode et la fuite, afin d’améliorer l’accueil de ces personnes et de trouver des moyens de traitement. Le premier écueil réside dans la diversité qui se cache derrière le mot « réfugié », défini ainsi dans l’étude : « Le réfugié est une personne parmi d’autres, d’une époque parmi d’autres, d’un pays parmi d’autres, qui a pris la fuite face un danger imminent, et a en conséquence atterri dans un environnement qui lui est totalement étranger. »
54Pour les autorités est-allemandes, l’intérêt de ce document tient à ses conclusions, qui peuvent partiellement être appliquées au cas spécifique des expulsés présents en SBZ. Certaines d’entre elles recoupent les observations faites dans les Kinderlager et auprès des enfants de Kaliningrad. Au-delà d’un syndrome de panique et de peur, « die Angst vor dem Verfolger76 », le rapport note le développement d’un instinct de survie quasi animal, « Entwicklung eines tierhaften Instinktes », qui peut provoquer de grands conflits avec les populations locales et leur manque de compréhension vis-àvis des réalités de la guerre et de l’exil forcé :
« L’homme qui fuit tombe dans certaines circonstances sur des moyens de survie qu’il aurait auparavant condamnés comme immoraux. Pensons par exemple à des choses bien connues, comme la falsification de papiers, des extraits de naissance jusqu’au passeport, la déclaration d’enfants comme étant les siens ou le prêt d’enfants à d’autres réfugiés qui n’en ont pas. De telles pratiques scandalisent à chaque fois nombre d’entre nous. Mais réfléchissons à cela : nos principes moraux et nos normes se sont développés dans un cadre de vie relativement sécurisé, au sein duquel de telles falsifications ne sont pas nécessaires et par là même condamnables. Mais si ce cadre de vie venait à être brisé, si nous et nos proches étions menacés par un danger de mort imminent ? Nos instincts de survie primaires réapparaîtraient aussi chez nous, et nos lois, nos barrières morales et nos valeurs éthiques se dilueraient dans un néant, si jamais elles venaient à gêner notre survie. »
55La présence de ces documents helvétiques, étudiés par les autorités est-allemandes, démontre un intérêt partagé pour l’impact psychologique des déplacements de population liés à la guerre. L’expérience des villages d’enfants pour orphelins est mise en pratique dès 1946 en Suisse, elle vise à recréer un environnement familial pour ces derniers, tout en respectant leurs besoins d’autonomie. L’expérience tourne court en RDA, lorsque ces institutions semblent entraver la pénétration d’organisations politiques et sociales, telles la FDJ au sein de cet espace auto-organisé. De plus, à partir des années 1949-1950, les principes d’éducation sont de plus en plus idéologiques et suivent la même logique pour les enfants réfugiés que pour la politique visant les Umsiedler. La politique d’assimilation s’oppose à une politique spécifique qui prendrait en considération les traumatismes et les expériences spécifiques à ces enfants. La réinsertion scolaire devient alors l’objectif principal des autorités, les enfants qui ne sont pas aptes à suivre cette voie rejoignent les rangs de ceux considérés plus généralement comme « schwer erziehbar », soit difficile à éduquer, au sein des foyers de rééducation.
L’école, premier vecteur d’intégration ?
Une école en reconstruction (1945-1949)
56En Allemagne, l’école a constitué pendant la Seconde Guerre mondiale un facteur de continuité et de propagande. La réouverture des établissements a permis une permanence du cadre scolaire pour les enfants allemands, elle a été effectuée parfois par les forces alliées américaines avant même l’occupation soviétique. L’administration centrale allemande de l’éducation, Deutsche Zentralverwaltung für Volksbildung (DVV), fait partie des premières administrations autorisées par l’ordre no 17 de la SMAD du 27 juin 1945, elle est mise en place dès août sous la direction de Paul Wandel. En coopération avec son équivalent soviétique, le service Volksbildung de la SMAD dirigé par l’ancien rédacteur en chef de la « Pravda » Piotr Solotuchin, la DVV doit organiser la rentrée scolaire prévue pour début octobre à l’échelle de la SBZ77. Une pression s’exerce sur les régions et les villes de la zone d’occupation pour tenir ce délai et permettre une reprise de la scolarisation, mais aussi des formations professionnelles à l’adresse des adolescents. L’enjeu pour les occupants est double. D’une part, l’École doit permettre une reprise économique plus rapide en palliant par la même occasion le manque de main-d’œuvre qualifiée, notamment en réintégrant dans le système de formation scolaire et professionnel les jeunes qui en avaient été privés ce qui « est surtout valable en ce qui concerne la jeunesse, qui n’a même pas encore eu l’occasion d’apprendre quoi que ce soit. Les garçons sont passés du banc d’école à l’armée et de là au front. Ceux qui ont eu la chance de revenir doivent déjà commencer par apprendre un métier78 ». D’autre part, l’École permet une mainmise sur l’enfant, pour lui transmettre des valeurs (« ideelle Werte ») au-delà des enseignements classiques, « pas seulement le calcul et les enseignements de langue », pour aider l’enfant, qualifié ici de « entfremdet », à trouver de nouveaux repères79. Cela s’applique à tous les enfants mais en première ligne aux expulsés. Cette volonté de rééducation se retrouve dans le programme des autres forces d’occupation : la plupart des enfants à nouveau scolarisés à partir de l’automne 1945 n’ont pas connu jusqu’alors d’autre enseignement que celui proféré par le IIIe Reich.
Reconstruction et dénazification : pressions politiques et réalités matérielles
57Dans les faits, la rentrée scolaire se déroule de manière très hétérogène au sein de la zone d’occupation. La première difficulté réside dans la destruction des écoles dans les villes bombardées comme Dresde. De plus, les bâtiments scolaires sont bien souvent utilisés à d’autres fins durant l’été 1945, pour reloger des personnes sans abris ou pour en faire des camps provisoires, en raison du manque d’espace disponible. Cette situation pose la question des priorités d’après-guerre, entre l’ambition d’une remise en marche précoce de l’enseignement et les réalités matérielles de l’automne 1945.
58Un conflit s’installe par exemple entre le commandant soviétique local et la ville de Leipzig à propos de l’interruption régulière de l’enseignement des enfants scolarisés pour faire face à l’arrivée de transports de réfugiés lorsque les camps habituels n’ont plus la capacité de les accueillir. Trois écoles de Leipzig sont ainsi fermées régulièrement pour accueillir les réfugiés : la 15. Volksschule, la 42. Volksschule et la 50. Volksschule, notamment lors des mois les plus froids de l’hiver 1945/194680. Cette utilisation des écoles provoque de nombreux conflits, non seulement entre la municipalité et l’occupant, mais aussi au sein du conseil municipal entre les différents services. Lorsqu’en novembre 1946 le directeur des services sociaux Eichelbaum insiste sur la nécessité d’une telle décision en raison du manque d’alternatives81, certains membres du conseil municipal demandent de ne pas adopter cette proposition82.
59À Jena, le maire résume la situation ainsi : « Les écoles de Jena avaient déjà été réouvertes pendant l’occupation américaine. Après l’arrivée des Russes, elles ont été confrontées à de grandes difficultés, d’une part en raison des bâtiments scolaires réquisitionnés par l’armée d’occupation, mais surtout de part l’épuration complète du corps enseignant83. »
60En effet, la reconstruction d’un système scolaire fonctionnel est contrariée par le manque de personnel couplé aux exigences de dénazification. Déjà, la guerre a largement décimé le personnel enseignant masculin. Dans l’arrondissement rural de Grimma, seuls 280 enseignants sur les 400 qu’il comptait avant la guerre sont encore en service en avril 1945. Au 1er octobre, date de la rentrée, 195 sont présents84. Helga A. Welsh dans son étude dédiée à la dénazification des enseignants et à leur remplacement par des « Neulehrer » en Saxe et en Thuringe85, remarque que le remplacement de ce corps de métier répond à un projet politique à plus long terme de la part du SED et des Soviétiques. En effet, avant même la réforme du système scolaire en SBZ, la dénazification doit permettre une pénétration de la nouvelle idéologie au sein de l’école.
61Contrairement à la portée initiale de l’ordre no 40 de la SMAD qui écartait les anciens membres actifs du NSDAP de la fonction publique, un changement presque complet de la profession est ambitionné par les dirigeants politiques et ceci en dépit de la résistance de la population et de certains politiques face à une dénazification sans lien avec l’engagement politique effectif des personnes concernées. Malgré les paroles rassurantes de Paul Wandel, « que nous n’allons pas juger les personnes à partir de leur seule appartenance formelle au NSDAP86 », les consignes transmises par la DVV aux administrations régionales et provinciales en juillet 1946 sont très claires : tout ancien membre du NSDAP, qu’il le soit devenu par conviction personnelle ou pour des raisons touchant à sa carrière, est « impropre à être le vecteur/porteur/fondement (Träger) de la nouvelle École87 ».
62Il faut rappeler que cette dénazification concerne la majorité des enseignants de la SBZ, et notamment en Saxe où 5 550 professeurs parmi les 7 662 employés dans le Land sont concernés par les directives régionales particulièrement sévères. Contrairement à d’autres régions et ceci dès l’été 1945, le seul fait d’avoir été membre du NSDAP suffit à justifier un licenciement sans solde88. En automne 1945, alors que les écoles viennent de rouvrir leurs portes, la directive d’application de la LRS du 9 novembre 1945 rend effective cette politique : du jour au lendemain, les anciens enseignants (« Altlehrer ») sont touchés par une interdiction d’exercer. Helga Welsh présente l’exemple de Chemnitz, où sur les 547 Altlehrer, 406 anciens membres du NSDAP disparaissent des écoles. Finalement, ce sont 457 enseignants, en majeure partie sans expérience professionnelle, qui doivent gérer les 681 classes de l’arrondissement89. Malgré les difficultés induites par cette fermeté et les oppositions qu’elle suscite même au sein du SED, les négociations avec les administrations militaires soviétiques locales s’avèrent infructueuses : la priorité est donnée à la dénazification au risque de déstabiliser le système scolaire. Bien souvent, les commandants locaux n’ont pas non plus le pouvoir d’accorder un sursis aux villes et ceci malgré les ordres centraux de la SMAD.
63Officiellement, la dénazification du corps enseignant saxon est achevée dès le début de l’année 1946. En réalité, certains postes spécialisés et quelques écoles de campagne connaissent encore des procédures de licenciement pour raisons politiques jusqu’en 1947. À cette date, les autres régions de la zone d’occupation suivent souvent la ligne rigoriste saxonne, le maire de Jena évoque le licenciement de membres « inoffensifs » du parti et des officiers de réserve90, mais uniquement lorsque leur remplacement par un Neulehrer devient possible. Ce délai permet d’éviter la situation chaotique que connaissent les écoles saxonnes à partir du 1er octobre 1945. Dans ce contexte, la formation des Neulehrer s’organise dans un contexte d’urgence tout à fait particulier. À long terme, aucun retour massif des enseignants licenciés n’est observable en SBZ, contrairement à la situation ouest-allemande. La première conséquence en est le manque d’expérience du personnel enseignant. Parmi les enseignants du primaire de Berlin-Est par exemple, Emmanuel Droit note que 70 % d’entre eux n’ont guère plus de 3 ans d’expérience en 1950, et que seulement 13 % ont bénéficié d’une formation d’enseignement supérieur91.
Les Neulehrer : limites pédagogiques et scientifiques du projet politique d’éducation
64La politique de recrutement des nouveaux enseignants par les différentes forces d’occupation présente de grandes similitudes : ce sont principalement les étudiants qui ont interrompu leurs études ainsi que les femmes « avec un niveau d’étude élevé et des expériences pédagogiques92 » qui doivent venir combler les manques. Si la dénazification du corps enseignant ainsi que la formation accélérée d’un nouveau personnel font l’unanimité au sein de l’échiquier politique est-allemand, la solution est envisagée comme provisoire par la plupart des partis politiques mais en revanche elle est vécue comme une chance historique par le SED pour « occuper les postes devenus vacants suite à l’épuration politique par un personnel enseignant dont les origines sociales et les idées politiques se distinguent radicalement de ceux de l’enseignant nazi autoritaire et bourgeois, et dont la coopération loyale contribuerait à la construction du nouvel État antifasciste93 ».
65La Saxe est en pointe du mouvement par sa politique de dénazification, elle compte en octobre 1945 déjà 2 639 Neulehrer alors qu’autant se trouvent en formation, et ceci malgré l’hostilité de la population face au remplacement d’un personnel qualifié, et souvent bien connu des communautés rurales, par de nouveaux enseignants, suspectés d’être proche du KPD et de l’occupant94. À partir de janvier 1946, les présidents des Länder sont chargés de mettre en place des programmes de formation d’une durée moyenne de 8 mois afin de recruter un contingent de nouveaux enseignants, 9 000 pour la Saxe, issus des « franges démocratiques de la société95 ». Les premières formations, dont le contenu est fixé par la DVV en coopération avec la SMAD, débutent au printemps et sont prises d’assaut, tout du moins à leur début. La perspective de l’obtention d’une carte de rationnement similaire aux ouvriers de l’industrie et d’une promotion sociale dans un contexte de fort chômage sont autant d’arguments pour les candidats. Ces derniers sont examinés par une « commission scolaire », composée d’enseignants et de personnels administratifs, mais aussi de représentants des partis politiques et des organisations sociétales telles le FDJ, le FDGB, et les comités féminins96. Les candidats doivent tous être en possession d’une attestation de la part d’un des partis politiques affirmant leur « mentalité antifasciste », seuls les moins de 20 ans font l’objet de dérogation, même s’ils ont pour certains été membres de l’organisation des jeunesses hitlériennes97. En 1945, dans l’arrondissement de Grimma, plus de 700 candidatures sont déposées, dont 95 sont acceptées directement et 34 sont envoyées en formation : cette forte sélection est liée au manque d’expérience des candidats mais surtout à leur profil politique : une appartenance antérieure au NSDAP, ou un manque d’implication dans la « reconstruction démocratique98 ».
66Il est utile de préciser que l’affiliation au SED n’est pas un critère officiel dans le recrutement des Neulehrer99. Néanmoins, il va sans dire que la pression exercée en amont donne de meilleures chances d’être qualifié pour un poste ou une formation aux membres du parti. Cette pression est renforcée au sein des centres de formation, dans leur immense majorité dirigés par un membre du SED : dans certains centres l’affiliation au parti des futurs enseignants côtoie les 80 %. Il est cependant difficile de parler d’un véritable succès du parti. Certes, le SED a largement pénétré le corps enseignant, là où le KPD avait toujours été ultra-minoritaire, mais n’est souvent que tout juste majoritaire, même dans les cours élémentaires100 :
| Janvier 1946 | Octobre 1946 | Octobre 1947 |
KPD | 6,7 % |
|
|
SPD | 12,5 % |
|
|
SED |
| 51,6 % | 55 % |
LDPD | 3,9 % | 13,7 % | 14 % |
CD | 3 % | 9 % | 9 % |
Sans appartenance | 74 % | 25,7 % | 22 % |
67Ces chiffres donnent des moyennes qui ne prennent pas en compte les disparités locales, comme la prédominance de la CDU dans certains arrondissements à majorité catholique. Par contre, on peut noter la forte influence du SPD en comparaison avec le KPD avant la fusion des partis. Le SED n’acquiert une majorité des voix des professeurs des écoles que tardivement et à la suite de pressions exercées dans les écoles et les centre de formation. Il faut noter aussi que la progression touche tous les partis politiques, les voix sont donc entièrement issues du réservoir constitué des enseignants sans appartenance politique préalable. Il y a donc une politisation du corps professionnel, mais s’agit-il vraiment d’une opinion politique ou d’un choix de carrière ? Cela représenterait alors une continuité avec le modèle des « nominelle Mitglieder » du régime politique précédent. Cette politisation peut aussi simplement être une conséquence du mode de recrutement des Neulehrer. Le fait de devoir présenter une attestation de « mentalité antifasciste » délivrée par les partis politiques sous-entend bien souvent une affiliation à ce même parti politique.
68Au vu des contraintes matérielles, politiques, mais aussi compte tenu de l’hostilité d’une partie de la population à leur égard, 30 % des nouveaux enseignants formés en Saxe ont déjà quitté leur emploi en mars 1948, en 1947 le nombre des départs dépasse même celui des recrutements101 ! La soviétisation de l’enseignement et des structures scolaires engagée dans le tournant des années 1948-1949 accentue encore ce mouvement pour aboutir en 1950 à ce que Helga Welsh appelle « das Jahr der großen Lehrerabwanderung », lorsque les autorités est-allemandes assistent encore à la défection de près de 20 % du corps enseignant102, dont une partie, Neulehrer comme Altlehrer, partent vers l’Ouest, attirés par un salaire et une reconnaissance sociale plus élevés103. Le manque de personnel reste donc un problème majeur bien au-delà des premières années d’après-guerre, mais cette fluctuation permanente permet peu à peu une meilleure construction du corps enseignant selon les principes idéologiques du SED et un abaissement drastique de leur âge moyen. En 1948, 71 % des enseignants saxons ont moins de 35 ans104. Cette situation conduit à la réintégration de certains enseignants écartés auparavant mais elle reste faible. Au début de l’année 1948, lorsque le gouvernement vérifie les affiliations politiques : les personnes sans affiliation politique dominent avec 53 sur un total de 107, 41 sont membres du SED, 5 du LDP et 8 de la CDU105. Le système de formation accélérée des Neulehrer perdure jusqu’en 1953, lorsqu’un cursus de 6 semestres de formation est finalement mis en place106.
69La dénazification du corps enseignant a donc apparemment primé sur un bon fonctionnement scolaire pendant près de 8 ans. Mais cette conclusion mérite d’être nuancée. La restructuration du système scolaire visée par l’occupant et par les communistes est-allemands en exil à Moscou avait fait l’objet de nombreuses planifications préalables. La réalité de l’après-guerre a certes ralenti le processus, tout en permettant cependant d’atteindre une certaine homogénéisation politique du corps enseignant, quand bien même il s’agirait bien souvent d’un engagement non pas partisan mais plutôt d’une adaptation silencieuse aux règles politiques du nouveau régime.
70L’inexpérience des jeunes enseignants provoque de nombreux conflits au niveau local. Dans les villes ils ne peuvent que partiellement être à la hauteur des exigences parentales, à la campagne, chaque erreur est rapidement connue de tous107. Alors que le personnel ne possède pas de qualifications spécifiques (« personal im Allgemeinen nicht besonders geschult108 »), les enjeux relatifs à la scolarisation des enfants de réfugiés et à leur nécessaire rattrapage scolaire mettent largement en lumière le fossé qui sépare la volonté politique des possibilités de mise en œuvre locales.
Le difficile retour des enfants de réfugiés à l’école
Un retard scolaire lié « aux circonstances particulières109 »
71Le retard accumulé par les enfants de réfugiés est sensible dans leur développement physique, « un retard de croissance a été observé chez les enfants en âge préscolaire110 », mais aussi intellectuel. Avant l’arrivée annoncée des enfants de Kaliningrad, les camps de Kleinwelka et de Bischofswerda font l’objet d’une grande enquête afin de déterminer le niveau scolaire des enfants, « schulmäßige Sichtung », ainsi que leur maturité intellectuelle, « geistige Differenzierung ». Le 1er décembre 1947, les résultats présentent le retard scolaire accumulé par les enfants et les adolescents présents dans les deux camps111 :
Aucune année scolaire pour 289 enfants, parmi lesquels 250 enfants compte tenu de leur âge sont destinés à entamer leur première année de scolarisation.
année scolaire pour 190 enfants.
années scolaires pour 303 enfants.
années scolaires pour 248 enfants.
années scolaires pour 125 enfants.
années scolaires pour 43 enfants.
années scolaires pour 7 enfants.
72Autrement dit, si l’on confronte l’âge avec le développement scolaire des enfants, 64 enfants de Kleinwelka et 93 enfants de Bischofswerda ont l’âge d’être inscrit en première année. Cependant, dans les deux camps, ils sont respectivement 268 et 242 enfants à devoir suivre cet enseignement. Au total, seule une minorité des enfants a pu atteindre plus de 4 ans de scolarité avant les expulsions112 :
Année scolaire | En fonction de l’âge | En fonction des connaissances |
1. | 157 | 510 |
2. | 101 | 213 |
3. | 135 | 178 |
4. | 142 | 132 |
5. | 214 | 79 |
6. | 190 | 53 |
7. | 142 | 38 |
8. | 168 | 2 |
73L’ampleur du retard scolaire accumulé par les enfants de réfugiés n’est pas uniquement lié à l’expulsion, mais a été aggravé par l’attitude des régions d’accueil. En Saxe, qui n’avait tout d’abord pas été désignée comme région d’accueil, les responsables politiques n’ont pas élaboré de programme pour la scolarisation des enfants d’expulsés. Plus encore, les mouvements de population à l’intérieur de la zone soviétique tendent à retarder le retour à l’école, comme en 1947 lorsque le recensement des qualifications professionnelles provoque une nouvelle vague de mobilité.
74Malgré une connaissance de ces difficultés, il n’existe pas avant 1950 de programme uniforme en vue d’un rattrapage scolaire adapté aux enfants de réfugiés. Une des raisons évoquées par l’administration chargée de l’éducation en Saxe est la nécessaire flexibilité du système en fonction des cas particuliers et qui se verrait restreinte par une directive régionale applicable à toutes les écoles113. En fonction des régions et des moyens disponibles, les réponses apportées aux retards scolaires sont variées : un placement des enfants dans des classes inférieures, la création de classes spéciales, la mise à disposition de soutien scolaire. Lorsque la première solution est adoptée, les enfants de réfugiés disparaissent des statistiques régionales concernant les besoins en soutien scolaire, comme l’explique le directeur d’une école primaire de Leipzig : « Si seule une partie des enfants de Umsiedler et de réfugiés semble nécessiter de l’aide/du rattrapage, cela est dû au fait que 34 d’entre eux ne sont pas dans la classe correspondant à leur âge, mais une ou deux classes en dessous114. » Cette mesure est dénoncée au début des années 1950 par le ministère saxon de l’Intérieur en raison des conséquences psychologiques négatives sur les enfants concernés115. Dans son roman Landnahme, l’auteur Christoph Hein évoque cette stigmatisation, à laquelle participe aussi l’enseignant, lorsqu’il décrit l’arrivée d’un élève, enfant de réfugiés, dans une école rurale de la SBZ :
« Lorsqu’il remarqua le nouvel élève, il l’examina de façon amusée de haut en bas. “Un nouveau”, fut sa constatation ironique. “Et comment t’appelles-tu ?” Sans attendre de réponse il ouvrit le cahier de classe et lut les remarques concernant Haber à haute voix. “Alors comme ça, tu as déjà dix ans. Bon et bien si on te place en CE2, ça veut bien dire que tu ne dois pas être un calculateur prodige, non ?” Toute la classe s’amusait116. »
75Le ministère refuse également de cautionner la création de classes spéciales réservées aux enfants de réfugiés. D’une part, cette initiative ne peut être appliquée partout : dans les petites communes, la création de classes de soutien est impossible en raison de l’effectif très limité des enfants de réfugiés qui seraient concernés117, d’autre part elle ne répond en rien aux objectifs politiques et sociaux d’une assimilation rapide : « Notre objectif ne peut pas être atteint par l’insertion dans des classes spéciales dites “d’appui/d’aide” des enfants de réfugiés en situation de retard scolaire dû aux circonstances particulières, mais il faut trouver des voies et des moyens pour que leur niveau d’éducation revienne à la normale par une prise en charge individualisée voire des cours particuliers118. » Dans les cas où la prise en charge scolaire des enfants est la plus efficace, elle résulte de coopérations entre différents acteurs de la société civile, palliant ainsi l’absence d’une directive régionale claire, et par là même de moyens supplémentaires : « Ces classes de soutien et ces groupes de travail et de soutien ont été créés en lien avec les organisations, du syndicat, des enseignants et des éducateurs. Les enseignants ont proposé ces cours sans compensation financière en plus de leur programme scolaire habituel119. » Par ces mesures exceptionnelles, « Sondermaßnahmen », la Saxe cherche à atténuer l’ampleur du retard scolaire des enfants de réfugiés mais aussi de tous les enfants « dont la formation scolaire s’est avérée très insuffisante en raison de la guerre » dans le cadre d’un arrêté datant du 4 juillet 1947120. Les résultats mitigés de cette politique en demi-teinte pérennisent le retard des enfants de réfugiés à l’école jusqu’au début des années 1950.
76Une véritable politique d’éducation se développe dans le cadre de la loi sur l’amélioration des conditions de vie des anciens Umsiedler, « Gesetz über die weitere der Lage der ehemaligen Umsiedler in der Deutschen Demokratischen Republik », du 8 septembre 1950 dont la quatrième partie est consacrée aux aides à l’éducation des enfants de réfugiés :
IV
Ausbildungshilfen für Umsiedlerkinder
§ 9
(1) Für Umsiedlerkinder, die infolge der Umsiedlung in ihrer Schulbildung zurückgeblieben sind, hat das Ministerium für Volksbildung bei den Grundschulen besondere Klassen und Internatsschulen einzurichten, in denen diese Kinder mit Einverständnis ihrer Eltern besonders betreut werden.
(2) Bedürftige Eltern aus den Reihen der Umsiedler, deren Kinder das Schulpflichtige Alter überschritten haben und die Schule zur Beendigung ihrer Grundschulausbildung weiter besuchen, erhalten Erziehungsbeihilfen in Höhe von 25 DM monatlich
§ 10
(1) Kinder von Umsiedlern sind nach Beendigung ihrer Grundschulbildung bevorzugt in Lehrstellen solcher Betriebe unterzubringen, bei denen eine Betriebsberufsschule besteht.
(2) Kinder von Umsiedlern, die in Lehrlingsheimen untergebracht sind, erhalten bei besonderer Bedürftigkeit auf Kosten der Betriebsleitung Kleidung
§ 11
Besonderes Augenmerk ist auf die Schüler aus den Reihen der Umsiedler zu werfen, die sich durch gutes Wissen auszeichnen. Ihre weiter Ausbildung in Berufsschulen und Hochschulen ist durch Stipendien zu fördern.
77La loi place le rattrapage scolaire sous l’autorité du ministère de l’Éducation, le respect de son application incombe quant à lui au ministère de l’Intérieur. Elle doit mettre fin aux querelles de compétences qui ont marqué les années précédentes, et surtout l’instrumentalisation de la question par les partis politiques et les acteurs de la vie civile. En première ligne, la CDU présente dans les administrations chargées de l’éducation au niveau régional critique les insuffisances de la stratégie saxonne. De par ses liens privilégiés avec les instances religieuses, le parti présente des chiffres qui peuvent donner des indications supplémentaires sur le retard scolaire en dehors de l’environnement strictement scolaire, par des alertes données par exemple par les Églises121. Le parti fustige le manque de perspectives scolaires des enfants de réfugiés au début de l’année 1950. Selon la CDU, « le passage de l’école primaire au secondaire serait impossible à effectuer en 4 ans pour un enfant d’Umsiedler122 ». Face à ces critiques, les autorités cherchent à populariser l’idée d’une année scolaire supplémentaire pour ces enfants, c’est-à-dire au-delà de l’âge légal prévu pour quitter l’école123. Cette réunion houleuse du comité parlementaire chargé de l’éducation est suivie sept mois plus tard par la promulgation de la loi pour l’amélioration des conditions de vie des réfugiés. Le nouveau cadre légal est créé pour harmoniser la politique scolaire, mais aussi pour renforcer le contrôle jusque-là exercé de manière approximative sur les « mesures exceptionnelles » mises en place dans les écoles saxonnes en le plaçant sous la houlette du ministère de l’Intérieur régional.
La question scolaire entre les mains du ministère de l’Intérieur (1950-1953)
78Une année après la promulgation de la loi, un premier rapport du ministère de l’Intérieur est rédigé à la suite d’une série de contrôles locaux. Il met en lumière l’hétérogénéité des politiques scolaires et la méconnaissance des réalités locales. Le rapport stigmatise directement le ministère de l’Éducation, jugé inapte à délivrer des informations précises : « Le ministère de l’Éducation, qui est responsable, est incapable de faire état du nombre de classes de soutien mises en place en Saxe ou même de donner des exemples de mesures pédagogiques exceptionnelles appliquées124 » ou même véridiques :
« D’après le ministère de l’éducation, des classes de soutien pour les enfants d’Umsiedler, qui ont pris du retard dans leur formation scolaire, n’existent que dans les grandes villes comme par exemple Leipzig et Dresde. Cependant, les vérifications du ministère de l’Intérieur ont révélé que l’arrondissement d’Hoyerswerda entre autre comptait 5 classes de soutien dans les communes de Bernsdorf, Torno et Laubusch125. »
79La principale difficulté est l’hétérogénéité locale et le manque de prise en charge des enfants de manière normée et automatique. Ainsi, le rapport du ministère saxon de l’Intérieur déplore le retard pris par des localités à la suite de l’arrivée de certains transports :
« Lors des voyages d’information organisés par le ministère de l’Intérieur, il a pu être observé par exemple dans les arrondissements de Grimma (municipalité de Collmen) ou Rochlitz (municipalités Wiederau, Taucha) que les adolescents d’un transport de Kaliningrad arrivés au mois de mai avec des retards scolaires considérables n’ont soit pas encore été scolarisés du tout, ou n’ont toujours pas de classes de soutien à leur disposition alors qu’ils en reconnaissent la nécessité et montrent beaucoup d’empressement à rattraper ce retard126. »
80Cet exemple provoque l’exaspération des responsables ministériels qui, depuis la promulgation de la loi un an auparavant, ont cherché à fluidifier la transmission d’informations relatives aux enfants de réfugiés et à organiser en amont leur future intégration scolaire. Il reste alors « incompréhensible que les enfants du transport évoqué auparavant ne soient pas encore scolarisés du tout, et ce malgré la consigne du ministère de l’Intérieur qui avait ordonné une vérification du niveau scolaire pendant leur séjour dans le camp de quarantaine et l’envoi de rapports vers les administrations compétentes127 ». En clair, les efforts d’organisation et de rationalisation de l’intégration scolaire déployés par le ministère semblent en cette année 1951 n’être que peu relayés par les échelons locaux de l’administration scolaire. Les raisons de ce dysfonctionnement sont multiples, il peut être lié à l’hétérogénéité des situations locales et au manque d’efficacité d’une administration scolaire ébranlée par la dénazification et les réorganisations politiques. De même, l’implication personnelle des fonctionnaires sur place joue un rôle central dans la mise en place d’un soutien scolaire adapté et efficient.
81Les lacunes constatées lors des premiers contrôles locaux poussent le ministère à reprendre les vérifications sur place au début du mois de décembre 1951. Les conclusions sont présentées au ministre-président saxon dans un rapport daté du 19 janvier 1952128, ce qui prouve l’importance politique accrue de ce sujet au début des années 1950. Cependant, même cette visite des arrondissements de Niesky, Grimma et Meissen ne permet pas de connaître ni le pourcentage exact d’enfants de réfugiés parmi les enfants scolarisés, ni le nombre de ceux qui ont déjà dépassé l’âge scolaire légal sans obtenir de diplôme129. Seuls des chiffres peu précis et incomplets sont établis, et ces derniers mettent en lumière l’importance variable de cette thématique au niveau des arrondissements et à l’intérieur même des écoles.
82Ainsi, l’arrondissement de Niesky compte 34,7 % d’enfants de réfugiés dont 10 % ont dépassé l’âge de scolarisation, ils sont respectivement 22,7 % et 24 % dans les écoles primaires de l’arrondissement de Grimma. Ces moyennes tendent à masquer la situation particulière des différentes écoles, dont le nombre d’enfants d’expulsés peut varier de 11 % pour l’école primaire de Grimma (municipalité) à 70 % pour une école de Sachsendorf (arrondissement Grimma). Les mêmes écarts se retrouvent dans les établissements d’études secondaires : on compte 40 % d’adolescents issus de familles réfugiées à Nossen et seulement 8 % à Meissen alors que la moyenne est de 25 %. Le rapport pointe une différence significative pour expliquer la part de réfugiés : un internat existe à Nossen. Contrairement aux écoles primaires situées à proximité du lieu de vie des réfugiés, et dont les chiffres traduisent la part de population réfugiée dans les communes, les établissements scolaires d’études secondaires peuvent être sélectionnés par les familles selon d’autres critères. Ce seul chiffre de Nossen ne permet pas de tirer de conclusions générales, mais le choix d’un établissement doté d’un internat peut vraisemblablement être mis en relation avec le manque d’espace et la précarité des logements ou sous-locations de la population réfugiée. De même, ce choix peut être expliqué par la mobilité locale voire régionale des parents, à la recherche d’un emploi, ainsi que leurs éventuels problèmes de subsistance : l’internat est alors un élément de stabilité, scolaire et sociale, pour leurs enfants.
83Le rapport pointe par ailleurs l’importance que les parents accordent à l’éducation de leurs enfants et leur attachement à une scolarisation plus longue130, ainsi que le sérieux avec lequel les enfants eux-mêmes font face à leurs difficultés scolaires131.
84Les mesures pédagogiques se distinguent peu, dans les années 1951-1953, des « Sondermaßnahmen » mises en place durant les années précédentes. Les mesures dédiées au rattrapage varient selon les écoles, elles peuvent se limiter à la mention d’un « U » pour « Umsiedler » à côté des noms d’enfants de réfugiés dans les listes scolaires à l’attention de l’enseignant. Elles peuvent prendre la forme de groupes d’étude réunis en dehors des heures de cours et pris en charge par les enfants eux-mêmes, leurs parents et certains enseignants, ils sont consacrés aux matières jugées primordiales que sont les mathématiques et l’allemand. Pour le ministère de l’Intérieur, le résultat scolaire semble l’emporter sur la méthode pédagogique choisie, alors qu’il dresse dans son rapport des listes d’écoles en terme de « gutes Beispiel » et « schlechtes Beispiel132 ». Les résultats sont en effet loin d’être uniformes, entre des écoles dont tous les enfants de réfugiés, 10 dans le cas de Wilsdruff133, ont pu sauter des classes afin de rejoindre des élèves de leur âge grâce aux cours de soutien, et les écoles dont les élèves ne parviennent pas à rejoindre le niveau de leurs camarades : « Certains cas isolés d’enfants de 14 à 16 ans mais dont le niveau scolaire ne dépasse pas la 4e année scolaire concernant les connaissances en mathématiques et en allemand ont été constatés (par exemple à Sermuth/arrondissement de Grimma)134. » Loin de proposer des sanctions contre ces écoles, la consigne du ministère est d’intensifier l’enseignement de ces deux matières. L’école primaire de Grimma est particulièrement mise en avant comme exemple à suivre, avec des cours de soutien organisés pour chaque année scolaire par les enseignants en dehors des heures de cours. La commune de Sachsendorf, avec le taux précédemment évoqué de 70 % d’enfants de réfugiés dans son école primaire, est critiquée ainsi que son enseignant en raison d’un cas particulier observé :
« À Sachsendorf (Grimma) il a été constaté que le jeune Gerhard Kaddereit âgé de 13 ans comprend les signes d’imprimerie et l’écriture cursive, mais ne sait pas lire. Si un enseignant s’était mieux occupé de l’enfant, il aurait été simple de lui apprendre à lire. Mais il ne lui a donné que des exercices de recopiage, que ce dernier exécute à l’écrit sans aucune erreur135. »
85La responsabilité est donc entre les mains de l’enseignant, chargé d’organiser des cours supplémentaires pour ses élèves, alors que son expérience et ses moyens financiers sont limités, comme le sous-entend la mention furtive du rapport des difficultés financières liées à un programme de soutien « semi-institutionnalisé ». Le financement de ces mesures joue en effet un grand rôle dans les conflits entre les différentes institutions en charge de la scolarisation des enfants de réfugiés :
« À Thammenhain (arrondissement de Grimma) un centre d’éducation géré par l’Église héberge 40 orphelins, surtout des enfants de réfugiés. Parmi eux se trouve l’élève Helmut Förster, né le 7 juillet 1938, qui a été placé en première année scolaire à l’école primaire. Il doit être transféré vers un centre étatique, à partir duquel il peut avoir accès à une école spécialisée. Cela n’a pas abouti pour l’instant pour des raisons financières. D’après les déclarations du maire les enfants seraient battus dans le centre136. »
86Le ministère de l’Intérieur, par la promulgation d’un cadre législatif en 1950, permet une augmentation des moyens alloués à la question du rattrapage scolaire. La priorité est de maintenir les enfants à l’école, et d’éviter, aussi pour des raisons financières, la multiplication d’une main-d’œuvre peu qualifiée et dénuée de tout diplôme scolaire. Les enfants de réfugié, et surtout les adolescents masculins, sont en effet bien souvent devenus les « chefs de familles monoparentales ». Cet état de fait les pousse bien souvent à quitter prématurément l’école. Pour le ministère de l’Intérieur, la pression familiale et économique oriente les jeunes vers un travail non-qualifié plutôt que vers une formation137. Pour écarter ce risque, à l’instar des femmes à la fin des années 1940, et pour pallier l’émigration croissante de travailleurs qualifiés vers l’Ouest, la loi de 1950 prévoit en effet le paiement de « Erziehungsbeihilfen », c’est-à-dire d’aides financières pour les familles dont les enfants restent à l’école au-delà de l’âge réglementaire. Ces aides sont en priorité prévues pour les jeunes de plus de 14 ans qui quittent le système scolaire sans diplôme et font partie d’une catégorie particulièrement observée par le régime : la jeunesse.
Les jeunes réfugiés et le régime : intégrer et surveiller
87Les « jeunes réfugiés » sont les filles et garçons de plus de 14 ans lors des expulsions ou durant les premières années de l’intégration en Saxe. Ils connaissent des problèmes variés, ils sont marqués par la guerre puis confrontés aux problèmes sociaux et politiques de la reconstruction.
88Si la scolarisation des plus jeunes est facilitée par les autorités, les adolescents restent quant à eux dans un « entre-deux » : trop âgés pour rattraper leur retard scolaire, ils sont également peu favorisés sur le marché du travail en raison de leur manque de formation professionnelle et de diplôme. Les difficultés d’intégration de cette génération tiennent donc surtout à l’absence d’un cadre scolaire ou professionnel. Devenus « chefs de famille » prématurément par l’absence ou le décès de leurs pères, les jeunes ont endossé des responsabilités auprès de leurs mères ou grands-parents et vis-à-vis de leurs cadets. Dès lors, ils peinent à retrouver un encadrement scolaire ou un apprentissage, et sont menacés d’une marginalisation politique au grand dam des autorités.
Les jeunes réfugiés : du soutien scolaire à l’intégration professionnelle
Réorienter la jeunesse vers l’école
89Contrairement aux bons résultats scolaires des enfants de réfugiés mis en avant par le ministère de l’Intérieur, la catégorie des « überalterte ehemalige Umsiedlerkinder » semble faire face à de plus grandes difficultés d’adaptation scolaire. « Les enfants d’anciens Umsiedler trop âgés pour être scolarisés dans leurs classes habituelles ont tendance à présenter de mauvais résultats138 », note un rapport de l’arrondissement Auerbach, dans lequel les « schlechte Leistungen », « unter dem Durchschnitt » sont plus nombreux que le seul cas évoqué de « Klassendurchschnitt139 ». Si une majorité de parents semble convenir de la nécessité de rallonger la scolarité de leurs enfants et d’y ajouter une neuvième année, l’âge des enfants et l’ampleur de leur retard scolaire joue un rôle prédominant dans cette décision. En effet, quand les jeunes ont dépassé l’âge de scolarisation depuis plusieurs années, cette solution montre ses limites. Lorsque des jeunes de 16 ans, à Sermuth dans l’arrondissement de Grimma, n’ont pas atteint les connaissances requises en mathématiques ou en allemand pour un enfant en 4e classe, c’est-à-dire âgé de 9 ou 10 ans, une année supplémentaire ne peut paraître suffisante et convaincante pour les jeunes et leurs familles140.
90Pour empêcher l’arrivée massive de jeunes sans diplômes sur un marché du travail saturé de travailleurs et surtout de travailleuses non qualifiés, l’argument avancé par le régime devient d’ordre financier. Le ministère de l’Intérieur saxon rappelle en septembre 1951 l’existence depuis près de 15 mois, soit le 14 juin 1950, d’une législation : les « Erziehungsbeihilfen » précédemment évoquées, visant à enrayer les abandons scolaires de la jeunesse, complétée une année plus tard de décisions spécifiques aux jeunes réfugiés, dans le cadre de la loi du 8 septembre 1951 :
« Point 1. Les signalements répétés des administrations chargées de l’emploi dans leurs rapports locaux concernant le nombre d’adolescents qui quittent prématurément l’enseignement secondaire pour entrer dans la vie professionnelle en vue de l’obtention d’un salaire nous amènent à attirer l’attention sur l’ordonnance publiée au journal officiel no 63 de la RDA le 16 juin 1950 à propos du paiement de pensions complémentaires aux élèves du secondaire. Entre autres, cette ordonnance précise qu’une aide complémentaire de 25 à 60 DM peut être accordée sur dossier aux enfants de travailleurs, de paysans et de la “ werktätige Intelligenz”, effective à partir du 1er avril 1950. »
« Point 2. De par la loi sur l’amélioration de la situation des anciens Umsiedler en RDA, une aide conséquente est accordée aux enfants de réfugiés qui n’ont pas atteint les objectifs de l’école primaire mais ont dû quitter l’école primaire à la fin de leurs 14 ans. Pour les adolescents, des classes spéciales sont mises en place dans le primaire. Une aide à l’éducation mensuelle à hauteur de 25 DM leur est accordée141. »
91Dans un contexte économique toujours précaire, ces aides accordées soulignent les priorités du régime est-allemand. Tout d’abord, le problème de la déscolarisation ne touche pas seulement les enfants de réfugiés mais prend la forme d’un problème social et économique plus général au début des années 1950 en touchant une génération entière. Certes, les « Umsiedlerkinder » ne sont pas les seuls enfants ayant été éloignés de l’école pendant la guerre, mais leur retard scolaire est plus important, compte tenu des années de fuite, de retour dans leur pays d’origine, de l’expulsion qui s’en est suivie et de la très lente sédentarisation en raison des mobilités entre zones d’occupation, régions, arrondissements et municipalités.
92La mise en place d’une législation spécifique aux adolescents en situation de décrochage scolaire dans les années 1950-1951 apparaît très tardive. En effet, à cette date, le retour des prisonniers de guerre n’a pas permis de stabiliser le marché du travail est-allemand encore miné par les démontages et les destructions mais aussi par les développements socio-économiques est-allemands, la fuite des cerveaux vers l’Ouest et l’entrée des femmes dans la vie professionnelle. La volonté des adolescents d’entrer au plus vite sur un marché du travail déstabilisé au détriment d’une formation professionnelle complète pousse le régime à instaurer un système d’aides qui s’apparente à un « dédommagement » des adolescents. Le succès de cette mesure142, met en évidence les difficultés financières qui touchent les familles de réfugiés, mais aussi les familles est-allemandes dans leur ensemble.
93Dans l’accès à ces aides, une différence entre les enfants est-allemands et les enfants de réfugiés doit cependant être soulignée. Si leur obtention est conditionnée par l’origine sociale des parents dans le premier cas, dans une double perspective idéologique et économique, les seconds sont dans le cadre de la loi du 8 septembre 1950 soumis à d’autres critères, « Bedürftige Eltern aus den Reihen der Umsiedler », mais cette restriction n’apparaît plus dans le rappel des législations en vigueur envoyé aux administrations saxonnes chargées de l’emploi un an plus tard143. Cette différence peut à la fois tenir à la précarité avérée d’une grande partie des familles de réfugiés, et n’est donc plus mentionnée, ou être interprétée en 1951 comme le signe d’une prise de conscience de la pérennité des difficultés d’intégration des adolescents au-delà du cadre scolaire. L’ampleur de leur retard scolaire n’est pas la seule difficulté rencontrée par le régime est-allemand dans sa volonté d’intégrer socialement et professionnellement les adolescents en question : leur entrée sur le marché du travail s’avère, elle aussi, dépendre largement du bon vouloir des acteurs économiques, souvent réticents à employer de jeunes réfugiés. La politique de soutien scolaire et d’aides à l’éducation développée par les autorités se mue en un questionnement plus large sur la nécessité non plus de soutenir mais de favoriser ces derniers, en opposition apparente avec la politique d’assimilation menée jusqu’alors.
La priorité donnée aux jeunes réfugiés : une limite de l’égalitarisme ?
94Les débats qui jalonnent la question de l’intégration scolaire des enfants de réfugiés ne débouchent sur une véritable politique contraignante dotée de moyens financiers qu’au début des années 1950. La question de la formation professionnelle des adolescents s’inscrit dans la même temporalité et fait apparaître les mêmes fractures politiques et idéologiques au sein du parlement saxon et de ses institutions. Le dénominateur commun de ces deux problématiques reste la question de la nécessité ou non d’une législation contraignante voire l’instauration d’un « favoritisme » à l’égard des réfugiés. Cette question divise car elle s’oppose à l’égalitarisme prôné par le SED jusqu’au tournant politique que représente la loi du 8 septembre 1950. Ce n’est pas tant le contenu de la loi qui marque un tournant – elle se révèle finalement très restrictive et limitée à l’obtention de crédits plutôt qu’un « Lastenausgleich » – mais sa promulgation en elle-même, c’est-à-dire le vote d’une loi spécifique pour les réfugiés.
95Jusqu’en 1950, les résistances vis-à-vis de ce qui pourrait être vécu par la population locale comme un « favoritisme » envers les jeunes réfugiés conduit à un débat politique régional qui oppose le SED aux autres partis politiques144. Les enjeux liés à l’intégration des adolescents au sein de formations professionnalisantes ne sont pas appréhendés de la même manière par les différents acteurs politiques. Le 24 février 1950 à Dresde, lors de la 68e réunion du comité parlementaire de la « Volksbildung » saxonne qui a lieu en présence des comités d’aide à l’enfance, l’ampleur des divergences politiques et idéologiques apparaît au grand jour. Elles concernent à la fois un désaccord entre les partis à propos de la gravité du problème et en conséquence de la réponse appropriée. La représentante du ministère de l’Éducation, Frau Pieper, cherche à rassembler l’intégration scolaire et l’intégration professionnelle autour d’un même constat : la nécessité de mesures ponctuelles non restrictives. Face à cela, les groupes parlementaires chrétiens-démocrates et libéraux défendent l’idée d’une législation contraignante en argumentant qu’au vu de la situation « tout ne peut pas se faire sur la seule base du volontariat145 ». Lors de cette réunion, le débat est clos de façon radicale par les représentants du SED qui rejettent la motion déposée par la CDU en vue de réserver des places d’apprentissage aux jeunes réfugiés et considèrent que, « globalement, l’image catastrophique induite par la motion et les exposés tenus en réunion plénière se révèle inexacte ».
96En marge des débats politiques régionaux, les réponses locales semblent aller dans le sens d’un favoritisme pragmatique, là où le chômage des jeunes s’avère le plus élevé. Ainsi, le ministère de l’Intérieur saxon note que certaines entreprises saxonnes, et en premier lieu celles qui disposent d’une formation intégrée, font le choix de privilégier les candidats issus des rangs de la population146. L’attractivité de telles structures réside dans leur organisation : elles rassemblent en un lieu l’activité professionnelle, une école intégrée et bien souvent des internats pour les jeunes qui entrent en apprentissage. Mais ici encore, le niveau scolaire des jeunes réfugiés peut constituer un obstacle à leur entrée en formation et une inégalité sociale durable147.
97La priorité accordée aux enfants de réfugiés au sein de certaines formations ne peut être qualifiée de pratique courante. Certes, les administrations locales poussent parfois des entreprises à considérer leurs candidatures en priorité, mais ces comportements ne reposent pas sur une base légale ou une directive claire. En effet, si la loi du 8 septembre 1950 met par exemple en avant la nécessité de « fixer notre attention sur les écoliers issus des rangs d’enfants de Umsiedler, qui se font remarquer par leurs grandes connaissances. Leur future formation professionnelle ou supérieure doit être encouragée par des bourses148 ». Les modalités précises ou les moyens alloués à une telle politique ne sont pas mentionnés. De même, l’accès prioritaire à des formations est un souhait des administrations saxonnes dès 1946, pour que les jeunes accèdent à des lieux d’apprentissage qui comprennent un centre de formation sur place149. Durant la période étudiée, une généralisation de cette pratique ne peut être observée.
98La difficulté à établir un bilan satisfaisant de l’intégration scolaire et professionnelle des jeunes réfugiés tient aux archives disponibles. La jeunesse est un groupe social qui n’est pas clairement identifiable dans les sources. Elle est dans un entre-deux : comptés jusque l’âge de 16 ou 18 ans dans la catégorie des enfants s’ils sont encore scolarisés, ils peuvent à partir de 14 ans apparaître au contraire dans la catégorie des « arbeitsfähige Umsiedler » dans des archives liées spécifiquement à l’intégration professionnelle. De même, de part la disparition de la distinction entre réfugiés et population locale dès le début des années 1950, un bilan de leur (ré-)intégration à l’école ou au sein de formations professionalisantes sur long terme comprend trop de zones d’ombre. L’autre difficulté tient à la multiplicité des acteurs qui influent sur le processus d’intégration professionnelle des jeunes. Les entreprises et les centres de formations ne communiquent en effet pas ouvertement sur les raisons qui poussent à l’embauche de tel ou tel jeune, et bien souvent n’établissent pas de liste du personnel selon ces critères. L’étude des arrondissements de Niesky, Grimma et Meissen ordonnée par le ministère de l’Intérieur saxon en décembre 1951 reste donc une source rare150. Elle est d’ailleurs utilisée en 1989 par Regine Just dans son travail sur l’intégration en Saxe pour justifier de l’attention particulière accordée à la jeunesse réfugiée151, comme seul document relatif à la question.
99Ce silence des archives est la conséquence de l’intérêt tardif des autorités pour la question de l’intégration de la jeunesse. En février 1948, l’administration allemande chargée de l’Éducation maintenait encore que :
« L’administration allemande de l’éducation ne dispose pas de données statistiques concernant les jeunes Umsiedler. […] Ici encore aucune distinction n’est faite entre population d’origine et Umsiedler. La question/le problème des jeunes Umsiedler ne s’est pas encore manifesté(e) selon Monsieur Less (service chargé des écoles professionnelles)152. »
100Elle propose également de développer une stratégie commune pour favoriser l’entrée des jeunes et des femmes sur le marché du travail, sans distinction et par le biais de formations, proposées avec « einen gewissen gesetzlichen Zwang153 ». Le recensement des apprentis, lancé le 1er janvier 1948, ne prévoit aucune distinction entre adolescents et adultes, population locale ou réfugiés154.
Les jeunes réfugiés et le régime, entre encadrement et résistance
101L’intégration professionnelle des adolescents et des jeunes s’accompagne d’un effort politique du SED pour les lier au nouveau régime. Entre 1945 et 1953, leur importance économique pour la future économie est-allemande est indissociable de leur rôle politique à venir. Les jeunes, qui sont nés et ont grandi pendant le IIIe Reich, sont difficiles à rallier : ils seront durant la période étudiée les premiers à partir vers l’Ouest ou à tenter de s’affranchir politiquement155.
102La volonté de contrôler les enfants de réfugiés va plus loin : le régime cherche non seulement à les éloigner de l’idéologie nazie véhiculée durant leur scolarité, mais aussi de l’influence de leurs familles. La suspicion qui pèse sur les expulsés dans le cadre de la dénazification s’étend aux jeunes et aboutit à une volonté accrue d’encadrement et de contrôle.
FDJ156 et jeunesse réfugiée : des jeunes pour encadrer les jeunes ?
103La très longue tradition allemande des organisations de jeunesse touche en 1945 à son paroxysme mais aussi à sa fin brutale. Au lieu de faire face à une multiplication des « Werwolf-Kämpfer » prônés par Goebbels, c’est-à-dire d’actes de résistance de la part d’une jeunesse nationale-socialiste contre les occupants, les Soviétiques sont confrontés à une population allemande apathique et méfiante157. La volonté d’encadrer le peuple et surtout les plus jeunes, passe par la création de partis politiques mais aussi d’organisations de jeunesse avec une finalité de « rééducation ». Gérées par des jeunes, elles doivent permettre de relayer un message politique et idéologique plus susceptible d’atteindre les groupes sociaux visés. La FDJ, issue des « comités de la jeunesse antifasciste » présents sur le territoire de la zone d’occupation depuis l’été 1945, est autorisée le 7 mars 1946 par la SMAD, et se définit comme une « überparteiliche, einige, demokratische Jugendorganisation158 ». Dans les faits, l’organisation est le porte-parole du SED auprès des jeunes générations. Dès la fin des années 1940, elle est encouragée par les autorités à s’engager particulièrement auprès des enfants et des jeunes réfugiés :
« 1. La FDJ va entreprendre un large travail d’information sur le problème des jeunesses réfugiées qui doit atteindre ses échelons administratifs les moins élevés.
2. Conseils d’orientation professionnelle aussi par la FDJ.
3. Multiplication de groupes de soutien des jeunes pionniers qui doivent surtout prendre en charge les enfants de réfugiés159. »
104La FDJ doit jouer un rôle d’interlocuteur privilégié auprès de ces adolescents, pour délivrer un message aussi politique qu’économique. Ce que l’administration allemande de l’Intérieur évoque en tant que « Berufsaufklärung » consiste surtout à former des jeunes aux emplois les plus importants de la nouvelle économie est-allemande. Aux côtés de la FDJ, des médias comme la « Neue Heimat » sont chargés d’orienter la jeunesse réfugiée vers certaines filières professionnelles. L’article « Jungen und Mädel, was wollt ihr werden160 ? » est publié par le magazine en août 1948 et porte le sous-titre « Nicht Kalorienkünstler brauchen wir, sondern Facharbeiter für alle wichtigen Berufe161 ! ». Le message délivré à la jeunesse réfugiée et leurs familles est politique mais aussi moral :
« “C’est déjà le sixième aujourd’hui !” Le maître artisan Nixdorf suit du regard la mère et son fils en hochant la tête. “Tous viennent vers moi et veulent devenir boulangers. Il n’existe même pas assez de pain pour cela. Mon Ermin en tout cas deviendra serrurier !”
Bien sûr les 210 000 garçons et filles qui quittent l’école cette année en zone d’occupation soviétique ne vont pas tous vers le maître artisan Nixdorf. Mais il y a une part de vérité dans cela. Beaucoup de ces jeunes choisissent la facilité dans leur choix d’orientation professionnelle, et les parents les soutiennent aussi dans leurs mauvais choix. Voilà que la famille délibère longtemps et sérieusement. Et le résultat de ce conseil familial ? Fritz sera tout simplement boulanger ou boucher et Lieschen vendeuse dans une épicerie. Le futur métier doit être nourrissant, ou au minimum “distingué”. Si nourrissant ne marche absolument pas, alors direction un bureau, parce que c’est “mieux”. Mais le peuple allemand ne peut pas être un peuple de boulangers et de bouchers, après que la tentative de devenir un peuple d’aviateurs l’ai mené à la misère et la détresse162. »
105Les tentatives d’orientation de la jeunesse vers des emplois en sous-effectifs prennent la forme de réunions d’information de la FDJ ou d’articles de presse à l’attention des jeunes réfugiés. Cependant, un rapport envoyé au vice-président de la ZVU Philipp Daub en janvier 1948 fait état de l’utilisation au niveau local de la contrainte lorsque les jeunes refusent les formations en question : « La situation est bien plus difficile concernant les écoles dédiées aux formations complémentaires, générales ou agricoles. Bien souvent il faut faire intervenir les forces de police pour faire participer les adolescents163. » Les raisons de cette résistance ne sont pas détaillées, mais elle conduit le SED et la FDJ à intensifier la « pédagogie politique » auprès des jeunes, dans le cadre de la « politische Aufklärung » menée au sein des camps de réfugiés.
106Les camps de Bischofswerda et de Kleinwelka, qui abritent majoritairement des jeunes sans attaches familiales, sont au centre des attentions politiques :
« Une attention particulière est accordée aux jeunes des camps de Bischofswerda et Kleinwelka, comme dans ces camps les conseillers politiques sont totalement livrés à eux-mêmes et ne reçoivent aucun soutien de la part des partis antifascistes et des organisations de masse. En concertation avec la direction locale de la jeunesse de la FDJ à Bischofswerda, une intensification de leur travail de pédagogie politique a pu être atteinte et depuis le mois d’octobre 1947, la jeunesse du camp qui a eu accès à une pensée progressiste manifeste la plus grande compréhension pour nos idées relatives à une reconstruction démocratique164. »
107Le camp de Bischofswerda accueille en 1947 plus de 200 enfants166. À la fin de l’année, 110 garçons et 70 filles forment le « FDJ-Kinderlager », c’est-à-dire qu’ils participent aux activités de l’organisation et mettent en place leur propre antenne, encadrée par la FDJ locale167. Les activités proposées ont une grande symbolique idéologique, comme un concours interne aux différentes antennes de la FDJ de l’arrondissement de Bautzen pour réparer, le dimanche 16 novembre 1947, le chemin de fer Wetrow-Neschwitz, indispensable à l’approvisionnement en charbon de l’arrondissement. Le concours, gagné par les jeunes du camp, doit faire naître une solidarité, entre les jeunes mais aussi envers la société dans son ensemble, et attirer l’attention de la jeunesse sur son futur rôle au sein de la société est-allemande. La participation à de telles activités est interprétée un peu rapidement par le régime comme le signe d’une adhésion politique. Il est en fait difficile d’identifier les raisons qui poussent les jeunes à cette participation, ou même d’écarter l’idée d’une contrainte exercée sur eux, qu’elle soit liée à une dynamique de groupe ou à une décision autoritaire de la part du personnel du camp, au vu des manifestations « organisées » qui ponctuent le travail de la FDJ.
108Le niveau de participation des jeunes réfugiés à cette manifestation ne peut être mesuré. Le message véhiculé s’adresse à tous les réfugiés : en défilant en faveur de la nouvelle frontière, la jeunesse tourne le dos aux espoirs de retour de leurs aînés, qui incarnent désormais un passé révolu.
Résistances de la jeunesse envers le régime : le rôle des Églises
109Pour étudier les rapports de force établis en Saxe entre la jeunesse réfugiée et les autorités communistes et soviétiques, il faut parler de « résistances » au pluriel.
110D’un côté, les jeunes expulsés participent aux tentatives de l’ensemble de la population réfugiée pour faire valoir un droit au retour ou tout du moins réclamer la reconnaissance de leur destin particulier. Cette reconnaissance passe à leurs yeux par la création de groupements politiques et culturels, sur le modèle des Landsmannschaften ouest-allemandes, ou par l’indemnisation financière de leurs pertes matérielles, pour une population qui aurait, plus que les autres, payé le prix fort d’une guerre commencée par tous les Allemands. Ce dernier volet replace la question des réfugiés en RDA dans une concurrence interallemande, en raison de sa référence explicite au Lastenausgleich mis en place en RFA au début des années 1950, et est appréhendé par le régime est-allemand comme un danger politique de premier plan.
111La seconde forme de résistance est elle aussi politique. Les jeunes réfugiés participent à une dénonciation plus large de la dictature, portée par exemple par les milieux étudiants saxons168, mais aussi par les organisations religieuses pour la jeunesse.
112Aux yeux du régime, les deux formes de résistances ont un responsable principal : les Églises169. Leur influence sur la jeunesse, et surtout sur la jeunesse réfugiée, ne cesse d’être critiquées (« à Trebsen près de Leipzig ; les prêtres catholiques ont une grande influence sur les Umsiedler, qui peut prendre des formes politiques et qui maintient les espoirs d’un retour170 »). En février 1950, le SED dénonce l’influence de la religion dans les écoles, en prenant pour exemple l’organisation de fêtes de Noël comprenant des chants à caractère religieux171. Les faits se sont produits dans des écoles de Leipzig à la fin de l’année 1949 et conduisent le député Herr Nothagel du SED à plaider pour une interdiction d’événements à caractère religieux dans les écoles. Il rappelle à cette occasion la séparation des Églises et de l’État, justifiée par le rôle de ces dernières pendant le régime nazi : « Par le passé la chrétienté a fait l’apologie de l’Empire, de la guerre et d’Hitler. C’est de cette manière qu’elle a fait de la politique172. »
113En juin 1952, les Églises de Görlitz organisent des journées dédiées à la jeunesse de Silésie, « schlesisches Jugendtreffen173 ». Ce cas est intéressant en raison de sa date tardive (1952) et des réactions suscitées. Le SED local cherche en effet à interdire cet événement, qui n’a pas reçu l’aval des autorités. Cependant, ni les maires de l’arrondissement réunis par le SED, ni les autorités ecclésiastiques ne soutiennent le parti et sa volonté d’interdiction. Certains ecclésiastiques s’y opposent même ouvertement, ce que note le représentant local du SED : « Les prêtres ont adopté une attitude de provocation et ont argumenté que “le gouvernement n’a pas le droit d’interdire aux ecclésiastiques d’organiser une telle réunion et qu’un tel événement avait eu lieu au préalable dans le Brandebourg sans provoquer de contestations”. » De tels rapports locaux établis par des membres du SED méritent d’être commentés. Ils mettent en lumière les efforts du régime pour interdire ces événements, ce qui traduit une impuissance face aux ecclésiastiques et aux pouvoirs locaux. De plus, ils sont utilisés pour justifier le contrôle de plus en plus étroit de l’Église et de ses droits. En 1952, à Görlitz, l’interdiction prononcée a peu d’incidences : elle provoque au contraire une solidarité entre les ecclésiastiques (« La direction de l’arrondissement savait également que onze Pasteurs de l’Église protestante de Silésie avaient annoncé leur intention de participer à ce rassemblement de la jeunesse ») et une concession purement formelle des organisateurs : le rassemblement a seulement été renommé et a été désigné par le conseil ecclésiastique de Görlitz comme « congrès évangélique de la jeunesse saxonne ».
114La politique volontariste menée en faveur de l’insertion scolaire et professionnelle des enfants et des adolescents réfugiés se heurte aux moyens matériels limités des administrations, à l’absence de législation contraignante et au refus de certains jeunes. Les perspectives économiques ouvertes aux jeunes sont conditionnées par une fidélité politique envers le nouveau régime. Le volet politique de cette intégration n’est pas propre aux réfugiés, mais le dénuement des familles sédentarisées en Saxe pousse à une responsabilisation très précoce des jeunes voire à un phénomène d’« Überanpassung », c’est-à-dire une volonté exacerbée de s’intégrer au sein de la nouvelle société est-allemande et d’y participer à tous les niveaux : économique, politique et social.
Notes de bas de page
1 E. Droit, Vers un homme nouveau ? L’éducation socialiste en RDA (1949-1989), Rennes, PUR, 2009, p. 33.
2 « Société socialiste basée sur l’éducation », le système scolaire est-allemand reste l’un des aspects les plus controversés de la RDA, permettant une prise en charge dès le premier âge, avec en contrepartie une mainmise étatique sur l’école mais aussi le temps libre de la jeunesse.
3 Terme utilisé pendant la dénazification pour qualifier les personnes ayant collaboré avec le régime nazi.
4 L’action « Rettet das Kind » se trouve d’ailleurs être une initiative du comité central des OdF à Berlin. En raison du statut quadripartite de Berlin, la Volkssolidarität, qui reprendra ensuite une partie de cette action, ne peut être mise en place avant la fin de l’année 1946 dans cette ville et ce comité central des OdF, composé en grande partie de personnes tout juste libérées des camps de concentration, a pour premier objectif d’aider les enfants, in P. Springer, op. cit., p. 36.
5 « Könnte wahrscheinlich einer großen Anzahl von Kindern das Leben erhalten werden », Barch DQ2/3365, Erste Sitzung des erweiterten Ausschusses für die Aktion « Rettet das Kind » am 6.11.1945 um 11. Uhr in der Zentralverwaltung für Gesundheitswesen in der SBZ, 8 novembre 1945.
6 Idem.
7 Barch DO2/73, Bericht über die Sitzung in der Zentralverwaltung für Gesundheitswesen am 5.11.1945 betreffend Aktion « Rettet das Kind », Berlin Friedrichsfelde, 8 novembre 1945.
8 Barch DO2/107, Beschluss des Zentralsekretariats, Betreff Weiterführung des Assimilationsprozesses der Umsiedler, Berlin, 11 novembre 1948.
9 Barch, DO2/73, Die Zahlen der Umsiedlerkinder in den Ländern, non daté.
10 Barch DQ2/3395, Landesarbeitsamt Sachsen, Sonderbericht des LAA Sachsen über die im Landesarbeitsamtsbezirk Sachsen befindlichen Umsiedler, Dresde, 4 décembre 1945.
11 Barch DQ2/3395, Landesarbeitsamt Sachsen, Sonderbericht des LAA Sachsen über die im Landesarbeitsamtsbezirk Sachsen befindlichen Umsiedler, Dresde, 4 février 1946.
12 Barch DQ2/1508, Deutsche Wirtschaftskommission, Hauptverwaltung Arbeit und Sozialfürsorge, Beiträge zur Denkschrift über Umsiedlerprobleme, Berlin, 16 juillet 1949.
13 Barch DY 30/IV 2/2.027/37, Bestand: SED Zentralkomitee, Sekretariat Lehmann, Abschrift, Provinzial-Kinderheim Volkssolidarität an die Volkssolidarität, Oehrenfeld, 12 juillet 1947.
14 Idem.
15 SächsHStA 11377 LRS, MdI Nr. 2372, An die LRS, Ministerium für Arbeit und Sozialfürsorge, Betr. Tätigkeitsbericht für die Zeit vom 1.1.48 bis 31.5.48, Dresde, 9 juin 1948.
16 Barch, DY 30/IV 2/2.027/37, Bestand: SED Zentralkomitee, Sekretariat Lehmann, Abschrift, Provinzial-Kinderheim Volkssolidarität an die Volkssolidarität, Oehrenfeld, 12 juillet 1947.
17 Barch DQ2/3365, ZV für Gesundheitswesen an die ZV für Verkehr, BetreffUmsiedlertransporte, Berlin, 20 décembre 1945.
18 Barch, DY 30/IV 2/2.027/37, Bestand: SED Zentralkomitee, Sekretariat Lehmann, Abschrift, Provinzial-Kinderheim Volkssolidarität an die Volkssolidarität, Oehrenfeld, 12 juillet 1947.
19 A. M. de Zayas, op. cit., p. 200-201.
20 Barch, DQ2/3365, ZV für Arbeit und Sozialfürsorge, Anweisung für die Betreuung der Umsiedler-Kinder, Berlin, 12 novembre 1945.
21 Barch, DO2/73, LRS Hauptabteilung Umsiedler an die ZVU, Betreff Kindergärten in den Umsiedlerlagern, Dresde, 23 septembre 1947.
22 « Le personnel n’a en général pas été spécifiquement formé », in idem.
23 SächsHStA 11377 LRS, MdI Nr. 2189, ZVU Land Sachsen, Bericht über die am 18.12.45 stattgefundene Besprechung im Amt für deutsche Umsiedler im Land Sachsen, 19 décembre 1945, in A. Thüsing et W. Tischner, op. cit., p. 193-193.
24 L’Oderbruch signifie « marais de l’Oder » et a été peuplé à la fois par des Allemands et des Polonais. Sa situation géographique avec une multitude de cours d’eau, comme la Warthe qui rejoint l’Oder, et son nouveau statut de région frontalière ont rendu difficile voire impossible l’évacuation d’une partie de la population allemande.
25 « La mauvaise/dangereuse influence des adultes », in Barch DQ2/3365, ZV für Arbeit und Sozialfürsorge, Anweisung für die Betreuung der Umsiedler-Kinder, Berlin, 12 novembre 1945.
26 Barch DY 30/IV 2/2.027/37, Bestand : SED Zentralkomitee, Sekretariat Lehmann, Abschrift, Provinzial-Kinderheim Volkssolidarität an die Volkssolidarität, Oehrenfeld, 12 juillet 1947.
27 Barch DY 30/IV 2/2.027/37, Bestand : SED Zentralkomitee, Sekretariat Lehmann, Abschrift, Provinzial-Kinderheim Volkssolidarität an die Volkssolidarität, Oehrenfeld, 12 juillet 1947.
28 Barch DO2/73, Besondere Lage der Umsiedlerkinder und Jugendlichen, Berlin-Wilhelmsruh, 11 octobre 1948.
29 SächsHStA, 11377 LRS, MASF Nr. 2398, Landesverwaltung-Abteilung für deutsche Umsiedler an alle Landräte und Oberbürgermeister, 8 février 1946, in A. Thüsing et W. Tischner, op. cit., p. 148.
30 « Sans attaches. »
31 « Où est mon enfant ? », titre d’un article de la « Suchzeitung », Barch DO2/73, « Wo ist mein Kind ? », Suchzeitung, no 18, Berlin, octobre 1948.
32 « Ich suche meinen Vater und meine Mutter », Neue Heimat, Jahrgang 1, Heft 1-mai 1947, p. 21.
33 « Beaucoup de femmes ont des enfants avec elles qui ne sont pas les leurs », in SächsHStA 11377 LRS, MdI no 2189, ZVU Land Sachsen, Bericht über die am 18.12.45 stattgefundene Besprechung im Amt für deutsche Umsiedler im Land Sachsen, 19 décembre 1945, in A. Thüsing et W. Tischner, op. cit., p. 193-193.
34 Barch, DO2/73, LRS, Ministerium für Arbeit und Soziale Fürsorge, Auszugsweise Abschrift, Dresde, 17 janvier 1947.
35 Barch DO2/73, Kinderheime, Stand 30.6.1947 nach Angaben von Frau Neumann, ZV Arbeit und Sozialfürsorge, Berlin, 16 octobre 1947.
36 Barch DO2/73, LRS, Ministerium für Arbeit und Soziale Fürsorge, Auszugsweise Abschrift, Dresde, 17 janvier 1947.
37 Barch DY 30/IV 2/2.027/37, Bestand: SED Zentralkomitee, Sekretariat Lehmann, Kinderheime und-Dörfer, Aktennotiz.
38 Barch, DO2/73, Nachtrag zur Aktennotiz von 10.2.1947, Betreff: Elternlose Umsiedlerkinder Land Sachsen, Berlin, 15 février 1947.
39 « Les Umsiedlerkinder sans parents n’ont pas été comptabilisés en Saxe, seul le nombre d’enfants hébergés dans des foyers a été vérifié », in Barch, DO2/73, Aktennotiz, Sozialreferat, Betreff. Fernschreiben vom 8.2. an das Umsiedleramt Dresden, Berlin, 10 février 1947.
40 Barch, DO2/73, Aktennotiz, Betreff: Lager Hoyerswerda/3 000 Kinder, Berlin, 31 mai 1947.
41 Barch, DO2/73, Anhanglose Umsiedlerkinder (Stand 30.5.1947), Berlin, 12 mai 1948.
42 Barch, DO2/73, « Wo ist mein Kind? », Suchzeitung no 18, Berlin, octobre 1948.
43 Idem.
44 Barch DO2/73, « Adoption von Flüchtlingskinder », Suchzeitung no 13, Berlin, septembre 1947.
45 SächsHStA 11377 LRS, MdI no 2975, Referat Einbürgerung, Zum Monatsbericht für Monat Januar 1950, Dresde, 8 janvier 1950.
46 Barch, DO2/73, Aktennotiz, Sozialreferat, Betreff: Fernschreiben vom 8.2. an das Umsiedleramt Dresden, Berlin, 10 février 1947.
47 Idem.
48 Idem.
49 Barch DO2/65, ZV für Arbeit und Sozialfürsorge, Aktennotiz Betreff Rückführung von 3 000 Waisenkindern aus Kaliningrad, Berlin, 11 juillet 1947.
50 Barch DO2/73, Anhanglose Umsiedlerkinder (Stand 30.5.1947), Berlin, 12 mai 1948.
51 Barch DO2/65, LRS Ministerium für Arbeit und Sozialfürsorge an die ZVU, BetreffKindertransport aus Ostpreußen, Dresde, 29 novembre 1947.
52 Barch DO2/65, Herrn Präsident Engel, Berlin, 26 avril 1948.
53 Barch DO2/65, Herrn Präsident Engel, Berlin, 26 avril 1948.
54 R. Leiserowitz, Von Ostpreußen nach Kyritz. Wolfskinder auf dem Weg nach Brandenburg, Brandenburgische Landeszentrale für Politische Bildung, Potsdam, 2003 ; ainsi que sa coopération au documentaire en deux parties diffusé en 2002 puis 2004 sur la chaîne ARD « Verschollen in Ostpreußen. Der lange Weg der Wolfskinder ». Le texte référencé ici est issu de la version mise en ligne de son ouvrage consultable sur : [http://www.politische-bildung-brandenburg.de/publikationen/pdf/wolfskinder.pdf].
55 Sur la capacité d’adaptation plus grande des enfants en temps de guerre ou d’immédiat après-guerre, voir notamment N. Stargardt, « Jeux de guerre », Vingtième Siècle. Revue d’histoire 1/2006 (no 89), p. 61-76.
56 Barch DO2/70, Der Sozialdemokrat, no 4/3, p. 4.
57 Les archives de la RDA révèlent que les autorités est-allemandes ont collecté tous les articles publiés dans les autres zones d’occupation au sujet des transports d’enfants vers ou depuis la zone soviétique.
58 « Zu unserer Reportage : Transport aus Kaliningrad. Die 7 Geschwister Schneider aus Lejitten », Neue Heimat, Jahrgang 1, Heft 2 – November 1947, en couverture.
59 Barch DO2/65, Bericht über den Besuch des Quarantänelager Eggesin durch Herrn Dr. Radmann und Herrn Kolander am 26 und 27.4.1948, 14 mai 1948.
60 « L’état des enfants concernant leur santé ou leur alimentation doit dans l’ensemble être qualifié de bon. »
61 R. Leiserowitz, Von Ostpreußen nach Kyritz, op. cit., p. 35.
62 R. Leiserowitz, Von Ostpreußen nach Kyritz, op. cit., p. 35.
63 Barch DO2/70, « Kinderlager in Sachsen », Die Neue Zeitung, 19 janvier 1948.
64 Barch DO2/65, Bericht über den Besuch des Kinderlager Bischofswerda am 6.9.1947, Berlin, 10 septembre 1947.
65 « Selon leurs propres dires. »
66 Barch DO2/65, Aktennotiz, Betreff Besprechung im Hause der ZVU am 11.11.47 um 10h, Berlin, 13 novembre 1947.
67 À propos du village pour enfants de Kyritz voir R. Leiserowitz, Von Ostpreußen nach Kyritz, op. cit., p. 37-42.
68 Barch DO2/73, Dr. Anneliese Hamann, « Dorf der verlorenen Kinder. Deutsche Kriegswaisen erhalten ein schützendes Dach ».
69 Barch DO2/73, Dr. Anneliese Hamann, « Dorf der verlorenen Kinder. Deutsche Kriegswaisen erhalten ein schützendes Dach ».
70 « Nous voulons nous administrer/nous gérer nous mêmes, maintenir l’amitié avec tous. Nous ne voulons plus jamais la guerre ; Pionniers, l’amitié gagne ! », in R. Leiserowitz, Von Ostpreußen nach Kyritz, op. cit., p. 39.
71 Anton Semjonowitsch Makarenko (1888-1939) a développé un concept autour de l’éducation collective, et a été reconnu en URSS pour ses « succès dans la resocialisation de jeunes délinquants », in ibid., p. 41.
72 Barch DQ2/3370, Auszug aus dem Jahresbericht des psychotherapeutischen Flüchtlingsdienstes in Zürich/Schweiz, kopiert durch Abteilung IV, Berlin, 23 décembre 1947.
73 Barch DQ2/3370, Eidgenössisches Justiz-und Polizeidepartement, Zentralleitung der Arbeitslager, Richtlinien für die Leiter von Flüchtlingslagern und Heimen, Rundschreiben no 190, 15 avril 1945.
74 Barch DQ2/3370, Auszug aus dem Jahresbericht des psychotherapeutischen Flüchtlingsdienstes in Zürich/Schweiz, kopiert durch Abteilung IV, Berlin, 23 décembre 1947.
75 Barch DQ2/3370, Referat Dienstrapport vom 21. bis 23. In Lugano, gehalten von der Referentin Marie Pfister über die « Psychologie der Flüchtlinge ».
76 « La peur du persécuteur ».
77 Au sujet de la DVV : H. A. Welsch, « Deutsche Zentralverwaltung für Volksbildung », in M. Broszat, H. Weber et G. Braas (dir.), SBZ-Handbuch : Staatliche Verwaltungen, Parteien, gesellschaftliche Organisationen und ihre Führungskräfte in der Sowjetischen Besatzungszone Deutschlands 1945-1949, Munich, Oldenbourg, 1990, p. 229-238.
78 SächsHStA 11377 LRS, MdI no 2206, Landesverwaltung Sachsen, Direktion, Bericht über die Tätigkeit der Abteilung für deutsche Umsiedler bei der LVS im 1. Arbeitsjahr, Dresde, 17 juillet 1946.
79 Barch, DO2/73, Zentralverwaltung für Volksbildung an die Landesumsiedlerämter der 5 Länder, Betrifft : Verwurzelung der Umsiedler mit ihrer neuen Heimat, Berlin, 2 novembre 1948.
80 StAL StVuR (1) no 2037, Aufbau und Aufgaben des Dezernats Sozialverwaltung, Abt. Wohlfahrtswesen, décembre 1945.
81 « Je vous prie de mettre tous vos doutes de côté et de donner votre accord, afin que l’école 42 puisse être utilisée comme camp pour les arrivants », in StAL StVuR (1) no 611, Stadtratssitzung, 25 novembre 1946.
82 StAL StVuR (1) no 611, Stadtratssitzung, 21 décembre 1946.
83 T. Vogelsang, « Oberbürgermeister in Jena 1945/46 », art. cit., p. 916.
84 H. A. Welsh, Revolutionärer Wandel auf Befehl ?, op. cit., p. 109.
85 H. A. Welsh, Revolutionärer Wandel auf Befehl ?, op. cit., p. 109-129.
86 Ibid., p. 106-109.
87 Idem.
88 Ibid., p. 95.
89 Ibid., p. 99.
90 T. Vogelsang, « Oberbürgermeister in Jena 1945/46 », art. cit., p. 916.
91 E. Droit, Vers un homme nouveau ?, op. cit., p. 49.
92 H. A. Welsh, Revolutionärer Wandel auf Befehl ?, op. cit., p. 109.
93 Idem.
94 Ibid., p. 111 et E. Droit, Vers un homme nouveau ?, op. cit., p. 48.
95 Ordre no 162 de la SMAD du 6 décembre 1945, in H. A. Welsh, Revolutionärer Wandel auf Befehl ?, op. cit., p. 112.
96 Ibid., p. 115.
97 Idem.
98 Ibid., p. 112.
99 Ibid., p. 116.
100 Chiffres issus de la thèse de Klaus Müller « Zum Kampf der antifaschistisch-demokratischen Staatsmacht bei der revolutionären Umgestaltung des Schulwesens in Sachsen in den Jahren 1945 bis 1949 », soutenue à l’université de Dresde en 1973, in ibid., p. 117.
101 H. A. Welsh, Revolutionärer Wandel auf Befehl ?, op. cit., p. 122.
102 « L’année de la grande migration enseignante », in ibid. p. 120.
103 E. Droit, Vers un homme nouveau ? op. cit., p. 59.
104 H. A. Welsh, Revolutionärer Wandel auf Befehl?, op. cit., p. 120.
105 SächsHStA 11375 Sächsischer Landtag no 91, LRS, Ministerium für Volksbildung, Personalreferent, An den Ausschuss des sächsischen Landtages, BetreffWiedereinstellung von Lehrkräften, Dresde, 8 avril 1948.
106 H. A. Welsh, Revolutionärer Wandel auf Befehl ?, op. cit., p. 129.
107 Ibid., p. 123.
108 « Le personnel n’a en général pas été spécifiquement formé », in Barch DO2/73, LRS Hauptabteilung Umsiedler an die ZVU, Betreff Kindergärten in den Umsiedlerlagern, Dresde, 23 septembre 1947.
109 « Durch die besonderen Verhältnisse », In SächsHStA 11377 LRS, MdI no 3038 Abteilung Bevölkerungspolitik, Bericht über die Durchführung des Gesetzes vom 8. September 1950, Teil IV (Ausbildungsbeihilfen für Umsiedlerkinder), Dresde, 1er novembre 1951.
110 SächsHStA 11377 LRS, MdI no 2372, An die LRS, Ministerium für Arbeit und Sozialfürsorge, Betr. Tätigkeitsbericht für die Zeit vom 1.1.48 bis 31.5.48, Dresde, 9 juin 1948.
111 SächsHStA 11377 LRS, MdI no 894, Jahresbericht für die Hauptabteilung Umsiedler für 1947.
112 Idem.
113 SächsHStA 11375 Sächsischer Landtag no 89, Protokoll über die 68. Sitzung des Ausschusses für Volksbildung gemeinsam mit dem Jugendausschuss am 24.2.1950.
114 StAL StVuR (1) no 10328, 32. Grundschule an den Rat der Stadt Leipzig, Volksbildungsamt, Abt. Schulwesen, avril 1947, in I. Schwab, « Neue Heimat-Neues Leben » ?, op. cit., p. 122.
115 « Pourtant il n’est pas opportun de placer (comme à Wiederau) des enfants de 13 à 15 ans en deuxième année scolaire (CE1), pour qu’ils soient constamment soumis à un complexe d’infériorité vis-à-vis des autres élèves », in SächsHStA 11377 LRS, MdI no 3038 Abteilung Bevölkerungspolitik, Bericht über die Durchführung des Gesetzes vom 8. September 1950, Teil IV (Ausbildungsbeihilfen für Umsiedlerkinder), Dresde, 1er novembre 1951.
116 C. Hein, op. cit., p. 18-19.
117 SächsHStA 11377 LRS, MdI no 3038 Abteilung Bevölkerungspolitik, Bericht über die Durchführung des Gesetzes vom 8. September 1950, Teil IV (Ausbildungsbeihilfen für Umsiedlerkinder), Dresde, 1er novembre 1951.
118 Idem.
119 SächsHStA 11375 Sächsischer Landtag no 89, Protokoll über die 68. Sitzung des Ausschusses für Volksbildung gemeinsam mit dem Jugendausschuss am 24.2.1950.
120 Idem.
121 « Un message transmis par un pasteur/prêtre de Leipzig indique par exemple que parmi les confirmations prévues cette année, environ 250 enfants ne sont pas suffisamment formés/qualifiés », in SächsHStA 11375 Sächsischer Landtag no 89, Protokoll über die 68. Sitzung des Ausschusses für Volksbildung gemeinsam mit dem Jugendausschuss am 24.2.1950.
122 Idem.
123 Idem.
124 SächsHStA 11377 LRS, MdI no 3038 Abteilung Bevölkerungspolitik, Bericht über die Durchführung des Gesetzes vom 8. September 1950, Teil IV (Ausbildungsbeihilfen für Umsiedlerkinder), Dresde, 1er novembre 1951.
125 Idem.
126 Idem.
127 SächsHStA 11377 LRS, MdI no 3038 Abteilung Bevölkerungspolitik, Bericht über die Durchführung des Gesetzes vom 8. September 1950, Teil IV (Ausbildungsbeihilfen für Umsiedlerkinder), Dresde, 1er novembre 1951.
128 SächsHStA 11377 LRS, MdI no 2188, Abteilung Bevölkerungspolitik, An die Kanzlei des Herrn Ministerpräsidenten des Landes Sachsen Betreff Überprüfung der Kreise Niesky, Grimma und Meißen über die Durchführung des Gesetzes […] vom 6.12.51, Dresde, 19 janvier 1952.
129 « Les arrondissements ont reçu l’instruction de préciser leurs connaissances de la situation », in idem.
130 SächsHStA 11377 LRS, MdI no 2188, Abteilung Bevölkerungspolitik, An die Kanzlei des Herrn Ministerpräsidenten des Landes Sachsen BetreffÜberprüfung der Kreise Niesky, Grimma und Meißen über die Durchführung des Gesetzes […] vom 6.12.51, Dresde, 19 janvier 1952.
131 « Les proviseurs et les enseignants des deux écoles mettent en avant que l’ensemble des enfants de Umsiedler, à part de rares exceptions, se distinguent par une grande application à l’étude », in idem.
132 « Bon exemple » et « mauvais exemple », in idem.
133 Commune des Monts Métallifères située à l’ouest de Dresde.
134 SächsHStA 11377 LRS, MdI no 2188, Abteilung Bevölkerungspolitik, An die Kanzlei des Herrn Ministerpräsidenten des Landes Sachsen Betreff Überprüfung der Kreise Niesky, Grimma und Meißen über die Durchführung des Gesetzes […] vom 6.12.51, Dresde, 19 janvier 1952.
135 SächsHStA 11377 LRS, MdI no 2188, Abteilung Bevölkerungspolitik, An die Kanzlei des Herrn Ministerpräsidenten des Landes Sachsen Betreff Überprüfung der Kreise Niesky, Grimma und Meißen über die Durchführung des Gesetzes […] vom 6.12.51, Dresde, 19 janvier 1952.
136 Idem.
137 « Cette tendance influence aussi les enfants, qui sont poussés à commencer un travail non-qualifié avec le salaire de départ le plus élevé possible au lieu d’apprendre un métier », in idem.
138 Bericht über die Durchführung des Gesetzes zur Verbesserung der Lage der ehemaligen Umsiedler im Kreise Auerbach am 8 September 1950, in A. Thüsing et W. Tischner, op. cit., p. 490.
139 « Mauvais résultats », « inférieur à la moyenne », « moyenne de la classe ».
140 SächsHStA 11377 LRS, MdI no 2188, Abteilung Bevölkerungspolitik, An die Kanzlei des Herrn Ministerpräsidenten des Landes Sachsen BetreffÜberprüfung der Kreise Niesky, Grimma und Meißen über die Durchführung des Gesetzes […] vom 6.12.51, Dresde, 19 janvier 1952.
141 SächsHStA 11377 LRS, MdI no 3038, Ministerium für Arbeit und Aufbau der LRS, An alle Arbeitsämter, Betreff: 2. Ausbildungsbeihilfen für Umsiedlerkinder, Dresde, 19 septembre 1951.
142 « Le nombre d’enfants d’Umsiedler qui reçoivent des aides à l’éducation a augmenté de 160 % durant l’année scolaire 1951/1952 par rapport à l’année précédente dans les écoles contrôlées », in SächsHStA 11377 LRS, MdI no 2188, Abteilung Bevölkerungspolitik, An die Kanzlei des Herrn Ministerpräsidenten des Landes Sachsen BetreffÜberprüfung der Kreise Niesky, Grimma und Meißen über die Durchführung des Gesetzes […] vom 6.12.51, Dresde, 19 janvier 1952.
143 SächsHStA 11377 LRS, MdI no 3038, Ministerium für Arbeit und Aufbau der LRS, An alle Arbeitsämter, Betreff: 2. Ausbildungsbeihilfen für Umsiedlerkinder, Dresde, 19 septembre 1951.
144 SächsHStA 11375 Sächsischer Landtag no 89, Protokoll über die 68. Sitzung des Ausschusses für Volksbildung gemeinsam mit dem Jugendausschuss am 24.2.1950.
145 Idem.
146 SächsHStA 11377 LRS, MdI no 2188, Abteilung Bevölkerungspolitik, An die Kanzlei des Herrn Ministerpräsidenten des Landes Sachsen Betreff Überprüfung der Kreise Niesky, Grimma und Meißen über die Durchführung des Gesetzes […] vom 6.12.51, Dresde, 19 janvier 1952.
147 « L’arrondissement de Grimma compte 25 adolescents qui n’ont pas obtenu de place d’apprentissage. Il s’agit dans ce cas d’enfants qui n’ont pas pu atteindre les objectifs scolaires en raison de leur âge trop avancé », in idem.
148 Gesetzblatt der DDR 1950, « Umsiedlergesetz », 8 septembre 1950, in A. Thüsing et W. Tischner, op. cit., p. 480-484.
149 SächsHStA 11377 LRS, MdI no 2206, Landesverwaltung Sachsen, Direktion, Bericht über die Tätigkeit der Abt. für deutsche Umsiedler bei der LVS im 1. Arbeitsjahr, Dresde, 17 juillet 1946.
150 SächsHStA 11377 LRS, MdI no 2188, Abteilung Bevölkerungspolitik, An die Kanzlei des Herrn Ministerpräsidenten des Landes Sachsen Betreff Überprüfung der Kreise Niesky, Grimma und Meißen über die Durchführung des Gesetzes […] vom 6.12.51, Dresde, 19 janvier 1952.
151 R. Just, « Die Integration der Umsiedler im Lande Sachsen », Sächsische Heimatblätter, no 4/1989, p. 173.
152 Barch DQ2/3370, Aktennotiz bezüglich Umschulung, Besprechung der Herrn Mosch und Häusler bei Frau Matern, Berlin, 13 février 1948.
153 « Une certaine contrainte légale », Barch DQ2/3370, Aktennotiz bezüglich Umschulung, Besprechung der Herrn Mosch und Häusler bei Frau Matern, Berlin, 13 février 1948.
154 Barch DQ2/3370, Aktennotiz bezüglich Umschulung, Besprechung der Herrn Mosch und Häusler bei Frau Matern, Berlin, 13 février 1948.
155 N. M. Naimark, Die Russen in Deutschland, op. cit., p. 480.
156 Au sujet de la FDJ: W. Herman, « Freie Deutsche Jugend (FDJ) », in M. Broszat, H. Weber et G. Braas, (dir.), SBZ-Handbuch: Staatliche Verwaltungen, Parteien, gesellschaftliche Organisationen und ihre Führungskräfte in der Sowjetischen Besatzungszone Deutschlands 1945-1949, Munich, Oldenbourg, 1990, p. 665-690.
157 Ibid., p. 665.
158 « Une organisation de jeunesse unie, démocratique et qui transcende les divisions partisanes », in idem.
159 Barch, DO2/73, Deutsche Verwaltung des Innern, Abteilung Umsiedler, Betrifft: Umsiedler-Jugend, Berlin, 10 janvier 1949.
160 « Garçons et filles, que voulez-vous devenir ? », in Barch DO2/96, « Jungen und Mädel, was wollt ihr warden ? », Neue Heimat, août 1948.
161 « Nous n’avons pas besoin “d’artistes de calories” mais de travailleurs spécialisés pour tous les métiers importants ! »
162 Barch DO2/96, « Jungen und Mädel, was wollt ihr werden? », Neue Heimat, août 1948.
163 Barch DY30/IV 2/2.027/6, Die Lage der Umsiedler in einem Landkreis (Grimmen) als Ergebnis einer zehntägigen Überprüfung von 8 Gemeinden, An Herrn Daub, Berlin, 6 janvier 1948.
164 SächsHStA 11377 LRS, MdI no 894, Jahresbericht für die Hauptabteilung Umsiedler für 1947.
165 « La frontière Oder-Neisse est la frontière de la paix entre la République popupaire de Pologne et l’Allemagne démocratique », in Flucht, Vertreibung, Integration, op. cit., p. 98.
166 Barch, DO2/73, Aktennotiz, Sozialreferat, Betreff. Fernschreiben vom 8.2. an das Umsiedleramt Dresden, Berlin, 10 février 1947.
167 SächsHStA 11377 LRS, MdI no 894, Jahresbericht für die Hauptabteilung Umsiedler für 1947.
168 G. Wiemers (dir.), Der frühe Widerstand in der sowjetischen Besatzungszone Deutschlands SBZ/DDR, Leipziger Universitätsverlag, 2012, p. 51-66.
169 C. Kösters, W. Tischner, Katholische Kirche in der SBZ und DDR, Paderborn, Schöning, 2005.
170 Barch, DO2/73, Deutsche Verwaltung des Innern, Abteilung Umsiedler, Betrifft: Umsiedler-Jugend, Berlin, 10 janvier 1949.
171 SächsHStA 11375 Sächsischer Landtag no 89, Protokoll über die 67. Sitzung des Ausschusses für Volksbildung am 24.2.1950.
172 Idem.
173 Bericht über ein vom 21. Bis 22.6.1952 in Görlitz geplantes « schlesisches Jugendtreffen » der « Jungen Gemeide », Auszug aus einer Information an Landesleitung Sachsen der SED, Niesky, 25 juin 1952, in M. Wille (dir.), Die Vertriebenen in der SBZ/DDR – Dokumente, Band 3, op. cit., p. 404-405.
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